ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

29 octobre 2009 ( *1 )

«Politique sociale — Protection des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail — Directive 92/85/CEE — Articles 10 et 12 — Interdiction de licenciement du début de la grossesse jusqu’au terme du congé de maternité — Protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit communautaire — Égalité de traitement entre hommes et femmes — Directive 76/207/CEE — Article 2, paragraphe 7, troisième alinéa — Traitement moins favorable d’une femme lié à la grossesse ou au congé de maternité — Restriction des voies de recours ouvertes aux femmes licenciées pendant leur grossesse»

Dans l’affaire C-63/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le tribunal du travail d’Esch-sur-Alzette (Luxembourg), par décision du 14 février 2008, parvenue à la Cour le , dans la procédure

Virginie Pontin

contre

T-Comalux SA,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, Mme P. Lindh, MM. A. Rosas, U. Lõhmus et A. Ó Caoimh (rapporteur), juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 janvier 2009,

considérant les observations présentées:

pour Mme Pontin, par Me L. Dupong, avocat,

pour T-Comalux SA, par Mes A. Kronshagen et V. Tutak, avocats,

pour le gouvernement luxembourgeois, par M. C. Schiltz, en qualité d’agent,

pour le gouvernement italien, par Mme I. Bruni, en qualité d’agent, assistée de Mme W. Ferrante, avvocato dello Stato,

pour la Commission des Communautés européennes, par M. M. van Beek, en qualité d’agent,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 31 mars 2009,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 10 et 12 de la directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (dixième directive particulière au sens de l’article 16 paragraphe 1 de la directive 89/391/CEE) (JO L 348, p. 1), ainsi que de l’article 2 de la directive 76/207/CEE du Conseil, du , relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail (JO L 39, p. 40), telle que modifiée par la directive 2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du (JO L 269, p. 15, ci-après la «directive 76/207»).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Mme Pontin à son ancien employeur, la société T-Comalux SA (ci-après «T-Comalux»), à la suite de son licenciement intervenu au cours du mois de janvier de l’année 2007.

Le cadre juridique

Le droit communautaire

La directive 92/85

3

Il ressort du neuvième considérant de la directive 92/85 que la protection de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, allaitantes ou accouchées ne doit pas défavoriser les femmes sur le marché du travail ni porter atteinte aux directives en matière d’égalité de traitement entre hommes et femmes.

4

Aux termes de son article 1er, paragraphe 1, ladite directive a pour objet la mise en œuvre des mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail.

5

Une travailleuse enceinte est définie à l’article 2, sous a), de la directive 92/85 comme «toute travailleuse enceinte qui informe l’employeur de son état, conformément aux législations et/ou pratiques nationales».

6

En vertu de l’article 8, paragraphe 1, de ladite directive, les États membres sont tenus de prendre les mesures nécessaires pour que les travailleuses au sens de l’article 2 de celle-ci bénéficient d’un congé de maternité d’au moins quatorze semaines continues, réparties avant et/ou après l’accouchement, conformément aux législations et/ou pratiques nationales.

7

L’article 10 de la directive 92/85, intitulé «Interdiction de licenciement», est libellé comme suit:

«En vue de garantir aux travailleuses, au sens de l’article 2, l’exercice des droits de protection de leur sécurité et de leur santé reconnus dans le présent article, il est prévu que:

1)

les États membres prennent les mesures nécessaires pour interdire le licenciement des travailleuses, au sens de l’article 2, pendant la période allant du début de leur grossesse jusqu’au terme du congé de maternité visé à l’article 8 paragraphe 1, sauf dans les cas d’exception non liés à leur état, admis par les législations et/ou pratiques nationales et, le cas échéant, pour autant que l’autorité compétente ait donné son accord;

2)

lorsqu’une travailleuse, au sens de l’article 2, est licenciée pendant la période visée au point 1, l’employeur doit donner des motifs justifiés de licenciement par écrit;

3)

les États membres prennent les mesures nécessaires pour protéger les travailleuses, au sens de l’article 2, contre les conséquences d’un licenciement qui serait illégal en vertu du point 1.»

8

Aux termes de l’article 12 de la directive 92/85:

«Les États membres incorporent dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour permettre à toute travailleuse qui s’estime lésée par le non-respect des obligations découlant de la présente directive de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle et/ou, conformément aux législations et/ou pratiques nationales, par le recours à d’autres instances compétentes.»

La directive 76/207

9

Ainsi qu’il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 76/207, celle-ci vise la mise en œuvre, dans les États membres, du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, y compris la promotion, et à la formation professionnelle ainsi que les conditions de travail.

10

L’article 2, paragraphe 1, de la même directive dispose que ledit principe «implique l’absence de toute discrimination fondée sur le sexe, soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l’état matrimonial ou familial».

11

L’article 2, paragraphe 7, premier alinéa, de ladite directive prévoit que cette dernière «ne fait pas obstacle aux dispositions relatives à la protection de la femme, notamment en ce qui concerne la grossesse et la maternité» et le troisième alinéa de la même disposition énonce que «[t]out traitement moins favorable d’une femme lié à la grossesse ou au congé de maternité au sens de la directive [92/85] constitue une discrimination au sens de la présente directive».

12

En vertu de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 76/207, l’application du principe de l’égalité de traitement implique l’absence de toute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe dans les secteurs public ou privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne, notamment, les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement. Les États membres sont tenus, en vertu du paragraphe 2, sous a), du même article, de prendre les mesures nécessaires pour que soient supprimées toutes dispositions législatives, réglementaires et administratives contraires au principe de l’égalité de traitement.

Le droit national

13

L’article L. 124-11, paragraphes 1 et 2, du code du travail luxembourgeois (ci-après le «code du travail») dispose:

«(1)

Est abusif et constitue un acte socialement et économiquement anormal, le licenciement qui est contraire à la loi ou qui n’est pas fondé sur des motifs réels et sérieux liés à l’aptitude ou à la conduite du salarié ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service.

Il en est de même lorsque le licenciement est contraire aux critères généraux visés à l’article L. 423-1, sous 3.

(2)

L’action judiciaire en réparation de la résiliation abusive du contrat de travail doit être introduite auprès de la juridiction du travail, sous peine de forclusion, dans un délai de trois mois à partir de la notification du licenciement ou de sa motivation. À défaut de motivation, le délai court à partir de l’expiration du délai visé à l’article L. 124-5, paragraphe (2).

Ce délai est valablement interrompu en cas de réclamation écrite introduite auprès de l’employeur par le salarié, son mandataire ou son organisation syndicale. Cette réclamation fait courir, sous peine de forclusion, un nouveau délai d’une année.»

14

L’article L. 124-12, paragraphe 4, dudit code énonce:

«Dans les cas de nullité du licenciement prévus par la loi, la juridiction du travail doit ordonner le maintien du salarié dans l’entreprise lorsqu’il en fait la demande. […]

Sont applicables pour l’action judiciaire en nullité les dispositions de l’article L. 124-11.»

15

Le code du travail, à son livre III, titre III, comporte un chapitre VII, intitulé «Interdiction de licenciement», sous lequel figure l’article L. 337-1 qui est libellé comme suit:

«(1)

Il est interdit à l’employeur de notifier la rupture de la relation de travail ou, le cas échéant, la convocation à l’entretien préalable d’une femme salariée lorsqu’elle est en état de grossesse médicalement constaté et pendant une période de douze semaines suivant l’accouchement.

En cas de notification de la rupture avant la constatation médicale de la grossesse, la femme salariée peut, dans un délai de huit jours à compter de la notification du congé, justifier de son état par la production d’un certificat par lettre recommandée.

Tout licenciement notifié en violation de l’interdiction de licenciement telle que visée dans les deux alinéas précédents et, le cas échéant, la convocation à l’entretien préalable sont nuls et sans effet.

Dans les quinze jours qui suivent la résiliation du contrat, la femme salariée peut demander, par simple requête, au président de la juridiction du travail, qui statue d’urgence et comme en matière sommaire, les parties entendues ou dûment convoquées, de constater la nullité du licenciement et d’ordonner son maintien, le cas échéant sa réintégration conformément aux dispositions de l’article L. 124-12, paragraphe (4).

[…]»

16

Aux termes de l’article L. 337-6 dudit code:

«La femme salariée qui a été licenciée en raison de son mariage peut invoquer la nullité de son licenciement et demander la continuation des relations de travail par lettre recommandée adressée à son employeur dans les deux mois qui suivent la notification dudit licenciement. Dans ce cas, le contrat de travail subsiste et la travailleuse continue à avoir droit au versement intégral de son salaire.

Si la femme salariée n’a pas invoqué la nullité de son licenciement et demandé la continuation des relations de travail dans le délai fixé ci-dessus, elle a droit aux indemnités [de départ après une ancienneté de services continus de cinq années au moins auprès du même employeur] visées au paragraphe (1) de l’article L. 124-7. Elle peut en outre exercer l’action judiciaire en réparation de la résiliation abusive du contrat de travail sur la base des articles L. 124-11 et L. 124-12.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

17

À partir du mois de novembre de l’année 2005, Mme Pontin a été embauchée par un contrat à durée indéterminée et à plein temps par T-Comalux.

18

Par lettre recommandée du 18 janvier 2007, notifiée à Mme Pontin le 22 janvier suivant, celle-ci a été licenciée avec un préavis fixé pour la période allant du au . Le motif de ce licenciement avec préavis ne ressort pas de la décision de la juridiction de renvoi.

19

Devant cette dernière, Mme Pontin soutient que, le 19 janvier 2007, elle a envoyé un certificat de maladie par lettre simple à T-Comalux. Cette société conteste devant ladite juridiction avoir reçu un tel certificat.

20

Le 24 janvier 2007, Mme Pontin a adressé à T-Comalux un courrier électronique, indiquant à celle-ci que son «état de santé ne [s’était] pas beaucoup amélioré», qu’elle ne serait pas en mesure de revenir au bureau le lendemain et qu’elle enverrait un certificat d’arrêt de maladie dès que possible.

21

Par lettre recommandée datée du 25 janvier 2007, T-Comalux a notifié à Mme Pontin qu’elle était licenciée avec effet immédiat «pour faute grave» en raison d’une «absence injustifiée pendant plus de trois jours».

22

Par lettre recommandée du 26 janvier 2007, reçue par T-Comalux le 30 janvier suivant, Mme Pontin a indiqué qu’elle était enceinte. Elle faisait valoir que, de ce fait, le licenciement qui lui avait été signifié par T-Comalux était nul.

23

En l’absence de réponse de T-Comalux à cette dernière lettre, Mme Pontin a, le 5 février 2007, saisi la juridiction de renvoi d’une demande tendant à faire constater la nullité de son licenciement.

24

Par jugement rendu le 30 mars 2007, cette juridiction, siégeant dans une formation différente de celle dont émane la présente demande de décision préjudicielle, s’est déclarée incompétente pour connaître de la demande de Mme Pontin tendant à voir constater la nullité du licenciement du . En effet, selon ladite formation, l’article L. 337-1 du code du travail donne au président de la juridiction du travail, à savoir le tribunal du travail, une compétence spéciale pour annuler d’urgence, dans un but de protection, le licenciement intervenu à un moment où la travailleuse se trouve enceinte, de sorte que Mme Pontin aurait dû saisir le président dudit tribunal de sa requête tendant à faire constater la nullité de son licenciement. Il ressort du dossier soumis à la Cour que Mme Pontin, laquelle ne semble pas avoir été, à l’époque, représentée par un avocat, avait adressé sa requête, en forme de lettre, au «Tribunal du travail — Aux mains de Monsieur le Président et de ses Assesseurs», et avait débuté ses observations écrites par la formule de politesse «Monsieur le Président».

25

Mme Pontin n’a pas interjeté appel dudit jugement. Lors de l’audience de plaidoirie devant la Cour, elle a indiqué à cet égard qu’elle avait préféré éviter tant de courir le risque afférent à un tel appel que de laisser expirer le délai de trois mois prévu pour l’action juridictionnelle en dommages et intérêts du salarié contre son licenciement abusif prévue à l’article L. 124-11, paragraphes 1 et 2, du code du travail (ci-après l’«action en dommages et intérêts»).

26

Par un second recours introduit le 18 avril 2007, Mme Pontin a demandé à la juridiction de renvoi de condamner T-Comalux à lui verser des dommages et intérêts. Au soutien de ce recours, elle fait notamment valoir que tant son licenciement avec préavis du que son licenciement ultérieur avec effet immédiat sont contraires à la loi et donc abusifs en vertu dudit article L. 124-11.

27

T-Comalux considère que le droit commun luxembourgeois relatif à l’action en dommages et intérêts est inapplicable à la travailleuse enceinte qui, conformément à l’article L. 337-1 du code du travail, n’a pas le choix entre une action en nullité et en réintégration prévue par cette disposition (ci-après l’«action en nullité et en réintégration») et l’action en dommages et intérêts, mais doit, impérativement, remettre à son employeur un certificat médical justifiant de son état de grossesse dans le délai de huit jours suivant la notification du licenciement, ainsi qu’il est prévu au paragraphe 1, deuxième alinéa, dudit article (ci-après le «délai de huit jours»), et introduire l’action en nullité et en réintégration devant le président du tribunal du travail dans le délai de quinze jours suivant la résiliation du contrat, délai énoncé au quatrième alinéa du même paragraphe 1 (ci-après le «délai de quinze jours»).

28

Selon la juridiction de renvoi, il peut être déduit de la législation luxembourgeoise pertinente en l’occurrence qu’une salariée enceinte, qui, pour une raison quelconque, même indépendante de sa volonté, a laissé courir respectivement les délais de huit jours et de quinze jours, ne dispose plus d’une action en justice pour contester son licenciement, de sorte que, une fois que ces délais sont écoulés, le licenciement d’une telle salariée enceinte n’est ni nul ni abusif, mais serait parfaitement valide. La décision de renvoi fait également référence à une jurisprudence des juridictions luxembourgeoises selon laquelle le délai pour agir en nullité commence à courir non pas avec la réception de la lettre de licenciement, mais à partir du dépôt de cette lettre à la poste.

29

Dans ces conditions, s’interrogeant sur la conformité de cette législation nationale avec le droit communautaire et, en particulier, avec les directives 92/85 et 76/207, le tribunal du travail d’Esch-sur-Alzette a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Les articles 10 et 12 de la [directive 92/85] sont-ils à interpréter en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que le législateur national soumette l’action en justice de la salariée enceinte licenciée pendant sa grossesse à des délais préfix tels que le délai de huitaine imposé par [le deuxième alinéa] du [paragraphe (1)] de l’article 337 du code du travail respectivement le délai de quinzaine imposé par [le quatrième alinéa] du même [paragraphe (1)]?

2)

En cas de réponse affirmative à la première question, […] les délais de huitaine respectivement de quinzaine ne sont-ils pas à considérer comme trop brefs pour permettre à la salariée enceinte licenciée pendant son état de grossesse de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle?

3)

L’article 2 de la [directive 76/207] est-il à interpréter en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce [que] le législateur national prive la salariée enceinte licenciée pendant son état de grossesse de l’action judiciaire en dommages et intérêts pour licenciement abusif telle que réservée par les articles L. 124-11[, paragraphes] (1) et (2), du code du travail aux autres salariés licenciés?»

Sur les questions préjudicielles

30

Il ressort du dossier transmis à la Cour que, par ses trois questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les directives 92/85 et/ou 76/207 s’opposent à une législation nationale, telle que l’article L. 337-1 du code du travail, qui limite, s’agissant spécifiquement de l’interdiction du licenciement des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes énoncée à l’article 10 de la directive 92/85, les voies de recours de ces dernières à une action en nullité et en réintégration, soumise à des délais tels que ceux applicables au principal, à l’exclusion, en particulier, de l’action en dommages et intérêts.

31

Dans ce contexte, les deux premières questions concernent le point préalable de savoir si les modalités procédurales telles que celles découlant dudit article L. 337-1 respectent les exigences des articles 10 et 12 de la directive 92/85, et, notamment, permettent à toute travailleuse qui s’estime lésée par le non-respect des obligations découlant de cet article 10 de faire valoir ses droits par la voie juridictionnelle. La réponse à ces deux questions est de nature à avoir une incidence sur la réponse à la troisième question, laquelle concerne, pour l’essentiel, le point de savoir si la limitation des voies de recours juridictionnelles ouvertes en cas de licenciement pendant la grossesse à la seule action en nullité et en réintégration peut constituer une discrimination au sens de la directive 76/207.

Observations soumises à la Cour

32

Mme Pontin soutient que le droit pour la salariée enceinte de faire valoir ses droits, tel qu’institué par la loi luxembourgeoise, ne répond pas aux critères établis par la directive 92/85 pour garantir une protection effective et efficace des droits d’une telle salariée. En ce qui concerne la directive 76/207, elle soutient qu’une différence de traitement en matière de licenciement qui prive la salariée enceinte de l’action en dommages et intérêts ne repose sur aucune justification raisonnable et constitue une discrimination de la femme enceinte licenciée par rapport aux autres salariés licenciés.

33

T-Comalux considère que la directive 92/85 ne s’oppose pas à des délais tels que ceux de huit jours et de quinze jours. Par ailleurs, la directive 76/207 ne fait pas obstacle, selon cette même société, à ce qu’un législateur national prive la salariée enceinte de l’action en dommages et intérêts pendant son état de grossesse. En effet, une salariée enceinte licenciée pendant sa grossesse, qui dispose de mesures de protection spécifiques à son état, ne subit pas une discrimination, mais bénéficie au contraire d’une protection spécifique au moyen de l’action en nullité du licenciement prononcé.

34

Le gouvernement luxembourgeois soutient que la présente demande de décision préjudicielle repose sur une interprétation erronée de la législation nationale en cause au principal, suivant laquelle une salariée qui laisse passer les délais de huit jours et de quinze jours ne disposerait plus d’une action en justice pour contester son licenciement. Or, selon ce gouvernement, dans le cas où une salariée ne ferait pas usage de ce droit spécial ou ne pourrait pas en faire usage à la suite de l’expiration des délais institués par ladite législation, elle pourrait exercer l’action en dommages et intérêts. Dans un tel contexte, les délais afférents à l’action en nullité et en réintégration ne seraient pas trop brefs.

35

Le gouvernement italien considère que les délais tels que ceux de huit et de quinze jours doivent être considérés comme trop réduits pour permettre à la travailleuse enceinte licenciée pendant sa grossesse de faire valoir ses droits en justice. Ce gouvernement soutient en outre que la directive 76/207 fait obstacle à ce qu’un législateur national introduise une discrimination à l’encontre des travailleuses enceintes licenciées pendant leur grossesse, en les privant de la possibilité d’exercer l’action en dommages et intérêts, et ce alors même qu’une telle action existe au profit des autres travailleurs licenciés.

36

La Commission des Communautés européennes considère que les articles 10 et 12 de la directive 92/85 ne s’opposent pas, en principe, à ce qu’une réglementation nationale soumette l’exercice d’une action fondée sur le droit communautaire à des délais préfix, sous réserve toutefois des principes d’équivalence et d’effectivité. À cet égard, elle fait valoir que le délai de quinze jours est contraire, en raison de sa brièveté, à ces principes et viole, de ce fait, lesdits articles 10 et 12. Par ailleurs, la Commission soutient que la directive 76/207 s’oppose à ce qu’une réglementation nationale prive la salariée enceinte licenciée pendant son état de grossesse de l’action juridictionnelle en dommages et intérêts pour licenciement abusif lorsque celle-ci est ouverte aux autres salariés licenciés.

Réponse de la Cour

Sur les deux premières questions

37

À titre liminaire, il y a lieu de relever que, à la différence du délai de quinze jours, le délai de huit jours n’apparaît pas constituer un délai procédural déterminant la saisine d’une juridiction, ce qu’il appartient, le cas échéant, à la juridiction de renvoi de vérifier. Or, les deux premières questions portent essentiellement sur le principe de protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit communautaire, tel que reflété aux articles 10, point 3, et 12 de la directive 92/85. Dès lors, c’est au regard d’un délai tel que celui de quinze jours qu’il convient d’examiner l’application, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, de ce principe. Si la juridiction de renvoi venait à considérer que le délai de huit jours constitue lui aussi un délai dont l’expiration est susceptible de porter atteinte à l’exercice des droits du justiciable, il lui appartiendrait d’appliquer, mutatis mutandis, les enseignements découlant du présent arrêt relatifs à un délai tel que celui de quinze jours.

38

Il convient également de relever qu’il incombe à la Cour de prendre en compte, dans le cadre de la répartition des compétences entre les juridictions communautaires et nationales, le contexte factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions préjudicielles, tel que défini par la décision de renvoi (voir, notamment, arrêt du 4 décembre 2008, Jobra, C-330/07, Rec. p. I-9099, point 17 et jurisprudence citée). Dès lors, quelles que soient les critiques émises par le gouvernement luxembourgeois à l’encontre de l’interprétation du droit national retenue par la juridiction de renvoi, l’examen du présent renvoi préjudiciel doit être effectué au regard de l’interprétation de ce droit donnée par cette dernière juridiction (voir, par analogie, arrêts du , Chateignier, C-346/05, Rec. p. I-10951, point 22, et du , Angelidaki e.a., C-378/07 à C-380/07, Rec. p. I-3071, point 51). Ainsi, il y a lieu de fournir une réponse aux deux premières questions fondée sur la prémisse selon laquelle une salariée licenciée pendant sa grossesse ne dispose pas d’autre voie de recours en droit luxembourgeois que l’action en nullité et en réintégration.

39

À cet égard, il convient d’emblée de rappeler que, conformément à l’article 10, point 1, de la directive 92/85, les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour interdire le licenciement des travailleuses relevant de cette disposition pendant la période allant du début de leur grossesse jusqu’au terme du congé de maternité visé à l’article 8, paragraphe 1, de cette directive, sauf dans les cas d’exception non liés à leur état, admis par les législations et/ou pratiques nationales et, le cas échéant, pour autant que l’autorité compétente ait donné son accord.

40

Conformément à l’article 12 de la directive 92/85, les États membres sont également tenus d’incorporer dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires permettant à toute personne qui s’estime lésée par le non-respect des obligations découlant de cette directive, y compris celles découlant de l’article 10 de celle-ci, de faire valoir ses droits par voie juridictionnelle. L’article 10, point 3, de la même directive prévoit spécifiquement que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour protéger les travailleuses enceintes, accouchées et allaitantes contre les conséquences d’un licenciement qui serait illégal en vertu du point 1 du même article (voir arrêt du 11 octobre 2007, Paquay, C-460/06, Rec. p. I-8511, point 47).

41

Ces dispositions, et en particulier l’article 12 de la directive 92/85, constituent une expression spécifique, dans le contexte de cette directive, du principe de protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit communautaire.

42

Il ressort en outre de la jurisprudence que, si les États membres ne sont pas tenus, en vertu de l’article 12 de la directive 92/85, d’adopter une mesure déterminée, il n’en reste pas moins que la mesure choisie doit être de nature à assurer une protection juridictionnelle effective et efficace, doit avoir un effet dissuasif réel à l’égard de l’employeur et doit être en tout cas adéquate au préjudice subi (voir arrêt Paquay, précité, points 45 et 49).

43

En ce qui concerne le principe de protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit communautaire, il est de jurisprudence constante que les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire ne doivent pas être moins favorables que celles concernant des recours similaires de droit interne (principe d’équivalence) et ne doivent pas rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité) (voir, notamment, arrêt du 15 avril 2008, Impact, C-268/06, Rec. p. I-2483, point 46 et jurisprudence citée).

44

Ces exigences d’équivalence et d’effectivité expriment l’obligation générale pour les États membres d’assurer la protection juridictionnelle des droits que les justiciables tirent du droit communautaire. Elles valent tant sur le plan de la désignation des juridictions compétentes pour connaître des actions fondées sur ce droit qu’en ce qui concerne la définition des modalités procédurales (voir arrêt Impact, précité, points 47 et 48).

45

Le respect du principe d’équivalence suppose que la règle nationale en cause s’applique indifféremment aux recours fondés sur la violation du droit communautaire et à ceux fondés sur la méconnaissance du droit interne ayant un objet et une cause semblables (arrêt du 1er décembre 1998, Levez, C-326/96, Rec. p. I-7835, point 41). Toutefois, ce principe ne saurait être interprété comme obligeant un État membre à étendre son régime interne le plus favorable à l’ensemble des actions introduites dans le domaine du droit du travail (voir arrêt Levez, précité, point 42). Afin de vérifier si le principe d’équivalence est respecté, il appartient à la juridiction nationale, qui est seule à avoir une connaissance directe des modalités procédurales des recours dans le domaine du droit interne, de vérifier si les modalités procédurales destinées à assurer, en droit interne, la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit communautaire sont conformes à ce principe et d’examiner tant l’objet que les éléments essentiels des recours prétendument similaires de nature interne (voir arrêts Levez, précité, points 39 et 43, ainsi que du , Preston e.a., C-78/98, Rec. p. I-3201, point 49). À ce titre, la juridiction nationale doit vérifier la similitude des recours concernés sous l’angle de leur objet, de leur cause et de leurs éléments essentiels (voir, en ce sens, arrêt Preston e.a., précité, point 57).

46

Il ressort de la jurisprudence que, afin de statuer sur l’équivalence des règles de procédure, la juridiction nationale doit vérifier de manière objective et abstraite la similitude des règles en cause sous l’angle de leur place dans l’ensemble de la procédure, du déroulement de ladite procédure et des particularités des règles (voir, en ce sens, arrêt Preston e.a., précité, points 61 à 63).

47

Pour ce qui concerne le principe d’effectivité, il ressort de la jurisprudence de la Cour que les cas dans lesquels se pose la question de savoir si une disposition procédurale nationale rend pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés aux particuliers par l’ordre juridique communautaire doivent, de même, être analysés en tenant compte de la place de cette disposition dans l’ensemble de la procédure, du déroulement et des particularités de celle-ci devant les diverses instances nationales. Dans cette perspective, il y a lieu de prendre en considération, s’il échet, les principes qui sont à la base du système juridictionnel national, tels que la protection des droits de la défense, le principe de sécurité juridique et le bon déroulement de la procédure (voir arrêt du 21 février 2008, Tele2 Telecommunication, C-426/05, Rec. p. I-685, point 55 et jurisprudence citée).

48

La Cour a ainsi reconnu la compatibilité avec le droit communautaire de la fixation de délais raisonnables de recours à peine de forclusion dans l’intérêt de la sécurité juridique, de tels délais n’étant pas de nature à rendre pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique communautaire (voir arrêts du 24 septembre 2002, Grundig Italiana, C-255/00, Rec. p. I-8003, point 34, ainsi que du , Kempter, C-2/06, Rec. p. I-411, point 58 et jurisprudence citée). En ce qui concerne des délais de forclusion, la Cour a également jugé qu’il appartient aux États membres de déterminer, pour les réglementations nationales qui entrent dans le champ d’application du droit communautaire, des délais en rapport avec, notamment, l’importance pour les intéressés des décisions à prendre, la complexité des procédures et de la législation à appliquer, le nombre de personnes susceptibles d’être concernées et les autres intérêts publics ou privés qui doivent être pris en considération (voir, en ce sens, arrêt du , Sopropé, C-349/07, Rec. p. I-10369, point 40).

49

Enfin, ainsi qu’il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour, il n’appartient pas à cette dernière de se prononcer sur l’interprétation du droit interne, cette mission incombant exclusivement à la juridiction de renvoi, laquelle doit, en l’occurrence, déterminer si les exigences d’équivalence et d’effectivité sont satisfaites par les dispositions de la réglementation nationale pertinente (voir arrêt Angelidaki e.a., précité, point 163). Toutefois, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, le cas échéant, apporter des précisions visant à guider la juridiction nationale dans son appréciation (voir arrêts du 7 septembre 2006, Marrosu et Sardino, C-53/04, Rec. p. I-7213, point 54; Vassallo, C-180/04, Rec. p. I-7251, point 39, ainsi que ordonnance du , Vassilakis e.a., C-364/07, point 143).

50

C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu de répondre aux deux premières questions posées par la juridiction de renvoi.

51

À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que l’article L. 337-1 du code du travail a été adopté en application de l’article 10 de la directive 92/85, lu en combinaison avec l’article 12 de celle-ci.

52

Comme le font valoir tant le gouvernement italien que la Commission et ainsi qu’il découle du point 42 du présent arrêt, les articles 10 et 12 de la directive 92/85 ne font pas obstacle, en principe, à ce qu’un législateur national prévoie, pour les travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes faisant l’objet d’une mesure de licenciement, une action en justice spécifique, subordonnée au respect de délais fixés à l’avance.

53

Toutefois, les États membres ayant la responsabilité d’assurer, dans chaque cas, une protection effective des droits que les justiciables tirent du droit communautaire (voir, notamment, arrêt Impact, précité, point 45 et jurisprudence citée), les modalités d’une telle action en justice doivent respecter les exigences énoncées par la jurisprudence citée aux points 39 à 48 du présent arrêt.

54

Cette conclusion ne saurait être infirmée par l’argumentation, invoquée par T-Comalux lors de l’audience, selon laquelle, à la différence de l’action en dommages et intérêts, ouverte dans le cas où le licenciement est considéré comme «abusif» au sens de la réglementation nationale, ou bien de l’action ouverte en cas de licenciement «en raison» de mariage, instaurée par l’article L. 337-6 du code du travail (ci-après l’«action ouverte en cas de licenciement en raison de mariage»), l’action en nullité et en réintégration s’applique de façon quasi automatique, indépendamment d’un comportement fautif de la part de l’employeur. En effet, contrairement à ce que ladite société semble faire valoir, le seul fait qu’un État membre, en mettant en œuvre les articles 10 et 12 de la directive 92/85 par l’instauration d’une voie de recours spécifique aux travailleuses enceintes, décide, conformément à la faculté prévue au point 1 dudit article 10, de ne pas prévoir d’exceptions au principe de l’interdiction de licenciement qui ne sont pas liées à l’état d’être enceinte, accouchée ou allaitante ne saurait avoir pour conséquence de soustraire les modalités procédurales de cette voie de recours aux exigences du principe de protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit communautaire.

55

S’agissant, en premier lieu, de la question de savoir si le principe d’équivalence est en l’occurrence respecté, il ressort de la décision de renvoi que les deux actions en matière de droit du travail évoquées par la juridiction de renvoi, à savoir, d’une part, l’action en dommages et intérêts et, d’autre part, l’action ouverte en cas de licenciement en raison de mariage apparaissent, à première vue, de nature à être considérées comme comparables à l’action en nullité et en réintégration, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, ainsi qu’il ressort du point 45 du présent arrêt, sous l’angle de leur objet, de leur cause et de leurs éléments essentiels.

56

S’il s’avérait qu’une ou plusieurs des actions visées dans la décision de renvoi, voire d’autres actions nationales qui n’ont pas été évoquées devant la Cour, sont similaires à l’action en nullité et en réintégration, il appartiendrait encore à la juridiction de renvoi d’apprécier si de telles actions comportent des modalités procédurales plus favorables.

57

À cet égard, il conviendrait de tenir compte de la circonstance selon laquelle l’action en nullité et en réintégration semble exiger la saisine d’une instance spécifique, à savoir le «président de la juridiction du travail». Il ressort du point 24 du présent arrêt que cette dernière exigence apparaît appeler une interprétation littérale et particulièrement stricte. Ainsi qu’il ressort des faits à l’origine du litige au principal, une telle exigence est susceptible d’avoir des conséquences défavorables pour les justiciables concernés, compte tenu notamment du délai de recours particulièrement bref, rendant difficile le conseil ou l’intervention d’un spécialiste du droit.

58

Au regard de l’hypothèse selon laquelle l’action en dommages et intérêts ainsi que l’action en nullité et en réintégration seraient considérées comme similaires, il convient de rappeler que le délai de forclusion de quinze jours applicable à cette dernière action est substantiellement plus court que le délai de forclusion de trois mois applicable à l’action en dommages et intérêts. En ce qui concerne l’action ouverte en cas de licenciement en raison de mariage, le délai de forclusion pertinent pour la saisine d’une juridiction nationale ne ressort pas du dossier soumis à la Cour. Cela étant, il convient de relever que, selon l’article L. 337-6 du code du travail, la femme salariée dispose de deux mois pour demander à l’employeur la continuation des relations de travail et, à défaut d’avoir, dans ce délai, invoqué la nullité du licenciement dont elle a fait l’objet et demandé la continuation des relations de travail, elle a droit à des indemnités de départ et peut en outre exercer l’action en dommages et intérêts.

59

Compte tenu des éléments portés à la connaissance de la Cour, il n’apparaît pas, à première vue, que des modalités procédurales telles que celles concernant l’action en nullité et en réintégration, prévues à l’article L. 337-1, paragraphe 1, quatrième alinéa, du code du travail, satisfassent au principe d’équivalence, ce qu’il appartient cependant à la juridiction de renvoi de vérifier en tenant compte de la jurisprudence rappelée aux points 43, 45 et 46 du présent arrêt.

60

En ce qui concerne, en second lieu, le principe d’effectivité, il convient de relever que, comme le font valoir, en substance, le gouvernement italien et la Commission, et ainsi qu’il découle des points 47 et 48 du présent arrêt, un délai de forclusion relativement court pour une action visant à obtenir la réinsertion au sein de l’entreprise concernée d’une salariée illicitement licenciée pourrait, en principe, être considéré comme légitime. En effet, ainsi que T-Comalux et le gouvernement luxembourgeois le relèvent, il pourrait exister un intérêt tiré de la sécurité juridique, tant pour les travailleuses enceintes licenciées que pour les employeurs, à ce que la possibilité de saisir une juridiction d’une telle action soit limitée dans le temps, compte tenu notamment des conséquences, pour l’ensemble des acteurs concernés, de la réinsertion, dès lors que celle-ci interviendrait après un laps de temps important.

61

Partant, eu égard notamment au principe de sécurité juridique, les exigences du principe d’effectivité ne s’opposent pas, en principe, s’agissant de l’action visant à obtenir la réinsertion au sein de l’employeur de la femme enceinte ayant fait l’objet d’une mesure de licenciement, à l’institution d’un délai de forclusion plus court que celui prévu pour une action en dommages et intérêts.

62

Toutefois, il y a lieu de relever à cet égard que, comme il ressort du point 58 du présent arrêt, le délai de forclusion de quinze jours applicable à l’action en nullité et en réintégration doit être considéré comme particulièrement court, compte tenu notamment de la situation dans laquelle se trouve une femme en début de grossesse.

63

En outre, il ressort du dossier que plusieurs jours comptabilisés dans ledit délai de quinze jours pourraient s’écouler avant que la femme enceinte ne reçoive la lettre de licenciement la concernant et soit ainsi informée de son licenciement. En effet, selon l’avis émis par une association d’employés privés sur le projet de loi ayant introduit l’article L. 337-1 dans le code du travail, avis dont les termes sont reproduits dans la décision de renvoi, le délai de quinze jours commence à courir, conformément à la jurisprudence des juridictions luxembourgeoises, à partir du dépôt à la poste de la lettre de licenciement.

64

Le gouvernement luxembourgeois a certes fait valoir que, en vertu de l’article 1er de la loi du 22 décembre 1986 relative au relevé de la déchéance résultant de l’expiration d’un délai imparti pour agir en justice (Mémorial A 1986, p. 2745), les délais de forclusion ne sauraient courir si la salariée n’a pas été en mesure d’agir.

65

Toutefois, même si cette disposition devait être de nature à limiter les effets de ladite jurisprudence relative au dépôt de la lettre de licenciement, ce qu’il appartiendrait, le cas échéant, à la juridiction de renvoi d’apprécier, il apparaît qu’il serait cependant très difficile, tout en respectant le délai de quinze jours, pour une travailleuse licenciée pendant sa grossesse de se faire utilement conseiller ainsi que, le cas échéant, de rédiger et d’introduire un recours.

66

En outre, alors que, comme il a été relevé au point 57 du présent arrêt, l’exigence de saisir le «président de la juridiction du travail» apparaît appeler une interprétation particulièrement stricte, une travailleuse enceinte qui, pour une raison quelconque, a laissé passer le délai de quinze jours ne dispose plus, ainsi que l’a souligné la juridiction de renvoi, d’une action en justice pour faire valoir ses droits à la suite de son licenciement.

67

Dans ces conditions, il apparaît que des modalités telles que celles prévues à l’article L. 337-1, paragraphe 1, du code du travail, afférentes à l’action en nullité et en réintégration, en entraînant des inconvénients procéduraux de nature à rendre excessivement difficile la mise en œuvre des droits que les femmes enceintes tirent de l’article 10 de la directive 92/85, ne respectent pas les exigences du principe d’effectivité, ce qu’il appartiendrait toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

68

Ainsi qu’il découle des points 43 et 44 du présent arrêt, si ladite juridiction devait conclure que la réglementation en cause au principal méconnaît les principes d’équivalence et/ou d’effectivité, cette réglementation ne saurait être considérée comme conforme à l’exigence d’une protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit communautaire, et en particulier par les articles 10 et 12 de la directive 92/85.

69

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre aux deux premières questions que les articles 10 et 12 de la directive 92/85 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à la législation d’un État membre qui prévoit une voie de recours spécifique relative à l’interdiction du licenciement des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes énoncée audit article 10, exercée selon des modalités procédurales propres à ce recours, pour autant toutefois que celles-ci ne soient pas moins favorables que celles afférentes à des recours similaires de nature interne (principe d’équivalence) et ne soient pas aménagées de manière à rendre pratiquement impossible l’exercice des droits reconnus par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité). Un délai de forclusion de quinze jours, tel que celui institué à l’article L. 337-1, paragraphe 1, quatrième alinéa, du code du travail, n’apparaît pas de nature à satisfaire à cette condition, ce qu’il appartient cependant à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur la troisième question

70

Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2 de la directive 76/207 s’oppose à la législation d’un État membre, telle que celle instaurée par l’article L. 337-1 du code du travail, qui prive les travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes ayant fait l’objet d’une mesure de licenciement pendant leur état de grossesse d’une action juridictionnelle en dommages et intérêts, alors que celle-ci est ouverte à tout autre salarié licencié.

71

À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 2, paragraphe 7, troisième alinéa, de la directive 76/207, inséré dans celle-ci par l’article 1er, point 2, de la directive 2002/73, tout traitement moins favorable d’une femme lié à la grossesse constitue une discrimination au sens de cette même directive.

72

En outre, il n’a pas été suggéré, dans le cadre du présent renvoi préjudiciel, que l’action en dommages et intérêts ne serait pas conforme au principe de la protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit communautaire.

73

Or, selon la juridiction de renvoi, le seul recours ouvert à une femme enceinte ayant été licenciée pendant sa grossesse est l’action en nullité et en réintégration, à l’exclusion de tout autre recours en matière de droit du travail, tel que l’action en dommages et intérêts.

74

Dès lors, s’il devait s’avérer, après vérification par la juridiction de renvoi sur la base des éléments fournis en réponse aux deux premières questions préjudicielles, que cette action en nullité et en réintégration ne respecte pas le principe d’effectivité, une telle violation de l’exigence d’une protection juridictionnelle effective posée notamment par l’article 12 de la directive 92/85 constituerait un «traitement moins favorable d’une femme lié à la grossesse», au sens de l’article 2, paragraphe 7, troisième alinéa, de la directive 76/207, et devrait dès lors être considérée comme une discrimination au sens de cette dernière directive.

75

Si la juridiction de renvoi venait ainsi à constater une telle violation du principe de l’égalité de traitement, au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 76/207, il lui incomberait d’interpréter les règles internes de compétence dans toute la mesure du possible d’une manière telle qu’elles contribuent à la mise en œuvre de l’objectif consistant à garantir une protection juridictionnelle effective des droits que peuvent tirer les femmes enceintes du droit communautaire (voir, par analogie, arrêts du 15 mai 1986, Johnston, 222/84, Rec. p. 1651, point 17; du , Coote, C-185/97, Rec. p. I-5199, point 18, et Impact, précité, point 54).

76

Au vu de ce qui précède, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 2 de la directive 76/207, lu en combinaison avec l’article 3 de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la législation d’un État membre, telle que celle instaurée par l’article L. 337-1 du code du travail, spécifique à la protection prévue à l’article 10 de la directive 92/85 en cas de licenciement des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes, qui prive la salariée enceinte ayant fait l’objet d’une mesure de licenciement pendant son état de grossesse d’une action juridictionnelle en dommages et intérêts, alors que celle-ci est ouverte à tout autre salarié licencié, lorsqu’une telle limitation des voies de recours constitue un traitement moins favorable d’une femme lié à la grossesse. Tel serait le cas, en particulier, si les modalités procédurales afférentes à la seule action ouverte en cas de licenciement desdites travailleuses ne respectent pas le principe de protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit communautaire, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur les dépens

77

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

 

1)

Les articles 10 et 12 de la directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (dixième directive particulière au sens de l’article 16 paragraphe 1 de la directive 89/391/CEE), doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à la législation d’un État membre qui prévoit une voie de recours spécifique relative à l’interdiction du licenciement des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes, énoncée audit article 10, exercée selon des modalités procédurales propres à ce recours, pour autant toutefois que celles-ci ne soient pas moins favorables que celles afférentes à des recours similaires de nature interne (principe d’équivalence) et ne soient pas aménagées de manière à rendre pratiquement impossible l’exercice des droits reconnus par l’ordre juridique communautaire (principe d’effectivité). Un délai de forclusion de quinze jours, tel que celui institué à l’article L. 337-1, paragraphe 1, quatrième alinéa, du code du travail luxembourgeois, n’apparaît pas de nature à satisfaire à cette condition, ce qu’il appartient cependant à la juridiction de renvoi de vérifier.

 

2)

L’article 2 de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l’accès à l’emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail, telle que modifiée par la directive 2002/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du , lu en combinaison avec l’article 3 de cette directive 76/207 modifiée, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la législation d’un État membre, telle que celle instaurée par l’article L. 337-1 du code du travail luxembourgeois, spécifique à la protection prévue à l’article 10 de la directive 92/85 en cas de licenciement des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes, qui prive la salariée enceinte ayant fait l’objet d’une mesure de licenciement pendant son état de grossesse d’une action juridictionnelle en dommages et intérêts, alors que celle-ci est ouverte à tout autre salarié licencié, lorsqu’une telle limitation des voies de recours constitue un traitement moins favorable d’une femme lié à la grossesse. Tel serait le cas, en particulier, si les modalités procédurales afférentes à la seule action ouverte en cas de licenciement desdites travailleuses ne respectent pas le principe de protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit communautaire, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le français.