ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

16 juillet 2009 ( *1 )

«Politique agricole commune — Régimes de soutien direct — Règlement (CE) no 1782/2003 — Article 5 et annexe IV — Exigences minimales pour les bonnes conditions agricoles et environnementales — Entretien des chemins grevés de servitudes de passage — Mise en œuvre par un État membre — Transfert de compétences aux autorités régionales d’un État membre — Discrimination contraire au droit communautaire»

Dans l’affaire C-428/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) (Royaume-Uni), par décision du 21 juillet 2006, parvenue à la Cour le 14 septembre 2007, dans la procédure

The Queen, à la demande de:

Mark Horvath,

contre

Secretary of State for Environment, Food and Rural Affairs,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. V. Skouris, président, MM. P. Jann, C. W. A. Timmermans, A. Rosas, K. Lenaerts et T. von Danwitz, présidents de chambre, M. J. N. Cunha Rodrigues, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Schiemann, J. Makarczyk, U. Lõhmus (rapporteur), A. Arabadjiev et Mme C. Toader, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 novembre 2008,

considérant les observations présentées:

pour Mark Horvath, par MM. M. Sheridan, barrister, et R. Barker, solicitor, ainsi que par Mme A. Stanič, solicitor advocate,

pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mmes C. Gibbs et I. Rao, en qualité d’agents, assistées de Lord Davidson of Glen Clova, QC, ainsi que de M. D. Wyatt, QC,

pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma, en qualité d’agent,

pour l’Irlande, par M. N. Travers, BL,

pour la Commission des Communautés européennes, par Mme K. Banks et M. F. Erlbacher, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 février 2009,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5 et de l’annexe IV du règlement (CE) no 1782/2003 du Conseil, du 29 septembre 2003, établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs et modifiant les règlements (CEE) no 2019/93, (CE) no 1452/2001, (CE) no 1453/2001, (CE) no 1454/2001, (CE) no 1868/94, (CE) no 1251/1999, (CE) no 1254/1999, (CE) no 1673/2000, (CEE) no 2358/71 et (CE) no 2529/2001 (JO L 270, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Horvath au Secretary of State for Environment, Food and Rural Affairs (ministre de l’Environnement, de l’Alimentation et de la Ruralité, ci-après le «Secretary of State») au sujet de la réglementation, adoptée pour le territoire de l’Angleterre, définissant des exigences minimales pour les bonnes conditions agricoles et environnementales (ci-après les «BCAE»), telles que visées à l’article 5 et à l’annexe IV du règlement no 1782/2003.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3

Le règlement no 1782/2003 a été adopté sur le fondement des articles 36 CE, 37 CE et 299, paragraphe 2, CE.

4

Selon le premier considérant de ce règlement, il convient de définir des conditions communes pour les paiements directs dans le cadre des divers régimes de soutien relevant de la politique agricole commune.

5

Aux termes de son article 1er, le règlement no 1782/2003 établit, notamment, des règles communes en matière de paiements directs au titre des régimes de soutien des revenus relevant de la politique agricole commune et financés par le Fonds européen d’orientation et de garantie agricole (FEOGA), section «Garantie», ainsi qu’une aide au revenu des agriculteurs, à savoir le régime de paiement unique (ci-après le «RPU»).

6

L’article 2, sous d), du règlement no 1782/2003 définit un paiement direct comme un paiement octroyé directement aux agriculteurs dans le cadre de l’un des régimes de soutien des revenus énumérés à l’annexe I dudit règlement. Le RPU figure dans ladite annexe.

7

Le titre II du règlement no 1782/2003 comporte un chapitre 1 intitulé «Conditionnalité», composé des articles 3 à 9. L’article 3, paragraphe 1, dudit règlement dispose que «[t]out agriculteur percevant des paiements directs est tenu de respecter les exigences réglementaires en matière de gestion visées à l’annexe III, conformément au calendrier fixé dans cette annexe, ainsi que les [BCAE] établies conformément à l’article 5».

8

Selon l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1782/2003, les exigences réglementaires en matière de gestion visées à l’annexe III dudit règlement sont fixées par la législation communautaire dans différents domaines, notamment dans celui de l’environnement.

9

L’article 5 du règlement no 1782/2003, intitulé «Bonnes conditions agricoles et environnementales», prévoit à son paragraphe 1:

«Les États membres veillent à ce que toutes les terres agricoles, en particulier celles qui ne sont plus exploitées à des fins de production, soient maintenues dans de bonnes conditions agricoles et environnementales. Les États membres définissent, au niveau national ou régional, des exigences minimales pour les bonnes conditions agricoles et environnementales sur la base du cadre fixé à l’annexe IV, qui prennent en compte les caractéristiques des zones concernées, notamment les conditions pédologiques et climatiques, les modes d’exploitation existants, l’utilisation des terres, la rotation des cultures, les pratiques agricoles et la structure des exploitations, sans préjudice des normes régissant les bonnes pratiques agricoles appliquées dans le cadre du règlement (CE) no 1257/1999 et des mesures agroenvironnementales dont l’application dépasse le niveau de référence des bonnes pratiques agricoles.»

10

En vertu de l’article 6 du règlement no 1782/2003, lorsque les BCAE ou les autres exigences énoncées à l’article 3, paragraphe 1, dudit règlement ne sont pas respectées en raison d’un acte ou d’une omission directement imputable à l’agriculteur concerné, le montant total des paiements directs à octroyer, au titre de l’année civile au cours de laquelle le non-respect est constaté, est réduit ou supprimé.

11

L’annexe IV du règlement no 1782/2003, intitulée «Bonnes conditions agricoles et environnementales visées à l’article 5», se lit comme suit:

Thèmes

Normes

Érosion des sols: Protéger les sols par des mesures appropriées

Couverture minimale des sols

Gestion minimale de la terre reflétant les conditions locales spécifiques

Terrasses de retenue

Matières organiques du sol: Maintenir les niveaux de matières organiques du sol par des méthodes appropriées

Normes en matière de rotation des cultures, le cas échéant

Gestion du chaume

Structure des sols: Maintenir la structure des sols par des mesures appropriées

Utilisation de machines appropriées

Niveau minimal d’entretien: Assurer un niveau minimal d’entretien et éviter la détérioration des habitats

Densité minimale du bétail et/ou des régimes appropriés

Protéger les pâturages permanents

Maintenir les particularités topographiques

Éviter l’empiètement de végétation indésirable sur les terres agricoles

La réglementation nationale

12

Au cours de l’année 1998, le Parlement du Royaume-Uni a adopté une législation qui prévoyait un transfert («devolution») de compétences dans certains domaines à l’Écosse, au pays de Galles et à l’Irlande du Nord. Dans les matières concernées, le gouvernement du Royaume-Uni ne demeure, en principe, compétent qu’à l’égard de l’Angleterre. D’après les termes tant de ladite législation que d’un Devolution Memorandum of Understanding qui, sous la forme d’une déclaration d’intention politique, complète cette dernière, il appartient aux autorités régionales de mettre en œuvre, dans leurs sphères respectives de compétences, les obligations qui découlent du droit communautaire et ces autorités ne peuvent agir ou légiférer d’une manière incompatible avec celui-ci. La législation sur ledit transfert de compétences confère aux ministres du Royaume-Uni un pouvoir résiduel d’intervention lorsque cela est nécessaire pour assurer le respect de ces obligations.

13

La politique agricole commune en général et la mise en œuvre du règlement no 1782/2003 en particulier font partie des domaines concernés par ledit transfert et relèvent de la responsabilité de chacune des autorités régionales.

14

Dans le but de satisfaire aux exigences de l’article 5 du règlement no 1782/2003, le Secretary of State, pour l’Angleterre uniquement, et chacune des autorités régionales ont adopté des règles distinctes définissant, pour les BCAE, des exigences minimales qui sont en partie différentes.

15

En Angleterre, les règles pertinentes sont les dispositions réglementaires de 2004 relatives aux régimes de paiement unique et de soutien dans le cadre de la politique agricole commune (conditionnalité) [The Common Agricultural Policy Single Payment and Support Schemes (Cross Compliance) (England) Regulations 2004 (SI 2004/3196, ci-après les «règles anglaises»)]. Les normes des BCAE sont définies à l’annexe («Schedule») des règles anglaises, dont les paragraphes 26 à 29, intitulés «Servitudes de passage public» (ci-après les «dispositions en cause au principal»), prévoient:

«26.

L’agriculteur ne doit pas

a)

sans autorisation ou justification légale, dégrader la surface d’un sentier visible, d’une piste cavalière visible, ou de toute autre voie publique visible consistant en ou comportant une chaussée autre qu’une chaussée aménagée, d’une manière qui gêne l’exercice du droit de passage public; ni

b)

sans autorisation ou justification légale, entraver sciemment la libre circulation sur une voie publique visible.

27.

L’agriculteur est tenu de maintenir tout échalier, portail ou dispositif similaire non visé par la section 146(5) de la loi de 1980 sur les voies publiques [Highways Act 1980] situé sur un sentier ou une piste cavalière visible dans un état qui assure la sûreté de l’installation et permette d’éviter toute gêne déraisonnable dans l’exercice des droits des personnes qui empruntent ce sentier ou cette piste.

28.

(1)

Lorsque l’agriculteur a dégradé les surfaces d’un sentier visible ou d’une piste cavalière visible (à l’exception des sentiers en lisière de champ) dans les cas autorisés par la section 134 de la loi de 1980 sur les voies publiques, il est tenu, dans le délai prévu à la section 134(7) de la même loi, éventuellement prorogé en vertu de la section 134(8),

a)

de restituer les surfaces du sentier visible ou de la piste cavalière visible sur une largeur au moins égale à sa largeur minimale de façon à permettre l’exercice du droit de passage dans des conditions raisonnables et

b)

de délimiter le sentier ou la piste au sol sur une largeur au moins égale à sa largeur minimale de manière à ce que les personnes qui souhaitent l’emprunter puissent le reconnaître.

(2)

Les termes ‘largeur minimale’ en parlant d’une voie publique ont le même sens que dans l’annexe 12A de la loi de 1980 sur les voies publiques.

29.

Aux paragraphes 26, 27 et 28 de la présente annexe, les termes:

 

‘piste cavalière’, ‘chaussée’, ‘sentier en lisière de champ’, ‘sentier’ et ‘chaussée aménagée’ ont les sens indiqués à la section 329(1) de la loi de 1980 sur les voies publiques; ‘voie publique’ a le sens indiqué à la section 328 de la loi de 1980 sur les voies publiques et ‘visible’ signifie identifiable en tant que passage pour une personne dotée d’une vue normale qui l’emprunte à pied ou à cheval.»

16

S’agissant des règles définissant les normes des BCAE adoptées par les autorités régionales de l’Écosse, du pays de Galles et de l’Irlande du Nord, elles ne comportent pas d’exigences équivalant à celles énoncées aux dispositions en cause au principal.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

17

Il ressort de la décision de renvoi que M. Horvath, agriculteur en Angleterre, possède des droits à paiement au titre du RPU. Ses terres sont grevées de servitudes de passage public telles que visées dans les dispositions en cause au principal.

18

Cet agriculteur a formé un recours en contrôle de légalité («judicial review») desdites dispositions devant la juridiction de renvoi. Il fait notamment valoir, d’une part, que le Secretary of State n’avait pas le droit d’inclure des dispositions relatives aux servitudes de passage public parmi les exigences minimales pour les BCAE dont le non-respect est susceptible, en vertu de l’article 6 du règlement no 1782/2003, d’entraîner une réduction des paiements au titre du RPU. D’autre part, le requérant au principal considère que l’inclusion de telles dispositions dans les règles anglaises, alors que les règles édictées pour l’Écosse, le pays de Galles et l’Irlande du Nord ne comportent pas d’exigences similaires, constitue une discrimination ayant pour effet d’invalider les dispositions en cause au principal.

19

La High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour deux questions portant respectivement sur ces deux points du litige pendant devant elle. Le Secretary of State a, concernant la seconde question, interjeté appel de cette décision devant la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division), qui a rejeté cet appel. La High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), a ensuite transmis à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«Lorsqu’un État membre a mis en place un système de dévolution de compétences à des autorités régionales, système dans lequel le gouvernement central garde le pouvoir d’agir pour l’ensemble du territoire de l’État membre afin d’assurer l’exécution de ses obligations découlant du droit communautaire, et dans le contexte du [règlement no 1782/2003]:

1)

Un État membre peut-il inclure des exigences concernant l’entretien des servitudes de passage public visibles parmi les [normes] des [BCAE] définies à l’article 5 et à l’annexe IV du [règlement no 1782/2003]?

2)

Lorsque le régime constitutionnel interne d’un État membre prévoit que des autorités régionales ont une compétence législative pour les différentes parties qui constituent cet État membre, le fait que ces différentes parties aient des normes différentes en matière de [BCAE] au sens de l’article 5 et de l’annexe IV du [règlement no 1782/2003] est-il susceptible de représenter une discrimination inadmissible?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

20

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si un État membre peut inclure, parmi les normes des BCAE visées à l’article 5 et à l’annexe IV du règlement no 1782/2003, des exigences relatives à l’entretien des chemins visibles grevés de servitudes de passage public.

Observations soumises à la Cour

21

Le requérant au principal propose de répondre par la négative à cette question. Il considère que la référence, au premier considérant du règlement no 1782/2003, à des conditions communes pour les paiements directs dans le cadre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune signifie qu’il doit exister, en ce domaine, un ensemble de règles de base visant à intégrer des normes de base en matière, notamment, de BCAE qui doivent être, en principe, les mêmes pour tous les exploitants sur l’ensemble du territoire de la Communauté européenne. Les exigences minimales en matière de BCAE pour recevoir des paiements directs annuels, exigences visées à l’article 5 du même règlement, seraient limitées à ce qui est strictement nécessaire et les États membres ne pourraient légitimement imposer des conditions supplémentaires sur une ou plusieurs parties de leur territoire. Or, les dispositions en cause au principal ne sauraient être considérées comme des exigences minimales car elles impliqueraient des charges supplémentaires importantes pour les agriculteurs.

22

Selon M. Horvath, à supposer même que les dispositions en cause au principal puissent être considérées comme énonçant des conditions environnementales, elles ne constitueraient pas des exigences en matière de BCAE. Le règlement no 1782/2003 ayant comme base juridique des articles du traité CE consacrés à l’agriculture, la composante environnementale des BCAE devrait être comprise non pas comme une disposition autonome prévoyant des normes purement environnementales, mais, au contraire, comme ne prévoyant que des normes qui soient pertinentes dans le domaine agricole. En vertu de l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, seules les institutions communautaires auraient le pouvoir de fixer les règles concernant les exigences environnementales liées à des droits au RPU, exigences qui figurent à l’annexe III dudit règlement. Le requérant au principal fait valoir, en outre, que les dispositions en cause au principal constituent des mesures agroenvironnementales dont l’application dépasse le niveau de référence des bonnes pratiques agricoles et qui sont ainsi exclues des BCAE, en vertu de la dernière partie de la seconde phrase de l’article 5, paragraphe 1, du même règlement.

23

Enfin, il est d’avis que les chemins grevés de servitudes de passage, tels que ceux visés par les dispositions en cause au principal, ne sauraient être qualifiés de particularités topographiques au sens de l’annexe IV du règlement no 1782/2003 dès lors qu’ils manquent de substance et de permanence en raison du fait que, s’ils doivent être nécessairement rétablis, ils peuvent néanmoins être légalement supprimés par les agriculteurs lors de chaque cycle de culture. De plus, le fait de grever ces chemins de telles servitudes ne contribuerait pas à éviter la détérioration des habitats au sens de ladite annexe.

24

Le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission des Communautés européennes soutiennent que lesdits chemins sont susceptibles de constituer des particularités topographiques et que leur entretien peut, dès lors, former l’une des exigences minimales pour les BCAE visées à l’article 5 du règlement no 1782/2003.

Réponse de la Cour

25

À titre liminaire, il convient de souligner qu’il ressort du libellé même de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1782/2003 que la tâche de veiller à ce que les terres agricoles soient maintenues dans le respect des bonnes conditions agricoles et environnementales incombe aux États membres. Ils définissent, à cette fin, au niveau national ou régional, des exigences minimales «sur la base du cadre fixé à l’annexe IV» dudit règlement qui prennent en compte les caractéristiques des zones concernées.

26

Si les États membres sont donc tenus, lors de la définition de ces exigences, de respecter ladite annexe, celle-ci leur laisse tout de même, par l’emploi de notions et de termes généraux, une certaine marge d’appréciation quant à la détermination concrète desdites exigences.

27

En outre, il ressort des termes mêmes de l’expression «bonnes conditions agricoles et environnementales» que les États membres peuvent adopter des BCAE à des fins environnementales.

28

Cette constatation ne saurait être infirmée par la circonstance que le règlement no 1782/2003 a pour base juridique, notamment, les articles 36 CE et 37 CE, qui relèvent du titre II, intitulé «L’agriculture», de la troisième partie du traité, et non des articles figurant au titre XIX, intitulé «Environnement», de la même partie du traité.

29

En effet, dans la mesure où les exigences de la protection de l’environnement, laquelle constitue l’un des objectifs essentiels de la Communauté, doivent, aux termes de l’article 6 CE, «être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de la Communauté», une telle protection doit être considérée comme un objectif faisant également partie de la politique commune dans le domaine de l’agriculture. Le législateur communautaire peut ainsi, sur le fondement des articles 36 CE et 37 CE, décider de promouvoir la protection de l’environnement (voir, par analogie, arrêt du 23 octobre 2007, Commission/Conseil, C-440/05, Rec. p. I-9097, point 60). Les mesures visant une telle protection, adoptées dans le cadre d’un acte communautaire ayant comme base juridique lesdits articles 36 CE et 37 CE, ne sont donc pas limitées à celles poursuivant des considérations agricoles.

30

Par ailleurs, le fait que, aux termes de l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 1782/2003, les exigences réglementaires en matière de gestion sont fixées par la législation communautaire dans le domaine de l’environnement n’implique nullement que les exigences minimales pour les BCAE, telles que définies par les États membres en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de ce règlement, ne puissent aussi relever du domaine environnemental.

31

En outre, il ressort de l’article 5, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement no 1782/2003 que la définition, par les États membres, des exigences minimales pour les BCAE n’a aucune incidence sur la qualification ou non de ces mesures en tant que mesures agroenvironnementales.

32

Il découle de ce qui précède qu’une obligation d’entretenir des chemins visibles grevés de servitudes de passage public, telle que celle figurant dans les dispositions en cause au principal, peut, même si elle ne poursuit aucun objectif agricole mais revêt un caractère environnemental, constituer une exigence minimale à l’égard des BCAE dans la mesure où elle s’insère dans le cadre fixé à l’annexe IV du règlement no 1782/2003.

33

Il convient, par conséquent, d’examiner si de tels chemins peuvent, comme l’estiment le gouvernement du Royaume-Uni ainsi que la Commission, constituer des particularités topographiques, dont le maintien figure parmi les normes énoncées à l’annexe IV du règlement no 1782/2003.

34

La notion de «particularités topographiques» n’étant pas définie dans le règlement no 1782/2003, il y a lieu de l’interpréter, à l’instar de Mme l’avocat général au point 62 de ses conclusions, en tenant compte de son sens habituel ainsi que du contexte dans lequel elle est généralement utilisée.

35

En outre, il ressort d’une jurisprudence constante que la nécessité d’une interprétation uniforme des dispositions du droit communautaire exclut que, en cas de doute, le texte d’une disposition soit considéré isolément dans l’une de ses versions, mais exige au contraire qu’il soit interprété et appliqué à la lumière des versions établies dans les autres langues officielles (arrêts du 17 juin 1998, Mecklenburg, C-321/96, Rec. p. I-3809, point 29, et du 29 janvier 2009, Consiglio Nazionale degli Ingegneri, C-311/06, Rec. p. I-415, point 53). L’expression «particularités topographiques», figurant dans la version française du règlement no 1782/2003, doit ainsi être rapprochée, à titre d’exemple, des termes «landscape features» (caractéristiques du paysage) utilisés dans la version anglaise dudit règlement.

36

Dans ces conditions, rien ne s’oppose à ce que des chemins grevés de servitudes de passage public, tels que ceux figurant aux dispositions en cause au principal, soient désignés comme des particularités topographiques, dès lors que seuls les chemins visibles sont visés auxdites dispositions.

37

Cela est d’autant plus le cas qu’une interprétation restrictive de la notion de particularités topographiques, qui, notamment, exclurait les éléments résultant d’interventions humaines, serait contraire à la marge d’appréciation dont bénéficient les États membres dans leur définition des exigences minimales relatives aux BCAE.

38

La destruction temporaire de particularités topographiques, ainsi que cela semble possible, sous certaines conditions, dans le cas des chemins dont il est question dans l’affaire au principal, ne saurait en soi porter atteinte au caractère durable de ceux-ci. En effet, les éléments naturels, tels que la végétation ou les étendues d’eau, peuvent quant à eux subir des effets saisonniers, sans qu’ils cessent pour autant d’être considérés comme faisant partie d’un paysage. Cette constatation s’applique d’autant plus auxdits chemins qu’il ressort du paragraphe 28, point 1, de l’annexe des règles anglaises qu’un agriculteur ayant dégradé, de façon autorisée, les surfaces du sentier visible ou de la piste cavalière visible est tenu de les rétablir dans les délais prévus par la législation nationale pertinente.

39

Il y a lieu, dès lors, d’examiner dans quelle mesure une obligation d’entretenir de tels chemins peut constituer une mesure d’application de la norme figurant à l’annexe IV du règlement no 1782/2003 consistant à maintenir les particularités topographiques.

40

À cet égard, il importe de faire observer que ladite norme est susceptible de présenter un double aspect environnemental.

41

Premièrement, les particularités topographiques constituent des composants physiques de l’environnement. S’agissant de cet aspect, les exigences relatives au maintien de ces particularités doivent contribuer à leur conservation en tant que composants physiques.

42

Les obligations d’entretien sont susceptibles de contribuer au maintien de tels chemins en tant que composants physiques de l’environnement.

43

Deuxièmement, les normes relatives au maintien des particularités topographiques, figurant à l’annexe IV du règlement no 1782/2003, sont associées, à ladite annexe, au thème portant sur le «Niveau minimal d’entretien: Assurer un niveau minimal d’entretien et éviter la détérioration des habitats». Il s’ensuit qu’une obligation découlant de ces normes peut avoir un objectif environnemental consistant à éviter la détérioration des habitats, sans qu’il soit nécessaire, comme le souligne le gouvernement du Royaume-Uni dans ses observations, que les mesures nationales visant le maintien des particularités topographiques et un niveau minimal d’entretien aient également un tel objectif.

44

Or, comme l’ont relevé la juridiction de renvoi ainsi que Mme l’avocat général au point 80 de ses conclusions, les chemins tels que ceux visés aux dispositions en cause au principal sont susceptibles de contribuer à la préservation des habitats.

45

Dans ce cas, les exigences relatives au maintien desdits chemins doivent contribuer à éviter la détérioration des habitats. Il apparaît que des obligations découlant de l’objectif énoncé dans les dispositions en cause au principal, consistant à garantir l’exercice du droit de passage public, sont aptes à y contribuer.

46

Eu égard à tout ce qui précède, il convient de répondre à la première question qu’un État membre peut inclure, parmi les normes des BCAE visées à l’article 5 et à l’annexe IV du règlement no 1782/2003, des exigences relatives à l’entretien des chemins visibles grevés de servitudes de passage public, pour autant que lesdites exigences contribuent au maintien de ces chemins en tant que particularités topographiques ou, le cas échéant, aux fins d’éviter la détérioration des habitats.

Sur la seconde question

47

Par sa seconde question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si, lorsque le système constitutionnel d’un État membre prévoit que les autorités régionales disposent d’une compétence législative, la seule adoption, par lesdites autorités, de normes différentes en matière de BCAE au sens de l’article 5 et de l’annexe IV du règlement no 1782/2003 constitue une discrimination contraire au droit communautaire.

48

À titre liminaire, il y a lieu de relever que, en confiant aux États membres la tâche de définir les exigences minimales pour les BCAE, le législateur communautaire leur a donné la possibilité de tenir compte des différences régionales existant sur leur territoire.

49

Il convient de rappeler que, lorsque les dispositions du traité ou des règlements reconnaissent des pouvoirs aux États membres ou leur imposent des obligations aux fins de l’application du droit communautaire, la question de savoir de quelle façon l’exercice de ces pouvoirs et l’exécution de ces obligations peuvent être confiés par les États à des organes internes déterminés relève uniquement du système constitutionnel de chaque État (arrêt du 15 décembre 1971, International Fruit Company e.a., 51/71 à 54/71, Rec. p. 1107, point 4).

50

Ainsi, il est de jurisprudence constante que chaque État membre est libre de répartir les compétences sur le plan interne et de mettre en œuvre les actes de droit communautaire qui ne sont pas directement applicables au moyen de mesures prises par les autorités régionales ou locales, pourvu que cette répartition des compétences permette une mise en œuvre correcte des actes de droit communautaire en cause (voir arrêt du 10 novembre 1992, Hansa Fleisch Ernst Mundt, C-156/91, Rec. p. I-5567, point 23).

51

La Cour a, en outre, eu l’occasion de dire pour droit que, lorsque le texte d’un règlement habilite un État membre à prendre des mesures d’application, les modalités de l’exercice de ce pouvoir sont régies par le droit public de l’État membre concerné (voir arrêts du 27 septembre 1979, Eridania-Zuccherifici nazionali et Società italiana per l’industria degli zuccheri, 230/78, Rec. p. 2749, point 34, ainsi que du 20 juin 2002, Mulligan e.a., C-313/99, Rec. p. I-5719, point 48).

52

La possibilité pour les États membres, dans la mesure où leur système constitutionnel ou leur droit public les y autorise, de permettre à des autorités régionales ou locales de mettre en œuvre des actes de droit communautaire est, par ailleurs, expressément reconnue à l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1782/2003. Il est en effet indiqué à ladite disposition que les «États membres définissent, au niveau national ou régional, des exigences minimales pour les BCAE sur la base du cadre fixé à l’annexe IV».

53

Au regard de la liberté dont jouit ainsi un État membre de transférer ses compétences aux autorités régionales aux fins de définir les exigences minimales relatives aux BCAE au sens de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1782/2003, les règles adoptées par ces autorités peuvent différer entre les régions concernées, dès lors, singulièrement, que, comme il a été relevé au point 26 du présent arrêt, les États membres disposent d’une marge d’appréciation à l’égard de la définition de ces exigences.

54

Il y a toutefois lieu d’examiner si, dans ces conditions, la seule différence entre les règles fixant les BCAE édictées par les autorités régionales d’un même État membre constitue une discrimination contraire au droit communautaire.

55

À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que l’interdiction de discrimination ne vise pas les éventuelles disparités de traitement qui peuvent résulter, d’un État membre à l’autre, des divergences existant entre les législations des différents États membres du moment que ces législations affectent de manière égale toutes personnes relevant de leur champ d’application (voir, en ce sens, arrêts du 3 juillet 1979, van Dam e.a., 185/78 à 204/78, Rec. p. 2345, point 10; du 1er février 1996, Perfili, C-177/94, Rec. p. I-161, point 17, ainsi que du 12 juillet 2005, Schempp, C-403/03, Rec. p. I-6421, point 34).

56

S’agissant de la dernière condition énoncée au point précédent, il y a lieu de relever que, dans les affaires jointes ayant donné lieu à l’arrêt du 25 novembre 1986, Klensch e.a. (201/85 et 202/85, Rec. p. 3477), invoqué par le requérant au principal, il était précisément question d’une inégalité de traitement entre producteurs d’un État membre en raison d’une mesure, prise par ce même État membre, de mise en œuvre d’une obligation communautaire qui les affectait. C’est dans ce contexte que la Cour a, au point 11 dudit arrêt, estimé que, lorsqu’il y a un choix entre plusieurs modalités d’application de la réglementation communautaire en question, les États membres ne sauraient retenir une option dont l’application sur leur territoire serait de nature à créer, directement ou indirectement, une discrimination, au sens de l’article 40, paragraphe 3, du traité CEE (devenu article 34, paragraphe 2, CE), entre les producteurs concernés.

57

Lorsque, comme dans l’affaire au principal, ce sont les autorités régionales d’un État membre qui sont compétentes pour définir les exigences minimales relatives aux BCAE au sens de l’article 5 et de l’annexe IV du règlement no 1782/2003, d’éventuelles divergences entre les mesures prévues par ces différentes autorités ne sauraient, de ce seul fait, constituer une discrimination. Ces mesures doivent, ainsi qu’il ressort du point 50 du présent arrêt, être compatibles avec les obligations émanant dudit règlement qui incombent à l’État membre en question.

58

Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la seconde question que, lorsque le système constitutionnel d’un État membre prévoit que des autorités régionales disposent d’une compétence législative, la seule adoption, par lesdites autorités, de normes différentes en matière de BCAE au sens de l’article 5 et de l’annexe IV du règlement no 1782/2003 ne constitue pas une discrimination contraire au droit communautaire.

Sur les dépens

59

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit:

 

1)

Un État membre peut inclure, parmi les normes des bonnes conditions agricoles et environnementales visées à l’article 5 et à l’annexe IV du règlement (CE) no 1782/2003 du Conseil, du 29 septembre 2003, établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs et modifiant les règlements (CEE) no 2019/93, (CE) no 1452/2001, (CE) no 1453/2001, (CE) no 1454/2001, (CE) no 1868/94, (CE) no 1251/1999, (CE) no 1254/1999, (CE) no 1673/2000, (CEE) no 2358/71 et (CE) no 2529/2001, des exigences relatives à l’entretien des chemins visibles grevés de servitudes de passage public, pour autant que lesdites exigences contribuent au maintien de ces chemins en tant que particularités topographiques ou, le cas échéant, aux fins d’éviter la détérioration des habitats.

 

2)

Lorsque le système constitutionnel d’un État membre prévoit que des autorités régionales disposent d’une compétence législative, la seule adoption, par lesdites autorités, de normes différentes en matière de bonnes conditions agricoles et environnementales au sens de l’article 5 et de l’annexe IV du règlement no 1782/2003 ne constitue pas une discrimination contraire au droit communautaire.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’anglais.