ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

2 juillet 2009 ( *1 )

«Demande de décision préjudicielle — Appréciation de validité — Recevabilité — Règlements (CEE) no 2081/92 et (CE) no 1347/2001 — Validité — Dénomination générique — Coexistence entre une marque et une indication géographique protégée»

Dans l’affaire C-343/07,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par la Corte d’appello di Torino (Italie), par décision du 6 juillet 2007, parvenue à la Cour le 25 juillet 2007, dans la procédure

Bavaria NV,

Bavaria Italia Srl

contre

Bayerischer Brauerbund eV,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, M. T. von Danwitz, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), MM. E. Juhász et J. Malenovský, juges,

avocat général: M. J. Mazák,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 18 septembre 2008,

considérant les observations présentées:

pour Bavaria NV et Bavaria Italia Srl, par Mes G. van der Wal et F. van Schaik, advocaten, ainsi que par Mes M. Sterpi et L. Ghedina, avvocati,

pour Bayerischer Brauerbund eV, par Me R. Knaak, Rechtsanwalt, ainsi que par Mes L. Ubertazzi et B. Ubertazzi, avvocati,

pour le gouvernement italien, par M. I. M. Braguglia, en qualité d’agent, assisté de Mme W. Ferrante, avvocato dello Stato,

pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek, en qualité d’agent,

pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma et Mme J. Kemper, en qualité d’agents,

pour le gouvernement hellénique, par M. V. Kontolaimos et M. I. Chalkias, en qualité d’agents,

pour le gouvernement néerlandais, par Mme C. M. Wissels et M. M. de Grave, en qualité d’agents,

pour le Conseil de l’Union européenne, par M. F. Florindo Gijón, ainsi que Mmes A. Lo Monaco et Z. Kupčová, en qualité d’agents,

pour la Commission des Communautés européennes, par Mme C. Cattabriga et M. B. Doherty, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 décembre 2008,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur la validité et l’interprétation du règlement (CE) no 1347/2001 du Conseil, du 28 juin 2001, complétant l’annexe du règlement (CE) no 1107/96 de la Commission relatif à l’enregistrement des indications géographiques et des appellations d’origine au titre de la procédure prévue à l’article 17 du règlement (CEE) no 2081/92 du Conseil (JO L 182, p. 3), et du règlement (CEE) no 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires (JO L 208, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Bayerischer Brauerbund eV (ci-après «Bayerischer Brauerbund») à Bavaria NV et Bavaria Italia Srl (ci-après, respectivement, «Bavaria» et «Bavaria Italia»), au sujet du droit de ces dernières à utiliser certaines marques contenant le mot «Bavaria», par rapport à l’indication géographique d’origine «Bayerisches Bier».

Le cadre juridique

3

Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 2081/92:

«1.   Le présent règlement établit les règles relatives à la protection des appellations d’origine et des indications géographiques des produits agricoles destinés à l’alimentation humaine visés à l’annexe II du traité et des denrées alimentaires visées à l’annexe I du présent règlement ainsi que des produits agricoles visés à l’annexe II du présent règlement.

Toutefois, le présent règlement ne s’applique ni aux produits relevant du secteur viti-vinicole ni aux boissons spiritueuses.

L’annexe I peut être modifiée, conformément à la procédure prévue à l’article 15.»

4

L’article 2, paragraphe 2, du règlement no 2081/92 définit l’appellation d’origine protégée (ci-après l’«AOP») et l’indication géographique protégée (ci-après l’«IGP»), dans les termes suivants:

«2.   Aux fins du présent règlement, on entend par:

a)

‘appellation d’origine’: le nom d’une région, d’un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d’un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire:

originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays

et

dont la qualité ou les caractères sont dus essentiellement ou exclusivement au milieu géographique comprenant les facteurs naturels et humains, et dont la production, la transformation et l’élaboration ont lieu dans l’aire géographique délimitée;

b)

‘indication géographique’: le nom d’une région, d’un lieu déterminé ou, dans des cas exceptionnels, d’un pays, qui sert à désigner un produit agricole ou une denrée alimentaire:

originaire de cette région, de ce lieu déterminé ou de ce pays

et

dont une qualité déterminée, la réputation ou une autre caractéristique peut être attribuée à cette origine géographique et dont la production et/ou la transformation et/ou l’élaboration ont lieu dans l’aire géographique délimitée.»

5

Aux termes de l’article 3 du règlement no 2081/92:

«1.   Les dénominations devenues génériques ne peuvent être enregistrées.

Aux fins du présent règlement, on entend par ‘dénomination devenue générique’, le nom d’un produit agricole ou d’une denrée alimentaire qui, bien que se rapportant au lieu ou à la région où ce produit agricole ou cette denrée alimentaire a été initialement produit ou commercialisé, est devenu le nom commun d’un produit agricole ou d’une denrée alimentaire.

Pour déterminer si un nom est devenu générique, il est tenu compte de tous les facteurs et notamment:

de la situation existant dans l’État membre où le nom a son origine et dans les zones de consommation,

de la situation existant dans d’autres États membres,

des législations nationales ou communautaires pertinentes.

Si, au terme de la procédure définie aux articles 6 et 7, une demande d’enregistrement est rejetée parce qu’une dénomination est devenue générique, la Commission publie cette décision au Journal officiel des Communautés européennes.

2.   Un nom ne peut être enregistré comme appellation d’origine ou comme indication géographique lorsqu’il est en conflit avec le nom d’une variété végétale ou d’une race animale et que, de ce fait, il est susceptible d’induire le public en erreur quant à la véritable origine du produit.

3.   Avant l’entrée en vigueur du présent règlement, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée sur proposition de la Commission, établit et publie au Journal officiel des Communautés européennes une liste indicative non exhaustive des noms des produits agricoles ou des denrées alimentaires qui relèvent du présent règlement et qui sont considérés, aux termes du paragraphe 1, comme génériques et ne peuvent, de ce fait, être enregistrés au titre du présent règlement.»

6

L’article 13, paragraphes 1 et 3, du règlement no 2081/92 dispose:

«1.   Les dénominations enregistrées sont protégées contre toute:

a)

utilisation commerciale directe ou indirecte d’une dénomination enregistrée pour des produits non couverts par l’enregistrement, dans la mesure où ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou dans la mesure où cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée;

b)

usurpation, imitation ou évocation, même si l’origine véritable du produit est indiquée ou si la dénomination protégée est traduite ou accompagnée d’une expression telle que ‘genre’, ‘type’, ‘méthode’, ‘façon’, ‘imitation’ ou d’une expression similaire;

c)

autre indication fausse ou fallacieuse quant à la provenance, l’origine, la nature ou les qualités substantielles du produit figurant sur le conditionnement ou l’emballage, sur la publicité ou sur des documents afférents au produit concerné, ainsi que l’utilisation pour le conditionnement d’un récipient de nature à créer une impression erronée sur l’origine;

d)

autre pratique susceptible d’induire le public en erreur quant à la véritable origine du produit.

Lorsqu’une dénomination enregistrée contient en elle-même le nom d’un produit agricole ou d’une denrée alimentaire considéré comme générique, l’utilisation de ce nom générique sur les produits ou denrées correspondants n’est pas considérée comme contraire au premier alinéa point a) ou b).

[…]

3.   Les dénominations protégées ne peuvent devenir génériques.»

7

L’article 14 du règlement no 2081/92 énonce:

«1.   Lorsqu’une appellation d’origine ou une indication géographique est enregistrée conformément au présent règlement, la demande d’enregistrement d’une marque correspondant à l’une des situations visées à l’article 13 et concernant le même type de produit est refusée, à condition que la demande d’enregistrement de la marque soit présentée après la date de la publication prévue à l’article 6 paragraphe 2.

Les marques enregistrées contrairement au premier alinéa sont annulées.

Le présent paragraphe s’applique également quand la demande d’enregistrement d’une marque est déposée avant la date de la publication de la demande d’enregistrement prévue à l’article 6 paragraphe 2, à condition que cette publication soit faite avant l’enregistrement de la marque.

2.   Dans le respect du droit communautaire, l’usage d’une marque correspondant à l’une des situations visées à l’article 13, enregistrée de bonne foi avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement de l’appellation d’origine ou de l’indication géographique peut se poursuivre nonobstant l’enregistrement d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique, lorsque la marque n’encourt pas les motifs de nullité ou de déchéance prévus respectivement par la directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, à son article 3 paragraphe 1 points c) et g) et à son article 12 paragraphe 2 point b).

3.   Une appellation d’origine ou une indication géographique n’est pas enregistrée lorsque, compte tenu de la renommée d’une marque, de sa notoriété et de la durée de son usage, l’enregistrement est de nature à induire le consommateur en erreur quant à la véritable identité du produit.»

8

L’article 17 du règlement no 2081/92 prévoit:

«1.   Dans un délai de six mois suivant la date d’entrée en vigueur du présent règlement, les États membres communiquent à la Commission quelles sont, parmi leurs dénominations légalement protégées ou, dans les États membres où un système de protection n’existe pas, consacrées par l’usage, celles qu’ils désirent faire enregistrer en vertu du présent règlement.

2.   La Commission enregistre, selon la procédure prévue à l’article 15, les dénominations visées au paragraphe 1 qui sont conformes aux articles 2 et 4. L’article 7 ne s’applique pas. Toutefois, les dénominations génériques ne sont pas enregistrées.

3.   Les États membres peuvent maintenir la protection nationale des dénominations communiquées conformément au paragraphe 1 jusqu’à la date à laquelle une décision sur l’enregistrement est prise.»

9

L’annexe I du règlement no 2081/92 énonce:

«Denrées alimentaires visées à l’article 1er paragraphe 1

Bières

[…]»

10

L’article 1er du règlement no 1347/2001 a enregistré en tant qu’IGP la dénomination «Bayerisches Bier».

11

Les premier à cinquième considérants de ce règlement prévoient:

«(1)

Pour une dénomination notifiée par l’Allemagne au sens de l’article 17 du règlement (CEE) no 2081/92, des compléments d’informations ont été demandés en vue d’assurer la conformité de cette dénomination aux articles 2 et 4 dudit règlement; suite à l’examen de ces informations complémentaires, il résulte que cette dénomination est conforme auxdits articles. En conséquence, il est nécessaire de l’enregistrer et de l’ajouter à l’annexe du règlement (CE) no 1107/96 de la Commission […]

(2)

Suite à la notification de la demande d’enregistrement par les autorités allemandes de la dénomination ‘Bayerisches Bier’ en tant qu’[IGP], les autorités néerlandaises et danoises ont communiqué à la Commission l’existence de marques, incluant ladite dénomination, utilisées pour de la bière.

(3)

Les informations transmises permettent de constater l’existence de la marque ‘Bavaria’ ainsi que le caractère valable de cette marque; en outre, il a été considéré qu’en vertu des faits et des informations disponibles, l’enregistrement de la dénomination ‘Bayerisches Bier’ n’est pas de nature à induire le consommateur en erreur quant à la véritable identité du produit. De ce fait l’indication géographique ‘Bayerisches Bier’ et la marque ‘Bavaria’ ne se trouvent pas dans la situation visée au paragraphe 3 de l’article 14 du règlement (CEE) no 2081/92.

(4)

L’usage de certaines marques, par exemple, la marque néerlandaise ‘Bavaria’ ainsi que la marque danoise ‘Høker Bajer’, peut se poursuivre nonobstant l’enregistrement de l’indication géographique ‘Bayerisches Bier’ dans la mesure où elles remplissent les conditions prévues à l’article 14, paragraphe 2, du règlement (CEE) no 2081/92.

(5)

Conformément à l’article 3 du règlement (CEE) no 2081/92, le caractère générique d’une dénomination faisant obstacle à son enregistrement doit être apprécié en tenant compte de la situation communautaire dans son ensemble. Dans le cas d’espèce, malgré la présence d’indices suggérant que les termes ‘bajersk’ et ‘bajer’, qui sont la traduction en langue danoise de la dénomination ‘Bayerisches’, seraient en train de devenir un synonyme du terme ‘bière’ et donc un nom commun, le caractère générique de la dénomination ‘Bayerisches’ ou de ses traductions dans les autres langues et États membres n’est pas démontré.»

12

Le treizième considérant du règlement (CE) no 692/2003 du Conseil, du 8 avril 2003, modifiant le règlement no 2081/92 (JO L 99, p. 1), prévoit:

«La procédure simplifiée prévue à l’article 17 du règlement (CEE)no 2081/92 ayant pour but l’enregistrement des dénominations existantes, protégées ou consacrées par l’usage dans les États membres, ne prévoit pas le droit d’opposition. Il convient, pour une question de sécurité juridique et de transparence, de supprimer cette disposition. De même, par cohérence, il convient de supprimer la période transitoire de cinq ans prévue au paragraphe 2 de l’article 13 et relative aux dénominations enregistrées en vertu de cette disposition, sans préjudice, toutefois, de l’épuisement de ladite période transitoire à l’égard des dénominations enregistrées dans le cadre dudit article 17.»

13

L’article 1er, point 15, du règlement no 692/2003 énonce:

«L’article 13, paragraphe 2, et l’article 17 sont supprimés. Toutefois, les dispositions de ces articles continuent à s’appliquer aux dénominations enregistrées ou à celles dont l’enregistrement a été demandé en vertu de la procédure prévue à l’article 17 avant l’entrée en vigueur du présent règlement.»

14

Aux termes de l’article 3, paragraphe 1, de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques (JO 1989, L 40, p. 1):

«Sont refusés à l’enregistrement ou susceptibles d’être déclarés nuls s’ils sont enregistrés:

[…]

c)

les marques qui sont composées exclusivement de signes ou d’indications pouvant servir, dans le commerce, pour désigner l’espèce, la qualité, la quantité, la destination, la valeur, la provenance géographique ou l’époque de la production du produit ou de la prestation du service, ou d’autres caractéristiques de ceux-ci;

[…]

g)

les marques qui sont de nature à tromper le public, par exemple sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service;

[…]»

15

Aux termes de l’article 12, paragraphe 2, de la première directive 89/104:

«Le titulaire d’une marque peut également être déchu de ses droits lorsque, après la date de son enregistrement, la marque:

[…]

b)

est propre, par suite de l’usage qui en est fait par le titulaire ou avec son consentement, pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, à induire le public en erreur notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique de ces produits ou de ces services.»

Le litige au principal et les questions préjudicielles

16

Bayerischer Brauerbund est une association allemande ayant pour but la protection des intérêts communs des brasseurs bavarois. Selon une certification de l’Amtsgericht München, ses statuts datent du 7 décembre 1917. En 1968, Bayerischer Brauerbund était titulaire des marques collectives enregistrées Bayrisch Bier et Bayrisches Bier.

17

Bavaria est une société commerciale néerlandaise de production de bière qui opère sur le marché international. Nommée anciennement «Firma Gebroeders Swinkels», cette société a commencé à utiliser le mot «Bavaria» à partir de 1925 et l’a intégré à sa dénomination en 1930. Bavaria a été et est titulaire de plusieurs marques et éléments figuratifs enregistrés contenant le mot «Bavaria». Les dates d’enregistrement comprennent les années 1947, 1971, 1982, 1991, 1992 et 1995. Certains des enregistrements ont été renouvelés. Bavaria Italia appartient au groupe de sociétés de Bavaria.

18

La dénomination «Bayerisches Bier» a fait l’objet d’accords bilatéraux sur la protection des indications de provenance, des appellations d’origine et d’autres dénominations géographiques entre la République fédérale d’Allemagne, d’une part, et la République française (1961), la République italienne (1963), la République hellénique (1964), la Confédération suisse (1967) et le Royaume d’Espagne (1970), d’autre part.

19

Le 28 septembre 1993, Bayerischer Brauerbund, en accord avec les associations Münchener Brauereien eV et Verband Bayerischer Ausfuhrbrauereien eV, a introduit auprès du gouvernement allemand une demande d’enregistrement comme IGP en vertu de l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 2081/92, qui prévoit la procédure dite «simplifiée».

20

Le 20 janvier 1994, le gouvernement allemand a communiqué à la Commission la demande d’enregistrement de l’IGP «Bayerisches Bier», au titre de l’article 17, paragraphe 1, dudit règlement.

21

De nombreuses informations ont été échangées entre la Commission et les autorités allemandes visant à compléter le dossier, ce dernier ayant été considéré comme complet le 20 mai 1997.

22

Le cahier des charges définitif a été transmis à la Commission par lettre du 28 mars 2000, excluant cinq variétés de bière initialement couvertes par l’IGP faisant l’objet de la demande d’enregistrement, au motif qu’elles n’étaient pas conformes à la description de ce cahier.

23

Considérant ladite demande comme fondée, la Commission a, le 5 mai 2000, soumis au comité de réglementation des indications géographiques et des appellations d’origine (ci-après le «comité»), un projet de règlement visant à enregistrer «Bayerisches Bier» en tant qu’IGP.

24

Plusieurs États membres se sont opposés à cet enregistrement. Les débats au sein du comité portaient sur deux questions, à savoir, d’une part, l’existence de marques portant aussi le terme «Bayerisches Bier» ou ses traductions et, d’autre part, la considération que le terme «Bayerisches» ou ses traductions était devenu générique.

25

Après une analyse des questions posées (précédée même d’une enquête formelle dans l’ensemble des États membres en ce qui concerne la seconde question), la Commission a conclu que les arguments présentés à l’encontre de l’enregistrement de l’IGP «Bayerisches Bier» n’étaient pas fondés. Un second projet de règlement a, par conséquent, été soumis au comité le 30 mars 2001. Celui-ci n’a toutefois pas rendu d’avis, la majorité prévue à l’article 15, deuxième alinéa, du règlement no 2081/92 n’ayant pas été obtenue.

26

Le comité n’ayant, dès lors, pas émis d’avis dans le délai imparti, la Commission a converti son projet en proposition de règlement du Conseil. Ce dernier a alors adopté le règlement no 1347/2001 qui enregistre «Bayerisches Bier» en tant qu’IGP.

27

Bavaria et Bavaria Italia n’ont formé aucun recours contre le règlement no 1347/2001.

28

Par citation du 27 septembre 2004 déposée devant le Tribunale di Torino, Bayerischer Brauerbund, faisant suite à des initiatives analogues prises dans d’autres États membres, a demandé à ce qu’il soit interdit à Bavaria et à Bavaria Italia d’utiliser la version italienne des marques citées au point 17 du présent arrêt, après déclaration incidente de leur nullité ou leur déchéance au motif qu’elles interfèrent avec l’IGP «Bayerisches Bier», au sens des articles 13 et 14 du règlement no 2081/92 ou, en tout état de cause, parce que, s’agissant d’une bière néerlandaise, lesdites marques contiennent une indication géographique générique et trompeuse.

29

Le Tribunale di Torino ayant, par jugement du 30 novembre 2006, fait partiellement droit à la demande de Bayerischer Brauerbund, Bavaria et Bavaria Italia ont interjeté appel de ce jugement.

30

C’est dans ce contexte que la Corte d’appello di Torino a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Le règlement no 1347/2001 […] est-il ou non nul, éventuellement entre autres au titre d’une nullité dérivée de celle d’autres actes, des points de vue suivants:

 

Violation de principes généraux

au motif que les dispositions combinées de l’article 1er, paragraphe 1, et de l’annexe I du règlement no 2081/92 sont nulles, en ce qu’elles permettent l’enregistrement d’indications géographiques relatives à la ‘bière’, qui est une boisson alcoolique incluse (erronément) à l’annexe I précitée parmi les ‘denrées alimentaires’ visées à l’article 1er, paragraphe 1, et qu’elle n’est pas comprise parmi les ‘produits agricoles’ visés à l’annexe I du traité CE et aux articles 32 CE et 37 CE, sur lesquels le Conseil s’est fondé pour adopter le règlement no 2081/92;

au motif que l’article 17 du règlement no 2081/92 est nul en ce qu’il prévoit une procédure d’enregistrement accélérée susceptible de limiter les droits des opérateurs concernés et de leur porter atteinte de façon substantielle, en ne prévoyant aucun droit d’opposition et en comportant une violation manifeste des principes de transparence et de sécurité juridique et ce, en particulier, tant à la lumière de la complexité de la procédure d’enregistrement de l’IGP ‘Bayerisches Bier’ elle-même, qui a duré plus de 7 ans de 1994 à 2001, que de la reconnaissance expresse figurant au treizième considérant du règlement no 692/2003, dont l’article 15 a abrogé l’article 17 du règlement no 2081/92 pour les raisons précitées.

 

Absence de conditions formelles

au motif que l’indication ‘Bayerisches Bier’ ne remplit pas les conditions exigées par l’article 17 du règlement no 2081/92 pour pouvoir obtenir l’enregistrement d’après la procédure simplifiée que cette disposition prévoit, dans la mesure où, lors de la présentation de la demande d’enregistrement, cette indication n’était pas ‘légalement protégée’ ni ‘consacrée par l’usage’ en Allemagne;

au motif que la présence des conditions d’enregistrement de l’indication ‘Bayerisches Bier’ n’a été dûment examinée ni par le gouvernement allemand avant de présenter la demande d’enregistrement à la Commission ni par la Commission elle-même après avoir reçu la demande, contrairement à ce que prévoit la jurisprudence de la Cour (arrêt du 6 décembre 2001, [Carl Kühne e.a., C-269/99, Rec. p. I-9517]);

au motif que la demande d’enregistrement de l’indication ‘Bayerisches Bier’ n’a pas été présentée en temps opportun par le gouvernement allemand, conformément à ce que prévoit l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 2081/92 (délai de six mois suivant la date d’entrée en vigueur du règlement), dès lors que la demande présentée initialement par la demanderesse prévoyait huit indications différentes, avec la possibilité de variations supplémentaires et indéfinies, qui ont uniquement convergé vers l’indication unique actuelle ‘Bayerisches Bier’ alors que le délai final du 24 janvier 1994 était déjà passé depuis longtemps.

 

Absence de conditions substantielles

au motif que l’indication ‘Bayerisches Bier’ ne remplit pas les conditions substantielles fixées par l’article 2, paragraphe 2, sous b), du règlement no 2081/92 aux fins de son enregistrement à titre [d’IGP], compte tenu du caractère générique de cette indication qui a historiquement désigné de la bière produite d’après une méthode de production particulière ayant son origine en Bavière au cours du XIXe siècle et qui s’est donc diffusée dans le reste de l’Europe et dans le monde entier (ce que l’on qualifie de ‘méthode bavaroise’ à basse fermentation) qui est aujourd’hui aussi dans quelques langues européennes (danois, suédois, finlandais) le terme générique pour la bière et qui, en toute hypothèse, peut uniquement et génériquement indiquer ‘bière produite en Bavière allemande’, d’une quelconque typologie parmi les très nombreuses et très différentes typologies existantes, et ce sans que l’on puisse identifier aucun ‘lien direct’ (arrêt de la Cour du 7 novembre 2000, [Warsteiner Brauerei, C-312/98, Rec. p. I-9187]) entre une qualité déterminée, la réputation ou une autre caractéristique du produit (bière) et son origine géographique spécifique (Bavière), et sans que l’on soit en présence des ‘cas exceptionnels’ exigés par la disposition précitée pour permettre l’enregistrement d’une indication géographique comprenant le nom d’un pays;

au motif que, compte tenu des considérations figurant au paragraphe qui précède, l’indication ‘Bayerisches Bier’ est une indication ‘générique’ qui, en tant que telle, ne peut pas faire l’objet d’un enregistrement au sens des articles 3, paragraphe 1, et 17, paragraphe 2, du règlement no 2081/92;

au motif que l’indication ‘Bayerisches Bier’ n’aurait pas dû être enregistrée au sens de l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 2081/92 dès lors que‘Bayerisches Bier’, compte tenu ‘de la renommée, de la notoriété et de la durée d’usage’ des marques Bavaria, est ‘de nature à induire le consommateur en erreur quant à la véritable identité du produit’[?]

2)

À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la [première] question […] serait jugée irrecevable ou dépourvue de fondement, le règlement no 1347/2001 […] doit-il ou non être interprété en ce sens que la reconnaissance de l’IGP ‘Bayerisches Bier’ qui y est contenue ne porte pas atteinte à la validité et à la possibilité d’utiliser les marques de tiers préexistantes dans lesquelles figurent le mot ‘Bavaria’.»

Sur la procédure devant la Cour

31

Par lettre déposée au greffe de la Cour, le 21 janvier 2009, Bavaria et Bavaria Italia ont formulé des observations sur les conclusions de M. l’avocat général et ont demandé à la Cour l’autorisation de déposer une réplique à ces conclusions.

32

Il importe de rappeler d’emblée que ni le statut de la Cour de justice ni le règlement de procédure de celle-ci ne prévoient la possibilité pour les parties de déposer des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général. Aussi est-il de jurisprudence qu’une demande faite à cet effet doit être rejetée (voir, notamment, ordonnance du 4 février 2000, Emesa Sugar, C-17/98, Rec. p. I-665, points 2 et 19, ainsi que arrêt du 15 février 2007, Lechouritou e.a., C-292/05, Rec. p. I-1519, point 18).

33

Il y a lieu d’ajouter que la même conclusion s’imposerait dans l’hypothèse où la demande des requérantes au principal devrait être considérée comme tendant à obtenir la réouverture de la procédure orale.

34

À cet égard, il convient de rappeler que la Cour peut, d’office ou sur proposition de l’avocat général, ou encore à la demande des parties, ordonner la réouverture de la procédure orale, conformément à l’article 61 de son règlement de procédure, si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou que l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties (voir, notamment, arrêts du 19 février 2002, Wouters e.a., C-309/99, Rec. p. I-1577, point 42, et du 16 décembre 2008, Cartesio, C-210/06, Rec. p. I-9641, point 46).

35

Toutefois, la Cour, l’avocat général entendu, considère que, en l’espèce, elle dispose de tous les éléments nécessaires pour répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi et que ces éléments ont fait l’objet des débats devant elle.

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

36

Par sa première question, divisée en sous-questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement no 1347/2001 est valide, compte tenu d’une éventuelle violation soit de principes généraux du droit communautaire, soit de conditions formelles ou substantielles du règlement no 2081/92. Les sous-questions concernant la conformité avec les principes généraux du droit communautaire se rapportent au règlement no 2081/92, en tant que fondement juridique du règlement no 1347/2001.

Sur la recevabilité

37

Dans les observations soumises à la Cour s’est posée la question de la possibilité d’invoquer devant une juridiction nationale les motifs d’invalidité visés à la première question. Dans certaines de ces observations est alléguée l’impossibilité d’invoquer de tels motifs en raison du fait que Bavaria et Bavaria Italia seraient directement et individuellement concernées par le règlement no 1347/2001 et qu’elles n’auraient pas formé à l’encontre de celui-ci un recours en annulation en vertu de l’article 230 CE.

38

À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, constitue un principe général du droit communautaire le droit d’un demandeur, dans le cadre d’un recours formé selon le droit national contre le rejet de sa demande, d’exciper de l’illégalité d’un acte communautaire qui sert de fondement à la décision nationale prise à l’encontre de l’intéressé, la question de la validité de cet acte communautaire pouvant dès lors être déférée à la Cour dans le cadre d’une procédure préjudicielle (arrêts du 15 février 2001, Nachi Europe, C-239/99, Rec. p. I-1197, point 35, ainsi que du 8 mars 2007, Roquette Frères, C-441/05, Rec. p. I-1993, point 39).

39

Toutefois, ce principe général, qui tend à garantir que toute personne dispose ou ait disposé d’une possibilité de contester un acte communautaire servant de fondement à une décision qui lui est opposée, ne fait nullement obstacle à ce qu’un règlement devienne définitif pour un particulier à l’égard duquel il doit être regardé comme une décision individuelle dont il aurait pu sans aucun doute demander l’annulation en vertu de l’article 230 CE, ce qui empêche ce particulier d’exciper devant la juridiction nationale de l’illégalité de ce règlement (arrêts précités Nachi Europe, point 37, et Roquette Frères, point 40).

40

La question se pose donc de savoir si un recours en annulation de Bavaria ou de Bavaria Italia, au titre de l’article 230, quatrième alinéa, CE à l’encontre du règlement no 1347/2001, aurait été sans aucun doute recevable, au motif que ledit règlement les concernerait directement et individuellement (voir, en ce sens, arrêt du 12 décembre 1996, Accrington Beef e.a., C-241/95, Rec. p. I-6699, point 15, ainsi que arrêts précités Nachi Europe, point 40, et Roquette Frères, point 41).

41

À cet égard, il y a lieu de relever que Bavaria et Bavaria Italia ne peuvent pas être considérées comme étant sans aucun doute «directement et individuellement concernées», au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE, par le règlement no 1347/2001.

42

En effet, il convient de constater que ledit règlement vise à conférer au produit «Bayerisches Bier» la protection des IGP prévue par le règlement no 2081/92, en reconnaissant à tout opérateur dont les produits satisfont aux exigences prescrites, le droit de les commercialiser sous ladite IGP.

43

Or, même si le règlement no 1347/2001 était susceptible d’affecter la situation juridique de Bavaria et de Bavaria Italia, une telle affectation ne saurait être considérée comme découlant directement de ce règlement. En effet, conformément à une jurisprudence constante, la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la réglementation communautaire faisant l’objet du recours requiert que ladite réglementation produise directement des effets sur la situation juridique du particulier et ne laisse aucun pouvoir d’appréciation à ses destinataires qui sont chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation communautaire, sans application d’autres règles intermédiaires (voir arrêts du 5 mai 1998, Glencore Grain/Commission, C-404/96 P, Rec. p. I-2435, point 41; du 29 juin 2004, Front national/Parlement, C-486/01 P, Rec. p. I-6289, point 34, et du 22 mars 2007, Regione Siciliana/Commission, C-15/06 P, Rec. p. I-2591, point 31).

44

Ainsi qu’il ressort d’une simple lecture des troisième et quatrième considérants du règlement no 1347/2001, ce dernier considère comme valable la marque préexistante Bavaria et autorise la poursuite de son usage, nonobstant l’enregistrement de l’IPG «Bayerisches Bier», dans le respect des conditions prévues à l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 2081/92. Une éventuelle affectation de la situation juridique de Bavaria et de Bavaria Italia ne saurait dès lors être considérée comme découlant de manière purement automatique de ce règlement.

45

Partant, il ne peut être affirmé que Bavaria et Bavaria Italia sont sans aucun doute directement affectées par le règlement no 1347/2001.

46

Il convient donc de constater que Bavaria ou Bavaria Italia n’étaient pas indéniablement recevables à agir en annulation sur le fondement de l’article 230 CE à l’encontre du règlement no 1347/2001. Partant, elles sont en droit d’invoquer, dans le cadre d’un recours formé selon le droit national, l’invalidité de ce règlement, alors même qu’elles n’ont pas introduit de recours en annulation à l’encontre de ce dernier devant la juridiction communautaire dans le délai prévu à l’article 230 CE.

Sur la prétendue violation de principes généraux du droit communautaire par le règlement no 2081/92 en ce qui concerne son champ d’application et sa base juridique

47

Par cette sous-question, la juridiction de renvoi s’interroge sur la validité du règlement no 2081/92 au motif que son champ d’application s’étend à la bière. Selon elle, la bière étant une boisson alcoolique, elle ne pourrait être considérée comme une «denrée alimentaire», au sens de l’article 1er, paragraphe 1, dudit règlement, ni, partant, figurer à l’annexe I de ce dernier. En outre, la juridiction de renvoi éprouve des doutes sur la validité du règlement no 2081/92 au motif que, la bière n’étant pas comprise parmi les «produits agricoles» visés à l’annexe I du traité, les articles 32 CE et 37 CE ne constitueraient pas la base juridique appropriée pour adopter ce règlement.

48

En premier lieu, en ce qui concerne l’assimilation de la bière à une denrée alimentaire, il y a lieu de constater que la réglementation communautaire susvisée ne définit pas la notion de «denrée alimentaire». Cependant, aucune raison ne justifie l’exclusion de la bière de cette notion.

49

En effet, d’une part, la nature alimentaire de la bière est incontestable, dans le sens commun de la notion d’«aliment». D’autre part, ainsi que le gouvernement allemand et le Conseil l’ont relevé à bon droit, la bière entre dans la définition de la notion de «denrée alimentaire» visée par une autre réglementation communautaire, telle que l’article 2 du règlement (CE) no 178/2002 du Parlement européen et du Conseil, du 28 janvier 2002, établissant les principes généraux et les prescriptions générales de la législation alimentaire, instituant l’Autorité européenne de sécurité des aliments et fixant des procédures relatives à la sécurité des denrées alimentaires (JO L 31, p. 1).

50

En second lieu, par rapport à l’argument selon lequel les articles 32 CE et 37 CE ne constitueraient pas la base juridique appropriée pour adopter le règlement no 2081/92 au motif que la bière n’est pas comprise parmi les «produits agricoles» visés à l’annexe I du traité, il convient de rappeler que la Cour a déjà jugé qu’une réglementation contribuant à la réalisation d’un ou de plusieurs objectifs visés à l’article 33 CE doit être adoptée sur le fondement de l’article 37 CE, même si, s’appliquant essentiellement à des produits relevant de l’annexe I du traité, elle vise cependant, de façon accessoire, certains produits qui n’y sont pas compris (voir, en ce sens, arrêts du 16 novembre 1989, Commission/Conseil, C-11/88, Rec. p. 3799, point 15, et du 5 mai 1998, Royaume-Uni/Commission, C-180/96, Rec. p. I-2265, point 134).

51

En l’occurrence, il est constant que le règlement no 2081/92, d’une part, a comme finalité principale, ainsi que le relève son deuxième considérant, la réalisation des objectifs visés à l’article 33 CE et, d’autre part, vise essentiellement des produits contenus dans l’annexe I du traité. En outre, s’il est vrai que la bière n’est pas expressément mentionnée dans cette annexe, il n’en demeure pas moins que la plupart des ingrédients entrant dans sa composition le sont et que son inclusion dans le champ d’application du règlement no 2081/92 répond à la finalité de ce dernier, et notamment à la réalisation des objectifs visés à l’article 33 CE.

52

Par conséquent, l’examen de cette partie de la première question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement no 2081/92.

Sur la prétendue violation de principes généraux du droit communautaire par le règlement no 2081/92 en ce qui concerne la procédure d’enregistrement de son article 17

53

Par cette sous-question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’article 17 du règlement no 2081/92 est nul en ce que la procédure qu’il établit ne prévoit aucun droit d’opposition.

54

Il convient de relever d’emblée que, même si l’article 17, paragraphe 2, du règlement no 2081/92 prévoyait expressément que l’article 7 de ce règlement n’était pas applicable dans le cadre de la procédure d’enregistrement simplifiée, et, partant, excluait dans ledit cadre le droit d’opposition des tiers légitimement concernés prévu au paragraphe 3 de cette dernière disposition, un enregistrement au titre de cette procédure présupposait lui aussi que les dénominations étaient conformes aux règles de fond de ce règlement (voir arrêt du 16 mars 1999, Danemark e.a./Commission, dit «Feta I», C-289/96, C-293/96 et C-299/96, Rec. p. I-1541, point 92).

55

En tout état de cause, il y a lieu de rappeler que la Cour a déjà jugé que l’interprétation qu’il convenait de donner de l’article 17 du règlement no 2081/92 n’impliquait nullement que les tiers intéressés qui auraient estimé leurs intérêts légitimes lésés par l’enregistrement d’une dénomination ne pouvaient se faire entendre et formuler leur opposition devant l’État membre qui demandait cet enregistrement, notamment conformément aux principes relatifs à la protection juridictionnelle, telle qu’elle découle du système du règlement no 2081/92 (voir arrêt Carl Kühne e.a., précité, point 41).

56

Ainsi, il était loisible à ces tiers intéressés, également dans le cadre de la procédure simplifiée de l’article 17 dudit règlement, de faire valoir leur opposition à l’égard de la demande d’enregistrement concernée.

57

Il appartenait aux juridictions nationales de statuer sur la légalité d’une demande d’enregistrement d’une dénomination, au titre de l’article 17 du règlement no 2081/92, dans les mêmes conditions de contrôle que celles réservées à tout acte définitif qui, pris par la même autorité nationale, est susceptible de porter atteinte aux droits que les tiers tirent du droit communautaire et, par conséquent, de considérer comme recevable le recours introduit à cette fin, même si les règles de procédure internes ne le prévoient pas en pareil cas (voir, en ce sens, arrêts du 3 décembre 1992, Oleificio Borelli/Commission, C-97/91, Rec. p. I-6313, point 13, ainsi que Carl Kühne e.a., précité, point 58).

58

En tout état de cause, il y a lieu de relever que, dans l’affaire au principal, la plupart des objections à l’enregistrement soulevées par Bavaria et Bavaria Italia dans leurs observations devant la Cour, ont été débattues au sein du comité, essentiellement sur proposition des autorités néerlandaises, lors de la procédure d’enregistrement de l’IGP «Bayerisches Bier».

59

Enfin, s’agissant de l’argument selon lequel l’abrogation de la procédure simplifiée par le règlement no 692/2003 comporte, au vu du libellé du treizième considérant de ce dernier, une reconnaissance implicite de l’invalidité de l’article 17 du règlement no 2081/92, il ne saurait être valablement soutenu.

60

En effet, ainsi que le rappelle ledit considérant, la procédure simplifiée prévue audit article avait pour but, dans la version initiale du règlement no 2081/92, l’enregistrement au niveau communautaire des dénominations existantes, protégées ou consacrées par l’usage dans les États membres. Cette procédure était donc prévue à titre purement transitoire.

61

Eu égard à ce qui précède, l’examen de cette partie de la première question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement no 2081/92.

Sur le prétendu non-respect des conditions de forme lors de la procédure d’enregistrement de l’IGP «Bayerisches Bier»

62

Par ces sous-questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi se demande si le règlement no 1347/2001 est nul du fait que, d’une part, les conditions d’enregistrement de l’IGP «Bayerisches Bier» n’auraient pas été dûment examinées tant par le gouvernement allemand que par le Conseil ou la Commission et, d’autre part, que la demande d’enregistrement de cette IGP n’aurait pas été présentée en temps opportun, compte tenu des modifications intervenues postérieurement.

63

En premier lieu, la juridiction de renvoi considère que ni le gouvernement allemand ni le Conseil ou la Commission n’ont rempli leur mission de vérification des conditions prévues au règlement no 2081/92, lors de la procédure d’enregistrement de l’IGP «Bayerisches Bier».

64

À cet égard, il importe de rappeler qu’il y a, dans le système instauré par le règlement no 2081/92, un partage des compétences entre l’État membre concerné et la Commission. Qu’il s’agisse d’un enregistrement suivant la procédure normale ou suivant la procédure simplifiée, l’enregistrement ne peut avoir lieu que si l’État membre concerné a fait une demande à cet égard et a communiqué un cahier des charges et les informations nécessaires pour l’enregistrement, conformément à l’article 4 du règlement no 2081/92 (voir arrêt Carl Kühne e.a., précité, points 50 et 51).

65

En application de l’article 5, paragraphe 5, du règlement no 2081/92, il incombe aux États membres de vérifier si la demande d’enregistrement suivant la procédure normale est justifiée au regard des conditions édictées par ce règlement. Cette disposition prévoit en effet qu’un État membre auquel une demande d’enregistrement est adressée dans le cadre de la procédure normale doit vérifier que cette demande est justifiée et, lorsqu’il estime que les exigences du règlement no 2081/92 sont remplies, la transmettre à la Commission. Il résulte, par ailleurs, des termes mêmes de l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 2081/92 que, avant de poursuivre la procédure d’enregistrement, telle que prévue aux articles 6, paragraphes 2 à 4, et 7 dudit règlement, la Commission ne procède qu’à un simple examen formel pour vérifier si lesdites exigences sont remplies. Or, il n’y a pas lieu d’appliquer d’autres principes dans le cadre de la procédure simplifiée (voir arrêt Carl Kühne e.a., précité, point 52).

66

Il s’ensuit que la décision d’enregistrer une dénomination en tant qu’AOP ou en tant qu’IGP ne peut être prise par la Commission que si l’État membre concerné lui a soumis une demande à cette fin et qu’une telle demande ne peut être faite que si l’État membre a vérifié qu’elle est justifiée. Ce système de partage des compétences s’explique notamment par le fait que l’enregistrement présuppose la vérification qu’un certain nombre de conditions sont réunies, ce qui exige, dans une large mesure, des connaissances approfondies d’éléments particuliers à l’État membre concerné, éléments que les autorités compétentes de cet État sont les mieux placées pour vérifier (voir arrêt Carl Kühne e.a., précité, point 53).

67

Dans ce système de partage des compétences, il incombe à la Commission, avant d’enregistrer une dénomination dans la catégorie demandée, de vérifier notamment, d’une part, que le cahier des charges qui accompagne la demande est conforme à l’article 4 du règlement no 2081/92, c’est-à-dire qu’il contient les éléments exigés et que ces éléments n’apparaissent pas entachés d’erreurs manifestes, et, d’autre part, sur la base des éléments contenus dans le cahier des charges, que la dénomination remplit les exigences de l’article 2, paragraphe 2, sous a) ou b), du règlement no 2081/92 (voir arrêt Carl Kühne e.a., précité, point 54).

68

Il en va de même lorsque, conformément à l’article 15 du règlement no 2081/92, les mesures envisagées par la Commission ne sont pas conformes à l’avis du comité instauré par ledit article ou qu’un tel avis fait défaut, et que la décision d’enregistrement est prise par le Conseil sur proposition de la Commission.

69

Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient d’examiner les éléments soulevés par la juridiction de renvoi.

70

À titre liminaire, il convient de constater que, si la Cour est compétente pour analyser le respect des conditions prévues au règlement no 2081/92 par une dénomination enregistrée au titre de ce dernier, le contrôle de la vérification dudit respect entamée par les autorités nationales compétentes n’appartient qu’aux seules juridictions nationales, ainsi qu’il est rappelé aux points 55 et 57 du présent arrêt.

71

En revanche, il appartient à la Cour de contrôler si le Conseil et la Commission se sont correctement acquittés de leur mission de vérification du respect des conditions prévues au règlement no 2081/92.

72

En l’espèce, il ressort du dossier que le Conseil et la Commission se sont correctement acquittés de leur mission de vérification, dans la mesure où l’indication «Bayerisches Bier» n’a été enregistrée qu’après une longue procédure pendant laquelle ont été effectués des examens approfondis concernant le respect par ladite indication des conditions du règlement no 2081/92. Par conséquent, l’objection soulevée par la juridiction de renvoi ne saurait être accueillie.

73

En second lieu, la juridiction de renvoi met en doute la validité du règlement no 1347/2001 au motif que la demande d’enregistrement de l’IGP en cause n’aurait pas été présentée en temps opportun, compte tenu des modifications intervenues postérieurement.

74

Il importe de constater d’emblée, ainsi qu’il a été rappelé au point 20 du présent arrêt, que la demande d’enregistrement du gouvernement allemand a été communiquée à la Commission le 20 janvier 1994 et donc, avant l’expiration du délai de six mois prévu à l’article 17 du règlement no 2081/92.

75

Par conséquent, il convient d’examiner si, comme la juridiction de renvoi l’estime, la validité du règlement no 1347/2001 est susceptible d’être mise en cause par le fait que la demande initiale aurait été modifiée d’une manière importante, et cela au cours d’une période de plusieurs années après l’expiration du délai de six mois.

76

À cet égard, il convient de rappeler que, contrairement à l’article 5 du règlement no 2081/92, qui prévoit expressément que, dans la procédure normale, la demande d’enregistrement est accompagnée du cahier des charges, l’article 17 du même règlement se limite à imposer aux États membres de communiquer à la Commission «quelles sont, parmi leurs dénominations légalement protégées ou, dans les États membres où un système de protection n’existe pas, consacrées par l’usage, celles qu’ils désirent faire enregistrer». Dans ces circonstances, l’article 17 du règlement no 2081/92 ne saurait être interprété comme imposant aux États membres de communiquer, dans le délai de six mois, la version définitive du cahier des charges et des autres documents pertinents, de sorte que toute modification du cahier des charges initialement soumis entraînerait l’application de la procédure normale (voir arrêt Carl Kühne e.a., précité, point 32).

77

Cette interprétation de l’article 17 du règlement no 2081/92 est, par ailleurs, confortée par le fait que les États membres du Nord de l’Europe n’ont pas tenu historiquement de registres des dénominations protégées, la protection ayant été assurée par les lois réprimant les pratiques de nature à induire en erreur. Ce n’est qu’une fois que le règlement no 2081/92 est entré en vigueur qu’il est devenu nécessaire pour ces États membres d’établir une liste des dénominations existantes et de déterminer s’il s’agissait d’AOP ou d’IGP. Il aurait été peu réaliste d’exiger que ces États membres fournissent à la Commission, dans les six mois suivant l’entrée en vigueur du règlement no 2081/92, tous les renseignements et documents indispensables à la décision d’enregistrement, compte tenu notamment du temps requis afin que les parties intéressées exercent au niveau national leurs garanties de procédure (voir arrêt Carl Kühne e.a., précité, point 33).

78

Il y a donc lieu de conclure que, dans une affaire telle que celle au principal, la modification de la demande d’enregistrement initiale après l’expiration du délai de six mois prévu à l’article 17 du règlement no 2081/92 n’a pas rendu l’application de la procédure simplifiée illégale.

79

Eu égard à ce qui précède, l’examen de cette partie de la première question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement no 1347/2001.

Sur la prétendue absence de conformité de l’enregistrement de l’IGP «Bayerisches Bier» aux conditions de fond du règlement no 2081/92

80

Par ces sous-questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi met en doute la validité du règlement no 1347/2001 au motif que l’enregistrement de l’IGP «Bayerisches Bier» ne satisferait pas à une série de conditions de fond énoncées par le règlement no 2081/92. Premièrement, la dénomination en cause n’aurait été ni légalement protégée ni consacrée par l’usage, au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 2081/92. Deuxièmement, elle ne remplirait pas les conditions fixées à l’article 2, paragraphe 2, sous b), dudit règlement et serait, en réalité, une «dénomination générique» au sens des articles 3, paragraphe 1, et 17, paragraphe 2, de ce règlement. Troisièmement, elle correspondrait au cas de figure de l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 2081/92.

81

À titre liminaire, il convient de rappeler, en premier lieu, que le législateur communautaire dispose en matière de politique agricole commune d’un large pouvoir d’appréciation qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 34 CE et 37 CE lui attribuent et que la Cour a, à maintes reprises, jugé que seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée dans ce domaine, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêts du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C-280/93, Rec. p. I-4973, points 89 et 90, ainsi que du 13 décembre 1994, SMW Winzersekt, C-306/93, Rec. p. I-5555, point 21).

82

Par conséquent, le contrôle de la Cour doit se limiter à vérifier si la mesure en cause n’est pas entachée d’erreur manifeste ou de détournement de pouvoir ou si l’autorité en question n’a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation (arrêts du 12 juillet 2001, Jippes e.a., C-189/01, Rec. p. I-5689, point 80; du 9 septembre 2004, Espagne/Commission, C-304/01, Rec. p. I-7655, point 23, ainsi que du 23 mars 2006, Unitymark et North Sea Fishermen’s Organisation, C-535/03, Rec. p. I-2689, point 55).

83

En second lieu, il convient de relever que, lorsqu’elles se prononcent sur une demande d’enregistrement sur le fondement du règlement no 2081/92, les institutions communautaires sont appelées à procéder à l’évaluation d’une situation économique et sociale complexe.

84

Or, lorsque la mise en œuvre par le Conseil ou la Commission de la politique agricole de la Communauté implique la nécessité d’évaluer une situation économique ou sociale complexe, le pouvoir discrétionnaire dont ils jouissent s’applique non pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais aussi, dans une certaine mesure, à la constatation de données de base en ce sens. Dans ce contexte, il est loisible au Conseil ou à la Commission de se fonder, le cas échéant, sur des constatations globales (voir, en ce sens, arrêts du 29 février 1996, Commission/Conseil, C-122/94, Rec. p. I-881, point 18; du 19 février 1998, NIFPO et Northern Ireland Fishermen’s Federation, C-4/96, Rec. p. I-681, points 41 et 42; du 5 octobre 1999, Espagne/Conseil, C-179/95, Rec. p. I-6475, point 29, ainsi que du 25 octobre 2001, Italie/Conseil, C-120/99, Rec. p. I-7997, point 44).

85

C’est à la lumière de ce qui précède qu’il y a lieu d’examiner le bien-fondé des interrogations soulevées par la juridiction de renvoi.

— Sur l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 2081/92

86

La juridiction de renvoi considère que la procédure d’enregistrement prévue à l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 2081/92 n’était pas applicable à la dénomination «Bayerisches Bier» parce que cette dénomination n’était ni «légalement protégée» ni «consacrée par l’usage» au sens de cette disposition.

87

À cet égard, il convient de constater que cette appréciation relève des vérifications qui doivent être faites par les autorités compétentes nationales, sous le contrôle, le cas échéant, des juridictions nationales, avant que la demande d’enregistrement ne soit communiquée à la Commission (voir arrêt Carl Kühne e.a., précité, point 60).

88

En effet, tel que rappelé au point 66 du présent arrêt, la vérification que la dénomination «Bayerisches Bier» était soit légalement protégée, soit consacrée par l’usage exige, dans une large mesure, des connaissances approfondies d’éléments particuliers à l’État membre concerné, éléments que les autorités compétentes de cet État sont les mieux placées pour vérifier.

89

Dans l’affaire au principal, d’une part, une telle vérification a été faite par les autorités allemandes sans que son bien-fondé ait été mis en cause devant une juridiction nationale.

90

D’autre part, l’existence des cinq traités bilatéraux mentionnés au point 18 du présent arrêt, visant à protéger l’indication «Bayerisches Bier», en combinaison avec les autres éléments du dossier, notamment certaines étiquettes et publications, permettait de déduire valablement que ladite dénomination était légalement protégée ou, à tout le moins, consacrée par l’usage. Étant donné que l’appréciation faite par les autorités allemandes compétentes n’apparaît pas entachée d’une erreur manifeste, le Conseil ou la Commission pouvait dûment considérer que l’IGP en cause remplissait les conditions énoncées à l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 2081/92 aux fins d’un enregistrement selon la procédure simplifiée.

91

Par conséquent, il y a lieu de conclure que l’examen des conditions de l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 2081/92 n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement no 1347/2001.

— Sur les articles 2, paragraphe 2, sous b), 3, paragraphe 1, et 17, paragraphe 2, du règlement no 2081/92

92

La juridiction de renvoi émet des doutes sur le respect, par la dénomination «Bayerisches Bier», des conditions de l’article 2, paragraphe 2, sous b), du règlement no 2081/92, en raison, d’une part, d’une prétendue absence de lien direct entre la bière originaire de la Bavière et une qualité déterminée, la réputation ou une autre caractéristique de celle-ci, attribuable à cette origine et, d’autre part, de l’absence de correspondance du cas d’espèce à un cas exceptionnel qui justifierait l’enregistrement du nom d’un pays. En outre, elle se demande si cette dénomination n’est pas, en réalité, une «dénomination générique» au sens des articles 3, paragraphe 1, et 17, paragraphe 2, du règlement no 2081/92.

93

À cet égard, il convient de rappeler que, l’appréciation des conditions susmentionnées exigeant, dans une large mesure, des connaissances approfondies d’éléments particuliers à l’État membre concerné que les autorités compétentes de cet État sont les mieux placées pour vérifier, cette appréciation relève également des vérifications qui doivent être faites par lesdites autorités, sous le contrôle, le cas échéant, des juridictions nationales, avant que la demande d’enregistrement ne soit communiquée à la Commission. Il y a lieu également de relever que, dans l’affaire au principal, une telle vérification a été faite par les autorités allemandes sans que son bien-fondé ait été mis en cause devant une juridiction nationale.

94

En ce qui concerne les conditions de l’article 2, paragraphe 2, sous b), du règlement no 2081/92, il importe de relever d’emblée qu’il ressort du libellé de cette disposition ainsi que de l’économie de ce règlement que la notion de «pays» vise soit un État membre, soit un État tiers. Dès lors, la Bavière étant une entité infra-étatique, la question de savoir s’il s’agit d’«un cas exceptionnel» au sens de cette disposition ne se pose même pas dans l’affaire au principal.

95

Par rapport au lien direct exigé par ladite disposition, il convient de relever que l’enregistrement de la dénomination «Bayerisches Bier» en tant qu’IGP est fondé notamment, ainsi que le Conseil et la Commission l’ont souligné devant la Cour, sur un tel lien entre la réputation et l’origine bavaroise de la bière.

96

Une telle conclusion des institutions communautaires ne saurait être renversée, comme la juridiction de renvoi ainsi que Bavaria et Bavaria Italia le proposent, au motif que tant la loi relative à la pureté de la bière de 1516 («Reinheitsgebot») que la méthode de brassage traditionnelle à basse fermentation, toutes les deux d’origine bavaroise, se seraient répandues, respectivement, l’une, en Allemagne, depuis 1906 et, l’autre, dans le monde entier, au cours du XIXe siècle.

97

En effet, il convient de relever que ni la pureté ni la méthode traditionnelle à basse fermentation n’ont été en soi les fondements de l’enregistrement de l’IGP «Bayerisches Bier». Ainsi qu’il a été rappelé au point 95 du présent arrêt, c’est plutôt la réputation de la bière originaire de Bavière qui a été déterminante.

98

Certes, la contribution du «Reinheitsgebot» et de la méthode traditionnelle à basse fermentation à une telle réputation ne fait aucun doute. Toutefois, il ne saurait être valablement soutenu que cette réputation puisse disparaître du seul fait que le «Reinheitsgebot» a commencé à s’appliquer sur le reste du territoire allemand depuis 1906 ou, encore, du fait que ladite méthode traditionnelle s’est répandue dans d’autres pays au cours du XIXe siècle. Par ailleurs, de tels éléments reflètent, au contraire, la réputation de la bière bavaroise, qui a déterminé l’expansion tant de sa loi de pureté que de sa méthode de brassage et, partant, constituent plutôt des indices permettant de justifier qu’un lien direct entre la Bavière et la réputation de sa bière existe ou, du moins, existait.

99

Par conséquent, l’établissement d’un tel lien direct entre la bière bavaroise et son origine géographique ne saurait être considéré comme manifestement inapproprié en raison des éléments invoqués par la juridiction de renvoi ainsi que par Bavaria et Bavaria Italia.

100

En réalité, ces éléments se rapportent plutôt à l’argument selon lequel la dénomination «Bayerisches Bier» serait une «dénomination générique» au sens des articles 3, paragraphe 1, et 17, paragraphe 2, du règlement no 2081/92, et, par conséquent, n’aurait pas dû être enregistrée. Eu égard à ce qui vient d’être exposé, il s’agit de savoir, notamment, si la dénomination en cause était devenue générique au moment du dépôt de la demande d’enregistrement.

101

À cet égard, il y a lieu de rappeler que, dans le cadre de l’appréciation du caractère générique d’une dénomination, il convient, en application de l’article 3, paragraphe 1, du règlement no 2081/92, de prendre en compte les lieux de production du produit concerné existant tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’État membre qui a obtenu l’enregistrement de la dénomination en cause, la consommation de ce produit et la manière dont est perçue cette dénomination par les consommateurs à l’intérieur et à l’extérieur dudit État membre, l’existence d’une législation nationale particulière concernant ledit produit ainsi que la façon dont ladite dénomination a été utilisée en droit communautaire (voir arrêt du 26 février 2008, Commission/Allemagne, C-132/05, Rec. p. I-957, point 53).

102

La juridiction de renvoi ainsi que Bavaria et Bavaria Italia estiment que la généralisation de la dénomination «Bayerisches Bier» est établie, notamment, par l’usage du mot«Bayerisches» ou de ses traductions comme synonymes de «bière» dans, au moins, trois États membres (Danemark, Suède et Finlande), ainsi que comme synonymes de l’ancienne méthode bavaroise de basse fermentation dans les noms, marques et étiquettes de sociétés commerciales du monde entier, y compris en Allemagne.

103

Une telle objection ne saurait non plus être accueillie dans l’affaire au principal.

104

En effet, d’une part, en ce qui concerne l’utilisation de la dénomination «Bayerisches» ou de ses traductions en tant que synonymes du terme «bière», il y a lieu de rappeler que la Commission a demandé un complément d’information aux États membres à cet égard, et que ce dernier a démontré, ainsi que le cinquième considérant du règlement no 1347/2001 le relève, que ladite dénomination n’est pas devenue générique sur le territoire communautaire, malgré les indices suggérant que la traduction danoise de cette dénomination serait en train de devenir un synonyme du terme «bière», et, par conséquent, un nom commun.

105

D’autre part, en ce qui concerne la présence sur le marché des marques et étiquettes de sociétés commerciales portant le mot «Bayerisches» ou ses traductions, en tant que synonymes de l’ancienne méthode bavaroise de basse fermentation, ladite circonstance ne permet pas non plus de conclure que la dénomination en cause était devenue générique au moment du dépôt de la demande d’enregistrement.

106

Par ailleurs, l’enregistrement d’une IGP, conformément au règlement no 2081/92, vise, parmi d’autres objectifs, à éviter l’utilisation abusive d’une dénomination par des tiers désirant tirer profit de la réputation qu’elle a acquise et, au demeurant, à éviter la disparition de celle-ci, du fait de sa vulgarisation par son emploi général en dehors de soit son origine géographique, soit la qualité déterminée, la réputation ou une autre caractéristique, attribuable à ladite origine et justifiant l’enregistrement.

107

Dès lors, s’agissant d’une IGP, une dénomination ne devient générique que si le lien direct entre, d’un côté, l’origine géographique du produit et, de l’autre côté, une qualité déterminée de ce produit, sa réputation ou une autre caractéristique de celui-ci, attribuable à ladite origine, a disparu, la dénomination ne faisant plus que décrire un genre ou un type de produits.

108

En l’occurrence, les institutions communautaires ont constaté que l’IGP «Bayerisches Bier» n’était pas devenue générique, et, par conséquent, que le lien direct existant entre la réputation de la bière bavaroise et son origine géographique n’avait pas disparu, sans qu’une telle constatation puisse être qualifiée de manifestement inappropriée du seul fait de la présence sur le marché des marques et étiquettes de sociétés commerciales portant le mot «Bayerisches» ou ses traductions en tant que synonymes de l’ancienne méthode bavaroise de basse fermentation.

109

De surcroît, l’existence entre 1960 et 1970 des marques collectives Bayrisch Bier et Bayrisches Bier ainsi que de cinq différents accords bilatéraux visant la protection de la dénomination «Bayerisches Bier», en tant que dénomination géographique, démontre plutôt une absence de caractère générique de cette dénomination.

110

Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de conclure que le Conseil a, à bon droit, considéré, dans le règlement no 1347/2001, que la dénomination «Bayerisches Bier» répondait aux conditions de l’article 2, paragraphe 2, sous b), du règlement no 2081/92 et qu’elle ne constituait pas une «dénomination générique» au sens des articles 3, paragraphe 1, et 17, paragraphe 2, de ce dernier règlement.

— Sur l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 2081/92

111

La juridiction de renvoi se demande si l’enregistrement de la dénomination «Bayerisches Bier» n’aurait pas dû être refusé, conformément à l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 2081/92, dès lors que, compte tenu de la renommée, de la notoriété et de la durée d’usage des marques contenant le mot «Bavaria», cette dénomination serait de nature à induire le consommateur en erreur quant à la véritable identité du produit.

112

À cet égard, il ressort du troisième considérant du règlement no 1347/2001 que le Conseil a constaté que, en vertu des faits et des informations disponibles, l’enregistrement de la dénomination «Bayerisches Bier» n’était pas de nature à induire le consommateur en erreur en ce qui concerne la véritable identité du produit et que, de ce fait, l’indication géographique susmentionnée et la marque Bavaria ne se trouvaient pas dans la situation visée au paragraphe 3 de l’article 14 du règlement no 2081/92.

113

D’une part, la constatation du Conseil n’apparaît pas manifestement inappropriée et, d’autre part, ni la juridiction de renvoi ni Bavaria et Bavaria Italia n’ont soulevé d’argument visant à mettre en doute une telle constatation.

114

Dans ces conditions, il convient de constater que le Conseil a, à bon droit, considéré, dans le règlement no 1347/2001, que la dénomination «Bayerisches Bier» ne relevait pas d’une situation visée par l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 2081/92.

115

Par conséquent, il y a lieu de conclure que l’examen de la première question posée par la juridiction de renvoi n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement no 1347/2001.

Sur la seconde question

116

Par cette question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la circonstance que l’article 1er du règlement no 1347/2001 a enregistré la dénomination «Bayerisches Bier» en tant qu’IGP et que son troisième considérant constate que ladite IGP et la marque Bavaria ne se trouvent pas dans la situation visée au paragraphe 3 de l’article 14 du règlement no 2081/92 a une incidence sur la validité et la possibilité d’utiliser les marques de tiers préexistantes dans lesquelles figure le mot «Bavaria».

117

À cet égard, il convient de relever que l’article 14 du règlement no 2081/92 régit spécialement les relations entre les dénominations enregistrées au titre de ce règlement et les marques en établissant, selon les diverses situations visées, des règles de conflit dont la portée, les effets et le destinataire sont différents.

118

En effet, d’une part, l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 2081/92 vise une situation de conflit entre une AOP ou une IGP et une marque préexistante, lorsque l’enregistrement de la dénomination en cause, compte tenu de la renommée, de la notoriété et de la durée de l’usage de la marque, serait de nature à induire le consommateur en erreur quant à la véritable identité du produit. L’effet prévu dans l’hypothèse d’un tel conflit est le refus d’enregistrement des dénominations. Il s’agit donc d’une règle impliquant une analyse préalable à l’enregistrement de l’AOP ou de l’IGP et destinée, notamment, aux institutions communautaires.

119

D’autre part, l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 2081/92 vise une situation de conflit entre une AOP ou une IGP enregistrée et une marque préexistante lorsque l’usage de cette dernière correspond à l’une des situations visées à l’article 13 du règlement no 2081/92, et que la marque a été enregistrée de bonne foi avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement de l’AOP ou de l’IGP. L’effet prévu dans cette hypothèse est de permettre de poursuivre l’usage nonobstant l’enregistrement de la dénomination, lorsque la marque n’encourt pas les motifs de nullité ou de déchéance prévus respectivement aux articles 3, paragraphe 1, sous c) et g), ainsi que 12, paragraphe 2, sous b), de la première directive 89/104. Il s’agit donc d’une règle impliquant une analyse postérieure à l’enregistrement et destinée, notamment, aux administrations et juridictions appelées à appliquer les dispositions en cause.

120

L’analyse découlant de l’article 14, paragraphe 3, dudit règlement se circonscrit à la possibilité d’une éventuelle erreur du consommateur quant à la véritable identité du produit, en raison de l’enregistrement de la dénomination en cause, sur la base d’un examen de la dénomination à enregistrer et de la marque préexistante, tout en tenant compte de la renommée, de la notoriété et de la durée de l’usage de cette dernière.

121

En revanche, l’analyse découlant de l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 2081/92 implique de vérifier d’abord si l’usage de la marque correspond à l’une des situations visées à l’article 13 de ce règlement, ensuite si la marque a été enregistrée de bonne foi avant la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la dénomination et, finalement, le cas échéant, si la marque n’encourt pas les motifs de nullité ou de déchéance prévus, respectivement, aux articles 3, paragraphe 1, sous c) et g), ainsi que 12, paragraphe 2, sous b), de la première directive 89/104.

122

Cette dernière analyse exige donc un examen des faits et de droit, national, communautaire ou international, qu’il appartient au seul juge national d’effectuer, le cas échéant, au moyen du renvoi préjudiciel prévu à l’article 234 CE (voir, en ce sens, arrêt du 4 mars 1999, Consorzio per la tutela del formaggio Gorgonzola, C-87/97, Rec. p. I-1301, points 28, 35, 36, 42 et 43).

123

Il en découle que les paragraphes 2 et 3 de l’article 14 du règlement no 2081/92 ont chacun des objectifs et des fonctions distincts et sont soumis à des conditions différentes. Ainsi, la circonstance que l’article 1er du règlement no 1347/2001 a enregistré la dénomination «Bayerisches Bier» en tant qu’IGP et que son troisième considérant constate que ladite IGP et la marque Bavaria ne se trouvent pas dans la situation visée à l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 2081/92 ne saurait avoir une incidence sur l’examen des conditions pour permettre une coexistence entre ladite marque et ledit IGP, telles que prévues à l’article 14, paragraphe 2, dudit règlement.

124

En particulier, l’absence de risque de confusion dans l’esprit du consommateur, au sens de l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 2081/92, entre la dénomination en cause et la marque préexistante n’exclut pas que l’usage de cette dernière puisse relever d’un cas de figure visé à l’article 13, paragraphe 1, dudit règlement ou encore que ladite marque puisse encourir l’un des motifs de nullité ou de déchéance prévus respectivement aux articles 3, paragraphe 1, sous c) et g), ainsi que 12, paragraphe 2, sous b), de la première directive 89/104. En outre, ladite absence de risque de confusion ne dispense pas non plus de vérifier que la marque en cause a été enregistrée de bonne foi avant la date du dépôt de la demande d’enregistrement de l’AOP ou de l’IGP.

125

Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre à la seconde question que le règlement no 1347/2001 doit être interprété en ce sens qu’il ne porte pas atteinte à la validité et à la possibilité d’un usage, correspondant à l’une des situations visées à l’article 13 du règlement no 2081/92, des marques de tiers préexistantes dans lesquelles figure le mot «Bavaria», enregistrées de bonne foi avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement de l’IGP «Bayerisches Bier» à la condition que ces marques ne soient pas affectées par les motifs de nullité ou de déchéance prévus aux articles 3, paragraphe 1, sous c) et g), ainsi que 12, paragraphe 2, sous b), de la première directive 89/104.

Sur les dépens

126

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

 

1)

L’examen de la première question posée par la juridiction de renvoi n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du règlement (CE) no 1347/2001 du Conseil, du 28 juin 2001, complétant l’annexe du règlement (CE) no 1107/96 de la Commission relatif à l’enregistrement des indications géographiques et des appellations d’origine au titre de la procédure prévue à l’article 17 du règlement (CEE) no 2081/92 du Conseil.

 

2)

Le règlement no 1347/2001 doit être interprété en ce sens qu’il ne porte pas atteinte à la validité et à la possibilité d’un usage, correspondant à l’une des situations visées à l’article 13 du règlement (CEE) no 2081/92 du Conseil, du 14 juillet 1992, relatif à la protection des indications géographiques et des appellations d’origine des produits agricoles et des denrées alimentaires, des marques de tiers préexistantes dans lesquelles figure le mot «Bavaria», enregistrées de bonne foi avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement de l’indication géographique protégée «Bayerisches Bier» à la condition que ces marques ne soient pas affectées par les motifs de nullité ou de déchéance prévus aux articles 3, paragraphe 1, sous c) et g), ainsi que 12, paragraphe 2, sous b), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’italien.