CONCLUSIONS DE L'AVOCAT GÉNÉRAL

M. GEORGES COSMAS

présentées le 4 juillet 1996 ( *1 )

1. 

Dans la présente affaire, le Polymeles Protodikeio Athinon invite la Cour à statuer à titre préjudiciel, pour la première fois, sur l'interprétation de l'article 7, paragraphe 2, de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants ( 1 ) (ci-après la « directive »).

I — Le litige au principal

2.

Ainsi qu'il ressort du jugement de renvoi, M. Kontogeorgas a introduit devant le Polymeles Protodikeio Athinon une action contre la société anonyme dénommée « Kartonpak AE Anonymos Viomichaniki kai Emboriki Etairia Eidon Suskevassias » dont le siège est établi dans la commune de Neochorouda à Thessalonique (ci-après « Kartonpak »). Dans son action, le demandeur expose ce qui suit: le 10 février 1981, il a conclu avec la défenderesse un contrat d'agence commerciale en vertu duquel il a été convenu qu'à partir du 1er janvier 1981 il serait l'agent commercial de la défenderesse pour la commercialisation des produits de celle-ci dans les nomes d'Achaïa et d'Ilia, en échange d'une commission de 3 % sur les ventes réalisées dans ce secteur. Selon les allégations du demandeur, la défenderesse a, à partir de 1988, commercialisé ses produits auprès de clients du secteur précité, en cachant au demandeur ces transactions, afin de le priver des commissions auxquelles il avait droit. Le demandeur avance en outre que la défenderesse a résilié le contrat qui les liait sans respecter le délai de deux mois qui avait été convenu. En conséquence, le demandeur a conclu à ce qu'il plaise au Tribunal, condamner la défenderesse à lui payer une somme déterminée représentant les commissions dues et à lui verser une indemnité pour le non-respect du délai de préavis de deux mois prévu pour la résiliation du contrat.

3.

La défenderesse réfute les allégations du demandeur et fait valoir dans ses conclusions devant le Polymeles Protodikeio Athinon que: a) en 1985, la société dénommée « Anonymos Etairia kataskevis kai emborias kartokivotion kai loipon eidon suskevassias Kartonpak AE » a fusionné avec la société « Saint Ritsis Ellas AVEE » qui avait le même objet social que la défenderesse, et b) que le demandeur n'avait pas droit à la commission parce que, d'une part, les clients auxquels il se réfère ne sont pas des clients qu'il avait découverts lui-même, mais d'anciens clients de la société fusionnée Saint Ritsis, et que, d'autre part, certains d'entre eux n'avaient pas leur siège dans le secteur d'activité du demandeur.

4.

Le Polymeles Protodikeio Athinon a considéré que l'affaire en instance devant lui soulevait une question d'interprétation du droit communautaire et, plus particulièrement, de l'article 7, paragraphe 2, de la directive et a donc décidé de surseoir à statuer et de soumettre certaines questions préjudicielles à la Cour, en vertu de l'article 177 du traité CE.

II — Les questions préjudicielles

5.

Le Polymeles Protodikeio Athinon invite la Cour à statuer sur les questions suivantes ( 2 ):

« 1)

Lorsque l'agent commercial est chargé d'un secteur géographique déterminé, son droit à la commission s'applique-t-il aux opérations qui ont été conclues sans son intervention, à quelque stade que ce soit, qu'il ait ou non prospecté lui-même la clientèle concernée, ou ce droit ne s'applique-t-il qu'aux opérations qui ont été conclues dans son secteur d'activité, à la suite de son intervention et avec des clients qu'il a lui-même trouvés, et

2)

Quelle est la signification des termes ‘client appartenant’ à ce secteur? Plus spécialement, lorsque le client est une société, et que le siège de cette société n'est pas situé au lieu d'exploitation et d'exercice de son activité commerciale, le terme ‘appartenant’ vise-t-il le siège de cette société, ou vise-t-il le lieu d'exercice effectif de son activité commerciale et/ou éventuellement d'implantation de ses usines ou autres installations, destinataires de l'opération pour laquelle la commission est réclamée, étant entendu que c'est dans ce lieu, relevant du secteur géographique d'activité de l'agent commercial, qu'a été conclue l'opération concernée, ouvrant pour ce dernier un droit à la commission? » ( 3 ).

III — Cadre juridique

6.

L'article 7 de la directive prévoit, au paragraphe 1, ce qui suit:

« Pour une opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission:

a)

lorsque l'opération a été conclue grâce à son intervention

OU

b)

lorsque l'opération a été conclue avec un tiers dont il a obtenu antérieurement la clientèle pour des opérations du même genre. »

7.

Le paragraphe 2 du même article 7, dont l'interprétation est demandée dans la présente affaire, dispose que:

« Pour une opération conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission:

soit lorsqu'il est chargé d'un secteur géographique ou d'un groupe de personnes déterminées,

soit lorsqu'il jouit d'un droit d'exclusivité pour un secteur géographique ou un groupe de personnes déterminées,

et que l'opération a été conclue avec un client appartenant à ce secteur ou à ce groupe.

Les États membres doivent insérer dans leur loi l'une ou l'autre possibilité visée aux deux tirets ci-dessus. »

8.

Le législateur hellénique a transposé en droit interne la disposition de l'article 7, paragraphe 2, de la directive par l'article 6, paragraphe 1, du décret présidentiel no 219/91 ( 4 ), qui est rédigé dans les termes suivants:

« Pour une opération commerciale conclue pendant la durée du contrat d'agence, l'agent commercial a droit à la commission s'il est chargé d'un secteur géographique et que l'opération a été conclue avec un client appartenant à ce secteur » ( 5 ).

IV — Observations sur la recevabilité

9.

Pendant la procedure orale, la défenderesse au principal, se référant aux observations qu'elle avait formulées à cet égard lors de la procédure écrite, a soutenu qu'il n'y avait pas lieu de répondre aux questions préjudicielles sur le fond. En effet, selon son point de vue, elles ne sont pas objectivement nécessaires pour la solution du litige au principal, étant donné que le demandeur au principal n'a jamais eu de lien contractuel avec la société Saint Ritsis qui a fusionné avec Kartonpak et n'a dès lors pas droit, en tout état de cause, à la commission pour des contrats conclus avec des clients de cette première société.

10.

La défenderesse avait en effet soutenu devant la juridiction de renvoi (voir également le point 3 ci-dessus) que l'action dirigée contre elle devait être rejetée comme non fondée au motif, notamment, que les clients auxquels se référait le demandeur étaient d'anciens clients de la société Saint Ritsis avec laquelle il n'avait aucun lien contractuel. Malgré cela, le juge national a considéré (éventuellement parce que le demandeur a soutenu devant lui qu'« il a droit à sa commission ... qu'il ait lui-même trouvé les clients ou que, s'agissant des clients de la société ... Saint Ritsis, il ne soit nullement intervenu dans les ventes conclues avec ces clients ») que, avant de statuer sur le bien-fondé ou non des allégations de la défenderesse, il convenait de soumettre à la Cour des questions préjudicielles afin qu'elle précise la portée exacte de l'article 7, paragraphe 2, de la directive, se réservant, ainsi qu'il le mentionne expressément dans le jugement de renvoi, d'examiner après le prononcé de l'arrêt de la Cour et « à condition que les conclusions formulées dans la demande soient, en principe, fondées en droit ... les exceptions soulevées par la défenderesse ».

11.

Selon la jurisprudence de la Cour, il appartient au juge national d'apprécier, au regard des particularités de l'affaire dont il est saisi, la nécessité d'une décision préjudicielle de la Cour ainsi que la pertinence des questions préjudicielles ( 6 ), mais aussi de décider à quel stade de la procédure il y a lieu de déférer ces questions à la Cour ( 7 ). A la lumière de cette jurisprudence et du fait que les questions préjudicielles posées par le Polymeles Protodikeio Athinon ne peuvent pas être considérées comme étant, à l'évidence, sans importance pour la solution du litige en instance devant lui, il convient de toute façon de rejeter les arguments avancés par la défenderesse au principal lorsqu'elle affirme que ces questions ne sont pas objectivement nécessaires pour la solution du litige. D'autant plus que cette allégation de la défenderesse est liée à l'appréciation d'éléments de fait dont la constatation (surtout lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, les parties sont en désaccord à ce sujet ( 8 )) appartient, dans le système consacré par l'article 177 du traité, au juge national et à lui seul ( 9 ).

12.

La défenderesse au principal a soutenu par ailleurs, pendant la procédure orale devant la Cour, que si les questions préjudicielles sont déclarées recevables, il est nécessaire de reformuler la première de ces questions. Selon elle, il conviendra d'admettre, par interprétation du jugement de renvoi dans son ensemble, que la première question préjudicielle vise à savoir si, au sens de l'article 7, paragraphe 2, deuxième tiret, de la directive, et conformément aux articles 17 et 19 de la troisième directive concernant les fusions des sociétés anonymes ( 10 ), l'agent commercial a également droit à la commission pour des opérations conclues avec des clients d'une société tierce qui a absorbé la société avec laquelle cet agent avait lui-même conclu un contrat.

13.

Il suffit de rappeler à cet égard que, selon une jurisprudence constante, compte tenu de la répartition des compétences opérée par l'article 177 du traité dans le cadre de la procédure des décisions à titre préjudiciel, il appartient à la seule juridiction nationale de définir l'objet des questions préjudicielles qu'elle entend poser à la Cour; celle-ci ne saurait donc, à la demande d'une partie au litige au principal, examiner une question qui ne lui a pas été soumise par la juridiction nationale, ou élargir l'objet de la question qui lui a été soumise ( 11 ). En l'espèce, le jugement de renvoi ne contient pas d'éléments qui autoriseraient l'interprétation de la première question préjudicielle préconisée par la défenderesse au principal. Par conséquent, accepter cette interprétation équivaudrait en fait à élargir l'objet de la question, ce qui ne saurait être admis, principalement pour la raison précitée.

14.

Avant d'examiner le fond, il est utile d'apporter les précisions suivantes: l'article 11 du décret présidentiel no 219/91 contient des dispositions transitoires qui correspondent aux dispositions transitoires prévues à l'article 22, paragraphe 1, de la directive. Selon le paragraphe 1 de l'article 11, précité, les dispositions du décret présidentiel no 219/91 s'appliquent aux contrats conclus après sa mise en vigueur. Par ailleurs, le paragraphe 2 du même article prévoit ce qui suit: « Pour les droits et obligations des parties qui découlent des contrats conclus avant l'entrée en vigueur du présent décret présidentiel, les dispositions dudit décret s'appliquent le 1er janvier 1994». En conséquence, le décret présidentiel no 219/91 ayant été publié au Journal officiel de la République hellénique le 30 mai 1991, le droit prévu par ce décret s'applique aux nouveaux contrats, c'est-à-dire à ceux qui sont conclus à partir de cette date. En revanche, le décret présidentiel ne s'applique pas aux anciens contrats, c'est-à-dire à ceux qui avaient été conclus avant la date précitée et pour lesquels est prévue une période transitoire jusqu'au 1er janvier 1994. Par conséquent, jusqu'au 31 décembre 1993, ces contrats étaient soumis au régime antérieur.

15.

Ainsi qu'il ressort du dossier, le contrat d'agence commerciale litigieux avait été conclu avant l'entrée en vigueur du décret présidentiel no 219/91 et, plus précisément, le 10 février 1981. Ainsi, il n'est régi par le droit nouveau établi par ledit décret que s'il était encore en cours à la date décisive du 1er janvier 1994, c'est-à-dire la date à laquelle ce décret a commencé à s'appliquer aussi aux anciens contrats. Il ressort par ailleurs du jugement de renvoi que la défenderesse avait résilié le contrat à une date qui n'est toutefois pas précisée. Cela étant, si le contrat litigieux avait expiré avant le 1er janvier 1994, il se situe en dehors du champ d'application du décret présidentiel no 219/91, ce qui priverait automatiquement les questions préjudicielles de toute incidence sur l'issue du litige au principal. Mais, dans la mesure où la juridiction nationale considère comme un fait établi que le litige pendant devant elle relève des dispositions du décret présidentiel no 219/91, il convient d'examiner au fond les questions préjudicielles précitées.

V — La première question préjudicielle

16.

Par cette question, le juge national invite la Cour à préciser si l'agent commercial qui, d'après le contrat, est chargé d'un secteur géographique déterminé ou jouit d'un droit d'exclusivité pour un secteur géographique déterminé a droit à la commission, même lorsque l'opération commerciale n'a pas été conclue grâce à son intervention personnelle.

17.

Dans le jugement de renvoi, le juge national exprime le point de vue selon lequel « même si l'opération a été conclue sans l'intervention de l'agent commercial et avec un client qu'il n'a pas lui-même trouvé, pour autant qu'elle ait été conclue dans le secteur géographique de son activité, elle ouvre, pour l'agent commercial, un droit à la commission ». Ce point de vue est partagé par le demandeur, la Commission et les gouvernements français, allemand et hellénique qui ont déposé des observations écrites.

18.

Le libellé et l'économie des paragraphes 1 et 2 de l'article 7 de la directive militent en faveur de cette thèse. Aux littera a) et b) du paragraphe 1 de l'article 7, le législateur part du principe que, pour que naisse le droit à la commission de l'agent commercial, il faut que le contrat ait été conclu grâce à son intervention personnelle. L'existence d'un lien causal entre la conclusion dudit contrat et l'intervention de l'agent est donc requise. En revanche, le cas prévu au paragraphe 2 de l'article 7 ne présuppose pas l'existence d'une relation de ce genre. L'agent commercial qui s'est vu concéder un secteur a droit à la commission pour toute opération conclue avec un client appartenant à ce secteur. La seule et unique condition pour que naisse le droit à la commission est, dans ce cas, la conclusion du contrat avec un client du secteur et non sa conclusion grâce à l'intervention de l'agent. Le droit à la commission est donc ici indépendant de cette intervention. Ainsi, le droit à la commission n'est pas affecté par le fait que le contrat a été conclu directement avec le commettant lorsque le cocontractant est un client du secteur qui a été concédé à l'agent commercial.

19.

Cette interprétation est conforme au libellé du paragraphe 2 de l'article 7, aux termes duquel l'agent « a droit également à la commission » dans les cas prévus par cette disposition. Il ressort de ce libellé que les dispositions du paragraphe 2 de l'article 7 vont au-delà de ce que prévoit le paragraphe 1 dudit article, et, partant, la conclusion du contrat grâce à l'intervention de l'agent ne constitue pas, conformément aux dispositions du paragraphe 2, précité, une condition de la naissance du droit à la commission. Du reste, si cette condition devait également être remplie dans les cas prévus par le paragraphe 2, ce dernier serait superflu.

20.

Il convient dès lors de répondre à la première question dans les termes suivants: « L'article 7, paragraphe 2, de la directive doit être interprété en ce sens que, lorsque l'agent commercial est chargé d'un secteur géographique déterminé, son droit à la commission s'applique également aux contrats conclus sans son intervention ».

VI — La seconde question préjudicielle

21.

La seconde question préjudicielle concerne l'interprétation des termes « client appartenant », plus spécialement lorsque le client est une société. Dans ce cas, le terme « appartenant » peut viser soit le siège de cette société, soit le lieu d'exercice effectif de son activité commerciale ou, éventuellement, d'implantation de ses usines ou autres installations.

22.

Selon le juge national, l'agent commercial a droit à la commission pour une opération conclue avec un client qu'il n'a pas lui-même trouvé « pour autant qu'elle ait été conclue dans le secteur géographique de son activité ... que ce soit ou non dans ce secteur que se situent le siège ou toute autre installation ». La défenderesse soutient que c'est le lieu où se trouve le centre de prise de décision et d'exécution de tous les actes nécessaires pour la conclusion du contrat qui joue un rôle déterminant. Selon la Commission, il convient de tenir compte du lieu d'exercice effectif de l'activité commerciale du client, sauf s'il ressort du contrat d'agence commerciale en cause que la volonté des parties était différente. Selon le gouvernement hellénique, il appartient au juge national d'établir, à la lumière des particularités de chaque transaction, si le client concerné appartient au secteur géographique dont est chargé l'agent commercial. Le gouvernement allemand observe que le législateur communautaire a suivi en la matière le choix du législateur allemand; il souligne que la directive a été rédigée sur le modèle des dispositions correspondantes du droit allemand en vigueur depuis 1953 et propose une interprétation semblable à celle qu'a donnée la jurisprudence allemande à l'article 87, paragraphe 2, du HGB (Handelsgesetzbuch). Le libellé de cette disposition correspond à celui de l'article 7, paragraphe 2, de la directive ( 12 ). Ainsi, selon le gouvernement allemand, ce qui importe, c'est de savoir si le client a son établissement ou son siège dans le secteur en cause. Lorsqu'un client dirige plusieurs entreprises ou lorsqu'une entreprise a plusieurs filiales, c'est alors l'entreprise ou la filiale qui a passé commande qui est déterminante.

23.

Nous pensons que la signification des termes « client appartenant à un secteur géographique » doit être déterminée sur la base du contrat d'agence commerciale conclu entre les parties. S'agissant de relations contractuelles qui sont régies, en règle générale, par le principe de l'autonomie de la volonté, la détermination, à partir d'un critère géographique ou autre, du cercle des clients qui relèvent de l'activité d'intermédiaire de l'agent commercial appartient en premier lieu aux cocontractants ( 13 ). Il convient donc dans chaque cas de rechercher la volonté des parties. La recherche de cette volonté relève évidemment de la compétence exclusive du juge national.

24.

Néanmoins, lorsque la volonté des parties ne ressort pas du contrat, il convient de déterminer le critère sur la base duquel sera appréciée l'appartenance d'un client au secteur de l'agent. En ce qui concerne les personnes physiques, le critère fondamental est le point de savoir si la personne habite dans le secteur concédé. S'il s'agit d'un commerçant, il convient de considérer, en principe, qu'il habite au lieu de son établissement professionnel ( 14 ).

25.

En ce qui concerne les personnes morales et, plus particulièrement, les sociétés, le critère auquel on peut principalement se référer est celui de leur siège. Mais ce critère ne doit pas être considéré comme absolu, sous peine de créer des problèmes lorsqu'il existe, par exemple, plusieurs établissements professionnels, succursales, etc. La présente question préjudicielle met particulièrement ces problèmes en évidence. Il ressort des faits soumis à l'appréciation du juge national que le siège d'un des clients était établi en Attique, tandis que son usine était installée dans un autre secteur et, plus précisément, dans le secteur où le demandeur exerçait son activité d'agent commercial. L'application du critère du siège aboutirait en pareil cas à ne reconnaître un droit à la commission qu'à l'agent qui exerce ses activités au lieu du siège de la société.

26.

Il s'agit d'une solution particulièrement restrictive, comportant des effets rigoureux lorsque la commande ou l'initiative de la commande émanent de la succursale ou de l'usine situées dans le secteur d'un autre agent. En pareil cas, la commande et la conclusion du contrat qui s'ensuit peuvent être attribuées à juste titre à l'ensemble des activités développées par ce dernier agent chargé de veiller aux intérêts de son commettant dans le secteur concédé. Bien qu'indépendant de l'intervention concrète de l'agent, son droit à la commission pour des contrats conclus avec des clients appartenant au secteur qui lui a été concédé constitue au fond une rémunération (indirecte), non seulement pour chaque contrat en particulier, mais aussi pour l'ensemble de l'activité de l'agent dans le secteur géographique dont il est chargé ( 15 ). Ces réflexions nous amènent à conclure qu'il convient de préférer, au critère formel du siège, le critère de fond, à savoir qui a passé la commande. Lorsque la succursale ou l'usine fonctionnent comme établissements indépendants et disposent d'un droit de passer des commandes qui leur a été concédé par l'administration centrale de la personne morale, elles doivent dans ce cas être considérées, au sens de la disposition interprétée, comme des clients appartenant au secteur concédé à l'agent. Si, en revanche, l'usine ou la succursale situées dans le secteur en question n'ont pas la liberté d'agir de façon autonome, il conviendra alors de considérer comme client la société elle-même, dont le siège est établi en dehors du secteur concédé.

Cette solution a été adoptée, ainsi que le gouvernement allemand l'a expliqué dans ses observations, par les juridictions allemandes chargées d'interpréter l'article 87, paragraphe 2, du HGB, qui contient, ainsi que nous l'avons déjà dit, une disposition semblable à celle de l'article 7, paragraphe 2, de la directive ( 16 ). Selon cette interprétation, l'agent commercial a droit à la commission pour des contrats conclus par le commettant à la suite d'une commande émanant d'un établissement de la société fonctionnant en tant qu'entité indépendante à l'intérieur de son secteur, même si le contrat a été conclu en dehors du secteur concédé. En revanche, l'agent commercial ne peut pas réclamer une commission pour un contrat qui a été conclu par le commettant avec un client n'appartenant pas à son secteur, au sens exposé ci-dessus, même si le contrat a été conclu à l'intérieur de son secteur ( 17 ). Ainsi, le critère supplémentaire que, d'après le libellé de la seconde question préjudicielle, le juge national semble également vouloir prendre en compte, à savoir le lieu dans lequel le contrat a été conclu, est sans incidence dans le système de la directive.

27.

Il convient dès lors de donner la réponse suivante à la seconde question préjudicielle: « Les termes ‘client appartenant’, figurant à la fin du premier alinéa du paragraphe 2 de l'article 7 de la directive doivent être interprétés, dans tous les cas où le client est une personne morale possédant plusieurs établissements, en ce sens qu'ils visent l'établissement qui a passé commande, sauf disposition contraire prévue au contrat ».

VII — Conclusion

Eu égard aux développements qui précèdent, nous proposons à la Cour de donner la réponse suivante aux questions préjudicielles qui lui ont été déférées par le Polymeles Protodikeio Athinon:

« 1)

L'article 7, paragraphe 2, de la directive 86/653/CEE du Conseil, du 18 décembre 1986, relative à la coordination des droits des États membres concernant les agents commerciaux indépendants, doit être interprété en ce sens que, lorsque l'agent commercial est chargé d'un secteur géographique déterminé, son droit à la commission s'applique également aux contrats conclus sans son intervention.

2)

Les termes ‘client appartenant’, figurant à la fin du premier alinéa du paragraphe 2 de l'article 7 de la directive 86/653, doivent être interprétés, dans tous les cas où le client est une personne morale possédant plusieurs établissements, en ce sens qu'ils visent l'établissement qui a passé commande, sauf disposition contraire prévue au contrat. »


( *1 ) Langue originale: le grec.

( 1 ) JO L 382, p. 17.

( 2 ) JO 1995, C 174, p. 3.

( 3 ) Il convient de relever que le gouvernement hellénique, bien qu'il conclue à la compétence de la Cour pour statuer à titre préjudiciel sur les questions posées, observe incidemment que le litige en cause concerne une situation interne. Cela est évidemment indifférent en l'espèce, puisque les questions préjudicielles concernent les dispositions d'une directive d'harmonisation des législations nationales dans un domaine particulier, adoptée sur la base des articles 57, paragraphe 2, et 100 du traité.

( 4 ) Décret relatif aux agents commerciaux, portant mise en œuvre de la directive 86/653/CEE du Conseil des Communautés européennes (Journal officiel de la République hellénique A 81 du 30 mai 1991).

( 5 ) Contre toute attente, le décret présidentiel no 219/91, dans sa version initiale, ne contenait pas de disposition transposant le paragraphe 1 de l'article 7 de la directive. Peut-être le législateur hellénique a-t-il considéré, à tort, que le dernier alinéa du paragraphe 2 de l'article 7 n'offrait pas aux États membres le choix entre les deux solutions alternatives prévues dans ce paragraphe, mais le choix entre les dispositions du paragraphe 1, d'une part, et du paragraphe 2, d'autre part. Par ailleurs, la disposition, citée dans le texte, de l'article 6, paragraphe 1, du décret présidentiel no 219/91 ne concernait pas (bien que l'article 7, paragraphe 2, de la directive le prévoie) le paiement de la commission à un agent commercial chargé d'un groupe de personnes déterminées. Toutefois, après le prononcé du jugement de renvoi par le Protodikcio Athinon, l'article 6, paragraphe 1, du décret présidentiel no 219/91 a été remplacé par l'article 4, paragraphe 2, du décret présidentiel no 312/95 (Journal officiel dela République hellénique A 168 du 22 août 1995) qui transpose désormais correctement, à notre avis, les dispositions de l'article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive.

( 6 ) Voir, par exemple, les arrêts du 5 octobre 1988, Alsatel (247/86, Rec. p. 5987, point 8), et du 30 novembre 1995, Esso Española (C-134/94, Rec. p. I-4223, point 9).

( 7 ) Voir l'arrêt du 10 mars 1981, Irish Creamery Milk Suppliers Association c. a. (36/80 et 71/80, Rcc. p. 735, points 5 et suiv.), ainsi que les arrêts du 21 avril 1988, Pardini (338/85, Rcc. p. 2041, point 8), et du 27 juin 1991, Mecanarte (C-348/89, Rec. p. I-3277, point 48).

( 8 ) Il ressort du jugement de renvoi que le demandeur rejette les allégations de la défenderesse selon lesquelles les clients qu'il cite dans sa demande étaient d'anciens clients de Saint Ritsis.

( 9 ) Voir, par exemple, les arrêts du 29 avril 1982, Pabst & Richarz (17/81, Rcc. p. 1331, point 12), et du 2 juin 1994, AC-ATEL Electronics Vertriebs (C-30/93, Rcc. p. I-2305, points 16 et 17).

( 10 ) La défenderesse se réfère manifestement à la directive 78/855/CEE du Conseil, du 9 octobre 1978 (JO L 295, p. 36).

( 11 ) Voir, par exemple, les arrêts du 9 janvier 1990, SAFA (C-337/88, Rcc. p. I-1, point 20), et du 24 mars 1992, Syndesmos Melon tis Elcrthcras Evangelikis Ekklisias c. a. (C-381/89, Rcc. p. I-2111, points 18 et 19), ainsi que l'arret AC-ATEL Electronics Vertriebs, précité à la note 9, point 19.

( 12 ) La disposition de l'article 87, paragraphe 2, du HGB est libellée comme suit: « Ist dem Handelsvertreter cin bestimmter Bezirk oder ein bestimmter Kundenkreis zugewiesen so hat er Anspruch auf Provision auch für Geschäfte, die ohne seine Mitwirkung mit Personen seines Bezirkes oder seines Kundenkreises während des Vertragsverhältnisses abgeschlossen sind ».

( 13 ) Les règles introduites par la directive (et, par voie de conséquence, les dispositions qui les transposent dans l'ordre juridique interne) sont en principe des règles dispositives (jus dispositivum; voir, par exception, les dispositions de l'article 5 de la directive).

( 14 ) Comparer Liakopoulos, A.: Geniko Emboriko Dikaio (2e éd.), p. 120; Brüggemann, D.: Staub, Grosskommentar HGB (4e éd.), artide 87 HGB, points 38 et suiv.

( 15 ) Comparer Brüggemann, op. cit., point 32.

( 16 ) Le paragraphe 2 de l'article 87 du HGB utilise les termes « personnes de son secteur» (« Personen seines Bezirkes »).

( 17 ) Comparer Brüggemann, op. cit., point 38.