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Document 61999CC0309

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 10 juillet 2001.
J. C. J. Wouters, J. W. Savelbergh et Price Waterhouse Belastingadviseurs BV contre Algemene Raad van de Nederlandse Orde van Advocaten, en présence de Raad van de Balies van de Europese Gemeenschap.
Demande de décision préjudicielle: Raad van State - Pays-Bas.
Ordre professionnel - Ordre national d'avocats - Réglementation par l'Ordre de l'exercice de la profession - Interdiction des collaborations intégrées entre avocats et experts-comptables - Article 85 du traité CE (devenu article 81 CE) - Association d'entreprises - Restriction de concurrence - Justifications - Article 86 du traité CE (devenu article 82 CE) - Entreprise ou groupement d'entreprises - Articles 52 et 59 du traité CE (devenus, après modification, articles 43 CE et 49 CE) - Applicabilité - Restrictions - Justifications.
Affaire C-309/99.

European Court Reports 2002 I-01577

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2001:390

61999C0309

Conclusions de l'avocat général Léger présentées le 10 juillet 2001. - J. C. J. Wouters, J. W. Savelbergh et Price Waterhouse Belastingadviseurs BV contre Algemene Raad van de Nederlandse Orde van Advocaten, en présence de Raad van de Balies van de Europese Gemeenschap. - Demande de décision préjudicielle: Raad van State - Pays-Bas. - Ordre professionnel - Ordre national d'avocats - Réglementation par l'Ordre de l'exercice de la profession - Interdiction des collaborations intégrées entre avocats et experts-comptables - Article 85 du traité CE (devenu article 81 CE) - Association d'entreprises - Restriction de concurrence - Justifications - Article 86 du traité CE (devenu article 82 CE) - Entreprise ou groupement d'entreprises - Articles 52 et 59 du traité CE (devenus, après modification, articles 43 CE et 49 CE) - Applicabilité - Restrictions - Justifications. - Affaire C-309/99.

Recueil de jurisprudence 2002 page I-01577


Conclusions de l'avocat général


1. La présente demande de décision préjudicielle pose la délicate question de l'application du droit communautaire de la concurrence aux professions libérales .

2. Le Nederlandse Raad van State (Pays-Bas) est saisi d'une contestation portant sur la légalité d'un règlement adopté par l'ordre néerlandais des avocats. Le règlement litigieux interdit aux avocats exerçant aux Pays-Bas de nouer une collaboration «intégrée» avec des membres de la catégorie professionnelle des experts-comptables. Il appartient à votre Cour de dire si les dispositions du traité en matière de concurrence s'appliquent et, le cas échéant, s'opposent à une telle interdiction de collaboration.

3. L'affaire s'inscrit dans le contexte de deux autres demandes d'interprétation déférées par le Pretore di Pinerolo (Italie), dans l'affaire Arduino (C-35/99), et par le Giudice di pace di Genova (Italie), dans l'affaire Conte (C-221/99). Les juridictions italiennes doivent apprécier la compatibilité, avec les règles communautaires de concurrence, de barèmes professionnels relatifs aux tarifs des prestations effectuées par les avocats et les architectes dans leur pays.

4. Bien que les trois affaires soulèvent une problématique identique, les différences qui caractérisent leur cadre juridique et factuel nous conduisent à vous présenter des conclusions distinctes . Les présentes conclusions portent sur la demande du Raad van State, dans l'affaire Wouters e.a. (C-309/99).

I - Le cadre juridique national

A - La Constitution néerlandaise

5. L'article 134 de la Constitution du royaume des Pays-Bas a trait à la création et au régime juridique des organismes publics. Il dispose que:

«1. Des organismes publics à vocation professionnelle ou d'autres organismes publics peuvent être constitués et dissous par ou en vertu de la loi.

2. La loi détermine les missions et l'organisation de ces organismes publics, leur composition et les pouvoirs de leurs organes directeurs, ainsi que la publicité de leurs débats. Leurs organes directeurs peuvent se voir accorder un pouvoir réglementaire par ou en vertu de la loi.

3. La loi organise le contrôle de ces organes directeurs. Leurs décisions ne pourront être annulées que pour violation du droit ou de l'intérêt général».

B - Le Nederlandse Orde van Advocaten

6. En application de la disposition précitée, les autorités néerlandaises ont adopté la loi du 23 juin 1952 créant le Nederlandse Orde van Advocaten et fixant le règlement d'ordre intérieur et les règles disciplinaires applicables aux avocats et aux procureurs (ci-après l'«Advocatenwet»).

7. L'Advocatenwet prévoit que l'ensemble des avocats inscrits aux Pays-Bas constitue le Nederlandse Orde van Advocaten (ordre néerlandais des avocats, ci-après le «NOvA» ou l'«Ordre»). Par ailleurs, l'ensemble des avocats inscrits auprès d'un même tribunal constitue l'ordre des avocats de l'arrondissement concerné.

8. Le NOvA et les ordres des arrondissements sont dirigés respectivement par l'Algemene Raad (Conseil général) et par les raden van toezicht (comités de surveillance). Les membres du Conseil général sont élus par le collège des délégués, qui sont eux-mêmes élus dans le cadre des réunions des ordres des différents arrondissements.

9. Aux termes de l'article 26 de l'Advocatenwet:

«Le Conseil général et les comités de surveillance veillent à l'exercice correct de la profession et sont habilités à prendre toute mesure de nature à y contribuer. Ils défendent les droits et les intérêts des avocats en tant que tels, veillent au respect des obligations de ceux-ci et accomplissent les missions qui leur sont imparties par voie de règlement.»

10. L'article 28, paragraphe 1, de l'Advocatenwet énonce:

«Le collège des délégués peut arrêter des règlements dans l'intérêt de l'exercice correct de la profession, y compris des règlements en matière de soins aux avocats atteints par l'âge ou par une incapacité professionnelle totale ou partielle, ainsi qu'aux proches parents d'avocats décédés. Le collège arrête en outre les règlements nécessaires en matière d'administration et d'organisation du [NOvA].»

11. Conformément à l'article 29 de l'Advocatenwet, les règlements lient les membres du NOvA et les «avocats visiteurs», c'est-à-dire les personnes qui ne sont pas inscrites comme avocat aux Pays-Bas, mais qui sont autorisées à exercer leur activité professionnelle dans un autre État membre sous le titre d'avocat ou un titre équivalent.

12. L'article 30 de l'Advocatenwet organise le contrôle du pouvoir réglementaire des organes directeurs du NOvA. Il prévoit que «les décisions du collège des délégués, du Conseil général ou des autres organes du [NOvA] peuvent être suspendues ou annulées par arrêté royal dans la mesure où elles sont contraires au droit ou à l'intérêt général».

C - La Samenwerkingsverordening de 1993

13. En 1993, le collège des délégués du NOvA a, sur la base de l'article 28 de l'Advocatenwet, adopté un règlement intitulé «Samenwerkingsverordening» (règlement sur la collaboration, ci-après la «SWV» ou le «règlement litigieux»).

14. L'article 1er de ce règlement définit la notion de «lien de collaboration» comme étant «toute collaboration dans le cadre de laquelle les participants exercent leur profession pour leur compte collectif en partageant les risques ou en se partageant, à cette fin, la direction ou la responsabilité finale» .

15. L'article 4 de la SWV autorise les avocats à nouer une collaboration avec d'autres avocats inscrits aux Pays-Bas et, sous certaines conditions, avec des avocats qui sont inscrits dans d'autres États.

16. En revanche, lorsque les avocats souhaitent nouer une collaboration avec les membres d'une autre catégorie professionnelle, cette catégorie professionnelle doit faire l'objet d'un agrément par le Conseil général du NOvA.

17. Par ailleurs, l'article 8 de la SWV prévoit que «[t]out lien de collaboration doit obligatoirement porter un nom collectif pour tous les contacts avec l'extérieur» et que «[l]e nom collectif ne peut être de nature à induire en erreur».

18. Il ressort de l'exposé des motifs de la SWV que la collaboration des avocats avec les notaires, les conseillers fiscaux et les mandataires en brevets a déjà été autorisée par le passé. L'agrément de ces trois catégories professionnelles reste valable. Par contre, les experts-comptables sont cités comme un exemple de catégorie professionnelle avec laquelle les avocats ne sont pas autorisés à nouer une collaboration intégrée.

II - Les faits et la procédure

19. Les recours au principal ont été introduits par cinq personnes: M. Wouters, M. Savelbergh, la société Arthur Andersen & Co. Belastingadviseurs (conseillers fiscaux), la société Arthur Andersen & Co. Accountants (experts-comptables) et la société Price Waterhouse Belastingadviseurs BV (conseillers fiscaux).

20. M. Wouters était inscrit comme avocat au barreau d'Amsterdam. Il est devenu associé de la société Arthur Andersen & Co. Belastingadviseurs le 1er janvier 1991.

21. En novembre 1994, l'intéressé a informé le comité de surveillance de Rotterdam de son intention de s'établir en qualité d'avocat dans cet arrondissement et d'y exercer sous la dénomination «Arthur Andersen & Co., advocaten en belastingadviseurs».

22. Le comité de surveillance de Rotterdam a rejeté cette demande par une décision du 27 juillet 1995.

Il a considéré que, en raison des liens qui les unissaient, la société Arthur Andersen & Co. Belastingadviseurs et la société Arthur Andersen & Co. Accountants entretenaient un «lien de collaboration» au sens de l'article 4 de la SWV. Le comité de surveillance a estimé que, en s'associant avec la première société, M. Wouters avait également noué un «lien de collaboration» avec la seconde, c'est-à-dire avec des membres de la catégorie professionnelle des experts-comptables. Or, cette catégorie professionnelle n'ayant pas fait l'objet d'un agrément par le NOvA, la collaboration de M. Wouters avec la société Arthur Andersen & Co. Belastingadviseurs a été jugée contraire à l'article 4 de la SWV.

En outre, le comité de surveillance a estimé que M. Wouters ne pouvait, sans enfreindre l'article 8 de la SWV, entrer dans une collaboration dont la dénomination collective mentionnait le nom de la personne «Arthur Andersen».

23. M. Savelbergh est, quant à lui, inscrit au barreau d'Amsterdam.

24. Au printemps 1995, il a informé le comité de surveillance de cet arrondissement qu'il avait l'intention de nouer une collaboration intégrée avec la société Price Waterhouse Belastingadviseurs BV, branche de l'organisme international Price Waterhouse, qui regroupe non seulement des conseillers fiscaux, mais aussi des experts-comptables.

25. Le 5 juillet 1995, le comité de surveillance d'Amsterdam a déclaré que la collaboration envisagée par M. Savelbergh était contraire à l'article 4 de la SWV.

26. Par deux décisions des 21 et 29 novembre 1995, le Conseil général du NOvA a rejeté les recours administratifs formés par M. Wouters, M. Savelbergh et la société Price Waterhouse Belastingadviseurs BV à l'encontre des décisions précitées.

27. Les cinq parties requérantes ont alors introduit un recours devant l'Arrondissementsrechtbank te Amsterdam (ci-après le «Rechtbank»). Elles ont notamment fait valoir que les décisions du Conseil général du NOvA étaient incompatibles avec les dispositions du traité en matière de concurrence, de droit d'établissement et de libre prestation de services.

28. Le 7 février 1997, le Rechtbank a déclaré irrecevables les recours introduits par Arthur Andersen & Co. Belastingadviseurs et Arthur Andersen & Co. Accountants. En outre, il a rejeté comme non fondés les arguments avancés par M. Wouters, M. Savelbergh et la société Price Waterhouse Belastingadviseurs BV.

29. Le Rechtbank a considéré que les dispositions du traité en matière de concurrence étaient inapplicables en l'espèce.

Il a jugé que le NOvA était un organisme de droit public institué par la loi afin de promouvoir un intérêt général. À cet effet, il utiliserait la compétence législative que lui a reconnue l'article 28 de l'Advocatenwet. Le NOvA serait tenu de garantir, dans l'intérêt général, l'indépendance et la «partialité» de l'avocat qui fournit une assistance juridique. Dès lors, selon le Rechtbank, le NOvA ne serait pas une association d'entreprises au sens de l'article 85 du traité CE (devenu article 81 CE).

S'agissant du moyen tiré de l'article 86 du traité CE (devenu article 82 CE), le Rechtbank a estimé que le NOvA ne saurait être considéré ni comme une entreprise ni comme une association d'entreprises. En outre, l'article 28 de l'Advocatenwet ne transférerait nullement des compétences à des opérateurs privés, d'une manière qui porterait atteinte à l'effet utile des articles 85 et 86 du traité. En conséquence, ladite disposition ne serait pas incompatible avec l'article 5, second alinéa, du traité CE (devenu article 10, second alinéa, CE), lu en combinaison avec les articles 3, sous g), du traité CE [devenu, après modification, article 3, paragraphe 1, sous g), CE], 85 et 86 du traité.

30. Le Rechtbank n'a pas, non plus, suivi l'argumentation des requérants selon laquelle la SWV serait incompatible avec le droit d'établissement [article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE)] et la libre prestation des services [article 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE)].

Selon lui, l'aspect transfrontalier ferait défaut en l'espèce, de sorte que les dispositions précitées seraient inapplicables. En tout état de cause, l'interdiction de collaboration serait justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général et ne serait pas démesurément restrictive. Le Rechtbank a, en outre, estimé que la SWV n'est pas incompatible avec le droit d'établissement. En l'absence de dispositions communautaires en la matière, les États membres resteraient libres d'assortir l'exercice de la profession d'avocat sur leur territoire de règles visant à garantir l'indépendance et la partialité de l'avocat fournissant une assistance juridique.

31. Les requérants au principal ont fait appel de la décision du Rechtbank devant le Raad van State.

32. Le défendeur à la procédure est le Conseil général du NOvA. Il est soutenu dans ses conclusions par le Raad van de Balies van de Europese Gemeenschap (le Conseil des barreaux de la Communauté européenne, ci-après le «CCBE»), une association de droit belge qui a été admise à intervenir dans le litige au principal.

33. Par un arrêt rendu le 10 août 1999, le Raad van State a confirmé l'irrecevabilité des recours formés par les sociétés Arthur Andersen & Co. Belastingadviseurs et Arthur Andersen & Co. Accountants. S'agissant des autres recours, il a considéré que la solution du litige au principal dépendait de l'interprétation de plusieurs dispositions de droit communautaire.

III - Les questions préjudicielles

34. En conséquence, il a décidé de surseoir à statuer et de vous déférer les questions suivantes:

«1) a) Convient-il d'interpréter l'expression association d'entreprises figurant à l'article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81 CE) en ce sens qu'on ne se trouvera en présence d'une telle association que lorsque, et dans la mesure où, une telle association agit dans l'intérêt d'opérateurs, si bien qu'il convient de distinguer, pour l'application de cette disposition, les activités que l'association déploie dans l'intérêt général des autres activités, ou le seul fait qu'une association peut également agir dans l'intérêt des opérateurs suffit-il pour la qualifier d'association d'entreprises au sens de cette disposition pour l'ensemble de son action ?

Le fait que les règles généralement contraignantes adoptées par l'organisme en cause l'ont été en vertu de pouvoirs législatifs et en qualité de législateur particulier a-t-il une incidence pour l'application du droit communautaire de la concurrence ?

b) S'il est répondu à la question 1a) qu'il ne s'agira d'une association d'entreprises que lorsque, et dans la mesure où, une association agit dans l'intérêt d'opérateurs, le droit communautaire détermine-t-il - également - quand il s'agit de la sauvegarde de l'intérêt général et quand ce n'est pas le cas ?

c) S'il est répondu à la question 1b) que le droit communautaire intervient à cet égard, permet-il également de considérer que l'adoption par un organisme tel que l'ordre national [le NOvA], en vertu d'un pouvoir législatif destiné à garantir l'indépendance et la partialité de l'avocat fournissant une assistance juridique, de règles généralement contraignantes régissant la conclusion de collaborations entre avocats et autres professionnels poursuit l'intérêt général ?

2) S'il y a lieu de conclure, sur la base des réponses aux questions posées ci-dessus sous 1), qu'un règlement tel que [la SWV] doit également être considéré comme une décision prise par une association d'entreprises au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE), y a-t-il dès lors lieu de considérer qu'une telle décision, dans la mesure où elle arrête des règles généralement contraignantes régissant la conclusion de collaborations du type en cause en l'espèce afin de garantir l'indépendance et la partialité de l'avocat fournissant une assistance juridique, a pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence à l'intérieur du marché commun dans une mesure telle que les échanges entre États membres en sont affectés ?

Quels critères découlant du droit communautaire sont pertinents pour répondre à cette question ?

3) Y a-t-il lieu d'interpréter le terme entreprise figurant à l'article 86 du traité CE (devenu article 82 CE) en ce sens que, si un organisme tel que l'ordre national doit être considéré comme une association d'entreprises, ledit organisme doit également être considéré comme une entreprise ou un groupement d'entreprises au sens de cette disposition bien qu'il ne déploie lui-même aucune activité économique ?

4) Si la réponse à la question précédente est affirmative et si, dès lors, il faut estimer qu'un organisme tel que l'ordre national occupe une position dominante, un tel organisme abuse-t-il de cette position en contraignant les avocats qui lui sont affiliés à se comporter, sur le marché de la prestation de services juridiques, vis-à-vis d'autres personnes d'une manière qui restreint la concurrence ?

5) Si un organisme tel que l'ordre national doit être considéré dans son ensemble comme une association d'entreprises aux fins de l'application des règles communautaires de concurrence, y a-t-il lieu d'interpréter l'article 90, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 86, paragraphe 2, CE) en ce sens qu'en relève également un organisme tel que l'ordre national qui arrête des règles généralement contraignantes concernant la collaboration entre avocats et autres professionnels dans le but de garantir l'indépendance et la partialité de l'avocat fournissant une assistance juridique ?

6) S'il y a lieu de considérer l'ordre national comme une association d'entreprises, ou comme une entreprise ou un groupement d'entreprises, les articles 3, sous g), 5, deuxième alinéa, 85 et 86 du traité CE [à présent, articles 3, sous g), 10, 81 et 82 CE] font-ils obstacle à ce qu'un État membre confère à cet organisme (ou à un de ses organes) le pouvoir d'arrêter des règles pouvant avoir trait, entre autres, à la collaboration entre avocats et autres professionnels, alors que la tutelle des autorités sur ce processus ne leur permet que d'annuler un tel règlement sans pouvoir substituer leur propre règlement à celui qu'elles ont annulé ?

7) Une interdiction de collaboration entre avocats et experts-comptables, comme en l'espèce, est-elle soumise à la fois aux dispositions du traité consacrées au droit d'établissement et à la libre prestation des services, ou y a-t-il lieu d'interpréter le traité CE en ce sens qu'une telle interdiction doit satisfaire soit aux dispositions en matière de droit d'établissement, soit aux dispositions en matière de libre prestation des services, par exemple selon la manière dont les intéressés souhaitent effectivement réaliser leur collaboration ?

8) L'interdiction d'un lien de collaboration intégré entre avocats et experts-comptables, comme en l'espèce, constitue-t-elle une restriction au droit d'établissement, à la libre prestation des services, ou aux deux ?

9) S'il résulte de la réponse à la question précédente qu'on se trouve en présence de l'une des deux restrictions qui y sont citées, ou des deux, ladite restriction se justifie-t-elle alors au motif qu'elle ne recouvre qu'une modalité de vente au sens de l'arrêt Keck et Mithouard et n'est donc pas discriminatoire, ou au motif qu'elle répond aux conditions que la Cour a développées à cet effet dans d'autres arrêts, notamment dans l'arrêt Gebhard ?»

IV - L'objet des questions préjudicielles

35. La demande de décision préjudicielle déférée par le Raad van State soulève cinq séries de questions.

36. La première série de questions porte sur l'interprétation de l'article 85, paragraphe 1, du traité. Elle consiste à déterminer si un ordre professionnel d'avocats, tel que le NOvA, enfreint cette disposition lorsqu'il adopte une mesure contraignante qui interdit aux avocats, exerçant sur le territoire de l'État membre concerné, de nouer une collaboration intégrée avec des membres de la catégorie professionnelle des experts-comptables .

37. La deuxième série de questions revient à se demander si un ordre professionnel d'avocats, lorsqu'il adopte une mesure comportant une telle interdiction de collaboration, exploite de manière abusive une position dominante sur le marché commun ou sur une partie substantielle de celui-ci, au sens de l'article 86 du traité .

38. La troisième série de questions se pose dans l'hypothèse où la mesure litigieuse serait considérée comme une restriction de concurrence ou un abus de position dominante. Dans ce cas, il s'agira de vérifier si l'article 90, paragraphe 2, du traité doit être interprété en ce sens que l'application des règles communautaires de concurrence à un ordre professionnel d'avocats qui adopte une telle mesure est de nature à faire échec à la mission particulière qui lui aurait été impartie par les pouvoirs publics .

39. La quatrième série de questions porte sur les dispositions combinées des articles 5, 85 et 86 du traité. Elle vise à déterminer si un État membre méconnaît ces dispositions lorsqu'il confère à un ordre professionnel d'avocats le pouvoir d'adopter des mesures contraignantes régissant la possibilité, pour les avocats exerçant sur son territoire, de nouer une collaboration intégrée avec des experts-comptables, alors que l'État membre concerné ne se réserve pas la possibilité de substituer ses propres décisions aux mesures adoptées par l'ordre .

40. Enfin, la cinquième série de questions porte sur le point de savoir si les dispositions du traité en matière de droit d'établissement (article 52) et de libre prestation de services (article 59) s'opposent à ce qu'un ordre professionnel d'avocats adopte une mesure telle que celle en cause dans l'espèce au principal .

V - L'article 85, paragraphe 1, du traité

41. L'article 85, paragraphe 1, du traité interdit «tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun».

42. Les requérants au principal estiment que les conditions d'application de ce texte sont réunies en l'espèce. Les arguments qu'ils développent sont les suivants.

Premièrement, le NOvA constituerait une «association d'entreprises». Comme tout autre groupement professionnel, il assurerait la défense des intérêts collectifs et individuels de ses membres. Le fait qu'il puisse agir dans l'intérêt général ou être investi de pouvoirs réglementaires serait sans incidence à cet égard.

Deuxièmement, la SWV aurait pour objet de «restreindre le jeu de la concurrence». Elle aurait été spécifiquement adoptée dans le but de maintenir une interdiction absolue de toute forme d'association entre les avocats et les experts-comptables aux Pays-Bas. En tout état de cause, le règlement litigieux aurait pour effet d'empêcher les avocats et les experts-comptables de créer des structures associatives capables d'offrir de meilleurs services à des clients qui opèrent dans un environnement économique et juridique complexe.

Troisièmement, la SWV serait susceptible d'affecter le «commerce entre États membres». Les sociétés requérantes, comme les cabinets d'avocats, exerceraient des activités internationales. Ils interviendraient fréquemment dans des transactions transfrontalières, impliquant le système juridique de plusieurs États membres.

43. Le NOvA, le CCBE, la Commission et la plupart des gouvernements intervenants adoptent une position opposée. Ils estiment qu'il n'existe aucune infraction à l'article 85, paragraphe 1, du traité. L'interdiction de collaboration édictée par la SWV aurait pour objectif de garantir l'indépendance et la partialité de l'avocat. Elle ne saurait donc, d'une manière ou d'une autre, être appréhendée ou prohibée par l'article 85, paragraphe 1, du traité.

44. Il convient d'examiner successivement le champ d'application personnel et le champ d'application matériel de l'article 85, paragraphe 1. Le premier permettra de déterminer si le NOvA peut être qualifié d'association d'entreprises. Le second visera à vérifier si l'interdiction de collaboration litigieuse est de nature à restreindre le jeu de la concurrence et à affecter le commerce entre États membres. Une remarque liminaire s'impose quant à la notion même d'entreprise.

A - La notion d'entreprise

45. Dans son ordonnance de renvoi , le Raad van State a expressément constaté que les avocats inscrits aux Pays-Bas constituaient des «entreprises» au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

46. Le juge de renvoi a rappelé que, dans le contexte du droit communautaire de la concurrence, la notion d'entreprise comprend «toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement» . Il a considéré que les avocats néerlandais relevaient de cette définition puisqu'ils offraient, contre rémunération, des services sur un marché déterminé, à savoir le marché de la prestation de services juridiques.

47. L'appréciation du Raad van State sur ce point n'est pas contestée par les parties intervenantes. Dans la mesure où le juge de renvoi ne vous a soumis aucune question relative à l'interprétation de la notion d'entreprise, nous partirons du principe que l'article 85, paragraphe 1, du traité s'applique ratione personae aux avocats inscrits aux Pays-Bas.

48. Néanmoins, pour être complet, nous préciserons que la situation des avocats néerlandais pourrait s'avérer plus complexe au regard des dispositions du traité.

49. En effet, il ressort du dossier transmis à votre Cour que les avocats inscrits aux Pays-Bas sont autorisés à exercer leurs activités sous deux régimes juridiques distincts. Ils peuvent agir en qualité d'opérateurs indépendants ou en qualité de salariés. Or, les règles du traité applicables à la profession peuvent être différentes selon que l'avocat se trouve dans la première ou dans la seconde situation.

50. Les activités exercées par l'avocat sont traditionnellement concentrées autour de deux fonctions essentielles: d'une part, le conseil juridique (qui comprend la consultation, la négociation et la rédaction de certains actes) et, d'autre part, l'assistance et la représentation du client devant les autorités judiciaires et extrajudiciaires.

51. Lorsque l'avocat exerce ses activités en qualité d'opérateur indépendant, il offre des services sur un marché déterminé, à savoir le marché des services juridiques. Il demande et perçoit de la part de ses clients une rémunération en contrepartie des prestations effectuées. En outre, il assume les risques financiers liés à l'exercice de son activité puisque, en cas de déséquilibre entre ses dépenses et ses recettes, il supporte lui-même ses pertes. Conformément aux critères posés par votre jurisprudence , l'avocat doit donc, dans cette hypothèse, être qualifié d'«entreprise» au sens du droit communautaire de la concurrence.

52. En revanche, l'avocat qui exerce ses activités en qualité de salarié se trouve dans une situation différente. Deux cas de figure sont susceptibles de se présenter à cet égard.

D'une part, l'avocat peut accomplir ses prestations en faveur et sous la direction d'une autre personne, qui lui verse une rémunération en contrepartie. Dans ce cas, l'avocat constituera un «travailleur» salarié et, comme tel, ne relèvera pas du domaine d'application du droit communautaire de la concurrence . D'autre part, il est possible que l'avocat salarié n'exerce pas réellement son activité sous la direction de son employeur et que sa rémunération soit directement liée aux pertes et profits de celui-ci. Dans ce cas, l'avocat appartiendra aux «domaines frontière» évoqués par l'avocat général Jacobs dans ses conclusions sous l'arrêt Pavlov .

53. En outre, l'existence des deux régimes juridiques distincts aux Pays-Bas est susceptible d'avoir une incidence sur l'interprétation de la notion d'«association d'entreprises». En effet, il est plus délicat de savoir si une organisation professionnelle regroupant à la fois des entreprises et des salariés constitue une association d'entreprises au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité .

54. Toutefois, dans la mesure où votre Cour n'est saisie d'aucune demande d'interprétation en ce sens, il ne nous appartient pas de prendre position sur ces différentes questions. En tout état de cause, un tel examen serait impossible à réaliser puisque le dossier ne contient aucun élément permettant de connaître avec précision le statut des avocats salariés aux Pays-Bas.

55. Nous partirons donc du principe que les avocats inscrits aux Pays-Bas constituent des entreprises au sens du droit communautaire de la concurrence.

B - La notion d'association d'entreprises

56. La première question préjudicielle porte sur la notion d'association d'entreprises.

57. Le Raad van State demande si l'article 85, paragraphe 1, du traité doit être interprété en ce sens que la notion d'association d'entreprises s'applique à un ordre professionnel d'avocats, tel que le NOvA, lorsque celui-ci adopte, en vertu de pouvoirs réglementaires conférés par la loi, des mesures contraignantes qui interdisent aux avocats de nouer une collaboration intégrée avec des experts-comptables dans le but de sauvegarder l'indépendance et la partialité de l'avocat.

58. Le juge de renvoi est confronté au problème suivant .

59. Il explique que, selon l'exposé des motifs de l'Advocatenwet, le NOvA est tenu d'exercer son pouvoir réglementaire dans un but d'intérêt général. Il doit garantir l'accès des justiciables au droit et à la justice. Néanmoins, en vertu de l'article 26 de l'Advocatenwet, le NOvA a pour mission expresse de défendre les droits et les intérêts des avocats. Le NOvA exerce donc également son pouvoir réglementaire en vue de promouvoir les intérêts collectifs et individuels de ses membres.

60. Compte tenu de ces éléments, le juge de renvoi identifie plusieurs questions. Il vous demande si:

(1) l'article 85, paragraphe 1, du traité exige que l'on dissocie les activités exercées par le NOvA, de manière à ne qualifier celui-ci d'association d'entreprises que lorsqu'il agit dans l'intérêt de ses membres; ou si, au contraire, le seul fait que le NOvA puisse exercer son pouvoir réglementaire dans l'intérêt de ses membres suffit à le qualifier d'association d'entreprises pour l'ensemble de ses activités [première question, sous a)];

(2) le fait que le NOvA dispose d'un pouvoir réglementaire conféré par la loi a une incidence sur son éventuelle qualification en tant qu'association d'entreprises [première question, sous a)];

(3) dans l'hypothèse où il conviendrait de dissocier les activités exercées par le NOvA, le droit communautaire détermine les cas où une organisation professionnelle agit dans l'intérêt général et ceux où elle agit dans l'intérêt de ses membres [première question, sous b)];

(4) dans l'hypothèse où le droit communautaire déterminerait les cas où une organisation professionnelle agit dans l'intérêt général, l'adoption, par le NOvA, de mesures contraignantes qui interdisent à ses membres de nouer une collaboration intégrée avec des experts-comptables dans le but de sauvegarder l'indépendance et la partialité de l'avocat relève de l'«intérêt général» au sens du droit communautaire [première question, sous c)].

61. La notion d'association d'entreprises n'est pas définie par le traité. En règle générale, l'association regroupe des entreprises de la même branche et se charge de représenter et de défendre leurs intérêts communs à l'égard des autres opérateurs économiques, des organismes gouvernementaux et du public en général .

62. Le concept d'association d'entreprises remplit cependant une fonction particulière dans l'article 85, paragraphe 1, du traité.

Il vise à éviter que les entreprises puissent échapper aux règles de la concurrence en raison de la seule forme par laquelle elles coordonnent leur comportement sur le marché. Pour garantir l'effectivité de ce principe, l'article 85, paragraphe 1, appréhende non seulement les modalités directes de coordination de comportements entre entreprises (les accords et les pratiques concertées), mais aussi les formes institutionnalisées de coopération, c'est-à-dire les situations où les opérateurs économiques agissent par l'intermédiaire d'une structure collective ou d'un organe commun.

63. Votre Cour a été fréquemment saisie de litiges concernant des associations à caractère purement commercial. L'affaire CNSD constitue la première affaire dans laquelle vous avez appliqué la notion d'association d'entreprises à un ordre professionnel .

64. Compte tenu de l'importance de cette affaire pour le présent litige, il convient d'en rappeler les principaux éléments.

65. L'activité d'expéditeurs en douane est une profession libérale en Italie . Son exercice est subordonné à la possession d'un agrément et à l'inscription à un registre national. Au niveau départemental, l'activité des expéditeurs en douane est surveillée par les conseils départementaux, qui sont chapeautés par le Conseil national des expéditeurs en douane (le CNSD). En vertu de la législation italienne, le CNSD était notamment chargé d'établir le tarif des prestations professionnelles des expéditeurs en douane.

La Commission avait décidé d'introduire un recours en manquement à l'encontre de la République italienne. Elle lui reprochait d'avoir enfreint les dispositions combinées des articles 5 et 85 du traité en imposant au CNSD d'adopter un tarif obligatoire pour tous les expéditeurs en douane.

66. L'une des questions soulevées par le litige consistait à déterminer si le CNSD était une association d'entreprises au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité. À cet égard, votre Cour a dégagé de sa jurisprudence antérieure deux critères de définition, liés à la composition et à l'encadrement légal des activités de l'entité.

67. S'agissant du premier critère, votre Cour a considéré que les membres du CNSD étaient des «représentants des expéditeurs professionnels» .

Vous avez relevé que «les membres du CNSD ne peuvent être que des expéditeurs en douane inscrits sur les registres puisqu'ils sont élus parmi les membres des conseils départementaux, lesquels ne réunissent que des expéditeurs en douane» . Vous avez également souligné que, depuis une modification législative intervenue en 1992, «le directeur général des douanes ne participe plus au CNSD en qualité de président» . Enfin, il est apparu que «le ministre des Finances italien, qui est chargé de la surveillance de l'organisation professionnelle concernée, ne peut intervenir dans la désignation des membres des conseils départementaux et du CNSD» .

68. S'agissant du second critère, votre Cour a constaté que «rien dans la réglementation italienne concernée n'empêche [les membres du CNSD] d'agir dans l'intérêt exclusif de la profession» .

Vous avez relevé que, lorsque le CNSD établissait le tarif des prestations sur la base des propositions des conseils départementaux, «aucune règle dans la législation nationale en cause n'oblige ni même n'incite les membres tant du CNSD que des conseils départementaux à tenir compte de critères d'intérêt public» .

69. En conséquence, le CNSD a été considéré comme une association d'entreprises au motif que:

«les membres du CNSD ne sauraient être qualifiés d'experts indépendants [...] et qu'ils ne sont pas tenus par la loi de fixer les tarifs en prenant en considération non pas seulement les intérêts des entreprises ou des associations d'entreprises du secteur qui les a désignés, mais aussi l'intérêt général et les intérêts des entreprises des autres secteurs ou des usagers des services en question» .

70. Il résulte de cet arrêt qu'une entité ne sera pas qualifiée d'association d'entreprises au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité lorsque, d'une part, elle est composée d'une majorité de représentants de la puissance publique et, d'autre part, elle est tenue par la législation nationale de prendre ses décisions en tenant compte d'un certain nombre de critères d'intérêt public .

71. Il convient d'appliquer ces deux critères au NOvA.

72. En ce qui concerne la composition, l'Advocatenwet prévoit que le NOvA et les ordres des arrondissements sont dirigés respectivement par le Conseil général et par les comités de surveillance . Les membres du comité de surveillance sont élus parmi les membres de l'ordre de l'arrondissement concerné . Les membres du Conseil général sont élus par un collège des délégués , qui sont eux-mêmes élus dans le cadre des réunions des ordres des différents arrondissements . Les termes de l'article 24, paragraphe 1, de l'Advocatenwet confirment que seuls des avocats peuvent être élus en qualité de membres du Conseil général, du collège des délégués et des comités de surveillance.

Il en résulte que les organes directeurs du NOvA sont exclusivement composés d'avocats, qui sont élus par des membres de la profession. En outre, le dossier soumis à votre Cour révèle que la Couronne et le ministre de la Justice ne peuvent intervenir dans la désignation des membres des comités de surveillance, du collège des délégués et du Conseil général.

73. En ce qui concerne le second critère, les observations soumises par les parties durant la procédure écrite contenaient peu d'informations. Lors de la procédure orale, nous avons invité les représentants du NOvA et du gouvernement néerlandais à préciser leurs explications. Nous leur avons demandé s'il existait, en droit néerlandais, des dispositions de nature contraignante qui imposent au NOvA de tenir compte de critères d'intérêt général dans l'exercice de sa compétence réglementaire.

Sur ce point, le gouvernement néerlandais a rappelé que, en vertu de l'article 30 de l'Advocatenwet, la Couronne a le pouvoir d'annuler les règlements du NOvA lorsqu'ils sont contraires à l'intérêt général. Pour sa part, le NOvA a souligné que les articles 26 et 28 de l'Advocatenwet imposent à ses organes directeurs d'exercer leurs compétences dans l'«intérêt de l'exercice correct de la profession».

74. Ces deux éléments de réponse n'emportent pas notre conviction.

D'une part, le pouvoir d'annulation de la Couronne, pour réel qu'il puisse être, n'en est pas moins aléatoire. Comme l'ont souligné les requérants au principal, l'existence d'un tel contrôle ne signifie pas que l'Ordre a l'obligation légale d'exprimer positivement l'intérêt général lorsqu'il exerce sa compétence réglementaire. D'autre part, l'expression «intérêt de l'exercice correct de la profession» est imprécise et ne pose, en soi, aucun critère. Les indications fournies par le juge de renvoi démontrent, d'ailleurs, qu'elle peut servir de base au NOvA pour défendre les intérêts communs des avocats inscrits aux Pays-Bas.

Il convient donc de constater que, lorsqu'il exerce sa compétence réglementaire, le NOvA n'est pas tenu, en vertu de dispositions de droit néerlandais, de prendre en considération «l'intérêt général et les intérêts des entreprises des autres secteurs ou des usagers des services en question» .

75. Conformément à votre jurisprudence, le NOvA doit donc être qualifié d'association d'entreprises au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

76. La plupart des parties intervenantes ont cependant contesté la possibilité de parvenir à une telle conclusion. Elles ont invoqué trois séries de considérations, qui rejoignent les préoccupations exprimées par le juge de renvoi dans ses questions préjudicielles. Leurs arguments sont les suivants.

Premièrement, le NOvA n'exercerait aucune activité économique. Il s'agirait d'un organisme de droit public chargé d'édicter des règles à caractère éthique.

Deuxièmement, le NOvA constituerait un «démembrement» de l'État et serait, à ce titre, investi de prérogatives de puissance publique. Il disposerait du pouvoir de légiférer (pouvoir réglementaire), du pouvoir de juger (pouvoir disciplinaire) et, d'une manière générale, du pouvoir de contrôler le comportement de ses membres.

Troisièmement, le NOvA serait investi d'une mission d'intérêt général liée à l'administration de la justice. Cette mission serait indispensable dans un État de droit. Le NOvA, comme les ordres professionnels d'avocats dans d'autres États membres, serait chargé de garantir l'accès des justiciables au droit et à la justice, d'assurer l'intégrité des avocats, de veiller à l'exercice correct de la profession et de maintenir la confiance du public à l'égard de la profession.

Le CCBE et le gouvernement français adoptent une position intermédiaire. Ils soutiennent qu'il est nécessaire de dissocier les activités du NOvA, de manière à ne lui appliquer les règles de concurrence que lorsqu'il agit exclusivement dans l'intérêt de ses membres. Tel ne serait pas le cas en l'espèce puisque l'interdiction de collaboration litigieuse viserait à garantir, dans l'intérêt général, l'indépendance et la partialité de l'avocat.

77. Le premier argument des parties, tiré du statut du NOvA, ne saurait être retenu.

En effet, depuis l'arrêt BNIC, il est constant que «le cadre juridique dans lequel s'effectue la conclusion de tels accords [entre entreprises] et sont prises de telles décisions [d'association d'entreprises], ainsi que la qualification juridique donnée à ce cadre par les différents ordres juridiques nationaux sont sans incidence sur l'applicabilité des règles communautaires de la concurrence et notamment de l'article 85 du traité» .

En outre, il n'est pas nécessaire qu'une entité exerce elle-même une activité économique pour être qualifiée d'association d'entreprises . L'article 85, paragraphe 1, du traité s'applique aux associations dans la mesure où leur activité propre ou celle des entreprises qui y adhèrent tend à produire les effets qu'il vise à réprimer .

78. S'agissant du deuxième argument, nous avons déjà constaté que les organes directeurs du NOvA sont exclusivement composés de représentants d'opérateurs économiques privés et que les pouvoirs publics ne se sont pas réservé la possibilité d'intervenir dans leur processus décisionnel. Dans ces conditions, le NOvA ne saurait être considéré comme un organe étatique au sens du droit communautaire.

Par ailleurs, le fait qu'il soit investi de pouvoirs réglementaires et disciplinaires est dépourvu d'incidence. Cette conclusion découle des arrêts CNSD et Pavlov.

Dans l'arrêt Pavlov, votre Cour a qualifié d'association d'entreprises un ordre professionnel de médecins spécialistes aux Pays-Bas alors que celui-ci disposait, comme le NOvA, de compétences réglementaires qui lui avaient été conférées par la loi . De même, le CNSD a été considéré comme une association d'entreprises alors qu'il disposait d'une compétence disciplinaire en vertu de la législation italienne. Cet organisme avait le pouvoir d'imposer à ses membres des sanctions disciplinaires, qui allaient du blâme à la radiation définitive du registre national des expéditeurs en douane .

79. Le troisième argument des parties est également dépourvu de fondement. Il repose sur la prémisse selon laquelle une entité investie d'une mission d'intérêt général est automatiquement soustraite au champ d'application du droit de la concurrence, en raison de la mission particulière qui lui est impartie.

80. Or, cette prémisse est inexacte.

Dans le contexte du droit de la concurrence, la notion d'entreprise comprend «toute entité exerçant une activité économique» . Conformément à cette définition, une entité n'échappe au champ d'application des règles de concurrence que lorsque l'activité en cause ne présente aucun caractère économique . En revanche, dès lors qu'une entité exerce une activité qui est susceptible d'être exercée, du moins en principe, par un opérateur privé dans un but lucratif , elle doit être qualifiée d'entreprise. Dans cette hypothèse, il importe peu qu'elle soit investie d'une mission d'intérêt général ou d'une mission de service public . Les contraintes imposées par l'État n'ont pas pour effet de soustraire l'entité au domaine du droit de la concurrence, mais peuvent, le cas échéant, justifier l'octroi de droits exclusifs ou spéciaux au sens de l'article 90 du traité .

La même constatation s'impose en ce qui concerne les associations d'entreprises. Dans l'affaire BNIC, votre Cour a refusé de considérer que le fait qu'une organisation professionnelle soit investie par l'État d'une mission de service public puisse faire obstacle à l'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité .

81. Enfin, le dernier argument développé par certains intervenants vous invite à adopter une sorte d'interprétation fonctionnelle de la notion d'association d'entreprises. Ces intervenants vous proposent de distinguer les différentes activités exercées par le NOvA en fonction de la nature de l'intérêt poursuivi par la mesure et de considérer que l'entité constitue une association d'entreprises uniquement lorsqu'elle agit dans l'intérêt exclusif de ses membres.

82. Nous ne partageons pas ce point de vue.

83. D'une part, au stade actuel du raisonnement, votre Cour est uniquement appelée à définir le champ d'application personnel du droit de la concurrence. Il s'agit simplement d'identifier les acteurs auxquels s'appliquent les articles 85 à 90 du traité.

Or, votre Cour ne saurait retenir une approche restrictive dès ce stade de l'analyse. Les arrêts CNSD et Pavlov ont clairement établi les circonstances dans lesquelles un organisme peut échapper à l'article 85 du traité. Il s'agit des cas où, en raison de sa composition et de l'encadrement de ses activités, l'entité doit être considérée comme un organe de l'État. En revanche, dès lors qu'un organisme est, comme en l'espèce, composé exclusivement d'opérateurs économiques privés, il est nécessaire de permettre aux autorités de la concurrence d'examiner l'ensemble de ses comportements au regard du traité.

Les raisons qui doivent sous-tendre une interprétation extensive du domaine du droit de la concurrence ont été clairement exposées par l'avocat général Jacobs dans ses conclusions sous l'arrêt Albany, précité. Selon M. Jacobs :

«Il est permis de présumer que normalement, lorsqu'ils concluent des accords entre eux, les acteurs économiques privés agissent dans leur propre intérêt et non dans l'intérêt public. Les conséquences de leurs accords ne correspondent donc pas nécessairement à l'intérêt public. Les autorités de la concurrence doivent dès lors pouvoir examiner les accords entre acteurs économiques privés, même dans des domaines particuliers de l'économie, tels que les banques, les assurances ou même le domaine social» .

84. D'autre part, la thèse des parties intervenantes procède, selon nous, d'une confusion entre deux questions distinctes: celle de la délimitation du champ d'application personnel du droit de la concurrence et celle de l'identification d'une restriction de concurrence ou d'une justification éventuelle de la mesure.

Il est évident que, lorsqu'il exerce sa compétence réglementaire, le NOvA, comme les ordres professionnels d'avocats dans d'autres États membres, peut agir dans l'intérêt général. Toutefois, cette considération n'est pas pertinente pour déterminer s'il doit être qualifié ou non d'association d'entreprises . Le fait que le NOvA puisse adopter une mesure dans l'intérêt général intervient à un stade ultérieur de l'analyse, pour savoir si la mesure est de nature à restreindre le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun et, dans l'affirmative, si elle peut être justifiée au regard des dispositions dérogatoires du traité.

85. En tout état de cause, nous pensons que le critère proposé par les parties intervenantes est impraticable en ce qui concerne les professions libérales.

En effet, la plupart des règles adoptées par les autorités ordinales dans ce domaine mettent en cause simultanément des intérêts publics et privés. Même lorsqu'un ordre professionnel d'avocats établit un barème obligatoire pour les prestations effectuées par ses membres, il pourrait être soutenu que le barème vise à assurer la transparence des honoraires et à garantir l'accès des justiciables au droit et à la justice. Suivre l'interprétation des parties intervenantes reviendrait à placer l'ensemble des questions de droit dans le cadre du seul champ d'application personnel du droit communautaire de la concurrence. Une telle interprétation ne saurait être retenue.

86. En conséquence, nous estimons que l'article 85, paragraphe 1, du traité n'exige pas que l'on dissocie les différentes activités exercées par le NOvA. Dès lors qu'un ordre professionnel d'avocats est, comme en l'espèce, exclusivement composé de représentants de la profession et n'est pas tenu par la loi de prendre ses décisions dans le respect d'un certain nombre de critères d'intérêt public, il doit être considéré comme une association d'entreprises pour l'ensemble de ses activités, indépendamment de l'objet et de la finalité de la mesure adoptée. Le fait qu'il soit investi par la loi de pouvoirs réglementaires et disciplinaires est dépourvu d'incidence sur cette appréciation.

87. Il résulte de ces considérations que la SWV constitue une décision d'association d'entreprises au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

C - La restriction de concurrence

88. La deuxième question préjudicielle vise à déterminer si, en interdisant aux avocats de nouer une collaboration intégrée avec des experts-comptables, la SWV a «pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence».

89. Votre Cour procède généralement en deux étapes successives pour apprécier la compatibilité d'un accord avec l'article 85, paragraphe 1, du traité .

90. Dans un premier temps, elle vérifie si l'accord a pour objet de restreindre le jeu de la concurrence. À cet effet, elle procède à un examen objectif des buts poursuivis par l'accord, à la lumière du contexte économique dans lequel il doit être appliqué . Dès lors que l'accord a un objet anticoncurrentiel, il est interdit par l'article 85, paragraphe 1, sans qu'il soit nécessaire de prendre en considération ses effets concrets . Les mêmes considérations s'appliquent aux décisions d'associations d'entreprises .

Votre Cour déclare ainsi contraires à l'article 85, paragraphe 1, du traité les accords ou les décisions d'associations d'entreprises qui ont pour seul objectif de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence entre les parties ou entre les parties et les tiers. Tel est le cas d'ententes horizontales visant à fixer le prix de vente des produits ou des services , d'ententes horizontales visant à répartir les marchés nationaux , d'accords verticaux comportant une clause d'interdiction d'exportation et, d'une manière générale, de toute entente ayant pour objectif d'aboutir à un cloisonnement artificiel du marché commun .

91. Dans l'hypothèse où l'accord n'a pas spécifiquement pour objet de restreindre la concurrence, votre Cour vérifie s'il a pour effet de l'empêcher, de la restreindre ou d'en fausser le jeu . À cet égard, l'article 85, paragraphe 1, du traité prohibe tant les effets anticoncurrentiels réels que les effets purement potentiels pour peu que ceux-ci soient suffisamment sensibles .

92. Dans les deux cas, le critère utilisé pour déterminer si une entente est de nature à restreindre la concurrence consiste à examiner le jeu de la concurrence dans le cadre réel où il se serait produit en l'absence de l'entente .

93. En outre, l'appréciation de la conformité d'un comportement au regard de l'article 85, paragraphe 1, doit se faire dans le contexte économique et juridique de l'affaire , en tenant compte de la nature du produit ou du service ainsi que de la structure et des conditions réelles du fonctionnement du marché .

a) L'objet de la SWV

94. Dans la présente affaire, les requérants au principal estiment que la SWV a pour objet de restreindre la concurrence sur le marché des services juridiques aux Pays-Bas. Ils ont avancé de nombreux éléments factuels visant à démontrer que le NOvA a adopté le règlement litigieux dans le seul but de contrecarrer les efforts déployés par les cabinets d'experts-comptables pour pénétrer le marché pertinent.

95. Sur ce point, nous rappellerons que la procédure visée par l'article 234 CE est fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, et que toute appréciation ou vérification des faits de la cause relève de la compétence exclusive du juge national . Votre Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l'interprétation ou la validité d'un texte communautaire à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale .

Or, dans son ordonnance de renvoi, le Raad van State a constaté que: «l[a SWV] a pour objet de garantir l'indépendance et la partialité de l'avocat fournissant une assistance juridique» .

Dans ces conditions, votre Cour ne saurait examiner les éléments factuels soumis par les requérants au principal. L'argument selon lequel la SWV a un objet anticoncurrentiel doit donc être écarté.

b) Les effets de la SWV

96. En revanche, le Raad van State vous invite à examiner si la SWV comporte des effets restrictifs de concurrence sur le marché néerlandais des services juridiques.

97. Le NOvA, le CCBE et certains gouvernements intervenants estiment que cette question appelle une réponse négative. À l'appui de leur position, ils invoquent essentiellement la décision 1999/267, adoptée par la Commission dans l'affaire IMA.

Dans cette affaire, la Commission était appelée à se prononcer sur la légalité des règles contenues dans le code de conduite de l'Institut des mandataires agréés près l'Office européen des brevets (IMA). La Commission a considéré que la majorité des règles examinées échappaient à l'interdiction posée par l'article 85, paragraphe 1, du traité au motif que:

«Elles sont nécessaires, compte tenu du contexte spécifique à cette profession, pour assurer l'impartialité, la compétence, l'intégrité, la responsabilité des mandataires, pour éviter les conflits d'intérêts et la publicité trompeuse, pour protéger le secret professionnel ou pour garantir l'efficacité du fonctionnement de [l'Office]» .

Selon la Commission, les dispositions du code de conduite contenant des règles de cette nature «ne sont pas susceptibles d'avoir des effets restrictifs de la concurrence si elles sont appliquées de manière objective et non discriminatoire» .

98. Les parties intervenantes estiment que le raisonnement de la Commission, bien que relatif aux conseils en brevets, s'applique à toutes les professions libérales . Dans la mesure où l'interdiction de collaboration litigieuse aurait pour objectif de garantir l'indépendance et la partialité de l'avocat, elle échapperait donc au champ d'application matériel de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

Dans ses observations écrites, la Commission n'a pas pris position sur la question. En réponse à une demande formulée par votre Cour, elle a brièvement répondu que le règlement litigieux n'était pas de nature à restreindre sensiblement le jeu de la concurrence dans la mesure où il vise à garantir l'indépendance de l'avocat et à éviter les conflits d'intérêts.

99. L'argumentation présentée par les parties vous invite, en substance, à adopter une sorte de «règle de raison». Cette «règle de raison» permettrait de faire échapper à l'interdiction posée par l'article 85, paragraphe 1, du traité l'ensemble des règles professionnelles qui visent à assurer le respect de la déontologie propre à la profession d'avocat.

100. Avant d'examiner cette thèse, il convient de rappeler que les dispositions du traité en matière de concurrence sont articulées selon une structure précise. L'article 85, paragraphe 1, pose le principe de l'interdiction des ententes restrictives de concurrence. Les articles 85, paragraphe 3, et 90, paragraphe 2, prévoient, dans leurs domaines d'application respectifs, des possibilités de déroger à ce principe.

101. La théorie de la «règle de raison» a été développée dans le droit américain des ententes. Aux États-Unis, la Section 1 du Sherman Act interdit toutes les entraves à la concurrence sans distinction de degré ou de mobile . Contrairement à l'article 85 du traité, cette législation ne prévoit pas la possibilité pour les autorités d'exempter une entente.

Face à la sévérité du texte, les juridictions américaines ont rapidement éprouvé la nécessité d'interpréter le Sherman Act de manière plus «raisonnable». Dans un premier temps, elles ont élaboré la théorie dite «des restrictions accessoires»: elles ont jugé que les restrictions de concurrence nécessaires à la réalisation d'une convention qui est en elle-même licite échappent à l'interdiction énoncée par la Section 1 du Sherman Act . Ensuite, la Cour suprême des États-Unis d'Amérique a modifié son point de vue et a retenu la «méthode du bilan concurrentiel» . Cette méthode est définie comme étant:

«une méthode d'analyse destinée à établir pour chaque convention située dans son contexte réel un bilan de ses effets anti et proconcurrentiels. Si celui-ci révèle un solde positif, la convention stimulant davantage la concurrence qu'elle ne la restreint, la Section 1 du Sherman Act n'aura pas à s'appliquer» .

102. En droit communautaire de la concurrence, la «règle de raison» est susceptible de revêtir plusieurs significations . Il n'est cependant pas nécessaire en l'espèce de rappeler les controverses doctrinales qui ont porté sur la définition de ce concept ou sur l'opportunité de son introduction en droit communautaire .

103. Pour les besoins de la présente affaire, nous retiendrons simplement que votre Cour a fait une application limitée de la «règle de raison» dans certains arrêts. Confrontée à des catégories particulières d'accords, elle a procédé à un bilan concurrentiel des effets de la convention et considéré, lorsque le bilan se révélait positif, que les clauses nécessaires à la mise en oeuvre de l'accord échappaient à l'interdiction prévue par l'article 85, paragraphe 1, du traité. Ainsi, votre Cour a jugé que:

- les systèmes de distribution sélective constituent un élément de concurrence conforme à l'article 85, paragraphe 1, du traité à condition que le choix des revendeurs s'opère en fonction de critères objectifs à caractère qualitatif et que ces conditions soient fixées de manière uniforme à l'égard de tous les revendeurs potentiels et appliquées de façon non discriminatoire ;

- la diffusion d'un nouveau produit agricole favorise la concurrence et que l'octroi d'une licence exclusive «ouverte» pour sa culture et sa commercialisation dans le territoire d'un État membre peut être nécessaire à la réalisation de cet objectif proconcurrentiel ;

- un contrat de cession d'entreprise contribue à renforcer la concurrence et que les clauses de non-concurrence entre les parties à l'accord échappent à l'interdiction de l'article 85, paragraphe 1, pour autant qu'elles soient nécessaires au transfert de l'entreprise et que leur durée et leur champ d'application soient strictement limités à cet objectif ;

- les clauses indispensables à la mise en oeuvre d'un accord de franchise ne constituent pas des restrictions de concurrence au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité ;

- la disposition statutaire d'une association coopérative d'achat, interdisant à ses membres de faire partie d'autres formes de coopération organisée en concurrence directe avec elle, ne tombe pas sous l'interdiction prévue par l'article 85, paragraphe 1, dès lors qu'elle est limitée à ce qui est nécessaire pour assurer le bon fonctionnement de la coopérative et soutenir sa puissance contractuelle vis-à-vis des producteurs .

104. Il résulte de ces différents arrêts que, indépendamment de toute controverse terminologique, la «règle de raison» en droit communautaire de la concurrence est strictement limitée à un bilan purement concurrentiel des effets de l'accord . Lorsque, pris dans son ensemble, l'accord est de nature à renforcer le jeu de la concurrence sur le marché, les clauses qui sont indispensables à sa mise en oeuvre peuvent échapper à l'interdiction prévue par l'article 85, paragraphe 1, du traité. Le seul «objectif légitime» que cette disposition permet de poursuivre est donc de nature exclusivement concurrentielle.

105. Or, en l'espèce, la thèse des parties intervenantes et de la Commission dépasse largement le cadre du bilan concurrentiel autorisé par votre jurisprudence.

En effet, les parties ne soutiennent pas que la SWV a pour effet de renforcer le jeu de la concurrence sur le marché des services juridiques . Comme le démontrent les observations présentées à l'occasion de la première question préjudicielle, les parties estiment que l'interdiction de collaborations intégrées entre les avocats et les experts-comptables est nécessaire pour protéger des aspects de la profession - l'indépendance et la partialité - qui sont essentiels dans un État de droit. Leur argumentation revient donc à introduire dans les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, des considérations qui sont liées à la poursuite d'un objectif d'intérêt général.

106. À cet égard, nous regrettons que la Commission n'ait pas exposé le raisonnement juridique qui sous-tend sa position. Comme l'a souligné la doctrine , il est possible que la décision 1999/267, dans l'affaire IMA, s'explique davantage par le souci d'éviter la notification des règles professionnelles adoptées par les autorités ordinales dans les différents États membres. On sait, en effet, que, en l'état actuel du droit communautaire, la Commission a une compétence exclusive pour adopter des décisions d'exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité .

Toutefois, si l'on tente d'analyser le raisonnement de la Commission, il semble que celui-ci se décomposerait en plusieurs étapes successives. Il s'agirait de déterminer si: (1) la règle professionnelle en cause comporte une restriction de concurrence sur le marché pertinent; (2) la règle professionnelle poursuit un objectif légitime compte tenu des caractéristiques de la profession (la sauvegarde de l'indépendance, de la partialité, de la compétence, de l'intégrité ou de la responsabilité de l'avocat, la protection du secret professionnel ou la nécessité d'éviter les conflits d'intérêts); (3) la règle professionnelle est nécessaire pour atteindre l'objectif qu'elle poursuit, et (4) la règle professionnelle est appliquée de manière objective et non discriminatoire.

107. Compte tenu de ces différents éléments, nous pensons que la thèse des parties intervenantes est de nature à méconnaître la ratio legis et la structure des dispositions du traité.

D'une part, elle revient à introduire dans le texte de l'article 85, paragraphe 1, du traité des considérations qui sont liées à la poursuite d'un objectif d'intérêt général. D'autre part, elle place l'ensemble des questions de droit et de fait dans le cadre de cette disposition. Elle implique que l'on examine, au regard des seules dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité, non seulement la question de l'identification de l'existence d'une restriction de concurrence, mais aussi celle de sa justification éventuelle. Une telle interprétation est de nature à priver les articles 85, paragraphe 3, et 90, paragraphe 2, du traité d'une grande partie de leur utilité.

Notre appréciation sur ce point est confirmée par l'arrêt du Tribunal Institut des mandataires agréés/Commission, précité. Le Tribunal a constaté que: «il ne peut être admis que des règles organisant l'exercice d'une profession, par le seul fait qu'elles seraient qualifiées de déontologiques par les organismes compétents, échapperaient par principe au champ d'application de l'article 81, paragraphe 1, CE» .

108. En conséquence, nous proposons à votre Cour d'écarter la thèse des parties intervenantes.

109. Avant de préciser notre position, il importe de souligner que l'on ne saurait recourir à une lecture unique des dispositions du traité pour examiner les règles adoptées par les ordres professionnels.

110. Dans ses conclusions sous l'arrêt Pavlov, l'avocat général Jacobs a souligné que: «Eu égard à l'hétérogénéité des professions libérales et aux caractéristiques propres des marchés sur lesquels elles opèrent, il n'est pas possible d'appliquer une formule générale» . Nous souscrivons entièrement à cette analyse.

Il nous paraît, en effet, impossible de dégager une formule unique qui puisse embrasser l'ensemble des règles professionnelles relatives à toutes les professions libérales dans les différents États membres. Chaque règle professionnelle doit faire l'objet d'un examen au cas par cas, en fonction de son objet, de son contexte et de sa finalité.

111. L'un des défis soulevés par la problématique de l'application du droit communautaire de la concurrence aux professions libérales consiste à dégager des solutions qui respectent la structure et l'économie des dispositions du traité. À cet égard, nous pensons qu'il est nécessaire de procéder à une application distributive des règles communautaires de la concurrence. Dans cette perspective, il peut être utile de se référer à une grille de lecture qui comporterait les trois lignes directrices suivantes.

112. Premièrement, on ne saurait exclure que, compte tenu des caractéristiques du marché des services juridiques, certaines règles professionnelles soient de nature à renforcer le jeu de la concurrence au sens de votre jurisprudence actuelle.

Comme l'a relevé l'avocat général Jacobs, les marchés des services professionnels sont caractérisés par une «asymétrie de l'information» . Dans la mesure où le consommateur est rarement en position d'apprécier la qualité des services fournis, certaines règles pourraient s'avérer nécessaires pour assurer le fonctionnement du marché dans des conditions concurrentielles normales. Ainsi, certains soutiennent que les règles limitant la publicité permettraient d'éviter l'introduction d'une logique de séduction dans le marché et, à terme, un abaissement de la qualité générale des prestations .

Dans le même ordre d'idées, la doctrine a évoqué l'hypothèse selon laquelle les règles interdisant aux avocats de fixer leurs honoraires en fonction du résultat obtenu pourraient avoir des effets proconcurrentiels.

Quoi qu'il en soit, les règles professionnelles qui seraient effectivement de nature à renforcer ou à assurer le jeu normal de la concurrence sur le marché des services juridiques pourraient échapper à l'interdiction prévue par l'article 85, paragraphe 1, en vertu de la «règle de raison».

113. Deuxièmement, nous rappellerons qu'il n'existe pas, en droit communautaire de la concurrence, d'infractions per se qui ne soient pas susceptibles de faire l'objet d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité .

Conformément à la jurisprudence, le texte de l'article 85, paragraphe 3, permet de tenir compte des particularités de certaines branches d'activité économique , de préoccupations d'ordre social et, dans une certaine mesure, de considérations qui sont liées à la poursuite de l'intérêt public . Les règles professionnelles qui, à la lumière de ces critères, présenteraient des effets économiques globalement positifs devraient donc pouvoir faire l'objet d'une exemption au titre de l'article 85, paragraphe 3, du traité.

114. Enfin, l'article 90, paragraphe 2, du traité vise spécifiquement les entreprises qui sont chargées de la gestion d'un service d'intérêt économique général. Il est donc possible que les règles professionnelles visant à préserver, dans l'intérêt général, certaines caractéristiques essentielles de la profession d'avocat relèvent du champ d'application de cette disposition. Tel est, d'ailleurs, l'objet de la cinquième question préjudicielle.

115. Dans la mesure où nous vous proposons d'écarter la thèse des parties intervenantes, il reste à examiner si la SWV comporte des effets restrictifs de concurrence sur le marché néerlandais des services juridiques.

116. À cet égard, les arguments avancés par les requérants au principal sont convaincants. En l'absence de l'interdiction de collaboration litigieuse, le jeu de la concurrence serait susceptible de se développer de plusieurs manières.

117. Premièrement, en nouant une collaboration intégrée avec des avocats, les experts-comptables seraient en mesure d'améliorer leurs services sur le plan qualitatif et quantitatif.

Les avocats disposent généralement du monopole de la représentation et de la postulation. Dans la plupart des cas, ils sont les seuls à pouvoir représenter les personnes physiques et morales devant les autorités judiciaires d'un État. Du fait de leur activité, les avocats disposent donc d'une solide expérience dans le domaine du contentieux. En outre, ils jouissent d'un prestige qui les conduit fréquemment à assurer la défense des intérêts de leurs clients devant des autorités extrajuridictionnelles (organes administratifs, organes supranationaux, presse, etc.).

En s'associant avec des membres de la profession d'avocat, les experts-comptables pourraient ainsi bénéficier de leur expérience. Les avis, les consultations et les actes qu'ils établissent dans différents domaines du droit pourraient être plus fiables, plus éclairés et, par suite, présenter une plus-value intéressante. En outre, les experts-comptables seraient en mesure d'étendre la gamme des services qu'ils offrent à leur clientèle. Grâce à leur collaboration avec les avocats, la structure commune pourrait aussi assurer la défense des intérêts de leurs clients devant les autorités judiciaires en cas de contentieux.

118. Réciproquement, les avocats qui s'associeraient avec des experts-comptables pourraient aussi améliorer la qualité et la diversité de leurs prestations.

Compte tenu de leurs activités, les experts-comptables ont acquis une réelle expérience dans certains domaines juridiques, tels que le droit fiscal, le droit comptable, le droit financier, la législation en matière d'aide aux entreprises et la réglementation relative aux (re)structurations d'entreprises. Les avocats pourraient bénéficier de l'expérience acquise par les experts-comptables dans ces différents domaines et, ainsi, améliorer la qualité des services juridiques qu'ils offrent.

Par ailleurs, les experts-comptables interviennent sur d'autres marchés que celui de la prestation de services juridiques. Ils offrent également des services en matière de certification de comptes, d'audit, de comptabilité et de conseil en gestion . Une structure associative avec des experts-comptables permettrait aux avocats d'offrir une gamme nettement plus variée de services à leur clientèle.

119. Deuxièmement, l'intégration de ces différents services dans une structure unique présenterait des avantages supplémentaires tant pour les professionnels concernés que pour les consommateurs.

D'abord, les avocats et les experts-comptables devraient être en mesure de réaliser des économies d'échelle puisque la structure commune regrouperait un plus grand nombre de prestataires de services. Ces économies d'échelle devraient se répercuter sur le coût de la prestation des services et, finalement, avoir des effets positifs pour le consommateur en termes de prix.

Ensuite, le client aurait la possibilité de s'adresser à une structure unique pour une large partie des services nécessaires à l'organisation, à la gestion et au fonctionnement de son entreprise. De la sorte, il bénéficierait de prestations qui seraient mieux adaptées à ses besoins puisque la structure aurait une connaissance globale et approfondie de sa politique (politique commerciale, stratégie de vente, gestion du personnel, etc.) et des difficultés qu'il rencontre. En outre, le client devrait pouvoir réaliser des économies de temps et d'argent. Il éviterait d'assurer lui-même la coordination des services offerts par les deux catégories professionnelles (avocats et experts-comptables) et pourrait se limiter à communiquer à un interlocuteur unique l'ensemble des informations nécessaires au traitement de ses affaires.

120. À cet égard, une étude menée sur le plan national indique que la demande des entreprises n'est pas unanime en faveur de la mise en place de telles structures pluridisciplinaires. Dans les États qui les autorisent, il semble que chaque entreprise choisisse individuellement le mode d'organisation qui lui paraît le mieux adapté à ses besoins (structure unique ou prestataires multiples). Néanmoins, la conclusion qui se dégage de cette étude est qu'il existe une demande réelle pour ce type de structures, regroupant des avocats et des membres de la catégorie professionnelle des experts-comptables.

121. Dans ces conditions, nous estimons que le règlement litigieux a pour effet de restreindre le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun. Il fait obstacle à l'apparition sur le marché de structures associatives capables d'offrir des services «intégrés» pour lesquels il existe une demande potentielle de la part des consommateurs. Le règlement litigieux a donc pour effet de «limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements» au sens de l'article 85, paragraphe 1, sous b), du traité .

c) Le caractère sensible de la restriction de concurrence

122. Il résulte d'une jurisprudence constante que l'article 85, paragraphe 1, du traité prohibe uniquement les restrictions de concurrence qui présentent un caractère sensible .

123. En l'espèce, plusieurs éléments permettent de constater que la SWV restreint sensiblement le jeu de la concurrence sur le marché néerlandais des services juridiques.

124. Premièrement, le règlement litigieux s'applique à l'ensemble des avocats inscrits aux Pays-Bas. En vertu de l'article 29 de l'Advocatenwet, ce règlement s'applique également aux «avocats visiteurs», c'est-à-dire aux personnes qui sont autorisées à exercer leur activité professionnelle dans un autre État membre sous le titre d'avocat ou sous un titre équivalent. La concurrence est évidemment moins affectée lorsque les organes de l'Ordre adopte une décision individuelle à l'égard d'un seul membre de la profession.

125. Deuxièmement, les parties concernées par le règlement litigieux occupent une position importante sur le marché néerlandais des services juridiques.

Selon les informations soumises par les parties au principal, la part de marché détenue par la profession d'avocat sur le marché des services juridiques aux Pays-Bas se situe entre 35 % et 50 %. Les parts de marché détenues par les sociétés d'experts-comptables n'ont pas été communiquées à votre Cour. Néanmoins, certains documents officiels indiquent que la société Arthur Andersen Worldwide et la société Price Waterhouse réalisent entre 17 % et 20 % de leur chiffre d'affaires dans le seul domaine des services de conseil en fiscalité . Le chiffre d'affaires réalisé par chaque société sur le plan mondial se situe entre 8 et 10 milliards d'euros .

126. Enfin, la restriction que comporte la SWV affecte un facteur essentiel de la concurrence puisqu'elle porte directement sur les services que les opérateurs sont autorisés à offrir sur le marché . Conformément à votre jurisprudence, la concurrence que les opérateurs peuvent se faire sur les services constitue un élément important dans le cadre de l'article 85, paragraphe 1, du traité .

127. Il résulte de ces considérations que la restriction de concurrence produite par la SWV revêt un caractère sensible.

D - L'affectation du commerce entre États membres

128. Selon une jurisprudence constante, «pour qu'une décision, un accord ou une entente soit susceptible d'affecter le commerce entre États membres, ils doivent, sur la base d'un ensemble d'éléments de droit ou de fait, permettre d'envisager avec un degré de probabilité suffisant qu'ils puissent exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d'échanges entre États membres et cela de manière à faire craindre qu'ils puissent entraver la réalisation d'un marché unique entre États membres» .

L'article 85, paragraphe 1, du traité n'exige pas que les accords ou les décisions d'associations d'entreprises visés par cette disposition aient effectivement affecté les échanges intracommunautaires, mais demande qu'ils soient de nature à avoir un tel effet . Dans certains arrêts, votre Cour s'est même limitée à exiger que l'entente porte, «ne serait-ce que pour partie, sur des produits provenant d'un autre État membre» .

129. La condition relative à l'affectation des échanges intracommunautaires de services est également remplie en l'espèce.

130. D'une part, il est constant que le règlement litigieux couvre l'ensemble du territoire des Pays-Bas. Or, votre Cour a itérativement jugé que: «une entente s'étendant à l'ensemble du territoire d'un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l'interpénétration économique voulue par le traité» .

131. D'autre part, nous rappellerons que MM. Wouters et Savelbergh souhaitent nouer une collaboration intégrée avec des sociétés qui, en raison des liens qui les unissent à d'autres, présentent un caractère international.

Le but de cette collaboration consiste, notamment, à offrir des services «intégrés» à des clients qui sont établis dans d'autres États membres. Par ailleurs, le juge de renvoi a constaté que des avocats et des conseillers fiscaux établis dans d'autres États membres, et faisant partie du groupe Arthur Andersen ou du groupe Price Waterhouse, pourraient également avoir l'intention de proposer, en collaboration avec MM. Wouters et Savelbergh, des services «intégrés» sur le territoire néerlandais ou à partir du territoire néerlandais. Enfin, comme les requérants au principal l'ont souligné, les cabinets d'avocats et les sociétés d'experts-comptables interviennent fréquemment dans des transactions transfrontalières, qui impliquent simultanément le système juridique de plusieurs États membres.

132. En conséquence, le règlement litigieux est susceptible d'affecter les courants d'échanges intracommunautaires de services «intégrés».

E - Conclusion

133. Il résulte de l'ensemble des considérations qui précèdent que les conditions d'application de l'article 85, paragraphe 1, du traité sont réunies en l'espèce.

134. En l'état actuel de notre raisonnement, nous devons donc conclure que les dispositions de l'article 85, paragraphe 1, du traité s'opposent à ce qu'un ordre professionnel d'avocats, tel que le NOvA, adopte une mesure contraignante qui interdit aux avocats, exerçant sur le territoire de l'État membre concerné, de nouer une collaboration intégrée avec des membres de la catégorie professionnelle des experts-comptables.

VI - L'article 86 du traité

135. Les troisième et quatrième questions préjudicielles portent sur l'interprétation de l'article 86 du traité. Le premier alinéa de ce texte énonce:

«Est incompatible avec le marché commun et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d'en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché commun ou dans une partie substantielle de celui-ci.»

136. Le Raad van State demande si la notion d'entreprise figurant à l'article 86 du traité s'applique à un ordre professionnel d'avocats, tel que le NOvA, «bien que [celui-ci] ne déploie lui-même aucune activité économique» . Dans l'affirmative, le juge de renvoi souhaite savoir si le NOvA exploite de façon abusive une position dominante sur le marché commun, ou dans une partie substantielle de celui-ci, lorsqu'il adopte des mesures contraignantes qui interdisent aux avocats exerçant sur le territoire néerlandais de nouer une collaboration intégrée avec des experts-comptables .

137. Il ressort de la jurisprudence que le terme «entreprise» figurant à l'article 86 revêt une signification identique à celle qui lui est attribuée dans le contexte de l'article 85 du traité . Conformément à la définition donnée par l'arrêt Höfner et Elser , la notion d'entreprise comprend donc «toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement».

Votre Cour a également jugé que la notion d'«activité économique» s'appliquait à toute activité qui consiste à offrir des biens ou des services sur un marché donné . En règle générale, une activité présente un caractère économique lorsqu'elle est susceptible d'être exercée, du moins en principe, par un opérateur privé dans un but lucratif .

138. Le fait qu'une entité constitue une «association d'entreprises» au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité n'implique pas nécessairement qu'elle soit aussi une «entreprise» au sens du droit communautaire de la concurrence. Nous l'avons vu, l'exercice d'une activité économique n'est pas une condition requise pour qualifier un organisme d'association d'entreprises . En revanche, si l'association d'entreprises exerce elle-même une activité économique, elle doit également être considérée comme une «entreprise» au sens des articles 85 et 86 du traité .

139. En l'espèce, les requérants au principal soutiennent que, contrairement à ce qui ressort du libellé de la troisième question préjudicielle, le NOvA exerce lui-même une activité économique . Il s'agirait essentiellement d'activités exercées par l'intermédiaire d'une association dénommée «BaliePlus».

140. Cet argument est dépourvu de pertinence.

141. En effet, il est constant que la notion d'entreprise en droit de la concurrence revêt un caractère relatif . Elle doit être appréciée concrètement, dans chaque cas d'espèce, en fonction de l'activité spécifique qui est examinée. Ainsi, lorsqu'une entité exerce simultanément des activités de diverses natures, votre Cour procède à une «dissociation» de ces activités: elle examine uniquement si, pour l'activité considérée, l'entité doit être qualifiée d'entreprise .

142. Il s'ensuit que la seule question qui se pose en l'espèce consiste à déterminer la nature (économique ou non) de l'activité exercée par le NOvA lorsque celui-ci adopte des mesures contraignantes qui régissent la possibilité, pour les avocats exerçant aux Pays-Bas, de nouer une collaboration intégrée avec des experts-comptables.

143. Or, comme l'a relevé le Raad van State dans sa troisième question préjudicielle, une telle activité ne présente pas un caractère économique. Le NOvA exerce son pouvoir réglementaire en vue d'organiser la profession d'avocat aux Pays-Bas. Il n'offre aucun service contre rémunération sur le marché. Il est, d'ailleurs, difficile d'imaginer qu'un opérateur privé puisse, de sa propre initiative, s'engager dans une telle activité de réglementation à titre lucratif.

144. En conséquence, la notion d'entreprise au sens de l'article 86 du traité ne s'applique pas à un ordre professionnel d'avocats, tel que le NOvA, lorsque celui-ci adopte des mesures contraignantes qui régissent la possibilité, pour les avocats exerçant sur le territoire national, de nouer une collaboration intégrée avec des experts-comptables.

145. Les requérants au principal ont cependant évoqué une autre possibilité. Ils estiment que votre Cour pourrait constater l'existence d'une position dominante collective dans le chef des avocats inscrits aux Pays-Bas .

146. Le Raad van State ne vous a saisis d'aucune demande d'interprétation relative à l'existence d'une position dominante collective dans le chef des avocats néerlandais. L'objet de la troisième question préjudicielle est limité au point de savoir si le NOvA doit être considéré comme une entreprise au sens de l'article 86 du traité. Toutefois, dans la mesure où la question de la position dominante collective est susceptible de présenter un intérêt pour la suite de la procédure au principal, nous examinerons brièvement l'argumentation avancée par les parties requérantes.

147. La notion de «position dominante collective» peut être décrite de la manière suivante .

Elle vise la situation où deux ou plusieurs entreprises sont unies entre elles par des liens ou des facteurs de corrélation tels que, d'un point de vue économique, elles se présentent comme une entité collective ayant le pouvoir d'agir, dans une mesure appréciable, indépendamment des autres concurrents, de leur clientèle et des consommateurs. Conformément à cette description, la position dominante collective exige que les entreprises soient suffisamment liées entre elles pour adopter une même ligne d'action sur le marché .

148. La signification précise de la notion de «liens» qui doivent unir les entreprises est incertaine . En l'état actuel de la jurisprudence, on peut considérer que ces liens peuvent être de nature structurelle , juridique ou économique . En outre, certains arrêts laissent penser que le concept de «liens économiques» couvre la simple interdépendance économique qui existe entre les membres d'un oligopole .

S'agissant des liens de nature juridique, votre Cour a relevé qu'une entente au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité pouvait aboutir à la création d'une position dominante collective. Certes, la seule circonstance que plusieurs entreprises soient liées par un accord, une décision d'association d'entreprises ou une pratique concertée ne saurait constituer une base suffisante pour une telle constatation . Néanmoins, votre Cour a jugé qu'un accord, une décision ou une pratique peut «incontestablement, lorsqu'il est mis en oeuvre, avoir pour conséquence que les entreprises concernées se sont liées quant à leur comportement sur un marché déterminé de manière qu'elles se présentent sur ce marché comme une entité collective à l'égard de leurs concurrents, de leurs partenaires commerciaux et des consommateurs» .

149. Enfin, à plusieurs reprises , votre Cour semble avoir indiqué que l'une des caractéristiques de la position dominante collective réside dans l'absence de rapports concurrentiels entre les différents opérateurs économiques concernés .

150. Traditionnellement, la position dominante collective vise la situation où des opérateurs économiques occupent une position oligopolistique sur le marché. Toutefois, à la lumière des principes dégagés par la jurisprudence, on ne saurait exclure la possibilité d'appliquer cette notion aux professions libérales .

151. En effet, il est possible de concevoir que les membres d'une profession libérale soient, d'une certaine façon, unis par des liens «structurels» ou «juridiques» au sens de la jurisprudence. En raison de leur affiliation obligatoire à l'ordre compétent, les professionnels sont regroupés en une entité collective qui a pour objet de définir et d'appliquer des conditions communes pour l'exercice de la profession . En outre, les règles qui s'imposent aux membres de la profession peuvent limiter, parfois substantiellement, la concurrence qui s'exerce entre eux par les prix, par les services et par la publicité. Il est donc possible que les règles régissant la profession puissent s'analyser comme des décisions d'associations d'entreprises qui, lorsqu'elles sont mises en oeuvre, ont «pour conséquence que les entreprises concernées se sont liées quant à leur comportement sur [le] marché [...] de manière qu'elles se présentent sur ce marché comme une entité collective à l'égard de leurs concurrents, de leurs partenaires commerciaux et des consommateurs» .

152. Dans une telle hypothèse, il pourrait être nécessaire d'examiner si le comportement des membres de la profession constitue un «abus» de position dominante collective au sens de l'article 86 du traité ou si, au contraire, leur comportement est de nature à renforcer le jeu de la concurrence sur le marché . Ensuite, il pourrait s'avérer utile de vérifier si le comportement de la profession peut être objectivement justifié . Enfin, on pourra se demander si, conformément aux dispositions de l'article 90, paragraphe 2, du traité, la restriction de concurrence résultant du comportement abusif est nécessaire pour assurer l'accomplissement de la mission de service public qui serait éventuellement impartie aux membres de la profession.

153. En l'espèce, il n'est cependant pas possible d'adopter une position sur ces différentes questions. L'examen sollicité par les requérants au principal est impossible à réaliser puisque le dossier ne contient pas les éléments juridiques et factuels nécessaires à cet effet.

154. En conséquence, nous proposons à votre Cour de répondre à la troisième question préjudicielle en ce sens que la notion d'entreprise figurant à l'article 86 du traité ne s'applique pas à un ordre professionnel d'avocats, tel que le NOvA, lorsque celui-ci adopte, en vertu de pouvoirs réglementaires conférés par la loi, des mesures contraignantes qui interdisent aux avocats de nouer une collaboration intégrée avec des membres de la catégorie professionnelle des experts-comptables. Dans ces conditions, la quatrième question préjudicielle, relative à un éventuel comportement abusif du NOvA, devient sans objet.

VII - L'article 90, paragraphe 2, du traité

155. La cinquième question préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 90, paragraphe 2, du traité. Le texte de cette disposition énonce:

«Les entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ou présentant le caractère d'un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. Le développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté.»

156. Le Raad van State demande si le NOvA est susceptible de relever du champ d'application de l'article 90, paragraphe 2. Plus précisément, le juge de renvoi souhaite savoir si le NOvA peut être considéré comme une entité chargée de la gestion d'un «service d'intérêt économique général» dans la mesure où il a adopté le règlement litigieux dans le but spécifique de sauvegarder l'indépendance et la partialité de l'avocat.

157. L'article 90, paragraphe 2, du traité énonce six conditions d'application. Il prévoit que: les entreprises [première condition] chargées [deuxième condition] de la gestion d'un service d'intérêt économique général [troisième condition] sont soumises aux règles du traité dans les limites [cinquième condition] où l'application de ces règles ne fait pas échec [quatrième condition] à l'accomplissement de la mission particulière qui leur est impartie, sous la réserve que le développement des échanges [sixième condition] ne soit pas affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté.

158. Il convient de rappeler les principes dégagés par la jurisprudence en ce qui concerne chacune de ces conditions. Nous examinerons ensuite les circonstances factuelles du litige au principal à la lumière de ces principes.

A - Les conditions d'application de l'article 90, paragraphe 2, du traité

159. La première condition posée par l'article 90, paragraphe 2, ne suscite pas de difficultés.

La notion d'entreprise visée par cette disposition revêt une signification identique à celle qui lui est attribuée dans le contexte des articles 85 et 86 du traité . L'arrêt Höfner et Elser, précité, a donné une définition uniforme de la notion d'entreprise en droit communautaire de la concurrence. L'article 90, paragraphe 2, du traité s'applique ainsi à toutes les entreprises, qu'elles soient publiques ou privées .

160. La deuxième condition suppose que l'entreprise ait été «chargée» de la gestion d'un service d'intérêt économique général par un acte de la puissance publique .

En principe, le seul exercice d'une activité réglementée sous le contrôle de l'État ne suffit pas pour faire entrer une entité dans le champ d'application de l'article 90, paragraphe 2, même si le contrôle étatique est plus intense à l'égard de l'entité concernée . Toutefois, au fil de sa jurisprudence, votre Cour a considérablement assoupli ses exigences relatives à l'existence d'un acte formel de l'autorité publique.

Dans un premier temps, elle a jugé que l'article 90, paragraphe 2, n'exigeait pas nécessairement un acte législatif ou réglementaire de la part de l'État . L'acte des autorités publiques peut ainsi consister en une simple concession de droit public ou en des «concessions [qui] ont été accordées en vue de concrétiser les obligations imposées à des entreprises qui, par la loi, ont été chargées de la gestion d'un service d'intérêt économique général» . Ensuite, dans l'arrêt Albany , votre Cour a implicitement jugé que le seul fait, pour des partenaires sociaux, de créer un fonds sectoriel de pensions et de demander aux pouvoirs publics de rendre obligatoire l'affiliation à ce fonds était suffisant pour considérer que le fonds constitue une entreprise chargée de la gestion d'un service d'intérêt économique général au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité .

161. S'agissant de la troisième condition, votre jurisprudence ne définit pas ce qu'il faut entendre par «service d'intérêt économique général».

Il est certain que les activités de l'entreprise doivent revêtir «un intérêt économique général qui présente des caractères spécifiques par rapport à celui que revêtent d'autres activités de la vie économique» . Cela étant, votre Cour désigne les services visés par l'article 90, paragraphe 2, du traité en utilisant plusieurs expressions qui sont pratiquement interchangeables: service d'intérêt général , service universel ou, tout simplement, «service public» .

162. En réalité, il appartient aux États membres de définir le contenu de leurs services d'intérêt économique général. Dans ce cadre, ils jouissent d'une marge de manoeuvre importante puisque votre Cour intervient seulement pour sanctionner les abus éventuels, lorsque les États membres portent atteinte aux intérêts de la Communauté . L'article 90, paragraphe 2, vise, en effet, à concilier l'intérêt des États à utiliser certaines entreprises en tant qu'instrument de leur politique économique, fiscale ou sociale avec l'intérêt de la Communauté au respect des règles de la concurrence et à la préservation de l'unité du marché commun .

163. Votre Cour a ainsi considéré que relevaient du champ d'application de l'article 90, paragraphe 2, du traité: des établissements de télévision investis d'une mission de service public , des transporteurs aériens obligés d'exploiter des lignes non rentables , une entreprise chargée de la distribution d'électricité , un fonds chargé de la gestion d'un régime de pension complémentaire remplissant une fonction sociale essentielle dans le système de pension d'un État , la mise à la disposition des usagers d'un réseau public de téléphone , la distribution du courrier sur l'ensemble du territoire national , la gestion de certains déchets en vue de faire face à un problème environnemental et un service universel de lamanage assuré pour des raisons de sécurité publique .

En revanche, votre Cour a refusé de qualifier de «service d'intérêt économique général» certaines activités portuaires ne présentant aucun caractère spécifique et certains services qui étaient dissociables du service postal universel .

164. En vertu de la quatrième condition posée par l'article 90, paragraphe 2, les entreprises chargées de la gestion d'un service d'intérêt économique général peuvent échapper à l'application des règles de concurrence si une telle application fait «échec» à l'accomplissement de leur mission particulière.

En vue de permettre à l'entreprise de faire face aux différentes contraintes qui lui sont imposées, les autorités étatiques décident généralement de lui octroyer des droits exclusifs ou spéciaux. Les dispositions de l'article 90, paragraphe 2, du traité peuvent ainsi permettre de justifier des restrictions à la concurrence, voire une exclusion de toute concurrence, qui résulterait de l'octroi ou de l'exercice de tels droits.

À cet égard, votre Cour considère qu'il n'est pas nécessaire, pour que les conditions d'application de l'article 90, paragraphe 2, soient réunies, que l'application des règles de concurrence mette en péril la survie, la viabilité économique ou l'équilibre financier de l'entreprise . Il suffit que, en l'absence des droits exclusifs ou spéciaux conférés par l'État, il soit fait échec à l'accomplissement des obligations particulières imparties à l'entreprise ou que le maintien de ces droits soit nécessaire pour permettre à leur titulaire d'accomplir sa mission dans des conditions économiquement acceptables .

165. La cinquième condition de l'article 90, paragraphe 2, du traité contient un test de proportionnalité.

Le texte précise que les entreprises chargées de la gestion d'un service d'intérêt économique général sont soumises aux règles du traité «dans les limites» où l'application de ces règles ne fait pas échec à l'accomplissement de leur mission.

Il en résulte que des restrictions à la concurrence de la part des autres opérateurs économiques ne sont admises que «dans la mesure où elles s'avèrent nécessaires pour permettre à l'entreprise investie d'une telle mission d'intérêt général d'accomplir celle-ci» . Le test de proportionnalité conduit ainsi à vérifier que la mission spécifique de l'entreprise ne puisse être accomplie par des mesures qui sont moins restrictives de concurrence . En d'autres termes, il oblige à choisir la solution «la moins attentatoire» à la concurrence, compte tenu des obligations et des contraintes qui pèsent sur l'entreprise.

166. Enfin, la dernière condition exige que «[l]e développement des échanges ne doit pas être affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté».

À notre connaissance, votre Cour ne s'est pas encore prononcée sur le contenu et la portée de cette exigence. Dans les arrêts Commission/Pays-Bas, Commission/Italie et Commission/France , elle a indiqué qu'«il appartenait à la Commission [...] de définir, sous le contrôle de la Cour, l'intérêt de la Communauté au regard duquel il y a lieu d'évaluer le développement des échanges». Toutefois, il est difficile de tirer une conclusion de ces arrêts puisqu'ils ont été rendus dans le contexte particulier de procédures en manquement. L'obligation imposée à l'institution demanderesse s'explique donc par les règles qui régissent la charge de la preuve dans ce type de contentieux.

Certains de vos avocats généraux ont cependant pris position sur la question . Ils estiment que l'affectation du développement des échanges intracommunautaires au sens de l'article 90, paragraphe 2, exige, contrairement à la définition classique de la notion de mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, la preuve que la mesure litigieuse a réellement affecté les échanges intracommunautaires de manière substantielle. Cette appréciation nous paraît effectivement justifiée par le libellé de l'article 90, paragraphe 2, du traité.

B - Les circonstances factuelles du litige au principal

167. En l'espèce, plusieurs parties intervenantes soutiennent que le NOvA relève du champ d'application de l'article 90, paragraphe 2, du traité.

Elles estiment que l'Ordre est chargé d'une mission d'intérêt général puisqu'il doit promouvoir les bonnes pratiques de la profession d'avocat et établir des règles visant à garantir l'accès des justiciables au droit et aux juridictions néerlandaises. Selon ces intervenants, si votre Cour devait considérer que le NOvA constitue une association d'entreprises au sens de l'article 85, paragraphe 1, elle devrait également lui appliquer les dispositions dérogatoires prévues par l'article 90, paragraphe 2, du traité.

168. Nous ne souscrivons pas à cette analyse.

169. Lors de l'examen de la troisième question préjudicielle, nous avons constaté que la notion d'entreprise figurant à l'article 86 du traité ne s'appliquait pas au NOvA lorsque celui-ci adopte des mesures contraignantes qui régissent la possibilité, pour les avocats exerçant aux Pays-Bas, de nouer une collaboration intégrée avec des experts-comptables.

Or, nous l'avons vu, la notion d'entreprise visée par l'article 90, paragraphe 2, revêt une signification identique à celle qui lui est attribuée dans le contexte de l'article 86 du traité. Cette notion a reçu une définition uniforme pour l'ensemble des dispositions du traité en matière de concurrence. Le NOvA ne saurait donc être qualifié d'entreprise au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité.

170. En revanche, nous pensons que les dispositions de l'article 90, paragraphe 2, sont susceptibles de s'appliquer aux avocats qui exercent leurs activités aux Pays-Bas. Les conditions d'application de ce texte nous semblent réunies en ce qui concerne cette catégorie particulière d'opérateurs économiques.

171. En premier lieu, l'avocat néerlandais, lorsqu'il agit en qualité d'opérateur indépendant, constitue une entreprise au sens du droit communautaire de la concurrence . Il offre des services sur le marché des services juridiques. Il demande et perçoit de ses clients une rémunération en contrepartie des prestations effectuées. En outre, il assume les risques financiers liés à l'exercice de son activité.

172. En deuxième lieu, nous pensons que l'avocat peut être considéré comme une entreprise «chargée» de la gestion d'un «service d'intérêt économique général» au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité.

173. En effet, il est constant que l'Union européenne et ses États membres reposent sur le principe de l'État de droit . Les ordres juridiques communautaire et nationaux confèrent aux particuliers des droits qui font partie intégrante de leur patrimoine juridique . En vue de garantir le principe de l'État de droit, les États membres ont mis en place différentes institutions de nature juridictionnelle. Ils ont également posé le principe selon lequel les particuliers doivent, en toutes circonstances, pouvoir s'adresser à ces instances afin d'obtenir la reconnaissance et le respect de leurs droits.

174. Toutefois, compte tenu de la complexité de la législation et de l'organisation du pouvoir judiciaire, les particuliers sont rarement en position de défendre eux-mêmes les droits dont ils jouissent. L'avocat leur fournit l'assistance qui est indispensable à cet effet.

Dans le cadre de son activité de conseil, l'avocat aide ses clients à organiser leurs différentes activités dans le respect de la loi. Il assure également la défense de leurs droits à l'égard des autres particuliers et des pouvoirs publics. Il peut aussi les éclairer sur l'opportunité ou la nécessité d'introduire une demande devant les institutions judiciaires. Dans le cadre de son activité d'assistance et de représentation, l'avocat doit assurer une défense adéquate et efficace aux justiciables. En raison de ses qualifications, il doit connaître les règles qui permettent de présenter utilement le point de vue de son client devant les instances juridictionnelles. En ce sens, les avocats occupent une «situation centrale dans l'administration de la justice, comme intermédiaires entre les justiciables et les tribunaux» . Votre Cour qualifie, d'ailleurs, les avocats d'auxiliaires et de collaborateurs de la justice.

175. Il en résulte que l'avocat exerce des activités qui sont essentielles dans un État de droit. Il permet aux particuliers de mieux connaître, comprendre et mettre en oeuvre les droits qui leur sont conférés. En d'autres termes, l'avocat garantit, dans un État de droit, l'effectivité du principe de l'accès des justiciables au droit et aux instances juridictionnelles.

L'importance du rôle joué par l'avocat a, d'ailleurs, conduit l'Union européenne et ses États membres à placer au rang des droits fondamentaux celui de se faire assister et représenter par un conseil . De même, la plupart des sociétés démocratiques ont jugé indispensable de mettre en place des systèmes d'aide juridictionnelle qui permettent à toute personne, indépendamment de ses revenus et de la gravité des faits qui lui sont reprochés, de bénéficier de l'assistance d'un avocat.

176. Compte tenu de ces éléments, l'avocat exerce des activités qui revêtent «un intérêt économique général qui présente des caractères spécifiques par rapport à celui que revêtent d'autres activités de la vie économique» .

177. En outre, certaines dispositions de droit néerlandais permettent de constater que l'avocat inscrit aux Pays-Bas a été effectivement «chargé» de sa mission particulière par un acte de la puissance publique.

L'article 11, paragraphe 1, de l'Advocatenwet confère aux avocats inscrits aux Pays-Bas la compétence d'intervenir devant l'ensemble des juridictions du royaume, tant en matière civile qu'en matière pénale. Par ailleurs, l'article 46 de l'Advocatenwet prévoit que les avocats relèvent des juridictions disciplinaires pour «tout acte ou omission qui serait incompatible avec le devoir de diligence qu'ils assument en tant qu'avocats à l'égard des personnes dont [...] ils défendent ou doivent défendre les intérêts». Cette dernière disposition suppose l'existence d'une responsabilité particulière de l'avocat dans le cadre de l'exercice de sa mission de défense des intérêts des justiciables.

Dans la mesure où votre Cour a considérablement assoupli ses exigences relatives à l'existence d'un acte formel de la puissance publique, des dispositions d'une telle nature devraient suffire pour constater que l'avocat exerçant aux Pays-Bas a été «chargé» de sa mission particulière par les autorités néerlandaises .

178. En conséquence, nous estimons que l'avocat inscrit aux Pays-Bas constitue une entreprise chargée de la gestion d'un service d'intérêt économique général au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité.

179. En troisième lieu, l'application des règles communautaires de concurrence peut être de nature à faire «échec» à l'accomplissement de la mission particulière de l'avocat.

180. En vue de permettre aux avocats de remplir leur mission de «service public» au sens où nous l'avons définie, les autorités étatiques leur ont attribué une série de prérogatives et d'obligations professionnelles. Parmi celles-ci, trois attributs relèvent de l'essence même de la profession d'avocat dans l'ensemble des États membres. Il s'agit des obligations qui ont trait à l'indépendance de l'avocat, au respect du secret professionnel et à la nécessité d'éviter les conflits d'intérêts.

181. L'indépendance exige que l'avocat puisse exercer ses activités de conseil, d'assistance et de représentation dans l'intérêt exclusif de son client. Elle se manifeste à l'égard des pouvoirs publics, des autres opérateurs et des tiers, dont il ne peut jamais subir l'influence. Elle se manifeste également à l'égard du client qui ne peut devenir l'employeur de son avocat. L'indépendance constitue une garantie essentielle pour le justiciable et le pouvoir judiciaire, de sorte que l'avocat a l'obligation de ne pas s'engager dans des affaires ou des collaborations qui risquent de la compromettre.

182. Le secret professionnel est la base de la relation de confiance qui existe entre l'avocat et son client. Il impose à l'avocat de ne divulguer aucune information qui lui a été communiquée par son client, et s'étend ratione temporis à la période postérieure à la fin de son mandat et ratione personae à l'ensemble des tiers. Le secret professionnel constitue également une «garantie essentielle de la liberté de l'individu et du bon fonctionnement de la justice» , de sorte qu'il relève de l'ordre public dans la plupart des États membres.

183. Enfin, l'avocat a, envers son client, un devoir de loyauté qui l'oblige à éviter les conflits d'intérêts. Cette obligation interdit à l'avocat de conseiller, d'assister ou de représenter des parties dont les intérêts sont opposés ou ont été opposés par le passé. En outre, l'avocat ne peut utiliser au profit d'un client des informations qui concernent ou qu'il détient d'un autre client.

184. Compte tenu de ces caractéristiques, l'interdiction de collaboration édictée par le règlement litigieux peut être nécessaire pour permettre à l'avocat d'accomplir la mission particulière qui lui est impartie.

185. D'une part, l'existence de structures intégrées regroupant des avocats et des experts-comptables est susceptible de constituer une menace pour l'indépendance de l'avocat.

En effet, il existe une certaine incompatibilité entre l'activité de «conseil», exercée par l'avocat, et l'activité de «contrôle», exercée par l'expert-comptable. Il ressort des observations déposées par le NOvA que l'expert-comptable, aux Pays-Bas, exerce une mission de certification des comptes . Il procède à un examen et à un contrôle objectifs de la comptabilité de ses clients, de manière à pouvoir communiquer aux tiers intéressés son opinion personnelle quant à la fiabilité de ces données comptables.

Or, l'avocat pourrait ne plus être en mesure de conseiller et de défendre son client de manière indépendante s'il appartient à une structure qui a également pour mission de rendre compte des résultats financiers des opérations pour lesquelles il est intervenu. En d'autres termes, la constitution d'une communauté d'intérêts financiers avec des membres de la catégorie professionnelle des experts-comptables risque de conduire - voire de contraindre - l'avocat à tenir compte de considérations autres que celles qui sont exclusivement liées à l'intérêt de son client.

186. D'autre part, l'existence de collaborations intégrées entre avocats et experts-comptables est de nature à constituer un obstacle majeur au respect du secret professionnel de l'avocat.

Dès lors que des membres des deux catégories professionnelles se sont engagés à partager les bénéfices, les pertes et les risques financiers liés à leur association, ils ont un intérêt manifeste à procéder à un échange d'informations concernant leurs clients communs. L'expert-comptable peut être tenté de demander et d'obtenir de l'avocat des informations relatives, par exemple, à des négociations que celui-ci mène dans le cadre d'un contentieux déterminé. Inversement, l'avocat peut être tenté de solliciter l'expert-comptable en vue d'obtenir des éléments qui lui permettraient de présenter une défense plus efficace devant les tribunaux.

Le risque d'une violation du secret professionnel de l'avocat est d'autant plus grand que, dans certaines circonstances, l'expert-comptable a l'obligation légale de communiquer aux autorités compétentes des informations relatives à l'activité de ses clients.

187. En conséquence, nous estimons que la restriction de concurrence résultant de la SWV est nécessaire pour protéger, dans l'intérêt général, des caractéristiques qui relèvent de l'essence même de la profession d'avocat aux Pays-Bas.

188. En quatrième lieu, l'interdiction de collaboration litigieuse n'affecte pas le développement des échanges dans une mesure qui serait contraire à l'intérêt de la Communauté.

Certes, lors de l'examen de la deuxième question préjudicielle, nous avons constaté que le règlement litigieux était susceptible d'affecter le commerce entre les États membres . Néanmoins, nous rappellerons que, à la différence de l'article 85, paragraphe 1, du traité, les dispositions de l'article 90, paragraphe 2, exigent que la mesure litigieuse ait réellement affecté le développement des échanges intracommunautaires de manière substantielle. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.

Le règlement litigieux est uniquement de nature à restreindre les échanges intracommunautaires de services «intégrés». Il n'interdit pas aux avocats et aux experts-comptables d'offrir séparément leurs services à des clients qui sont établis dans d'autres États membres. Il n'affecte pas, non plus, la possibilité pour les avocats et les experts-comptables établis dans d'autres États membres de répondre séparément à des demandes qui émanent de clients néerlandais. Aucun élément ne permet donc de considérer que la SWV entrave de manière substantielle le développement des échanges au sens de l'article 90, paragraphe 2, du traité.

189. Enfin, il reste à examiner si, conformément au test de proportionnalité, l'interdiction de collaboration litigieuse constitue la solution la moins attentatoire à la concurrence.

190. À cet égard, plusieurs éléments indiquent que la restriction du jeu de la concurrence est limitée à ce qui est strictement nécessaire pour permettre aux avocats néerlandais de remplir leur mission.

191. Premièrement, le règlement litigieux n'interdit que les formes les plus intenses de collaborations entre les avocats et les experts-comptables. Il se limite à interdire la constitution de structures «intégrées», c'est-à-dire de structures qui impliquent un partage des bénéfices, du pouvoir de décision et des responsabilités finales . En dehors de cette modalité particulière d'association, les avocats et les experts-comptables sont autorisés à conclure toute autre forme de collaboration sur le marché néerlandais .

192. Deuxièmement, nous pensons que la sauvegarde de l'indépendance et du secret professionnel de l'avocat ne peut être atteinte par des mesures moins restrictives de concurrence.

193. Les partisans de l'existence de structures intégrées soutiennent généralement que plusieurs mécanismes permettent de garantir le respect de la déontologie propre à la profession d'avocat. Ils estiment que: (1) l'ordre peut adopter des mesures disciplinaires à l'égard des avocats qui manquent à leurs obligations professionnelles ; (2) des accords contractuels peuvent stipuler expressément que les membres de la structure doivent respecter leurs obligations déontologiques, et (3) un mécanisme de «Chinese wall» permet d'empêcher tout transfert d'informations entre les avocats et les experts-comptables.

194. Ces arguments ne nous paraissent pas convaincants.

D'une part, il est constant que les autorités ordinales ne peuvent assurer un contrôle général et permanent sur les membres de la profession. D'ailleurs, un tel contrôle ne paraît pas souhaitable en raison du climat de méfiance qu'il créerait au sein de la profession.

D'autre part, les engagements contractuels et le mécanisme du «Chinese wall» posent de nombreux problèmes pratiques . Ainsi, en cas de divulgation d'informations confidentielles, il devient pratiquement impossible de faire la distinction entre les renseignements qui ont été communiqués à l'avocat et ceux qui ont été transmis à l'expert-comptable. En outre, nous estimons que, compte tenu des enjeux financiers de certains dossiers traités par les structures intégrées, le mécanisme du «Chinese wall» et les engagements contractuels ne constituent pas, en soi, des mesures suffisantes pour assurer le respect de l'indépendance et du secret professionnel de l'avocat .

195. Troisièmement, nous rappellerons que, aux termes d'une jurisprudence constante, votre Cour considère que: «le fait qu'un État membre impose des règles moins strictes que celles imposées par un autre État membre ne signifie pas que ces dernières sont disproportionnées et, partant, incompatibles avec le droit communautaire» . Il est donc indifférent que d'autres États membres, comme la République fédérale d'Allemagne, autorisent les collaborations intégrées entre les avocats et les experts-comptables .

196. Cela étant, nous pensons que votre Cour ne dispose pas de l'ensemble des éléments nécessaires pour trancher elle-même la question de la proportionnalité du règlement litigieux.

197. Les requérants au principal ont, en effet, avancé d'autres arguments en vue de démontrer que la SWV était disproportionnée par rapport au but qu'elle poursuit. Or, l'appréciation du bien-fondé de ces arguments requiert un examen approfondi des faits du litige au principal et d'éléments de droit qui sont propres à l'ordre juridique néerlandais. Ces éléments sont les suivants.

198. D'une part, les requérants au principal estiment que les règles adoptées par le NOvA sont discriminatoires. Ils rappellent que le NOvA autorise expressément les avocats à nouer une collaboration intégrée avec les notaires, les conseillers fiscaux et les mandataires en brevets. En revanche, le NOvA leur interdit de nouer une collaboration intégrée avec des membres de la catégorie professionnelle des experts-comptables.

La question qui se pose consiste à déterminer s'il existe des raisons objectives qui peuvent justifier une telle différence de traitement entre les catégories professionnelles précitées. Les parties divergent fortement sur ce point. Elles ont avancé un nombre considérable d'arguments relatifs aux caractéristiques des différentes professions concernées (impartialité, indépendance, secret professionnel, droit d'autorécusation). Votre Cour n'est pas en mesure de se prononcer sur cette question.

199. D'autre part, les requérants au principal ont produit un rapport qui a été établi en juillet 1999 par un groupe de travail constitué au sein du ministère de la Justice et du ministère des Affaires économiques . Ils soutiennent que le groupe de travail est parvenu à la conclusion que l'interdiction de collaborations multidisciplinaires entre les notaires et les experts-comptables était disproportionnée et ne pouvait être objectivement justifiée. Les requérants au principal estiment que cette conclusion est pleinement transposable aux collaborations intégrées entre les avocats et les experts-comptables. Le statut et la portée de ce rapport ont été discutés lors de la procédure orale. Votre Cour n'est pas, non plus, en mesure de porter une appréciation sur cette question.

200. En conséquence, il convient de renvoyer l'examen de ces différentes questions au Raad van State. Selon nous, le juge de renvoi pourra conclure que le règlement litigieux est compatible avec les dispositions de l'article 90, paragraphe 2, du traité s'il constate qu'il existe des raisons objectives d'autoriser les avocats inscrits aux Pays-Bas à nouer une collaboration intégrée avec des notaires, des conseillers fiscaux et des mandataires en brevets, mais d'interdire aux avocats inscrits aux Pays-Bas de nouer une collaboration intégrée avec des membres de la catégorie professionnelle des experts-comptables.

201. Nous proposons donc à votre Cour de répondre à la cinquième question préjudicielle en ce sens que l'article 90, paragraphe 2, du traité ne s'oppose pas à ce qu'un ordre professionnel d'avocats, tel que le NOvA, adopte une mesure contraignante qui interdit aux avocats, exerçant sur le territoire de l'État membre concerné, de nouer une collaboration intégrée avec des membres de la catégorie professionnelle des experts-comptables s'il apparaît que ladite mesure est nécessaire pour sauvegarder l'indépendance et le secret professionnel de l'avocat.

VIII - Les articles 5 et 85 du traité

202. La sixième question préjudicielle porte sur les dispositions combinées des articles 5, 85 et 86 du traité.

203. Le Raad van State demande si un État membre méconnaît les dispositions précitées lorsqu'il confère à un ordre professionnel d'avocats, tel que le NOvA, le pouvoir d'adopter des mesures contraignantes qui régissent la possibilité, pour les avocats exerçant sur son territoire, de nouer une collaboration intégrée avec des experts-comptables, alors que l'État membre ne se réserve pas la possibilité de substituer ses propres décisions aux mesures adoptées par l'ordre.

204. Lors de l'examen de la troisième question préjudicielle, nous avons constaté que l'article 86 du traité n'était pas applicable au NOvA. L'objet de la sixième question doit donc être limité à l'interprétation des dispositions combinées des articles 5 et 85 du traité.

205. À cet égard, votre jurisprudence a posé les principes suivants .

206. En lui-même, l'article 85 du traité concerne uniquement le comportement des entreprises. Il ne vise donc pas, en principe, les mesures législatives ou réglementaires qui émanent des États membres. Toutefois, l'article 85 du traité, lu en combinaison avec l'article 5, impose aux États membres de ne pas prendre ou maintenir en vigueur des mesures, de nature législative ou réglementaire, qui sont susceptibles d'éliminer l'effet utile des règles de concurrence applicables aux entreprises. Tel est le cas dans trois hypothèses, lorsque: (1) un État membre impose ou favorise l'adoption d'accords, de décisions d'associations d'entreprises ou de pratiques concertées qui sont contraires à l'article 85 du traité; (2) un État membre renforce les effets d'une telle entente, et (3) un État membre retire à sa propre réglementation son caractère étatique en déléguant à des opérateurs privés la responsabilité de prendre des décisions d'intervention en matière économique.

207. S'agissant des deux premières hypothèses, la jurisprudence exige, pour pouvoir constater qu'une mesure législative ou réglementaire est incompatible avec les articles 5 et 85 du traité, l'existence d'un lien entre la mesure étatique et un comportement privé adopté par une ou plusieurs entreprises . Cette exigence vise à exclure la possibilité d'examiner des mesures étatiques en raison des effets anticoncurrentiels qui leur sont propres. Dans leurs conclusions sous les arrêts Meng, Reiff, Ohra Schadeverzekeringen et DIP e.a. , les avocats généraux Tesauro , Darmon et Fennelly ont exposé de manière convaincante les raisons pour lesquelles la jurisprudence mérite d'être approuvée sur ce point. Il n'est donc pas nécessaire de revenir sur ces différents arguments.

Toutefois, dans certains arrêts récents , votre Cour a précisé ses exigences en franchissant un pas supplémentaire. Elle a établi un parallélisme entre la légalité du comportement privé et la licéité de la mesure étatique. Votre Cour considère que, lorsqu'un accord, une décision ou une pratique concertée n'est pas contraire à l'article 85, paragraphe 1, la mesure étatique qui l'impose, la favorise ou en renforce les effets est automatiquement compatible avec les dispositions des articles 5 et 85 du traité. Tout comme l'avocat général Jacobs , nous estimons qu'un tel automatisme est peu conforme à la réalité économique. Il existe, en effet, de nombreux exemples où une entente n'est pas, en soi, contraire à l'article 85, paragraphe 1, mais où la mesure étatique, du fait qu'elle en renforce les effets, comporte une restriction sensible du jeu de la concurrence sur le marché .

Quoi qu'il en soit, les deux premières hypothèses dégagées par la jurisprudence ne sont pas pertinentes pour le présent litige. Le juge de renvoi n'a fourni aucun élément permettant de constater que les pouvoirs publics néerlandais avaient imposé, favorisé ou renforcé les effets du règlement litigieux. Seule la troisième hypothèse, relative à une éventuelle délégation de pouvoirs, doit être examinée.

208. S'agissant de cette troisième hypothèse, votre Cour soulève une «objection de principe à l'égard des mesures législatives par lesquelles l'État renonce à jouer le rôle qui est le sien et confère aux entreprises les pouvoirs nécessaires pour mettre en oeuvre leur propre politique» .

Votre Cour estime qu'une réglementation préserve son caractère étatique lorsque les autorités publiques se réservent le pouvoir de fixer elles-mêmes les termes essentiels de la décision économique . Tel est évidemment le cas lorsque la mesure étatique formule elle-même l'interdiction comportant d'éventuels effets restrictifs de concurrence . Tel est aussi le cas lorsque la décision est prise par des opérateurs économiques privés, mais que les autorités publiques disposent du pouvoir de l'approuver, de la rejeter, de la modifier ou d'y substituer leur propre décision . Dans cette hypothèse, le caractère étatique d'une réglementation n'est pas remis en cause par le simple fait qu'elle a été adoptée après une concertation avec des représentants d'opérateurs économiques privés .

En revanche, dans l'arrêt CNSD , votre Cour a jugé que les autorités publiques avaient abandonné leur compétence à des opérateurs privés. Elle s'est fondée sur les considérations suivantes: (1) les membres du CNSD étaient des représentants des expéditeurs en douane; (2) le ministre compétent ne pouvait intervenir dans la désignation des membres du CNSD, et (3) les membres du CNSD n'étaient pas légalement tenus de prendre leurs décisions dans le respect d'un certain nombre de critères d'intérêt général. De la sorte, votre Cour a utilisé des critères strictement identiques à ceux qui permettent d'identifier une «association d'entreprises» au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

209. La question de la délégation de pouvoirs en matière économique revêt une importance cruciale en ce qui concerne les professions libérales. Les enjeux de cette question ont été clairement exposés par l'avocat général Jacobs dans ses conclusions sous l'arrêt Pavlov. M. Jacobs a souligné que:

«les caractéristiques spécifiques des marchés des services professionnels appel[lent] une certaine forme de réglementation. Les opposants à une réglementation émanant de la profession elle-même insistent pour que ce soit l'État ou, à tout le moins, des organes de régulation contrôlés par l'État qui réglementent les professions libérales, eu égard aux risques d'abus inhérents aux pouvoirs de régulation. Néanmoins, du point de vue économique, un problème d'information se pose derechef. La nature complexe de ces services et leur évolution permanente, due aux modifications fréquentes intervenant dans les connaissances et dans les développements technologiques, rendent difficile, pour les parlements et les gouvernements, l'adoption des règles détaillées et actualisées qui s'imposent. L'autoréglementation par des membres expérimentés des professions libérales est souvent préférable, car elle permet de réagir avec la flexibilité nécessaire. Le défi majeur que doit relever tout système de droit de la concurrence consiste dès lors à prévenir l'usage abusif des pouvoirs de régulation sans supprimer l'autonomie de régulation des professions libérales» .

210. Votre Cour est donc appelée à poser des critères qui permettraient de réaliser un équilibre entre, d'une part, la nécessité de reconnaître un certain pouvoir d'autoréglementation aux professions libérales et, d'autre part, la nécessité de prévenir les risques de comportements anticoncurrentiels qui sont inhérents à l'attribution d'un tel pouvoir.

211. À cet égard, nous pensons que deux conditions seraient susceptibles de réaliser un tel équilibre.

212. Le première condition est déjà inhérente à votre jurisprudence actuelle. Elle exige que les autorités publiques se réservent le pouvoir de fixer elles-mêmes le contenu des règles essentielles de la profession et, notamment, des règles qui sont susceptibles d'affecter les droits des personnes concernées. Ce pouvoir peut être exercé selon diverses modalités. Il peut se situer en amont du processus réglementaire, en prévoyant que les autorités publiques ont la possibilité d'intervenir dans ce processus. Il peut également se situer en aval, en instaurant un contrôle a posteriori des règlements adoptés par les organes de l'ordre.

213. La seconde condition porterait sur les voies de recours qui sont ouvertes aux membres de la profession. Elle exigerait que les professionnels disposent du droit d'attaquer les décisions adoptées par les organes de l'ordre, de manière à pouvoir dénoncer les éventuels comportements anticoncurrentiels qui se produiraient au sein de la profession. À cet égard, un recours devant les autorités ordinales nous paraît insuffisant pour assurer un contrôle effectif de la part des pouvoirs publics. Un tel contrôle exigerait que les professionnels aient la possibilité de s'adresser aux juridictions de droit commun, c'est-à-dire à des instances qui se situent en dehors de la profession. Le contrôle des cours et tribunaux devrait porter non seulement sur les décisions à caractère individuel, mais aussi sur les mesures qui ont une portée générale.

214. Il convient d'examiner les faits du litige au principal à la lumière de ces deux conditions.

A - Sur le pouvoir des autorités néerlandaises de déterminer, directement ou indirectement, le contenu des règles essentielles de la profession

215. En ce qui concerne la première condition, le dossier soumis à votre Cour contient des éléments qui portent sur l'existence d'un contrôle préventif et d'un contrôle répressif.

216. S'agissant du contrôle préventif, le NOvA a exposé que les autorités néerlandaises étaient étroitement associées au processus d'adoption de ses règlements. L'Ordre a indiqué qu'il communiquait systématiquement ses projets de règlements au ministre de la Justice, de manière à lui permettre de suivre attentivement les développements qui se produisent au sein de la profession. Dans son ordonnance de renvoi , le Raad van State a cependant constaté que les dispositions de l'Advocatenwet ne prévoyaient aucune intervention des autorités publiques dans l'élaboration des règlements du NOvA.

Ces deux éléments d'informations ne nous paraissent pas contradictoires en soi. Il est possible que, nonobstant l'absence de dispositions formelles dans l'Advocatenwet, la pratique se soit développée dans le sens d'un contrôle préventif du contenu des règlements du NOvA par le ministre de la Justice. La question qui se pose consiste donc à s'assurer qu'une telle pratique existe et, dans l'affirmative, à en déterminer la nature et la portée réelles.

217. Votre Cour ne dispose pas des éléments nécessaires pour se prononcer sur cette question. Il convient donc d'en renvoyer l'examen au Raad van State.

À cet égard, nous pensons que le juge de renvoi pourra conclure à l'existence d'un contrôle préventif suffisant s'il constate qu'il existe une pratique constante en vertu de laquelle les organes du NOvA sont tenus de: (1) communiquer au ministre de la Justice les projets de règlements qui portent sur les règles essentielles de la profession d'avocat aux Pays-Bas, et (2) prendre en considération les observations qui sont formulées par le ministre de la Justice à l'égard de ces projets.

218. Si le contrôle préventif exercé par le ministre de la Justice ne répond pas aux conditions susvisées, il ne s'ensuit pas nécessairement que les autorités néerlandaises ont méconnu les dispositions des articles 5 et 85 du traité. Il reste à examiner le contrôle répressif instauré par l'article 30 de l'Advocatenwet.

Aux termes de cette disposition: «les décisions du collège des délégués, du Conseil général ou des autres organes du [NOvA] peuvent être suspendues ou annulées par arrêté royal dans la mesure où elles sont contraires au droit ou à l'intérêt général».

219. Sur ce point, les requérants au principal estiment que l'Advocatenwet est incompatible avec les articles 5 et 85 du traité. Ils soulignent que les autorités publiques n'ont pas la possibilité d'arrêter elles-mêmes les règles organisant la profession d'avocat ou de substituer leurs propres décisions aux mesures adoptées par les organes de l'Ordre.

220. Nous ne partageons pas ce point de vue.

221. Il nous semble que la condition posée par votre jurisprudence - selon laquelle les autorités publiques doivent avoir la possibilité de substituer leurs propres décisions aux mesures arrêtées par les opérateurs économiques privés - ne constitue que l'expression d'un principe plus général, exigeant que le contrôle exercé par les pouvoirs publics soit un contrôle effectif. Dans ces circonstances, le pouvoir de substitution directe ne constituerait que l'une des modalités possibles de l'exercice du contrôle étatique.

222. La question qui se pose consiste donc à déterminer si le pouvoir d'annulation et de suspension attribué à la Couronne constitue un contrôle effectif. Selon nous, trois éléments devraient être examinés à cet effet. Ils porteraient sur: (1) la fréquence de l'exercice du pouvoir d'annulation ou de suspension; (2) l'objet des mesures annulées ou suspendues, et (3) le caractère obligatoire des motifs ayant conduit à l'annulation ou à la suspension.

223. S'agissant des deux premiers éléments, le NOvA a indiqué que la Couronne avait déjà fait usage de sa compétence par le passé. Elle aurait partiellement annulé un règlement relatif au stage d'avocat (en 1955) et suspendu certaines dispositions d'un règlement portant sur l'exercice de la profession à titre salarié (en 1997). En outre, la Couronne aurait menacé d'exercer sa compétence si certains règlements étaient adoptés par le NOvA. Elle aurait ainsi menacé de faire usage de son pouvoir d'annulation en ce qui concerne un règlement relatif à l'exercice de la profession à titre salarié (en 1977) et en ce qui concerne une modification du règlement du stage, qui avait trait au «patron extérieur» (en 1984).

S'agissant du troisième élément, les requérants au principal ont indiqué que, «même après [l']annulation d'un règlement, l'Ord[re] reste compétent pour arrêter lui-même, de manière indépendante, la teneur du (nouveau) règlement» .

224. Nous pensons que ces informations sont insuffisantes pour permettre à votre Cour de prendre une position sur la question du contrôle répressif exercé par la Couronne.

225. Les informations relatives aux deux premiers éléments laissent présumer que les autorités publiques exercent un contrôle réel sur l'activité réglementaire du NOvA. Néanmoins, ces informations doivent, selon nous, être confirmées par d'autres éléments de preuve devant le Raad van State.

Le critère déterminant à cet égard consiste à vérifier que la Couronne intervient effectivement pour contrôler la compatibilité, au regard de l'intérêt général, de règlements qui sont essentiels pour l'accès à la profession et son exercice.

226. En ce qui concerne le troisième élément, il nous paraît difficile de concevoir que le NOvA puisse, après l'intervention de la Couronne, adopter un règlement identique à celui qui a fait l'objet d'une annulation ou d'une suspension. La logique du système établi par l'ordre juridique néerlandais nous semble plutôt exiger que le NOvA soit tenu d'adopter un nouveau règlement conforme aux motifs ayant conduit à l'annulation ou à la suspension. Si tel est effectivement le cas, le Raad van State pourra conclure que les autorités publiques se sont réservé le pouvoir - indirect - de déterminer le contenu des règles relatives à la profession d'avocat aux Pays-Bas.

B - Sur l'existence d'une voie de recours ouverte aux membres de la profession

227. La seconde condition, relative à l'existence d'une voie de recours ouverte aux membres de la profession, est manifestement remplie en l'espèce.

Les faits à l'origine du présent litige démontrent que MM. Wouters et Savelbergh ont eu la possibilité de s'adresser à des juridictions de droit commun en vue de contester une décision individuelle prise à leur égard par les organes de l'Ordre. À l'occasion de ce litige, les intéressés ont pu invoquer l'illégalité, au regard de dispositions de droit de la concurrence, de la mesure générale que constitue le règlement litigieux. Les avocats inscrits aux Pays-Bas disposent donc d'une voie de recours effective devant les juridictions de droit commun, à l'encontre des décisions à caractère individuel et général qui sont adoptées par les autorités ordinales.

228. Sur la base des considérations qui précèdent, nous proposons donc à votre Cour de répondre à la sixième question préjudicielle en ce sens que les articles 5 et 85 du traité ne s'opposent pas à ce qu'un État membre confère à un ordre professionnel d'avocats, tel que le NOvA, la compétence d'adopter des mesures contraignantes qui régissent la possibilité, pour les avocats exerçant sur son territoire, de nouer une collaboration intégrée avec des membres de la catégorie professionnelle des experts-comptables, à la double condition que (1) les autorités de l'État membre concerné se réservent le pouvoir de déterminer, directement ou indirectement, le contenu des règles essentielles de la profession et que (2) les membres de la profession disposent d'une voie de recours effective devant les juridictions de droit commun, à l'encontre des décisions adoptées par les organes de l'ordre.

IX - Les articles 52 et 59 du traité

229. Les trois dernières questions préjudicielles portent sur les dispositions du traité en matière de droit d'établissement (article 52) et de libre prestation de services (article 59).

230. La septième question préjudicielle vise à identifier les dispositions du traité qui sont applicables au présent litige. Devant les juridictions néerlandaises, les requérants au principal ont soutenu que le litige relevait du champ d'application des deux dispositions précitées. À l'inverse, le NOvA estime que les articles 52 et 59 du traité ne peuvent s'appliquer simultanément à une même situation factuelle.

231. Par sa huitième question, le juge de renvoi souhaite savoir si l'interdiction de collaboration litigieuse constitue une entrave au droit d'établissement et/ou à la libre prestation de services.

232. Enfin, la neuvième question porte sur les raisons qui permettraient de justifier une éventuelle entrave à la libre circulation des personnes. Plus précisément, le Raad van State demande si l'interdiction de collaborations intégrées entre les avocats et les experts-comptables peut être assimilée à une «modalité de vente» au sens de l'arrêt Keck et Mithouard ou si, au contraire, une telle interdiction doit être examinée au regard des conditions énoncées par l'arrêt Gebhard .

233. Au cours de la présente procédure, plusieurs parties intervenantes ont soutenu que le litige au principal ne présentait aucun facteur de rattachement avec le droit communautaire. Elles estiment être en présence d'une situation purement interne aux Pays-Bas. Cet argument sera abordé lors de l'examen de la septième question préjudicielle.

A - Les dispositions applicables au litige au principal

234. À titre liminaire, nous rappellerons que les dispositions du traité en matière de libre circulation des personnes et des services ne s'imposent pas uniquement aux mesures prises par les autorités publiques. Elles s'étendent aussi aux mesures d'une autre nature qui visent à régler, de façon collective, le travail des salariés et les prestations de services . Les articles 52 et 59 du traité sont donc susceptibles de s'appliquer aux réglementations qui sont adoptées par des associations ou des organismes tels que les ordres professionnels.

235. Il convient également de rappeler que, en vertu d'une jurisprudence constante, les dispositions du traité en matière d'établissement et de services ne s'appliquent pas aux situations purement internes, c'est-à-dire aux situations dont tous les éléments se cantonnent à l'intérieur d'un seul et même État membre .

236. En l'espèce, les requérants au principal soutiennent que, pour déterminer les dispositions applicables au litige, il est nécessaire de distinguer deux situations factuelles: celle de MM. Wouters et Savelbergh et celle des sociétés Arthur Andersen & Co. Belastingadviseurs et Price Waterhouse Belastingadviseurs BV.

MM. Wouters et Savelbergh se prévaudraient des dispositions du traité en matière de libre prestation de services. Les intéressés souhaiteraient nouer une collaboration avec les deux sociétés précitées en vue d'offrir des services «intégrés» à des clients qui sont établis dans d'autres États membres. En revanche, les sociétés Arthur Andersen & Co. Belastingadviseurs et Price Waterhouse Belastingadviseurs BV se fonderaient sur les dispositions communautaires en matière d'établissement. Elles revendiqueraient, «pour elles-mêmes et pour les praticiens collaborant avec elles» , le droit de s'établir durablement aux Pays-Bas en vue de nouer une collaboration intégrée avec des avocats.

237. L'argument des requérants au principal est dépourvu de fondement.

238. Les dispositions du traité en matière d'établissement s'appliquent à des personnes physiques ou morales qui souhaitent «participer, de façon stable et continue, à la vie économique d'un État membre autre que [leur] État d'origine [...] dans le domaine des activités non salariées» .

239. Or, en l'espèce, aucun élément ne permet de constater que le litige au principal présente un tel facteur de rattachement avec l'article 52 du traité.

Il ressort du dossier que, au moment où les autorités ordinales ont interdit les collaborations litigieuses, l'ensemble des requérants au principal étaient établis sur le territoire néerlandais. MM. Wouters et Savelbergh, ainsi que les sociétés Arthur Andersen & Co. Belastingadviseurs, Price Waterhouse Belastingadviseurs BV et Arthur Andersen & Co. Accountants, exerçaient déjà leurs activités professionnelles de façon stable et continue aux Pays-Bas.

En outre, contrairement à ce que semblent suggérer les requérants au principal, rien ne permet d'accréditer la thèse selon laquelle les sociétés Arthur Andersen & Co. Belastingadviseurs et Price Waterhouse Belastingadviseurs BV ont reçu une procuration spéciale pour agir au nom des «praticiens qui collaborent avec elles» et qui seraient établis dans un autre État membre. Dans ces conditions, les requérants au principal ne sauraient utilement invoquer les dispositions du traité en matière de droit d'établissement .

240. En revanche, les dispositions communautaires relatives à la libre prestation de services sont applicables au présent litige.

En effet, aux termes d'une jurisprudence constante, votre Cour considère que: «le droit à la libre prestation des services peut être invoqué par une entreprise à l'égard de l'État où elle est établie, dès lors que les services sont fournis à des destinataires établis dans un autre État membre» . En application de cette jurisprudence, il n'est donc pas nécessaire que le prestataire ou le destinataire du service se déplace à l'intérieur de la Communauté. Le facteur de rattachement avec le droit communautaire peut résider dans le seul «déplacement» du service concerné. Or, tel est le cas en l'espèce puisque les avocats et les sociétés requérants au principal souhaitent offrir des services «intégrés» à destination de clients qui sont établis dans d'autres États membres .

241. Il en résulte que le règlement litigieux doit être examiné au regard des seules dispositions de l'article 59 du traité. La question qui se pose consiste à déterminer si l'interdiction de collaborations intégrées entre les avocats et les experts-comptables constitue une entrave à la libre prestation de services.

B - Sur l'existence d'une entrave à la libre prestation de services

242. À cet égard, le Raad van State vous demande s'il est possible de transposer au présent litige les critères qui ont été dégagés par l'arrêt Keck et Mithouard.

243. L'arrêt Keck et Mithouard avait pour objectif de mettre fin aux risques de dérives inhérents à la définition extrêmement large de la notion de mesure d'effet équivalant à une restriction quantitative, au sens de l'article 30 du traité CE (devenu, après modification, article 28 CE). En vue de recentrer sa jurisprudence sur les objectifs réels du traité en matière de libre circulation des marchandises, votre Cour a souligné que:

«contrairement à ce qui a été jugé jusqu'ici, n'est pas apte à entraver directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement le commerce entre les États membres, au sens de la jurisprudence Dassonville (arrêt du 11 juillet 1974, 8/74, Rec. p. 837), l'application à des produits en provenance d'autres États membres de dispositions nationales qui limitent ou interdisent certaines modalités de vente, pourvu qu'elles s'appliquent à tous les opérateurs concernés exerçant leur activité sur le territoire national, et pourvu qu'elles affectent de la même manière, en droit comme en fait, la commercialisation des produits nationaux et de ceux en provenance d'autres États membres» .

244. De la sorte, votre Cour a soustrait au domaine d'application de l'article 30 du traité les mesures qui ne sont pas de nature à empêcher l'accès des produits importés au marché national, ou à le gêner davantage qu'elles ne gênent celui des produits nationaux . Le critère substantiel posé par l'arrêt Keck et Mithouard réside donc dans l'existence d'un obstacle à l'accès au marché pour les produits importés .

245. La question de l'application de la jurisprudence Keck et Mithouard au domaine de la libre prestation des services s'est expressément posée dans l'affaire Alpine Investments, précitée .

La société Alpine Investments exerçait ses activités professionnelles aux Pays-Bas. Elle était spécialisée dans le secteur des contrats à terme de marchandises. Les autorités néerlandaises lui avaient interdit de recourir à la pratique du «cold calling», qui consistait à contacter des particuliers par téléphone sans leur consentement préalable écrit afin de leur proposer divers services financiers. Alpine Investments avait contesté cette décision sur le fondement de l'article 59 du traité. Devant votre Cour, le gouvernement néerlandais avait soutenu que l'interdiction litigieuse devait échapper au domaine d'application de cette disposition . Selon lui, l'interdiction de la pratique du «cold calling» n'affectait que la manière dont les services pouvaient être offerts sur le marché, de sorte qu'elle présentait les caractéristiques d'une «modalité de vente» au sens de l'arrêt Keck et Mithouard.

À cet égard, votre Cour a constaté que: «une telle interdiction prive les opérateurs concernés d'une technique rapide et directe de publicité et de prise de contact avec des clients potentiels se trouvant dans d'autres États membres. Elle est dès lors susceptible de constituer une restriction à la libre prestation des services transfrontaliers» .

Votre Cour a rejeté l'argument du gouvernement néerlandais au motif que: «une interdiction telle que celle en cause émane de l'État membre d'établissement du prestataire de services et concerne non seulement les offres qu'il a faites à des destinataires qui sont établis sur le territoire de cet État ou qui s'y déplacent afin de recevoir des services, mais également les offres adressées à des destinataires se trouvant sur le territoire d'un autre État membre. De ce fait, elle conditionne directement l'accès au marché des services dans les autres États membres. Elle est ainsi apte à entraver le commerce intracommunautaire des services» .

246. Il résulte de cet arrêt qu'une mesure relève du domaine d'application de l'article 59 du traité si elle restreint le droit des prestataires, qui sont établis sur le territoire de l'État membre concerné, d'offrir des services à destination de clients qui sont établis sur le territoire d'un autre État membre . La jurisprudence Keck et Mithouard ne peut donc être transposée aux mesures qui conditionnent directement l'accès des opérateurs au marché des services dans les autres États membres.

247. Or, tel est précisément le cas du règlement litigieux.

En effet, la SWV restreint le droit, pour les avocats et les experts-comptables qui sont établis aux Pays-Bas, d'offrir des services «intégrés» à des clients potentiels établis dans d'autres États membres. De ce fait, le règlement litigieux conditionne l'accès des opérateurs au marché des services dans d'autres États. Une telle entrave au commerce intracommunautaire des services n'est pas théorique puisque d'autres États membres, comme la République fédérale d'Allemagne, autorisent la constitution de structures intégrées regroupant des membres des deux catégories professionnelles. Des clients établis sur le territoire de ces États pourraient donc vouloir bénéficier de services «intégrés» émanant d'opérateurs établis aux Pays-Bas.

248. En conséquence, l'interdiction de collaboration litigieuse ne saurait être assimilée à une «modalité de vente» au sens de l'arrêt Keck et Mithouard. Elle constitue une entrave à la libre prestation des services et doit être examinée au regard des conditions posées par l'article 59 du traité.

C - Sur la justification de l'entrave

249. Dans l'arrêt Gebhard , votre Cour a rappelé que les mesures qui sont susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice des libertés fondamentales garanties par le traité doivent remplir quatre conditions pour être compatibles avec le droit communautaire. Elles doivent: (1) s'appliquer de manière non discriminatoire, (2) être justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, (3) être propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et (4) ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre.

250. Il convient d'examiner le règlement litigieux à la lumière de ces quatre conditions.

251. À cet effet, nous nous référerons en grande partie aux considérations que nous avons développées lors de l'examen de la cinquième question préjudicielle, portant sur l'interprétation de l'article 90, paragraphe 2, du traité.

252. Dans son ordonnance de renvoi , le Raad van State a constaté que le règlement litigieux satisfaisait à la première condition énoncée par l'arrêt Gebhard.

Les éléments du dossier confirment que la SWV n'opère aucune discrimination en raison de la nationalité des opérateurs concernés. De fait, en vertu de l'article 29 de l'Advocatenwet, les règlements adoptés par les organes de l'Ordre s'appliquent indistinctement aux avocats inscrits aux Pays-Bas et aux «avocats visiteurs», c'est-à-dire aux personnes qui ne sont pas inscrites comme avocat aux Pays-Bas, mais qui sont autorisées à exercer leur activité professionnelle dans un autre État membre sous le titre d'avocat ou un titre équivalent.

253. S'agissant de la deuxième condition, le Raad van State a expressément indiqué que «l[a SWV] a pour objet de garantir l'indépendance et la partialité de l'avocat» . Il résulte des points 182 et 186 des présentes conclusions que l'interdiction de collaboration litigieuse est également nécessaire pour assurer le respect du secret professionnel de l'avocat.

Or, dans le domaine de la libre circulation des personnes, votre Cour a invariablement jugé que l'application de règles professionnelles aux avocats - notamment les règles d'organisation, de qualification, de déontologie, de contrôle et de responsabilité - poursuivent un objectif d'intérêt général . Votre Cour estime que l'application de telles règles professionnelles procure la nécessaire garantie d'intégrité et d'expérience aux consommateurs finaux des services juridiques et contribue à la bonne administration de la justice .

254. Le règlement litigieux est donc justifié par des raisons impérieuses d'intérêt général au sens de votre jurisprudence.

255. En ce qui concerne la troisième condition, nous avons déjà constaté que l'interdiction de collaborations intégrées entre les avocats et les experts-comptables était propre à garantir la réalisation des objectifs qu'elle poursuit. Nous invitons donc votre Cour à se reporter aux développements que nous avons consacrés à ce sujet aux points 185 et 186 des présentes conclusions.

256. Enfin, s'agissant de la dernière condition, nous avons exposé les raisons pour lesquelles plusieurs éléments permettent de considérer que le règlement litigieux ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour protéger l'indépendance et le secret professionnel de l'avocat . Nous avons cependant indiqué que, à notre avis, votre Cour ne disposait pas de l'ensemble des informations nécessaires pour trancher elle-même la question de la proportionnalité de la SWV . En conséquence, il convient de renvoyer l'examen de cette question au juge de renvoi.

À cet égard, le Raad van State pourra conclure que le règlement litigieux est compatible avec les dispositions de l'article 59 du traité s'il constate qu'il existe des raisons objectives d'autoriser les avocats inscrits aux Pays-Bas à nouer une collaboration intégrée avec des notaires, des conseillers fiscaux et des mandataires en brevets, mais d'interdire aux avocats inscrits aux Pays-Bas de nouer une collaboration intégrée avec des membres de la catégorie professionnelle des experts-comptables .

257. Sur la base des considérations qui précèdent, nous proposons donc à votre Cour de répondre aux dernières questions préjudicielles en ce sens que l'article 59 du traité ne s'oppose pas à ce qu'un ordre professionnel d'avocats, tel que le NOvA, adopte une mesure contraignante qui interdit aux avocats, exerçant sur le territoire de l'État membre concerné, de nouer une collaboration intégrée avec des experts-comptables si ladite mesure est nécessaire pour sauvegarder l'indépendance et le secret professionnel de l'avocat.

X - Conclusion

258. Au regard des considérations qui précèdent, nous proposons donc à votre Cour de répondre de la manière suivante aux questions posées par le Raad van State:

«1) L'article 85, paragraphe 1, du traité CE (devenu article 81, paragraphe 1, CE) doit être interprété en ce sens que la notion d'association d'entreprises s'applique à un ordre professionnel d'avocats tel que le Nederlandse Orde van Advocaten.

Dès lors qu'un ordre professionnel d'avocats est composé exclusivement de membres de la profession et n'est pas tenu par la loi de prendre ses décisions dans le respect d'un certain nombre de critères d'intérêt général, il doit être considéré comme une association d'entreprises au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité pour l'ensemble des activités qu'il exerce, indépendamment de l'objet et de la finalité de la mesure adoptée.

Le fait qu'un ordre professionnel d'avocats soit investi de pouvoirs réglementaires et disciplinaires par la loi est sans incidence sur sa qualification en tant qu'association d'entreprises au sens de l'article 85, paragraphe 1, du traité.

2) Sous réserve de l'application des dispositions de l'article 90, paragraphe 2, du traité CE (devenu article 86, paragraphe 2, CE), l'article 85, paragraphe 1, du traité s'oppose à ce qu'un ordre professionnel d'avocats, tel que le Nederlandse Orde van Advocaten, adopte une mesure contraignante qui interdit aux avocats, exerçant sur le territoire de l'État membre concerné, de nouer une collaboration intégrée avec des membres de la catégorie professionnelle des experts-comptables.

3) L'article 86 du traité CE (devenu article 82 CE) doit être interprété en ce sens que la notion d'entreprise ne s'applique pas à un ordre professionnel d'avocats, tel que le Nederlandse Orde van Advocaten, lorsque celui-ci adopte, en vertu de pouvoirs réglementaires conférés par la loi, des mesures contraignantes qui régissent la possibilité, pour les avocats exerçant sur le territoire de l'État membre concerné, de nouer une collaboration intégrée avec des membres de la catégorie professionnelle des experts-comptables.

4) L'article 90, paragraphe 2, du traité ne s'oppose pas à ce qu'un ordre professionnel d'avocats, tel que le Nederlandse Orde van Advocaten, adopte une mesure contraignante qui interdit aux avocats, exerçant sur le territoire de l'État membre concerné, de nouer une collaboration intégrée avec des membres de la catégorie professionnelle des experts-comptables si ladite mesure est nécessaire pour sauvegarder l'indépendance et le secret professionnel de l'avocat. Il appartient à la juridiction nationale d'apprécier si tel est le cas.

5) Les dispositions de l'article 5 du traité CE (devenu article 10 CE) et de l'article 85 du traité ne s'opposent pas à ce qu'un État membre confère à un ordre professionnel d'avocats, tel que le Nederlandse Orde van Advocaten, la compétence d'adopter des mesures contraignantes qui régissent la possibilité, pour les avocats exerçant sur son territoire, de nouer une collaboration intégrée avec des membres de la catégorie professionnelle des experts-comptables à la double condition que (1) les autorités de l'État membre concerné se réservent le pouvoir de déterminer, directement ou indirectement, le contenu des règles essentielles de la profession et que (2) les membres de la profession disposent d'une voie de recours effective devant les juridictions de droit commun, à l'encontre des décisions adoptées par les organes de l'ordre. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si tel est le cas.

6) L'article 52 du traité CE (devenu, après modification, article 43 CE) ne s'applique pas aux situations purement internes à un État membre.

7) L'article 59 du traité CE (devenu, après modification, article 49 CE) ne s'oppose pas à ce qu'un ordre professionnel d'avocats, tel que le Nederlandse Orde van Advocaten, adopte une mesure contraignante qui interdit aux avocats, exerçant sur le territoire de l'État membre concerné, de nouer une collaboration intégrée avec des membres de la catégorie professionnelle des experts-comptables si ladite mesure est nécessaire pour sauvegarder l'indépendance et le secret professionnel de l'avocat. Il appartient à la juridiction nationale d'apprécier si tel est le cas.»

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