Affaire C-57/02 P

Compañía española para la fabricación de aceros inoxidables SA (Acerinox)

contre

Commission des Communautés européennes

«Pourvoi — Traité CECA — Ententes — Extra d'alliage — Parallélisme de comportements — Réduction du montant de l'amende — Coopération durant la procédure administrative — Droits de la défense»

Conclusions de l'avocat général M. P. Léger, présentées le 28 octobre 2004 

Arrêt de la Cour (première chambre) du 14 juillet 2005 

Sommaire de l'arrêt

1.     CECA — Ententes — Interdiction — Infraction — Preuve — Charge incombant à la Commission — Exception — Participation de l'entreprise incriminée à des réunions ayant un objet anticoncurrentiel — Renversement de la charge de la preuve

(Traité CECA, art. 65)

2.     CECA — Ententes — Interdiction — Infraction — Procédure administrative — Demande de renseignements — Droits de la défense — Droit de refuser de fournir une réponse impliquant reconnaissance d'une infraction

(Traité CECA, art. 36, al. 1)

3.     CECA — Ententes — Amendes — Montant — Détermination — Non-imposition ou réduction de l'amende en contrepartie de la coopération de l'entreprise incriminée — Réduction plus importante en cas de reconnaissance de l'infraction — Atteinte aux droits de la défense de l'entreprise et, en particulier, au droit de refuser de fournir une réponse impliquant reconnaissance d'une infraction — Absence

(Traité CECA, art. 65, § 5; communication de la Commission 96/C 207/04, point D)

1.     Il incombe à l'entreprise, dont, au vu des éléments apportés par la Commission, la participation à des réunions ayant un caractère manifestement anticoncurrentiel est établie, d'avancer des indices de nature à établir que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu'elle a indiqué à ses concurrents qu'elle participait à celles-ci dans une optique différente de la leur.

(cf. point 46)

2.     Si, dans le cadre d'une procédure visant à établir l'existence d'une infraction aux règles de concurrence, la Commission est en droit d'obliger une entreprise à lui fournir tous les renseignements nécessaires portant sur les faits dont cette institution peut avoir connaissance, elle ne saurait toutefois imposer à cette entreprise l'obligation d'apporter des réponses par lesquelles celle-ci serait amenée à admettre l'existence de l'infraction dont il appartient à la Commission de rapporter la preuve.

(cf. points 85-86)

3.     Si la Commission ne peut contraindre une entreprise à avouer sa participation à une infraction en matière de concurrence, elle n'est pas pour autant empêchée de tenir compte, aux fins de la fixation du montant d'une amende, de l'aide qui lui a été apportée par l'entreprise concernée pour constater l'existence de l'infraction avec moins de difficulté et, en particulier, de la circonstance qu'une entreprise a reconnu sa participation à l'infraction. Elle peut accorder à l'entreprise qui l'a ainsi aidée une diminution significative du montant de son amende et octroyer une diminution nettement moins importante à une autre entreprise qui s'est contentée de ne pas nier les principales allégations de fait sur lesquelles la Commission a fondé ses griefs.

La reconnaissance de l'infraction reprochée revêt un caractère purement volontaire de la part de l'entreprise concernée. Celle-ci n'est en aucune manière contrainte de reconnaître l'entente. Ne constitue dès lors pas une atteinte aux droits de la défense la prise en compte par la Commission du degré de coopération avec cette dernière de l'entreprise concernée, y compris la reconnaissance de l'infraction, aux fins de l'infliction d'une amende d'un montant moins élevé.

La communication sur la coopération et, en particulier, le point D de celle-ci doivent ainsi être compris en ce sens que le type de coopération fourni par l'entreprise concernée et susceptible de donner lieu à une minoration d'amende n'est pas limité à la reconnaissance de la nature des faits, mais comporte également la reconnaissance de la participation à l'infraction.

(cf. points 87-91)




ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

14 juillet 2005 (*)

«Pourvoi – Traité CECA – Ententes – Extra d’alliage – Parallélisme de comportements – Réduction du montant de l’amende – Coopération durant la procédure administrative – Droits de la défense»

Dans l’affaire C-57/02 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 49 du statut CECA de la Cour de justice, introduit le 22 février 2002,

Compañía española para la fabricación de aceros inoxidables SA (Acerinox), établie à Madrid (Espagne), représentée par Mes A. Vandencasteele et D. Waelbroeck, avocats,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant:

Commission des Communautés européennes, représentée par M. A. Whelan, en qualité d’agent, assisté de M. J. Flynn, barrister, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, M. A. Rosas, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. K. Lenaerts et S. von Bahr (rapporteur), juges,

avocat général: M. P. Léger,

greffier: M. R. Grass,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 octobre 2004,

rend le présent

Arrêt

1       Par son pourvoi, la Compañía española para la fabricación de aceros inoxidables SA (Acerinox) (ci-après «Acerinox») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 13 décembre 2001, Acerinox/Commission (T‑48/98, Rec. p. II‑3859, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci n’a que partiellement fait droit à son recours tendant à l’annulation de la décision 98/247/CECA de la Commission, du 21 janvier 1998, relative à une procédure d’application de l’article 65 du traité CECA (Affaire IV/35.814 – Extra d’alliage) (JO L 100, p. 55, ci‑après la «décision litigieuse»).

 Les faits à l’origine du litige

2       Les faits qui sont à l’origine du recours devant le Tribunal, tels qu’exposés par celui-ci dans l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit aux fins du présent arrêt.

3       Acerinox est une société de droit espagnol opérant dans le domaine de l’acier inoxydable et, en particulier, dans le secteur des produits plats.

4       Le 16 mars 1995, à la suite d’informations parues dans la presse spécialisée et de plaintes de consommateurs, la Commission des Communautés européennes a, en vertu de l’article 47 du traité CECA, demandé à plusieurs producteurs d’acier inoxydable de lui communiquer des informations sur une majoration commune des prix, connue sous le nom d’«extra d’alliage», à laquelle ils auraient procédé.

5       L’extra d’alliage est un supplément de prix, calculé en fonction des cours des éléments d’alliage, qui vient s’ajouter au prix de base de l’acier inoxydable. Le coût des éléments d’alliage utilisés par les producteurs d’acier inoxydable (nickel, chrome et molybdène) représente une proportion importante des coûts de production. Les cours de ces éléments sont extrêmement variables.

6       Sur la base des informations recueillies, la Commission a, le 19 décembre 1995, adressé à 19 entreprises, dont Acerinox, une communication des griefs.

7       Aux mois de décembre 1996 et de janvier 1997, après une série de vérifications sur place effectuées par la Commission, les avocats ou représentants de certaines entreprises, parmi lesquelles figurait Acerinox, ont fait connaître à la Commission leur souhait de coopérer. Le 17 décembre 1996, Acerinox a envoyé une déclaration à la Commission à cet effet.

8       Le 24 avril 1997, la Commission a adressé à ces entreprises une nouvelle communication des griefs remplaçant celle du 19 décembre 1995.

9       Le 21 janvier 1998, la Commission a adopté la décision litigieuse.

10     Selon cette décision, les prix des éléments d’alliage de l’acier inoxydable ont considérablement baissé en 1993. Lorsque, à partir de septembre 1993, le cours du nickel a augmenté, les marges des producteurs ont diminué de manière importante. Pour faire face à cette situation, la plupart des producteurs de produits plats en acier inoxydable sont convenus, au cours d’une réunion tenue à Madrid le 16 décembre 1993 (ci-après la «réunion de Madrid»), d’augmenter de manière concertée leurs prix en modifiant les paramètres de calcul de l’extra d’alliage. À cet effet, ils ont décidé d’appliquer, à partir du 1er  février 1994, un extra d’alliage calculé d’après la formule utilisée pour la dernière fois en 1991, en adoptant, pour tous les producteurs, comme valeurs de référence pour les éléments d’alliage, celles du mois de septembre 1993, durant lequel le cours du nickel a atteint un minimum historique.

11     La décision litigieuse précise que l’extra d’alliage calculé sur la base des valeurs de référence nouvellement fixées a été appliqué par tous les producteurs à leurs ventes en Europe à partir du 1er février 1994, sauf en Espagne et au Portugal.

12     À l’article 1er de la décision litigieuse, la Commission a considéré qu’Acerinox, ALZ NV, Acciai speciali Terni SpA (ci‑après «AST»), Avesta Sheffield AB (ci‑après «Avesta»), Krupp Hoesch Stahl AG, devenue Krupp Thyssen Nirosta GmbH à partir du 1er janvier 1995, Thyssen Stahl AG, dénommée Krupp Thyssen Nirosta GmbH à partir du 1er janvier 1995, et Ugine SA, elle-même devenue Usinor SA (ci-après «Usinor»), avaient enfreint l’article 65, paragraphe 1, du traité CECA durant la période allant du mois de décembre 1993 à celui de novembre 1996 pour Avesta et jusqu’à la date de la décision litigieuse pour toutes les autres entreprises, en modifiant et en appliquant de manière concertée les valeurs de référence de la formule de calcul de l’extra d’alliage. Selon elle, cette pratique a eu pour objet et pour effet de restreindre et de fausser le jeu normal de la concurrence sur le marché commun.

13     Par l’article 2 de la décision litigieuse, les amendes suivantes ont été infligées:

–       Acerinox:                            3 530 000 écus,

–       ALZ NV:                             4 540 000 écus,

–       AST:                                      4 540 000 écus,

–       Avesta:                                     2 810 000 écus,

–       Krupp Thyssen Nirosta GmbH: 8 100 000 écus, et

–       Usinor:                                      3 860 000 écus.

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

14     Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 mars 1998, Acerinox a introduit un recours concluant à l’annulation de la décision litigieuse en tant qu’elle la concerne et, à titre subsidiaire, à la réduction substantielle du montant de l’amende qui lui a été infligée par cette décision.

15     Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a en grande partie confirmé la décision litigieuse.

16     Le Tribunal a jugé, au point 45 de l’arrêt attaqué, qu’Acerinox devait être considérée comme ayant participé à l’entente visant à l’application d’un extra d’alliage calculé sur la base des valeurs de référence convenues lors de la réunion de Madrid (ci-après l’«entente») à partir du 16 décembre 1993 pour ce qui concerne les États membres autres que le Royaume d’Espagne et, s’agissant de ce dernier, à partir du 14 janvier 1994 au plus tard. Au point 64 dudit arrêt, il a conclu que la Commission a estimé à bon droit que l’entente n’avait pas eu un caractère ponctuel, mais avait duré jusqu’à l’adoption de la décision litigieuse.

17     Le Tribunal a également jugé, au point 91 de l’arrêt attaqué, que le montant de l’amende infligée à Acerinox n’était pas disproportionné eu égard à la gravité de l’infraction. Il a considéré que le comportement d’Acerinox ne permettait pas de réduire l’amende dans la même mesure que pour Usinor et Avesta qui, quant à elles, avaient reconnu l’existence de la concertation.

18     Le Tribunal a en revanche jugé, au point 141 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait violé le principe d’égalité de traitement en considérant qu’Acerinox ainsi que deux autres entreprises n’avaient pas apporté d’élément nouveau au sens de la communication de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4, ci-après la «communication sur la coopération»), bien qu’elles aient admis l’existence de la réunion de Madrid. Au point 152 dudit arrêt, le Tribunal a considéré qu’il convenait d’accorder à ces entreprises une réduction de l’amende qui leur avait été respectivement infligée de 20 % au lieu de 10 % comme dans la décision litigieuse.

19     Le Tribunal a ainsi réduit l’amende infligée à Acerinox en la fixant à 3 136 000 euros et a rejeté le recours pour le surplus.

20     Le Tribunal a condamné Acerinox à supporter ses propres dépens ainsi que les deux tiers de ceux de la Commission. Il a condamné cette dernière à supporter un tiers de ses propres dépens.

 Les conclusions des parties et les moyens d’annulation invoqués au soutien du pourvoi

21     Acerinox conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–       annuler l’arrêt attaqué;

–       à titre principal, annuler la décision litigieuse ou, à tout le moins, réduire substantiellement le montant de l’amende, ou, à titre subsidiaire, renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

–       condamner la Commission aux dépens.

22     La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour:

–       à titre principal, rejeter le pourvoi;

–       à titre subsidiaire, dans la mesure où l’arrêt attaqué devrait être annulé en partie, rejeter la demande d’annulation de la décision litigieuse, et

–       condamner Acerinox aux dépens.

23     Acerinox invoque les six moyens suivants à l’appui de son pourvoi:

–       l’erreur manifeste d’interprétation conduisant à une erreur de motivation relative à sa prétendue participation à l’entente en Espagne;

–       la motivation incorrecte du rejet de l’argument concernant l’existence d’un parallélisme de comportement en dehors de l’Espagne;

–       l’erreur de droit commise en ce qui concerne l’appréciation de la durée de la prétendue infraction;

–       l’absence de motivation du rejet d’un argument portant sur la durée de la prétendue infraction;

–       l’erreur de motivation portant sur la proportionnalité de l’amende, et

–       la violation des droits fondamentaux de la défense en ce qui concerne la réduction du montant de l’amende.

 Sur la demande tendant au dépôt d’observations en réponse aux conclusions de M. l’avocat général et, à titre subsidiaire, à la réouverture de la procédure orale

24     Par acte déposé au greffe de la Cour le 2 décembre 2004, Acerinox a demandé, à titre principal, à être autorisée à déposer des observations écrites en réponse aux conclusions de M. l’avocat général et, à titre subsidiaire, que la Cour ordonne la réouverture de la procédure orale, en application de l’article 61 du règlement de procédure.

25     Acerinox souhaite se prononcer sur les points desdites conclusions relatifs, d’une part, à la valeur probante de la télécopie mentionnée au point 37 de l’arrêt attaqué, qui avait été envoyée le 14 janvier 1994 par Avesta à ses filiales (ci-après la «télécopie de janvier 1994»), et, d’autre part, à la motivation du point 90 dudit arrêt.

26     À cet égard, il y a lieu de rappeler que le statut de la Cour de justice et le règlement de procédure de celle-ci ne prévoient pas la possibilité pour les parties de déposer des observations en réponse aux conclusions présentées par l’avocat général (voir ordonnance du 4 février 2000, Emesa Sugar, C-17/98, Rec. p. I-665, point 2). Dès lors, la demande tendant à déposer des observations écrites en réponse aux conclusions de M. l’avocat général doit être rejetée.

27     En outre, la Cour peut d’office ou sur proposition de l’avocat général, ou encore à la demande des parties, ordonner la réouverture de la procédure orale, conformément à l’article 61 de son règlement de procédure, si elle considère qu’elle est insuffisamment éclairée ou que l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties (voir arrêts du 29 avril 2004, Parlement/Ripa di Meana e.a., C‑470/00 P, Rec. p. I‑4167, point 33, et du 14 décembre 2004, Swedish Match, C‑210/03, non encore publié au Recueil, point 25). Cependant, en l’espèce, la Cour, l’avocat général entendu, considère qu’elle dispose de tous les éléments qui lui sont nécessaires pour statuer sur le présent pourvoi. Par conséquent, il convient de rejeter la demande de réouverture de la procédure orale.

 Sur le pourvoi

 Sur le premier moyen

 Argumentation des parties

28     Par son premier moyen, Acerinox reproche au Tribunal d’avoir interprété de manière manifestement erronée ses arguments relatifs à la question de sa participation à une prétendue entente en Espagne et d’avoir motivé l’arrêt attaqué de manière incorrecte sur ce point.

29     Ce moyen vise les points 37 et 38 de l’arrêt attaqué dans lesquels le Tribunal a constaté ce qui suit:

«37      […] il ressort du dossier que, ainsi qu’il a été relevé au [point] 33 [des motifs] de la [décision litigieuse], Avesta a, par télécopie du 14 janvier 1994, informé ses filiales, dont celle présente en Espagne, de la position exprimée par certains de ses concurrents concernant la date d’application de l’extra d’alliage sur leurs marchés domestiques. En ce qui concerne plus particulièrement Acerinox, il est indiqué:

‘Acerinox a déclaré que les extras d’alliage seraient applicables à compter du 1er avril 1994 (vous avez bien lu avril!)’ [‘Acerinox have announced that surcharges will be applied from 1st april 1994 (yes April!!!)’].

38      À cet égard, la requérante ne conteste pas la véracité des propos qui lui sont prêtés, mais se limite à faire valoir qu’une telle déclaration démontre, à plus forte raison, l’inexistence d’un accord ou d’une pratique concertée, à la date de la réunion de Madrid, portant sur l’application différée de l’extra d’alliage en Espagne. Il n’en demeure pas moins qu’une telle déclaration constitue la preuve de ce que, à la date du 14 janvier 1994, Acerinox avait, en tout état de cause, manifesté son intention d’appliquer un extra d’alliage en Espagne, selon les modalités convenues par les entreprises concernées lors de la réunion de Madrid, et avait donc adhéré à l’entente.»

30     Acerinox soutient que le Tribunal a jugé à tort, au point 38 de l’arrêt attaqué, qu’elle n’avait pas contesté la véracité des allégations exprimées par Avesta dans sa télécopie de janvier 1994. Elle fait valoir qu’elle a expressément contesté la valeur probante de cette télécopie dans sa requête devant le Tribunal et que la motivation de l’arrêt attaqué sur ce point repose sur une dénaturation des éléments de preuve.

31     La Commission soutient que ce moyen est à la fois irrecevable et non fondé. Il serait irrecevable dans la mesure où Acerinox tente de faire passer pour une insuffisance de motivation ce qui constituerait en réalité une appréciation de fait.

32     En tout état de cause, le Tribunal aurait déduit à juste titre de ladite télécopie que, si Acerinox hésitait, en décembre 1993, à participer à l’entente en Espagne, ses hésitations s’étaient évanouies à partir du mois de janvier 1994.

 Appréciation de la Cour

33     Il y a lieu de relever que, dans sa requête introduite devant le Tribunal contre la décision litigieuse, Acerinox écrit, en ce qui concerne le contenu de la télécopie de janvier 1994, que «[c]ette information concernant l’‘annonce’ faite par la requérante, qui aurait été elle-même incohérente par rapport à l’attitude adoptée par le reste de l’industrie, était inexacte. Aucune ‘annonce’ de la sorte n’a été faite».

34     Il ressort ainsi des termes mêmes de la requête d’Acerinox devant le Tribunal que cette dernière a contesté la véracité des propos qui lui sont prêtés dans ladite télécopie. Il s’ensuit qu’en indiquant l’inverse le Tribunal a incorrectement présenté le point de vue d’Acerinox.

35     Or, la télécopie de janvier 1994 a constitué un élément de preuve déterminant tendant à démontrer la participation d’Acerinox à une entente sur le marché espagnol.

36     Il convient, dès lors, de considérer, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 38 de ses conclusions, que le Tribunal ne pouvait pas retenir la télécopie de janvier 1994 comme élément de preuve sans expliquer la raison pour laquelle la contestation de cette télécopie par Acerinox devait être rejetée. En omettant de répondre à l’argument invoqué sur ce point par cette dernière, le Tribunal a violé l’obligation de motivation qui lui incombait en vertu des articles 30 et 46, premier alinéa, du statut CECA de la Cour de justice.

37     Le premier moyen soulevé par Acerinox doit donc être accueilli pour autant qu’il vise à démontrer un défaut de motivation de l’arrêt attaqué en ce qui concerne la participation de cette entreprise à une entente en Espagne.

38     Il s’ensuit que l’arrêt attaqué doit être annulé pour autant qu’il conclut à la participation d’Acerinox à une entente sur le marché espagnol, au motif que cette entreprise n’aurait pas contesté la véracité des propos qui lui sont prêtés dans la télécopie de janvier 1994.

39     Cette annulation de l’arrêt attaqué n’étant toutefois que partielle, il convient de poursuivre l’examen des moyens du pourvoi.

 Sur le deuxième moyen

 Argumentation des parties

40     Par son deuxième moyen, Acerinox reproche au Tribunal d’avoir insuffisamment motivé le rejet de l’argument selon lequel son action en dehors de l’Espagne reflétait un simple parallélisme de comportement et non pas la mise en œuvre d’une pratique concertée.

41     Selon Acerinox, le Tribunal a constaté, à bon droit, au point 42 de l’arrêt attaqué, qu’elle a appliqué un extra d’alliage à différents moments dans divers États membres. Or, plusieurs passages tant de la décision litigieuse que de l’arrêt attaqué lui-même souligneraient que l’objectif de la réunion de Madrid était, au contraire, de relever simultanément les prix de cet extra d’alliage.

42     Acerinox estime que c’est dans ce contexte qu’il convient d’apprécier son argument selon lequel son comportement reflétait une simple adaptation aux conditions du marché et ne résultait pas d’une concertation entre les entreprises.

43     Acerinox considère que le Tribunal n’a pas établi, au point 43 de l’arrêt attaqué, le lien de causalité requis entre la réunion de Madrid et son comportement sur le marché, et qu’il n’a donc pas motivé de manière suffisante sa constatation d’une prétendue participation d’Acerinox à l’infraction en dehors de l’Espagne. Cette constatation devrait, par conséquent, être écartée par la Cour.

44     La Commission fait valoir que le Tribunal a rejeté l’argument d’Acerinox en se fondant sur des éléments de fait qui ne peuvent pas être réexaminés par la Cour, tels que la présence d’Acerinox à la réunion de Madrid, l’attitude de cette dernière lors de cette réunion, à savoir qu’elle ne s’est pas distanciée des autres participants à celle-ci, ainsi que la réalité et les dates de l’application des extras d’alliage dans plusieurs États membres. Le Tribunal aurait ainsi constaté que la tarification appliquée par Acerinox dans ces derniers résultait non pas d’une adaptation à des comportements observés sur le marché, mais d’une concertation.

45     La Commission considère que, en tout état de cause, le raisonnement retenu par le Tribunal aux points 41 à 43 de l’arrêt attaqué démontre clairement l’existence d’une relation de causalité entre la concertation résultant de la réunion de Madrid et le comportement d’Acerinox sur le marché. Ce lien ne serait pas remis en cause par le fait que cette dernière a mis en œuvre les extras d’alliage avec un léger retard par rapport à la date prévue.

 Appréciation de la Cour

46     En premier lieu, le Tribunal a correctement énoncé, au point 30 de l’arrêt attaqué, la règle applicable en matière de charge de la preuve lorsque la participation d’entreprises à des réunions ayant un caractère manifestement anticoncurrentiel est établie. Il a ainsi rappelé, en se fondant sur les arrêts du 8 juillet 1999, Hüls/Commission (C‑199/92 P, Rec. p. I-4287, point 155), et Montecatini/Commission (C‑235/92 P, Rec. p. I-4539, point 181), qu’il incombe à l’entreprise mise en cause d’avancer des indices de nature à établir que sa participation auxdites réunions était dépourvue de tout esprit anticoncurrentiel, en démontrant qu’elle a indiqué à ses concurrents qu’elle participait à celles-ci dans une optique différente de la leur.

47     En second lieu, le Tribunal s’est attaché à appliquer cette règle aux circonstances de l’espèce. Il a tout d’abord relevé, au point 31 de l’arrêt attaqué, d’une part, qu’il n’était pas contesté qu’Acerinox avait participé à la réunion de Madrid et, d’autre part, que cette réunion impliquait une concertation entre certains producteurs de produits plats en acier inoxydable sur un élément du prix final de ceux-ci, en violation de l’article 65, paragraphe 1, du traité CECA.

48     Le Tribunal a ensuite recherché si Acerinox s’était distanciée des autres participants à ladite réunion, en manifestant son intention de ne pas appliquer l’extra d’alliage dans les États membres autres que le Royaume d’Espagne.

49     À cet égard, le Tribunal a constaté, au point 41 de l’arrêt attaqué, qu’Acerinox n’avait pas apporté la preuve d’une telle distanciation. Il a relevé, au contraire, en se fondant sur une déclaration faite par Acerinox en réponse aux questions de la Commission, que cette société n’a pas prétendu avoir adopté la même attitude, lors de la réunion de Madrid, que celle choisie à propos de l’application de l’extra d’alliage en Espagne, mais a admis que «la majorité des participants étaient favorables à une application de l’extra d’alliage le plus tôt possible». Le Tribunal a précisé, au point 42 dudit arrêt, qu’Acerinox a par la suite appliqué un extra d’alliage dans divers pays européens, à différentes dates, entre les mois de février et de mai 1994.

50     Le Tribunal en a déduit, au point 43 de l’arrêt attaqué, qu’Acerinox ne saurait utilement faire valoir que l’alignement de ses extras d’alliage sur ceux appliqués par les autres producteurs présents sur ces marchés résultait d’un simple parallélisme de comportements dès lors que cet alignement avait été précédé d’une concertation entre les entreprises concernées, dont l’objet était l’utilisation et l’application de valeurs de référence identiques dans la formule de calcul de l’extra d’alliage.

51     Le Tribunal a conclu, au point 45 de l’arrêt attaqué, qu’Acerinox doit être considérée comme ayant participé à l’entente pour autant que celle-ci visait l’application de l’extra d’alliage dans les États membres autres que l’Espagne.

52     Il ressort de l’analyse effectuée par le Tribunal que celui-ci a correctement appliqué la règle de droit rappelée au point 46 du présent arrêt. Il a ainsi constaté, premièrement, la participation d’Acerinox à une réunion au caractère manifestement anticoncurrentiel, deuxièmement, l’absence de preuve rapportée par cette entreprise établissant qu’elle s’était distanciée des objectifs de cette réunion relative au calcul de l’extra d’alliage ainsi qu’à son utilisation et, troisièmement, l’application par Acerinox des extras d’alliage selon la formule fixée lors de ladite réunion, avant d’écarter la possibilité que cette application soit le reflet d’un parallélisme de comportements.

53     Le Tribunal a ainsi établi l’existence d’un lien entre la réunion de Madrid et le comportement d’Acerinox dans les États membres autres que l’Espagne et, partant, il a pleinement motivé sa conclusion selon laquelle cette entreprise doit être considérée comme ayant participé à l’entente dans ces États.

54     Il s’ensuit que le deuxième moyen doit être rejeté comme non fondé.

 Sur le troisième moyen

 Argumentation des parties

55     Par son troisième moyen, Acerinox reproche au Tribunal d’avoir appliqué un critère juridique erroné pour apprécier la durée de la prétendue infraction.

56     Selon Acerinox, en jugeant, au point 64 de l’arrêt attaqué, que la Commission a pu considérer à bon droit que l’infraction a perduré jusqu’en janvier 1998, sans mentionner l’existence de la moindre concertation entre les parties au-delà des premiers mois de l’année 1994, alors même que l’entente était censée avoir pris fin, le Tribunal a fait une application incorrecte de la jurisprudence de la Cour en la matière, telle que rappelée au point 63 dudit arrêt. La durée de l’infraction, pour autant qu’il y en ait eu une, serait limitée au premier semestre de l’année 1994.

57     Ladite jurisprudence démontrerait qu’une violation des règles de l’article 85 du traité CE (devenu article 81 CE) et, par analogie, de celles de l’article 65 du traité CECA ne se poursuit que si une certaine concertation persiste entre les entreprises concernées. Or, il ne serait aucunement démontré que l’extra d’alliage a fait l’objet d’un réexamen régulier et coordonné par ces dernières.

58     La Commission fait valoir que le troisième moyen est fondé sur une prémisse erronée, dans la mesure où aucun élément de l’arrêt attaqué ne saurait être interprété comme une constatation de ce que l’entente avait cessé d’être en vigueur quelques mois après le début de l’année 1994.

59     Selon la Commission, le Tribunal a jugé à juste titre, au point 61 de l’arrêt attaqué, que le maintien par Acerinox durant toute la période considérée des valeurs de référence convenues lors de la réunion de Madrid ne saurait s’expliquer autrement que par l’existence d’une concertation ayant perduré au-delà des premiers mois de l’année 1994.

 Appréciation de la Cour

60     À cet égard, il suffit de relever que, contrairement aux allégations d’Acerinox, le Tribunal n’a pas considéré que l’entente avait pris fin avant l’adoption de la décision litigieuse, le 21 janvier 1998. Au contraire, il ressort des points 60, 61, 63 et 64 de l’arrêt attaqué que, selon le Tribunal, l’entente a perduré jusqu’à l’adoption de cette décision.

61     Au point 60 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que, jusqu’à ladite date, Acerinox et les autres entreprises ont continué d’appliquer les valeurs de référence convenues au cours de la réunion de Madrid. Au point 61 du même arrêt, il a rappelé que l’objet de l’infraction reprochée à Acerinox était la détermination du montant de l’extra d’alliage sur la base d’une formule de calcul comportant des valeurs de référence identiques à celles de ses concurrents et déterminées en commun avec les autres producteurs dans le cadre d’une concertation avec ces derniers. Le Tribunal en a déduit que le maintien par cette entreprise de ces valeurs de référence, dans la formule de calcul de l’extra d’alliage qu’elle appliquait, ne saurait s’expliquer autrement que par l’existence d’une concertation.

62     Au point 63 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que les effets de l’entente ont perduré jusqu’à l’adoption de la décision litigieuse sans qu’il ait été formellement mis fin à cette entente. Le Tribunal en a conclu, au point 64 dudit arrêt, que, dans la mesure où Acerinox n’avait pas renoncé, avant l’adoption de cette décision, à appliquer les valeurs de référence convenues lors de la réunion de Madrid, la Commission a pu considérer à bon droit que l’infraction avait perduré jusqu’à cette date.

63     Il y a donc lieu de considérer, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 107 de ses conclusions, que l’argument d’Acerinox selon lequel le Tribunal aurait fait une application erronée de la jurisprudence de la Cour relative à l’application des règles de concurrence aux effets d’une entente qui a formellement cessé est, en tout état de cause, inopérant puisqu’il est fondé sur la prémisse erronée selon laquelle l’entente avait cessé au cours de l’année 1994.

64     Le troisième moyen doit, dès lors, être rejeté comme non fondé.

 Sur le quatrième moyen

 Argumentation des parties

65     Par son quatrième moyen, qui vise le point 62 de l’arrêt attaqué, Acerinox reproche au Tribunal de n’avoir pas motivé le rejet de l’argument selon lequel, au mois de juillet 1994, le prix du nickel avait atteint son niveau d’origine, de sorte que la pratique concertée reprochée aurait cessé d’avoir un quelconque effet à partir de cette date.

66     Acerinox fait valoir qu’il est constant que la formule de calcul de l’extra d’alliage était utilisée depuis 25 ans. Étant donné que l’objet de ladite pratique consistait seulement à modifier, en l’abaissant, la valeur de déclenchement d’un extra d’alliage préexistant, le fait que le prix du nickel a atteint, au cours du mois de juillet 1994, le niveau auquel cette valeur était antérieurement fixée serait pertinent. En effet, selon Acerinox, c’est à cette date que la pratique concertée consistant à abaisser la valeur de déclenchement a automatiquement cessé d’avoir un quelconque effet, puisqu’un extra d’alliage était en tout état de cause applicable en vertu de la formule préexistante.

67     La Commission soutient qu’Acerinox ne peut se contenter d’affirmer qu’un extra d’alliage aurait dû être payé en tout état de cause, qu’il soit fondé sur la méthode utilisée avant la mise en œuvre de l’entente ou après celle-ci. La correspondance entre le cours du nickel en juillet 1994 et l’ancien seuil de déclenchement d’un extra d’alliage serait due au hasard de la conjoncture et dépendrait de l’évolution du marché du nickel. Ce qui importe, selon la Commission, c’est que l’extra d’alliage applicable en vertu de la nouvelle méthode de calcul de celui-ci a toujours été supérieur à celui payable au titre de la méthode précédente, quel que soit le cours du nickel.

 Appréciation de la Cour

68     Au point 62 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré que, dans la mesure où les valeurs de référence des éléments d’alliage faisant l’objet de l’infraction sont restées inchangées, le fait que le prix du nickel a retrouvé, à une certaine date, son «niveau initial» signifiait non pas que l’infraction avait alors cessé de produire ses effets anticoncurrentiels, mais simplement que l’extra d’alliage devait précisément être calculé en prenant en compte une telle évolution. Le Tribunal a, pour cette raison, rejeté l’argument d’Acerinox comme non pertinent.

69     À cet égard, force est de constater que le Tribunal a écarté l’argument d’Acerinox en y répondant de manière motivée. Il ressort en effet du point 62 de l’arrêt attaqué que l’abaissement concerté de la valeur de référence du nickel impliquait qu’un extra d’alliage était applicable si le cours de cette matière première était supérieur à cette nouvelle valeur. Or, Acerinox n’explique aucunement la raison pour laquelle la baisse du cours du nickel à partir de juillet 1994 aurait empêché l’entente de produire ses effets.

70     Dans ces conditions, c’est à bon droit que le Tribunal a écarté l’argument d’Acerinox comme n’étant pas pertinent.

71     Il y a lieu, dès lors, de rejeter le quatrième moyen comme manifestement non fondé.

 Sur le cinquième moyen

 Argumentation des parties

72     Par son cinquième moyen, Acerinox reproche au Tribunal de ne pas avoir tenu compte, au point 90 de l’arrêt attaqué, du poids respectif des entreprises concernées dans l’appréciation de la proportionnalité de l’amende. Elle soutient, en particulier, que le Tribunal n’a pas pris en considération son argument selon lequel la différence entre son pourcentage de part de marché et celui d’Usinor, laquelle est de 7 points, représentait 65 % de son pourcentage de part de marché et devait donc être considérée comme très importante. En outre, le caractère considérable de cette différence ne serait que l’un des critères pertinents pour l’application d’une pondération, aux termes de la communication de la Commission portant lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15 paragraphe 2 du règlement nº 17 et de l’article 65 paragraphe 5 du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci‑après les «lignes directrices»). Le Tribunal aurait donc insuffisamment motivé l’appréciation de la proportionnalité de l’amende infligée à Acerinox.

73     La Commission soutient que le pourcentage de 65 % est fallacieux et que c’est à juste titre que le Tribunal a jugé que la Commission n’avait pas commis d’erreur d’appréciation en considérant que la différence entre les parts de marché détenues par les entreprises concernées n’était pas considérable et ne justifiait pas une pondération du montant des amendes.

 Appréciation de la Cour

74     Le Tribunal a vérifié le bien-fondé de la méthode utilisée par la Commission pour établir le montant de l’amende en se référant, au point 77 de l’arrêt attaqué, aux lignes directrices. Il a relevé, aux points 78 et 81 de celui-ci, que la Commission avait fixé le point de départ du montant de l’amende en fonction de la gravité de l’infraction, conformément auxdites lignes directrices.

75     S’agissant de la décision de la Commission de ne pas pondérer ce montant en fonction des entreprises concernées, le Tribunal a jugé, au point 90 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait pu, à bon droit, se fonder notamment sur la taille et la puissance économique desdites entreprises en constatant qu’elles étaient toutes de grande dimension, après avoir précédemment relevé que les six entreprises en cause représentaient plus de 80 % de la production européenne de produits finis en acier inoxydable.

76     Le Tribunal a précisé, au même point 90, que la comparaison effectuée par Acerinox entre sa part de marché, qui était d’environ 11 %, et celles d’Usinor, d’AST et d’Avesta, qui représentaient respectivement 18, 15 et 14 % environ dudit marché, n’est pas de nature à révéler une «disparité considérable» entre ces entreprises, au sens du point 1, A, sixième alinéa, des lignes directrices, justifiant nécessairement une différenciation aux fins de l’appréciation de la gravité de l’infraction.

77     À cet égard, il convient de se référer aux lignes directrices. Le point 1, A, sixième alinéa, de celles-ci énonce que, dans le cas d’infractions impliquant plusieurs entreprises, après que le montant de base de l’amende a été déterminé en fonction de la gravité de l’infraction, «il pourra convenir de pondérer, dans certains cas, les montants déterminés […] afin de tenir compte du poids spécifique, et donc de l’impact réel, du comportement infractionnel de chaque entreprise sur la concurrence, notamment lorsqu’il existe une disparité considérable dans la dimension des entreprises auteurs d’une infraction de même nature».

78     En jugeant que la différence entre la part de marché d’Acerinox, qui est d’environ 11 %, et celles d’Usinor, d’AST et d’Avesta, qui représentent entre 14 et 18 % du même marché, n’était pas considérable et en ne retenant pas le pourcentage de 65 % invoqué par Acerinox, le Tribunal n’a commis aucune erreur d’appréciation. En effet, ainsi que le soutient à juste titre la Commission, ce pourcentage est fallacieux en ce sens qu’il donne une image démesurément importante de la différence des parts de marché respectivement détenues par les entreprises concernées, fondée sur une comparaison non pertinente.

79     Par ailleurs, hormis le caractère prétendument considérable de la différence entre les parts de marché respectivement détenues par Usinor et Acerinox, cette dernière n’invoque aucun autre critère susceptible de justifier une pondération du montant des amendes, conformément au point 1, A, sixième alinéa, des lignes directrices.

80     Par conséquent, il y a lieu de constater que le Tribunal a correctement motivé la conclusion à laquelle il est parvenu, en indiquant que la différence entre les parts de marché des entreprises concernées n’était pas de nature à justifier une pondération de l’amende infligée à Acerinox et il a jugé à bon droit que le montant de celle-ci n’était pas disproportionné.

81     Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter le cinquième moyen comme non fondé.

 Sur le sixième moyen

 Argumentation des parties

82     Par son sixième moyen, Acerinox soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en refusant de lui octroyer une réduction de l’amende qui lui a été infligée de même niveau que celle accordée aux autres entreprises ayant participé à l’entente, au motif qu’elle a contesté les griefs qui lui étaient adressés, bien qu’elle ait coopéré avec la Commission d’une manière comparable à celle de ces entreprises. Ce refus serait discriminatoire et constituerait une violation des droits fondamentaux de la défense.

83     Acerinox fait valoir que le Tribunal a reconnu, au point 139 de l’arrêt attaqué, que les degrés de la coopération desdites entreprises avec la Commission étaient comparables du point de vue de la reconnaissance de la matérialité des faits, à savoir la participation de celles-ci à la réunion de Madrid, la nature des discussions lors de cette réunion et les mesures prises pour appliquer l’extra d’alliage. Le Tribunal aurait cependant limité à 20 % la réduction de l’amende accordée à Acerinox alors même que cette réduction est de 40 % en ce qui concerne Usinor. Acerinox soutient que l’approche du Tribunal aboutit à traiter les entreprises concernées de façon différente en fonction de la manière dont elles ont décidé d’exercer leurs droits de la défense en réponse à la communication des griefs.

84     La Commission estime que, contrairement à Usinor et à Avesta qui ont coopéré en reconnaissant leur participation à la concertation, Acerinox ne pouvait pas bénéficier de la même réduction d’amende que celle qui a été accordée aux deux autres entreprises.

 Appréciation de la Cour

85     Afin d’établir si le Tribunal a commis une erreur de droit en accordant une réduction de l’amende infligée à Acerinox moins importante que celle octroyée à Usinor et à Avesta, il convient de se reporter à la jurisprudence de la Cour concernant l’étendue des pouvoirs de la Commission en matière de procédures d’enquêtes préalables et de procédures administratives, eu égard à la nécessité d’assurer le respect des droits de la défense.

86     Selon l’arrêt du 18 octobre 1989, Orkem/Commission (374/87, Rec. p. 3283, points 34 et 35), la Commission est en droit d’obliger une entreprise à lui fournir tous les renseignements nécessaires portant sur les faits dont elle peut avoir connaissance, mais elle ne saurait imposer à cette entreprise l’obligation d’apporter des réponses par lesquelles celle-ci serait amenée à admettre l’existence de l’infraction dont il appartient à la Commission de rapporter la preuve.

87     Toutefois, si la Commission ne peut contraindre une entreprise à avouer sa participation à une infraction, elle n’est pas pour autant empêchée de tenir compte, dans la fixation du montant de l’amende, de l’aide que cette entreprise, de son propre gré, lui a fournie aux fins d’établir l’existence de l’infraction.

88     À cet égard, il ressort de l’arrêt du 16 novembre 2000, Finnboard/Commission (C‑298/98 P, Rec. p. I‑10157), et notamment de ses points 56, 59 et 60, que la Commission peut tenir compte, aux fins de la fixation du montant d’une amende, de l’aide qui lui a été apportée par l’entreprise concernée pour constater l’existence de l’infraction avec moins de difficulté et, en particulier, de la circonstance qu’une entreprise a reconnu sa participation à l’infraction. Elle peut accorder à l’entreprise qui l’a ainsi aidée une diminution significative du montant de son amende et octroyer une diminution nettement moins importante à une autre entreprise qui s’est contentée de ne pas nier les principales allégations de fait sur lesquelles la Commission a fondé ses griefs.

89     Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 140 de ses conclusions, il y a lieu de souligner que la reconnaissance de l’infraction reprochée revêt un caractère purement volontaire de la part de l’entreprise concernée. Celle-ci n’est en aucune manière contrainte de reconnaître l’entente.

90     Il y a lieu par conséquent de considérer que la prise en compte par la Commission du degré de coopération avec cette dernière de l’entreprise concernée, y compris la reconnaissance de l’infraction, aux fins de l’infliction d’une amende d’un montant moins élevé, ne constitue pas une atteinte aux droits de la défense.

91     C’est en ce sens qu’il y a lieu de comprendre la communication sur la coopération et, en particulier, la partie D de celle-ci, selon laquelle la Commission peut accorder à une entreprise une réduction de 10 à 50 % du montant de l’amende qui lui aurait été infligée en l’absence de coopération, notamment lorsque cette entreprise informe la Commission qu’elle ne conteste pas la matérialité des faits sur lesquels cette dernière fonde ses accusations. Ainsi, le type de coopération fourni par l’entreprise concernée et susceptible de donner lieu à une minoration d’amende n’est pas limité à la reconnaissance de la nature des faits, mais comporte également la reconnaissance de la participation à l’infraction.

92     En l’espèce, le Tribunal a rappelé, au point 146 de l’arrêt attaqué, que, selon la décision litigieuse, seules Usinor et Avesta avaient reconnu l’existence de la concertation. Il a précisé que, selon cette décision, Acerinox a admis que la concertation avait eu lieu tout en niant y avoir participé, en sorte que sa coopération avec la Commission a été plus limitée que celle d’Usinor et d’Avesta.

93     Le Tribunal a constaté, au point 147 de l’arrêt attaqué, que, si Acerinox a admis la matérialité des faits sur lesquels la Commission se fondait, ce qui a justifié une minoration de 10 % du montant de l’amende infligée à cette société, il ne ressort nullement du dossier qu’elle aurait également reconnu, de manière expresse, son implication dans l’infraction.

94     En se fondant sur la jurisprudence de la Cour, le Tribunal a relevé, au point 148 de l’arrêt attaqué, qu’une réduction de l’amende infligée n’est justifiée que si le comportement de l’entreprise concernée a permis à la Commission de constater l’infraction avec moins de difficulté et que tel n’est pas le cas lorsque, dans sa réponse à la communication des griefs, cette entreprise conteste toute participation à l’infraction.

95     Le Tribunal en a conclu à bon droit, au point 149 de l’arrêt attaqué, que la Commission a correctement estimé, eu égard à la réponse d’Acerinox à la communication des griefs, que cette dernière ne s’était pas comportée d’une manière justifiant une réduction supplémentaire du montant de l’amende au titre de sa coopération lors de la procédure administrative.

96     Il convient donc de rejeter le sixième moyen comme non fondé.

97     Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que seul le premier moyen invoqué par Acerinox au soutien de son pourvoi est fondé.

 Sur les conséquences de l’annulation partielle de l’arrêt attaqué

98     Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour annule la décision du Tribunal, elle peut alors soit statuer définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

99     En l’espèce, l’affaire est en état d’être jugée en ce qui concerne le moyen tiré par Acerinox de l’absence de preuve de sa participation à l’infraction sur le marché espagnol et, en particulier, de l’absence de valeur probante de la télécopie de janvier 1994.

 Argumentation des parties

100   Devant le Tribunal, Acerinox a soutenu que, bien qu’elle ait participé à la réunion de Madrid, elle a refusé, au cours de cette réunion, d’adhérer au système commun d’extra d’alliage et, par conséquent, elle n’a jamais participé à aucun accord en vue d’appliquer cet extra d’alliage. Selon elle, la télécopie de janvier 1994 indiquant, selon le point 33 des motifs de la décision litigieuse, qu’«Acerinox a déclaré que les extras d’alliage seraient applicables à compter du 1er avril 1994 (vous avez bien lu avril!)» ne constitue aucunement une preuve de sa participation à l’entente, notamment sur le marché espagnol.

101   S’agissant de cette télécopie, Acerinox s’exprime, dans sa requête devant le Tribunal, de la manière suivante:

«Cette information concernant l’‘annonce’ faite par [Acerinox], qui aurait été elle-même incohérente par rapport à l’attitude adoptée par le reste de l’industrie, était inexacte. Aucune ‘annonce’ de la sorte n’a été faite. […] le seul pays dans lequel Acerinox publiait une liste de prix publics et donc dans lequel elle ‘annonçait’ ses prix est l’Espagne. Il est constant qu’aucune modification n’a été apportée à cette liste de prix avant le 20 mai 1994, lorsque la requérante a annoncé à la Commission et à ses clients sa décision d’aligner, à partir de juin 1994, son extra d’alliage sur celui déjà appliqué depuis février par ses concurrents dans d’autres États membres.»

102   Dans sa réplique devant le Tribunal, Acerinox ajoute que les termes qui lui sont prêtés dans ladite télécopie «confirmeraient plutôt l’absence de tout accord ou pratique concertée portant sur un ajournement de l’application de l’extra par la requérante. Il est constant que l’information était erronée. S’il y avait eu un quelconque accord ou pratique concertée, on aurait pu s’attendre à ce que la déclaration soit exacte».

 Appréciation de la Cour

103   Il convient de rappeler, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 200 de ses conclusions, que, en cas de litige sur l’existence d’une infraction aux règles de concurrence, il appartient à la Commission de rapporter la preuve des infractions qu’elle constate et de fournir les éléments de preuve propres à démontrer, à suffisance de droit, l’existence des faits constitutifs d’une telle infraction.

104   À cet égard, il importe de constater qu’un certain nombre de points ont été établis par la Commission et n’ont pas été contestés par Acerinox:

–       tout d’abord, la Commission précise, au point 21 des motifs de la décision litigieuse, qu’Acerinox a organisé la réunion de Madrid et qu’elle était au nombre des participants à celle-ci;

–       ensuite, ainsi qu’Acerinox le mentionne, elle a appliqué les extras d’alliage, en utilisant la même formule que celle adoptée lors de cette réunion, à partir du mois de février 1994 au Danemark, puis dans d’autres États membres entre les mois de mars et de juin suivants. L’application de l’extra d’alliage en Espagne était prévue pour le mois de juin de ladite année;

–       enfin, la télécopie de janvier 1994, rédigée par le représentant d’Avesta à la réunion de Madrid et envoyée à la suite de cette réunion, présente Acerinox comme étant l’une des entreprises ayant participé à cette réunion et comme ayant déjà fait part de son intention d’appliquer les extras d’alliage.

105   S’agissant de ladite télécopie, si Acerinox remet en cause l’interprétation qui en est faite, elle ne conteste ni son existence ni le fait qu’elle contenait les termes qui lui sont prêtés. Or, dans la mesure où cette télécopie a été rédigée à la suite de la réunion de Madrid et indiquait que, dès le mois de janvier 1994, Acerinox avait manifesté son intention d’appliquer les extras d’alliage adoptés lors de cette réunion, la Commission était fondée à considérer qu’elle constituait un document de nature à prouver la participation de cette entreprise à l’infraction.

106   Le fait que la date mentionnée dans cette télécopie ne correspondait pas à celles de l’application effective des extras d’alliage par Acerinox dans les États membres ne suffit pas à écarter le document comme élément de preuve de l’intention manifestée par cette dernière de procéder à une telle application.

107   Au vu des éléments de faits relevés au point 104 du présent arrêt, la Commission a pu, sans commettre d’erreur d’appréciation, parvenir à la conclusion selon laquelle Acerinox avait participé à l’entente dans l’ensemble des États membres concernés, y compris l’Espagne.

108   Il résulte de ce qui précède que le moyen soulevé par Acerinox au soutien de son recours devant le Tribunal, selon lequel la télécopie de janvier 1994 ne peut servir d’élément de preuve permettant de démontrer son adhésion à ladite entente, n’est pas fondé et doit, dès lors, être rejeté.

109   Par conséquent, le recours d’Acerinox devant le Tribunal, en tant qu’il est fondé sur ledit moyen, doit lui-même être rejeté.

 Sur les dépens

110   Aux termes de l’article 122, premier alinéa, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. Conformément à l’article 69, paragraphe 2, premier alinéa, du même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 de celui-ci, la partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation d’Acerinox et cette dernière ayant succombé en l’essentiel de ses moyens dans le cadre du pourvoi ainsi qu’au regard du seul moyen du recours devant le Tribunal évoqué par la Cour à la suite de l’annulation partielle de l’arrêt attaqué, il y a lieu de la condamner aux dépens de la présente instance. S’agissant des dépens liés à la procédure de première instance ayant abouti à l’arrêt attaqué, ils seront supportés selon les modalités déterminées au point 3 du dispositif de celui-ci.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1)      L’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 13 décembre 2001, Acerinox/Commission (T‑48/98), est annulé en tant qu’il a rejeté le moyen soulevé par la Compañía española para la fabricación de aceros inoxidables SA (Acerinox), tiré d’un défaut de motivation relatif à la prétendue participation de cette dernière à une entente sur le marché espagnol.

2)      Le pourvoi est rejeté pour le surplus.

3)      Le recours en annulation de la Compañía española para la fabricación de aceros inoxidables SA (Acerinox), en tant qu’il est fondé sur le moyen tiré d’une erreur commise par la Commission des Communautés européennes en accordant une valeur probante à la télécopie adressée le 14 janvier 1994 par Avesta Sheffield AB à ses filiales, est rejeté.

4)      La Compañía española para la fabricación de aceros inoxidables SA (Acerinox) est condamnée aux dépens de la présente instance. Les dépens liés à la procédure de première instance ayant abouti à l’arrêt du Tribunal mentionné au point 1 du présent dispositif sont supportés selon les modalités déterminées au point 3 du dispositif dudit arrêt.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.