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Document 61982CC0317

    Conclusions de l'avocat général Rozès présentées le 4 mai 1983.
    Usines Gustave Boël et Fabrique de fer de Maubeuge contre Commission des Communautés européennes.
    CECA - Adaptation des productions de référence.
    Affaire 317/82.

    Recueil de jurisprudence 1983 -02041

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1983:119

    CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS,

    PRÉSENTÉES LE 4 MAI 1983

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    L'affaire pour laquelle nous présentons nos conclusions concerne un recours dirigé par la société Usines Gustave Boël et la société Fabrique de fer de Maubeuge contre la Commission des Communautés européennes. Elle tend à l'annulation de la décision de la Commission du 26 novembre 1982 relative à une procédure d'application de l'article 14 de la décision 1696/82/CECA du 30 juin 1982.

    I — Les faits sont les suivants:

    En application de l'article 58 du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier, la Commission a déclaré l'état de crise manifeste, et elle a adopté, le 31 octobre 1980, une décision 2794/80 instaurant un régime de quotas de production d'acier pour les entreprises de l'industrie sidérurgique.

    Ce régime vous étant familier, nous n'exposerons pas en détail les modalités de son fonctionnement et nous nous référons aux conclusions de M. l'avocat général Reischl du 23 février 1983 dans l'affaire Klöckner (affaire 244/81).

    Rappelons que, pour assurer l'efficacité du système, tout dépassement de quota est sanctionné par une amende fixée en fonction de chaque tonne «produite en infraction». Toutefois, si l'application des quotas entraîne pour certaines entreprises, en raison de leur situation spécifique, des difficultés exceptionnelles, une «adaptation adéquate» peut être accordée par la Commission sur demande des intéressés.

    Ce système a été complété par un régime de surveillance, puis périodiquement reconduit ( 1 ), et c'est la décision 1696/82/CECA de la Commission qui régit la présente affaire.

    L'article 9, paragraphe 1, de cette décision prévoit que la Commission fixe trimestriellement les taux d'abattement pour l'établissement des quotas de production, ainsi que de la partie de ces quotas pouvant être livrée sur le marché commun.

    Sur la base d'études menées en liaison avec les entreprises et leurs associations, la Commission a ainsi fixé par décision 2585/82 du 22,septembre 1982 les taux d'abattement servant à établir les quotas de production pour le quatrième trimestre de l'année. Ces taux étaient les suivants:

    catégorie la — 44 (pour le trimestre précédent: — 37)

    catégorie Ib — 42 (pour le trimestre précédent: — 38)

    catégorie le — 16 (pour le trimestre précédent: — 13)

    catégorie Id + 30 (pour le trimestre précédent: + 31).

    En application du paragraphe 2 de l'article 9 de la décision précitée, la Commission a communiqué, le 1er octobre 1982, à la société anonyme Usines Gustave Boël à La Louvière (Belgique) ainsi qu'à sa filiale française, la société anonyme Fabrique de fer de Maubeuge à Louvroil (Nord), les productions et quantités de référence, annuelles et trimestrielles, ainsi que les quotas de production et parties de quotas pouvant être livrées sur le marché commun.

    Le groupe Boël est spécialisé dans la fabrication des produits plats qui rentrent dans la catégorie I, coils et feuillards laminés à chaud sur des trains spécialisés (aniele 1 de la décision 1696/82).

    Cette catégorie comporte quatre catégories «dérivées» ou sous-catégories (la, Ib, le, Id) comprenant les produits dont la liste détaillée figure à l'annexe I de la décision. La terminologie utilisée par les décisions instaurant les quotas est assez imprécise: il s'agit tantôt de «catégorie», tantôt de «groupe» ou de «dérivés». La décision 1696/82 se référant aux «catégories la à Id», nous adopterons donc cette expression.

    Le groupe Boël fabrique aussi du fil machine (catégorie IV) et des ronds à béton (catégorie V), mais ces produits ne sont pas en cause dans le présent litige.

    Notons encore que, par décision de la Commission du 31 mars 1981, la société Boël a été autorisée à passer des accords de spécialisation et de coordination avec deux autres entreprises belges productrices d'acier (Forges de Clabecq SA et Fabrique de fer de Charleroi SA) pour constituer le «pôle des indépendants».

    Aux termes de cet accord, elle s'est notamment engagée à ne pas produire sur son train à larges bandes les tôles fortes et moyennes qui pourraient être laminées à moindres frais sur le train de la société Clabecq. Il existait en effet un suréquipement dans le secteur des produits laminés à chaud chez les trois participants à cet accord qui, bien qu'implantés en Belgique, vendent plus de 75 % de leur production dans les autres pays de la Communauté.

    Néanmoins, l'entreprise Boël aurait dépassé de 2581 tonnes le quota de production attribué pour le deuxième trimestre de 1981 pour les produits de la catégorie I. Par décision du 24 novembre 1982, la Commission lui a donc infligé une amende de 193575 Écus (8787453 BFR) pour infraction à la décision 2794/80.

    II — Invoquant l'article 14 de la décision 1696/82, la société Boël (lettre du 6. 10. 1982) et la Fabrique de fer de Maubeuge (lettre du 2. 11. 1982) ont présenté, pour le quatrième trimestre de 1982, une demande d'«adaptation adéquate» des productions de référence et/ou quantités de référence pour la catégorie I.

    Par télex du 26 novembre 1982 du directeur de la direction générale du marché intérieur et des affaires industrielles et par lettre du 3 décembre 1982 du directeur général de cette direction, la Commission a rejeté cette demande d'adaptation complémentaire dans la mesure où elle portait sur «les produits de la catégorie le qui ne sont pas soumis à un taux d'abattement d'au moins 20 % pour le trimestre en cours».

    Cette catégorie le, dont le taux d'abattement était de 16 %, comprend les tôles galvanisées à chaud (en feuilles ou en rouleaux) et les tôles galvanisées pour l'élaboration des produits de la catégorie Id (autres produits plats revêtus) dans les autres entreprises de la Communauté.

    Par un recours unique introduit le 13 décembre 1982, la société anonyme Usines Gustave Boël et la société anonyme Fabrique de fer de Maubeuge demandent l'annulation de la décision de la Commission du 26 novembre 1982.

    Après le dépôt du mémoire en défense de la Commission, les requérantes ont renoncé à présenter une réplique et la Commission a marqué son accord pour que, conformément à l'article 55, paragraphe 1, deuxième alinéa, du règlement de procédure, l'affaire soit jugée en priorité. Les requérantes invoquaient comme «circonstances particulières» que la Fabrique de fer de Maubeuge avait dû arrêter sa production et ses installations de galvanisation dès la deuxième quinzaine de novembre 1982.

    III — Les sociétés requérantes invoquent au soutien de leur recours en cause la violation de l'article 14 de la décision 1696/82 ainsi que celle de l'article 58 du traité.

    1. Sur l'article 14

    L'article 14 est ainsi rédigé:

    «Si, en raison de l'ampleur des taux d'abattement fixés pour un trimestre, le régime des quotas cause des difficultés exceptionnelles à une entreprise, la Commission procède à une adaptation adéquate des productions de référence et/ou quantités de référence pour les catégories en question si l'entreprise en fait la demande au cours des deux premiers mois du trimestre concerné dans les cas suivants:

    la production de référence totale des catégories la à Id est inférieure à 1000000 de tonnes par an et se trouve composée à raison de 75 % au moins de produits dont les taux d'abattement d'une ou plusieurs de ces catégories dépassent 20 %,

    ou

    la production de référence totale des catégories IV, V et VI est inférieure à 100000 tonnes par an et les taux d'abattement d'une ou plusieurs de ces catégories dépassent 20 %.»

    Les demanderesses exposent que la lecture de ce texte fait apparaître trois conditions: la première tenant à l'existence de difficultés exceptionnelles rencontrées par l'entreprise à la suite de l'ampleur des taux d'abattement, la seconde consistant en une production de référence totale des catégories la à Id inférieure à 1000000 de tonnes par an et la dernière résultant de la composition de 75 % au moins de la production de référence en produits dont les taux d'abattement d'une ou plusieurs de ces catégories dépassent 20 °/o.

    Elles font valoir que la société anonyme de Maubeuge a dû arrêter sa production et qu'en rejetant la demande d'adaptation au seul motif que les produits de la catégorie le n'étaient pas soumis à un taux d'abattement d'au moins 20 % pour le quatrième trimestre, la Commission aurait ajouté une condition que l'article 14 de la décision 1696/82 ne contient pas.

    Elles estiment en effet que les taux d'abattement dont l'ampleur peut justifier une adaptation adéquate se réfèrent à l'ensemble des catégories la à Id sans qu'il y ait lieu de considérer individuellement le taux de chaque catégorie. Pour être applicable, l'article 14 exigerait uniquement que la production de référence totale des catégories la à Id soit composée à raison de 75 % au moins de produits dont les taux d'abattement d'une ou plusieurs de ces catégories dépassent 20 °/o.

    Nous ne partageons pas cette analyse tout en soulignant l'ambiguïté de la rédaction de l'article 14 qui, en se référant aux «catégories en question», entraîne effectivement des difficultés d'interprétation.

    Nous observons que la société Boël demandait une augmentation des quotas en vertu de l'article 14 par une lettre du 20 août 1982 dans laquelle elle précisait qu'elle remplissait «les deux conditions, c'est-à-dire, production annuelle de produits des catégories la à Id inclus inférieure à 1000000 de tonnes par an et dont 75 % dans des catégories où le taux d'abattement d'une de ces catégories au moins dépasse 20 %».

    Or, pour l'application de l'article 14, premier tiret, il faut rechercher en premier lieu si la production de référence totale des catégories la à Id est inférieure à 1000000 de tonnes par an.

    C'est le cas pour les requérantes dont la production s'élève à 876988 tonnes (497460 + 198052 + 176264 -o 212).

    En second lieu, il faut rechercher si cette production se trouve composée à raison de 75 % au moins de produits entrant dans une ou plusieurs des catégories dont le taux d'abattement dépasse 20 %.

    C'est également le cas: les produits des catégories la (497000 tonnes) et Ib (198052 tonnes), qui représentent ensemble plus de 75 % de la production annuelle (695512 est supérieur à 75 % de 876988, soit 657512), sont affectés respectivement d'un taux d'abattement de 44 et de 42 %.

    Dans ces conditions, en raison de l'ampleur des taux des catégories la à Ib, supérieurs à 20 %, le régime des quotas est réputé «causer des difficultés exceptionnelles à l'entreprise» et les conditions nécessaires sont réunies pour que la Commission procède à une adaptation adéquate des produits et quantités de référence pour ces deux catégories.

    Il est constant que le taux d'abattement de la catégorie le est de 16 %, donc inférieur à 20 %, et ne peut conduire à une mesure d'adaptation adéquate.

    En l'espèce, l'expression «pour les catégories en question» se réfère à chacune des catégories la, Ib, le et Id. Elle a pu induire les requérantes en erreur et il eût été plus clair de se référer à «une ou plusieurs des catégories en cause» (par exemple, en anglais «for the category in question»). Mais cette ambiguïté de style ne saurait toutefois affecter le sens général de la disposition litigieuse.

    2. Sur l'article 58

    Les demanderesses prétendent en second lieu que seule leur interprétation correspond à l'article 58 du traité qui sert de base au régime des quotas.

    Nous pensons au contraire que l'interprétation que nous proposons n'est nullement en contradiction avec l'article 58 du traité qui prévoit l'établissement de quotas «sur une base équitable, compte tenu des principes définis aux articles 2, 3 et 4» (paragraphe 2, premier alinéa).

    Le régime instauré en raison de la «période» de crise manifeste constitue évidemment une «dérogation aux règles normales de fonctionnement du marché commun empruntées au principe de l'économie de marché», ainsi que vous l'avez jugé par votre arrêt Valsabbia ( 2 ) Au fur et à mesure de son fonctionnement, il est apparu que l'application de ce régime risquait d'entraîner des difficultés exceptionnelles pour un nombre croissant d'entreprises; c'est pourquoi des tempéraments de plus en plus nombreux ont été apportés au système. Mais ces exceptions ne prouvent cependant pas que la situation soit redevenue normale, elles s'expliquent uniquement par des raisons de nécessité. Elles ne doivent pas être élargies de façon inconsidérée sous peine de voir compromis le fonctionnement du système et retardé le retour à une situation plus normale.

    Dans l'arrêt précité, vous avez pris soin d'indiquer que

    «la politique anticrise dans le secteur sidérurgique se fonde sur le principe fondamental de la solidarité entre les différentes entreprises» ( 3 ).

    L'article 14, premier tiret, permet un assouplissement du régime des quotas dans la mesure où il prévoit exceptionnellement une adaptation pour les produits des catégories la à Id. Mais cette adaptation est assortie de conditions spécifiques. L'une de ces conditions est que le taux d'abattement qui frappe ces produits dépasse 20 %. Même s'il s'agit d'un assouplissement, cette disposition participe du régime général prorogé par la décision 1696/82.

    Ainsi interprétée et appliquée, cette disposition respecte les objectifs définis à l'article 58 qui correspondent à la politique économique et sociale choisie par la Commission.

    Dans ces conditions, en motivant le refus opposé aux requérantes par la considération que l'adaptation prévue à l'article 14 ne peut intervenir que pour la ou les catégories auxquelles appartiennent les produits qui entrent dans la composition du pourcentage (75 %) visé au premier tiret, c'est-à-dire pour la ou les catégories dont le taux d'abattement dépasse 20 %, la Commission a fait une exacte application de cette disposition.

    Nous concluons au rejet du recours et à ce que les dépens soient mis à la charge des requérantes.


    ( 1 ) Décision 1831/81 du 24. 6. 1981; décision 1832/81 du 3. 7. 1981, incluant les ronds à béton et les aciers marchands dans le régime de quotas; décision 533/82 du 3. 3. 1982; décision 1696/82 du 30. 6. 1982; décision 1698/82 du même jour, adaptant les taux d'abattement de la catégorie V pour le troisième trimestre de 1982 en faveur de certaines entreprises; décision 2751/82 du 6. 10. 1982.

    ( 2 ) Arrêt du 18. 3. 1980, affaires jointes 154, 205, 206, 226 à 228, 263 et 264/78, 39, 31, 83 et 85/79, Recueil p. 1008, rf 80.

    ( 3 ) Arrêt Valsabbia précité, Recueil 1980, p. 1004, n' 59.

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