Affaire C-317/05

G. Pohl-Boskamp GmbH & Co. KG

contre

Gemeinsamer Bundesausschuss

(demande de décision préjudicielle, introduite par le Sozialgericht Köln)

«Directive 89/105/CEE — Article 6, points 1 et 2 — Liste positive — Obligation de motivation et d'information portant sur les moyens de recours»

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 26 octobre 2006 

Sommaire de l'arrêt

1.     Rapprochement des législations — Produits pharmaceutiques — Directive 89/105 — Médicaments à usage humain

(Directive du Conseil 89/105, art. 1er et 6, points 1 et 2)

2.     Rapprochement des législations — Produits pharmaceutiques — Directive 89/105 — Médicaments à usage humain

(Directive du Conseil 89/105, art. 6, point 2)

1.     La finalité de la directive 89/105, concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance maladie, est, selon son article 1er, que toute mesure nationale en vue de contrôler les prix des médicaments à usage humain ou de restreindre la gamme des médicaments couverts par leurs systèmes nationaux d'assurance maladie soit conforme aux exigences de cette directive. Ces objectifs seraient compromis si un État membre pouvait instaurer une double procédure en vue de l'établissement de la liste des médicaments bénéficiant du remboursement par le système national d'assurance maladie, l'une conforme aux obligations fixées à l'article 6, point 1, de cette directive, l'autre étant, d'une part, exonérée de ces obligations et, d'autre part, sans respect quant aux objectifs fixés par ladite directive.

Il s'ensuit que la directive 89/105 doit être interprétée en ce sens qu'elle s'oppose à la réglementation d'un État membre qui, après l'exclusion des médicaments pouvant être délivrés sans ordonnance du cadre des prestations du régime de soins de santé de l'État, habilite une institution de ce régime à adopter des dispositions qui exemptent des substances thérapeutiques de cette exclusion, sans prévoir une procédure conforme à l'article 6, points 1 et 2, de ladite directive.

(cf. points 25, 27, 36, disp. 1)

2.     L'article 6, point 2, de la directive 89/105, concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d'application des systèmes nationaux d'assurance maladie, décrit avec précision et en termes non équivoques une obligation, à savoir celle de motiver la décision de refus d'inscrire un médicament sur la liste des produits couverts par le système national d'assurance maladie et d'informer des voies de recours, qui n'est assortie d'aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à une intervention ultérieure. Son libellé apparaît donc comme inconditionnel et suffisamment précis, de sorte qu'il peut être invoqué par les intéressés lors de leurs rapports avec un État membre.

Il s'ensuit que ledit article 6, point 2, doit être interprété en ce sens qu'il confère aux fabricants de médicaments affectés par une décision qui a pour effet d'admettre au bénéfice du remboursement certains médicaments contenant des principes actifs visés par celle-ci le droit à une décision motivée mentionnant les voies de recours, même si la réglementation de l'État membre ne prévoit pas de procédure correspondante ni de voies de recours.

(cf. points 42, 44, disp. 2)




ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

26 octobre 2006 (*)

«Directive 89/105/CEE – Article 6, points 1 et 2 – Liste positive – Obligation de motivation et d’information portant sur les moyens de recours»

Dans l’affaire C-317/05,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Sozialgericht Köln (Allemagne), par décision du 8 août 2005, parvenue à la Cour le 17 août 2005, dans la procédure

G. Pohl-Boskamp GmbH & Co. KG

contre

Gemeinsamer Bundesausschuss,

en présence de:

AOK-Bundesverband KdöR,

IKK-Bundesverband,

Bundesverband der Betriebskrankenkassen (BKK),

Bundesverband der landwirtschaftlichen Krankenkassen,

Verband der Angestellten-Krankenkassen eV,

AEV-Arbeiter-Ersatzkassen-Verband eV,

Bundesknappschaft,

Seekrankenkasse,

Bundesrepublik Deutschland,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. J. Klučka, président de la septième chambre, faisant fonction de président de la cinquième chambre, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur) et M. J. Makarczyk, juges,

avocat général: M. P. Mengozzi,

greffier: M. B. Fülöp, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 28 juin 2006,

considérant les observations présentées:

–       pour G. Pohl-Boskamp GmbH & Co. KG, par Me W. Kozianka et N. Hußman, Rechtsanwälte,

–       pour la Gemeinsamer Bundesausschuss, par Me M. Grüne, Rechtsanwalt,

–       pour l’AOK-Bundesverband KdöR, par M. K.-H. Mühlhausen et Mme J. Ihle, en qualité d’agents,

–       pour IKK-Bundesverband, par Mme S. Reitzenstein, en qualité d’agent,

–       pour le Bundesverband der Betriebskrankenkassen (BKK), par M. K.-P. Adelt et Mme P. Kraftberger, en qualité d’agents,

–       pour le gouvernement allemand, par M. M. Lumma, en qualité d’agent,

–       pour la Commission des Communautés européennes, par MM. B. Schima et B. Stransky, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1       La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 6 de la directive 89/105/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d’application des systèmes nationaux d’assurance maladie (JO 1989, L 40, p. 8).

2       Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant G. Pohl-Boskamp GmbH & Co. KG (ci-après «Pohl-Boskamp») à la Gemeinsamer Bundesausschuss (commission fédérale commune) à propos du refus de cette dernière d’inclure deux spécialités pharmaceutiques appartenant à la requérante au principal dans une liste de médicaments pouvant être délivrés sans ordonnance et susceptibles, à titre exceptionnel, d’être prescrits et donc remboursés par l’assurance maladie obligatoire.

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

3       L’article 6 de la directive 89/105 prévoit:

«Les dispositions suivantes sont applicables lorsqu’un médicament n’est couvert par le système national d’assurance maladie qu’après que les autorités compétentes ont décidé d’inclure le médicament en question dans une liste positive de médicaments couverts par le système national d’assurance maladie.

1)      Les États membres veillent à ce qu’une décision relative à une demande d’inscription d’un médicament sur la liste des médicaments couverts par le système d’assurance maladie soit adoptée et communiquée au demandeur dans un délai de quatre-vingt-dix jours à compter de la réception de la demande présentée, conformément aux conditions fixées dans l’État membre concerné, par le titulaire d’une autorisation de commercialisation. Lorsqu’une demande au titre du présent article peut être faite avant que les autorités compétentes n’aient accepté le prix devant être appliqué au produit conformément à l’article 2 ou lorsqu’une décision sur le prix d’un médicament et une décision sur son inclusion dans la liste des produits couverts par le système national d’assurance maladie sont prises au terme d’une procédure administrative unique, le délai est prorogé de quatre-vingt-dix jours supplémentaires. Le demandeur fournit aux autorités compétentes les renseignements suffisants. Si les renseignements communiqués à l’appui de la demande sont insuffisants, le délai est suspendu et les autorités compétentes notifient immédiatement au demandeur quels sont les renseignements complémentaires détaillés qui sont exigés.

Lorsqu’un État membre ne permet pas qu’une demande soit faite au titre du présent article avant que les autorités compétentes n’aient accepté le prix devant être appliqué au produit, conformément à l’article 2, il veille à ce que le délai global nécessité par les deux procédures n’excède pas cent quatre-vingts jours. Ce délai peut être prorogé conformément à l’article 2 ou suspendu selon le premier alinéa du présent point.

2)      Toute décision de ne pas inscrire un médicament sur la liste des produits couverts par le système d’assurance maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables, y compris, si nécessaire, les avis ou recommandations des experts sur lesquels les décisions s’appuient. En outre, le demandeur est informé des moyens de recours dont il dispose selon la législation en vigueur, ainsi que des délais dans lesquels ces recours peuvent être formés.

[…]

5)      Toute décision d’exclure un produit de la liste des produits couverts par le système national d’assurance maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables. De telles décisions, y compris, si nécessaire, les avis ou recommandations d’experts sur lesquels les décisions sont fondées, sont communiquées à la personne responsable, qui est informée des moyens de recours dont elle dispose selon la législation en vigueur ainsi que des délais dans lesquels ces recours peuvent être formés.

6)      Toute décision d’exclure une catégorie de médicaments de la liste des produits couverts par le système national d’assurance maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables et est publiée dans une publication appropriée.»

4       L’article 7 de la même directive dispose:

«Les dispositions suivantes sont applicables lorsque les autorités compétentes d’un État membre sont habilitées à adopter des décisions en vue d’exclure certains médicaments ou des catégories de médicaments du champ d’application de leur système national d’assurance maladie (listes négatives).

1)      Toute décision d’exclure une catégorie de médicaments du champ d’application du système national d’assurance maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables et est publiée dans une publication appropriée.

[…]»

 La réglementation nationale

5       Les dispositions légales régissant l’assurance maladie obligatoire en Allemagne figurent essentiellement dans le livre V du code de la sécurité sociale (Sozialgesetzbuch, ci-après le «SGB V»).

6       Selon l’article 31, paragraphe 1, première phrase, du SGB V, les assurés sociaux ont, entre autres, droit à la fourniture de médicaments en vente exclusive en pharmacie, dans la mesure où ces médicaments ne sont pas exclus en vertu de l’article 34 du même code ou en vertu de directives conformes à l’article 92, paragraphe 1, deuxième phrase, point 6, du SGB V.

7       Aux termes de l’article 34, paragraphe 1, du SGB V:

«Les médicaments pouvant être délivrés sans ordonnance sont exclus des fournitures visées à l’article 31. La Gemeinsamer Bundesausschuss détermine, dans le cadre des directives conformes à l’article 92, paragraphe 1, deuxième phrase, point 6, pour la première fois et au plus tard le 31 mars 2004, lesquels des médicaments pouvant être délivrés sans ordonnance, qui, lors du traitement de maladies graves, constituent le traitement standard, peuvent, avec une motivation du médecin conventionné, être prescrits à titre exceptionnel en vue de leur utilisation dans le traitement de ces maladies.»

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

8       Pohl-Boskamp est une entreprise pharmaceutique qui fabrique et commercialise, entre autres, les produits phytothérapeutiques Gelomyrtol et Gelomyrtol forte. Leur principe actif est le myrtol standardisé et ils sont utilisés pour soigner la bronchite et la sinusite aiguë et chronique. Ces préparations ne peuvent, en vue de leur consommation finale, être délivrées que dans les pharmacies, mais elles ne nécessitent pas d’ordonnance médicale.

9       Suivant l’article 34, paragraphe 1, deuxième phrase, du SGB V, la Gemeinsamer Bundesausschuss a proposé une liste de médicaments pouvant être délivrés sans ordonnance et susceptibles, à titre exceptionnel, d’être prescrits et donc remboursés par l’assurance maladie obligatoire. Elle a présenté cette liste le 11 décembre 2003 et a ouvert une procédure de consultation pour permettre aux confédérations des entrepreneurs pharmaceutiques de prendre position.

10     Les spécialités pharmaceutiques Gelomyrtol et Gelomyrtol forte ne figurant pas dans la liste susvisée, Pohl-Boskamp a introduit, au mois de janvier 2004, une demande d’inscription des médicaments en question.

11     Le 16 mars 2004, la Gemeinsamer Bundesausschuss a finalement arrêté la liste des médicaments exemptés qui, le même jour, a été autorisée par le ministre de la Santé et de la Sécurité sociale fédéral.

12     Le 23 avril 2004, cette liste a été publiée dans le bulletin fédéral des annonces légales (Bundesanzeiger n° 77, du 23 avril 2004, p. 8905). Sur cette liste figurent en tant que produits thérapeutiques standard au sens de l’article 34, paragraphe 1, deuxième phrase, du SGB V, des principes actifs, des groupes et des combinaisons de principes actifs, ainsi que, pour partie, des produits liés à certains types d’intervention. Figurent également sur cette liste les différentes maladies graves pour le traitement desquelles les produits thérapeutiques peuvent être prescrits. Le principe actif des préparations Gelomyrtol et Gelomyrtol forte, à savoir le myrtol standardisé, ne relève d’aucun des produits thérapeutiques standard énumérés.

13     Pohl-Boskamp, n’ayant reçu aucune explication relative à la décision de la Gemeinsamer Bundesausschuss de ne pas inscrire ses médicaments sur la liste, a, en date du 19 mai 2004, introduit une action devant le Sozialgericht Köln.

14     C’est dans ces conditions que le Sozialgericht Köln a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Convient-il d’interpréter la directive 89/105 [...] en ce sens qu’elle s’oppose à la réglementation d’un État membre qui, après l’exclusion des médicaments pouvant être délivrés sans ordonnance des prestations du régime de soins de santé de l’État, habilite une institution de ce régime à adopter des dispositions qui exemptent des substances thérapeutiques de cette exclusion, sans prévoir une procédure conformément à l’article 6, points 1, deuxième phrase, et 2, de la directive 89/105?

2)      Convient-il d’interpréter la directive 89/105 [...] en ce sens qu’elle accorde aux fabricants des médicaments visés au point 1 de cette décision un droit public subjectif, notamment le droit à une décision motivée et mentionnant les moyens de recours, portant sur l’inscription d’un de leurs médicaments sur une liste du type de celle visée ci-dessus, même si la réglementation de l’État membre ne prévoit pas de procédure de décision correspondante ni de procédure de recours?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

15     Afin de répondre à la première question, il convient tout d’abord d’analyser si les dispositions adoptées en vertu de l’article 34, paragraphe 1, deuxième phrase, du SGB V constituent un acte visé à l’article 6 de la directive 89/105.

16     À cet égard, la Gemeinsamer Bundesausschuss soutient que ses décisions n’ont pas le caractère juridique d’une liste positive, cette fonction étant réservée, dans le système allemand, aux décisions d’autorisation positive du Bundesinstitut für Arzneimittel und Medizinprodukte (Institut fédéral des médicaments et des produits médicinaux).

17     L’article 6 de la directive 89/105 s’applique «lorsqu’un médicament n’est couvert par le système d’assurance maladie qu’après que les autorités compétentes ont décidé de l’inclure dans une liste positive de médicaments couverts par ledit système».

18     Certes, il ressort de la description du système allemand exposé par la juridiction de renvoi que l’inscription d’un médicament sur la liste de ceux susceptibles d’être délivrés avec ordonnance et donc prescrits à la charge de l’assurance maladie obligatoire relève, dans une première étape, d’une décision d’autorisation positive du Bundesinstitut für Arzneimittel und Medizinprodukte.

19     Cependant, la Gemeinsamer Bundesausschuss est habilitée à déterminer, dans une deuxième étape, quels sont les médicaments qui, pouvant être délivrés sans ordonnance, peuvent être prescrits, et donc remboursés, à titre exceptionnel. La liste de ces médicaments doit être autorisée ultérieurement par le ministre de la Santé et de la Sécurité sociale fédéral.

20     Il en résulte que, si le Bundesinstitut für Arzneimittel und Medizinprodukte ne décide pas, dans une première étape, d’inclure un médicament dans la liste des médicaments bénéficiant du remboursement par le système national d’assurance maladie, la décision postérieure de la Gemeinsamer Bundesausschuss d’inclure certains principes actifs dans le régime de remboursement à titre exceptionnel a nécessairement pour conséquence de soumettre à ce régime les spécialités pharmaceutiques qui contiennent de tels principes.

21     Au demeurant, à la suite de cette décision de la Gemeinsamer Bundesausschuss, les médicaments qui contiennent un principe actif visé par ladite décision sont admis au remboursement.

22     La Cour a déjà dit pour droit qu’une décision telle que celle adoptée par la Gemeinsamer Bundesausschuss, même si elle ne comporte que l’acceptation au remboursement d’une série de principes actifs, constitue un faisceau de décisions individuelles quant à l’inclusion de certains médicaments dans l’un des régimes du système d’assurance sociale, de sorte qu’elle relève des dispositions de l’article 6 de la directive 89/105 (voir, en ce sens, arrêt du 12 juin 2003, Commission/Finlande, C‑229/00, Rec. p. I‑5727, point 34).

23     Quant à l’argument soulevé par le gouvernement allemand selon lequel l’article 6, point 1, de la directive 89/105 ne viserait que les demandes présentées par le titulaire d’une autorisation de commercialisation, il suffit de constater que, d’après l’interprétation donnée par la Cour dans l’arrêt Commission/Finlande, précité, une décision telle que celle en cause au principal constitue un ensemble de décisions individuelles affectant plusieurs intéressés. Or, cette affectation habilite les titulaires des autorisations de mise sur le marché des médicaments contenant les principes actifs concernés d’exiger les droits reconnus audit article.

24     Dans le cadre de l’application de l’article 6 de la directive 89/105, la Gemeinsamer Bundesausschuss a ajouté que les lignes directrices ne constitueraient pas des mesures en vue de contrôler les prix des médicaments, ce qui semble être la condition d’application de la directive 89/105, et notamment de son article 6.

25     Selon une jurisprudence constante, la finalité de la directive 89/105 est, selon son article 1er, que toute mesure nationale en vue de contrôler les prix des médicaments à usage humain ou de restreindre la gamme des médicaments couverts par leurs systèmes nationaux d’assurance maladie soit conforme aux exigences de cette directive (voir, en ce sens, arrêts du 27 novembre 2001, Commission/Autriche, C-424/99, Rec. p. I‑9285, point 30, et Commission/Finlande, précité, point 37).

26     La Cour a également signalé que les décisions en vertu desquelles certains médicaments bénéficient de la couverture majorée constituent un moyen de déterminer l’étendue de la gamme des médicaments couverts par le système d’assurance maladie et susceptibles d’intervenir dans le traitement de telle ou telle maladie. En outre, garantir l’effet utile de la directive 89/105 impose également, selon son sixième considérant, que les intéressés puissent s’assurer que l’inscription des médicaments répond à des critères objectifs et qu’aucune discrimination n’est opérée entre les médicaments nationaux et ceux provenant d’autres États membres (voir, en ce sens, arrêt Commission/Finlande, précité, points 38 et 39).

27     Selon cette jurisprudence, ces objectifs seraient compromis si un État membre pouvait instaurer une double procédure en vue de l’établissement de la liste des médicaments bénéficiant du remboursement, l’une conforme aux obligations fixées à l’article 6, point 1, de la directive 89/105, à savoir, pour l’Allemagne, celle établie par le Bundesinstitut für Arzneimittel und Medizinprodukte, l’autre étant, d’une part, exonérée de ces obligations et, d’autre part, sans respect quant aux objectifs fixés par ladite directive, à savoir celle instaurée par la Gemeinsamer Bundesausschuss (voir, en ce sens, arrêt Commission/Finlande, précité, point 40).

28     En outre, cette conclusion ne se voit aucunement affectée par l’allégation de la Gemeinsamer Bundesausschuss selon laquelle la décision en cause au principal ne fausserait pas les échanges intracommunautaires, en respectant ainsi la finalité de la directive 89/105.

29     À cet égard, il suffit de préciser que, même si une possible atteinte aux échanges intracommunautaires a été prise en considération lors de l’élaboration de la directive 89/105, l’objet primordial de celle-ci, conformément à son cinquième considérant, est d’assurer la transparence en matière de fixation des prix, y compris la façon dont ils s’appliquent à des cas individuels et les critères sur lesquels ils sont fondés, ainsi que de fournir un accès public aux accords de fixation des prix à toute personne concernée par le marché des produits pharmaceutiques dans les États membres. Or, une entrave aux échanges intracommunautaires ne constitue pas une condition d’application de ladite directive.

30     Il résulte de ce qui précède que les décisions adoptées en vertu de l’article 34, paragraphe 1, deuxième phrase, du SGB V constituent un acte visé à l’article 6 de la directive 89/105.

31     Cette dernière disposition exige, à son point 2, que toute décision de ne pas inscrire un médicament sur la liste des produits couverts par le système d’assurance maladie comporte un exposé des motifs fondé sur des critères objectifs et vérifiables et une indication des moyens de recours dont dispose le demandeur à l’inscription selon la législation en vigueur ainsi que des délais dans lesquels ces recours peuvent être formés.

32     Il ressort des informations fournies par la juridiction de renvoi que la décision du 16 mars 2004, par laquelle la Gemeinsamer Bundesausschuss a finalement arrêté la liste des médicaments remboursables à titre exceptionnel, n’a pas été communiquée à Pohl-Boskamp, qui n’a reçu aucune motivation de la décision. Cette liste a fait l’objet d’une publication dans le bulletin fédéral des annonces légales, tout en comprenant un exposé sur les motifs décisifs pour l’inclusion des principes actifs admis.

33     L’absence de communication de la liste des médicaments à Pohl-Boskamp ainsi que le défaut de motivation de la décision et d’indication des voies de recours pouvant être exercées dans la décision de la Gemeinsamer Bundesausschuss s’avèrent difficilement conciliables avec les exigences posées à l’article 6, point 2, de la directive 89/105 quant aux décisions de ne pas inscrire un médicament sur la liste des produits couverts par le système d’assurance maladie.

34     Dans le cadre de cette première question, le gouvernement allemand a fait valoir que les décisions en cause au principal, qui entraînent l’exclusion d’une «catégorie de médicaments», relèveraient plutôt des articles 6, point 6, ou 7 de la directive 89/105.

35     Il suffit de signaler, à cet égard, que lesdits articles visent des situations d’exclusion d’une catégorie de médicaments faisant partie de la liste des produits couverts par le système national d’assurance maladie. Telle n’est pas la situation en cause au principal, puisqu’il ne s’agit pas d’une décision d’exclusion des médicaments déjà couverts, mais d’une décision d’inclusion dans le régime de couverture du système d’assurance maladie.

36     Compte tenu de ce qui vient d’être exposé, il convient de répondre à la première question posée que la directive 89/105 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à la réglementation d’un État membre qui, après l’exclusion des médicaments pouvant être délivrés sans ordonnance du cadre des prestations du régime de soins de santé de l’État, habilite une institution de ce régime à adopter des dispositions qui exemptent des substances thérapeutiques de cette exclusion, sans prévoir une procédure conforme à l’article 6, points 1 et 2, de ladite directive.

 Sur la seconde question

37     Par la seconde question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 6, point 2, de la directive 89/105 est censé avoir un effet direct, c’est-à-dire s’il doit être interprété en ce sens qu’il confère aux fabricants des médicaments affectés par une décision qui a pour effet d’admettre au bénéfice du remboursement certains médicaments contenant certains principes actifs le droit à une décision motivée mentionnant les voies de recours à exercer, même si la réglementation de l’État membre ne prévoit pas de procédure correspondante ni de voies de recours

38     Quant à la question de savoir si l’article 6, points 1 et 2, de la directive 89/105 peut avoir un effet direct pouvant être invoqué dans le cadre du litige au principal, la requérante et la Commission des Communautés européennes considèrent que la disposition en cause est claire et univoque, c’est-à-dire suffisamment précise, inconditionnelle et complète, et que son application ne nécessite pas de nouvel acte juridique de la part de l’État membre. Partant, il devrait être susceptible d’invocation directe.

39     La Gemeinsamer Bundesausschuss conteste cet effet direct, compte tenu de la réponse qu’elle propose à la Cour de donner à la première question, et soulève le problème de l’application de la directive 89/105 à la situation en cause au principal du fait que les décisions sur lesquelles porte le litige ne sont juridiquement applicables que dans les rapports entre la caisse de maladie et les assurés, de sorte qu’elles n’affectent pas les positions juridiquement protégées des fabricants de produits pharmaceutiques.

40     En ce qui concerne la question de l’application directe de l’article 6 de la directive 89/105, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que, dans tous les cas où les dispositions d’une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer devant les juridictions nationales à l’encontre de l’État soit lorsque celui-ci s’est abstenu de transposer dans les délais la directive en droit national, soit lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte (voir, notamment, arrêt du 5 octobre 2004, Pfeiffer e.a., C-397/01 à C-403/01, Rec. p. I-8835, point 103).

41     Une disposition communautaire est inconditionnelle lorsqu’elle énonce une obligation qui n’est assortie d’aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte soit des institutions de la Communauté, soit des États membres. Par ailleurs, une disposition est suffisamment précise pour être invoquée par un justiciable et appliquée par le juge lorsqu’elle énonce une obligation dans des termes non équivoques (voir arrêt du 17 septembre 1996, Cooperativa Agricola Zootecnica S. Antonio e.a., C-246/94 à C-249/94, Rec. p. I-4373, points 18 et 19).

42     L’article 6, point 2, de la directive 89/105 présente précisément ces caractéristiques, dans la mesure où il décrit avec précision et en termes non équivoques une obligation, à savoir celle de motiver la décision de refus et d’informer des voies de recours, qui n’est assortie d’aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à une intervention ultérieure. Son libellé apparaît donc comme inconditionnel et suffisamment précis, de sorte qu’il peut être invoqué par les intéressés lors de leurs rapports avec l’État membre concerné.

43     Enfin, en ce qui concerne l’argument de la Gemeinsamer Bundesausschuss selon lequel la décision en cause au principal n’est juridiquement applicable que dans les rapports entre la caisse de maladie et les assurés, il suffit de constater que ladite décision a pour effet d’admettre au bénéfice du remboursement un ensemble des médicaments contenant les principes actifs qui y sont visés. De ce fait, cette décision tombe dans le champ d’application de l’article 6 de la directive 89/105. Peu importe, à cet égard, que les décisions en cause au principal ne soient invocables que par les assurés dans leurs rapports avec les caisses de maladie, dans la mesure où ce qui détermine l’application dudit article est le fait d’être ou non admis à la couverture du système d’assurance maladie.

44     Pour ces motifs, il convient de répondre à la seconde question que l’article 6, point 2, de la directive 89/105 doit être interprété en ce sens qu’il confère aux fabricants de médicaments affectés par une décision qui a pour effet d’admettre au bénéfice du remboursement certains médicaments contenant des principes actifs visés par celle-ci le droit à une décision motivée mentionnant les voies de recours, même si la réglementation de l’État membre ne prévoit pas de procédure correspondante ni de voies de recours.

 Sur les dépens

45     La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit:

1)      La directive 89/105/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, concernant la transparence des mesures régissant la fixation des prix des médicaments à usage humain et leur inclusion dans le champ d’application des systèmes nationaux d’assurance maladie, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à la réglementation d’un État membre qui, après l’exclusion des médicaments pouvant être délivrés sans ordonnance du cadre des prestations du régime de soins de santé de l’État, habilite une institution de ce régime à adopter des dispositions qui exemptent des substances thérapeutiques de cette exclusion, sans prévoir une procédure conforme à l’article 6, points 1 et 2, de ladite directive.

2)      L’article 6, point 2, de la directive 89/105 doit être interprété en ce sens qu’il confère aux fabricants de médicaments affectés par une décision qui a pour effet d’admettre au bénéfice du remboursement certains médicaments contenant des principes actifs visés par celle-ci le droit à une décision motivée mentionnant les voies de recours, même si la réglementation de l’État membre ne prévoit pas de procédure correspondante ni de voies de recours.

Signatures


* Langue de procédure: l’allemand.