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Document 61982CC0087

    Conclusions de l'avocat général Rozès présentées le 28 avril 1983.
    Lieutenant Commander A.G. Rogers contre H.B.L. Darthenay.
    Demande de décision préjudicielle: Plymouth Magistrates' Court - Royaume-Uni.
    Pêche - Mesures nationales de conservation.
    Affaire 87/82.

    Recueil de jurisprudence 1983 -01579

    ECLI identifier: ECLI:EU:C:1983:113

    CONCLUSIONS DE MME L'AVOCAT GÉNÉRAL SIMONE ROZÈS

    PRÉSENTÉES LE 28 AVRIL 1983

    Monsieur le Président,

    Messieurs les Juges,

    La demande à titre préjudiciel de la Plymouth Magistrates' Court sur laquelle nous présentons nos conclusions aujourd'hui s'est greffée sur une procédure pénale introduite à la suite d'un incident de pêche.

    I — Les faits sont les suivants :

    Par les poursuites engagées au nom du Lieutenant Commander Anthony George Rogers, Royal Navy, pour le ministère britannique de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation, il est reproché à Hubert Bernard Louis Darthenay, de nationalité française, originaire de Caen, de s'être trouvé, le 5 août 1981, avec son bateau de pêche non immatriculé au Royaume-Uni, le «Christine-Marie», à l'intérieur de la zone de pêche britannique, à savoir en position 50o 23.6 nord et 2o 54.2 ouest, d'avoir eu à bord et d'avoir utilisé à l'intérieur de la zone de pêche britannique une seine danoise ou un filet similaire comportant, au niveau supérieur, un dispositif consistant en un deuxième filet qui aurait eu pour effet d'obstruer les mailles ou d'en réduire les dimensions en infraction à l'article 7 du règlement du Conseil du 30 septembre 1980 (no 2527/80) ( 1 ). Ce texte prévoit certaines mesures techniques de conservation des ressources de pêche ( 2 ) et sa validité a été prorogée jusqu'au 31 octobre 1981 par l'effet de règlements ultérieurs, mais depuis lors il n'a pas été remplacé.

    D'après les poursuites, le prévenu a ainsi violé l'article 8 du «Fishing Nets (no 2) Order de 1980 (Statutory Instruments no 1994 de 1980)» dont la validité a été prorogée avec effet au 30 juin 1981 par le «Fishing Nets (no 2) (Variation) (no 5) Order de 1981 (Statutory Instruments no 906 de 1981)». Le premier paragraphe de cette disposition interdisait notamment la détention, à l'intérieur des eaux de pêche britanniques, de chaluts, de seines danoises ou de filets similaires pourvus de dispositifs à l'aide desquels il serait possible d'obstruer ou de diminuer les mailles des filets en violation de l'article 7 du règlement du Conseil mentionné.

    Le paragraphe 2 de cette disposition prévoyait que le paragraphe 1 ne devait pas empêcher l'utilisation de dispositifs fixés d'une certaine façon à la partie inférieure du filet dans le but d'en éviter ou d'en limiter l'usure.

    Pour Hubert Darthenay, la prohibition figurant à l'article 7 du règlement du Conseil (no 2527/80) n'était pas applicable tant que les dérogations prévues n'avaient pas été déterminées conformément à la deuxième phrase de cet article. Il fait valoir qu'à l'époque il n'existait pas de dispositions communautaires d'exécution de l'article 7. Certes, le gouvernement britannique a admis un certain nombre de dérogations pour certains dispositifs par l'«Order no 1994 de 1980», mais, d'après votre jurisprudence, il n'était plus habilité à adopter de telles dispositions après la période de transition prévue à l'article 102 du traité d'adhésion.

    Saisie de cette controverse, la Plymouth Magistrates' Court a déféré à la Cour de justice, conformément à l'article 177 du traité, quatre questions portant sur l'interprétation de l'article 7 du règlement no 2527/80. Par la première question, la juridiction de renvoi souhaite obtenir, de façon générale, des éclaircissements sur le point de savoir si la disposition en cause a un quelconque effet en l'absence de dispositions particulières adoptées en vue de son application, selon la procédure du comité de gestion. En cas de réponse négative à cette question, la juridiction de renvoi vous demande si les États membres étaient encore habilités à adopter une mesure du type de l'acte no 1994 en cause en l'espèce. La troisième question a été formulée en cas de réponse affirmative à la première dans le but de savoir si, en l'absence de modalités d'application, les États membres étaient habilités à prévoir des dérogations telles que celles qui figurent dans l'acte no1994 de 1980 et à se substituer au comité de gestion. Enfin, la quatrième question tend en substance à savoir si un particulier peut faire l'objet de poursuites sur le fondement de dispositions de droit national incompatibles avec le droit communautaire.

    II — Nous examinerons chacune des questions posées.

    1. Première question

    Pour Hubert Darthenay, l'applicabilité de la prohibition figurant à l'article 7, première phrase, du règlement no 2527/80 dépend de l'adoption des modalités d'application mentionnées dans la deuxième phrase de la même disposition. A son avis, cette condition découle déjà de la formulation de la disposition litigieuse. Il estime que toute autre interprétation serait dénuée de sens puisque, d'une part, on ne saurait envisager l'utilisation de filets non munis d'un dispositif contre l'usure et que, d'autre part, les pêcheurs seraient dans l'obligation d'engager des frais substantiels pour acheter des filets sans dispositif de protection pour une période limitée. L'extrait du procès-verbal de la session du Conseil au cours de laquelle le règlement no 2527/80 a été adopté, produit par la Commission, démontrerait que tant la Commission que le Conseil partageraient l'avis du prévenu. En effet, aussi bien l'article 6 du règlement, qui prévoit que le maillage des filets est mesuré conformément à des règles devant également être arrêtées selon la procédure du comité de gestion, que l'article 7 sont considérés par ce texte comme des dispositions «imparfaites». C'est pourquoi, dans le procès-verbal, il est prévu que, jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions figurant aux articles 6 et 7, les États membres appliquent les mêmes mesures conformément aux procédures et aux critères de l'annexe VI de la résolution du Conseil du 3 novembre 1976, dite «résolution de La Haye».

    A notre avis — et à cet égard nous nous rallions à la thèse de la Commission et du gouvernement du Royaume-Uni qui ont présenté leurs observations sur la demande formulée à titre préjudiciel — une telle interprétation n'est cependant pas soutenąble.

    En effet, les termes mêmes de la disposition litigieuse, à savoir qu'«il ne peut être utilisé aucun dispositif permettant d'obstruer les mailles d'une partie quelconque d'un filet ou d'en réduire effectivement les dimensions», contiennent une interdiction claire et inconditionnelle d'utiliser de tels dispositifs. La deuxième phrase de l'article n'envisage de dérogation que pour les dispositifs énumérés dans les modalités d'application à arrêter selon la procédure du comité de gestion. Néanmoins, cette «réserve d'autorisation» ne subordonne pas l'applicabilité de l'article 7 à l'adoption de telles modalités d'application.

    Une interprétation différente ne nous paraît pas non plus s'imposer si l'on replace la disposition en cause dans le contexte du règlement no 2527/80 prévoyant certaines mesures techniques de conservation des ressources de pêche. A cet égard, il convient tout d'abord de rappeler que, depuis la fin de la période de transition prévue à l'article 102 de l'acte d'adhésion, soit le 1er janvier 1979, la compétence pour arrêter des mesures en vue de la conservation des ressources de la mer entre dans les attributions de la Communauté dans le cadre de la politique commune en matière de pêche. C'est pourquoi, le 30 septembre 1980, le Conseil a adopté le règlement mentionné qui devait nécessairement inclure des règles sur le maillage.

    Observons que le contrôle des maillages prescrits serait rendu impossible si l'on admettait des dispositifs permettant d'obstruer les mailles des filets ou de les diminuer en pratique; aussi, l'utilisation de tels dispositifs a-telle été en principe prohibée par l'article 7, première phrase, du règlement en cause. De même, si l'application de cette disposition prohibitrice était subordonnée à l'intervention des modalités à arrêter en vertu de la deuxième phrase, l'efficacité du règlement serait gravement compromise. Enfin, l'interdiction n'aurait aucun effet si, en même temps, les États membres se voyaient interdire la possibilité de maintenir en vigueur des mesures de conservation dans ce domaine après le transfert de compétence à la Communauté. On se trouverait devant un vide juridique qu'il importe d'éviter dans le domaine de la conservation des ressources biologiques de la mer, comme la Cour l'a souligné dans une jurisprudence constante.

    Par ailleurs, correctement comprise, la disposition de l'article 7, première phrase, du règlement concerné ne s'oppose pas à l'utilisation de dispositifs dont le seul but est d'éviter ou de limiter l'usure des filets et qui ne sont pas susceptibles d'obstruer les mailles ou de les diminuer en pratique. A cet égard, la délimitation qu'il incombe au juge du fait d'opérer entre les dispositifs prohibés et les accessoires pour filets admissibles peut concrètement s'avérer difficile. Cette difficulté doit être facilitée par les modalités d'application à intervenir et prévues par la deuxième phrase. Pour autant, elle ne peut justifier la suspension de la prohibition édictée par la première.

    Mais ce sont les modalités d'application et non pas l'interdiction prévue à l'article 7, première phrase, qui sont visées par le passage suivant du procès-verbal de la session du Conseil: le Conseil et la Commission conviennent que, jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions prévues aux articles 6 et 7, les États membres appliquent les mêmes mesures conformément aux procédures et aux critères de l'annexe VI de la résolution du Conseil du 3 novembre 1976, dite «résolution de La Haye».

    Cette résolution, dont les termes figurent dans l'arrêt Commission/Irlande ( 3 ), exclut en principe toute mesure unilatérale des États membres et, à défaut de mesure communautaire, elle n'admet que des mesures arrêtées à titre conservatoire et d'une manière non discriminatoire. En outre, elle souligne que de telles mesures ne sauraient préjuger les orientations qui seront adoptées pour la mise en oeuvre de la politique commune en matière de conservation des réserves halieutiques et que, avant l'entrée en vigueur de ces mesures, l'État membre concerné devra rechercher l'approbation de la Commission qui devra être consultée à tous les stades de la procédure.

    Comme vous l'avez jugé dans l'affaire Commission/Royaume-Uni ( 4 ), les exigences qui avaient été établies à l'origine pour la période de transition prévue à l'article 102 de l'acte d'adhésion doivent être appréciées dans un nouveau contexte après l'expiration de cette période, en ce sens qu'en tant qu'ils gèrent l'intérêt commun, les États membres ne sont pas seulement tenus de consulter la Commission de façon approfondie, mais qu'il leur incombe aussi de renoncer à adopter des mesures de conservation nationales allant à l'encontre d'objections, de réserves ou dé conditions que la Commission serait susceptible de formuler.

    Cette procédure vise à assurer que, jusqu'à l'adoption des modalités d'application prévues par l'article 7, deuxième phrase, du règlement en cause, les États membres n'admettent que des dispositifs ne relevant pas de la première phrase. Elle a été respectée, comme la Commission nous l'a expressément déclaré, tant en ce qui concerne l'adoption du «Fishing Nets (no 2) Order de 1980» qu'en ce qui concerne le «Fishing Nets (no 2) (Variation) (no 5) Order de 1981» qui s'est borné à proroger la validité de l'acte précité. En approuvant les actes susvisés, la Commission a fait connaître en particulier que les dispositifs énumérés à l'article 8, paragraphe 2, du «Fishing Nets (no 2) Order de 1980», c'est-à-dire les dispositifs fixés sur la partie inférieure du filet pour en éviter ou en limiter l'usure, ne doivent pas être considérés comme des dispositifs prohibés au sens de l'article 7, première phrase, du règlement concerné.

    A cet égard, la situation n'est pas identique à celle dont vous avez eu à connaître dans l'affaire Tymen ( 5 ). Il convient donc de répondre par l'affirmative à la première question.

    2. Deuxième question

    Elle devient sans objet à la suite de la réponse affirmative que nous venons d'indiquer.

    3. Troisième question

    La réponse découle des considérations émises sur la première question.

    En conséquence, jusqu'à l'adoption des modalités d'application prévues à l'article 7, deuxième phrase, du règlement, les États membres étaient libres de désigner, avec l'approbation de la Commission, les dispositifs n'ayant pas l'effet visé à l'article 7, première phrase.

    4.

    Enfin, vous avez déjà répondu à la quatrième question dans votre arrêt Tymen :

    «une condamnation pénale prononcée en vertu d'un acte législatif national reconnu contraire au droit communautaire serait également incompatible avec ce droit» ( 6 ).

    Dans ces conditions, nous concluons à ce que vous disiez pour droit:

    que l'interdiction contenue dans l'article 7, première phrase, du règlement du Conseil (no 2527/80) du 30 septembre 1980 était applicable jusqu'au 31 octobre 1981 en raison de la prorogation dudit règlement, même si les modalités d'application prévues à la deuxième phrase de la disposition mentionnée n'avaient pas été arrêtées;

    que cette interdiction ne s'opposait pas à l'utilisation de dispositifs qui n'étaient pas susceptibles d'obstruer ou de diminuer en pratique le maillage d'une partie quelconque du filet et qui étaient utilisés en premier lieu pour éviter ou pour limiter l'usure des filets. Il appartient au juge national de rechercher si tel était le cas.


    ( 1 ) «Il ne peut être utilisé aucun dispositif permettant d'obstruer les mailles d'une partie quelconque d'un filet ou d'en réduire effectivement les dimensions. Ces dispositions n'excluent pas l'utilisation des dispositifs énumérés dans les modalités d'application à arrêter selon la procédure prévue à l'article 20.»

    ( 2 ) JO L 258 du 1. 10. 1980, p. 1.

    ( 3 ) Arrêt du 16. 2. 1978, affaire 71/77, Recueil 1978, p. 417.

    ( 4 ) Arrêt du 5. 5. 1981, affaire 804/79, Recueil 1981, p. 1045; jurisprudence confirmée par les arrêts Tymen du 16. 12. 1981 (Recueil 1981, p. 3081) et Noble Kerr du 30. 11. 1982 (Recueil 1982, p. 4053).

    ( 5 ) Arrêt Tymen, précité, Recueil 1981, p. 3092, attendu 11.

    ( 6 ) Arrêt Tymen, précité, Recueil 1981, p. 3095.

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