CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. F. G. JACOBS
présentées le 24 février 2005 (1)
Affaire C-78/03 P
Commission des Communautés européennes
contre
Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum eV
I – Introduction
1. Dans la présente affaire, la Commission des Communautés européennes a formé un pourvoi à l’encontre d’un arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 5 décembre 2002 (ci-après, l’«arrêt attaqué») (2) rejetant son exception d’irrecevabilité du recours formé par l’association Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum eV (ci-après «ARE») contre la décision de la Commission N 506/199, du 22 décembre 1999, concernant le «programme d’acquisition de terres» dans l’ex-République démocratique allemande (ci-après, la «décision attaquée») (3).
2. Le pourvoi soulève deux questions principales. En premier lieu, dans quelles conditions une association peut-elle être considérée comme directement et individuellement concernée par une décision de la Commission autorisant l’octroi d’une aide à des destinataires qui ne sont pas membres de l’association? En second lieu, dans quelles circonstances le Tribunal peut-il interpréter les moyens juridiques du requérant ou soulever d’office un nouveau moyen, afin de justifier la conclusion selon laquelle ce dernier est directement et individuellement concerné?
Le contexte du pourvoi
Les faits
3. Dans la décision attaquée, sans avoir ouvert la procédure formelle d’examen prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE, la Commission n’a soulevé aucune objection quant à l’aide incorporée dans certains amendements de la loi allemande sur les dédommagements et les compensations (Entschädigungs- und Ausgleichsleistungsgesetz, ci-après l’«EALG»), introduite par la loi allemande sur les compensations (Ausgleichsleitungsgesetz, ci-après la «loi sur les compensations»).
4. Ces modifications étaient destinées à rendre le régime d’aide compatible avec le marché commun, comme l’avait exigé la Commission dans sa décision antérieure relative à ce régime, la décision 1999/268/CE, du 20 janvier 1999, concernant l’acquisition de terres en vertu de la loi sur les compensations (ci‑après, la «décision du 20 janvier 1999») (4).
5. ARE est une association qui réunit des groupements concernés par les problèmes liés à la propriété dans les secteurs de l’agriculture et de la sylviculture, des personnes déplacées et expropriées, des victimes de spoliations dans les secteurs de l’industrie, de l’artisanat et du commerce ainsi que des petites et moyennes entreprises qui avaient leur siège et leur patrie dans l’ancienne zone d’occupation soviétique ou en ex-République démocratique allemande.
6. À la suite de la réunification de la République fédérale d’Allemagne en 1990, environ 1,8 million d’hectares de terres agricoles et sylvicoles ont été transférées du patrimoine d’État de la République démocratique allemande vers celui de la République fédérale d’Allemagne.
7. En vertu de loi sur les compensations, qui est entrée en vigueur le 1er décembre 1994, des terres agricoles situées dans l’ex-République démocratique allemande et détenues par la Treuhandanstalt, organisme de droit public chargé de restructurer les anciennes entreprises de l’ex-République démocratique allemande, pouvaient être acquises par différentes catégories de personnes à un prix inférieur à la moitié de leur valeur vénale réelle.
8. Relèvent de ces catégories, en priorité et à condition qu’elles aient résidé sur place le 3 octobre 1990 et qu’elles aient, au 1er octobre 1996, conclu un bail à long terme portant sur de terres jadis propriété du peuple et à privatiser par la Treuhandanstalt, les personnes qui détenaient un bail à ferme, les successeurs des anciennes coopératives de production agricole, les personnes réinstallées expropriées entre 1945 et 1949 ou à l’époque de la République démocratique allemande et qui, depuis lors, exploitent à nouveau des terres et les fermiers décrits comme personnes nouvellement installées qui, anciennement, ne possédaient pas de terres dans les nouveaux Länder. Relèvent de ces catégories, à titre subsidiaire, les anciens propriétaires expropriés avant 1949 qui n’ont pas bénéficié d’une restitution de leurs biens et qui n’ont pas repris une activité agricole sur place. Ces derniers ne peuvent acquérir que les surfaces qui n’ont pas été achetées par les bénéficiaires à titre principal.
9. Cette loi prévoyait également la possibilité d’acquérir des terres sylvicoles de manière préférentielle ainsi qu’une définition légale des catégories de personnes visées à cet égard.
10. À la suite des plaintes portant sur ce programme d’acquisition de terres, introduites par des ressortissants allemands ainsi que par des ressortissants d’autres États membres, la Commission a, le 18 mars 1998, ouvert une procédure d’examen conformément à l’article 93, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 88, paragraphe 2, CE (5); par commodité, nous utiliserons par la suite la numérotation actuellement en vigueur des articles du traité).
11. Cette procédure d’examen a abouti à la décision du 20 janvier 1999 (6) dans laquelle la Commission a déclaré que le programme d’acquisition de terres n’était pas compatible avec les règles du marché commun en ce que l’aide qu’il accordait était liée à la condition de la résidence sur place au 3 octobre 1990 et dépassait le plafond d’intensité d’aide pour l’acquisition de terrains agricoles. Ce plafond avait été fixé à 35 % pour les superficies agricoles des zones non défavorisées au sens du règlement (CE) nº 950/97 du Conseil, du 20 mai 1997, concernant l’amélioration de l’efficacité des structures de l’agriculture (7). Il a été jugé que les autres aspects ne comportaient pas d’éléments d’aide.
12. En ce qui concerne, en particulier, la condition de résidence sur place au 3 octobre 1990 prévue par la loi sur les compensations, la Commission a estimé que la loi favorisait les personnes physiques et morales des nouveaux Länder par rapport à celles qui n’avaient pas de siège ou de résidence en Allemagne et que, dès lors, elle était de nature à constituer une infraction à l’interdiction de discrimination en vertu des articles 43 CE à 48 CE puisque cette condition n’était remplie, de facto, quasi exclusivement, que par des citoyens allemands dont la résidence antérieure était notamment située dans les nouveaux Länder.
13. Par conséquent, cette condition avait pour effet d’exclure les personnes ne satisfaisant pas au critère selon lequel la résidence (principale) devait être située sur le territoire de la République démocratique allemande. Le critère de «résidence sur place au 3 octobre 1990» aurait pu être justifié uniquement s’il était à la fois nécessaire et approprié pour atteindre l’objectif poursuivi par le législateur, à savoir faire bénéficier du programme les personnes intéressées, ou les familles de celles-ci, qui avaient vécu et travaillé en République démocratique allemande durant des décennies.
14. La Commission a estimé que pour atteindre cet objectif, il n’était pas nécessaire de fixer la date de référence au 3 octobre 1990 pour la résidence sur place. En effet, ces personnes nouvellement installées ou ces personnes morales auraient été autorisées, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, de la loi sur les compensations, à participer au programme d’acquisition de terres si, au 1er octobre 1996, elles avaient pris un bail à long terme des terres jadis propriété du peuple et à privatiser par la Treuhandanstalt. Au cours de cette procédure d’examen, des intéressés ont expressément attiré l’attention de la Commission sur le fait que la très grande majorité des contrats de bail à long terme ont été conclus avec des Allemands de l’Est. Il ressort clairement de cela que la réalisation de l’objectif fixé par le législateur (à savoir, la participation des Allemands de l’Est au programme d’acquisition de terres), même si la légitimité de cet objectif est reconnue, n’aurait pratiquement pas été mise en péril par la non-fixation de la date de référence au 3 octobre 1990.
15. Dans cette même décision du 20 janvier 1999, la Commission a ordonné à la République fédérale d’Allemagne de récupérer les aides déclarées incompatibles avec le marché commun et déjà octroyées et de ne plus accorder d’aides nouvelles en vertu de ce programme.
16. Postérieurement à cette décision, le législateur allemand a rédigé le projet de loi complétant la loi sur le rétablissement des droits patrimoniaux (Vermögensrechtsergänzungsgesetz) supprimant et modifiant certaines des modalités prévues par le programme d’acquisition de terres.
17. Ce nouveau projet de loi a été notifié à la Commission, qui l’a autorisé dans la décision attaquée, sans ouvrir la procédure d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE.
18. La Commission a constaté que les éléments considérés par elle, dans sa décision du 20 janvier 1999, comme étant incompatibles avec le marché commun ne figuraient pas dans ledit projet de loi. En particulier, la condition de résidence sur place au 3 octobre 1990 était abrogée et le taux d’intensité des aides était fixé à 35 % (en d’autres termes, le prix d’achat des terres en question était fixé à leur valeur réelle moins 35 %). La condition principale pour acquérir des terres à un prix réduit serait dès lors d’avoir un contrat de bail à long terme. La Commission a également constaté que, compte tenu des garanties apportées par les autorités allemandes, il y avait suffisamment de terres disponibles pour corriger toute discrimination sans annuler les contrats conclus en application de l’EALG initial.
19. Pour autant que la nouvelle réglementation présentait en outre des éléments qui, en application de critères par ailleurs équivalents, favoriseraient les Allemands de l’Est, pareil avantage relevait de l’objectif de restructuration de l’agriculture dans les nouveaux Länder tout en garantissant parallèlement que les personnes intéressées, ou les familles de celles-ci, qui avaient vécu et travaillé en République démocratique allemande pendant des décennies, puissent également bénéficier de cette réglementation. Dans sa décision du 20 janvier 1999, la Commission avait reconnu la légitimité de cet objectif et ne l’avait pas contesté.
20. Par cette constatation, la Commission a écarté une série de critiques qu’elle avait reçues de plusieurs intéressés, y compris ARE, à la suite de la décision du 20 janvier 1999, selon lesquelles, même en l’absence de l’exigence de résidence sur place au 3 octobre 1990, le programme d’acquisition de terres était toujours discriminatoire, en raison de l’exigence de détenir un bail à long terme, exigence qui aurait pour conséquence de maintenir le critère de résidence sur place et de rendre le nombre de terres libres à l’acquisition insuffisant.
21. À la suite de la décision d’autorisation de la Commission, le Vermögensrechtsergänzungsgesetz a été adopté par le législateur allemand.
22. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 mai 2000, ARE a formé un recours pour contester la décision attaquée.
L’exception d’irrecevabilité
23. La Commission, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, a fait valoir que le recours était irrecevable pour deux raisons: en premier lieu, la décision attaquée ne concernait pas directement et individuellement ARE; en second lieu, cette dernière avait commis un abus de procédure.
24. La Commission a soutenu que seules des entreprises en concurrence avec les entreprises bénéficiaires d’aides peuvent être considérées comme concernées individuellement par une décision autorisant ces aides, notamment si elles ont joué un rôle actif dans la procédure d’examen principale antérieure et dans la mesure où leur position sur le marché est substantiellement affectée par l’aide qui fait l’objet de la décision attaquée.
25. S’agissant des associations d’opérateurs économiques, la Commission a fait valoir que seules celles qui ont participé activement à la procédure en vertu de l’article 88, paragraphe 2, CE sont reconnues comme étant concernées individuellement par une telle décision, dans la mesure où elles sont affectées en leur qualité de négociatrices ou lorsqu’elles se sont substituées à un ou à plusieurs de leurs membres qui auraient pu former eux-mêmes un recours recevable. En se fondant sur les faits de l’affaire, la Commission a estimé qu’ARE ne remplissait pas ces conditions et que, dès lors, celle-ci n’était pas individuellement concernée.
26. La Commission a fait valoir en outre que le recours était d’autant plus irrecevable que le programme d’acquisition de terres constituait un régime d’aide dont l’autorisation par la Commission était par conséquent une mesure de portée générale, qui s’appliquait à des situations déterminées objectivement et a des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite.
27. Enfin, la Commission a exposé qu’ARE représentait essentiellement, voire exclusivement, des intérêts allemands, alors que son recours visait à faire constater par le Tribunal que le programme d’acquisition de terres litigieux comportait une discrimination fondée sur la nationalité et ne pouvait, par conséquent, être autorisé par la Commission.
28. La Commission a conclu qu’il n’existait pas de lien entre les intérêts propres à ARE et les intérêts que celle-ci représentait dans le cadre de ce recours, qui étaient des intérêts étrangers. Une association n’est pas autorisée à former un recours en vertu de l’article 230, quatrième alinéa, CE, lorsqu’elle ne représente pas les intérêts de ses membres. La Commission a relevé à cet égard que les membres de cette association n’étaient pas des ressortissants d’autres États membres, mais des personnes qui ont été lésées pendant la guerre et la période de l’après-guerre, dans l’ancienne zone d’occupation soviétique et dans l’ex-République démocratique allemande.
29. La République fédérale d’Allemagne a reconnu que le recours devant le Tribunal devait être déclaré irrecevable au motif que l’ARE n’était pas individuellement concernée par la décision attaquée. Elle a ajouté que les bénéficiaires de l’aide n’avaient pas encore été individualisés et nommément désignés. En outre, ARE ne pouvait pas être directement concernée car il n’y avait pas de lien de causalité entre la décision attaquée et l’intérêt supposé de cette association au regard du droit de la concurrence. En effet, même si le grief tiré d’une violation du principe de non-discrimination était fondé, cela ne mènerait pas automatiquement à la récupération de terres par les anciens propriétaires qu’ARE représente.
30. La Commission et la République fédérale d’Allemagne ont toutes deux considéré qu’ARE et ses membres étaient davantage préoccupés par la modification du régime de propriété qui, en vertu de l’article 295 CE, ne saurait être affecté par le droit communautaire, que par leur position concurrentielle sur le marché.
31. ARE a observé, en premier lieu, qu’elle représentait plus de 1 000 entreprises opérant dans le secteur agricole, qui étaient dans un rapport de concurrence, au sens du droit communautaire, avec les bénéficiaires du programme d’acquisition de terres et dont certaines opéraient sur le même marché. En outre, elle a soutenu que son objectif était d’obtenir, non pas une modification du régime de propriété, mais l’application effective de l’obligation de contrôle des aides qui incombe à la Commission, afin de sauvegarder les intérêts économiques de ses membres qui étaient des concurrents des bénéficiaires des aides.
32. ARE a estimé que le fait qu’elle représentait essentiellement des intérêts allemands était sans pertinence du point de vue de la position concurrentielle de ses membres au regard du droit communautaire. De surcroît, elle avait un intérêt propre à l’annulation de la décision attaquée, en ce que, en cas d’application stricte du principe de non-discrimination en fonction de la nationalité, une redistribution des terres s’imposerait et ses membres auraient une meilleure chance d’y accéder.
33. ARE a ajouté lors de l’audience devant le Tribunal que, même si celui-ci estimait qu’elle ne pouvait pas être considérée comme une association d’entreprises ou d’opérateurs économiques, il devait la considérer comme étant individuellement concernée par la décision attaquée, du fait de sa position de négociatrice avec la Commission et de sa participation à la procédure.
L’arrêt attaqué
34. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’exception d’irrecevabilité et déclaré que le recours était recevable.
35. Le Tribunal a relevé, en premier lieu, que, étant donné que la décision attaquée était adressée à la République fédérale d’Allemagne, il convenait d’examiner si elle concernait directement et individuellement ARE, conformément à la jurisprudence Plaumann/Commission (8).
36. Le Tribunal a poursuivi en rappelant les objectifs différents des procédures prévues par l’article 88, paragraphes 2 et 3, CE ainsi que la jurisprudence selon laquelle, lorsque la Commission, sans ouvrir la procédure de l’article 88, paragraphe 2, CE, constate, sur le fondement du paragraphe 3 du même article, qu’une aide est compatible avec le marché commun, les bénéficiaires des garanties de procédure de l’article 88, paragraphe 2, CE ne peuvent en obtenir le respect que s’ils ont la possibilité de contester devant le juge communautaire cette décision de la Commission.
37. Conformément à cette jurisprudence, lorsque, par un recours en annulation d’une décision de la Commission prise au terme de la phase préliminaire, une partie requérante vise à obtenir le respect des garanties de procédure prévues par l’article 88, paragraphe 2, CE, le simple fait qu’elle ait la qualité d’intéressée, au sens de cette disposition, suffit pour qu’elle soit regardée comme directement et individuellement concernée au sens de l’article 230, quatrième alinéa, CE (9).
38. Étant donné que la décision attaquée a été prise sur la base de l’article 88, paragraphe 3, CE, sans que la Commission ait ouvert la procédure formelle prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE, le Tribunal a conclu que la partie requérante devait être considérée comme étant directement et individuellement concernée par la décision attaquée si, premièrement, elle tendait à faire sauvegarder les droits procéduraux prévus par l’article 88, paragraphe 2, CE et, deuxièmement, s’il apparaissait qu’elle avait la qualité d’«intéressée» au sens de ce même paragraphe (10).
39. En ce qui concerne la question de savoir si, par le biais de son recours, ARE tendait à faire sauvegarder les droits procéduraux prévus par l’article 88, paragraphe 2, CE, le Tribunal a conclu que, même si elle n’avait pas explicitement dénoncé une violation de la part de la Commission de l’obligation d’ouvrir la procédure prévue par ladite disposition ayant empêché l’exercice des droits procéduraux prévus par celle-ci, «les moyens d’annulation avancés à l’appui du présent recours, et notamment celui tiré d’une violation de l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité, doivent être interprétés comme visant à faire constater l’existence de difficultés sérieuses soulevées par les mesures litigieuses à l’égard de leur compatibilité avec le marché commun, difficultés qui placeraient la Commission dans l’obligation d’ouvrir la procédure formelle» (11).
40. Cette constatation a ouvert la voie à l’application par le Tribunal de la jurisprudence selon laquelle la Commission est tenue d’ouvrir cette procédure si un premier examen ne lui a objectivement pas permis de surmonter toutes les difficultés sérieuses soulevées dans l’appréciation de la compatibilité avec le marché commun de la mesure étatique en cause.
41. Le Tribunal a relevé que «comme le traité n’impose à la Commission l’obligation de mettre les intéressés en mesure de présenter leurs observations que dans le cadre de la phase d’examen prévue par son article 88, paragraphe 2, CE, ceux-ci ne peuvent faire valoir le caractère objectivement difficile de l’examen à effectuer par la Commission et obtenir le respect de leurs garanties procédurales que s’ils ont la possibilité de contester devant le Tribunal la décision de ne pas ouvrir la procédure de l’article 88, paragraphe 2, CE» (12).
42. Le Tribunal est parvenu à la conclusion que, «[d]ans le cas d’espèce, le recours doit donc être interprété comme reprochant à la Commission de ne pas avoir ouvert, malgré les difficultés sérieuses dans l’appréciation de la compatibilité des aides en cause, la procédure formelle prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE et comme visant, en dernière analyse, à faire sauvegarder les droits procéduraux conférés par ledit paragraphe» (13).
43. Ayant ainsi réinterprété l’objet du recours, le Tribunal a ensuite examiné si ARE avait la qualité d’«intéressée» au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, auquel cas elle aurait été individuellement concernée par la décision attaquée.
44. Le Tribunal a estimé qu’«il ressort d’une jurisprudence constante que les intéressés visés par l’article 88, paragraphe 2, CE sont non seulement l’entreprise ou les entreprises favorisées par une aide, mais tout autant les personnes, entreprises ou associations éventuellement affectées dans leurs intérêts par l’octroi de l’aide, notamment les entreprises concurrentes et les organisations professionnelles. […] Il ressort également de la jurisprudence que, pour que son recours soit recevable, une autre entreprise que le bénéficiaire de l’aide doit démontrer que sa position concurrentielle sur le marché est affectée par l’octroi de l’aide. Dans le cas contraire, elle n’a pas la qualité d’intéressé au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE» (14).
45. Le Tribunal a examiné si au moins certains membres de ladite association pouvaient être considérés comme des «intéressés» au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, afin de déterminer si ARE pouvait elle-même être considérée comme une partie intéressée aux fins de l’application de la même disposition. Ceci signifiait qu’il fallait apprécier si la position concurrentielle de ses membres sur le marché était affectée par l’octroi de l’aide en question. Le Tribunal a considéré qu’elle l’était, dans la mesure où certains de ces membres étaient des opérateurs économiques qui pouvaient être considérés comme des concurrents directs des bénéficiaires des aides litigieuses. Pour parvenir à cette conclusion, le Tribunal s’est appuyé sur les statuts d’ARE qui, de son point de vue, montraient sans ambiguïté que les personnes dont elle défendait les intérêts étaient, au moins pour une partie appréciable, des opérateurs économiques (15).
46. Le Tribunal a considéré comme incontestable que l’acquisition de terres agricoles ou sylvicoles constituait un élément essentiel dans la stratégie commerciale et dans la position concurrentielle d’un agriculteur ou d’un sylviculteur. Après avoir examiné le dossier, le Tribunal a conclu qu’il était établi que les positions concurrentielles de certains membres agriculteurs et sylviculteurs de ladite association étaient affectées par le programme d’acquisition de terres. Ainsi, le Tribunal a estimé que certains membres de celle-ci étaient nécessairement affectés dans leur position concurrentielle par la décision attaquée et que, partant, en tant qu’«intéressés», au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, ils étaient recevables à introduire un recours en annulation à titre individuel contre cette même décision (16).
47. En ce qui concerne le but réel de l’association ARE, le Tribunal a considéré qu’il ressortait des statuts de cette dernière qu’elle avait été créée pour défendre les intérêts et droits de propriété de ses membres. En défendant les intérêts de ces opérateurs économiques quant au droit de propriété, et notamment l’intérêt d’agriculteurs et de sylviculteurs à pouvoir obtenir des terres malgré leur position désavantageuse par rapport aux bénéficiaires potentiels du programme d’acquisition de terres, ladite association défendait les intérêts commerciaux et concurrentiels de ces membres. Pour cette raison, le Tribunal a rejeté l’argument de la Commission selon lequel ARE ne représentait pas des intérêts d’entreprises, mais des intérêts sociaux quelconques, et selon lequel l’affaire concernait uniquement des aspects relatifs au droit de propriété qui sortent du cadre communautaire en vertu de l’article 295 CE.
48. Le Tribunal a également relevé qu’il ressortait de la décision du 20 janvier 1999 ainsi que de la décision attaquée que la Commission avait elle-même estimé nécessaire d’examiner le programme d’acquisition de terres à la lumière des règles communautaires de concurrence, notamment des règles en matière d’aides d’État. Dans ces circonstances, la Commission ne pouvait raisonnablement contester le fait qu’une association qui s’opposait à ce programme d’acquisition de terres et qui comptait parmi ses membres de nombreux agriculteurs qui se trouvaient dans une position désavantageuse par rapport aux bénéficiaires potentiels dudit programme, défendait, en substance, les intérêts concurrentiels de ces membres.
49. Par conséquent, ARE étant, selon l’article 2 de ses statuts, une association constituée pour promouvoir les intérêts collectifs de ses membres, parmi lesquels il y a lieu d’inclure également les intérêts concurrentiels des membres qui sont agriculteurs et sylviculteurs, elle doit être considérée comme étant recevable à introduire un recours en annulation au nom de ces derniers, qui, en tant qu’intéressés au sens de l’article 88, paragraphe 2, CE, auraient pu le faire à titre individuel (17).
50. Le Tribunal a également considéré qu’ARE pouvait être considérée comme étant individuellement concernée par la décision attaquée en ce que sa position de négociatrice avait été affectée par ladite décision. Le Tribunal a estimé qu’ARE avait participé activement à la procédure formelle d’examen qui avait mené à l’adoption de la décision du 20 janvier 1999 ainsi qu’aux discussions informelles relatives à sa mise en œuvre, et ce de façon active, multiple et expertises scientifiques à l’appui. D’après le Tribunal, la Commission a admis elle-même que ladite association avait influencé le processus décisionnel et qu’elle avait été une source d’informations intéressante.
51. Ce faisant, le Tribunal a constaté que, sur la base de la jurisprudence pertinente, ARE aurait été recevable à introduire un recours en annulation contre la décision mettant fin à ladite procédure formelle, à savoir la décision du 20 janvier 1999, ce qu’elle avait décidé de ne pas faire. D’après le Tribunal, ARE ne l’a pas fait, car cette décision n’était pas contraire aux intérêts qu’elle défendait.
52. Toutefois, au vu du lien entre ces deux décisions et du rôle d’interlocuteur important qu’ARE avait joué au cours de la procédure formelle close par la décision du 20 janvier 1999, le Tribunal a estimé que l’individualisation de ladite association au regard de cette même décision s’est nécessairement prolongée au regard de la décision attaquée, même si ARE n’a pas été impliquée dans l’examen de la Commission ayant mené à l’adoption de cette dernière décision (18).
53. Le Tribunal a dès lors conclu qu’ARE était individuellement concernée par la décision attaquée.
54. En ce qui concerne l’argument de la Commission et de la République fédérale d’Allemagne, selon lequel le programme d’acquisition de terres constituait un régime d’aides et que, par conséquent, l’autorisation de ce régime par la Commission était une mesure de portée générale qui s’appliquait à des situations déterminées objectivement et avait des effets juridiques à l’égard d’une catégorie de personnes envisagées de manière générale et abstraite, le Tribunal a observé que «dans certaines circonstances, un acte de portée générale peut concerner individuellement certaines personnes, et que tel est le cas précisément lorsque l’acte en cause atteint une personne physique ou morale déterminée en raison de certaines qualités qui lui sont particulières ou en raison d’une situation de fait qui la caractérise par rapport à toute autre personne» (19). De l’avis du Tribunal, tel était le cas en l’espèce.
55. Le Tribunal a également rejeté les moyens de la Commission et de la République fédérale d’Allemagne relatifs à l’absence de lien entre les intérêts propres à ARE et à ses membres et les intérêts représentés par cette association dans son recours. Étant donné que les membres de celle-ci étaient, notamment, des personnes qui n’avaient pas un accès prioritaire aux terres en vertu du régime d’aide approuvé par la Commission, l’annulation de la décision d’autorisation de ce régime profiterait à ces membres dans la mesure où elle contribuerait à mettre fin à l’accès prioritaire aux terres de la part de leurs concurrents.
56. Cette conclusion n’était pas infirmée par le fait qu’ARE invoquait, dans le cadre de son recours, une violation du principe de non-discrimination sur la base de la nationalité. Étant donné que le recours en annulation servait les intérêts de ladite association et de ses membres et que celle-ci était individuellement et directement concernée par la décision attaquée, comme le Tribunal l’avait établi, il lui était loisible d’invoquer n’importe quels motifs d’illégalité énumérés à l’article 230, deuxième alinéa, CE, y compris une violation des articles du traité en matière de non-discrimination. Par ailleurs, le Tribunal a précisé qu’ARE n’invoquait pas uniquement une discrimination sur la base de la nationalité, mais également une violation de l’article 88, paragraphe 3, CE (20).
57. En définitive, le Tribunal a rejeté le second moyen d’irrecevabilité tiré d’un abus de procédure, estimant que, dès lors que l’objet du recours en annulation servait les intérêts d’ARE et que cette dernière remplissait les conditions de l’article 230, quatrième alinéa, CE, il ne pouvait lui être reproché d’avoir commis un abus de procédure ou une violation du principe de séparation des voies de recours en introduisant un recours en annulation en vertu de l’article 230 CE (21).
58. Par conséquent, le Tribunal a rejeté l’exception d’irrecevabilité.
Le pourvoi
59. La Commission a, le 19 février 2003, formé un pourvoi contre l’arrêt attaqué. Avant d’examiner les moyens de ce pourvoi, il convient de relever que, dans l’introduction de celui-ci, la Commission a estimé nécessaire, ainsi qu’elle l’avait fait dans son exception d’irrecevabilité, d’attirer l’attention de la Cour sur le fait que, à son avis, les questions litigieuses n’ont aucun rapport avec le droit communautaire et encore moins avec la réglementation relative aux aides d’État.
60. Du point de vue de la Commission, le recours et les raisons d’ARE pour l’introduction de celui-ci ont davantage trait à un conflit d’intérêts d’ordre interne résultant du traitement réservé par la législation nationale au problème du transfert à des propriétaires privés, après la réunification de l’Allemagne, des terres acquises par l’ex-République démocratique allemande après 1945, qu’à une distorsion de concurrence causée par des éléments d’aide d’État. Il semble que, d’après la Commission, ARE, qui représente d’anciens propriétaires, ait utilisé le droit communautaire pour s’opposer à la solution adoptée par le législateur allemand pour privilégier certains preneurs à bail de longue durée, au détriment de ses membres, anciens propriétaires.
61. Même si, comme le Tribunal l’a relevé lui-même, il paraît quelque peu contradictoire de la part de la Commission de soutenir que l’affaire n’a rien à voir avec les règles du traité en matière de concurrence, alors qu’elle a elle-même adopté deux décisions à cet égard en vertu des dispositions du traité relatives aux aides d’État, on doit reconnaître que les pièces du dossier font clairement apparaître que les considérations socio-économiques et politiques qui sous-tendent la législation nationale en cause vont bien au-delà de la simple question des aides d’État, qui constitue seulement un des éléments du contentieux plus important qui existe entre ARE et les autorités allemandes.
62. La Commission avance sept moyens dans le cadre du pourvoi, qui peuvent être résumés comme suit. Elle fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit:
1) en constatant que, malgré sa portée générale, la décision attaquée concerne individuellement ARE et l’atteint (ou atteint un ou plusieurs de ses membres) en raison de certaines qualités qui leurs sont particulières ou en raison d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne;
2) en basant ses constatations sur le fait que, s’agissant de la condition selon laquelle il faut être individuellement concerné, prévue par l’article 230 CE et appliquée au domaine des aides d’État, le rapport de concurrence (lorsque la concurrence constitue le critère décisif) est différent selon qu’il s’agit de décisions prises au titre de l’article 88, paragraphes 2 et 3, CE, de sorte que des critères différents sont applicables en matière de recevabilité;
3) en appliquant un critère du rapport de concurrence (il doit y avoir une atteinte à la position concurrentielle d’ARE) qui est différent et moins strict que celui établi par la Cour (il doit y avoir une atteinte sensible à la position concurrentielle de ladite association);
4) en ayant, de son propre chef et sans avoir entendu la Commission, la partie intervenante ou ARE, ajouté dans l’arrêt un moyen non contenu dans la requête devant le Tribunal;
5) en constatant qu’ARE a été affectée dans sa position de négociatrice et qu’elle doit donc être considérée comme individuellement concernée par la décision attaquée;
6) en n’indiquant pas suffisamment clairement les motifs sur lesquels l’arrêt attaqué est fondé;
7) en constatant d’une manière contradictoire, dans le cadre des procédures relevant de la législation sur les aides que, d’une part, ARE n’a pas été entendue par la Commission et que, d’autre part, elle a été entendue à tel point qu’elle a acquis le statut de négociatrice.
Adjonction d’un moyen nouveau
63. Nous commencerons par examiner le quatrième moyen du pourvoi selon lequel le Tribunal aurait ajouté d’office un moyen nouveau, non expressément avancé par ARE.
64. La décision attaquée a été adoptée sur la base de l’article 88, paragraphe 3, CE, sans que la Commission ait ouvert la procédure formelle d’examen prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE. À cet égard, le Tribunal a estimé que, conformément à la jurisprudence, pour être individuellement concernée, ARE devait prouver, en premier lieu, qu’elle tendait à sauvegarder les droits procéduraux prévus par l’article 88, paragraphe 2, CE et, en second lieu, qu’elle était «intéressée» au sens de ce paragraphe.
65. ARE n’a pas explicitement déclaré au Tribunal, dans ses observations écrites ou orales, que son intention de former un recours était motivée par la défense de ses droits procéduraux résultant de l’article 88, paragraphe 2, CE, ou que la Commission aurait dû ouvrir la procédure formelle d’examen en vertu de l’article 88, paragraphe 2, CE. Selon les termes du Tribunal, «la requérante n’a pas explicitement dénoncé une violation de la part de la Commission de l’obligation d’ouvrir la procédure prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE ayant empêché l’exercice des droits procéduraux prévus par cette disposition».
66. Toutefois, ceci n’a pas empêché le Tribunal de constater que, «en dernière analyse», tel était l’objectif de ladite association: «[t]outefois, les moyens d’annulation avancés à l’appui du présent recours, et notamment celui tiré d’une violation de l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité, doivent être interprétés comme visant à faire constater l’existence de difficultés sérieuses soulevées par les mesures litigieuses à l’égard de leur compatibilité avec le marché commun, difficultés qui placeraient la Commission dans l’obligation d’ouvrir la procédure formelle». Le Tribunal a conclu que «[d]ans le cas d’espèce, le recours doit donc être interprété comme reprochant à la Commission de ne pas avoir ouvert, malgré les difficultés sérieuses dans l’appréciation de la compatibilité des aides en cause, la procédure formelle prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE et comme visant, en dernière analyse, à faire sauvegarder les droits procéduraux conférés par ledit paragraphe» (22).
67. Dans son pourvoi, la Commission prétend que le Tribunal est non seulement clairement allé au-delà d’une interprétation large des moyens sur lesquels ARE a fondé son recours devant lui, mais a également introduit un moyen totalement nouveau et différent sur le fondement de l’article 230 CE, celui de la violation des formes substantielles. La Commission prétend également que le Tribunal n’était pas tenu de soulever d’office un tel moyen dès lors qu’il n’était pas d’ordre public.
68. ARE rétorque que le Tribunal a raisonnablement interprété son recours, conformément au principe d’économie de la procédure, dans la mesure où il aurait été nécessaire d’ouvrir une nouvelle procédure formelle d’examen dans l’hypothèse où son recours aurait été accueilli sur le fond. Elle fait également valoir que l’on peut déduire de ses observations au sujet de la violation substantielle impliquée par la décision attaquée qu’il existait des «difficultés sérieuses» pour déterminer la compatibilité de l’aide. En dernier lieu, ARE prétend que dans des arrêts antérieurs, le Tribunal a examiné d’office, sans y avoir été invité par les parties, la question de la violation des formes substantielles de procédure résultant de l’absence d’ouverture par la Commission de la procédure formelle d’examen en vertu de l’article 88, paragraphe 2, CE.
Interprétation des observations d’ARE
69. La première étape est d’établir si le Tribunal a interprété correctement les observations d’ARE.
70. À titre liminaire, il convient d’observer que, compte tenu des circonstances particulières de l’affaire et de la jurisprudence relative à la qualité pour agir des personnes physiques et morales en vertu de l’article 230 CE en matière d’aides d’État, le moyen litigieux est important, car, s’il y est fait droit, il permet de remplir plus aisément les conditions de recevabilité.
71. Le juge communautaire doit pouvoir bénéficier d’une certaine flexibilité dans l’interprétation des moyens et arguments figurant dans un recours et en déduire, si nécessaire, le véritable objet de ce dernier ainsi que les moyens sur lesquels il repose.
72. Un tel pouvoir d’interprétation est toutefois enserré dans certaines limites. L’article 21 du statut de la Cour de justice, l’article 38 du règlement de procédure de celle-ci et l’article 44 du règlement de procédure du Tribunal disposent qu’une requête doit contenir, notamment, l’objet du litige et l’exposé sommaire des moyens invoqués.
73. Il est de jurisprudence constante que l’information figurant dans la requête doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de trancher le litige (23). En outre, la Cour a considéré que les termes «exposé sommaire des moyens invoqués», utilisés dans son statut et son règlement de procédure, signifient que la requête doit indiquer la nature des moyens sur lesquels elle est fondée. Bien que la seule énonciation abstraite des moyens dans la requête ne réponde pas à cette exigence, la présentation de ces derniers par leur substance plutôt que par leur qualification légale peut suffire, à condition toutefois qu’il soit établi que le moyen sur lequel la plainte repose présente un lien avec les faits exposés (24).
74. Il résulte des observations écrites et orales d’ARE que celle-ci a invoqué trois moyens principaux devant le Tribunal:
– en premier lieu, une violation des formes substantielles, dans la mesure où la motivation de la décision attaquée était défectueuse en ce que la Commission n’avait pas vérifié si, à la suite des modifications de la loi proposées par la République fédérale d’Allemagne, toute personne autre qu’un ressortissant allemand serait en droit d’acquérir de terres dans le cadre du régime préférentiel tel que modifié;
– en deuxième lieu, une violation du traité, dans la mesure où la décision attaquée enfreignait le principe de non-discrimination sur la base de la nationalité;
– en troisième lieu, une violation de l’article 88, paragraphe 3, CE, dans la mesure où la Commission avait approuvé les mesures proposées par la République fédérale d’Allemagne pour mettre en œuvre la décision du 20 janvier 1999 sans exiger, d’une part, une déclaration selon laquelle tous les contrats existants conclus sous l’empire de l’ancien régime étaient nuls et, d’autre part, l’octroi ex novo des terres concernées.
75. Sur la base d’une lecture attentive de la requête déposée devant le Tribunal par ARE, nous ne pensons pas que l’on puisse déduire de sa formulation que l’intention de ladite association était de contester le refus de la Commission d’ouvrir la procédure de l’article 88, paragraphe 2, CE ou de sauvegarder ses droits procéduraux en application de cette disposition. ARE n’a fait aucune référence, au cours des phases de la procédure devant le Tribunal, à l’ouverture de la procédure en application de l’article 88, paragraphe 2, CE ou à la jurisprudence susceptible de venir à l’appui d’une telle prétention. En fait, elle s’est référée pour la première fois à la jurisprudence pertinente dans sa réponse au quatrième moyen soulevé par la Commission dans le cadre du présent pourvoi, mais même à ce moment, elle n’a pas réussi, à notre avis, à démontrer que son intention initiale était, ainsi que l’a estimé le Tribunal, de sauvegarder ses droits procéduraux en application de l’article 88, paragraphe 2, CE. La jurisprudence en vertu de laquelle les intéressés sont habilités à contester le refus de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen en vertu de ladite disposition, est à ce jour bien établie et a, de plus, retenu toute l’attention de la doctrine et des praticiens.
76. Étant donné qu’ARE n’a pas spécifiquement soulevé ce moyen et qu’elle ne n’est pas référée à la jurisprudence appropriée, il nous semble que l’interprétation de ses véritables intentions par le Tribunal est allée trop loin.
77. Il est important de relever qu’ARE avait déjà formulé de manière exhaustive ses observations sur le régime d’aide dans le cadre de sa participation à la procédure engagée en application de l’article 88, paragraphe 2, CE, qui a abouti à l’adoption de la décision du 20 janvier 1999. Cette décision comportait une analyse de fond par la Commission du régime d’aide et la décision attaquée ne faisait que mettre en œuvre ses constatations. ARE avait dès lors déjà exercé ses droits procéduraux dans le cadre de ladite procédure, ce qui pourrait expliquer, comme le suggère la Commission, pour quelle raison ARE n’a pas expressément invoqué dans sa requête devant le Tribunal ses droits procéduraux ou n’a pas contesté le refus de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen en vertu de cette disposition (25).
78. Il est vrai que dans sa requête, ARE a invoqué, dans son premier moyen, la violation des formes substantielles. Toutefois, ce moyen était fondé sur une motivation insuffisante et non sur un défaut de respect des droits procéduraux de la requérante en vertu de l’article 88, paragraphe 2, CE. Il s’agit, à notre avis, de deux moyens très différents et il ne semble pas qu’il existe un lien logique entre les deux. De même, il ne semble pas qu’ARE ait seulement mentionné le premier moyen lors de l’audience.
79. Ainsi, alors que les moyens d’ARE visaient directement la compatibilité de la décision attaquée avec le traité, le Tribunal a interprété son recours comme contestant le refus de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen en vertu de l’article 88, paragraphe 2, CE et comme tendant à sauvegarder les droits procéduraux que cette disposition implique. Ce faisant, le Tribunal est, à notre avis, allé au-delà d’une interprétation acceptable des moyens avancés par ladite association, question qui est d’autant plus cruciale que le moyen, tel qu’interprété par le Tribunal, est décisif pour ce qui est de la recevabilité du recours.
80. Cette conclusion est renforcée par la jurisprudence du Tribunal lui-même, ainsi que la Commission l’a souligné dans son pourvoi.
81. Dans son arrêt Skibsværftsforeningen e.a./Commission (26), après avoir rappelé que la Commission avait adopté la décision attaquée au cours de la procédure d’examen préliminaire prévue par l’article 88, paragraphe 3, CE, le Tribunal a estimé que, «étant donné que les requérantes n’en ont pas demandé l’annulation au motif que la Commission aurait violé l’obligation d’ouvrir la procédure [de l’article 88, paragraphe 2 CE], ou au motif que les garanties de procédure prévues par [l’article 88, paragraphe 2 CE] auraient été violées […], le simple fait que les parties requérantes puissent être considérées comme parties ‘intéressées’ au sens de l’article [88], paragraphe 2, ne saurait suffire pour admettre la recevabilité du recours». Le Tribunal a ensuite examiné si les requérantes remplissaient les critères de la jurisprudence Plaumann/Commission, précitée, d’une autre manière.
82. Le Tribunal a adopté la même approche dans son arrêt Nuove Industrie Molisane/Commission (27) dans lequel il a rejeté le recours au motif, entre autres, que l’ARE n’avait pas invoqué le défaut d’ouverture par la Commission de la procédure formelle d’examen. Le Tribunal a refusé expressément de présumer que l’ARE avait un intérêt à agir sur ce fondement.
83. Il résulte de ces arrêts que le Tribunal a, dans le passé, exigé des requérants qu’ils avancent un moyen spécifique contestant explicitement le refus de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen en vertu de l’article 88, paragraphe 2, CE et visant à assurer la défense de leurs droits procéduraux sur ce fondement. Dans ces affaires, le Tribunal n’a pas estimé nécessaire d’interpréter à nouveau les requêtes afin de conclure qu’un tel moyen et une telle intention pouvaient être déduits des observations. En l’espèce, nous ne voyons pas pour quelle raison il devrait en être autrement, en l’absence de tout motif le justifiant.
84. Par conséquent, nous en concluons que le moyen nouveau sur la base duquel le Tribunal a tranché cette affaire ne saurait être déduit des observations écrites ou orales d’ARE et que le moyen a été ajouté par le Tribunal de sa propre initiative.
Le moyen en tant que moyen d’ordre public
85. Cette conclusion nous amène à la seconde question, que la Commission a également soulevée dans son pourvoi, c’est-à-dire la question de savoir si le Tribunal était autorisé à ajouter d’office un moyen nouveau en tant que moyen d’ordre public. Il nous semble qu’il convient de répondre à cette question par la négative, sans qu’il soit nécessaire de définir de manière exhaustive les moyens nouveaux qu’une juridiction peut ou doit soulever d’office pour des raisons d’ordre public, cette question ayant donné lieu à débat (28).
86. En premier lieu, rien dans l’arrêt attaqué ne suggère que le Tribunal avait l’intention de soulever d’office un moyen d’ordre public. Ceci est particulièrement frappant dans la mesure où, dans d’autres affaires dans lesquelles le Tribunal a décidé de soulever d’office des questions relatives à la recevabilité en matière d’aides d’État, il l’avait fait de manière explicite (29).
87. En second lieu, on aurait pu s’attendre de la part du Tribunal, non pas qu’il déclare simplement qu’il soulève un moyen nouveau, mais qu’il se justifie à cet égard.
88. En tout état de cause, nous sommes d’avis que les circonstances de la présente espèce ne soulèvent pas de question d’ordre public.
89. Il est de jurisprudence constante que le non-respect des droits de la défense au cours de la procédure administrative constitue la violation d’une forme substantielle que le Tribunal peut, voire doit, soulever d’office (30).
90. Toutefois, nous ne considérons pas qu’une telle violation ait eu lieu en l’espèce.
91. ARE a activement participé à toute la procédure formelle d’examen de l’article 88, paragraphe 2, CE qui a abouti à l’adoption de la décision du 20 janvier 1999 et a également formulé des observations au cours de la période qui s’est écoulée entre cette décision et l’adoption de la décision attaquée. Ainsi que le Tribunal le reconnaît (31), la décision attaquée constitue «exclusivement et directement la mise en œuvre» de la décision du 20 janvier 1999 et il apparaît qu’aucun élément substantiel nouveau n’a été introduit dans la décision attaquée.
92. Il s’ensuit qu’ARE a effectivement eu la possibilité de présenter son point de vue au cours de la procédure administrative formelle et ses droits de la défense ont, par conséquent, été respectés. La véritable justification pour conclure à la recevabilité – à savoir la défense des droits procéduraux tirés de l’article 88, paragraphe 2, CE qui n’auraient pas pu autrement être protégés – est, à la lumière des faits de l’espèce, difficilement défendable (32).
93. Dans ces conditions, nous estimons qu’il n’y a pas eu de violation d’une forme substantielle justifiant que le Tribunal soulève d’office un moyen d’ordre public.
Déficiences dans l’approche du Tribunal
94. Deux autres défauts entachent la position prise par le Tribunal, que l’on considère qu’il a réinterprété les moyens d’ARE ou qu’il a ajouté d’office un moyen nouveau.
95. En premier lieu, compte tenu de l’importance d’une telle approche pour statuer sur l’exception d’irrecevabilité, le Tribunal aurait dû fournir un raisonnement plus complet. L’arrêt attaqué se réfère d’une manière générale aux «moyens d’annulation avancés à l’appui du présent recours», sans expliquer quels éléments spécifiques parmi les observations d’ARE justifient une telle réinterprétation de l’objet du recours. On peut se demander si le Tribunal n’a pas également omis par là de respecter l’obligation de motiver suffisamment son arrêt afin de permettre à la Cour d’exercer son contrôle (33).
96. En second lieu, ce qui est plus important, au cours de la procédure, la Commission n’a pas eu l’occasion de répondre à ce moyen nouveau. Ainsi que la Commission le souligne et comme la discussion qui précède le fait apparaître, un tel moyen soulève plusieurs questions d’interprétation relatives à la réglementation en matière d’aides d’État, sur lesquelles la Commission aurait pu argumenter si elle en avait eu la possibilité. Le Tribunal n’a pas pris les mesures nécessaires pour faire face à cette difficulté en demandant, par exemple, à la Commission de présenter ses arguments sur ce point. À notre avis, celle-ci a raison de conclure que le Tribunal a ainsi méconnu ses droits de la défense.
97. À la lumière de ce qui précède, nous sommes d’avis que, en redéfinissant d’office l’objet du recours et en ajoutant un moyen non invoqué par l’ARE, sans donner aux parties la possibilité de formuler leur point de vue, le Tribunal a commis une erreur de droit et son arrêt doit être annulé pour ce motif.
La question de l’intérêt individuel
98. Il reste à examiner s’il existait d’autres moyens sur lesquels le Tribunal aurait pu s’appuyer pour estimer raisonnablement que le recours était recevable ou s’il a également commis une erreur de droit en ce qui concerne ces moyens.
99. Dès lors que l’on a conclu qu’ARE ne visait pas à obtenir l’annulation de la décision attaquée au motif que la Commission aurait violé l’obligation d’ouvrir la procédure prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE, ou au motif que les garanties de procédure prévues par l’article 88, paragraphe 2, CE auraient été violées, il convient de trancher la question de l’intérêt individuel en examinant si ARE est atteinte par la décision attaquée en raison de circonstances qui l’individualisent, de manière analogue à celle du destinataire, conformément au critère de la jurisprudence Plaumann/Commission (34), précitée.
100. En vertu de ce critère, les personnes physiques ou morales ne peuvent être concernées individuellement par une mesure qui ne leur est pas adressée que si cette mesure les atteint dans leur position juridique en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et de ce fait les individualise d’une manière analogue à celle d’un destinataire (35).
101. Dans les recours contestant les décisions de la Commission en matière d’aides d’État, la notion épineuse d’intérêt individuel dans le cadre de l’article 230 CE a été mise en œuvre d’une manière particulière, compte tenu des particularités de la procédure de l’article 88, paragraphes 2 et 3, CE (36). Le manque de cohérence de la jurisprudence a souvent été relevé (37), ce qui explique pour quelle raison la Commission a demandé à la Cour dans son pourvoi de clarifier, pour des raisons de sécurité juridique, cette question importante «une fois pour toutes».
102. Effectivement, la jurisprudence présente apparemment certaines incohérences et introduit des distinctions artificielles en ce qui concerne l’accès à la juridiction communautaire. Même si nous formulerons quelques remarques d’ordre général sur la jurisprudence à la fin de nos conclusions, nous ne sommes pas certains que la présente affaire constitue pour la Cour le cadre le plus approprié pour adopter une approche totalement nouvelle à ce sujet; par conséquent, nous nous limiterons à répondre à la question de l’intérêt individuel posée ici sur la base de la jurisprudence existante, même si elle est incertaine.
103. La première question à laquelle il convient de répondre à cet égard est celle de savoir si ARE remplit le critère de l’intérêt individuel en raison de l’effet de la décision sur sa position concurrentielle (il s’agit des deuxième et troisième moyens du pourvoi, qui précisent également le premier moyen). La seconde question est celle de savoir si ARE remplit le critère de l’intérêt individuel du fait de sa position de négociatrice dans les procédures conduisant à l’adoption de la décision.
L’effet sur la position concurrentielle d’ARE
104. La question litigieuse concerne le degré auquel l’aide en cause doit affecter la position concurrentielle d’ARE sur le marché afin que celle-ci puisse avoir la qualité pour agir en vue de contester la décision de la Commission en vertu de l’article 88, paragraphe 3, CE.
105. Dans les deuxième et troisième moyens du pourvoi, la Commission soutient, en substance, en se fondant sur la jurisprudence Cofaz e.a./Commission (38), que lorsque la position concurrentielle du requérant est l’élément clef pour déterminer l’intérêt individuel, l’effet de la mesure d’aide sur la position concurrentielle du requérant doit toujours être substantiel, indépendamment du point de savoir si l’article 88, paragraphes 2 ou 3, CE constitue la base juridique de la décision, ou de toute autre considération. Ceci est particulièrement vrai, d’après la Commission, lorsque la décision de la Commission se rapporte à un régime général d’aide, comme en l’espèce. Du point de vue de cette institution, en exigeant dans certains de ses arrêts que la position concurrentielle du requérant soit simplement affectée, plutôt que substantiellement affectée, le Tribunal s’est écarté de la jurisprudence de la Cour et a commis une erreur de droit.
106. À notre avis, lorsque la décision attaquée est adoptée à la suite de la procédure préliminaire de l’article 88, paragraphe 3, CE, la jurisprudence actuelle relative aux exigences en matière d’intérêt individuel distingue deux cas de figure.
107. Le premier cas de figure concerne les recours en annulation d’une décision fondés sur le refus de la Commission d’ouvrir la procédure formelle d’examen et sur la protection des droits procéduraux garantis par l’article 88, paragraphe 2, CE. Ce cas de figure est régi par la jurisprudence Cook/Commission et Matra/Commission (39).
108. Dans un tel cas, les requérants doivent démontrer qu’ils ont le statut d’«intéressés» aux fins de l’article 88, paragraphe 2, CE. Lorsque la concurrence est le facteur déterminant pour établir l’intérêt individuel, ceci implique qu’ils doivent démontrer que leur position concurrentielle est affectée par la décision, mais pas nécessairement de manière substantielle (40).
109. Il convient de rappeler que, dans ses conclusions dans l’affaire Cook/Commission, précitée, l’avocat général Tesauro a justifié l’application d’une condition moins stricte s’agissant des effets de la mesure d’aide sur la position concurrentielle du requérant lorsqu’une décision adoptée en vertu de l’article 88, paragraphe 3, CE était attaquée au motif que «[les seuls éléments, en ce qui concerne l’aide, dont disposent, en règle générale,] les entreprises qui attaquent une décision ‘de ne pas soulever d’objections’ sont des éléments qui, ou bien leur ont été communiqués par la Commission, ou bien résultent de la publication sommaire au Journal officiel, série C. On ne saurait donc imposer à ces entreprises – comme la Commission semble l’exiger en l’espèce – de formuler dans l’acte introductif d’instance des griefs précis afférents à l’importance et à l’impact de l’aide (tels que l’incidence de l’aide sur les coûts de production du bénéficiaire, l’évolution des parts de marché ou l’incidence sur les échanges commerciaux)» (41). Ainsi, pour avoir qualité pour agir en vue de contester les décisions de ne pas soulever d’objections en vertu de l’article 88, paragraphe 3, CE, l’avocat général Tesauro a estimé qu’il suffisait que le requérant établisse qu’il se trouvait dans une situation concurrentielle effective, et pas seulement marginale, avec l’entreprise destinataire de l’aide (42).
110. En ce qui concerne l’importance qui doit être accordée à la nature générale du régime d’aide, la jurisprudence – bien que d’une manière non cohérente (43) – semble également appliquer un critère plus strict pour établir un effet sur la position concurrentielle du requérant, lorsque le régime d’aide est d’ordre général.
111. Dans l’arrêt Kahn Scheepvaart/Commission (44), le requérant s’était notamment fondé sur la jurisprudence précitée Cook/Commission pour contester la décision de la Commission d’autoriser, en vertu de l’article 88, paragraphe 3, CE, un régime général d’aide qui n’avait pas encore été, en pratique, mis en œuvre par le biais de décisions d’aides individuelles. Le Tribunal a estimé que les faits étaient distincts des affaires Cook/Commission et Matra/Commission, précitées. Alors que ces deux affaires concernaient des recours formés par des concurrents réels du destinataire de l’aide contre les décisions autorisant une aide individuelle, la décision attaquée dans l’affaire Kahn Scheepvaart/Commission se rapportait à un régime général d’aide dont les bénéficiaires potentiels n’étaient définis que d’une manière générale et abstraite. Les bénéficiaires réels ne pouvaient exister que lorsque les aides individuelles avaient été accordées. Dans ces conditions, «lors de l’adoption d’une décision portant sur un régime général d’aides et, partant, avant l’octroi d’aides individuelles en application dudit régime, il ne peut y avoir d’’entreprises concurrentes’, au sens de la jurisprudence citée, qui pourraient, dès lors, se prévaloir des garanties de procédure prévues par l’article [88, paragraphe 2], du traité» (45), comme c’était le cas dans les arrêts Cook/Commission et Matra/Commission.
112. Le second cas de figure concerne des recours en annulation fondés sur des moyens autres que ceux de la jurisprudence précitée Cook/Commission et Matra/Commission. Ici, la distinction opérée par la jurisprudence implique une application traditionnelle plus stricte du critère de la jurisprudence Plaumann/Commission, précitée, conforme à l’approche restrictive de l’intérêt individuel dans le cadre de l’article 230, quatrième alinéa, CE, qui est généralement adoptée par la Cour dans sa jurisprudence, en dehors du domaine des aides d’État, et qui est confirmée par les arrêts Unión de Pequeños Agricultores/Conseil (46) et Commission/Jégo-Quéré (47).
113. Lorsqu’on applique le critère de la jurisprudence Plaumann/Commission, précitée, aux affaires d’aides d’État ne relevant pas du premier cas de figure, la jurisprudence semble exiger du requérant qu’il prouve que sa position concurrentielle sur le marché est substantiellement affectée. Tel est le cas dans les recours formés contre des décisions adoptées par la Commission à la suite d’une procédure formelle d’examen dans le cadre de l’article 88, paragraphe 2, CE (48). Dans l’arrêt Skibsværftsforeningen e.a./Commission (49), le Tribunal a clairement énoncé que le même critère devait s’appliquer lorsque le requérant conteste une décision de la Commission prise en application de l’article 88, paragraphe 3, CE, sans se fonder sur la jurisprudence précitée Cook/Commission et Matra/Commission.
114. En résumé, il résulte de l’état actuel de la jurisprudence que si des requérants contestent la décision de la Commission prise en vertu de l’article 88, paragraphe 3, CE, sur le fondement de la jurisprudence Cook/Commission et Matra/Commission, leur accès à la Cour est plus aisé. S’ils contestent la décision de la Commission prise en application de la même disposition sur le fondement de tout autre moyen, le critère de la jurisprudence Plaumann/Commission, précitée, s’applique à eux dans toute sa sévérité, critère qui semble exiger des concurrents des destinataires de l’aide que leur position concurrentielle soit substantiellement affectée.
115. La présente affaire concerne une décision de la Commission adoptée en vertu de l’article 88, paragraphe 3, CE approuvant un régime général d’aide, qui a fait l’objet d’un recours de la part d’ARE pour des motifs différents de ceux de la jurisprudence précitée Cook/Commission et Matra/Commission. Par conséquent, elle relève du second cas de figure décrit ci-dessus. ARE ne remplira dès lors le critère de la jurisprudence Plaumann/Commission, précitée, que si elle peut démontrer que la position concurrentielle de ses membres a été substantiellement affectée par le régime relatif aux terres. Tel est spécifiquement le cas puisque le régime d’aide a une portée générale.
116. Ayant reformulé l’objet du recours et construit son raisonnement sur l’idée qu’ARE relevait du premier cas de figure, le Tribunal a estimé dans l’arrêt attaqué que la position concurrentielle sur le marché de certains des membres de cette association était affectée par l’octroi de l’aide et il en a conclu qu’ils étaient individuellement concernés. Pour ce faire, le Tribunal a établi que les membres de l’association étaient des opérateurs économiques, en particulier des agriculteurs, des sylviculteurs et des entreprises opérant dans le secteur agricole. Dans la mesure où le Tribunal a considéré comme incontestable que l’acquisition de terres agricoles ou sylvicoles constituait un élément essentiel dans la stratégie commerciale et dans la position concurrentielle d’un agriculteur ou d’un sylviculteur, ces membres étaient nécessairement affectés par le programme d’acquisition de terres en cause (50).
117. Si les constatations du Tribunal dans l’arrêt attaqué pourraient suffire pour établir l’existence d’une sorte de relation concurrentielle entre les membres de l’association et les bénéficiaires du régime d’aide, elles n’établissent pas, selon nous, que les premiers ont été substantiellement affectés dans leur position sur le marché, ainsi que l’exige le critère plus strict de la jurisprudence Plaumann/Commission, précitée. Sur la base des éléments fournis, le rapport de concurrence n’a pas, selon nous, été suffisamment défini dans ledit arrêt et il semble trop ténu, dans la mesure où la position sur le marché des membres de l’association n’est que potentiellement et indirectement affectée par la mesure d’aide. Hormis quelques références générales au secteur de l’agriculture et de l’exploitation agricole, aucune analyse de marché n’a été effectuée pour démontrer les produits spécifiques ou les marchés géographiques pour lesquels les membres d’ARE seraient en concurrence avec les bénéficiaires, autrement qu’en leur qualité générale d’agriculteurs ou de sylviculteurs.
118. En fait, ainsi que la Commission l’a relevé, tous les agriculteurs dans l’Union européenne sont potentiellement des concurrents des bénéficiaires du programme d’acquisition de terres. Cette approche excessivement large ne correspond pas à l’analyse stricte du marché appliquée par le Tribunal dans des affaires où la preuve d’un effet substantiel sur la position concurrentielle du requérant doit être apportée (51). En outre, elle paraît contraire au traité, puisque le critère de l’effet sur la position concurrentielle du requérant doit être compris dans le contexte de l’intérêt individuel; un effet qui individualise d’une certaine manière le requérant doit dès lors être établi.
119. Ceci est d’autant plus important à la lumière de la portée générale du régime d’aide contesté. Les deux parties s’accordent sur le fait que la décision attaquée s’applique à un régime général d’aide qui n’avait pas été mis en œuvre par des décisions d’aides individuelles au moment où l’affaire a été examinée en première instance. Puisque, à cette époque, il ne pouvait pas y avoir d’«entreprises concurrentes» au sens de l’arrêt Kahn Scheepvaart/Commission, précité, ARE ne remplirait pas non plus la condition de la qualité pour agir prévue par cet arrêt (52).
120. Par conséquent, nous concluons que, compte tenu de la portée générale du régime d’aide contesté, et étant donné qu’ARE n’avait pas démontré que le régime affecte substantiellement la position concurrentielle de ses membres, comme l’exige la jurisprudence dans son état actuel, le Tribunal a commis une erreur en considérant que ladite association était individuellement concernée par la décision attaquée pour ce motif.
La qualité de négociatrice d’ARE
121. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé, en outre, que, en tant qu’association, ARE pouvait être considérée comme étant individuellement concernée par la décision attaquée en ce qu’elle prétendait avoir un intérêt spécifique à agir, au motif que sa position de négociatrice était affectée par la décision attaquée. Le Tribunal a fondé sa conclusion sur la jurisprudence Van der Kooy e.a./Commission (53) et CIRFS e.a./Commission (54).
122. Dans le cinquième moyen du pourvoi, la Commission fait valoir que, en premier lieu, ARE n’a soulevé ce moyen à aucun moment et que, dès lors, le Tribunal a commis une erreur de droit en ajoutant un moyen nouveau de sa propre initiative. En second lieu, la Commission conteste les constatations du Tribunal selon lesquelles la participation de ladite association équivalait à un rôle de négociation conformément aux arrêts précités Van der Kooy e.a./Commission et CIRFS e.a./Commission. Enfin, la Commission conteste la constatation du Tribunal (55) selon laquelle la décision du 20 janvier 1999 n’était pas contraire aux intérêts d’ARE. De l’avis de la Commission, le Tribunal a, en parvenant à ces conclusions, commis une erreur de droit et une erreur d’appréciation des faits.
123. Dans l’affaire Van der Kooy e.a./Commission, précitée, les requérants avaient contesté une décision de la Commission fondée sur l’article 88, paragraphe 2, CE qui avait déclaré incompatible avec le marché commun un système néerlandais de tarif préférentiel du gaz destiné à l’horticulture sous serre. Un des requérants, le Landbouwschap, organisme de droit public constitué pour la défense des intérêts communs d’entreprises agricoles, représentait les organisations d’horticulteurs dans les négociations tarifaires avec le fournisseur de gaz. La Cour a estimé que, même si le Landbouwschap ne pouvait pas être individuellement concerné comme un destinataire de l’aide, sa position en tant que négociateur des tarifs de gaz, dans l’intérêt des horticulteurs, était affectée par la décision attaquée et que, dans cette mesure, il était individuellement concerné.
124. Dans l’arrêt CIRFS e.a./Commission, précité, le requérant visait à obtenir l’annulation d’une décision de la Commission aux termes de laquelle une aide dans le secteur des fibres synthétiques n’était pas soumise à la procédure de notification préalable prévue par l’article 88, paragraphe 3, CE, dans la mesure où elle constituait une aide existante couverte par une décision antérieure de la Commission. La Cour a considéré que le CIRFS était individuellement concerné par la décision car il avait joué un rôle très important dans la procédure devant la Commission.
125. Dans la présente affaire, il résulte des pièces du dossier que, en première instance, ARE s’était appuyée sur le fait qu’elle avait joué un rôle décisif dans la procédure pour étayer son point de vue selon lequel elle était individuellement concernée. Toutefois, même si elle s’est référée sommairement à la jurisprudence pertinente, elle n’a pas revendiqué un rôle de négociateur au sens de la jurisprudence précitée Van der Kooy e.a./Commission et CIRFS e.a./Commission. Ce n’est qu’au cours de la procédure orale devant le Tribunal et, par conséquent, de manière tardive, qu’ARE a soulevé ce moyen, et ce seulement d’une manière succincte. Dans le cadre du pourvoi devant la Cour, et en réponse au cinquième moyen du pourvoi, ARE n’a pas fondamentalement modifié cette approche. Au contraire, elle a confirmé que, à son avis, ce moyen n’était pas nécessaire pour résoudre le litige, puisque sa qualité pour agir pouvait être établie par d’autres moyens. À la lumière de cet élément, on peut soutenir que le Tribunal n’aurait pas dû accueillir le moyen et que les droits de la défense de la Commission n’ont pas été respectés.
126. Nous estimons également qu’il est difficile d’être en accord avec la constatation du Tribunal selon laquelle la décision du 20 janvier 1999 n’allait pas à l’encontre des intérêts d’ARE lorsque, ainsi que le Tribunal le reconnaît, la décision attaquée, qui affecte clairement les membres de ladite association, constitue la mise en œuvre directe de la décision précédente.
127. Nous n’entrerons pas toutefois dans un examen détaillé de ces points, dans la mesure où nous estimons que la question peut être traitée sur une autre base.
128. Bien qu’ARE ait effectivement participé de manière active à la procédure ayant conduit à la décision du 20 janvier 1999 et également, par extension, à la décision attaquée, cette seule participation ne suffit pas, à notre avis, pour lui conférer la qualité pour agir au sens de la jurisprudence précitée Van der Kooy e.a./Commission et CIRFS e.a./Commission (56).
129. Le fait qu’une association intervienne auprès de la Commission au cours de la procédure prévue par les dispositions du traité en matière d’aides d’État pour défendre les intérêts collectifs de ses membres ne suffit pas en tant que tel pour établir la qualité pour agir d’une association au sens de cette jurisprudence (57).
130. Les rôles joués par les requérants dans les affaires précitées Van der Kooy e.a./Commission et CIRFS e.a./Commission dans la procédure conduisant à l’adoption des mesures contestées dans ces deux affaires étaient substantiellement plus importants que la participation d’ARE dans la présente affaire.
131. Dans l’arrêt Van der Kooy e.a./Commission, précitée, la Cour a estimé que le Landbouwschap, en sa qualité de négociateur des tarifs de gaz, avait activement participé à la procédure de l’article 88, paragraphe 2, CE en présentant par écrit des commentaires à la Commission et en maintenant des contacts étroits avec les fonctionnaires compétents de cette institution durant toute la procédure. Il était l’une des parties au contrat qui établissait les tarifs non autorisés par la Commission et, en cette qualité, il était cité à maintes reprises dans la décision de cette dernière.
132. Le rôle du requérant dans l’affaire CIRFS e.a./Commission, précitée, avait également été très important. Le CIRFS était une association dont les membres comprenaient les principaux fabricants internationaux de fibres synthétiques. Il avait engagé, dans l’intérêt de ces fabricants, de nombreuses procédures liées à la politique de restructuration du secteur, définie par la Commission. Il avait notamment été l’interlocuteur de cette dernière lors de la mise en place d’une discipline appliquée au secteur et de l’extension et de l’adaptation de celle-ci, et il avait poursuivi les négociations avec la Commission, en lui présentant, en particulier, des observations écrites et en maintenant des contacts étroits avec les services compétents.
133. Tel n’est pas le cas d’ARE en l’espèce. Les réunions et conversations qui se sont tenues avec les fonctionnaires de la Commission et les observations qui ont été présentées par ARE ont eu lieu, comme avec toute autre partie intéressée, dans le cadre habituel de la procédure formelle d’examen prévue par l’article 88, paragraphe 2, CE. Il ressort du dossier que seulement six lettres ont été adressées à la Commission par ARE elle-même, dont deux ne se rapportaient que de façon marginale au fond du litige. ARE n’était pas impliquée en tant que négociatrice au sujet du programme relatif aux terres, que ce soit au niveau national ou communautaire. Sa position n’est donc pas comparable à celle du CIRFS ou du Landbouwschap et elle ne saurait être considérée comme individuellement concernée sur la base de sa position en tant que négociatrice.
134. Il est de jurisprudence constante que, dans le cadre d’un pourvoi, la Cour est compétente pour exercer un contrôle sur la qualification juridique des faits par le Tribunal et les conséquences de droit qu’il en a tirées (58). Par conséquent, nous estimons que, en qualifiant le rôle d’ARE comme étant celui d’une négociatrice au sens de la jurisprudence précitée Van der Kooy e.a./Commission et CIRFS e.a./Commission, et en considérant que ladite association était individuellement concernée sur ce fondement, le Tribunal a commis une erreur de droit.
135. Il s’ensuit que le Tribunal a commis une erreur de droit en rejetant l’exception d’irrecevabilité du recours soulevée par la Commission, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les sixième et septième moyens du pourvoi.
Décision de la Cour
136. Conformément à l’article 61 du statut de la Cour de justice, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour doit annuler la décision du Tribunal, mais elle peut statuer elle-même définitivement sur le litige si celui-ci est en état d’être jugé. Dans son pourvoi, la Commission a demandé à la Cour non seulement d’annuler l’arrêt attaqué, mais également de déclarer le recours irrecevable pour défaut d’intérêt individuel au sens de l’article 230 CE. À notre avis, la Cour dispose de toutes les informations nécessaires pour statuer sur la question de la recevabilité et elle devrait le faire dans l’intérêt d’une économie de procédure et d’une bonne administration de la justice.
137. Selon nous, il résulte effectivement de l’analyse qui précède qu’ARE ne remplit pas les conditions relatives à l’intérêt individuel et que le recours doit être rejeté comme irrecevable.
Réexamen de la jurisprudence
138. Nous souhaitons enfin ajouter un commentaire sur l’état actuel du droit régissant la qualité pour agir des personnes physiques et morales qui visent à contester les décisions prises par la Commission en vertu de l’article 88, paragraphe 3, CE. La jurisprudence en la matière n’est absolument pas satisfaisante, dans la mesure où elle est complexe, apparemment dépourvue de logique et de cohérence. Les difficultés ont été amplement relevées par les commentateurs (59) et elles apparaissent à la lecture du bref compte rendu figurant dans les présentes conclusions. Un exposé complet aurait nécessité des conclusions d’une longueur excessive.
139. Il faut, selon nous, admettre que ces difficultés semblent trouver leur origine dans les arrêts précités de la Cour dans les affaires Cook/Commission et Matra/Commission. Ces arrêts étaient destinés à conférer une plus grande protection aux concurrents lorsque la Commission décide de ne pas engager la procédure de l’article 88, paragraphe 2, CE, protection que l’on estimait justifiée au motif que, dans ces cas-là, le requérant pouvait ne pas disposer d’informations suffisantes pour établir qu’il était individuellement concerné. L’objectif était apparemment de compenser le fait que le requérant n’avait pas de qualité pour agir sur le plan procédural dans le cadre de l’article 88, paragraphe 3, CE, en lui conférant les droits procéduraux des «intéressés» de l’article 88, paragraphe 2, CE. Toutefois, le résultat a été, d’une manière quelque peu confuse, d’assimiler le critère de la qualité pour agir de l’article 88, paragraphe 2, CE et de l’article 88, paragraphe 3, CE et, partant, de conférer la qualité pour agir à une catégorie très large de personnes; il est clair que plusieurs personnes pouvaient prétendre qu’elles auraient été des «intéressés» si la procédure de l’article 88, paragraphe 2, CE avait été engagée. La porte qui avait ainsi été trop largement ouverte dans le cadre de l’article 88, paragraphe 3, CE devait être ensuite partiellement refermée à la suite des nombreux raffinements opérés par la jurisprudence, laquelle est devenue de plus en plus complexe et incohérente.
140. De surcroît, il n’est pas clair, selon nous, qu’une dérogation aux dispositions de l’article 230, quatrième alinéa, CE soit justifiée dans ces cas-là. Il est certes vrai que, du fait qu’une décision adoptée en vertu de l’article 88, paragraphe 3, CE est prise très tôt, une personne potentiellement affectée par l’aide envisagée peut ne disposer que de peu d’informations sur ses effets potentiels. Elle peut dès lors ne pas avoir suffisamment d’informations lorsqu’elle attaque une décision prise en vertu de l’article 88, paragraphe 3, CE pour établir – dans la requête qui est à l’origine de la procédure devant le Tribunal – qu’elle est individuellement concernée. Mais au cours de cette procédure, la Commission produira sûrement suffisamment d’informations (de même que l’État membre concerné, s’il intervient) en réponse, le cas échéant, à une instruction effectuée par le Tribunal ou à des questions posées par celui-ci, afin de permettre au Tribunal de décider si la condition d’intérêt individuel est remplie.
141. Selon nous, la meilleure solution serait de revenir aux termes de l’article 230, quatrième alinéa, CE et d’appliquer, dans tous les cas où le requérant conteste une décision prise en vertu de l’article 88, paragraphe 3, CE, le critère de l’intérêt direct et individuel, indépendamment des moyens sur lesquels le recours est fondé. Toutefois, le critère de l’intérêt individuel ne doit pas être interprété aussi restrictivement qu’il l’a été dans l’arrêt Plaumann/Commission, précité, notamment depuis que les juridictions communautaires ont, à juste titre, adopté une conception un peu plus large du critère relatif à la qualité pour agir des plaignants dans d’autres domaines proches, à savoir dans le cadre des règles de concurrence applicables aux entreprises (articles 81 CE et 82 CE) et dans les affaires de dumping. Néanmoins, l’exigence d’un intérêt individuel est distincte de la notion d’«intéressé».
142. Un requérant qui conteste une décision prise en vertu de l’article 88, paragraphe 3, CE devrait ainsi démontrer que la décision le concerne à la fois directement et, d’une manière ou d’une autre, individuellement. Cet intérêt individuel peut, naturellement, être plus difficile à démontrer lorsque le régime d’aide a lui-même une portée générale. En outre, une association de requérants ne sera pas mieux (ni plus mal) placée que les requérants qu’elle représente, ceux-ci devant eux-mêmes être individuellement concernés, d’une manière ou d’une autre. Ces conséquences, qui découlent directement du traité, ne semblent pas être, en tant que telles, déraisonnables. Une telle approche résoudrait, selon nous, bien des difficultés qui résultent de la jurisprudence.
143. À quoi aboutirait dans ce cas l’application à la présente affaire de l’approche proposée? Sur cette base également, il semble clair, pour les raisons déjà exposées, que le recours serait irrecevable. ARE n’a pas établi qu’elle-même ou ses membres étaient individuellement concernés.
Conclusion
144. Pour toutes les raisons qui précèdent, nous proposons à la Cour:
– d’annuler l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 5 décembre 2002, Aktionsgemeinschaft Recht Eigentum/Commission (T-114/00);
– de déclarer irrecevable le recours formé par Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum eV;
– de condamner Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum eV aux dépens de première instance et du pourvoi, à l’exception des dépens de première instance de la République fédérale d’Allemagne, qui, en tant que partie intervenante, doit supporter ses propres dépens.
1 – Langue originale: l'anglais.
2 – Aktionsgemeinschaft Recht und Eigentum/Commission, T-114/00, Rec. p. II-5121.
3 – JO 2000, C 46, p. 2.
4 – JO 1999, L 107, p. 21.
5 – JO 1998, C 215, p. 7.
6 – Citée note 4.
7 – JO 1997, L 142, p. 1.
8 – Arrêt de la Cour du 15 juillet 1963 (25/62, Rec. p. 197, 222). Points 41 et 42 de l’arrêt attaqué.
9 – Points 43 et 44 de l’arrêt attaqué.
10 – Point 45 de l’arrêt attaqué.
11 – Point 47 de l’arrêt attaqué.
12 – Point 48 de l’arrêt attaqué.
13 – Point 49 de l’arrêt attaqué.
14 – Point 51 de l’arrêt attaqué.
15 – Points 54 et 55 de l’arrêt attaqué.
16 – Points 55 à 60 de l’arrêt attaqué.
17 – Points 61 à 63 de l’arrêt attaqué.
18 – Points 65 à 70 de l’arrêt attaqué.
19 – Point 71 de l’arrêt attaqué.
20 – Point 78 de l’arrêt attaqué.
21 – Point 82 de l’arrêt attaqué.
22 – Point 49 de l’arrêt attaqué (c’est nous qui soulignons). Voir points 37 à 49 des présentes conclusions.
23 – Ordonnance du Tribunal du 28 avril 1993, De Hoe/Commission (T-85/92, Rec. p. II-523, point 20).
24 – Arrêt de la Cour du 15 décembre 1961, Société Fives Lille Cail e.a./Haute Autorité (19/60, 21/60, 2/61 et 3/61, Rec. p. 559, 588), et ordonnance du Tribunal De Hoe, citée note 23, point 21.
25 – Voir également points 90 à 93 des présentes conclusions. Dans l’arrêt du 11 février 1999, Arbeitsgemeinschaft Deutscher Luftfahrt-Unternehmen et Hapag-Lloyd/Commission (T-86/96, Rec. p. II-179, ci-après «arrêt ADLU»), le Tribunal a considéré, au point 49, que lorsque les parties intéressées ont elles mêmes bénéficié de leurs garanties procédurales en vertu de l’article 88, paragraphe 2, CE, elles ne peuvent pas être considérées, en raison de cette seule qualité, comme individuellement concernées.
26 – Arrêt du 22 octobre 1996 (T-266/94, Rec. p. II-1399, point 45). Voir également points 106 et suivants des présentes conclusions.
27 – Arrêt du 30 janvier 2002 (T-212/00, Rec. p. II-347, point 45).
28 – Voir, par exemple, Lenaerts, K., «De quelques principes généraux du droit de la procédure devant le juge communautaire», dans Mélanges en hommage à Jean Victor Louis, ULB, vol. I, p. 241 à 261, p. 245 à 249, et nos conclusions du 15 juin 1995 dans les affaires C-430/93 et C‑431/93 (arrêt du 14 décembre 1995, Van Schijndel et Van Veen, Rec. p. I-4705).
29 – Voir, notamment, arrêt Skibsværftsforeningen e.a./Commission, cité note 26, point 40, et arrêt de la Cour du 24 mars 1993, CIRFS e.a./Commission (C-313/90, Rec. p. I-1125, point 23).
30 – Voir, notamment, arrêt du 10 mai 2001, Kaufring e.a./Commission (T-186/97, T-187/97, T‑190/97 à T-192/97, T-210/97, T-211/97, T-216/97 à T-218/97, T-279/97, T-280/97, T-293/97 et T-147/99, Rec. p. II-1337, point 134 et jurisprudence citée).
31 – Point 68 de l’arrêt attaqué.
32 – Voir arrêt ADLU, cité note 25.
33 – Arrêt de la Cour du 14 mai 1998, Conseil/De Nil et Impens (C-259/96 P, Rec. p. I-2915, Rec. p. I-2915, point 32).
34 – Arrêts du Tribunal du 16 septembre 1998, Waterleiding Maatschappij/Commission (T-188/95, Rec. p. II-3713, point 54), et Skibsværftsforeningen e.a./Commission, cité note 26, point 45.
35 – Arrêts Plaumann/Commission, cité note 8, et du 22 novembre 2001, Nederlandse Antillen/Conseil (C-452/98, Rec. p. I-8973, point 60).
36 – Voir points 106 à 114 des présentes conclusions.
37 – Voir, d’une manière générale, Winter, J., «The rights of complainants in State aid cases: judicial review of Commission decisions adopted under article 88 (ex 93) EC», Common Market Law Review 1999, nº 36, p. 521; Soltész, U., et Bielesz, H., «Judicial review of State aide decisions», European Competition Law review 2004, p. 133; Flynn, L., «Remedies in the European Courts» dans A. Biondi et al. (eds.), The Law of State Aid in the EU, Oxford 2004, p. 283. Voir également Azizi, J., «Droits de la défense dans la procédure en matière d’aides d’État: le point de vue judiciaire», dans Un rôle pour la défense dans les procédures communautaires de concurrence, Bruylant, Bruxelles 1997, p. 87, notamment p. 112 à 120.
38 – Arrêt du 28 janvier 1986 (169/84, Rec. p. 391).
39 – Respectivement arrêts des 19 mai 1993 (C-198/91, Rec. p. I-2487), et 15 juin 1993 (C-225/91, Rec. p. I-3203).
40 – Voir, notamment, arrêts de la Cour Cook/Commission et Matra/Commission, cités note 39; Waterleiding Maatschappij/Commission, cité note 34, du Tribunal du 15 septembre 1998, BP Chemicals/Commission (T-11/95, Rec. p. II-3235, points 84 à 89), en ce qui concerne la partie de la décision adoptée sur la base de l’article 88, paragraphe 3, CE concernant le troisième apport de capital, qui a été attaquée sur le fondement des arrêts précités Cook/Commission et Matra/Commission, ainsi que du 21 mars 2001, Hamburger Hafen- und Lagerhaus e.a./Commission (T-69/96, Rec. p. II-1037).
41 – Point 41 des conclusions.
42 – Ibidem.
43 – Voir, par exemple, arrêt du Tribunal Hamburger Hafen- und Lagerhaus e.a./Commission, cité note 40, qui concernait un recours formé sur le fondement des arrêts Cook/Commission et Matra/Commission (cités note 39), à l’encontre de deux décisions de la Commission adoptées en vertu de l’article 88, paragraphe 3, CE, l’une portant sur une aide individuelle, l’autre sur un régime général d’aide. Le Tribunal a appliqué le même raisonnement sans, toutefois, accorder une importance particulière au caractère général ou particulier des aides d’État contestées.
44 – Arrêt du Tribunal du 5 juin 1996 (T-398/94, Rec. p. II-477). Voir également arrêt de la Cour du 31 mai 2001, Sadam Zuccherifci e.a./Commission (C-41/99 P, Rec. p. I-4239, point 29) et arrêt du Tribunal ADLU, cité note 25, points 42 à 46. Bien que ces deux dernières affaires ne concernaient pas une décision de la Commission de ne pas soulever d’objections en vertu de l’article 88, paragraphe 3, CE, elles illustrent une approche plus restrictive de la jurisprudence sur la qualité pour agir en matière de régimes généraux d’aides.
45 – Arrêt Kahn Scheepvaart/Commission, cité note précédente, point 49.
46 – Arrêt du 25 juillet 2002 (C-50/00 P, Rec. p. I-6677).
47 – Arrêt du 1er avril 2004 (C-263/02 P, Rec. p. I-3425).
48 – Outre l’arrêt Cofaz e.a./Commission, cité note 38, voir, notamment, arrêts de la Cour du 23 mai 2000, Comité d’entreprise de la Société française de production e.a./Commission (C-106/98 P, Rec. p. I-3659, points 40 et 41), ainsi que du Tribunal du 5 novembre 1997, Ducros/Commission (T-149/95, Rec. p. II-2031, point 34); du 15 septembre 1998, BP Chemicals/Commission, cité note 40, en ce qui concerne la partie de la décision relative aux premier et deuxième apports en capital, points 77 à 79.
49 – Arrêt cité note 26, point 47.
50 – Voir point 46 des présentes conclusions.
51 – Voir, notamment, arrêt Skibsværftsforeningen e.a./Commission, cité note 26, points 46 à 48.
52 – Voir également arrêts cités note 44.
53 – Arrêt du 2 février 1988 (67/85, 68/85 et 70/85, Rec. p. 219).
54 – Arrêt cité note 29.
55 – Voir points 67 et 69 de l’arrêt attaqué.
56 – Ainsi que le Tribunal l’a déclaré dans l’arrêt Kahn Scheepvaart/Commission: «[l]e simple fait que la partie requérante a déposé une plainte auprès de la Commission, […], et qu’elle a échangé de la correspondance et eu des entretiens, à ce propos, avec cette dernière ne saurait constituer des circonstances particulières suffisantes permettant d'individualiser la requérante par rapport à toute autre personne et de lui conférer, ainsi, la qualité pour agir contre un régime général d'aides»; arrêt cité note 44, point 42.
57 – Arrêt ADLU, cité note 25, point 60. Le Tribunal a également considéré dans cette affaire que la participation du requérant à diverses réunions avec les autorités nationales ne pouvait pas conférer le statut de négociateur au sens des affaires précitées Van der Kooy e.a./Commission et CIRFS e.a./Commission.
58 – Voir, notamment, arrêts du 28 mai 1998, Deere/Commission (C-7/95 P, Rec. p. I-3111, point 21); du 2 octobre 2001, BEI/Hautem (C-449/99 P, Rec. p. I-6733, points 44 et 45), et du 10 décembre 2002, Commission/Camar et Tico (C-312/00 P, Rec. p. I-11355, point 69).
59 – Voir note 37.