Affaire C-519/03

Commission des Communautés européennes

contre

Grand-Duché de Luxembourg

«Accord-cadre sur le congé parental — Substitution du congé de maternité au congé parental — Date à partir de laquelle un droit individuel à un congé parental est accordé»

Conclusions de l’avocat général M. A. Tizzano, présentées le 18 janvier 2005 

Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 14 avril 2005. 

Sommaire de l’arrêt

1.     Recours en manquement — Délai imparti à l’État membre dans l’avis motivé — Cessation postérieure du manquement — Intérêt à la poursuite de l’action

(Art. 226 CE)

2.     Recours en manquement — Procédure précontentieuse — Éléments avancés dans la réponse à l’avis motivé — Absence de prise en considération dans le recours — Atteinte aux droits de la défense — Absence

(Art. 226 CE)

3.     Recours en manquement — Examen du bien-fondé par la Cour — Absence de conséquences négatives du manquement allégué — Défaut de pertinence

(Art. 226 CE)

4.     Politique sociale — Travailleurs masculins et travailleurs féminins — Accès à l’emploi et conditions de travail — Égalité de traitement — Directive mettant en oeuvre l’accord-cadre sur le congé parental — Interruption du congé parental par un autre congé garanti par le droit communautaire — Réduction conséquente du congé parental — Inadmissibilité

(Directive 96/34, annexe, clause 2, point 1)

5.     Politique sociale — Travailleurs masculins et travailleurs féminins — Accès à l’emploi et conditions de travail — Égalité de traitement — Directive mettant en oeuvre l’accord-cadre sur le congé parental — Champ d’application personnel — Ajout par l’État membre de conditions non prévues par la directive — Inadmissibilité

(Directive 96/34, annexe, clause 2, point 1)

1.     L’intérêt de la Commission à introduire un recours au titre de l’article 226 CE existe même lorsque l’infraction reprochée a été éliminée postérieurement au délai fixé dans l’avis motivé.

(cf. points 18-19)

2.     Un État membre ne saurait se fonder sur l’absence de prise en compte de sa réponse à l’avis motivé ni sur la transmission tardive de cette réponse au secrétariat général de la Commission pour justifier l’exception d’irrecevabilité qu’il invoque à l’encontre d’un recours. En effet, à supposer même que la procédure contentieuse ait été ouverte par un recours de la Commission ne tenant pas compte d’éventuels nouveaux éléments, de fait ou de droit, avancés par l’État membre concerné dans sa réponse à l’avis motivé, les droits de la défense de cet État ne s’en trouvent pas lésés.

(cf. point 21)

3.     Le non-respect d’une obligation imposée par une règle de droit communautaire est en lui-même constitutif d’un manquement et la considération que ce non-respect n’a pas engendré de conséquences négatives est dépourvue de pertinence. En effet, une telle circonstance a une incidence non pas sur l’existence du manquement reproché, mais seulement sur la portée de celui-ci.

(cf. point 35)

4.     Un droit individuel à un congé parental d’une durée de trois mois au moins est accordé aux travailleurs, hommes et femmes, par la clause 2, point 1, de l’accord-cadre sur le congé parental qui figure en annexe de la directive 96/34, concernant l’accord-cadre sur le congé parental conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES. Ce congé ne peut pas être réduit lorsqu’il est interrompu par un autre congé qui poursuit une finalité différente de celle de ce congé parental, tel qu’un congé de maternité. Un congé garanti par le droit communautaire ne peut pas affecter le droit de prendre un autre congé garanti par ce droit. Ainsi, un État membre manque aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive lorsqu’il prévoit que le droit à un congé de maternité ou à un congé d’accueil intervenant pendant le congé parental se substitue à ce dernier, qui doit alors prendre fin, sans possibilité pour le parent de reporter la partie du congé parental dont il n’a pas pu bénéficier.

(cf. points 31, 33, 52, disp. 1)

5.     Le droit à un congé parental est accordé par la directive 96/34, concernant l’accord-cadre sur le congé parental conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES, à tous les parents ayant un enfant dont l’âge est inférieur à une certaine limite. Dès lors que cette directive prévoit que le droit à un congé parental est ouvert pendant une certaine période, jusqu’à ce que l’enfant ait atteint l’âge fixé par l’État membre concerné, le fait que l’enfant est né avant ou après la date limite prévue pour la transposition de ladite directive n’est pas pertinent à cet égard. En limitant l’octroi du droit au congé parental aux parents d’enfants nés après la date de transposition de la directive ou dont la procédure d’adoption a été introduite après cette date, un État membre ajoute une condition au droit au congé parental qui n’est pas autorisée par cette directive et manque ainsi aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.

(cf. points 47-48, 52, disp. 1)




ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

14 avril 2005 (*)

«Accord-cadre sur le congé parental – Substitution du congé de maternité au congé parental – Date à partir de laquelle un droit individuel à un congé parental est accordé»

Dans l’affaire C-519/03,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 226 CE, introduit le 12 décembre 2003 ,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. D. Martin, en qualité d’agent, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Grand-Duché de Luxembourg, représenté par M. S. Schreiner, en qualité d’agent, assisté de Me H. Dupong, avocat,

partie défenderesse,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Borg Barthet (rapporteur), faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. J.-P. Puissochet, S. von Bahr, U. Lõhmus et A. Ó Caoimh, juges,

avocat général: M. A. Tizzano,

greffier: Mme M.-F. Contet, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 novembre 2004,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 18 janvier 2005,

rend le présent

Arrêt

1       Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en adoptant les articles 7, paragraphe 2, et 19, cinquième alinéa, de la loi du 12 février 1999, portant création d’un congé parental et d’un congé pour raisons familiales (ci-après la «loi de 1999»), introduite dans l’ordre juridique luxembourgeois par l’article XXIV de la loi du 12 février 1999, concernant la mise en œuvre du plan d’action nationale en faveur de l’emploi 1998 (Mémorial A 1999, p. 190), articles qui concernent respectivement:

–       la substitution du congé de maternité au congé parental, et

–       la date à partir de laquelle un droit individuel à un congé parental est accordé,

le Grand-Duché de Luxembourg a manqué à ses obligations découlant de la clause 2, point 1, de l’accord-cadre sur le congé parental (ci-après l’«accord-cadre») qui figure en annexe de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l’accord-cadre sur le congé parental conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES (JO L 145, p. 4).

 Le cadre juridique

 La réglementation communautaire

2       L’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/34 prévoit que les États membres devaient mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à celle-ci au plus tard le 3 juin 1998.

3       La clause 2, point 1, de l’accord-cadre est libellée comme suit:

«En vertu du présent accord, sous réserve de la clause 2.2, un droit individuel à un congé parental est accordé aux travailleurs, hommes et femmes, en raison de la naissance ou de l’adoption d’un enfant, pour pouvoir s’occuper de cet enfant pendant au moins trois mois jusqu’à un âge déterminé pouvant aller jusqu’à huit ans, à définir par les États membres et/ou les partenaires sociaux.»

A –  La réglementation nationale

4       L’article 7, paragraphe 2, de la loi de 1999 dispose:

«En cas de grossesse ou d’accueil d’un enfant pendant le congé parental donnant droit au congé de maternité, respectivement d’accueil, celui-ci se substitue au congé parental qui prend fin.»

5       L’article 19, cinquième alinéa, de la même loi prévoit:

«Les dispositions du chapitre 1er sur le congé parental peuvent être invoquées par les parents du chef des enfants nés après le 31 décembre 1998 ou dont la procédure d’adoption est introduite auprès du tribunal compétent après cette date.»

6       Aux termes de l’article 10, sixième alinéa, de la loi de 1999, dans sa rédaction résultant de la loi du 21 novembre 2002, portant entre autre modification de la loi du 12 février 1999 portant création d’un congé parental et d’un congé pour raisons familiales (Mémorial A 2002, p. 3098, ci-après la «loi de 2002»):

«Le rejet définitif, par la Caisse [nationale des prestations familiales], de la demande en obtention de l’indemnité prévue à l’article 8 ne préjuge pas de l’octroi éventuel d’un congé parental par l’employeur dans les conditions prévues par la directive 96/34 […]»

 La procédure précontentieuse

7       Par lettre du 16 mai 2001 valant mise en demeure, la Commission a informé le Grand-Duché de Luxembourg qu’elle considérait que les articles 7, paragraphe 2, et 19, cinquième alinéa, de la loi de 1999 n’étaient pas conformes à la directive 96/34.

8       Le gouvernement luxembourgeois a répondu à cette mise en demeure par lettre du 26 juillet 2001, dans laquelle il contestait le manquement reproché.

9       Le 13 novembre 2002, la Commission a adressé au Grand-Duché de Luxembourg un avis motivé dans lequel elle considérait que la loi de 1999 n’était toujours pas conforme au droit communautaire en ce qui concerne la substitution du congé de maternité au congé parental et la date à partir de laquelle un droit individuel à un congé parental est accordé. Dans cet avis motivé, la Commission invitait ledit État membre à prendre les mesures nécessaires pour s’y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification.

10     Le 19 mai 2003, les autorités luxembourgeoises ont communiqué à la Commission la loi de 2002. Selon le service juridique de la Commission, cette dernière n’avait pas reçu cette communication à la date d’introduction de la présente requête.

11     C’est dans ces circonstances que la Commission, qui ne disposait d’aucune autre information relative à la mise en conformité des dispositions nationales en cause avec la directive 96/34, a décidé d’introduire le présent recours.

 Sur le recours

 Sur la recevabilité

 Argumentation des parties

12     Le gouvernement luxembourgeois soulève l’irrecevabilité du recours en faisant valoir que celui-ci est privé d’objet, parce que le Grand-Duché de Luxembourg a remédié au manquement reproché par les modifications de la loi de 1999 résultant de la loi de 2002, celles-ci étant intervenues avant que le délai de deux mois imparti dans l’avis motivé n’ait expiré.

13     Ledit gouvernement fait valoir que le recours est également irrecevable en raison du fait que la Commission a fondé sa requête sur des prémisses erronées, puisqu’elle n’a pas pris en considération la réponse à l’avis motivé qu’il lui avait adressée, celle-ci ayant été égarée par les services de cette institution.

14     Dans sa duplique, le Grand-Duché de Luxembourg ajoute que le délai de deux mois qui lui a été accordé dans l’avis motivé pour mettre la législation nationale en conformité avec la directive 96/34 ne constituait pas un délai raisonnable, puisqu’il était impossible de procéder aux modifications législatives exigées par la Commission en un laps de temps aussi court.

15     La Commission regrette tout d’abord que la réponse à l’avis motivé que le Grand-Duché de Luxembourg a adressée le 13 juin 2003 à Mme le commissaire Diamantopoulou n’ait pas été transmise au secrétariat général de cette institution qui aurait pu la communiquer à son service juridique.

16     La Commission rappelle ensuite la jurisprudence de la Cour selon laquelle l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé. Cette jurisprudence confirmerait le droit, pour la Commission, de maintenir son recours dans l’hypothèse où il ne serait remédié au manquement qu’après l’expiration du délai imparti dans l’avis motivé (voir, en ce sens, arrêt du 12 septembre 2002, Commission/France, C‑152/00, Rec. p. I-6973, point 15). Ce droit existerait a fortiori dans l’hypothèse où il n’a pas été mis fin au manquement après l’expiration dudit délai.

17     Enfin, la Commission fait valoir que l’absence de prise en considération de la réponse des autorités luxembourgeoises à l’avis motivé est sans influence sur la recevabilité du recours et ne constitue pas une violation des droits de la défense (voir, en ce sens, arrêt du 19 mai 1998, Commission/Pays-Bas, C-3/96, Rec. p. I‑3031, point 20).

 Appréciation de la Cour

18     Selon une jurisprudence constante, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au­ terme du délai fixé dans l’avis motivé (voir, notamment, arrêts du 4 juillet 2002, Commission/Grèce, C-173/01, Rec. p. I-6129, point 7, et du 10 avril 2003, Commission/France, C-114/02, Rec. p. I‑3783, point 9).

19     Il est également de jurisprudence constante que l’intérêt de la Commission à introduire un recours au titre de l’article 226 CE existe même lorsque l’infraction reprochée a été éliminée postérieurement au délai fixé dans l’avis motivé (voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 1988, Commission/Belgique, 283/86, Rec. p. 3271, point 6).

20     Tout d’abord, en l’espèce, la question de savoir si, avant le terme du délai fixé dans l’avis motivé, la loi de 2002 avait remédié au manquement reproché et si, par suite, le recours était privé d’objet avant son introduction est une question qui doit être examinée dans le cadre de l’analyse du bien-fondé du recours.

21     Ensuite, le Grand-Duché de Luxembourg ne saurait se fonder sur l’absence de prise en compte de sa réponse à l’avis motivé ni sur la transmission tardive de cette réponse au secrétariat général de la Commission, pour justifier l’exception d’irrecevabilité qu’il invoque à l’encontre du recours. En effet, la Cour a déjà jugé que l’absence de prise en considération de la réponse à l’avis motivé n’est pas décisive. Ainsi, au point 20 de son arrêt Commission/Pays-Bas, précité, la Cour a jugé que, à supposer même que la procédure contentieuse ait été ouverte par un recours de la Commission ne tenant pas compte d’éventuels nouveaux éléments, de fait ou de droit, avancés par l’État membre concerné dans sa réponse à l’avis motivé, les droits de la défense de cet État ne s’en sont pas trouvés lésés.

22     Enfin, quant à l’exception tirée de l’inadéquation du délai de deux mois qui a été imparti au Grand-Duché de Luxembourg dans l’avis motivé, ce moyen a été soulevé pour la première fois dans le mémoire en duplique et ne se fonde pas sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.

23     Dès lors, cette exception est irrecevable.

24     Il résulte de ce qui précède que le recours de la Commission est recevable.

 Sur le bien-fondé du recours

 Sur le premier grief

–       Argumentation des parties

25     Par son premier grief, la Commission soutient que l’article 7, paragraphe 2, de la loi de 1999, selon lequel le droit à un congé de maternité intervenant pendant le congé parental se substitue à ce dernier qui doit alors prendre fin, n’est pas compatible avec la clause 2, point 1, de l’accord-cadre, dans la mesure où ledit article 7, paragraphe 2, prévoit que le congé parental doit obligatoirement prendre fin lorsque débute le congé de maternité, sans que soit accordée la possibilité à la femme de reporter la partie du congé dont elle n’a pas pu bénéficier.

26     Selon la Commission, le congé parental est distinct du congé de maternité et il a une finalité différente de celle de ce dernier. La femme dont le congé de maternité a débuté pendant son congé parental doit pouvoir, eu égard au droit individuel à un congé parental d’au moins trois mois qu’elle tire de la clause 2, point 1, de l’accord-cadre, reporter la partie de son congé parental qu’elle n’a pu prendre en raison de son congé de maternité.

27     S’appuyant sur le principe de non-discrimination, la Commission conclut que, étant donné que le Grand-Duché de Luxembourg a décidé d’accorder un congé parental d’un durée de six mois à temps plein ou de douze mois à temps partiel, il doit également octroyer un congé parental d’une même durée à toutes les personnes qui relèvent ratione personae du champ d’application de la directive 96/34 et n’est donc pas libre, en l’absence de justifications objectives, de différencier le traitement de celles-ci.

28     Le gouvernement luxembourgeois fait valoir que la violation alléguée de l’accord-cadre ne se produit que dans des hypothèses extrêmement rares. Étant donné que l’article 3, paragraphe 4, de la loi de 1999 impose que l’un des parents prenne le congé parental immédiatement après le congé de maternité et que, dans la grande majorité des cas, c’est la mère qui prend ce congé, il ne serait pas possible biologiquement que son congé parental soit interrompu par un congé de maternité accordé au titre d’une autre grossesse.

29     Ledit gouvernement admet que si, en revanche, c’était le père qui demandait le bénéfice du congé parental à l’expiration du congé de maternité de la femme, il ne pourrait alors être exclu que, durant le congé parental pris à son tour par cette dernière, à une date postérieure, puisse intervenir une grossesse et, de ce fait, un congé de maternité qui mettrait prématurément fin au congé parental.

30     Le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir qu’il a toutefois remédié à un éventuel manquement en adoptant, avant l’expiration du délai qui lui avait été imparti dans l’avis motivé, la loi de 2002 qui a inséré dans la loi de 1999 une nouvelle version de l’article 10 de celle-ci. Le sixième alinéa de cet article prévoit en effet que «le rejet définitif, par la Caisse, de la demande en obtention de l’indemnité prévue à l’article 8ne préjuge pas de l’octroi éventuel d’un congé parental par l’employeur dans les conditions prévues par la directive 96/34 […]».

–       Appréciation de la Cour

31     Un droit individuel à un congé parental d’une durée de trois mois au moins est accordé aux travailleurs, hommes et femmes, par la clause 2, point 1, de l’accord-cadre.

32     En vertu du point 9 des considérations générales de cet accord-cadre, le congé parental est distinct du congé de maternité. Le congé parental est accordé aux parents pour qu’ils puissent s’occuper de leur enfant. Ce congé peut être pris jusqu’à un âge déterminé de ce dernier pouvant aller jusqu’à huit ans. Quant au congé de maternité, il poursuit une finalité différente. Il vise à assurer la protection de la condition biologique de la femme et les rapports particuliers entre cette dernière et son enfant au cours de la période qui fait suite à la grossesse et à l’accouchement, en évitant que ces rapports ne soient troublés par le cumul des charges résultant de l’exercice simultané d’une activité professionnelle (voir, en ce sens, arrêt du 29 novembre 2001, Griesmar, C-366/99, Rec. p. I-9383, point 43).

33     Il en résulte que chaque parent a droit à un congé parental d’une durée minimale de trois mois et que celui-ci ne peut pas être réduit lorsqu’il est interrompu par un autre congé qui poursuit une finalité différente de celle de ce congé parental, tel qu’un congé de maternité. La Cour a déjà jugé qu’un congé garanti par le droit communautaire ne peut pas affecter le droit de prendre un autre congé garanti par ce droit. Ainsi, dans l’arrêt du 18 mars 2004, Merino Gómez, (C‑342/01, non encore publié au Recueil, point 41), la Cour a jugé que la prise d’un congé de maternité ne pouvait pas affecter un droit à un congé annuel complet.

34     Force est de constater que, en exigeant que le congé parental prenne obligatoirement fin à la date à laquelle il est interrompu par un congé de maternité ou un congé d’accueil sans la possibilité pour le parent de reporter la partie dudit congé parental dont il n’a pu bénéficier, le Grand-Duché de Luxembourg n’a pas assuré à tous les parents un congé parental d’une durée minimale de trois mois. Dès lors, cet État membre a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 96/34.

35     Cette conclusion n’est pas remise en cause par la circonstance qu’il existe une faible probabilité pour qu’un congé de maternité ou un congé d’accueil soit susceptible de mettre fin prématurément à un congé parental. En effet, une telle circonstance a une incidence non pas sur l’existence du manquement reproché, mais seulement sur la portée de celui-ci. À cet égard, au point 14 de son arrêt du 27 novembre 1990, Commission/Italie (C-209/88, Rec. p. I-4313), la Cour a jugé que le non-respect d’une obligation imposée par une règle de droit communautaire est en lui-même constitutif de manquement et que la considération que ce non-respect n’a pas engendré de conséquences négatives est dépourvue de pertinence.

36     Il convient toutefois d’examiner si les modifications de la loi de 1999 par la loi de 2002 ont mis fin audit manquement.

37     Ces dernières modifications ont introduit dans la loi de 1999 une nouvelle version de son article 10 et, notamment, un sixième alinéa de celui-ci. Or, cette disposition n’accorde pas un droit à un congé parental, mais se borne à prévoir la possibilité qu’un tel congé puisse être octroyé par un employeur, et ce à la discrétion de ce dernier.

38     Dès lors, il y a lieu de constater que l’article 10, sixième alinéa, de la loi de 1999 n’a pas mis fin au manquement reproché qui résulte de l’article 7, paragraphe 2, de cette même loi.

39     En conséquence, le premier grief invoqué par la Commission au soutien de son recours doit être considéré comme fondé.

 Sur le second grief

–       Argumentation des parties

40     La Commission soutient que l’article 19, cinquième alinéa, de la loi de 1999, qui dispose que le droit au congé parental n’existe que pour les enfants nés après le 31 décembre 1998 ou dont la procédure d’adoption est introduite après cette date, est incompatible avec la directive 96/34.

41     Selon la Commission, cette directive impose aux États membres de reconnaître le droit à un congé parental aux parents de tous les mineurs d’un certain âge, qui peut aller jusqu’à huit ans et que le Grand-Duché de Luxembourg a fixé à cinq ans, indépendamment du fait qu’ils sont nés avant ou après le 3 juin 1998, date limite prévue pour la transposition de ladite directive.

42     La Commission estime que, en exigeant que les enfants soient nés après le 31 décembre 1998 ou que la procédure d’adoption ait été introduite devant le tribunal compétent après cette date, le Grand-Duché de Luxembourg a, lors de la transposition de la directive 96/34 dans son ordre juridique interne, subordonné le bénéfice du congé parental à une condition supplémentaire non autorisée par la directive 96/34.

43     Le gouvernement luxembourgeois réplique, d’une part, que l’événement qui déclenche le droit à un congé parental est la naissance ou l’adoption d’un enfant, événement qui, pour fonder le droit à un congé parental, doit intervenir après l’entrée en vigueur de la directive 96/34 dans l’État membre concerné.

44     D’autre part, ledit gouvernement considère que l’interprétation faite par la Commission implique un effet rétroactif de la directive 96/34. Il rappelle la jurisprudence de la Cour selon laquelle les mesures communautaires n’ont pas d’effet rétroactif sauf à titre exceptionnel, lorsqu’il ressort clairement des termes de cette mesure que telle est l’intention du législateur communautaire. Tel ne serait pas le cas en l’espèce puisque les États membres avaient, au contraire, envisagé une introduction progressive des dispositions de cette directive dans l’ordre juridique de ces derniers.

45     En outre, le Grand-Duché de Luxembourg fait valoir qu’il a été mis fin au manquement reproché par l’introduction dans la loi de 1999 du nouvel article 10, sixième alinéa, de celle-ci.

–       Appréciation de la Cour

46     Il y a lieu de rappeler que la clause 2, point 1, de l’accord-cadre accorde aux travailleurs un droit individuel à un congé parental pour qu’ils puissent s’occuper de leur enfant et que ce congé peut être pris jusqu’à un âge déterminé pouvant aller jusqu’à huit ans, à définir par les États membres. Selon la réglementation luxembourgeoise, ce congé peut être pris jusqu’à ce que l’enfant ait atteint l’âge de cinq ans.

47     Il en résulte que le droit à un congé parental est accordé par la directive 96/34 à tous les parents ayant un enfant dont l’âge est inférieur à une certaine limite. Dès lors que cette directive prévoit que le droit à un congé parental est ouvert pendant une certaine période, jusqu’à ce que l’enfant ait atteint l’âge fixé par l’État membre concerné, le fait que l’enfant est né avant ou après la date limite prévue pour la transposition de cette directive n’est pas pertinent à cet égard. Le droit à un congé parental ne se rattache pas à la naissance ou à l’adoption de l’enfant considérées comme des faits qui, en raison de la date à laquelle ils se sont produits, font naître le droit au bénéfice d’un tel congé. Certes, le libellé de l’accord-cadre énonce que le droit au congé parental est attribué «en raison de la naissance ou de l’adoption» d’un enfant, mais une telle formulation ne reflète que le fait que l’octroi du congé parental est subordonné à la condition qu’un enfant soit né ou ait été adopté. Ceci n’implique pas que, pour que le droit à un congé parental soit fondé, la naissance ou l’adoption de l’enfant doive être intervenue après l’entrée en vigueur de ladite directive dans l’État membre concerné.

48     En exigeant que l’enfant au titre duquel un parent est susceptible de bénéficier d’un congé parental soit né après le 31 décembre 1998 ou que la procédure d’adoption de cet enfant ait été introduite après cette date, le Grand-Duché de Luxembourg a exclu la possibilité pour les parents d’enfants nés ou adoptés avant cette date, mais qui n’avaient pas atteint l’âge de cinq ans à la date d’entrée en vigueur de la loi de 1999, de bénéficier d’un tel droit. Une telle modalité de mise en œuvre de la directive 96/34 est contraire à la finalité de celle-ci, qui vise à accorder un droit à un congé parental aux parents des enfants qui n’ont pas encore atteint un certain âge. De ce fait, ledit État membre a ajouté une condition au droit au congé parental prévu par cette directive qui n’est pas autorisée par cette dernière.

49     Ainsi que l’a relevé à bon droit M. l’avocat général au point 73 de ses conclusions, cette analyse ne confère nullement un effet rétroactif à la directive 96/34. Il s’agit seulement d’une application immédiate de celle-ci aux situations nées avant son entrée en vigueur (voir, en ce sens, arrêt du 29 janvier 2002, Pokrzeptowicz-Meyer, C-162/00, Rec. p. I‑1049, point 50).

50     Quant à l’argument du Grand-Duché de Luxembourg selon lequel il a mis fin à ce manquement par l’introduction du nouvel article 10, sixième alinéa, de la loi de 1999, il y a lieu de rappeler que ce dernier n’accorde pas un droit à un congé parental, mais se borne à donner la possibilité à l’employeur d’offrir au travailleur un congé parental. Dans ces conditions, cette disposition n’a pas mis fin au manquement reproché.

51     Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que le second grief invoqué par la Commission au soutien de son recours doit également être considéré comme fondé.

52     Il convient en conséquence de constater que, en prévoyant que le droit à un congé de maternité ou à un congé d’accueil intervenant pendant le congé parental se substitue à ce dernier qui doit alors prendre fin, sans possibilité pour le parent de reporter la partie du congé parental dont il n’a pas pu bénéficier, et, en limitant l’octroi du droit au congé parental aux parents d’enfants nés après le 31 décembre 1998 ou dont la procédure d’adoption a été introduite après cette date, le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 96/34.

 Sur les dépens

53     Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du Grand-Duché de Luxembourg et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1)      En prévoyant que le droit à un congé de maternité ou à un congé d’accueil intervenant pendant le congé parental se substitue à ce dernier qui doit alors prendre fin, sans possibilité pour le parent de reporter la partie du congé parental dont il n’a pas pu bénéficier, et, en limitant l’octroi du droit au congé parental aux parents d’enfants nés après le 31 décembre 1998 ou dont la procédure d’adoption a été introduite après cette date, le Grand-Duché de Luxembourg a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive 96/34/CE du Conseil, du 3 juin 1996, concernant l’accord-cadre sur le congé parental conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES.

2)      Le Grand-Duché de Luxembourg est condamné aux dépens. 

Signatures


* Langue de procédure: le français.