Affaire C-281/06
Hans-Dieter Jundt et Hedwig Jundt
contre
Finanzamt Offenburg
(demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesfinanzhof)
«Libre prestation des services — Activité d’enseignement à titre accessoire — Notion de 'rémunération' — Indemnités pour frais professionnels — Réglementation en matière d’exonération fiscale — Conditions — Rémunération versée par une université nationale»
Conclusions de l'avocat général M. M. Poiares Maduro, présentées le 10 octobre 2007
Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 18 décembre 2007
Sommaire de l'arrêt
1. Libre prestation des services — Dispositions du traité — Champ d'application
(Art. 45, al. 1, CE, 49 CE et 50 CE)
2. Libre prestation des services — Restrictions — Législation fiscale
(Art. 49 CE)
1. Une activité d’enseignement exercée par un contribuable d’un État membre au service d’une personne morale de droit public, telle qu'une université, située dans un autre État membre relève du champ d’application de l’article 49 CE même si elle est exercée à titre accessoire et quasi bénévole.
En effet, le facteur déterminant faisant relever une activité du champ d'application des dispositions du traité relatives à la libre prestation de services est son caractère économique, à savoir que l'activité ne doit pas être exercée sans contrepartie. En revanche, il n'est pas nécessaire, à cet égard, que le prestataire des services poursuive le but de réaliser un bénéfice. En outre, le fait qu'une activité d'enseignement rémunérée soit exercée pour le compte d'une université, personne morale de droit public, n'a pas pour effet de soustraire le service rendu du champ d'application de l'article 49 CE, dès lors que les activités civiles d'enseignement à l'université n'entrent pas dans le champ d'application de la dérogation prévue à l'article 45, premier alinéa, CE, en liaison avec l'article 50 CE, celle-ci étant restreinte aux activités qui, prises en elles-mêmes, constituent une participation directe et spécifique à l'exercice de l'autorité publique.
(cf. points 32-33, 35, 37-39, disp. 1)
2. La restriction à la libre prestation des services qui réside dans le fait qu'une réglementation nationale réserve l'application d'une exonération d'impôt sur le revenu aux rémunérations versées, en contrepartie d'une activité d'enseignement exercée à titre accessoire, par des universités, personnes morales de droit public, établies sur le territoire national et la refuse lorsque ces rémunérations sont versées par une université établie dans un autre État membre n'est pas justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général.
En effet, une telle réglementation qui s'applique de la même manière aux ressortissants nationaux et étrangers qui exercent des activités auprès de personnes morales de droit public nationales, institue un traitement moins favorable des services fournis à des destinataires situés dans d'autres États membres par rapport au traitement réservé à ceux rendus sur le territoire national. Ladite restriction à la libre prestation des services ne peut être justifiée par la promotion de l'enseignement, de la recherche et du développement dans la mesure où elle porte atteinte à la liberté des enseignants exerçant leur activité à titre accessoire de choisir le lieu de leurs prestations de services au sein de la Communauté sans qu'il ait été établi que, pour atteindre l'objectif allégué de promotion de l'enseignement, il soit nécessaire de réserver le bénéfice de l'exonération fiscale en cause au principal aux seuls contribuables qui exercent une activité accessoire d'enseignement dans des universités situées sur le territoire national. En outre, cette restriction ne saurait être justifiée par la nécessité d'assurer la cohérence du régime fiscal, dès lors qu'il n'existe pas de lien direct, du point de vue du régime fiscal, entre l'exonération fiscale des indemnités pour frais professionnels versées par des universités nationales et une compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé.
Par ailleurs, le fait que les États membres sont compétents pour décider eux-mêmes de l'organisation de leur système éducatif n'est pas de nature à rendre compatible avec le droit communautaire ladite réglementation qui réserve le bénéfice d'une exonération fiscale aux contribuables exerçant des activités au service ou pour le compte d'universités publiques nationales. Cette réglementation n'est pas une mesure portant sur le contenu de l'enseignement ou relative à l'organisation du système éducatif, mais une mesure fiscale de nature générale qui octroie un avantage fiscal lorsqu'un particulier se consacre à des activités au bénéfice de la collectivité. Même si une telle réglementation constituait une mesure liée à l'organisation du système éducatif, elle n'en demeurerait pas moins incompatible avec le traité dans la mesure où elle affecte le choix des enseignants exerçant leur activité à titre accessoire quant au lieu de leurs prestations de services.
(cf. points 54, 56-57, 61, 69, 71, 73, 83-85, 88-89, disp. 2-3)
ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
18 décembre 2007 (*)
«Libre prestation des services – Activité d’enseignement à titre accessoire – Notion de ‘rémunération’ – Indemnités pour frais professionnels – Réglementation en matière d’exonération fiscale – Conditions – Rémunération versée par une université nationale»
Dans l’affaire C‑281/06,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Bundesfinanzhof (Allemagne), par décision du 1er mars 2006, parvenue à la Cour le 28 juin 2006, dans la procédure
Hans-Dieter Jundt,
Hedwig Jundt
contre
Finanzamt Offenburg,
LA COUR (troisième chambre),
composée de M. A. Rosas (rapporteur), président de chambre, MM. J. N. Cunha Rodrigues, J. Klučka, Mme P. Lindh et M. A. Arabadjiev, juges,
avocat général: M. M. Poiares Maduro,
greffier: M. R. Grass,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées:
– pour M. et Mme Jundt, par Me H.-D. Jundt, Rechtsanwalt,
– pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma, en qualité d’agent,
– pour la Commission des Communautés européennes, par MM. E. Traversa et W. Mölls, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 10 octobre 2007,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 59 du traité CEE (devenu article 59 du traité CE, lui-même devenu, après modification, article 49 CE) et 128 du traité CEE (devenu, après modification, article 126 du traité CE, lui-même devenu article 149 CE).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. et Mme Jundt (ci-après les «époux Jundt»), résidant en Allemagne, au Finanzamt Offenburg à propos du refus de ce dernier de prendre en compte, au titre des recettes exonérées de l’impôt sur le revenu pour l’exercice fiscal 1991, des indemnités pour frais professionnels perçues à l’occasion de l’exercice à titre accessoire d’une activité d’enseignement auprès d’une université établie dans un autre État membre, la législation nationale en matière d’impôt sur le revenu réservant l’application de cette exonération aux rémunérations provenant d’organismes de droit public allemands.
Le cadre juridique national
3 L’article 1er, paragraphe 1, première phrase, de la loi relative à l’impôt sur le revenu, dans sa version applicable à la date des faits au principal (Einkommensteuergesetz, ci-après l’«EStG»), dispose que les personnes physiques qui ont leur domicile ou leur résidence habituelle en Allemagne sont intégralement assujetties à l’impôt sur le revenu.
4 Selon l’article 2, paragraphe 2, de l’EStG, les revenus sont constitués soit par le bénéfice, soit par l’excédent des recettes sur les charges professionnelles.
5 L’article 3, point 26, de l’EStG, qui figure dans la section de cette loi consacrée aux «recettes exonérées», est rédigé comme suit:
«Sont exonéré(e)s:
[...]
26. les indemnités pour frais professionnels pour les activités accessoires d’enseignement, de formateur, d’éducateur ou d’autres activités accessoires comparables, activités accessoires de nature artistique ou de soins aux personnes âgées, malades ou handicapées exercées au service ou pour le compte d’une personne morale nationale de droit public ou d’une institution relevant de l’article 5, paragraphe 1, point 9, de la loi relative à l’impôt des personnes morales (Körperschaftssteuergesetz) et visant à promouvoir des objectifs d’utilité publique, de philanthropie ou d’Église [articles 52 à 54 du code des impôts (Abgabenordnung)]. Sont considérées comme des indemnités pour frais professionnels, les recettes perçues pour les activités décrites à la première phrase d’un montant allant jusqu’à 2 400 DEM par an […]»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
6 Les époux Jundt sont imposés conjointement au titre de l’impôt sur le revenu en Allemagne. Exerçant à titre principal la profession d’avocat en Allemagne, où il réside, M. Jundt a, en 1991, donné 16 heures de cours à l’université de Strasbourg, pour lesquelles il a perçu un montant brut de 5 760 FRF (ce qui correspondait à 1 612 DEM).
7 Dans l’avis d’imposition pour l’exercice fiscal 1991, le Finanzamt Offenburg a soumis ce montant brut à l’impôt sur le revenu.
8 Les époux Jundt ont soutenu que ce montant devait être exonéré d’impôt sur le revenu conformément à l’article 3, point 26, de l’EStG. Ils estiment contraire au droit communautaire de restreindre l’application de cette exonération aux rémunérations versées par des organismes de droit public allemands.
9 Leur réclamation contre la décision du Finanzamt Offenburg et leur recours devant le Finanzgericht étant restés vains, les époux Jundt ont introduit un recours en «Revision» devant le Bundesfinanzhof.
10 Le Bundesfinanzhof observe que M. Jundt aurait pu bénéficier de l’exonération prévue à l’article 3, point 26, de l’EStG s’il avait exercé son activité dans une université, personne morale de droit public, allemande et non dans celle d’un autre État membre. Pour déterminer si une telle réglementation est ou non compatible avec les dispositions du droit communautaire relatives à la libre prestation des services, il estime nécessaire de poser trois questions préjudicielles.
11 D’abord, il se demande si une activité exercée à titre accessoire en tant qu’enseignant au service d’une université relève du champ d’application des dispositions en matière de libre prestation des services dans la mesure où il n’est pas certain que les sommes susceptibles d’être exonérées en vertu de l’article 3, point 26, de l’EStG constituent une véritable rémunération. Selon cette disposition, les recettes exonérées ont un caractère d’«indemnité pour frais professionnels», ce qui semble impliquer qu’il s’agit d’une simple indemnisation des frais liés à l’exercice de l’activité visée.
12 Ensuite, le Bundesfinanzhof se demande si, le cas échéant, la restriction à la libre prestation des services résultant de l’article 3, point 26, de l’EStG pourrait être justifiée. Il considère qu’il pourrait exister un intérêt légitime à limiter l’avantage fiscal aux seules activités effectuées au service ou pour le compte de personnes morales de droit public allemandes.
13 Selon le Bundesfinanzhof, cette justification pourrait être trouvée dans la cohérence du régime fiscal national, comme la Cour l’a reconnu dans les arrêts du 28 janvier 1992, Bachmann (C-204/90, Rec. p. I-249), et Commission/Belgique (C-300/90, Rec. p. I-305). Il estime que, dans l’affaire au principal, il existe un lien direct entre, d’une part, l’activité d’enseignement en faveur d’une personne morale de droit public allemande et, d’autre part, l’exonération d’impôt sur le revenu. Cet avantage fiscal ne serait octroyé qu’en raison du fait que le contribuable fournit une prestation déterminée à titre quasi bénévole en faveur de la communauté qui lève l’impôt et qu’il la décharge ainsi de certaines tâches. Si le contribuable ne fournissait pas cette prestation, l’administration fiscale devrait théoriquement augmenter l’impôt afin de financer les dépenses liées à l’enseignement qui seraient alors plus élevées. Selon le Bundesfinanzhof, l’article 3, point 26, de l’EStG se fonde sur une relation réciproque consistant en un renoncement à l’impôt en contrepartie de la fourniture d’une prestation.
14 Enfin, dans la mesure où des activités d’enseignement sont concernées, le Bundesfinanzhof se demande si une réglementation telle que celle en cause au principal ne s’inscrit pas dans le cadre d’une liberté qui aurait été explicitement laissée aux États membres par le traité CE, en l’occurrence la liberté d’organiser l’enseignement sous leur responsabilité. Cette liberté comprenant, selon lui, non seulement l’obligation de prévoir le financement du système d’enseignement national, mais également la possibilité de limiter aux activités «nationales» les mesures fiscales visant à encourager l’enseignement, il serait enclin à conclure à l’absence d’atteinte à la libre prestation des services. Sa troisième question concerne l’incidence de l’article 126 du traité CE sur la constatation d’une restriction non justifiée à la libre prestation des services.
15 Dans ces conditions, le Bundesfinanzhof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) Convient-il d’interpréter l’article 59 du traité CE […] en ce sens que son champ d’application vise également l’activité exercée à titre accessoire en tant qu’enseignant au service ou pour le compte d’une personne morale de droit public (université) lorsque, pour cette activité exercée à titre quasi bénévole, seule une indemnité pour frais professionnels est versée?
2) En cas de réponse affirmative à la première question: la restriction à la libre prestation des services qui réside dans le fait que les indemnités ne sont exonérées de l’impôt que si elles sont payées par des personnes morales de droit public nationales (en l’espèce, l’article 3, point 26, de l’EStG) est-elle justifiée par le fait que l’avantage fiscal national trouve son seul fondement dans le fait que l’activité est exercée en faveur d’une personne morale de droit public nationale?
3) En cas de réponse négative à la deuxième question: convient-il d’interpréter l’article 126 du traité CE […] en ce sens qu’il autorise une réglementation fiscale qui (comme, en l’espèce, l’article 3, point 26, de l’EStG) concourt à l’organisation de l’enseignement, en la complétant, eu égard à la responsabilité que les États membres conservent en la matière?»
Sur les questions préjudicielles
16 Il y a lieu de constater, à titre liminaire, que, compte tenu de la circonstance que les faits à l’origine du litige au principal se sont déroulés avant le 1er novembre 1993, soit à une date antérieure à celle de l’entrée en vigueur du traité sur l’Union européenne, signé à Maastricht le 7 février 1992, l’interprétation demandée par la juridiction de renvoi porte en réalité sur les articles 59 et 128 du traité CEE et non sur les articles 59 et 126 du traité CE.
17 Ainsi que l’a indiqué à juste titre la Commission des Communautés européennes dans ses observations écrites, cette circonstance n’est pas déterminante pour la réponse à apporter à la juridiction de renvoi.
18 En effet, d’une part, la teneur du principe de la libre prestation des services n’a pas, en substance, été modifiée par les traités de Maastricht et d’Amsterdam.
19 D’autre part, l’article 128 du traité CEE est relatif à la formation professionnelle, dont relève l’enseignement universitaire (voir arrêts du 2 février 1988, Blaizot e.a., 24/86, Rec. p. 379, points 15 à 20; du 30 mai 1989, Commission/Conseil, 242/87, Rec. p. 1425, point 25; du 7 juillet 2005, Commission/Autriche, C-147/03, Rec. p. I-5969, point 33, et du 11 janvier 2007, Lyyski, C-40/05, Rec. p. I-99, point 29). Dans la mesure où l’article 126 du traité CE a été essentiellement invoqué en raison de la compétence dont disposent les États membres pour le contenu de l’enseignement et l’organisation du système éducatif ainsi que des objectifs de la politique communautaire dans le secteur de l’enseignement, il faut relever que, à la date des faits au principal, les États membres étaient compétents pour l’organisation de l’éducation et la politique de l’enseignement, ainsi qu’il ressort de l’arrêt du 13 février 1985, Gravier (293/83, Rec. p. 593, point 19), et que la politique communautaire dans le secteur de l’enseignement visait déjà à faciliter la mobilité des enseignants.
20 Cela étant précisé, les dispositions pertinentes du traité seront désignées dans leur version en vigueur après le 1er mai 1999.
Sur la première question
21 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande en substance si une activité d’enseignement exercée par un contribuable d’un État membre au service d’une personne morale de droit public, en l’occurrence une université, située dans un autre État membre, relève du champ d’application de l’article 49 CE même si elle est exercée à titre accessoire et quasi bénévole.
Observations soumises à la Cour
22 Les époux Jundt, le gouvernement allemand et la Commission considèrent que les activités exercées, à titre accessoire, en tant qu’enseignant auprès d’une université constituent une prestation de services au sens de l’article 50 CE, à savoir une activité économique exercée en règle générale en contrepartie d’une rémunération.
23 Les époux Jundt relèvent que l’article 3, point 26, de l’EStG définit lui-même les «indemnités pour frais professionnels» comme «des recettes» et que, dans la version actuelle de cette disposition, figure non plus la qualification d’«indemnités pour frais professionnels», mais celle de «recettes pour activités professionnelles accessoires».
24 Selon le gouvernement allemand, le champ d’application de l’article 49 CE vise également les activités exercées à titre accessoire et quasi bénévole en tant qu’enseignant au service ou pour le compte d’une personne morale de droit public telle qu’une université, en contrepartie d’une indemnité pour frais professionnels. Ces activités économiques auraient la particularité d’avoir pour objectif non pas la réalisation de bénéfices, mais la simple compensation des dépenses exposées.
25 La Commission observe que les doutes du Bundesfinanzhof concernant l’existence d’une rémunération se fondent sur l’utilisation, par la disposition nationale en cause au principal, de l’expression «indemnité pour frais professionnels», qui suggère un paiement ne dépassant pas le montant des frais engagés et l’absence de bénéfice. Or, selon la Commission, un paiement ne perd pas son caractère de «rémunération» uniquement parce qu’il ne permet pas la réalisation d’un bénéfice. Les termes de l’article 50 CE exigeraient uniquement, pour attester de la présence d’une activité économique, le versement d’une rémunération et non l’existence d’un bénéfice.
26 La Commission soutient que, en tout état de cause, l’affaire au principal et la réglementation en cause au principal ne concernent pas une rémunération qui serait limitée à la couverture des frais engagés. En effet, si le paiement effectué par l’université de Strasbourg s’était limité à la couverture des frais supportés par M. Jundt pour mener à bien ses activités d’enseignement, ce dernier ne se serait pas prévalu de l’article 3, point 26, de l’EStG pour demander l’exonération des sommes perçues puisque l’application des règles habituelles de l’EStG aurait déjà conduit à la non-imposition de son activité.
27 Selon la Commission, l’article 3, point 26, de l’EStG confère précisément un avantage fiscal au contribuable lorsque les recettes sont supérieures aux frais et qu’il lui reste donc un revenu net, c’est-à-dire un «bénéfice».
Réponse de la Cour
28 Afin de déterminer si une activité telle que celle en cause au principal relève du champ d’application de l’article 49 CE, il convient, en premier lieu, de rappeler que la notion de «services» au sens de l’article 50, premier alinéa, CE implique qu’il s’agit de «prestations fournies normalement contre rémunération» (arrêt du 22 mai 2003, Freskot, C‑355/00, Rec. p. I-5263, point 54).
29 À cet égard, il a déjà été jugé que, au sens de cette dernière disposition, la caractéristique essentielle de la rémunération réside dans le fait que celle-ci constitue la contrepartie économique de la prestation en cause (voir, notamment, arrêts du 27 septembre 1988, Humbel, 263/86, Rec. p. 5365, point 17; du 26 juin 2003, Skandia et Ramstedt, C-422/01, Rec. p. I-6817, point 23; du 11 septembre 2007, Schwarz et Gootjes-Schwarz, C-76/05, non encore publié au Recueil, point 38, ainsi que Commission/Allemagne, C-318/05, non encore publié au Recueil, point 67).
30 En deuxième lieu, il faut relever que la Cour a exclu de la notion de «services» au sens de l’article 50 CE les cours dispensés par certains établissements qui font partie d’un système d’enseignement public et qui sont financés, entièrement ou principalement, par des fonds publics (voir, en ce sens, arrêts Humbel, précité, point 18, ainsi que du 7 décembre 1993, Wirth, C-109/92, Rec. p. I-6447, points 15 et 16). La Cour a ainsi précisé que, en établissant et en maintenant un tel système d’enseignement public, financé en règle générale par le budget public et non par les élèves ou leurs parents, l’État n’entendait pas s’engager dans des activités rémunérées, mais accomplissait sa mission dans les domaines social, culturel et éducatif envers sa population (voir arrêt Schwarz et Gootjes-Schwarz, précité, point 39).
31 Toutefois, l’affaire au principal n’a pas trait à l’activité d’enseignement des universités elles-mêmes, financées par le budget public. Au contraire, ladite affaire, de même que la réglementation nationale en cause au principal, concerne des prestations fournies à titre accessoire par des personnes physiques auxquelles les universités font appel pour remplir leur mission. Le paiement de ces prestations peut représenter une rémunération de la part de l’université concernée.
32 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 12 de ses conclusions, le facteur déterminant faisant relever une activité du champ d’application des dispositions du traité relatives à la libre prestation de services est son caractère économique, à savoir que l’activité ne doit pas être exercée sans contrepartie.
33 En revanche, contrairement à ce que semble estimer la juridiction de renvoi, il n’est pas nécessaire, à cet égard, que le prestataire poursuive le but de réaliser un bénéfice (voir, notamment, arrêt du 12 juillet 2001, Smits et Peerbooms, C‑157/99, Rec. p. I‑5473, points 50 et 52).
34 Il en résulte que l’affaire au principal, de même que l’article 3, point 26, de l’EStG, concerne des services fournis contre «rémunération». La somme que M. Jundt a reçue de l’université, pour son activité d’enseignant, à supposer même que celle-ci ait été exercée à titre quasi bénévole, constitue une rémunération au sens de l’article 50 CE, c’est-à-dire une contrepartie de la prestation qu’il a fournie.
35 En dernier lieu, le fait que l’activité d’enseignement soit exercée pour le compte d’une université, personne morale de droit public, n’a pas pour effet de soustraire le service rendu du champ d’application de l’article 49 CE.
36 La juridiction de renvoi émet des doutes à cet égard, se demandant si des prestations accomplies au service ou pour le compte d’une institution de droit public et pouvant relever du champ d’application de l’article 45 CE, qu’il convient également de prendre en considération dans le cadre de la libre prestation de services, constituent des prestations de services. D’après la juridiction de renvoi, ces prestations sont à considérer comme «semi-publiques» et relèvent des activités de droit public de l’État.
37 Il importe, à cet égard, d’indiquer que si, aux termes de l’article 45, premier alinéa, CE, en liaison avec l’article 50 CE, la libre prestation des services ne s’étend pas aux activités participant dans un État membre, même à titre occasionnel, à l’exercice de l’autorité publique, cette dérogation doit toutefois être restreinte aux activités qui, prises en elles-mêmes, constituent une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique (voir, notamment, arrêts du 21 juin 1974, Reyners, 2/74, Rec. p. 631, point 45; du 31 mai 2001, Commission/Italie, C-283/99, Rec. p. I-4363, point 20, et du 30 mars 2006, Servizi Ausiliari Dottori Commercialisti, C-451/03, Rec. p. I‑2941, point 46).
38 Or, il résulte de la jurisprudence de la Cour concernant l’article 39, paragraphe 4, CE que les activités civiles d’enseignement à l’université n’entrent pas dans le champ d’application de cette dérogation (voir, en ce sens, arrêts du 30 mai 1989, Allué et Coonan, 33/88, Rec. p. 1591, point 7, ainsi que du 2 juillet 1996, Commission/Grèce, C-290/94, Rec. p. I‑3285, point 34).
39 Il y a lieu, par conséquent, de répondre à la première question posée qu’une activité d’enseignement exercée par un contribuable d’un État membre au service d’une personne morale de droit public, en l’occurrence une université, située dans un autre État membre relève du champ d’application de l’article 49 CE même si elle est exercée à titre accessoire et quasi bénévole.
Sur la deuxième question
40 Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande en substance si la restriction à la libre prestation des services qui réside dans le fait qu’une réglementation nationale réserve l’application d’une exonération d’impôt sur le revenu aux rémunérations versées, en contrepartie d’une activité d’enseignement exercée à titre accessoire, par des universités, personnes morales de droit public, établies sur le territoire national, et la refuse lorsque ces rémunérations sont versées par une université établie dans un autre État membre est justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. La juridiction de renvoi vise particulièrement à cet égard le fait que cet avantage fiscal trouve son seul fondement dans la circonstance que cette activité est exercée en faveur d’une personne morale de droit public nationale.
Observations soumises à la Cour
41 Selon les époux Jundt et la Commission, le fait que lesdites rémunérations ne sont exonérées que si elles sont versées par des universités publiques situées sur le territoire national et ne bénéficient pas de cette exonération si elles sont versées par des universités publiques établies dans d’autres États membres est constitutif d’une restriction à la libre prestation des services non justifiée par un intérêt public légitime.
42 En premier lieu, la restriction apportée par la réglementation en cause au principal ne pourrait pas être justifiée par son objectif, qui serait d’assurer la disponibilité des enseignants pour exercer leur activité à titre accessoire et d’encourager de la sorte le secteur de la formation ou de l’enseignement.
43 Les époux Jundt estiment pertinent, à cet égard, l’arrêt du 10 mars 2005, Laboratoires Fournier (C-39/04, Rec. p. I-2057). Au point 23 de cet arrêt, la Cour a jugé que la promotion de la recherche et du développement ne saurait justifier une mesure nationale qui refuse un avantage fiscal à toute opération de recherche non effectuée dans l’État membre concerné. En effet, une telle mesure serait directement contraire à l’objectif de la politique communautaire dans le domaine de la recherche et du développement technologique, défini à l’article 163, paragraphe 2, CE.
44 De la même manière, il serait contraire aux objectifs de la Communauté européenne en matière de formation de refuser d’accorder à un enseignant exerçant son activité à titre accessoire des avantages fiscaux qui pourraient promouvoir sa disponibilité. En effet, selon l’article 149 CE, la coopération entre les États membres en ce qui concerne la formation et la mobilité des étudiants et des enseignants doit être encouragée. De manière indirecte, le refus d’accorder l’exonération fiscale en cause au principal inciterait un enseignant exerçant à titre accessoire à n’enseigner que dans des universités nationales.
45 En second lieu, une réglementation telle que celle en cause au principal ne pourrait pas, contrairement à ce que semble estimer la juridiction de renvoi, être justifiée, au titre de la cohérence du régime fiscal allemand, par le fait que l’avantage fiscal en cause produirait des effets positifs sur l’offre d’enseignement des universités nationales.
46 De fait, la jurisprudence de la Cour confirmerait que la justification tirée de la nécessité de préserver la cohérence du régime fiscal national, qui a été admise dans les arrêts précités Bachmann et Commission/Belgique, doit être interprétée strictement. Or, les conditions fixées par la jurisprudence résultant dudit arrêt Bachmann ne seraient pas réunies en l’espèce, car l’avantage fiscal en cause au principal, à savoir l’exonération de l’«indemnité pour frais professionnels», ne serait pas contrebalancé par un prélèvement fiscal déterminé. La circonstance que l’exonération des indemnités pour frais professionnels puisse conférer indirectement des avantages à l’État allemand ne permettrait pas d’établir une cohérence du régime fiscal national et ne pourrait donc justifier une réglementation telle que celle en cause au principal.
47 Selon le gouvernement allemand, une restriction à la libre prestation de services peut, certes, résulter du fait qu’un enseignant qui exerce son activité à titre accessoire auprès d’une université établie dans un autre État membre en contrepartie d’une indemnité pour frais professionnels ne bénéficie pas de l’avantage fiscal en cause au principal. Toutefois, cette restriction serait justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général liées à la promotion de l’enseignement, de la recherche et du développement.
48 Ce gouvernement fait valoir, à cet égard, que l’article 3, point 26, de l’EStG incite les enseignants exerçant leur activité à titre accessoire à offrir leurs services de manière quasi bénévole auprès des institutions que cette disposition mentionne en contrepartie d’une rémunération modique prenant la forme d’une indemnité pour frais professionnels.
49 Ladite disposition aurait donc pour objectif de soutenir, au moyen d’exonérations fiscales en faveur des citoyens exerçant des activités extraprofessionnelles, les personnes morales de droit public qu’elle énumère, en l’occurrence, les universités. Elle aurait pour objectif et pour effet de mettre à la disposition des universités des enseignants à un prix avantageux. Elle serait justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général, à savoir la promotion de l’enseignement, de la recherche et du développement. Elle serait appropriée et nécessaire pour atteindre le but poursuivi.
50 En tout état de cause, le gouvernement allemand considère qu’il n’existe pour la République fédérale d’Allemagne aucune obligation de soutien des universités des autres États membres. L’organisation de l’enseignement, de même que la fiscalité directe, continuant de relever de la compétence des États membres, chaque État membre devrait pouvoir, dans ces domaines, garder un pouvoir d’appréciation quant au contenu de ses règles nationales.
51 L’article 149, paragraphe 1, CE exprimerait clairement le fait que la Communauté exerce son action dans le domaine de l’éducation «en respectant pleinement la responsabilité des États membres pour le contenu de l’enseignement et l’organisation du système éducatif». Le gouvernement allemand en déduit que les États membres peuvent régir de manière autonome sur leur territoire l’organisation de leur système éducatif et, partant, l’organisation des activités d’enseignement dans leurs universités. La République fédérale d’Allemagne ayant peu d’influence sur l’organisation des institutions d’enseignement relevant des autres États membres, elle ne pourrait être tenue de subventionner leur fonctionnement en renonçant à l’argent du contribuable qui lui revient.
Réponse de la Cour
52 Selon une jurisprudence constante, l’article 49 CE s’oppose à l’application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre les États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre (arrêts du 5 octobre 1994, Commission/France, C-381/93, Rec. p. I-5145, point 17; du 28 avril 1998, Kohll, C-158/96, Rec. p. I-1931 point 33; Smits et Peerbooms, précité, point 61; du 3 octobre 2002, Danner, C-136/00, Rec. p. I-8147, point 29, ainsi que du 8 septembre 2005, Mobistar et Belgacom Mobile, C-544/03 et C-545/03, Rec. p. I-7723, point 30).
53 À cet égard, il n’a pas été contesté devant la Cour que, si une activité d’enseignement exercée à titre accessoire, telle que celle en cause au principal, relève du champ d’application des dispositions du traité relatives à la libre prestation des services, une réglementation nationale telle que l’article 3, point 26, de l’EStG restreint la liberté de M. Jundt, telle que garantie par l’article 49 CE, de fournir ses services dans un autre État membre dans la mesure où elle le prive d’un avantage fiscal dont il bénéficierait s’il offrait les mêmes services dans son propre État membre.
54 La juridiction de renvoi expose d’ailleurs elle-même que la réglementation nationale en cause au principal, qui s’applique de la même manière aux ressortissants nationaux et étrangers qui exercent des activités auprès de personnes morales de droit public nationales, institue un traitement moins favorable des services fournis à des destinataires situés dans d’autres États membres par rapport au traitement réservé à ceux rendus sur le territoire national et constitue une restriction à la libre prestation des services.
55 Il y a lieu d’examiner si pareille restriction à la libre prestation des services peut être objectivement justifiée.
56 Dans ce contexte, il convient, en premier lieu, de rechercher si, comme le soutient le gouvernement allemand, la restriction prévue dans la réglementation nationale est justifiée par la raison impérieuse d’intérêt général que constituerait la promotion de l’enseignement, de la recherche et du développement.
57 Une telle argumentation ne saurait être retenue.
58 À supposer même que l’objectif de promotion de l’enseignement constitue une raison impérieuse d’intérêt général, il n’en demeure pas moins que, pour qu’une mesure restrictive soit justifiée, elle doit respecter le principe de proportionnalité, en ce sens qu’elle doit être propre à garantir la réalisation de l’objectif qu’elle poursuit et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêts du 26 septembre 2000, Commission/Belgique, C-478/98, Rec. p. I-7587, point 41, et du 4 mars 2004, Commission/France, C-334/02, Rec. p. I-2229, point 28).
59 Au point 23 de l’arrêt Laboratoires Fournier, précité, la Cour a certes jugé qu’il ne pouvait être exclu que la promotion de la recherche et du développement constitue une raison impérieuse d’intérêt général. Elle a, toutefois, rejeté l’argument selon lequel un État membre ne saurait être tenu de promouvoir la recherche dans un autre État membre et a considéré qu’une réglementation nationale qui réserve le bénéfice d’un crédit d’impôt aux seules opérations de recherche réalisées dans l’État membre concerné était constitutive d’une restriction à la libre prestation de services. La Cour a jugé une telle réglementation directement contraire à l’objectif de la politique communautaire dans le domaine de la recherche et du développement technologique, laquelle, conformément à l’article 163, paragraphe 2, CE, vise en particulier à l’élimination des obstacles fiscaux à la coopération dans le domaine de la recherche.
60 Il importe, dans le cadre de l’affaire au principal, de rappeler que l’article 149, paragraphe 1, CE prévoit que «la Communauté contribue au développement d’une éducation de qualité en encourageant la coopération entre États membres et, si nécessaire, en appuyant et en complétant leur action» tandis que l’article 149, paragraphe 2, CE énonce que «l’action de la Communauté vise [...] à favoriser la mobilité des étudiants et des enseignants».
61 Une réglementation d’un État membre telle que celle en cause au principal est contraire à ces objectifs dans la mesure où elle décourage les enseignants exerçant leur activité à titre accessoire de jouir de leurs libertés fondamentales pour offrir leurs services dans un autre État membre en leur refusant un avantage fiscal dont ils auraient bénéficié s’ils avaient fourni les mêmes services sur le territoire national.
62 La Cour a déjà souligné l’importance de ces objectifs, dans le contexte de l’article 18 CE. Après avoir rappelé que les facilités ouvertes par le traité en matière de circulation des citoyens de l’Union ne pourraient produire leurs pleins effets si un ressortissant d’un État membre pouvait être dissuadé d’en faire usage par les obstacles mis à son séjour dans un autre État membre en raison d’une réglementation de son État d’origine le pénalisant du seul fait qu’il les a exercées, la Cour a en effet indiqué que cette considération est particulièrement importante dans le domaine de l’éducation, compte tenu des objectifs poursuivis par les articles 3, paragraphe 1, sous q), CE et 149, paragraphe 2, deuxième tiret, CE, à savoir, notamment, favoriser la mobilité des étudiants et des enseignants (voir arrêt du 23 octobre 2007, Morgan et Bucher, C-11/06 et C-12/06, non encore publié au Recueil, points 26 et 27 ainsi que jurisprudence citée).
63 Une réglementation telle que celle en cause au principal, en exerçant une influence semblable à celle de la législation nationale en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Laboratoires Fournier, précité, porte atteinte à la liberté des enseignants exerçant leur activité à titre accessoire de choisir le lieu de leurs prestations de services au sein de la Communauté sans qu’il ait été établi que, pour atteindre l’objectif allégué de promotion de l’enseignement, il soit nécessaire de réserver le bénéfice de l’exonération fiscale en cause au principal aux seuls contribuables qui exercent une activité accessoire d’enseignement dans des universités situées sur le territoire national.
64 Force est de constater, en effet, que le gouvernement allemand n’a fourni aucun argument permettant de démontrer que l’objectif mentionné au point précédent ne pourrait être atteint sans la réglementation litigieuse et qu’il ne pourrait pas l’être en utilisant des moyens alternatifs qui n’affecteraient pas le choix, par les enseignants exerçant leur activité à titre accessoire, du lieu où ils pourraient offrir leurs services.
65 En second lieu, il convient de rechercher si la restriction en cause au principal peut être justifiée par la nécessité de garantir la cohérence du régime fiscal allemand, ainsi que l’a envisagé la juridiction de renvoi.
66 Selon la juridiction de renvoi, l’article 3, point 26, de l’EStG a pour objet de dispenser l’État allemand de certaines responsabilités qui lui incombent au moyen d’une mesure fiscale dans la mesure où, d’une part, les enseignants exerçant à titre accessoire bénéficient d’une exonération fiscale s’ils enseignent dans des universités publiques nationales et, d’autre part, l’État allemand en retire un bénéfice corrélatif parce qu’il peut assurer les missions d’enseignement et de recherche de ces universités à un prix réduit. Par conséquent, la juridiction de renvoi se demande s’il n’existe pas, dans l’affaire au principal, un lien direct entre l’exonération fiscale accordée au contribuable au titre de son activité accessoire d’enseignement et le fait que cette activité d’enseignement soit exercée en faveur d’une personne morale de droit public nationale. Dans cette perspective, il est supposé, d’une part, que la prestation du contribuable, favorisée par l’avantage fiscal, sert l’intérêt commun et, d’autre part, que cet «avantage» dont bénéficierait l’intérêt commun compenserait le désavantage que représenterait le renoncement à l’impôt.
67 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, certes, aux points 28 et 21 respectivement des arrêts précités Bachmann et du 28 janvier 1992, Commission/Belgique, la Cour a admis que la nécessité de préserver la cohérence d’un régime fiscal peut justifier une restriction à l’exercice des libertés fondamentales garanties par le traité.
68 Toutefois, selon une jurisprudence constante, pour qu’un argument fondé sur une telle justification puisse prospérer, il faut que soit établie l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé (voir, en ce sens, arrêts du 23 février 2006, Keller Holding, C-471/04, Rec. p. I-2107, point 40; du 29 mars 2007, Rewe Zentralfinanz, C‑347/04, Rec. p. I‑2647, point 62, et du 11 octobre 2007, Hollmann, C‑443/06, non encore publié au Recueil, point 56).
69 Or, il n’existe pas de lien direct, du point de vue du régime fiscal, entre l’exonération fiscale des indemnités pour frais professionnels versées par des universités allemandes et une compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé.
70 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 23 de ses conclusions, dans l’affaire au principal il est simplement suggéré que l’exonération d’impôt sur le revenu est compensée par l’avantage résultant pour l’État allemand du fait que les activités d’enseignement et de recherche sont exercées par des enseignants à titre accessoire. L’existence d’un lien aussi général et indirect entre l’avantage fiscal pour le contribuable et le bénéfice allégué pour l’État membre n’est pas suffisante au regard des exigences de la jurisprudence résultant de l’arrêt Bachmann, précité.
71 L’argument visant à justifier la restriction au principe de la libre prestation de services par la nécessité d’assurer la cohérence du régime fiscal allemand ne saurait ainsi être accueilli.
72 Au vu des considérations qui précèdent, le fait qu’un avantage fiscal national s’applique uniquement lorsque l’activité visée est exercée en faveur d’une personne morale de droit public nationale ne peut justifier la restriction à la libre prestation des services.
73 Il convient, par conséquent, de répondre à la deuxième question posée que la restriction à la libre prestation des services qui réside dans le fait qu’une réglementation nationale réserve l’application d’une exonération d’impôt sur le revenu aux rémunérations versées, en contrepartie d’une activité d’enseignement exercée à titre accessoire, par des universités, personnes morales de droit public, établies sur le territoire national et la refuse lorsque ces rémunérations sont versées par une université établie dans un autre État membre n’est pas justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général.
Sur la troisième question
Observations soumises à la Cour
74 Dans la mesure où la juridiction de renvoi a posé sa troisième question dans l’hypothèse d’une réponse négative à la deuxième question et où cette dernière appelle selon lui une réponse affirmative, le gouvernement allemand considère qu’il n’y a pas lieu de répondre à la troisième question.
75 Selon les époux Jundt, il ne saurait être soutenu qu’une restriction non justifiée à la libre prestation des services est tout de même compatible avec le droit communautaire en raison de la responsabilité que conservent les États membres en matière d’organisation du système éducatif en vertu de l’article 149 CE. L’État allemand serait tenu de promouvoir la coopération entre les États membres et non de l’empêcher par des réglementations adoptées à son avantage.
76 Pour la Commission, l’article 3, point 26, de l’EStG ne se situe pas hors du champ d’application de la libre circulation des services en raison de la compétence conservée par les États membres pour l’aménagement de leurs systèmes éducatifs. L’article 149 CE n’exclut pas un tel régime fiscal, appliqué à l’activité d’enseignement universitaire, du champ d’application de la libre prestation des services.
77 La Commission considère d’ailleurs que l’article 3, point 26, de l’EStG ne porte ni sur l’organisation de l’éducation ni sur la politique de l’enseignement. Il instaurerait simplement une dérogation fiscale destinée à favoriser, de façon générale, les activités professionnelles accessoires dans l’intérêt commun, sans avoir de lien spécifique avec le système éducatif.
78 Pour la Commission, l’article 128 du traité CEE et les dispositions de droit dérivé adoptées sur cette base réfutent indirectement l’opinion du Bundesfinanzhof selon laquelle l’affaire au principal mettrait en cause une dérogation aux règles de la libre prestation des services justifiée par l’aspect «politique de l’enseignement». Ces dispositions démontreraient, en effet, que les obstacles artificiels à la mobilité des enseignants sont contraires aux objectifs de la politique communautaire dans le domaine de l’enseignement professionnel et que tel était déjà le cas à l’époque du litige au principal. Du reste, «favoriser la mobilité des étudiants et des enseignants» ferait désormais explicitement partie des objectifs de la Communauté ancrés dans le traité ainsi qu’il résulte de l’article 149 CE.
Réponse de la Cour
79 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande en substance si le fait que les États membres sont compétents pour décider eux-mêmes de l’organisation de leur système éducatif est de nature à rendre compatible avec le droit communautaire une réglementation nationale qui réserve le bénéfice d’une exonération fiscale aux contribuables exerçant des activités au service ou pour le compte d’universités publiques nationales.
80 Selon la juridiction de renvoi, l’article 3, point 26, de l’EStG peut être compris comme une expression de la compétence des États membres de décider eux-mêmes de la manière dont leur système éducatif doit être organisé et ce pouvoir entraînerait la liberté de limiter le bénéfice d’une exonération fiscale aux contribuables exerçant des activités fournies au service ou pour le compte d’une université publique nationale.
81 À cet égard, il importe de relever que, certes, il résulte de l’article 149, paragraphe 1, CE que «la Communauté contribue au développement d’une éducation de qualité en encourageant la coopération entre États membres et, si nécessaire, en appuyant et en complétant leur action tout en respectant pleinement la responsabilité des États membres pour le contenu de l’enseignement et l’organisation du système éducatif ainsi que leur diversité culturelle et linguistique».
82 Si la compétence et la responsabilité des États membres en ces domaines ne sont pas mentionnées à l’article 128 du traité CEE, qui était la disposition pertinente au moment des faits au principal, il ressort du point 19 de l’arrêt Gravier, précité, que, à l’époque des faits au principal, l’organisation de l’éducation et la politique de l’enseignement ne faisaient pas partie en tant que telles des domaines que le traité CEE avait soumis à la compétence des institutions communautaires.
83 Cela étant, ainsi que la Commission le soutient à juste titre, une réglementation telle que l’article 3, point 26, de l’EStG n’est pas une mesure portant sur le contenu de l’enseignement ou relative à l’organisation du système éducatif. Il s’agit d’une mesure fiscale de nature générale qui octroie un avantage fiscal lorsqu’un particulier se consacre à des activités au bénéfice de la collectivité.
84 En effet, relèvent du champ d’application de la réglementation en cause au principal non seulement les indemnités pour frais professionnels qui sont versées pour des activités d’enseignement par des institutions publiques d’enseignement et de recherche, mais encore celles qui sont versées au titre d’autres activités et par d’autres institutions. Une telle réglementation ne constitue donc pas en tant que telle l’expression du pouvoir d’un État membre d’organiser son système éducatif.
85 En tout état de cause, indépendamment de ses liens effectifs ou allégués avec des domaines de compétences réservées des États membres, une réglementation nationale telle que celle en cause au principal n’échappe pas à l’application du principe de libre prestation des services.
86 Les États membres sont en effet tenus d’exercer les compétences qui leur sont réservées dans le respect du droit communautaire et, notamment, des dispositions relatives à la libre prestation des services. La Cour en a jugé ainsi dans plusieurs domaines, parmi lesquels la fiscalité directe et l’enseignement (voir, notamment, arrêts précités Schwarz et Gootjes-Schwarz, points 69 et 70, ainsi que Commission/Allemagne, points 85 et 86).
87 Par conséquent, la compétence et la responsabilité dont disposent les États membres pour l’organisation de leur système éducatif ne peuvent avoir pour effet de soustraire une réglementation fiscale telle que celle en cause au principal du champ d’application des dispositions du traité relatives à la libre prestation des services ni de rendre compatible avec le droit communautaire le refus d’accorder les avantages fiscaux pertinents aux enseignants offrant leurs services dans les universités d’autres États membres.
88 Ainsi qu’il ressort des points 61 à 63 du présent arrêt concernant l’absence de justification d’une réglementation telle que celle en cause au principal par une raison impérieuse d’intérêt général, même si une telle réglementation constituait une mesure liée à l’organisation du système éducatif, elle n’en demeurerait pas moins incompatible avec le traité dans la mesure où elle affecte le choix des enseignants exerçant leur activité à titre accessoire quant au lieu de leurs prestations de services.
89 Il convient, par conséquent, de répondre à la troisième question posée que le fait que les États membres sont compétents pour décider eux-mêmes de l’organisation de leur système éducatif n’est pas de nature à rendre compatible avec le droit communautaire une réglementation nationale qui réserve le bénéfice d’une exonération fiscale aux contribuables exerçant des activités au service ou pour le compte d’universités publiques nationales.
Sur les dépens
90 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:
1) Une activité d’enseignement exercée par un contribuable d’un État membre au service d’une personne morale de droit public, en l’occurrence une université, située dans un autre État membre relève du champ d’application de l’article 49 CE même si elle est exercée à titre accessoire et quasi bénévole.
2) La restriction à la libre prestation des services qui réside dans le fait qu’une réglementation nationale réserve l’application d’une exonération d’impôt sur le revenu aux rémunérations versées, en contrepartie d’une activité d’enseignement exercée à titre accessoire, par des universités, personnes morales de droit public, établies sur le territoire national et la refuse lorsque ces rémunérations sont versées par une université établie dans un autre État membre n’est pas justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général.
3) Le fait que les États membres sont compétents pour décider eux-mêmes de l’organisation de leur système éducatif n’est pas de nature à rendre compatible avec le droit communautaire une réglementation nationale qui réserve le bénéfice d’une exonération fiscale aux contribuables exerçant des activités au service ou pour le compte d’universités publiques nationales.
Signatures
* Langue de procédure: l’allemand.