ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
18 décembre 2008 ( *1 )
«Pourvoi — Concurrence — Marché de la viande bovine — Accord conclu entre des fédérations nationales d'éleveurs et d'abatteurs ayant pour objet la suspension des importations de viande bovine et la fixation d'un prix minimal d'achat — Amendes — Règlement no 17 — Article 15, paragraphe 2 — Prise en compte du chiffre d'affaires des entreprises membres des fédérations»
Dans les affaires jointes C-101/07 P et C-110/07 P,
ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice, introduits respectivement les 20 et 19 février 2007,
Coop de France bétail et viande, anciennement dénommée Fédération nationale de la coopération bétail et viande (FNCBV), établie à Paris (France), représentée par Me M. Ponsard, avocat, ayant élu domicile à Luxembourg (C-101/07 P),
Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), établie à Paris,
Fédération nationale bovine (FNB), établie à Paris,
Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), établie à Paris,
Jeunes agriculteurs (JA), établis à Paris,
représentés par Mes V. Ledoux et B. Neouze, avocats (C-110/07 P),
parties requérantes,
les autres parties à la procédure étant:
Commission des Communautés européennes, représentée par MM. A. Bouquet et X. Lewis, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie défenderesse en première instance,
République française, représentée par M. G. de Bergues et Mme S. Ramet, en qualité d’agents,
partie intervenante en première instance,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. A. Ó Caoimh, J. N. Cunha Rodrigues, J. Klučka et U. Lõhmus (rapporteur), juges,
avocat général: M. J. Mazák,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 octobre 2008,
vu l’ordonnance de réouverture de la procédure orale du 2 octobre 2008,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 17 avril 2008,
rend le présent
Arrêt
1 |
Par leurs pourvois, la Coop de France bétail et viande, anciennement dénommée Fédération nationale de coopération bétail et viande (ci-après la «FNCBV») (C-101/07 P), ainsi que la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (ci-après la «FNSEA»), la Fédération nationale bovine (ci-après la «FNB»), la Fédération nationale des producteurs de lait (ci-après la «FNPL») et les Jeunes agriculteurs (ci-après les «JA») (C-110/07 P) demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 13 décembre 2006, FNCBV e.a./Commission (T-217/03 et T-245/03, Rec. p. II-4987, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a, d’une part, réduit l’amende que leur avait infligée la Commission des Communautés européennes par la décision 2003/600/CE, du 2 avril 2003, relative à une procédure d’application de l’article 81 du traité CE (affaire COMP/C.38.279/F3 — Viandes bovines françaises) (JO L 209, p. 12, ci-après la «décision litigieuse»), et, d’autre part, rejeté pour l’essentiel les recours tendant à l’annulation de cette décision. |
Le cadre juridique
2 |
L’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81] et [82] du traité (JO 1962, 13, p. 204) dispose: «2. La Commission peut, par voie de décision, infliger aux entreprises et associations d’entreprises des amendes de mille unités de compte au moins et d’un million d’unités de compte au plus, ce dernier montant pouvant être porté à dix pour cent du chiffre d’affaires réalisé au cours de l’exercice social précédent par chacune des entreprises ayant participé à l’infraction, lorsque, de propos délibéré ou par négligence:
Pour déterminer le montant de l’amende, il y a lieu de prendre en considération, outre la gravité de l’infraction, la durée de celle-ci.» |
3 |
Aux termes du point 5, sous c), de la communication de la Commission intitulée «Lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement no 17 et de l’article 65 paragraphe 5 du traité CECA» (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les «lignes directrices»): «Dans les affaires mettant en cause des associations d’entreprises, il importe dans toute la mesure du possible de rendre les entreprises membres de ces associations destinataires des décisions et de leur infliger des amendes individuelles. Dans le cas où cette procédure s’avérerait impossible (par exemple: plusieurs milliers d’entreprises membres) et à l’exception des procédures menées en vertu du traité CECA, l’association doit se voir infliger une amende globale calculée selon les principes exposés ci-dessus mais équivalente à la totalité des amendes individuelles qui auraient pu être infligées à chacun des membres de cette association.» |
4 |
L’article 1er du règlement no 26 du Conseil, du 4 avril 1962, portant application de certaines règles de concurrence à la production et au commerce des produits agricoles (JO 1962, 30, p. 993), prévoit que les articles 81 CE à 86 CE ainsi que les dispositions prises pour leur application s’appliquent à tous les accords, décisions et pratiques visés aux articles 81, paragraphe 1, CE et 82 CE et relatifs à la production ou au commerce des produits énumérés à l’annexe I du traité CE, dont notamment les animaux vivants et les viandes et les abats comestibles, sous réserve des dispositions de l’article 2 de ce règlement. |
5 |
L’article 2, paragraphe 1, dudit règlement établit ce qui suit: «L’article [81] paragraphe 1 [CE] est inapplicable aux accords, décisions et pratiques visés à l’article précédent qui font partie intégrante d’une organisation nationale de marché ou qui sont nécessaires à la réalisation des objectifs énoncés à l’article [33 CE]. Il ne s’applique pas en particulier aux accords, décisions et pratiques d’exploitants agricoles, d’associations d’exploitants agricoles ou d’associations de ces associations ressortissant à un seul État membre, dans la mesure où, sans comporter l’obligation de pratiquer un prix déterminé, ils concernent la production ou la vente de produits agricoles ou l’utilisation d’installations communes de stockage, de traitement ou de transformation de produits agricoles, à moins que la Commission ne constate qu’ainsi la concurrence est exclue ou que les objectifs de l’article [33 CE] sont mis en péril.» |
Les faits à l’origine des litiges
6 |
Les faits qui sont à l’origine des recours devant le Tribunal, tels qu’exposés dans l’arrêt attaqué, peuvent, aux fins du présent arrêt, être résumés comme suit. |
7 |
La requérante dans l’affaire C-101/07 P, la FNCBV, rassemble 300 groupements coopératifs de producteurs des secteurs de l’élevage bovin, porcin et ovin et une trentaine de groupes ou d’entreprises d’abattage et de transformation de viandes en France. |
8 |
Les requérants dans l’affaire C-110/07 P, à savoir la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA, sont des syndicats de droit français. La FNSEA est le principal syndicat agricole français. Sur le plan territorial, elle est composée de syndicats locaux, regroupés dans des fédérations ou des unions départementales des syndicats d’exploitants agricoles (ci-après les «FDSEA»). La FNSEA regroupe, par ailleurs, 33 associations spécialisées, qui représentent les intérêts de chaque production, dont la FNB et la FNPL. Les JA représentent les agriculteurs de moins de 35 ans. Pour adhérer au centre local des JA, il faut être adhérent d’un syndicat local relevant d’une FDSEA. |
9 |
À la suite de la découverte dans plusieurs États membres, à partir du mois d’octobre 2000, de nouveaux cas d’encéphalopathie spongiforme bovine, dite «maladie de la vache folle», ainsi que des cas de fièvre aphteuse dans les troupeaux ovins au Royaume-Uni, les institutions communautaires ont adopté toute une série de mesures, afin de faire face à la perte de confiance de la part des consommateurs, qui avait entraîné une diminution de la consommation de viande. |
10 |
Ainsi, le champ d’application des mécanismes d’intervention, destinés à retirer du marché certaines quantités de bovins afin de stabiliser l’offre par rapport à la demande, a été élargi et un régime d’achat d’animaux vivants, ainsi qu’un mécanisme d’achat par adjudication de carcasses ou de demi-carcasses, dit «régime d’achat spécial», ont été mis en place. En outre, la Commission a autorisé plusieurs États membres, dont la République française, à octroyer des subventions à la filière bovine. |
11 |
Au cours des mois de septembre et d’octobre 2001, les relations entre les éleveurs et les abatteurs étaient particulièrement tendues en France, et les mesures susmentionnées ont été jugées insuffisantes par les agriculteurs. Des groupes d’éleveurs ont illégalement arrêté des camions afin de contrôler l’origine de la viande transportée et ont procédé à des blocages d’abattoirs. Ces actions ont parfois conduit à des destructions de matériels et de viandes. En contrepartie du déblocage des abattoirs, les éleveurs manifestants ont exigé des engagements de la part des abatteurs, notamment la suspension des importations et l’application d’une grille des prix dite «syndicale». |
12 |
Au mois d’octobre 2001, plusieurs réunions ont eu lieu entre les fédérations représentant les éleveurs de bovins, à savoir la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA, et les fédérations représentant les abatteurs, à savoir la Fédération nationale de l’industrie et des commerces en gros des viandes (ci-après la «FNICGV») et la FNCBV. À l’issue d’une réunion du 24 octobre 2001, organisée à la demande du ministre de l’Agriculture français, l’accord des fédérations des éleveurs et abatteurs sur la grille de prix minimum — vaches de reforme entrée-abattoir (ci-après l’«accord du 24 octobre 2001») a été conclu entre ces six fédérations. Le 30 octobre 2001, la Commission a adressé aux autorités françaises une lettre sollicitant des informations sur cet accord. |
13 |
L’accord du 24 octobre 2001 comportait deux volets. Le premier était un engagement de suspension provisoire des importations, qui ne faisait pas de distinction selon les types de viande bovine. Le second consistait en un engagement d’application de la grille des prix d’achat à l’entrée de l’abattoir des vaches de réforme, à savoir les vaches dont la destination a été soit la reproduction soit la production laitière, dont les modalités étaient définies dans cet accord. Ainsi, celui-ci contenait une liste de prix au kilogramme de carcasse pour certaines catégories de vaches et le mode de calcul du prix à appliquer pour d’autres catégories, en fonction notamment du prix d’achat spécial fixé par les autorités communautaires. Ledit accord devait entrer en vigueur le 29 octobre 2001 et être appliqué jusqu’à la fin du mois de novembre 2001. |
14 |
Le 9 novembre 2001, les autorités françaises ont répondu à la demande d’informations de la Commission du 30 octobre 2001. |
15 |
Le 9 novembre 2001, la Commission a également adressé à la FNSEA, à la FNB, à la FNPL, aux JA ainsi qu’à la FNICGV une demande de renseignements, au titre de l’article 11 du règlement no 17. La Commission n’ayant alors pas connaissance du fait que la FNCBV était également signataire de l’accord du 24 octobre 2001, cette dernière n’a pas été destinataire de cette demande. Les cinq fédérations en cause y ont répondu les 15 et 23 novembre 2001. |
16 |
Le 19 novembre 2001, le président de la FNICGV a informé le président de la FNSEA qu’il se voyait obligé d’anticiper à ce jour la date finale d’application de l’accord du 24 octobre 2001, fixée initialement au 30 novembre 2001. |
17 |
Le 26 novembre 2001, la Commission a adressé une lettre d’avertissement aux six fédérations signataires de l’accord du 24 octobre 2001, indiquant que les faits dont elle avait connaissance traduisaient l’existence d’une infraction aux règles communautaires de la concurrence et les invitant à lui faire connaître leurs observations et leurs propositions au plus tard le 30 novembre 2001. Dans cette lettre, la Commission indiquait que «[f]aute de propositions satisfaisantes dans ce délai, [elle] envisage[ait] d’engager une procédure visant à faire constater ces infractions, à enjoindre qu’il y soit mis fin au cas où l’accord [du 24 octobre 2001] aurait été prorogé et pouvant, le cas échéant, comporter l’imposition d’amendes». Les fédérations ont répondu à la Commission en précisant que cet accord cesserait le 30 novembre 2001 et qu’il ne serait pas prorogé. |
18 |
Le 17 décembre 2001, la Commission a effectué des vérifications dans les locaux de la FNSEA et de la FNB à Paris, au titre de l’article 14, paragraphe 3, du règlement no 17, ainsi que dans les locaux de la FNICGV dans cette ville, sur la base de l’article 14, paragraphe 2, dudit règlement. |
19 |
Le 24 juin 2002, la Commission a adopté une communication des griefs adressée aux six fédérations signataires de l’accord du 24 octobre 2001. Celles-ci ont présenté leurs observations écrites entre le 23 septembre et le 4 octobre 2002. L’audition de ces fédérations a eu lieu le 31 octobre 2002. Le 10 janvier 2003, la Commission a envoyé auxdites fédérations une demande de renseignements au sens de l’article 11 du règlement no 17. Elle leur demandait notamment de lui fournir, pour les années 2001 et 2002, le montant total et la ventilation selon leur origine des recettes de chaque fédération et leurs bilans comptables ainsi que, pour le dernier exercice fiscal disponible, le chiffre d’affaires global, ainsi que celui lié à la production bovine ou à l’abattage bovin, de leurs membres directs et/ou indirects. Les fédérations requérantes y ont répondu par des lettres des 22, 24, 27 et 30 janvier 2003. |
20 |
Le 2 avril 2003, la Commission a adopté la décision litigieuse, dont les destinataires étaient les fédérations requérantes et la FNICGV. |
21 |
Aux termes de cette décision, ces fédérations ont violé l’article 81, paragraphe 1, CE du fait de la conclusion de l’accord du 24 octobre 2001, qui avait pour objet de fixer un prix minimal d’achat de certaines catégories de bovins et de suspendre les importations de viande bovine en France, ainsi que de la conclusion, entre la fin du mois de novembre et le début du mois de décembre 2001, d’un accord oral poursuivant le même objet (ci-après l’«accord oral»), applicable depuis l’expiration de l’accord du 24 octobre 2001. |
22 |
Aux considérants 135 à 149 de la décision litigieuse, la Commission a estimé que l’accord du 24 octobre 2001 et l’accord oral n’étaient pas nécessaires pour atteindre les objectifs de la politique agricole commune prévus à l’article 33 CE et a écarté l’application, en l’espèce, de l’exemption en faveur de certaines activités liées à la production et à la commercialisation de produits agricoles prévue par le règlement no 26. De plus, ces accords ne figureraient pas au nombre des moyens prévus par le règlement (CE) no 1254/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, portant organisation commune des marchés dans le secteur de la viande bovine (JO L 160, p. 21), ou par les textes d’application de celui-ci. Enfin, les mesures adoptées en vertu desdits accords ne seraient pas proportionnées aux objectifs prétendument recherchés. |
23 |
Selon la décision litigieuse, l’infraction a débuté le 24 octobre 2001 et a duré, au moins, jusqu’au 11 janvier 2002, date d’expiration du dernier accord local pris en application de l’engagement national dont la Commission avait eu connaissance. |
24 |
Compte tenu de sa nature et de l’étendue géographique du marché concerné, l’infraction a été qualifiée de très grave. Afin d’établir le degré de responsabilité propre de chaque fédération requérante, la Commission a pris en compte le rapport entre le montant des cotisations annuelles perçues par la principale fédération agricole, à savoir la FNSEA, et le montant de celles perçues par chacune des autres fédérations. L’infraction ayant par ailleurs été de courte durée, la Commission n’a pas majoré le montant de base à ce titre. |
25 |
La Commission a ensuite retenu à l’égard des fédérations requérantes plusieurs circonstances aggravantes:
|
26 |
Par ailleurs, la Commission a pris en considération diverses circonstances atténuantes:
|
27 |
En outre, conformément au point 5, sous b), des lignes directrices, la Commission a pris en compte les circonstances spécifiques de l’affaire en cause, notamment le contexte économique marqué par la crise du secteur, et a réduit de 60 % le montant des amendes résultant de l’application des majorations et des minorations susmentionnées. |
28 |
Le dispositif de la décision litigieuse comprend, notamment, les dispositions suivantes: «Article premier La [FNSEA], la [FNB], la [FNPL], les [JA], la [FNICGV] et la [FNCBV] ont enfreint l’article 81, paragraphe 1, [CE] en concluant le 24 octobre 2001 un accord qui avait pour objet de suspendre les importations en France de viande bovine et de fixer un prix minimal pour certaines catégories de bêtes et en convenant oralement d’un accord ayant un objet semblable fin novembre et début décembre 2001. L’infraction a commencé le 24 octobre 2001 et a produit ses effets au moins jusqu’au 11 janvier 2002. Article 2 Les fédérations visées à l’article 1er mettent fin immédiatement à l’infraction visée audit article, si elles ne l’ont déjà fait, et s’abstiennent à l’avenir de toute entente susceptible d’avoir un objet ou un effet identique ou similaire. Article 3 Les amendes suivantes sont infligées:
|
Les recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
29 |
Par requêtes déposées respectivement au greffe du Tribunal les 19 et 20 juin 2003, la FNCBV, d’une part, et la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA, d’autre part, ont introduit deux recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, à la suppression des amendes qui leur avaient été infligées ou à la diminution du montant de celles-ci. Le recours introduit le 7 juillet 2003 par la FNICGV a été rejeté par le Tribunal, par ordonnance du 9 novembre 2004, comme irrecevable. |
30 |
La République française a été admise à intervenir, dans chacune des deux affaires, au soutien des conclusions des fédérations requérantes, par ordonnances du 6 novembre 2003. Les deux affaires ont été jointes par ordonnance du 3 avril 2006. |
31 |
Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a:
|
La procédure devant la Cour
32 |
Par décision du 29 janvier 2008, la Cour a renvoyé les deux affaires devant la troisième chambre, composée de M. A. Rosas, président de la troisième chambre, MM. U. Lõhmus (rapporteur), J. Klučka, A. Ó Caoimh et Mme P. Lindh, juges. Aucune des parties n’ayant demandé à être entendue en ses observations orales, la Cour a décidé de statuer sans audience de plaidoiries. M. l’avocat général a présenté ses conclusions à l’audience du 17 avril 2008, à la suite de laquelle la procédure orale a été clôturée. |
33 |
Mme Lindh ayant été empêchée, la troisième chambre a, conformément à l’article 61 du règlement de procédure, l’avocat général entendu, ordonné la réouverture de la procédure orale aux fins de la remplacer, par application de l’article 11 sexto, premier alinéa, du règlement de procédure, par un juge en suivant l’ordre de la liste visée à l’article 11 quater, paragraphe 2, du même règlement, en l’occurrence M. J. N. Cunha Rodrigues. |
34 |
À la suite de l’audience du 16 octobre 2008, à laquelle M. l’avocat général a présenté ses conclusions, la procédure orale a été clôturée. |
Les conclusions des parties au pourvoi
35 |
Dans l’affaire C-101/07 P, la FNCBV demande à la Cour:
|
36 |
Dans l’affaire C-110/07 P, la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA demandent à la Cour:
|
37 |
La République française demande à la Cour d’accueillir les deux pourvois et d’annuler l’arrêt attaqué. |
38 |
La Commission conclut au rejet des deux pourvois et à la condamnation des fédérations requérantes aux dépens. |
Sur les pourvois
39 |
Les parties et M. l’avocat général ayant été entendus sur ce point, les affaires C-101/07 P et C-110/07 P ont été jointes pour cause de connexité, par ordonnance du président de la Cour du 18 avril 2007, aux fins des procédures écrite et orale, ainsi que de l’arrêt, conformément à l’article 43 du règlement de procédure. |
Les moyens d’annulation de l’arrêt attaqué
40 |
À l’appui de son pourvoi, la FNCBV soulève cinq moyens tendant à l’annulation de l’arrêt attaqué et de la décision litigieuse, dont certains comportent plusieurs branches:
|
41 |
La FNCBV soulève, en outre, un sixième moyen tendant à l’annulation partielle de l’arrêt attaqué et à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée, tiré d’une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17. |
42 |
À l’appui de leur pourvoi, la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA soulèvent les quatre moyens suivants:
|
Sur le premier moyen soulevé par la FNCBV et sur le deuxième moyen soulevé par la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA, tirés d’une erreur de droit en ce que le Tribunal a refusé d’admettre l’existence d’une violation des droits de la défense commise par la Commission dans la communication des griefs adoptée par celle-ci
43 |
Par, respectivement, leur premier et deuxième moyens, la FNCBV, d’une part, et la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA, d’autre part, font valoir que, dans la communication des griefs, la Commission s’est limitée à énoncer les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l’infraction supposée et le fait d’avoir commis celle-ci de propos délibéré ou par négligence, alors que, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal, elle aurait dû mentionner que l’éventuelle amende serait calculée en prenant en compte le chiffre d’affaires de leurs membres. |
44 |
Ces deux moyens ne sauraient être accueillis. |
45 |
Il ressort, en effet, du point 219 de l’arrêt attaqué que l’argument selon lequel la Commission aurait dû mentionner dans la communication des griefs que l’éventuelle amende serait calculée en prenant en compte le chiffre d’affaires des membres des fédérations requérantes a déjà été avancé devant le Tribunal et que celui-ci l’a rejeté à bon droit, au point 224 de cet arrêt, sur la base de la jurisprudence de la Cour rappelée aux points 222 et 223 dudit arrêt. |
46 |
Ainsi, le Tribunal a constaté, au point 221 de l’arrêt attaqué, que c’est au stade de l’adoption de la décision litigieuse que la Commission a pris en compte les chiffres d’affaires des membres de base des fédérations requérantes aux fins de la vérification du respect, en ce qui concerne le montant de l’amende imposée, du plafond de 10 % instauré à l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17. |
47 |
Or, ainsi que l’a relevé le Tribunal, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, au stade de la communication des griefs, le fait de donner des indications concernant le niveau des amendes envisagées, aussi longtemps que les entreprises n’ont pas été mises en mesure de faire valoir leurs observations sur les griefs retenus contre elles, reviendrait à anticiper de façon inappropriée la décision de la Commission (arrêt du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 21). |
48 |
À l’appui de leur moyen, la FNCBV ainsi que la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA font valoir, en outre, que l’obligation pour la Commission de mentionner dans la communication des griefs comment l’éventuelle amende sera calculée est d’autant plus évidente qu’elle a procédé à un revirement par rapport à la méthode traditionnellement utilisée pour le calcul des amendes, circonstance qui a été reconnue par le Tribunal au point 237 de l’arrêt attaqué. Dans la mesure où lesdites fédérations n’avaient pas la possibilité d’anticiper un tel changement de méthode et n’ont donc pas pu se défendre sur ce point, le Tribunal aurait dû reconnaître la violation des droits de la défense commise par la Commission dans la communication des griefs adoptée par celle-ci. |
49 |
Il ressort toutefois d’une jurisprudence constante de la Cour, rappelée par le Tribunal au point 218 de l’arrêt attaqué, que, dès lors que la Commission indique expressément, dans sa communication des griefs, qu’elle va examiner s’il convient d’infliger des amendes aux entreprises concernées et qu’elle énonce les principaux éléments de fait et de droit susceptibles d’entraîner une amende, tels que la gravité et la durée de l’infraction supposée et le fait d’avoir commis celle-ci «de propos délibéré ou par négligence», elle remplit son obligation de respecter le droit des entreprises d’être entendues. Ce faisant, elle leur donne les éléments nécessaires pour se défendre non seulement contre une constatation de l’infraction, mais aussi contre le fait de se voir infliger une amende (voir en ce sens, notamment, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C-189/02 P, C-202/02 P, C-205/02 P à C-208/02 P et C-213/02 P, Rec. p. I-5425, point 428). |
50 |
S’agissant de la prise en considération du chiffre d’affaires des membres des fédérations requérantes pour le calcul des amendes, il suffit de constater qu’une telle pratique, de la part de la Commission, n’est pas nouvelle et est admise par les juridictions communautaires (voir, notamment, arrêts du 16 novembre 2000, Finnboard/Commission, C-298/98 P, Rec. p. I-10157, point 66; ainsi que du Tribunal du 23 février 1994, CB et Europay/Commission, T-39/92 et T-40/92, Rec. p. II-49, point 139). Contrairement aux allégations des fédérations requérantes, il n’y a donc pas eu, de la part de la Commission, un changement de méthode justifiant une mention particulière à cet égard dans la communication des griefs. |
51 |
Le Tribunal n’a donc commis aucune erreur de droit, lorsqu’il a conclu que la Commission n’avait pas violé les droits de la défense de la FNCBV ni ceux de la FNSEA, de la FNB, de la FNPL et des JA pour n’avoir pas indiqué, dans la communication des griefs, qu’elle envisageait de prendre en considération le chiffre d’affaires de leurs membres aux fins de la vérification du respect du plafond de 10 % fixé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17. |
52 |
Par conséquent, le premier moyen soulevé par la FNCBV et le deuxième moyen soulevé par la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA doivent être rejetés comme non fondés. |
Sur le deuxième moyen soulevé par la FNCBV, tiré de la dénaturation par le Tribunal de certains éléments de preuve
53 |
Par son deuxième moyen, la FNCBV soutient que les constatations factuelles faites par le Tribunal sont entachées d’une inexactitude matérielle dans la mesure où il a manifestement altéré le sens, le contenu ou la portée d’éléments produits devant lui. Selon cette fédération, un examen complet du dossier, replacé dans son contexte, aurait dû amener le Tribunal à considérer qu’elle n’avait pas adhéré à la prolongation orale et en secret de l’accord du 24 octobre 2001 au-delà de la date d’expiration de celui-ci. |
54 |
Les documents qui auraient été dénaturés par le Tribunal sont les suivants:
|
55 |
Pour chacun de ces documents, la FNCBV reproche au Tribunal, en substance, d’en avoir altéré le sens et, par conséquent, d’avoir fait une appréciation inexacte de la portée des faits de la cause. |
56 |
La Commission soutient que, par son moyen, la FNCBV tente de contester la valeur probante que le Tribunal a conférée auxdits documents. |
57 |
Dans son mémoire en réplique, la FNCBV conteste avoir mis en cause la constatation des faits effectuée par le Tribunal. Selon cette fédération, «la constatation des faits vise à remettre en cause les faits en tant que tels ou leur appréciation alors que la dénaturation est une modification du contenu des éléments de preuves, une absence de prise en compte de leurs aspects essentiels ou une absence de prise en compte de leur contexte». |
58 |
À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il résulte des articles 225 CE et 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice que le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et, d’autre part, pour apprécier ces faits. Lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 225 CE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal (voir, notamment, arrêts du 6 avril 2006, General Motors/Commission, C-551/03 P, Rec. p. I-3173, point 51, et du 22 mai 2008, Evonik Degussa/Commission, C-266/06 P, point 72). |
59 |
Ainsi, la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits. En effet, dès lors que ces preuves ont été obtenues régulièrement, que les principes généraux du droit ainsi que les règles de procédure applicables en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectés, il appartient au seul Tribunal d’apprécier la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments qui lui ont été soumis. Cette appréciation ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation de ces éléments, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (voir, notamment, arrêts précités General Motors/Commission, point 52, et Evonik Degussa/Commission, point 73). |
60 |
Il importe, par ailleurs, de rappeler qu’une dénaturation doit apparaître de façon manifeste des pièces du dossier, sans qu’il soit nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits et des preuves (voir, notamment, arrêts précités General Motors/Commission, point 54, et Evonik Degussa/Commission, point 74). |
61 |
En l’espèce, la FNCBV n’allègue pas que la lecture, faite par le Tribunal, des divers documents qu’elle cite serait entachée d’une inexactitude matérielle. Elle reproche au Tribunal, notamment, de ne pas avoir pris en compte les aspects essentiels de ces documents et de ne pas les avoir replacés dans leur contexte. Force est de constater que, sous couvert de «dénaturation», la FNCBV conteste en réalité l’appréciation faite par le Tribunal du contenu des documents. |
62 |
Par ailleurs, il ressort manifestement des points contestés de l’arrêt attaqué que le Tribunal s’y livre non pas à une lecture du contenu des documents en cause, mais bien à une interprétation de ceux-ci. Aux points 169 à 180 de cet arrêt, contestés par la FNCBV, le Tribunal examine en effet les différents documents et indices, les replace dans leur contexte, les interprète et apprécie la valeur probante de chacun d’entre eux. Au point 185 dudit arrêt, il conclut que, au regard de ces éléments, la Commission a établi à suffisance de droit la preuve de la poursuite de l’application de l’accord du 24 octobre 2001. |
63 |
Le Tribunal étant seul compétent pour interpréter les éléments de preuve et apprécier leur valeur probante, il s’ensuit que le moyen est irrecevable. |
Sur le troisième moyen soulevé par la FNCBV, tiré d’une erreur de droit quant à l’appréciation de la preuve de l’adhésion de cette fédération à l’accord oral
64 |
Par son troisième moyen, divisé en deux branches, la FNCBV soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit, au point 185 de l’arrêt attaqué, en considérant comme prouvé qu’elle avait adhéré à l’accord oral. Selon cette fédération, le Tribunal pouvait la condamner au titre de sa participation à cet accord non pas sur la base d’une présomption, mais en démontrant son adhésion claire à une entente avec les éleveurs, dans un contexte caractérisé par l’expression de la volonté unilatérale de la part des éleveurs d’appliquer la grille des prix minimaux d’achat en tant que revendication syndicale. |
65 |
Par la première branche de ce moyen, la FNCBV fait valoir que le Tribunal a fait une interprétation juridique erronée des éléments retenus pour démontrer la prétendue volonté de cette fédération de poursuivre l’accord du 24 octobre 2001, lesquels n’apportent pas la preuve de sa volonté réelle de continuer à appliquer la grille des prix minimaux d’achat et la suspension des importations après l’expiration de l’accord du 24 octobre 2001. Ladite fédération vise:
|
66 |
Dans la mesure où la FNCBV vise à mettre en cause l’appréciation des faits effectuée par le Tribunal, contestant essentiellement le fait que les éléments retenus aux points 169 à 184 de l’arrêt attaqué suffisent à démontrer son adhésion à la poursuite de l’application de l’accord du 24 octobre 2001 au-delà de la fin du mois de novembre 2001, la première branche de ce moyen doit être déclarée irrecevable, puisqu’elle tend à obtenir un réexamen d’appréciations factuelles pour lequel, ainsi qu’il a été rappelé aux points 58 et 59 du présent arrêt, la Cour n’est pas compétente dans le cadre d’un pourvoi. |
67 |
Par la seconde branche de son troisième moyen, la FNCBV soulève une contradiction de motifs dans l’arrêt attaqué en ce que le Tribunal a estimé que cette fédération avait adhéré à l’accord oral et, en même temps, a considéré comme établi que le comportement reproché à celle-ci résultait de la pression unilatérale des éleveurs. Par cette dernière constatation, le Tribunal aurait, aux points 279 et 289 de l’arrêt attaqué, reconnu le caractère unilatéral des actions violentes des éleveurs. |
68 |
Cette seconde branche du troisième moyen soulevé par la FNCBV doit également être rejetée, car elle se fonde sur une lecture de l’arrêt attaqué qui ne tient pas compte du contexte dans lequel s’insèrent les appréciations en cause faites par le Tribunal, à savoir celui de la prise en compte par la Commission de circonstances aggravantes aux fins de la majoration des amendes infligées à certaines des fédérations d’éleveurs telles que la FNSEA, la FNB et les JA. |
69 |
En effet, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir entaché l’arrêt attaqué d’une contradiction de motifs en l’espèce, étant donné que les circonstances aggravantes reprises aux points 279 et 289 de cet arrêt sont entrées en ligne de compte uniquement après que le degré et les conditions de la participation de chaque fédération en cause à l’accord oral ont été établis sur la base des éléments de preuve examinés par le Tribunal aux points 169 à 184 dudit arrêt, lesquels font l’objet des griefs relevant de la première branche du présent moyen qui a été rejetée au point 66 du présent arrêt. Eu égard à ces éléments de preuve, le Tribunal pouvait, sans nullement se contredire, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 92 de ses conclusions, constater l’existence, en l’occurrence, d’un accord, tout en relevant, par ailleurs, l’exercice de certains actes de pression ou de coercition par les éleveurs. |
70 |
Il convient, dès lors, de rejeter le troisième moyen soulevé par la FNCBV comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé. |
Sur le premier moyen soulevé par la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA, tiré de la dénaturation des éléments de preuve en ce que le Tribunal a omis de prendre en considération deux pièces essentielles démontrant la non-prorogation de l’accord du 24 octobre 2001 au-delà du 30 novembre 2001 ainsi que d’un défaut de motivation sur ce point
71 |
Par leur premier moyen, la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA font valoir que le Tribunal a dénaturé des éléments de preuve qui démontraient que, lorsqu’il y a eu reprise des prix fixés dans la grille des prix minimaux d’achat dans les accords locaux postérieurs au 30 novembre 2001, cela a été la conséquence non pas d’un accord de volonté des fédérations signataires de l’accord du 24 octobre 2001, mais de la pression syndicale exercée au niveau local par les agriculteurs à l’égard des abatteurs. |
72 |
Selon lesdites fédérations, ce serait le cas d’un document envoyé par fax le 11 décembre 2001 par l’un des directeurs de la FNB à une fédération départementale qui contenait la grille des prix minimaux d’achat, accompagnée de la mention «attention, cette grille n’a pas été reconduite par un accord», et d’un communiqué du 12 décembre 2001 de la Fédération régionale des syndicats d’exploitants agricoles de Bretagne dans lequel il est indiqué que «[l]es FDSEA bretonnes, jugeant inacceptable l’évolution actuelle du cours des gros bovins, informent les éleveurs qu’elles ont entrepris une pression syndicale auprès des acheteurs de façon à rétablir des prix équivalents à ceux du mois de novembre». |
73 |
Or, selon la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA, le fait que les deux documents mentionnés au point précédent, que ces fédérations ont transmis au Tribunal après l’audience du 17 mai 2006, ne sont pas mentionnés dans l’arrêt attaqué montre que ce dernier n’en a nullement tenu compte. Elles soutiennent que ces deux documents démontrent que les fédérations de producteurs considéraient que les fédérations d’abatteurs n’étaient plus liées par l’accord du 24 octobre 2001 et que, en conséquence, les producteurs ne pouvaient obtenir les prix figurant dans la grille des prix minimaux d’achat adoptée par cet accord que grâce à une pression syndicale exercée localement. En omettant d’examiner les deux documents en cause, le Tribunal aurait manqué à son obligation de motivation et l’arrêt attaqué serait donc entaché de nullité à ce titre. |
74 |
Il est vrai que, afin de s’acquitter correctement de la tâche d’apprécier les faits du litige, le Tribunal doit examiner avec soin tous les documents qui lui sont soumis par les parties et en tenir compte, y compris ceux qui, comme en l’espèce, ont été versés au dossier à la suite des débats oraux, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure au sens de l’article 64 de son règlement de procédure. Il est également vrai que, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a omis de faire mention des deux documents litigieux, à savoir le fax du 11 décembre 2001 et le communiqué du 12 décembre 2001. |
75 |
Toutefois, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motivation n’impose pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige, la motivation pouvant être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles les mesures en question ont été prises et à la juridiction compétente de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (voir, en ce sens, arrêts du 25 octobre 2001, Italie/Conseil, C-120/99, Rec. p. I-7997, point 28, ainsi que Aalborg Portland e.a./Commission, C-204/00 P, C-205/00 P, C-211/00 P, C-213/00 P, C-217/00 P et C-219/00 P, Rec. p. I-123, point 372). |
76 |
Or, s’agissant d’apprécier si l’accord du 24 octobre 2001 avait été renouvelé de façon orale et en secret au-delà du 30 novembre 2001, le Tribunal a examiné en détail, aux points 164 à 184 de l’arrêt attaqué, à la lumière des arguments invoqués par les fédérations requérantes, les documents sur lesquels la Commission s’était appuyée afin d’adopter la décision litigieuse et dont les fédérations requérantes critiquaient la valeur probante. En particulier, le Tribunal a estimé que la teneur des documents examinés aux points 169 à 184 de l’arrêt attaqué emportait la conviction que, tel que le soutenait la Commission, lors des réunions des 29 novembre et 5 décembre 2001, il a été décidé de reconduire l’accord du 24 octobre 2001. |
77 |
Par ailleurs, le Tribunal a souligné, aux points 186 et 187 de l’arrêt attaqué, que les fédérations d’éleveurs ont poursuivi en secret l’exécution de l’accord du 24 octobre 2001 tout en adoptant une stratégie de communication visant à affirmer publiquement que cet accord n’était pas reconduit et à demander l’application des prix de la grille sous la forme d’une revendication syndicale. |
78 |
Dans ces conditions, le premier moyen soulevé par la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA doit être rejeté comme non fondé. |
Sur le quatrième moyen soulevé par la FNCBV, tiré de l’absence de caractère anticoncurrentiel de l’accord du 24 octobre 2001 et de l’accord oral
79 |
Par son quatrième moyen, soulevé à titre subsidiaire, la FNCBV fait valoir que le Tribunal aurait dû constater l’absence de caractère anticoncurrentiel de l’accord du 24 octobre 2001 en raison du contexte économique dans lequel cet accord est intervenu et que le Tribunal aurait dû procéder à l’analyse des éventuels effets de la prorogation dudit accord. |
80 |
La FNCBV soutient que, aux fins de l’appréciation du caractère anticoncurrentiel de l’accord du 24 octobre 2001, le Tribunal aurait dû prendre en compte le contexte économique. Selon cette fédération, l’affaire a été très particulière en ce sens que le secteur en cause se trouvait dans une situation économique tout à fait exceptionnelle qui avait conduit les autorités communautaires à mettre en place un système d’intervention pour acheter les carcasses de viande et permettre aux éleveurs de subsister. |
81 |
La FNCBV est d’avis que le Tribunal a commis une erreur de droit en estimant que la Commission n’était pas tenue de démontrer la prorogation de l’accord du 24 octobre 2001 à partir de l’examen des effets de celle-ci sur les prix pratiqués durant la période en cause. À cet égard, la FNCBV demande à la Cour de constater l’absence d’effet de cette prorogation en raison de l’absence de respect de la grille des prix minimaux d’achat par les différents abattoirs dans les régions. À cette fin, la FNCBV produit des tableaux qui comprennent les prix pratiqués par les abattoirs des différentes régions de France et qui sont censés démontrer que les prix réellement pratiqués étaient divers d’une région à l’autre et inférieurs pour la majorité d’entre eux aux prix fixés par cette grille après la suspension de l’accord du 24 octobre 2001. |
82 |
Ce moyen ne saurait prospérer car il se fonde sur une lecture erronée des points 81 à 93 de l’arrêt attaqué. |
83 |
En effet, d’abord, au point 82 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que l’engagement de suspension des importations, prévu par l’accord du 24 octobre 2001, avait pour objet de cloisonner le marché national français et de restreindre ainsi le jeu de la concurrence dans le marché unique. Le Tribunal a estimé, aux points 84 et 85 de cet arrêt, que les fédérations ayant conclu cet accord se sont accordées sur une grille de prix minimaux d’achat dont elles s’engageaient à assurer le respect, en limitant la marge de négociation commerciale des éleveurs et des abatteurs et en faussant la formation des prix dans les marchés en cause. |
84 |
Ensuite, le Tribunal a examiné, aux points 86 à 92 de l’arrêt attaqué, le contexte dans lequel l’accord du 24 octobre 2001 avait été conclu. À cet égard, le Tribunal a tenu compte tant de la spécificité des marchés agricoles, auxquels s’appliquent, avec certaines exceptions, les règles de concurrence communautaires, que des conditions de fait et de droit de la mise en œuvre de cet accord dans une situation de crise du secteur bovin. |
85 |
Ainsi, le Tribunal a remarqué que les prix fixés pour une partie substantielle des vaches étaient sensiblement plus élevés que les prix d’intervention fixés par la Commission. Le Tribunal a également estimé que le règlement (CE) no 2790/1999 de la Commission, du 22 décembre 1999, concernant l’application de l’article 81, paragraphe 3, du traité à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées (JO L 336, p. 21), invoqué par les fédérations requérantes, ne trouvait pas à s’appliquer en l’espèce car la production des membres des fédérations d’éleveurs dépassait largement le plafond de 30 % du marché pertinent au-delà duquel ce règlement ne permet pas de bénéficier de l’exemption par catégorie établie en faveur des accords verticaux. |
86 |
Il résulte de cet examen de l’arrêt attaqué que, contrairement aux allégations de la FNCBV, le Tribunal a pris en considération le contexte économique de l’accord du 24 octobre 2001 pour l’appréciation de son caractère anticoncurrentiel. |
87 |
Par ailleurs, il ressort d’une jurisprudence bien établie que, aux fins de l’application de l’article 81, paragraphe 1, CE, la prise en considération des effets concrets d’un accord est superflue, dès qu’il a pour objet de restreindre, d’empêcher ou de fausser le jeu de la concurrence (voir, en ce sens, arrêts du 13 juillet 1966, Consten et Grundig/Commission, 56/64 et 58-64, Rec. p. 429, 496, ainsi que du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C-238/99 P, C-244/99 P, C-245/99 P, C-247/99 P, C-250/99 P à C-252/99 P et C-254/99 P, Rec. p. I-8375, point 491). |
88 |
En l’espèce, le Tribunal ayant conclu que l’objet anticoncurrentiel de l’accord du 24 octobre 2001 était établi, il a jugé à bon droit, au point 93 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’était pas tenue de rechercher les effets concrets des mesures adoptées par cet accord sur le jeu de la concurrence. La prorogation dudit accord au-delà du 30 novembre 2001 ayant également été établie sur la base d’indices documentaires, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en estimant qu’il n’était pas nécessaire de démontrer cette prorogation également à partir de l’examen des effets de celle-ci sur les prix pratiqués pendant la période en cause. |
89 |
Dès lors, le quatrième moyen soulevé par la FNCBV doit être rejeté comme non fondé. |
Sur le troisième moyen soulevé par la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA et sur le cinquième moyen soulevé par la FNCBV, tirés d’une erreur de droit commise par le Tribunal dans l’application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17
90 |
Par leur troisième moyen, la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA, soutenus par la République française, font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qu’il a jugé que le plafond des amendes fixé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 pouvait être calculé en tenant compte du chiffre d’affaires de leurs membres et non de celui de chaque fédération. Les fédérations requérantes soutiennent que ceci constitue un changement radical par rapport à l’exigence précise, objective et justifiée, posée par la jurisprudence, à savoir que la prise en compte du chiffre d’affaires des membres d’une association d’entreprises pour le calcul de ce plafond est soumise à la condition que cette association puisse, en vertu de ses règles internes, engager ses membres. À titre subsidiaire, la République française ajoute que, les fédérations requérantes ne disposant pas du pouvoir d’engager leurs membres, le Tribunal n’aurait pas dû admettre la prise en compte du chiffre d’affaires de ces derniers pour le calcul du plafond de l’amende fixé à ladite disposition sans rechercher si l’accord du 24 octobre 2001 avait effectivement eu une influence sur le marché de la viande bovine. |
91 |
Par la première branche de son cinquième moyen, la FNCBV fait valoir qu’un tel revirement de jurisprudence, qui n’est pas accompagné d’une motivation suffisante, est contraire au principe de sécurité juridique dans la mesure où les entreprises concernées ne pourraient pas distinguer les hypothèses dans lesquelles le plafond de 10 % fixé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 serait apprécié par rapport au chiffre d’affaires d’une association d’entreprises et celles dans lesquelles il serait apprécié vis-à-vis de la somme des chiffres d’affaires des membres de cette association. |
92 |
Il y a lieu de relever que le troisième moyen soulevé par la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA et la première branche du cinquième moyen soulevé par la FNCBV se fondent sur une prémisse erronée qui a été rejetée, à juste titre, par le Tribunal aux points 316 à 319 de l’arrêt attaqué. |
93 |
En effet, il est vrai que, comme le Tribunal l’a rappelé au point 317 dudit arrêt, le plafond de 10 % fixé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 peut, selon une jurisprudence constante, être calculé en prenant en compte le chiffre d’affaires réalisé par l’ensemble des entreprises membres d’une association d’entreprises, à tout le moins lorsque cette association peut engager ses membres. Toutefois, à l’instar de ce que le Tribunal a relevé au point suivant de l’arrêt attaqué, cette jurisprudence n’exclut pas que, dans des cas particuliers, une telle prise en compte puisse également être possible même si l’association d’entreprises concernée ne dispose pas, formellement, du pouvoir d’engager ses membres. |
94 |
La FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA font valoir toutefois que, dans la jurisprudence la plus récente, à savoir au point 66 de l’arrêt Finnboard/Commission, précité, la Cour a exclu clairement la prise en compte du chiffre d’affaires des membres d’une association d’entreprises si celle-ci ne dispose pas de la possibilité d’engager ses membres. |
95 |
Cette lecture dudit arrêt ne saurait être retenue. |
96 |
En effet, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 53 de ses conclusions, il résulte du contexte dans lequel s’insère le point 66 de l’arrêt Finnboard/Commission, précité, que les entreprises membres de l’association à laquelle la Commission avait infligé une amende n’avaient pas été impliquées dans la commission de l’infraction. C’est dans ces conditions que la Cour a jugé que, s’agissant d’infliger une amende à une association d’entreprises, dont le chiffre d’affaires propre n’est pas en rapport avec sa taille ou sa puissance sur le marché, la Commission peut prendre en compte les chiffres d’affaires des entreprises membres de cette association afin de déterminer une sanction qui soit dissuasive, mais que, pour cela, il est requis que ladite association ait, en vertu de ses règles internes, la possibilité d’engager ses membres. |
97 |
En conséquence, ainsi que l’a souligné la Commission, le Tribunal était en droit de considérer que, lorsque, comme en l’espèce, les membres d’une association d’entreprises ont participé activement à la mise en œuvre d’un accord anticoncurrentiel, les chiffres d’affaires de ces membres pouvaient être pris en compte aux fins de la détermination de la sanction, même si l’association en cause, à la différence de la situation visée au point 66 de l’arrêt Finnboard/Commission, précité, ne dispose pas de la possibilité d’engager ses membres. C’est dès lors à bon droit que, au point 319 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé qu’une telle prise en compte est justifiée dans «des cas où l’infraction commise par une association porte sur les activités de ses membres et où les pratiques anticoncurrentielles en cause sont exécutées par l’association directement au bénéfice de ces derniers et en coopération avec ceux-ci, l’association n’ayant pas d’intérêt objectifs présentant un caractère autonome par rapport à ceux de ses membres». |
98 |
En outre, toute autre interprétation irait à l’encontre de la nécessité d’assurer l’effet dissuasif des sanctions infligées en matière d’infractions aux règles de concurrence communautaires. En effet, tel que l’a relevé à bon droit le Tribunal, au point 318 de l’arrêt attaqué, la faculté pour la Commission d’imposer des amendes d’un montant approprié aux auteurs des infractions en cause pourrait, sinon, se voir compromise, dans la mesure où des associations d’entreprises ayant un très petit chiffre d’affaires, mais regroupant, sans pour autant pouvoir les engager formellement, un nombre élevé d’entreprises qui, ensemble, réalisent un chiffre d’affaires important, ne pourraient être sanctionnées que par des amendes très réduites, même si les infractions commises par ces associations pouvaient avoir exercé une influence notable dans les marchés en cause. |
99 |
Contrairement à ce que soutient la FNCBV, il ressort clairement des points 318 à 325 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a motivé celui-ci à suffisance de droit sur ce point. |
100 |
Les fédérations requérantes font valoir également que, aux points 320 à 323 de l’arrêt attaqué, aux fins d’écarter, en l’espèce, l’application de la jurisprudence constante relative aux hypothèses dans lesquelles le plafond de 10 % du chiffre d’affaires fixé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 doit être calculé par rapport au chiffre d’affaires réalisé par l’ensemble des entreprises membres d’une association, le Tribunal a retenu quatre critères à partir des faits de l’espèce, qu’il a qualifiés de «circonstances spécifiques». Il s’agirait des cas dans lesquels l’association d’entreprises en cause a pour mission primordiale de défendre et de représenter les intérêts de ses membres, l’accord anticoncurrentiel en cause porte sur l’activité des membres de cette association et non sur celle de l’association elle-même, cet accord a été conclu au bénéfice des membres de ladite association et ceux-ci ont coopéré à la pratique anticoncurrentielle en cause. |
101 |
Or, selon la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA, d’une part, trois de ces critères sont naturellement présents dans le cas d’une association d’entreprises. D’autre part, les accords locaux et les actions de certains groupes d’éleveurs, mentionnés au point 323 de l’arrêt attaqué, ne prouvent pas la coopération de l’ensemble des membres actifs de ces fédérations sur le marché de la viande bovine, mais démontrent seulement la coopération de certains d’entre eux. Ainsi, la conclusion à laquelle a abouti le Tribunal ne serait pas justifiée par un lien objectif entre lesdites fédérations et l’ensemble de leurs membres et ne reposerait pas sur une participation indirecte desdits membres à la pratique anticoncurrentielle en cause dans le présent litige. |
102 |
Ces arguments se fondent sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué et ne sauraient prospérer. |
103 |
En effet, au point 319 dudit arrêt, le Tribunal a identifié de nouvelles circonstances spécifiques, applicables aux cas d’infractions commises par des associations d’entreprises, venant s’ajouter à celles déjà reconnues par la jurisprudence. En revanche, aux points 320 à 323 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné si, en l’espèce, les fédérations requérantes se trouvaient dans ces circonstances spécifiques, afin de décider si le plafond de 10 % fixé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 devait être déterminé en fonction du chiffre d’affaires de leurs membres plutôt qu’en fonction de celui de ces fédérations. |
104 |
Il convient de relever, d’une part, que la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA ne contestent pas les constatations faites par le Tribunal à leur égard aux points 320 à 322 de l’arrêt attaqué et, d’autre part, que, tel qu’il a été rappelé au point 59 du présent arrêt, l’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (voir arrêts du 19 septembre 2002, DKV/OHMI, C-104/00 P, Rec. p. I-7561, point 22, et du 13 mars 2008, Commission/Infront WM, C-125/06 P, Rec. p. I-1451, point 57). Or, une dénaturation des faits n’est pas invoquée devant la Cour en l’espèce. |
105 |
Selon la FNCBV, deux des quatre éléments cumulatifs requis fixés par le Tribunal ne sont pas remplis dans son cas. Cette fédération fait valoir, en premier lieu, que la signature de l’accord du 24 octobre 2001 ne présentait aucun intérêt pour ses membres, puisqu’il emportait la stipulation de prix minimaux conseillés d’achat du bétail. Cet accord était donc contraire à leur intérêt. En outre, la signature dudit accord n’aurait pas permis de débloquer les abattoirs, puisque les blocages ont continué comme le démontrerait le dossier de la Commission. L’absence d’intérêt des membres de ladite fédération à la signature de l’accord du 24 octobre 2001 serait d’ailleurs confirmée par le très faible nombre d’accords locaux invoqués par la Commission. |
106 |
En second lieu, l’autonomie des intérêts de la FNCBV par rapport à ceux de ses membres se manifesterait non seulement par le fait qu’elle ne dispose pas du pouvoir d’engager ces derniers, mais également par le nombre limité des accords locaux postérieurs à l’accord du 24 octobre 2001. |
107 |
Cet argument ne saurait être accueilli. |
108 |
En effet, l’appréciation des faits relevant de la compétence exclusive du Tribunal, il n’appartient pas à la Cour de vérifier si le Tribunal a conclu à bon droit, au point 322 de l’arrêt attaqué, que l’accord du 24 octobre 2001 avait été arrêté directement au bénéfice des membres de base de la FNCBV et, au point 323 de cet arrêt, que cet accord avait été mis en œuvre notamment par la conclusion d’accords locaux entre des fédérations départementales et des syndicats locaux agricoles, d’une part, et des entreprises d’abattage, d’autre part. |
109 |
La FNCBV soutient encore que ni la Commission ni le Tribunal n’ont démontré qu’il était impossible de rendre les entreprises membres des fédérations requérantes destinataires des décisions de la Commission, de sorte que les amendes soient infligées individuellement à ces membres. Selon la FNCBV, il ressort du point 5, sous c), des lignes directrices que ce n’est que lorsqu’il est impossible d’infliger des amendes individuelles aux membres d’une association d’entreprises que la Commission peut infliger une amende à l’association elle-même, équivalente à la totalité des amendes qu’elle aurait infligé aux membres de celle-ci. Dans la mesure où la Commission et le Tribunal n’auraient pas cherché à motiver l’utilisation des chiffres d’affaires cumulés des membres des fédérations requérantes pour le calcul du montant des amendes infligées à celles-ci, l’arrêt attaqué serait entaché d’illégalité et devrait être annulé. |
110 |
Il convient de constater que cette allégation relative à la violation du point 5, sous c), des lignes directrices a été soulevée par la FNCBV pour la première fois au stade du pourvoi. Ceci constitue dès lors, en vertu de l’article 42, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable en matière de pourvoi conformément à l’article 118 du même règlement, un moyen nouveau, irrecevable dès lors qu’il ne se fonde pas sur des éléments de droit ou de fait s’étant révélés pendant la procédure. |
111 |
Il s’ensuit que le troisième moyen soulevé par la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA et la première branche du cinquième moyen soulevé par la FNCBV doivent être rejetés comme étant en partie irrecevables et en partie non fondés. |
112 |
Par la seconde branche de son cinquième moyen, la FNCBV fait valoir que les motifs invoqués aux points 320 et suivants de l’arrêt attaqué sont en contradiction avec ceux développés aux points 341 et suivants du même arrêt, relatifs à l’application de la règle du non-cumul des sanctions. |
113 |
En effet, au point 341 de l’arrêt attaqué, l’accent serait mis par le Tribunal sur la signature, la participation, la responsabilité, le rôle individuel et même la mise en œuvre de l’accord du 24 octobre 2001 par les fédérations requérantes pour justifier le fait que la sanction a été infligée à celles-ci et non pas à leurs membres. En revanche, aux points 320 et suivants de cet arrêt, l’accent serait mis sur le fait que cet accord ne concernait pas l’activité des fédérations requérantes, que les mesures prises ne les affectaient pas, que ledit accord a été conclu directement au bénéfice des membres de ces fédérations et enfin que ce même accord a été mis en œuvre par les membres desdites fédérations. |
114 |
Ainsi, le Tribunal aurait développé deux motivations contradictoires visant, dans le premier cas, à soutenir que les fédérations requérantes ont eu un rôle direct et actif dans la conclusion et la mise en œuvre de l’accord du 24 octobre 2001 et, dans le second cas, à affirmer que ces fédérations n’ont été que le vecteur transparent de l’action de leurs membres. |
115 |
En outre, en retenant, au point 341 de l’arrêt attaqué, la participation personnelle des fédérations requérantes aux infractions sanctionnées par la décision litigieuse, le Tribunal aurait reconnu implicitement que la prise en compte du chiffre d’affaires de leurs membres pour le calcul du plafond de 10 % du chiffre d’affaires visé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 n’était pas justifiée en l’espèce. |
116 |
La République française considère que l’affirmation faite par le Tribunal au point 343 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la décision litigieuse n’a pas infligé de sanction aux membres de base des fédérations requérantes apparaît en contradiction avec le fait de motiver, au point 319 du même arrêt, la prise en compte du chiffre d’affaires de ces membres pour le calcul dudit plafond de 10 % par le fait que l’accord du 24 octobre 2001 a été conclu directement au bénéfice desdits membres et en coopération avec eux. |
117 |
Ces prétendues contradictions de motifs se fondent sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. Pour cette raison, la seconde branche du cinquième moyen soulevé par la FNCBV ne saurait être accueillie. |
118 |
En effet, il convient de constater que, afin de décider si le plafond de 10 % fixé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 devait être calculé par rapport au chiffre d’affaires de l’ensemble des membres des fédérations requérantes, le Tribunal a vérifié, aux points 320 à 323 de l’arrêt attaqué, si ces dernières se trouvaient dans les circonstances spécifiques identifiées au point 319 de cet arrêt, à savoir si l’infraction commise par ces fédérations portait sur les activités de leurs membres et si les pratiques anticoncurrentielles en cause avaient été exécutées par lesdites fédérations directement au bénéfice de leurs membres et en coopération avec ceux-ci. Dans le cadre de cet exercice, le Tribunal a été amené à se pencher sur la mission des fédérations requérantes, à déterminer l’activité visée par l’accord du 24 octobre 2001 ainsi que les bénéficiaires de cet accord et à examiner les modalités de mise en œuvre de celui-ci. |
119 |
En revanche, aux points 341 à 345 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le moyen relatif à la violation par la Commission du principe de non-cumul des sanctions. À cet égard, d’une part, le Tribunal a établi que la sanction infligée à chaque fédération requérante avait été prononcée en raison de la participation et de la responsabilité propre de chacune dans l’infraction, toutes les fédérations requérantes y ayant participé quoique avec des intensités et des implications différentes. D’autre part, le Tribunal a estimé que la décision litigieuse n’avait pas sanctionné plusieurs fois les mêmes entités ni les mêmes personnes pour les mêmes faits, parce qu’elle n’infligeait pas de sanctions aux membres de base directs ou indirects de ces fédérations. |
120 |
Le Tribunal n’a donc pas entaché son arrêt d’une contradiction de motifs lorsque, sur le fondement de son raisonnement, il a conclu, au point 324 de l’arrêt attaqué, que, aux fins de calculer le plafond de 10 % visé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17, il était justifié de prendre en compte les chiffres d’affaires des membres de base des fédérations requérantes et, au point 344 du même arrêt, que l’identité de contrevenants faisait défaut, dans la mesure où la décision litigieuse n’a pas sanctionné plusieurs fois les mêmes entités ou les mêmes personnes pour les mêmes faits. |
121 |
Il s’ensuit que la seconde branche du cinquième moyen soulevé par la FNCBV doit être rejeté comme non fondé. |
122 |
Par conséquent, le troisième moyen soulevé par la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA et le cinquième moyen soulevé par la FNCBV doivent être rejetés en leur totalité. |
Sur le quatrième moyen soulevé par la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA, tiré de la violation de la règle de non-cumul et du principe de proportionnalité des sanctions en ce que le Tribunal a infligé à chacune de ces fédérations une amende distincte prenant en compte les chiffres d’affaires cumulés de leurs membres communs
123 |
Par leur quatrième moyen, la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA soutiennent que le Tribunal ne pouvait pas, sans violer les principes de non-cumul et de proportionnalité des sanctions et sans se contredire, infliger des amendes distinctes à la FNSEA et à chacune de ses trois sous-fédérations, dont les membres actifs sur le marché de la viande bovine sont communs. Le Tribunal aurait dû constater qu’aucune des quatre fédérations n’avait d’intérêts autonomes par rapport à ceux de leurs membres communs ainsi qu’à ceux des trois autres fédérations et n’aurait pas dû valider le mode de calcul du montant des amendes appliqué par la Commission à chacune des fédérations, qui était basé sur les chiffres d’affaires cumulé desdits membres. |
124 |
Lesdites fédérations font valoir que le Tribunal, afin de justifier le cumul des sanctions, a pris en considération chacune des quatre fédérations requérantes dans le contexte général, c’est-à-dire en tant que personnalités juridiques distinctes ayant leurs propres budgets et des intérêts qui leur sont propres. En revanche, pour justifier le non-dépassement du plafond, il aurait pris en considération chacune de ces fédérations dans le contexte particulier de la conclusion de l’accord du 24 octobre 2001, c’est-à-dire en tant que fédérations ayant toutes les quatre agi dans un seul et même intérêt, à savoir celui de leurs membres communs actifs sur le marché de la viande bovine. Les quatre fédérations requérantes sont d’avis qu’une seule fédération, soit la FNSEA soit la FNB, regroupant chacune l’intégralité des membres communs, pouvait se voir infliger une sanction prenant en compte la capacité financière desdits membres et que la sanction imposée aux trois autres fédérations devrait tenir compte uniquement du montant de leurs propres recettes. |
125 |
La République française estime que, dans la mesure où les membres de base des quatre fédérations requérantes peuvent être communs à plusieurs d’entre elles, le Tribunal a surestimé la puissance économique de ces fédérations. Dès lors, le fait de tenir compte des chiffres d’affaires des membres de chacune des quatre fédérations requérantes pour calculer le plafond des amendes infligées à ces dernières aboutit nécessairement à infliger à celles-ci une amende disproportionnée. |
126 |
Ces arguments, qui ont déjà été avancés en première instance par les mêmes fédérations requérantes, ont été rejetés par le Tribunal aux points 340 à 346 de l’arrêt attaqué. |
127 |
En effet, le Tribunal a rappelé, d’abord, la jurisprudence selon laquelle l’application du principe non bis in idem est soumise à une triple condition d’identité des faits, d’unité de contrevenant et d’unité de l’intérêt juridique protégé, principe qui interdit de sanctionner une même personne plus d’une fois pour un même comportement illicite afin de protéger le même bien juridique et a constaté que, en l’espèce, la Commission avait sanctionné les fédérations requérantes en raison de la participation et du degré de responsabilité propre de chacune de ces fédérations dans l’infraction. |
128 |
Le Tribunal a apprécié, ensuite, que la circonstance que la FNB, la FNPL et les JA sont membres de la FNSEA ne signifie pas que ces fédérations ont été sanctionnées plusieurs fois pour la même infraction, lesdites fédérations ayant des personnalités juridiques indépendantes, des budgets séparés ainsi que des objectifs qui ne coïncident pas toujours et menant à terme leurs actions syndicales respectives en défense d’intérêts qui leur sont propres et spécifiques. |
129 |
Enfin, sur le fondement de sa jurisprudence selon laquelle le fait de prendre en considération le chiffre d’affaires des membres d’une association d’entreprises dans la détermination du plafond de 10 % ne signifie pas qu’une amende leur a été infligée ni même, en soi, que l’association en cause a l’obligation de répercuter sur ses membres la charge de celle-ci (voir arrêt du Tribunal CB et Europay/Commission, précité, point 139), le Tribunal a conclu, au point 343 de l’arrêt attaqué, que, les exploitants agricoles individuels membres indirects des fédérations requérantes n’ayant pas été sanctionnés par la décision litigieuse, le fait que les membres de base de la FNB, de la FNPL et des JA soient aussi membres de la FNSEA n’empêchait pas la Commission de sanctionner individuellement chacune de ces fédérations. |
130 |
Par conséquent, le Tribunal a pu conclure, à bon droit, au point 344 de l’arrêt attaqué, qu’il n’y avait pas eu atteinte au principe non bis in idem, l’identité des contrevenants faisant défaut, ni violation du principe de proportionnalité, les membres directs ou indirects des fédérations requérantes n’ayant pas été doublement frappés d’amendes pour une seule et même infraction. |
131 |
Il s’ensuit que le quatrième moyen soulevé par la FNSEA, la FNB, la FNPL et les JA doit être rejeté comme non fondé. |
Sur le sixième moyen soulevé par la FNCBV, tendant à la réduction du montant de l’amende qui lui a été infligée
132 |
Par son sixième moyen, la FNCBV fait grief au Tribunal d’avoir violé l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17 en fixant l’amende à son encontre à 360000 euros, car cette somme correspond à près de 20 % de son chiffre d’affaires, à savoir le montant de ses recettes, alors que ladite disposition établit le plafond de l’amende susceptible d’être infligée à 10 % du chiffre d’affaires des entreprises contrevenantes. |
133 |
Toutefois, ce moyen se fondant sur la prémisse selon laquelle la Commission n’était pas en droit, pour vérifier si le montant de l’amende infligée excédait le plafond de 10 % du chiffre d’affaires fixé à l’article 15, paragraphe 2, du règlement no 17, de prendre en compte le chiffre d’affaires des membres des fédérations requérantes, il doit être rejeté, dès lors que cette prémisse est, pour les motifs énoncés aux points 92 à 111 du présent arrêt, erronée. |
134 |
Les fédérations requérantes ayant succombé en tous leurs moyens, il y a lieu de rejeter le pourvoi dans son ensemble. |
Sur les dépens
135 |
Aux termes de l’article 122, premier alinéa, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, dudit règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. |
136 |
La Commission ayant conclu à la condamnation des fédérations requérantes et ces dernières ayant succombé en leurs moyens, il y a lieu de les condamner aux dépens. |
137 |
La République française supporte ses propres dépens. |
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête: |
|
|
|
Signatures |
( *1 ) Langue de procédure: le français.