Affaire C-97/05

Mohamed Gattoussi

contre

Stadt Rüsselsheim

(demande de décision préjudicielle, introduite par

le Verwaltungsgericht Darmstadt)

«Accord euro-méditerranéen — Travailleur tunisien autorisé à séjourner dans un État membre et à y exercer une activité professionnelle — Principe de non-discrimination en ce qui concerne les conditions de travail, de rémunération et de licenciement — Réduction de la durée de validité du permis de séjour»

Conclusions de l'avocat général M. D. Ruiz-Jarabo Colomer, présentées le 6 avril 2006 

Arrêt de la Cour (première chambre) du 14 décembre 2006 

Sommaire de l'arrêt

1.     Accords internationaux — Accords de la Communauté — Effet direct

(Accord euro-méditerranéen d'association CE-Tunisie, art. 64, § 1)

2.     Accords internationaux — Accord euro-méditerranéen d'association CE-Tunisie — Travailleurs tunisiens occupés dans un État membre

(Accord euro-méditerranéen d'association CE-Tunisie, art. 64, § 1)

1.     Une disposition d'un accord conclu par les Communautés avec des États tiers doit être considérée comme ayant un effet direct lorsque, eu égard à ses termes ainsi qu'à l'objet et à la nature de l'accord, elle comporte une obligation claire et précise qui n'est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l'intervention d'aucun acte ultérieur.

Tel est le cas de l'article 64, paragraphe 1, de l' accord euro-méditerranéen d'association CE-Tunisie.

(cf. points 25-28)

2.     L'article 64, paragraphe 1, de l'accord euro-méditerranéen d'association CE-Tunisie doit être interprété en ce sens qu'il est susceptible d'exercer des effets sur le droit de séjour d'un ressortissant tunisien sur le territoire d'un État membre dès lors que ce ressortissant a été dûment autorisé par cet État membre à exercer sur ledit territoire une activité professionnelle pour une période excédant la durée de son autorisation de séjour. Certes, il résulte du libellé même de l'article 64, paragraphe 1, de l'accord euro-méditerranéen ainsi que de la déclaration commune relative à celui-ci, adoptée par les parties contractantes dans l'acte final dudit accord, que cette disposition n'a pas en soi pour objet de réglementer le droit de séjour des ressortissants tunisiens dans les États membres.

Dès lors, l'accord euro-méditerranéen, n'ayant pas pour objet une quelconque réalisation de la libre circulation des travailleurs, n'interdit pas en principe à un État membre de prendre des mesures concernant le droit de séjour d'un ressortissant tunisien qu'il avait initialement autorisé à entrer sur son territoire et à y exercer une activité professionnelle, et la circonstance qu'une telle mesure oblige l'intéressé à mettre fin, avant le terme convenu dans le contrat conclu avec son employeur, à sa relation de travail dans l'État membre d'accueil n'est pas, en règle générale, de nature à affecter cette interprétation.

Toutefois, si l'État membre d'accueil a initialement accordé au travailleur migrant des droits précis sur le plan de l'exercice d'un emploi qui sont plus étendus que ceux qu'il lui a conférés sur le plan du séjour, il ne saurait remettre en question la situation de ce travailleur pour des motifs qui ne relèvent pas de la protection d'un intérêt légitime de l'État, tel que des raisons d'ordre public, de sécurité publique et de santé publique. En effet, il ne saurait être admis que les États membres disposent du principe de non-discrimination inscrit à l'article 64, paragraphe 1, de l'accord euro-méditerranéen en en limitant l'effet utile par des dispositions de droit interne.

(cf. points 35-37, 39-40, 43 et disp.)





ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

14 décembre 2006 (*)

«Accord euro-méditerranéen – Travailleur tunisien autorisé à séjourner dans un État membre et à y exercer une activité professionnelle – Principe de non-discrimination en ce qui concerne les conditions de travail, de rémunération et de licenciement – Réduction de la durée de validité du permis de séjour»

Dans l’affaire C-97/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Verwaltungsgericht Darmstadt (Allemagne), par décision du 25 janvier 2005, parvenue à la Cour le 23 février 2005, dans la procédure

Mohamed Gattoussi

contre

Stadt Rüsselsheim,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. K. Lenaerts, J. N. Cunha Rodrigues, M. Ilešič et E. Levits (rapporteur), juges,

avocat général: M. D. Ruiz-Jarabo Colomer,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 9 mars 2006,

considérant les observations présentées:

–       pour M. Gattoussi, par Me P. von Schumann, Rechtsanwältin,

–       pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma, Mmes C. Schulze-Bahr et U. Bender, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement grec, par M. G. Karipsiadis et Mme T. Papadopoulou, en qualité d’agents,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par MM. G. Rozet et V. Kreuschitz, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 avril 2006,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 64, paragraphe 1, de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la République tunisienne, d’autre part, fait à Bruxelles le 17 juillet 1995 et approuvé au nom de la Communauté européenne et de la Communauté européenne du charbon et de l’acier par la décision 98/238/CE, CECA du Conseil et de la Commission, du 26 janvier 1998 (JO L 97, p. 1, ci-après l’«accord euro-méditerranéen»).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Gattoussi, ressortissant tunisien, à la Stadt Rüsselsheim (commune de Rüsselsheim, Allemagne) à propos de la décision du maire de celle-ci portant limitation a posteriori de la durée de validité de l’autorisation de séjour de l’intéressé qui, au jour de l’adoption de cette décision, était titulaire d’un permis de travail à durée indéterminée et exerçait un emploi.

 Le cadre juridique

 L’accord euro-méditerranéen

3       L’article 64 de l’accord euro-méditerranéen, figurant dans le chapitre I, intitulé «Dispositions relatives aux travailleurs», du titre VI, lui-même intitulé «Coopération sociale et culturelle», est ainsi libellé:

«1.      Chaque État membre accorde aux travailleurs de nationalité tunisienne occupés sur son territoire un régime caractérisé par l’absence de toute discrimination fondée sur la nationalité par rapport à ses propres ressortissants, en ce qui concerne les conditions de travail, de rémunération et de licenciement.

2.      Tout travailleur tunisien autorisé à exercer une activité professionnelle salariée sur le territoire d’un État membre à titre temporaire bénéficie des dispositions du paragraphe 1 en ce qui concerne les conditions de travail et de rémunération.

3.      La Tunisie accorde le même régime aux travailleurs ressortissants des États membres occupés sur son territoire.»

4       L’article 66 de l’accord euro-méditerranéen ajoute:

«Les dispositions du présent chapitre ne sont pas applicables aux ressortissants de l’une des parties qui résident ou travaillent illégalement sur le territoire du pays d’accueil.»

5       La déclaration commune relative à l’article 64, paragraphe 1, de l’accord euro-méditerranéen, adoptée par les parties contractantes dans l’acte final dudit accord (ci-après la «déclaration commune»), précise en outre:

«L’article 64, paragraphe 1, en ce qui concerne l’absence de discrimination en matière de licenciement, ne pourra pas être invoqué pour obtenir le renouvellement du permis de séjour. L’octroi, le renouvellement ou le refus du permis de séjour est régi par la seule législation de chaque État membre ainsi que par les accords et conventions bilatéraux [...]»

6       En vertu de l’article 91 de l’accord euro-méditerranéen, la déclaration commune fait partie intégrante dudit accord.

 Les dispositions pertinentes du droit allemand

7       L’article 12, paragraphe 2, de la loi relative aux étrangers (Ausländergesetz), dans sa version du 23 juillet 2004 (BGBl. 2004 I, p. 1842, ci-après l’«AuslG»), dispose:

«L’autorisation de séjour est temporaire ou, dans les cas prévus par la loi, permanente. Si l’une des conditions essentielles auxquelles sont subordonnées sa délivrance, sa prorogation ou la fixation de sa durée cesse d’être remplie, la durée de l’autorisation de séjour temporaire peut faire l’objet d’une limitation a posteriori.»

8       Conformément à l’article 19, paragraphe 1, de l’AuslG, en cas de cessation de la communauté de vie entre époux, le conjoint étranger obtient un droit de séjour autonome, notamment, si la communauté de vie est légalement constituée sur le territoire fédéral depuis au moins deux ans ou s’il y a lieu, pour éviter de placer ce conjoint dans une situation de rigueur particulière, de lui permettre de prolonger son séjour, à moins que ledit conjoint ne puisse se voir délivrer une autorisation de séjour permanente.

9       Aux termes de l’article 284 du troisième livre du code social (Sozialgesetzbuch), dans sa version du 24 mars 1997 (BGBl. I, p. 594, ci-après le «SGB III»), les étrangers ne peuvent exercer d’activité professionnelle qu’avec l’autorisation de l’agence du travail et ne peuvent être employés que s’ils disposent d’une telle autorisation. Le paragraphe 5 de ce même article précise que cette autorisation ne peut être délivrée que si l’étranger est en possession d’une autorisation de séjour.

 Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

10     M. Gattoussi a épousé le 30 août 2002 une ressortissante allemande. Un visa lui a été délivré pour son entrée en Allemagne par l’ambassade de la République fédérale d’Allemagne à Tunis au titre du regroupement familial.

11     Le 24 septembre 2002, M. Gattoussi s’est vu accorder un titre de séjour d’une validité de trois ans par le maire de Rüsselsheim, commune dans laquelle le couple avait décidé de s’installer.

12     Le 22 octobre 2002, l’Arbeitsamt (office de l’emploi) de Darmstadt a octroyé à M. Gattoussi un permis de travail à durée indéterminée, sur lequel était mentionné que l’article 284 du SGB III s’applique.

13     Le 11 mars 2003, M. Gattoussi a signé un contrat de travail à durée déterminée d’un an, prolongé par la suite jusqu’au 31 mars 2005.

14     Après avoir été informé par l’épouse de M. Gattoussi que celle-ci vivait séparée de son mari depuis le 1er avril 2004, le maire de Rüsselsheim a, par décision du 23 juin 2004, limité la durée de validité de l’autorisation de séjour de M. Gattoussi à la date de la notification de cette décision, avec obligation de quitter immédiatement le territoire allemand sous peine d’expulsion vers la Tunisie.

15     Cette décision était fondée sur la considération, d’une part, que le motif initial du titre de séjour accordé à M. Gattoussi faisait désormais défaut dans la mesure où il ne vivait plus avec son épouse et, d’autre part, qu’un permis de travail à durée indéterminée ne confère, dans l’ordre juridique allemand, aucun droit à la poursuite d’une activité professionnelle salariée ainsi qu’à la prolongation du séjour qui serait distinct de l’autorisation de séjour et aurait une valeur supérieure à celle-ci.

16     Ladite décision prenait également en compte le fait que M. Gattoussi ne disposerait d’aucun droit autonome de séjour. En effet, il ne pourrait se prévaloir des dispositions de l’AuslG dans la mesure où, d’une part, la communauté de vie qu’il avait formée en Allemagne avec son épouse ne s’était pas prolongée pendant au moins deux ans, soit la durée légalement requise, et, d’autre part, il ne se trouverait pas dans une situation de rigueur particulière au sens de ladite loi.

17     Enfin, M. Gattoussi ne pourrait pas non plus tirer de droit de l’accord euro-méditerranéen, l’interdiction de discrimination qui y est prévue à l’article 64, paragraphe 1, ne conférant aucun droit de séjour aux ressortissants tunisiens.

18     M. Gattoussi a introduit une réclamation contre cette décision auprès du Regierungspräsidium Darmstadt, invoquant que le fait de mettre fin à son séjour en Allemagne le placerait dans une situation de rigueur particulière, ses tentatives de reprendre la vie commune avec son épouse et de rembourser les dettes nées du mariage étant, dans ces circonstances, rendues difficiles, voire impossibles.

19     La réclamation de M. Gattoussi a été rejetée par décision du 17 septembre 2004, au motif qu’aucune disposition du droit national ne permettait de lui reconnaître un droit de séjour et que le maire de Rüsselsheim n’avait pas outrepassé son pouvoir d’appréciation lors de la prise de la décision de limiter la durée de validité de son permis de séjour.

20     M. Gattoussi a formé un recours contre cette dernière décision devant le Verwaltungsgericht Darmstadt (tribunal administratif de Darmstadt), considérant que, dans la mesure où il exerce une activité salariée à plein temps en Allemagne, où il s’est complètement intégré au mode de vie de ce pays et où il projette de se remarier dès après la dissolution de son mariage, un retour en Tunisie le placerait dans une situation de rigueur particulière sur le plan économique et familial.

21     C’est dans le cadre de ce recours que le Verwaltungsgericht Darmstadt a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      L’article 64 de l’accord euro-méditerranéen [...] exerce-t-il un effet sur le droit de séjour?

2)      En cas de réponse affirmative à la première question, l’interdiction de discrimination prévue à l’article 64 de l’accord euro-méditerranéen [...] permet-elle de déduire une position juridique tenant au droit de séjour et faisant obstacle à ce que ce droit soit soumis à un délai lorsqu’un ressortissant tunisien titulaire d’un permis de travail à durée indéterminée exerce effectivement une activité professionnelle et qu’il jouit, à la date de la décision relevant du droit des étrangers, d’un droit de séjour temporaire?

3)      En cas de réponse affirmative à la deuxième question, peut-on, pour déterminer la position juridique tenant au droit de séjour et découlant de l’article 64 de l’accord euro-méditerranéen [...], retenir une date postérieure à la décision qui relève du droit des étrangers et qui soumet le droit de séjour à un délai?

4)      En cas de réponse affirmative à la troisième question, faut-il suivre les principes établis à propos de l’article 39, paragraphe 3, CE pour concrétiser la réserve visant les raisons relatives à la protection d’un intérêt légitime de l’État?»

 Sur les questions préjudicielles

22     Par ses questions préjudicielles, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, s’il y a lieu d’appliquer la solution dégagée par la Cour dans l’arrêt du 2 mars 1999, El-Yassini (C‑416/96, Rec. p. I‑1209), en ce qui concerne l’interprétation de l’article 40, premier alinéa, de l’accord de coopération entre la Communauté économique européenne et le royaume du Maroc, signé à Rabat le 27 avril 1976 et approuvé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) n° 2211/78 du Conseil, du 26 septembre 1978 (JO L 264, p. 1, ci-après l’«accord CEE-Maroc»), au litige au principal, et plus particulièrement si l’article 64, paragraphe 1, de l’accord euro-méditerranéen fait obstacle à ce que l’État membre d’accueil limite la durée de validité du titre de séjour d’un ressortissant tunisien qu’il a autorisé à séjourner sur son territoire pour une période déterminée et à y exercer une activité salariée pour une période indéterminée lorsque le motif initial de son droit de séjour disparaît avant l’expiration du délai de validité de son titre de séjour.

23     En vue de répondre utilement à la juridiction de renvoi, il convient, dans un premier temps, d’examiner si l’article 64, paragraphe 1, de l’accord euro-méditerranéen peut être invoqué par un particulier devant les juridictions d’un État membre et, dans l’affirmative, de déterminer dans un second temps la portée du principe de non-discrimination énoncé à cette disposition.

 Sur l’effet direct de l’article 64, paragraphe 1, de l’accord euro-méditerranéen

24     Il importe de relever que, la question de l’effet des dispositions de l’accord euro-méditerranéen dans l’ordre juridique des parties à cet accord n’ayant pas été réglée dans celui-ci, il incombe à la Cour de la trancher au même titre que toute autre question d’interprétation relative à l’application d’accords dans la Communauté (voir par analogie, notamment, arrêts du 23 novembre 1999, Portugal/Conseil, C‑149/96, Rec. p. I‑8395, point 34, et du 12 avril 2005, Simutenkov, C‑265/03, Rec. p. I‑2579, point 20).

25     Selon une jurisprudence constante, une disposition d’un accord conclu par les Communautés avec des États tiers doit être considérée comme ayant un effet direct lorsque, eu égard à ses termes ainsi qu’à l’objet et à la nature de l’accord, elle comporte une obligation claire et précise qui n’est subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte ultérieur (voir en ce sens, notamment, arrêts du 27 septembre 2001, Gloszczuk, C‑63/99, Rec. p. I‑6369, point 30; du 8 mai 2003, Wählergruppe Gemeinsam, C‑171/01, Rec. p. I‑4301, point 54, et Simutenkov, précité, point 21).

26     S’agissant, en premier lieu, des termes de l’article 64, paragraphe 1, de l’accord euro-méditerranéen, il apparaît que cette disposition est libellée en des termes quasi identiques à ceux de l’article 40, premier alinéa, de l’accord CEE-Maroc, dont elle se borne à étendre le principe de non-discrimination aux conditions de licenciement. Or, la Cour a reconnu que ledit article 40, premier alinéa, répondait aux exigences requises pour se voir reconnaître un effet direct (arrêt El-Yassini, précité, point 27).

27     S’agissant, en second lieu, de l’objet et de la nature de l’accord euro-méditerranéen, il convient de souligner que, conformément à l’article 96, paragraphe 2, dudit accord, ce dernier remplace l’accord de coopération entre la Communauté économique européenne et la République tunisienne, approuvé au nom de la Communauté par le règlement (CEE) nº 2212/78 du Conseil, du 26 septembre 1978, portant conclusion de l’accord de coopération entre la Communauté économique européenne et la République tunisienne (JO L 265, p. 2, ci-après l’«accord CEE-Tunisie»), dans la lignée duquel il s’inscrit dès lors qu’il vise, entre autres, à promouvoir la coopération dans les domaines économique, social, culturel et financier. Or, ledit accord de coopération était lui-même substantiellement identique à l’accord CEE-Maroc, dont la Cour a constaté que l’objet et la nature, spécialement en ce qui concerne la coopération dans le domaine de la main-d’œuvre, sont compatibles avec l’effet direct résultant des termes de son article 40, premier alinéa (arrêt El-Yassini, précité, point 28 à 31). Il en est d’autant plus ainsi que, à l’inverse de l’accord CEE-Maroc, l’accord euro-méditerranéen établit, aux termes de son article 1er, paragraphe 1, une association entre la Communauté et ses États membres, d’une part, et la Tunisie, d’autre part.

28     Dans ces conditions, il y a lieu de constater que l’article 64, paragraphe 1, de l’accord euro-méditerranéen a un effet direct.

 Sur la portée de l’article 64, paragraphe 1, de l’accord euro-méditerranéen

29     À titre liminaire, il convient de rappeler que, dans l’arrêt El-Yassini, précité, la Cour a dit pour droit que, en l’état du droit communautaire tel qu’il se présentait à l’époque de sa décision, l’article 40, premier alinéa, de l’accord CEE-Maroc devait être interprété en ce sens qu’il ne fait pas, en principe, obstacle à ce que l’État membre d’accueil refuse de proroger le titre de séjour d’un ressortissant marocain qu’il a autorisé à entrer sur son territoire et à y exercer une activité salariée pour toute la période pendant laquelle l’intéressé y dispose de cet emploi, dès lors que le motif initial de l’octroi de son droit de séjour n’existe plus au moment de l’expiration de la durée de validité de son permis de séjour. La Cour a précisé qu’il n’en irait différemment que si ce refus avait pour effet de remettre en cause, en l’absence de motifs de protection d’un intérêt légitime de l’État, tels que des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique, le droit à l’exercice effectif d’un emploi conféré à l’intéressé dans cet État par un permis de travail dûment accordé par les autorités nationales compétentes pour une durée dépassant celle du titre de séjour (arrêt El-Yassini, précité, point 67).

30     Il ressort de la décision de renvoi que les circonstances de l’espèce au principal sont comparables à celles qui ont été examinées par la Cour dans l’arrêt El-Yassini, précité.

31     En effet, dans ces deux cas, l’État membre d’accueil a réduit, par le biais d’une limitation du droit de séjour, le droit à l’exercice d’une activité professionnelle dont bénéficiait un ressortissant d’un pays tiers, alors même que ce droit lui avait été octroyé par un permis de travail.

32     Toutefois, le gouvernement allemand met en avant certaines différences entre l’article 64, paragraphe 1, de l’accord euro-méditerranéen et l’article 40, premier alinéa, de l’accord CEE-Maroc qui feraient obstacle à ce que l’interprétation retenue en ce qui concerne cette dernière disposition dans l’arrêt El-Yassini, précité, le soit également en ce qui concerne ledit article 64, paragraphe 1.

33     D’une part, la déclaration commune relative à l’article 64, paragraphe 1, de l’accord euro-méditerranéen traduirait la volonté des parties contractantes à cet accord d’empêcher que les ressortissants tunisiens ne se fondent sur l’interdiction de discrimination prévue à cette disposition pour faire valoir un droit de séjour.

34     D’autre part, ladite disposition ne saurait, en raison de son libellé, de son effet utile et de son économie, se voir reconnaître un quelconque effet sur le plan du droit de séjour des ressortissants tunisiens.

35     Ainsi que le souligne le gouvernement allemand, il résulte du libellé même de l’article 64, paragraphe 1, de l’accord euro-méditerranéen ainsi que de la déclaration commune relative à celui-ci que cette disposition n’a pas en soi pour objet de réglementer le droit de séjour des ressortissants tunisiens dans les États membres.

36     Il convient dès lors de constater, à l’instar de ce que la Cour a jugé dans l’arrêt El-Yassini, précité, à propos de l’accord CEE-Maroc, que l’accord euro-méditerranéen, n’ayant pas pour objet une quelconque réalisation de la libre circulation des travailleurs, n’interdit pas en principe à un État membre de prendre des mesures concernant le droit de séjour d’un ressortissant tunisien qu’il avait initialement autorisé à entrer sur son territoire et à y exercer une activité professionnelle (arrêt El-Yassini, précité, points 58 à 62).

37     La circonstance qu’une telle mesure oblige l’intéressé à mettre fin, avant le terme convenu dans le contrat conclu avec son employeur, à sa relation de travail dans l’État membre d’accueil n’est pas, en règle générale, de nature à affecter cette interprétation (arrêt El‑Yassini, précité, point 63).

38     Toutefois, contrairement à ce que fait valoir le gouvernement allemand, il ne résulte pas de cette interprétation qu’un ressortissant tunisien ne puisse en aucun cas se fonder sur l’interdiction de discrimination prévue à l’article 64, paragraphe 1, de l’accord euro-méditerranéen pour contester une mesure prise par un État membre pour restreindre son de droit de séjour.

39     En effet, il ne saurait être admis que les États membres disposent du principe de non-discrimination inscrit à l’article 64, paragraphe 1, de l’accord euro-méditerranéen en en limitant l’effet utile par des dispositions de droit interne. Une telle possibilité, d’une part, porterait atteinte aux dispositions d’un accord contracté par la Communauté et ses États membres et, d’autre part, remettrait en cause l’application uniforme du principe concerné.

40     Plus particulièrement, comme la Cour l’a déjà jugé, si l’État membre d’accueil a initialement accordé au travailleur migrant des droits précis sur le plan de l’exercice d’un emploi qui sont plus étendus que ceux qu’il lui a conférés sur le plan du séjour, il ne saurait remettre en question la situation de ce travailleur pour des motifs qui ne relèvent pas de la protection d’un intérêt légitime de l’État, tel que des raisons d’ordre public, de sécurité publique et de santé publique (arrêt El‑Yassini, précité, points 64, 65 et 67).

41     À cet égard, il est de jurisprudence constante que la notion d’ordre public suppose l’existence d’une menace réelle et suffisamment grave affectant un intérêt fondamental de la société (voir, en ce sens, arrêts du 28 octobre 1975, Rutili, 36/75, Rec. p. 1279, point 28; du 10 février 2000, Nazli, C‑340/97, Rec. p. I‑957, point 57, ainsi que du 25 juillet 2002, MRAX, C‑459/99, Rec. p. I‑6591, point 79).

42     Au regard des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique, le critère rappelé au point 40 s’impose d’autant plus lorsque, comme en l’espèce, l’État membre d’accueil a limité l’autorisation de séjour a posteriori.

43     Il ressort de tout ce qui précède que l’article 64, paragraphe 1, de l’accord euro-méditerranéen doit être interprété en ce sens qu’il est susceptible d’exercer des effets sur le droit de séjour d’un ressortissant tunisien sur le territoire d’un État membre dès lors que ce ressortissant a été dûment autorisé par cet État membre à exercer sur ledit territoire une activité professionnelle pour une période excédant la durée de son autorisation de séjour.

 Sur les dépens

44     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

L’article 64, paragraphe 1, de l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la République tunisienne, d’autre part, fait à Bruxelles le 17 juillet 1995 et approuvé au nom de la Communauté européenne et de la Communauté européenne du charbon et de l’acier par la décision 98/238/CE, CECA du Conseil et de la Commission, du 26 janvier 1998, doit être interprété en ce sens qu’il est susceptible d’exercer des effets sur le droit de séjour d’un ressortissant tunisien sur le territoire d’un État membre dès lors que ce ressortissant a été dûment autorisé par cet État membre à exercer sur ledit territoire une activité professionnelle pour une période excédant la durée de son autorisation de séjour.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.