Affaire C-286/02


Bellio F. lli Srl
contre
Prefettura di Treviso



(demande de décision préjudicielle, formée par le Tribunale di Treviso)

«Agriculture – Police sanitaire – Mesures de protection à l'égard des encéphalopathies spongiformes transmissibles – Utilisation de protéines animales dans l'alimentation des animaux»

Conclusions de l'avocat général M. L. A. Geelhoed, présentées le 29 janvier 2004
    
Arrêt de la Cour (troisième chambre) du 1er avril 2004
    

Sommaire de l'arrêt

1.
Droit communautaire – Interprétation – Méthodes – Interprétation du droit dérivé au regard des accords internationaux conclus par la Communauté

2.
Accords internationaux – Accord créant l'Espace Économique Européen – Interprétation conforme à la jurisprudence antérieure de la Cour – Conditions – Interprétation de l'article 13

(Art. 30 CE; accord EEE, art. 6 et 13)

3.
Agriculture – Rapprochement des législations en matière de police sanitaire – Mesures de protection à l'égard des encéphalopathies spongiformes transmissibles – Farine de poisson utilisée dans l'alimentation d'animaux autres que les ruminants – Présence d'autres substances non autorisées – Inadmissibilité – Limite de tolérance – Absence

(Art. 152 CE; décision du Conseil 2000/766, art. 2, § 2; décision de la Commission 2001/9, art. 1er, § 1)

4.
Agriculture – Rapprochement des législations en matière de police sanitaire – Mesures de protection à l'égard des encéphalopathies spongiformes transmissibles – Farine de poisson utilisée dans l'alimentation d'animaux autres que les ruminants – Destruction des lots contaminés par la présence d'autres substances non autorisées – Mesure prévue par le droit communautaire ne pouvant être considérée comme une sanction

(Décision du Conseil 2000/766, art. 3, § 2)

5.
Accords internationaux – Accord créant l'Espace Économique Européen – Libre circulation des marchandises – Dérogations – Protection de la santé des personnes et des animaux – Conditions – Mesures de protection à l'égard des encéphalopathies spongiformes transmissibles – Admissibilité

(Accord EEE, art. 13; décision du Conseil 2000/766; décision de la Commission 2001/9)

1.
La primauté des accords internationaux conclus par la Communauté sur les textes de droit communautaire dérivé commande d’interpréter ces derniers, dans la mesure du possible, en conformité avec ces accords.

(cf. point 33)

2.
Ainsi que le précise l’article 6 de l’accord créant l’Espace Économique Européen (EEE), les dispositions de cet accord, dans la mesure où elles sont identiques en substance aux règles correspondantes du traité et des actes arrêtés en application de ce traité, sont, pour leur mise en oeuvre et leur application, interprétées conformément à la jurisprudence pertinente de la Cour antérieure à la signature dudit accord. Par ailleurs, il est nécessaire de veiller à ce que les règles de l’accord EEE identiques en substance à celles du traité soient interprétées de manière uniforme.
Tel est le cas de l’article 13 dudit accord qui est en substance identique à l’article 30 CE.

(cf. points 34-35)

3.
Dans le cadre de l’interdiction de l’utilisation de protéines animales transformées dans l’alimentation de certains animaux d’élevage, établie par la décision 2000/766, relative à certaines mesures de protection à l’égard des encéphalopathies spongiformes transmissibles et à l’utilisation de protéines animales dans l’alimentation des animaux, l’article 2, paragraphe 2, premier tiret, de ladite décision, qui exclut de cette interdiction sous certaines conditions la farine de poisson utilisée dans l’alimentation d’animaux autres que les ruminants, et l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2001/9, relative aux mesures de contrôle requises pour la mise en oeuvre de la décision 2000/766, qui fixe les conditions de cette exclusion, en combinaison avec les autres règles communautaires dont découlent lesdites dispositions, doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’admettent pas la présence, même accidentelle, d’autres substances non autorisées dans la farine de poisson utilisée à ces fins et qu’ils n’accordent aux opérateurs économiques aucune limite de tolérance.
En effet, considérant que ces décisions ont été adoptées dans le cadre de la lutte contre les encéphalopathies spongiformes transmissibles, qui, selon l’hypothèse de travail communément acceptée par les scientifiques, se transmettent principalement par l’ingestion de nourriture contenant des prions, et qu’il est impossible d’identifier avec précision la dose minimale de matériel infecté requise pour provoquer la maladie chez l’être humain, et tenant compte de l’article 152 CE et de l’objectif de santé publique qu’elles poursuivent, lesdites décisions doivent être interprétées de manière large et l’exception qu’elles prévoient relative à la farine de poisson doit être interprétée de manière restrictive.

(cf. points 41, 43-44, 46, 56, disp. 1)

4.
Dans le cadre de la décision 2000/766, relative à certaines mesures de protection à l’égard des encéphalopathies spongiformes transmissibles et à l’utilisation de protéines animales dans l’alimentation des animaux, et de la décision 2001/9, relative aux mesures de contrôle requises pour la mise en oeuvre de la décision 2000/766, la destruction des lots de farine de poisson utilisée dans l’alimentation d’animaux autres que les ruminants lorsqu’ils sont contaminés par la présence d’autres substances non autorisées ne peut être considérée comme une sanction, mais bien comme une mesure de prévention prévue par l’article 3, paragraphe 2, de la décision 2000/766 qui ne laisse pas, à cet égard, de pouvoir d’appréciation aux États membres. Un lot contaminé doit en effet être considéré comme impropre à la consommation et doit éventuellement être détruit en prenant toutes les précautions nécessaires pour éviter une contamination de l’environnement.

(cf. points 54-56, disp. 1)

5.
En vertu de l’article 13 de l’accord créant l’Espace Économique Européen (EEE), à défaut d’harmonisation et dans la mesure où des incertitudes subsistent en l’état actuel de la recherche scientifique, il appartient aux parties contractantes de décider du niveau auquel elles entendent assurer la protection de la santé des personnes, tout en tenant compte des exigences fondamentales du droit de l’EEE et, notamment, de la libre circulation des marchandises dans cet espace. Une décision de gestion du risque relève de chaque partie contractante, qui dispose d’un pouvoir d’appréciation pour déterminer le niveau de risque qu’elle considère approprié. À ces conditions, une partie contractante peut invoquer le principe de précaution, selon lequel il est suffisant de démontrer qu’il existe une incertitude scientifique pertinente en ce qui concerne le risque en question. Ce pouvoir d’appréciation est, cependant, soumis au contrôle du juge. Des mesures adoptées par une partie contractante doivent être fondées sur des données scientifiques; elles doivent être proportionnées, non discriminatoires, transparentes et cohérentes par rapport à des mesures similaires déjà adoptées.
À cet égard, les mesures adoptées par les décisions 2000/766, relative à certaines mesures de protection à l’égard des encéphalopathies spongiformes transmissibles et à l’utilisation de protéines animales dans l’alimentation des animaux, et 2001/9, relative aux mesures de contrôle requises pour la mise en oeuvre de la décision 2000/766, qui imposent des exceptions à la libre circulation des marchandises en ce qu’elles comportent diverses interdictions relatives aux protéines animales, s’inscrivent dans le cadre d’une législation cohérente dont l’objectif est la lutte contre ces encéphalopathies. Elles ont été adoptées sur recommandation d’experts disposant des données scientifiques pertinentes et sont indistinctement applicables à toute farine de poisson susceptible d’être utilisée dans la Communauté européenne. Il s’ensuit que ces mesures ne violent pas le principe de proportionnalité du droit de l’EEE et qu’elles sont justifiées par la protection de la santé des personnes et des animaux au sens de l’article 13 de l’accord EEE.

(cf. points 57-59, 61-62, disp. 2)




ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
1er avril 2004(1)


«Agriculture – Police sanitaire – Mesures de protection à l'égard des encéphalopathies spongiformes transmissibles – Utilisation de protéines animales dans l'alimentation des animaux»

Dans l'affaire C-286/02,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par le Tribunale di Treviso (Italie) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Bellio F.lli Srl

et

Prefettura di Treviso,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de la décision 2000/766/CE du Conseil, du 4 décembre 2000, relative à certaines mesures de protection à l'égard des encéphalopathies spongiformes transmissibles et à l'utilisation de protéines animales dans l'alimentation des animaux (JO L 306, p. 32), et de la décision 2001/9/CE de la Commission, du 29 décembre 2000, relative aux mesures de contrôle requises pour la mise en oeuvre de la décision 2000/766 (JO 2001 L, 2, p. 32),

LA COUR (troisième chambre),



composée de M. A. Rosas (rapporteur), président de chambre, M. R. Schintgen et Mme N. Colneric, juges,

avocat général: M. L. A. Geelhoed,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

pour Bellio F.lli Srl, par Mes F. Capelli et R. Bordignon, avvocati,

pour la République italienne, par M. I. M. Braguglia, en qualité d'agent, assisté de Mme P. Palmieri et M. M. Fiorilli, avvocati dello Stato,

pour l'Irlande, par M. D. J. O'Hagan, en qualité d'agent, assisté de Me N. Butler, BL,

pour le royaume de Norvège, par M. I. Høyland et Mme A. Enersen, en qualité d'agents,

pour la Commission des Communautés européennes, par Mme C. Cattabriga et M. V. Di Bucci, en qualité d'agents,

ayant entendu les observations orales de Bellio F.lli Srl, représentée par Me F. Capelli, de la République italienne, représentée par Mme P. Palmieri, de l'Irlande, représentée par Me D. C. Smyth, B.L., du royaume de Norvège, représenté par Mme A. Enersen, et de la Commission, représentée par M. V. Di Bucci, à l'audience du 4 décembre 2003,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 29 janvier 2004,

rend le présent



Arrêt



1
Par ordonnance du 26 juin 2002, parvenue à la Cour le 5 août suivant, le Tribunale di Treviso a posé, en application de l’article 234 CE, plusieurs questions préjudicielles relatives, notamment, à l’interprétation de la décision 2000/766/CE du Conseil, du 4 décembre 2000, relative à certaines mesures de protection à l’égard des encéphalopathies spongiformes transmissibles et à l’utilisation de protéines animales dans l’alimentation des animaux (JO L 306, p. 32), et de la décision 2001/9/CE de la Commission, du 29 décembre 2000, relative aux mesures de contrôle requises pour la mise en œuvre de la décision 2000/766 (JO 2001, L 2, p. 32).

2
Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’un litige opposant la société Bellio F.lli Srl (ci-après «Bellio Fratelli») à la Prefettura di Treviso au sujet de la confiscation d’un lot de farine de poisson importé de Norvège.


La réglementation applicable

A –  Les dispositions de l’accord sur l’Espace économique européen

3
L’article 6 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3, ci-après l’«accord EEE»), prévoit:

«Sans préjudice de l’évolution future de la jurisprudence, les dispositions du présent accord, dans la mesure où elles sont identiques en substance aux règles correspondantes du traité instituant la Communauté économique européenne, du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier et des actes arrêtés en application de ces deux traités, sont, pour leur mise en œuvre et leur application, interprétées conformément à la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des Communautés européennes antérieure à la date de signature du présent accord.»

4
L’article 13 de cet accord, en substance identique à l’article 30 CE, est libellé comme suit:

«Les dispositions des articles 11 et 12 ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d’importation, d’exportation ou de transit justifiées par des raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée dans le commerce entre les parties contractantes.»

5
L’article 20 de l’accord EEE prévoit:

«Les dispositions et les modalités applicables au poisson et aux autres produits de la mer figurent dans le protocole 9.»

6
L’article 2, paragraphe 5, du protocole 9 de l’accord EEE, concernant le commerce des poissons et des autres produits de la mer, dispose:

«La Communauté n’applique pas de restrictions quantitatives à l’importation ni de mesures d’effet équivalent aux produits visés à l’appendice 2. Dans ce contexte, l’article 13 de l’accord s’applique.»

7
Le tableau I de l’appendice 2 du même protocole prévoit:

Code SH

Désignation des marchandises

[…]

[…]

2301

Farines, poudres et agglomérés sous forme de pellets, de viandes, d’abats, de poissons ou de crustacés, de mollusques ou d’autres invertébrés aquatiques, impropres à l’alimentation humaine; cretons;

[…]

[…]

A –  La décision 2000/766

8
La décision 2000/766 a été adoptée sur le fondement de la directive 90/425/CEE du Conseil, du 26 juin 1990, relative aux contrôles vétérinaires et zootechniques applicables dans les échanges intracommunautaires de certains animaux vivants et produits dans la perspective de la réalisation du marché intérieur (JO L 224, p. 29), telle que modifiée en dernier lieu par la directive 92/118/CEE du Conseil, du 17 décembre 1992 (JO 1993, L 62, p. 49, ci-après la «directive 90/425»), et notamment de son article 10, paragraphe 4, ainsi que de la directive 97/78/CE du Conseil, du 18 décembre 1997, fixant les principes relatifs à l’organisation des contrôles vétérinaires pour les produits en provenance des pays tiers introduits dans la Communauté (JO 1998, L 24, p. 9), et notamment de son article 22.

9
Les points 1 et 2 des motifs de la décision 2000/766 rappellent que «[l]es règles communautaires en matière de contrôle de certaines protéines animales transformées utilisées dans l’alimentation des ruminants sont entrées en vigueur en juillet 1994» mais que, «[d]ans certains États membres, des cas d’encéphalopathies spongiformes bovines (ESB) ont été constatés sur des animaux nés en 1995 et au cours des années qui ont suivi».

10
Le point 3 des motifs de la même décision rappelle également que, «[l]es 27 et 28 novembre 2000, le comité scientifique directeur a adopté un avis par lequel il a recommandé que, lorsque le risque de contamination croisée de l’alimentation bovine par des aliments destinés à d’autres animaux et contenant des protéines animales susceptibles d’être contaminées par l’agent de l’ESB ne peut être exclu, il faudrait envisager l’interdiction temporaire des protéines animales dans l’alimentation des animaux».

11
Le point 6 des motifs, première phrase, de la décision 2000/766 est libellé comme suit:

«Vu ce qui précède, il est approprié, par mesure de précaution, d’interdire temporairement l’utilisation de protéines animales dans l’alimentation des animaux, dans l’attente d’une réévaluation totale de la mise en œuvre de la législation communautaire dans les États membres. […]»

12
L’article 2 de la même décision dispose:

«1.
Les États membres interdisent l’utilisation de protéines animales transformées dans l’alimentation des animaux d’élevage détenus, engraissés ou élevés pour la production de denrées alimentaires.

2.
L’interdiction visée au paragraphe 1 ne s’applique pas à l’utilisation:

de farine de poisson dans l’alimentation d’animaux autres que les ruminants, selon des mesures de contrôle à fixer selon la procédure prévue à l’article 17 de la directive 89/662/CEE du Conseil du 11 décembre 1989 relative aux contrôles vétérinaires applicables dans les échanges intracommunautaires dans la perspective de la réalisation du marché intérieur [JO L 395, p. 13, telle que modifiée en dernier lieu par la directive 92/118, ci-après la «directive 89/662»)],

[…]»

13
L’article 3, paragraphe 1, de la décision 2000/766 prévoit que, à l’exception des dérogations prévues à l’article 2, paragraphe 2, de celle-ci, les États membres interdisent la mise sur le marché, le commerce, l’importation en provenance de pays tiers et l’exportation vers des pays tiers de protéines animales transformées destinées à l’alimentation d’animaux d’élevage qui sont détenus, engraissés ou élevés pour la production de denrées alimentaires et qu’ils font en sorte que de telles protéines soient retirées du marché, des circuits de distribution et des installations de stockage situées sur les exploitations. L’article 3, paragraphe 2, de cette décision précise les dispositions communautaires applicables à la collecte, au transport, à la transformation, à l’entreposage et à l’élimination des déchets animaux.

B –  La décision 2001/9

14
La décision 2001/9 a été adoptée sur le fondement de la directive 89/662, et notamment de son article 9, paragraphe 4, de la directive 90/425, et notamment de son article 10, paragraphe 4, ainsi que de la directive 97/78, et notamment de son article 22.

15
L’article 1, paragraphe 1, de ladite décision prévoit:

«Les États membres autorisent l’utilisation de farine de poisson dans l’alimentation d’animaux autres que les ruminants, uniquement dans les conditions fixées à l’annexe I.»

16
L’annexe I de la même décision dispose:

«1.
La farine de poisson est produite dans des usines de transformation se consacrant uniquement à la production de farine de poisson et agréées à cette fin par l’autorité compétente conformément à l’article 5, paragraphe 2, de la directive 90/667/CEE.

2.
En vue de leur mise en libre pratique sur le territoire de la Communauté, les lots importés de farine de poisson sont analysés conformément à la directive 98/88/CE de la Commission [, du 13 novembre 1998, établissant des lignes directrices pour l’identification et l’estimation, par examen microscopique, des constituants d’origine animale pour le contrôle officiel des aliments pour animaux (JO L 318, p. 45)].

3.
La farine de poisson est transportée directement des usines de transformation aux établissements produisant des aliments pour animaux, dans des véhicules qui ne transportent pas en même temps d’autres matières premières pour aliments des animaux. Si le véhicule est utilisé ultérieurement pour transporter d’autres produits, il doit être nettoyé et inspecté de manière approfondie avant et après le transport de farine de poisson.

4.
La farine de poisson est transportée directement du point frontière aux établissements produisant des aliments pour animaux, conformément aux conditions fixées à l’article 8 de la directive 97/78/CE, dans des véhicules qui ne transportent pas en même temps d’autres matières premières pour aliments des animaux. Si le véhicule est utilisé ultérieurement pour transporter d’autres produits, il doit être nettoyé et inspecté de manière approfondie avant et après le transport de farine de poisson.

5.
Nonobstant les dispositions des points 3 et 4, l’entreposage temporaire de farine de poisson peut être autorisé, uniquement s’il est réalisé dans des établissements d’entreposage spécialisés et agréés à cette fin par l’autorité compétente.

6.
Les aliments pour animaux contenant de la farine de poisson ne peuvent être produits que dans des établissements fabriquant des aliments pour animaux, qui ne préparent pas ce type d’aliments pour des ruminants et qui sont agréées à cette fin par l’autorité compétente.

Par dérogation à cette disposition, la production d’aliments pour ruminants dans des établissements qui fabriquent également des aliments contenant de la farine de poisson pour d’autres espèces animales peut être permise par l’autorité compétente à condition que:

le transport et le stockage des matières premières pour aliments des animaux destinés aux ruminants soient complètement séparés des matières premières interdites dans l’alimentation des ruminants, et

les installations de stockage, de transport, de fabrication et de conditionnement des aliments composés pour animaux destinés aux ruminants soient complètement séparées, et

les registres détaillant les achats et les utilisations de farine de poisson ainsi que les ventes d’aliments pour animaux contenant de la farine de poisson soient mis à la disposition de l’autorité compétente, et

des contrôles de routine soient réalisés sur les aliments pour ruminants afin de s’assurer de l’absence de protéines animales transformées interdites, telles que définies à l’article 1er de la décision 2000/766/CE.

7.
L’étiquetage des aliments pour animaux contenant de la farine de poisson doit clairement porter la mention ‘Contient de la farine de poisson — Ne peut pas être utilisé dans l’alimentation des ruminants’.

8.
Les aliments pour animaux en vrac contenant de la farine de poisson sont transportés au moyen de véhicules qui ne transportent pas dans le même temps des aliments pour ruminants. Si le véhicule est utilisé ultérieurement pour transporter d’autres produits, il doit être nettoyé et inspecté de manière approfondie avant et après le transport d’aliments pour animaux en vrac contenant de la farine de poisson. 

[…]»

17
Les directives 89/662 et 90/425 font partie de l’accord EEE, comme il ressort de l’annexe I dudit accord, intitulée «Questions vétérinaires et phytosanitaires», telle que modifiée par la décision n° 69/98 du Comité mixte de l’EEE, du 17 juillet 1998 (JO 1999, L 158, p. 1). Les décisions 2000/766 et 2001/9 ont été intégrées à l’accord EEE par la décision n° 65/2003 du Comité mixte de l’EEE, du 20 juin 2003, modifiant l’annexe I (Questions vétérinaires et phytosanitaires) de l’accord EEE (JO L 257, p. 1).

C –  La directive 98/34/CE

18
La directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 juin 1998, prévoyant une procédure d'information dans le domaine des normes et réglementations techniques (JO L 204, p. 37), a codifé la directive 83/189/CEE du Conseil, du 28 mars 1983 (JO L 109, p. 8). Elle a été modifiée par la directive 98/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 20 juillet 1998 (JO L 217, p. 18).

19
Les articles 8 et 9 de la directive 83/189 imposent aux États membres de communiquer à la Commission des Communautés européennes les projets de règles techniques qu’ils envisagent d’adopter et de ne pas adopter ceux-ci avant l’expiration d’un certain délai à compter de la date de réception de la communication par la Commission.

20
L’article 10, paragraphe 1, premier tiret, de la directive 98/34 prévoit que les articles 8 et 9 de cette dernière ne sont pas applicables aux dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres par lesquels ces derniers se conforment aux actes communautaires contraignants qui ont pour effet l’adoption notamment de spécifications techniques.


Les faits, la procédure au principal et les questions préjudicielles

21
Il ressort de l’ordonnance de renvoi que:

«–
en janvier 2000, la société Bellio a importé de Norvège un lot de farine de poisson, qui a été par la suite acquis par Mangimificio SAPAS Sas di S. Miniato (PI) pour la production d’aliments pour animaux autres que les ruminants;

les prélèvements effectués sur la farine de poisson dans les locaux de la SAPAS Sas à l’occasion de contrôles sur place réalisés par les fonctionnaires compétents de la Polizia Giudiziaria del Servizio di Vigilanza Igienico Sanitaria ont révélé la présence de fragments osseux d’animaux d’origine indéterminée, de sorte que les quantités de farine de poisson fournies par la demanderesse ont été saisies;

une contre-analyse effectuée pour le compte de la société Bellio a décelé dans la farine de poisson une quantité de fragments de tissu osseux de mammifère dans une proportion inférieure à 0,1 %;

la révision de l’analyse effectuée à l’Istituto Superiore della Sanità le 27 septembre 2001 a confirmé la présence de fragments osseux;

la présence de fragments de tissu osseux de mammifère constitue le fondement de la sanction administrative qui a été infligée à la société Bellio F.lli Srl en vertu de l’article 17, sous a), et de l’article 22, premier et troisième alinéas, de la loi n° 281 du 15 février 1963, telle que modifiée et complétée, ‘pour avoir vendu un aliment simple, en l’occurrence de la farine de poisson, présenté et commercialisé de manière à induire l’acheteur en erreur quant à la composition, le type et la nature de la marchandise, et dont l’analyse a révélé qu’il était non conforme aux déclarations, indications et dénominations reprises sur l’étiquetage et dans le document commercial d’accompagnement du produit’, par ordre de confiscation et de destruction de 36 sacs de farine de poisson, tels qu’identifiés dans le procès-verbal de saisie n° 17 du 21 février 2001, et injonction de payer la sanction administrative d’un montant de 18 597,27 ₠, sans préjudice de l’application de tout autre acte connexe et/ou consécutif, de nature procédurale et/ou définitive.»

22
Saisi sur recours par Bellio Fratelli, le Tribunale di Treviso a jugé qu’il y avait lieu de se référer à la réglementation communautaire régissant l’utilisation de la farine de poisson comme composant des aliments pour animaux pour vérifier si d’éventuelles violations avaient été commises dans ce domaine. Il a estimé dès lors que les décisions 2000/766 et 2001/9 étaient pertinentes pour le cas d’espèce.

23
Le Tribunale di Treviso a cependant relevé que, eu égard au pourcentage de fragments osseux de mammifère présents dans la farine de poisson, celle-ci pouvait avoir fait l’objet d’une contamination accidentelle. Par conséquent, le principe général, admis par la réglementation communautaire dans différents secteurs, de l’acceptation d’une limite raisonnable de tolérance pourrait s’appliquer. À défaut, cela pourrait signifier que l’on impose le respect d’une norme technique qui aurait dû être autorisée par la Commission conformément à la directive 83/189, telle que codifiée par la directive 98/34.

24
Le Tribunale di Treviso a précisé que, s’agissant de farine de poisson provenant de Norvège, pays membre de l’EEE, les principes communautaires relatifs à la libre circulation des marchandises lui étaient applicables, en vertu des articles 8 à 16 de l’accord EEE.

25
Conformément à l’article 234 CE, le Tribunale di Treviso a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)
L’article 2, paragraphe 2, premier tiret, de la décision [2000/766] et l’article 1er, paragraphe 1, de la décision [2001/9], en combinaison avec les autres règles communautaires dont découlent lesdites dispositions, doivent-ils être interprétés en ce sens que, dans la farine de poisson utilisée dans la production d’aliments destinés à des animaux autres que les ruminants, la présence accidentelle de substances non prévues ou non permises peut être considérée comme juridiquement ou matériellement admissible, ce qui implique la reconnaissance du droit de l’opérateur au respect d’une limite de tolérance raisonnable?

2)
En cas de réponse affirmative à la première question, à la lumière du principe de proportionnalité et du principe de précaution et eu égard aux dispositions communautaires applicables dans les secteurs dans lesquels il est fait référence aux contaminations accidentelles des produits agro-alimentaires avec indication des limites de tolérance respectives, faut-il considérer qu’une contamination accidentelle égale à 0,1 % et, en tout état de cause, non supérieure à 0,5 %, consistant en fragments osseux de mammifère décelés dans une quantité de farine de poisson destinée à la production d’aliments pour animaux autres que les ruminants, est de nature à justifier l’adoption d’une sanction draconienne telle que la destruction intégrale de ladite farine de poisson?

3)
La prétention d’exclure toute tolérance en ce qui concerne la présence des substances évoquées dans les questions précédentes peut-elle équivaloir à l’introduction d’une norme technique, au sens de la directive [83/189], qui aurait dû être préalablement notifiée à la Commission européenne?

4)
Les dispositions prévues aux articles 28 CE et 30 CE en matière de libre circulation des marchandises, applicables à la Norvège en vertu des articles 8 à 16 de l’accord [EEE], doivent-elles, en ce qui concerne les dispositions contenues dans la décision [2000/766] et dans la décision [2001/9] déjà mentionnées dans la première question, être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’un État membre puisse imposer l’observation d’une tolérance zéro dans un cas tel que celui décrit dans les précédentes questions nos 1 et 2?»


Sur la recevabilité des questions préjudicielles

26
La République italienne considère que les questions formulées par le Tribunale di Treviso sont manifestement dépourvues de pertinence aux fins de la solution du litige pendant devant cette juridiction. Elle relève que l’article 17, sous a), de la loi n° 281 de 1963 sanctionne la distribution de produits «qui ne sont pas de qualité saine, loyale et marchande, qui présentent des dangers pour la santé des animaux ou des personnes et qui sont présentés de manière à induire l’acheteur en erreur». Dans l'affaire au principal, cependant, l’infraction constatée se rattacherait davantage à la commercialisation de produits non conformes à ce qui est déclaré, et présentés de manière à induire l’acheteur en erreur, qu’à la commercialisation de produits nocifs pour la santé. La solution des questions soulevées par le Tribunale di Treviso ne constituerait donc pas un préalable nécessaire pour trancher le litige au principal, étant donné que, même en cas de réponses affirmatives aux questions posées à la Cour de justice, la légalité des sanctions adoptées serait également justifiée par le fait que les acheteurs éventuels ont été induits en erreur ou par la commercialisation, réalisée par Bellio Fratelli, de produits différents de ceux déclarés.

27
À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, il appartient aux seules juridictions nationales qui sont saisies du litige et doivent assumer la responsabilité de la décision judiciaire à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de chaque affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre leur jugement que la pertinence des questions qu’elles posent à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit communautaire, la Cour est, en principe, tenue de statuer (voir, notamment, arrêts du 13 mars 2001, PreussenElektra, C-379/98, Rec. p. I-2099, point 38; du 22 janvier 2002, Canal Satélite Digital, C-390/99, Rec. p. I-607, point 18; du 27 février 2003, Adolf Truley, C-373/00, Rec. p. I-1931, point 21, et du 22 mai 2003, Korhonen e.a., C‑18/01, Rec. p. I-5321, point 19).

28
En outre, il résulte de cette même jurisprudence que le refus de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que lorsqu’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation du droit communautaire sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (voir arrêts précités PreussenElektra, point 39; Canal Satélite Digital, point 19; Adolf Truley, point 22, et Korhonen e.a., point 20).

29
Tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, il n’apparaît pas de manière manifeste que les questions posées ne soient pas nécessaires à la juridiction nationale, même si l’infraction retenue était la commercialisation de produits non conformes à ce qui était déclaré, et présentés de manière à induire l’acheteur en erreur. Par ailleurs, la Cour dispose des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées.

30
Par conséquent, il n’y a pas lieu de déclarer irrecevables les questions préjudicielles posées par le Tribunale di Treviso.


Sur le droit applicable

31
S’agissant de farine de poisson importée de Norvège, l’article 2, paragraphe 5, du protocole 9 de l’accord EEE, concernant le commerce des poissons et des autres produits de la mer, est applicable, le royaume de Norvège étant partie contractante à cet accord. Selon ledit article, «[l]a Communauté n’applique pas de restrictions quantitatives à l’importation ni de mesures d’effet équivalent» à un tel produit, sauf lorsque ces restrictions ou mesures sont justifiées en application de l’article 13 de l’accord EEE. Il résulte de ce dernier article que des interdictions ou restrictions peuvent être justifiées par des raisons, notamment, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux.

32
Dans ce contexte, il importe de vérifier si la réglementation communautaire est justifiée par des raisons de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux au sens de cet article 13 de l’accord EEE ou si cette réglementation constitue une mesure d’effet équivalent interdite par l’article 2, paragraphe 5, du protocole 9 de cet accord.

33
En effet, il y a lieu de rappeler que l’accord EEE a été conclu par la Communauté économique européenne et la Communauté européenne du charbon et de l’acier, dénommées «Communauté» dans cet accord. Or, l’article 300, paragraphe 7, CE prévoit que «les accords conclus selon les conditions fixées au présent article lient les institutions de la Communauté et les États membres». Par ailleurs, la Cour a jugé que la primauté des accords internationaux conclus par la Communauté sur les textes de droit communautaire dérivé commande d’interpréter ces derniers, dans la mesure du possible, en conformité avec ces accords (arrêt du 10 septembre 1996, Commission/Allemagne, C-61/94, Rec. p. I-3989, point 52).

34
À cet égard, il convient de souligner que, ainsi que le précise l’article 6 de l’accord EEE, les dispositions de l’accord, dans la mesure où elles sont identiques en substance aux règles correspondantes du traité CE et des actes arrêtés en application de ce traité, sont, pour leur mise en œuvre et leur application, interprétées conformément à la jurisprudence pertinente de la Cour antérieure à la signature de l’accord EEE. Par ailleurs, tant la Cour que la Cour AELE ont reconnu la nécessité de veiller à ce que les règles de l’accord EEE identiques en substance à celles du traité soient interprétées de manière uniforme (arrêt du 23 septembre 2003, Ospelt et Schlössle Weissenberg Familienstiftung, C‑452/01, non encore publié au Recueil, point 29; arrêt de la Cour AELE du 12 décembre 2003, EFTA Surveillance Authority/Iceland, E‑1/03, non encore publié au EFTA Court Report, point 27).

35
Ainsi qu’il a été relevé au point 4 du présent arrêt, l’article 13 de l’accord EEE est en substance identique à l’article 30 CE .

36
Il convient de tenir compte de ces éléments afin de donner au juge national des réponses utiles.


Sur les questions préjudicielles

Sur les première, deuxième et quatrième questions

37
Il convient d’examiner ensemble les première, deuxième et quatrième questions. Par ces questions, la juridiction de renvoi demande en substance si les dispositions communautaires relatives aux farines animales doivent être appliquées avec une «tolérance zéro» ou si la farine de poisson autorisée à certaines conditions reste commercialisable même lorsqu’elle contient, dans une proportion infime et en raison d’une vraisemblable contamination accidentelle, des fragments de tissus osseux de mammifère.

Observations soumises à la Cour

38
Bellio Fratelli soutient que la réglementation communautaire doit être interprétée en ce sens qu’elle accepterait une certaine tolérance due à une contamination accidentelle. Elle fait référence à cet égard aux règlements en matière d’organismes génétiquement modifiés (ci-après les «OGM»), qui prévoient une tolérance de contamination de 1 %, et plus particulièrement au règlement (CE) n° 1139/98 du Conseil, du 26 mai 1998, concernant la mention obligatoire, dans l’étiquetage de certaines denrées alimentaires produites à partir d’organismes génétiquement modifiés, d’informations autres que celles prévues par la directive 79/112/CEE (JO L 159, p. 4) et au règlement (CE) n° 49/2000 de la Commission, du 10 janvier 2000, modifiant le règlement n° 1139/98 (JO L 6, p. 13). L’analyse de la farine de poisson ne serait pas suffisante pour déterminer son caractère nuisible pour la santé, car les fragments de mammifères pourraient provenir d’animaux qui ne sont pas «à risque» tels que la baleine ou le rat. En outre, il ne s’agit pas d’aliments destinés à des êtres humains, comme c’était le cas dans l’affaire Hahn (arrêt du 24 octobre 2002, C-121/00, Rec. p. I‑9193), mais bien à des porcs, dont il n’a jamais été établi qu’ils aient contracté l’ESB. Bellio Fratelli conclut que la sanction de destruction du produit adoptée par la Prefettura di Treviso est contraire à la réglementation communautaire et, en tout état de cause, disproportionnée au regard de l’objectif de protection de la santé publique.

39
La République italienne, l’Irlande, le royaume de Norvège et la Commission soutiennent que la réglementation communautaire, pour autant qu’elle soit applicable même à la sanction, ne tolère aucune contamination, même accidentelle. Ils insistent sur l’objectif de santé publique poursuivi par l’interdiction des farines animales et, plus particulièrement sur l’objectif de prévention de la contamination croisée, c’est-à-dire accidentelle, sur le fait que l’autorisation de la farine de poisson est une exception au principe de l’interdiction des farines animales et que les dispositions relatives aux conditions de cette autorisation doivent être interprétées de façon restrictive, et enfin sur l’absence, dans le droit communautaire, d’un «principe de tolérance» implicite. Ils rappellent l’état des connaissances scientifiques en matière d’ESB et la conclusion des experts selon laquelle une exposition à une quantité minime de produit infecté peut provoquer la maladie. Ils attirent l’attention sur le fait qu’une présence infime de fragments osseux, seuls repérables au microscope, ne donne pas une indication quant à la quantité de tissus mous de mammifère éventuellement présente dans le produit. Ils concluent que la réglementation communautaire doit être interprétée strictement et que la destruction du produit est justifiée et non disproportionnée. En tout état de cause, les dispositions nationales imposant la tolérance zéro et prévoyant la destruction du produit seraient conformes à l’article 30 CE et aux dispositions correspondantes de l’accord EEE. À l’audience, la Commission a précisé que l’application des décisions 2000/766 et 2001/9 est surveillée et que ces décisions ont été régulièrement modifiées afin de tenir compte de l’évolution des connaissances scientifiques. Elles ont été intégrées à l’accord EEE, ce qui démontrerait leur bien-fondé.

Réponse de la Cour

40
Afin d’interpréter les décisions 2000/766 et 2001/9, il convient d’examiner leur libellé, leur structure, mais également leur contexte et leur finalité. Ceux-ci peuvent être déduits notamment des bases juridiques sur lesquelles ont été adoptées ces décisions et des points des motifs de ces dernières. Enfin, il importe de tenir compte des dispositions pertinentes du traité.

41
Les décisions en cause ont été adoptées dans le cadre de la lutte contre les encéphalopathies spongiformes transmissibles (ci-après les «EST»). L’hypothèse de travail communément acceptée par les scientifiques est que ces maladies, dont la variante de Creutzfeldt-Jakob affecte l’être humain et a provoqué le décès de nombreuses personnes, se transmettent principalement par voie orale, c’est-à-dire par l’ingestion de nourriture contenant des prions (voir «Opinion on hypotheses on the origin and the transmission of BSE adopted by the Scientific Steering Committee at its meeting of 29-30 Novembre 2001»). C’est en effet l’interdiction de l’utilisation des farines animales pour l’alimentation des ruminants qui a donné le plus de résultats dans cette lutte contre ces maladies, sans que, toutefois, celles-ci disparaissent complètement.

42
Dans son avis des 27 et 28 novembre 2000, visé au point 3 des motifs de la décision 2000/766, le comité scientifique directeur a évoqué le risque de contamination croisée de l’alimentation bovine par des aliments destinés à d’autres animaux et contenant des protéines animales susceptibles d’être contaminées par l’agent de l’ESB. Il a recommandé l’interdiction temporaire des protéines animales dans l’alimentation des animaux.

43
Interrogé sur la dose de matériel infecté susceptible de provoquer la maladie, le comité scientifique directeur a, après consultation publique de la communauté scientifique, reconnu, dans son avis adopté lors de sa réunion des 13 et 14 avril 2000, qu’il lui était impossible d’identifier avec précision la dose minimale de matériel infecté requise pour provoquer la maladie chez l’être humain.

44
C’est à la lumière de ces éléments, et en tenant compte de l’article 152 CE, selon lequel un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de la Communauté, qu’il convient d’interpréter les décisions 2000/766 et 2001/9.

45
Ces deux décisions imposent certes des exceptions à la libre circulation des marchandises en ce qu’elles comportent diverses interdictions relatives aux protéines animales. Il convient cependant de rappeler qu’elles ont été adoptées sur la base des directives 89/662 et 90/425, qui, reprises à l’annexe I de l’accord EEE intitulée «Questions vétérinaires et phytosanitaires», visent précisément à assurer la libre circulation des produits agricoles à l’intérieur de l’EEE (voir en ce sens, s’agissant de la libre circulation à l’intérieur de la Communauté, arrêt du 5 mai 1998, Royaume-Uni/Commission, C-180/96, Rec. p. I‑2265, point 63).

46
Eu égard à l’objectif de santé publique qu’elles poursuivent, ces décisions doivent être interprétées de manière large et l’exception qu’elles prévoient relative à la farine de poisson doit être interprétée de manière restrictive.

47
Contrairement à ce que soutient Bellio Fratelli, il n’est pas exact que les décisions ne contiendraient aucune disposition relative à la contamination accidentelle d’un produit. En effet, le point 3 des motifs de la décision 2000/766 fait état de l’avis du comité scientifique directeur des 27 et 28 novembre 2000 sur le risque de contamination croisée de l’alimentation bovine. Or, il résulte des discussions devant ce comité que celui-ci définit la contamination croisée comme une contamination accidentelle, qui peut se produire lors de la production de la matière première, du transport, de l’entreposage, de la production des aliments ou de leur manipulation dans des fermes comportant des élevages mixtes, c’est-à-dire de ruminants et d’autres animaux [Report and Scientific Opinion on mammalian derived meat and bone meal forming a cross-contaminant of animal feedstuffs adopted by the Scientific Steering Committee at its meeting of 24-25 September 1998, point 2 (Definitions)].

48
C’est précisément pour éviter une telle contamination accidentelle que la décision 2001/9 contient, à son annexe I, des dispositions particulièrement strictes relatives à la séparation totale des chaînes de production, de transport et de stockage des matières premières, mais également de stockage, de transport, de fabrication et de conditionnement des aliments composés, les farines de poisson ne pouvant pas entrer en contact avec les aliments préparés pour les ruminants. Cette annexe contient également des dispositions relatives au nettoyage des véhicules et à leur inspection.

49
Le fait que la farine de poisson ait été destinée à des porcs ne justifie pas une interprétation différente des décisions 2000/766 et 2001/9. Il convient de relever que l’article 2, paragraphe 2, de la décision 2000/766 vise précisément un tel cas, puisque l’utilisation de la farine de poisson n’est autorisée que pour l’alimentation d’animaux autres que les ruminants. Ainsi que l’a exposé le comité scientifique directeur, la contamination croisée de bovins susceptibles de développer l’ESB peut résulter de chacune des phases de manipulation du produit, même si la farine est effectivement utilisée pour l’alimentation d’animaux autres que les ruminants.

50
De même, l’hypothèse que les fragments osseux puissent provenir de mammifères autres que les ruminants, tels que les baleines ou les rats, ne suffit pas à démontrer le caractère inapproprié ou disproportionné de la mesure communautaire, eu égard aux risques encourus et aux possibilités d’analyse des produits.

51
Il importe peu, par ailleurs, que le taux de contamination du produit soit peu élevé. En effet, il convient de rappeler que, conformément à l'annexe I, point 2, de la décision 2001/9, les lots importés de farine de poisson sont analysés conformément à la directive 98/88. Or, les examens microscopiques prévus par cette directive permettent d’identifier la présence d’éléments provenant de mammifères, notamment les os, mais ne permettent pas d’établir la quantité de tissus mous qui peuvent être présents dans le produit.

52
En outre, ainsi qu’il a été rappelé au point 43 du présent arrêt, le comité scientifique directeur a reconnu qu’il lui était impossible d’identifier avec précision la dose minimale de matériel infecté requise pour provoquer une EST chez l’être humain.

53
À cet égard, l’argument tiré de la réglementation relative aux OGM n’est ni pertinent ni probant. En effet, le contexte des OGM est différent de celui des EST, maladies ayant causé le décès de nombreuses personnes et nécessité l’abattage de milliers d’animaux. Par ailleurs, le fait que la réglementation en matière d’OGM prévoie explicitement un seuil de minimis de 1 % pour la présence accidentelle d’OGM ne conforte pas la thèse de Bellio Fratelli selon laquelle toute réglementation communautaire accepterait implicitement une tolérance de contamination accidentelle pour autant qu’elle ne dépasse pas 1 %. En effet, la fixation explicite, dans une réglementation communautaire, d’un seuil toléré de contamination accidentelle peut être interprétée en ce sens que l’absence de fixation d’un tel seuil implique qu’aucune contamination accidentelle n’est tolérée.

54
S’agissant de la destruction des lots contaminés, il convient de constater qu’il s’agit d’une mesure prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2000/766. Un lot contaminé doit en effet être considéré comme impropre à la consommation et doit éventuellement être détruit en prenant toutes les précautions nécessaires pour éviter une contamination de l’environnement. Il suffit à cet égard de constater que le risque de la contamination de l’environnement fait partie des risques pris en considération par le comité scientifique directeur dans son avis des 27 et 28 novembre 2000 (voir point 3 de cet avis).

55
Il s’ensuit que la destruction ne peut être considérée comme une sanction, mais bien comme une mesure de prévention prévue par le droit communautaire qui ne laisse pas, à cet égard, de pouvoir d’appréciation aux États membres.

56
Il résulte de l’ensemble de ces considérations qu’il y a lieu de répondre aux questions posées que les articles 2, paragraphe 2, premier tiret, de la décision 2000/766 et 1er, paragraphe 1, de la décision 2001/9, en combinaison avec les autres règles communautaires dont découlent lesdites dispositions, doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’admettent pas la présence, même accidentelle, d’autres substances non autorisées dans la farine de poisson utilisée dans la production d’aliments destinés à des animaux autres que les ruminants et qu’ils n’accordent aux opérateurs économiques aucune limite de tolérance. La destruction des lots de farine contaminés est une mesure de prévention prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2000/766.

57
S’agissant de la justification de ces dispositions au regard de l’article 13 de l’accord EEE, il convient de rappeler que, à défaut d’harmonisation et dans la mesure où des incertitudes subsistent en l’état actuel de la recherche scientifique, il appartient aux parties contractantes de décider du niveau auquel elles entendent assurer la protection de la santé des personnes, tout en tenant compte des exigences fondamentales du droit de l'EEE et, notamment, de la libre circulation des marchandises dans l’EEE (arrêt de la Cour AELE du 5 avril 2001, EFTA Surveillance Authority/Norway, E-3/00, EFTA Court Report 2000-2001, p. 73, point 25; voir à cet égard, s’agissant de libre circulation des marchandises dans la Communauté, arrêts du 14 juillet 1983, Sandoz, 174/82, Rec. p. 2445, point 16; du 23 septembre 2003, Commission/Danemark, C-192/01, non encore publié au Recueil, point 42, et du 5 février 2004, Commission/France, C-24/00, non encore publié au Recueil, point 49).

58
Cela signifie qu’une décision de gestion du risque relève de chaque partie contractante, qui dispose d’un pouvoir d’appréciation pour déterminer le niveau de risque qu’elle considère approprié. À ces conditions, une telle partie peut invoquer le principe de précaution, selon lequel il est suffisant de démontrer qu’il existe une incertitude scientifique pertinente en ce qui concerne le risque en question. Ce pouvoir d’appréciation est, cependant, soumis au contrôle du juge (arrêt EFTA Surveillance Authority/Norway, précité, point 25).

59
Des mesures adoptées par une partie contractante doivent être fondées sur des données scientifiques; elles doivent être proportionnées, non discriminatoires, transparentes et cohérentes par rapport à des mesures similaires déjà adoptées (arrêt EFTA Surveillance Authority/Norway, précité, point 26).

60
Ainsi, même si la nécessité de protéger la santé publique a été reconnue comme un souci majeur, le principe de proportionnalité doit être respecté (voir, en ce sens, arrêt EFTA Surveillance Authority/Norway, précité, point 27).

61
En l’espèce, les mesures adoptées s’inscrivent dans le cadre d’une législation cohérente dont l’objectif est la lutte contre les EST. Elles ont été adoptées sur recommandation d’experts disposant des données scientifiques pertinentes et sont indistinctement applicables à toute farine de poisson susceptible d’être utilisée dans la Communauté. Eu égard aux développements présentés aux points 40 à 56 du présent arrêt, ces mesures ne violent pas le principe de proportionnalité du droit de l'EEE.

62
Il s’ensuit que ces mesures sont justifiées par la protection de la santé des personnes et des animaux au sens de l’article 13 de l’accord EEE. Cette conclusion est confortée par le fait que, le 20 juin 2003, les décisions 2000/766 et 2001/9 ont été intégrées à l’accord EEE par la décision n° 65/2003 du Comité mixte de l’EEE.

63
Il convient dès lors de répondre aux questions posées en précisant que l’article 13 de l’accord EEE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas aux décisions 2000/766 et 2001/9.

Sur la troisième question

64
Il résulte de la motivation de l’ordonnance de renvoi que la troisième question a été posée pour le cas où l’exclusion de toute tolérance serait considérée comme une mesure adoptée par un État membre. Tel n’étant pas le cas, puisque cette exclusion résulte de la réglementation communautaire elle-même, il n’y a pas lieu de répondre à ladite question.


Sur les dépens

65
Les frais exposés par les gouvernements italien, irlandais et norvégien, ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs,

LA COUR (troisième chambre)

statuant sur les questions à elle soumises par le Tribunale di Treviso, par ordonnance du 26 juin 2002, dit pour droit:

1)       L’article 2, paragraphe 2, premier tiret, de la décision 2000/766/CE du Conseil, du 4 décembre 2000, relative à certaines mesures de protection à l’égard des encéphalopathies spongiformes transmissibles et à l’utilisation de protéines animales dans l’alimentation des animaux, et l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2001/9/CE de la Commission, du 29 décembre 2000, relative aux mesures de contrôle requises pour la mise en œuvre de la décision 2000/766, en combinaison avec les autres règles communautaires dont découlent lesdites dispositions, doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’admettent pas la présence, même accidentelle, d’autres substances non autorisées dans la farine de poisson utilisée dans la production d’aliments destinés à des animaux autres que les ruminants et qu’ils n’accordent aux opérateurs économiques aucune limite de tolérance. La destruction des lots de farine contaminés est une mesure de prévention prévue à l’article 3, paragraphe 1, de la décision 2000/766.

2)       L’article 13 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas aux décisions 2000/766 et 2001/9.

Rosas

Schintgen

Colneric

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 1er avril 2004.

Le greffier

Le président de la troisième chambre

R. Grass

A. Rosas


1
Langue de procédure: l'italien.