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Document 61996TJ0081

Judgment of the Court of First Instance (Third Chamber) of 10 July 1997.
Christos Apostolidis and others v Commission of the European Communities.
Officials - Remuneration - Weighting - Measures taken to comply with a judgment ordering annulment - Article 176 of the EC Treaty - Fair compensation - Legal interest in bringing proceedings - Article 44(1)(c) of the Rules of Procedure.
Case T-81/96.

European Court Reports – Staff Cases 1997 I-A-00207; II-00607

ECLI identifier: ECLI:EU:T:1997:111

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

10 juillet 1997 ( *1 )

«Fonctionnaires — Rémunération — Coefficient correcteur — Mesures d'exécution d'un arrêt d'annulation — Article 176 du traité CE — Compensation équitable — Intérêt à agir — Article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure»

Dans l'affaire T-81/96,

Christos Apostolidis et autres, fonctionnaires et agents temporaires de la Commission des Communautés européennes, affectés à l'Institut des transuraniens de Karlsruhe (Allemagne), représentés par Mes Jean-Noël Louis, Thierry Demaseure et Ariane Tornei, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 30, rue de Cessange,

parties requérantes,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. Gianluigi Valsesia, conseiller juridique principal, et Julian Curali, membre du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Carlos Gómez de la Cruz, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

soutenue par

Conseil de l'Union européenne, représenté par M. Diego Canga Fano, membre du service juridique, en qualité d'agent, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Alessandro Morbilli, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

partie intervenante,

ayant pour objet, d'une part, une demande d'annulation de la décision de rejet opposée par la Commission à la demande des requérants tendant à l'établissement de leurs bulletins de rémunération du mois de janvier 1992 en vue d'exécuter l'arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, Chavane de Dalmassy e.a./Commission (T-64/92, RecFP p. II-723) et, d'autre part, une demande d'indemnisation du dommage moral subi,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES (troisième chambre),

composé de MM. B. Vesterdorf, président, C. P. Briët et A. Potocki, juges,

greffier: M. A. Mair, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 27 mai 1997,

rend le présent

Arrêt

Faits à l'origine du recours

1

Les requérants sont 65 fonctionnaires et agents temporaires de la Commission affectés à l'Institut des transuraniens de Karlsruhe en Allemagne.

2

L'ensemble de ces personnes étaient également requérants dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du Tribunal du 27 octobre 1994, Chavane de Dalmassy e.a./Commission (T-64/92, RecFP p. II-723, ci-après «arrêt Chavane de Dalmassy»), dont le mode d'exécution fait l'objet du présent recours.

3

Conformément à l'article 64 du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut») et à l'article 20 du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes, la rémunération des fonctionnaires et agents temporaires est affectée d'un coefficient correcteur fixé en fonction des conditions de vie dans leur lieu d'affectation, afin que, indépendamment de celui-ci, ils bénéficient d'un pouvoir d'achat équivalent.

4

Le coefficient correcteur appliqué à la rémunération des requérants affectés à Karlsruhe a été, jusqu'à l'adoption du règlement no 3161/94 (CECA, CE, Euratom) du Conseil, du 19 décembre 1994, adaptant à partir du 1er juillet 1994 les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 335, p. 1, ci-après «règlement no 3161/94»), celui applicable aux fonctionnaires affectés à Bonn, capitale de la République fédérale d'Allemagne jusqu'en octobre 1990.

5

Après la réunification de l'Allemagne, la ville de Berlin est devenue, en octobre 1990, la capitale de cet État. Cet événement a conduit la Commission à soumettre au Conseil la proposition de règlement [SEC (91) 1612 final] du 4 septembre 1991 proposant, avec effet rétroactif au 1er octobre 1990, d'une part, l'adoption d'un coefficient correcteur pour l'Allemagne calculé sur la base du niveau du coût de la vie à Berlin et, d'autre part, la fixation de coefficients correcteurs spécifiques pour Bonn et Karlsruhe.

6

Le 19 décembre 1991, le Conseil a adopté le règlement (CECA, CEE, Euratom) no 3834/91, adaptant à compter du 1er juillet 1991 les rémunérations et les pensions des fonctionnaires et autres agents des Communautés européennes ainsi que les coefficients correcteurs dont sont affectées ces rémunérations et pensions (JO L 361, p. 13, rectificatif au JO 1992, L 10, p. 56, ci-après «règlement no 3834/91»). Ce règlement fixait, notamment, un coefficient correcteur pour l'Allemagne calculé sur la base du coût de la vie dans l'ancienne capitale, Bonn, ainsi qu'un coefficient spécifique pour Berlin.

7

En janvier 1992, chaque requérant a reçu un bulletin de rémunération supplémentaire, qui faisait application du coefficient correcteur «Bonn» (95,1) prévu à l'article 6, paragraphe 2, du règlement no 3834/91.

8

A la suite d'un recours introduit par les requérants contre ces bulletins, le Tribunal a, dans son arrêt Chavane de Dalmassy, annulé les bulletins de rémunération des requérants afférents au mois de janvier 1992 pour autant qu'ils faisaient application d'un coefficient correcteur calculé par référence au coût de la vie à Bonn.

9

Au point 56 du même arrêt, il a souligné que le Conseil n'était pas en droit de fixer un coefficient provisoire pour l'Allemagne sur la base du coût de la vie dans une ville autre que la capitale. Il a ajouté que, dans ces conditions, le Conseil aurait dû fixer, d'une part, un coefficient correcteur — le cas échéant provisoire — pour l'Allemagne sur la base du coût de la vie à Berlin et, d'autre part, des coefficients correcteurs spécifiques — le cas échéant également provisoires — pour les différents lieux d'affectation dans ce pays où une distorsion sensible du pouvoir d'achat aurait été constatée par rapport au coût de la vie dans la capitale, Berlin.

10

N'ayant pas fait l'objet d'un pourvoi devant la Cour, cet arrêt est passé en force de chose jugée.

11

A la suite du prononcé de cet arrêt, la Commission a élaboré en date du 9 décembre 1994 une première proposition modifiée de règlement du Conseil [SEC (94) 2024 final] en vue de ľ «adaptation annuelle» des rémunérations et des pensions des fonctionnaires. Elle a ensuite adopté une deuxième proposition de règlement [doc. SEC (94) 2085 final] modifiant la proposition [SEC (91) 1612 final] susmentionnée et visant à fixer, avec effet rétroactif au 1er octobre 1990, un coefficient correcteur général pour l'Allemagne, ainsi que des coefficients correcteurs spécifiques pour Bonn et Karlsruhe.

12

Le Conseil a alors adopté, sur la base de la première proposition modifiée, le règlement no 3161/94, qui porte, entre autres, adaptation des coefficients correcteurs à partir du 1er juillet 1994. L'article 6 de ce règlement portait fixation d'un coefficient correcteur général pour l'Allemagne fondé sur Berlin et d'un coefficient correcteur spécifique applicable aux rémunérations des fonctionnaires et autres agents affectés à Karlsruhe.

13

En application de cette disposition, la Commission a établi les bulletins de rémunération récapitulatifs du personnel affecté à Karlsruhe pour la période comprise entre le 1er juillet et le 31 décembre 1994.

14

Le Conseil n'a réservé aucune suite à la seconde proposition rectificative de la Commission relative à la fixation rétroactive des coefficients correcteurs à compter d'octobre 1990.

15

Le 5 mai 1995, les requérants ont introduit une demande au titre de l'article 90, paragraphe 1, du statut tendant, premièrement, à obtenir l'établissement de leurs bulletins de rémunération depuis le mois de janvier 1992 sur la base du coefficient correcteur légalement applicable, deuxièmement, à faire constater que la Commission avait commis une faute en n'adoptant pas dans un délai raisonnable les mesures qu'exigeait l'arrêt Chavane de Dalmassy en application de l'article 176 du traité CE et, troisièmement, à obtenir le paiement à chaque demandeur d'une somme de 50000 BFR en indemnisation du dommage moral subi.

16

Cette demande a fait l'objet d'une décision implicite de rejet le 5 septembre 1995, soit quatre mois après sa présentation.

17

Le 18 octobre 1995, les requérants ont introduit contre cette décision une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut.

18

A défaut de réponse dans le délai de quatre mois prévu à l'article 90, paragraphe 2, du statut, la réclamation a fait l'objet d'une décision implicite de rejet le 18 février 1996. La Commission a adopté ensuite, le 26 février 1996, une décision explicite de rejet, qui a été notifiée à chaque requérant par lettre type et contre accusé de réception à partir du 11 mars 1996.

Procédure

19

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 mai 1996, les requérants ont introduit le présent recours.

20

Par acte enregistré au greffe du Tribunal le 5 septembre 1996, le Conseil a demandé à intervenir au soutien des conclusions de la partie défenderesse. L'intervention a été admise par ordonnance du président de la troisième chambre du Tribunal du 20 septembre 1996.

21

Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (troisième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a invité les parties à déposer certains documents et à répondre à certaines questions.

22

La procédure orale s'est déroulée le 27 mai 1997. Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal.

Conclusions des parties

23

Les requérants concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

déclarer que la Commission a commis une faute en n'adoptant pas les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt Chavane de Dalmassy;

annuler la décision de rejet de la Commission opposée à la demande des requérants tendant à l'établissement de leurs bulletins de rémunération du mois de janvier 1992;

condamner la Commission à payer à chaque requérant, au titre du dommage moral subi, une somme de 50000 BFR;

condamner la partie défenderesse aux dépens, y compris ceux relatifs à l'intervention du Conseil.

24

La Commission conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

rejeter le recours comme irrecevable et, subsidiairement, comme non fondé;

statuer comme de droit sur les dépens.

25

Le Conseil soutient les conclusions de la Commission.

Sur la recevabilité

Argumentation des parties

26

La Commission estime que le recours introduit par les requérants est irrecevable, dès lors que, premièrement, ce recours procède d'une procédure précontentieuse incorrecte et que, deuxièmement, les requérants n'ont aucun intérêt à agir dans le cas d'espèce.

27

Dans la première branche de son exception, elle fait valoir que le recours est irrecevable au motif que la demande du 5 mai 1995 était soit tardive, soit prématurée.

28

Le recours serait tardif dans la mesure où les requérants auraient déjà dû attaquer leurs bulletins de salaire du mois suivant immédiatement le prononcé de l'arrêt Chavane de Dalmassy. En effet, ces bulletins auraient montré que la Commission n'avait pas pris les mesures impliquées par l'arrêt. Le fait que de nouveaux bulletins n'aient pas été établis serait sans incidence à cet égard.

29

Alternativement, le recours serait prématuré, puisque le Tribunal aurait souligné au point 23 de l'arrêt Chavane de Dalmassy: «[...] bien que le règlement no 3834/91, sur lequel la décision litigieuse est fondée, ait fixé d'une manière provisoire le coefficient correcteur pour l'Allemagne, la Commission ne pourra plus revenir sur cette décision aussi longtemps que le Conseil n'a pas adopté un règlement modifiant, avec effet rétroactif, le règlement no 3834/91». Or, à l'heure actuelle, la Commission serait toujours confrontée à cette impossibilité.

30

Dans la seconde branche de l'exception, la Commission soutient, premièrement, que le présent recours est irrecevable au motif que les requérants n'ont pas été précis sur le point de savoir s'ils concluaient à l'application du coefficient correcteur «Berlin». Elle fait valoir que, dans l'hypothèse où ils ne demanderaient pas cette application, les requérants n'auraient aucun intérêt à agir, dès lors que l'accueil de leur recours aboutirait à l'application d'un coefficient «Karlsruhe», inférieur à celui de Bonn qui leur a été appliqué.

31

Elle souligne, deuxièmement, que la proposition déposée en septembre 1991 par la Commission prévoyait l'application d'un coefficient correcteur pour Karlsruhe avec effet rétroactif au 1er octobre 1990. Les requérants n'auraient donc pas d'intérêt à agir dans la mesure où ils auraient déjà obtenu un avantage pécuniaire certain en continuant à bénéficier jusqu'en 1994 d'un coefficient correcteur calculé par rapport à Bonn, dont le coût de la vie était supérieur à celui de Karlsruhe.

32

Les requérants invoquent à titre préliminaire l'arrêt du Tribunal du 26 juin 1996, De Nil et Impens/Conseil (T-91/95, RecFP p. II-959, point 34), qui a précisé la portée de l'obligation que fait peser l'article 176 du traité sur une institution dont un acte a été annulé par le juge communautaire.

33

Conformément à cet arrêt, la Commission aurait disposé, dans le respect du dispositif et des motifs de l'arrêt d'annulation, d'un pouvoir d'appréciation pour déterminer les mesures requises pour exécuter celui-ci.

34

Elle n'aurait pu ignorer que le Conseil avait certes examiné sa seconde proposition rectificative de règlement de décembre 1994, mais qu'il ne l'avait pas adoptée, sans qu'aucun élément ne permît de justifier le retard pris par le Conseil pour statuer sur cette disposition.

35

Dès lors, à la lumière du dispositif de l'arrêt Chavane de Dalmassy, la situation administrative des requérants resterait irrégulière jusqu'à ce que de nouveaux bulletins de rémunération soient établis pour le mois de janvier 1992 et les mois suivants.

36

Dans ces circonstances, la Commission aurait été tenue, en vertu de l'article 176 du traité, de prendre «toute décision qui [était] de nature à compenser équitablement un désavantage étant résulté pour les intéressés» (arrêt De Nil et Impens/Conseil, précité, point 34). Ainsi, elle aurait pu établir un dialogue avec les requérants en vue de parvenir à un accord offrant à ces derniers une compensation équitable pour l'illégalité constatée par le Tribunal.

Appréciation du Tribunal

37

Le premier argument invoqué au soutien de la première branche de l'exception, selon lequel la procédure précontentieuse aurait été introduite tardivement, ne saurait être accueilli. En effet, l'exécution d'un arrêt d'annulation exigeant l'adoption d'un certain nombre de mesures administratives ne peut s'effectuer de manière immédiate. La Commission dispose d'un «délai raisonnable» pour se conformer à un arrêt annulant une décision prise dans le cadre du traité, même en l'absence d'une disposition expresse à cet égard dans le traité (arrêt de la Cour du 12 janvier 1984, Turner/Commission, 266/82, Rec. p. 1, point 5; arrêts du Tribunal du 27 juin 1991, Stahlwerke Peine-Salzgitter/Commission, T-120/89, p. II-279, point 66, et du 19 mars 1997, Oliveira/Commission, T-73/95, Rec. p. II-381, point 41).

38

Par conséquent, contrairement à ce que soutient la Commission, les requérants, qui avaient obtenu gain de cause dans l'affaire Chavane de Dalmassy, n'étaient pas obligés d'intenter un recours visant à faire constater une violation de l'article 176 du traité immédiatement après le prononcé de l'arrêt d'annulation, c'est-à-dire lors de la notification du premier bulletin de rémunération postérieur au prononcé de cet arrêt. Imposer une telle obligation irait à l'encontre du droit de l'institution dont l'acte est annulé de profiter du «délai raisonnable» susvisé.

39

Par ailleurs, les requérants ont régulièrement introduit une procédure précontentieuse le 5 mai 1995. Ce faisant, non seulement ils ont laissé à la Commission un «délai raisonnable» en vue de se conformer à l'arrêt Chavane de Dalmassy, mais encore ils doivent eux-mêmes être considérés comme ayant introduit le présent recours dans un «délai raisonnable», faisant ainsi preuve de la diligence requise en vue de veiller au respect de leurs droits.

40

Le second argument avancé au soutien de la première branche de l'exception d'irrecevabilité, selon lequel le recours aurait été introduit prématurément, ne peut davantage être accueilli.

41

A cet égard, quand bien même le constat fait au point 23 de l'arrêt Chavane de Dalmassy ferait obstacle à ce que la Commission «revienne sur sa décision» aussi longtemps que le Conseil n'a pas modifié avec effet rétroactif le règlement no 3834/91, l'existence de cette limitation des pouvoirs de la Commission n'implique pas nécessairement, au stade de la recevabilité, l'absence totale de toute marge de manœuvre de la Commission.

42

En effet, en vertu de la jurisprudence, lorsque l'exécution de l'arrêt d'annulation présente des difficultés particulières, l'institution concernée peut satisfaire à l'obligation découlant de l'article 176 du traité en prenant toute décision qui serait de nature à compenser équitablement le désavantage ayant résulté pour les intéressés de la décision annulée. Dans ce contexte, l'autorité investie du pouvoir de nomination peut également établir un dialogue avec eux en vue de chercher à parvenir à un accord leur offrant une compensation équitable de l'illégalité dont ils ont été les victimes (voir arrêt de la Cour du 9 août 1994, Parlement/Meskens, C-412/92 P, Rec. p. I-3757, point 28).

43

Or, cette possibilité laissée à la Commission de compenser équitablement le désavantage des intéressés exclut a priori l'existence sur la seule base du point 23 de l'arrêt Chavane de Dalmassy d'une impossibilité absolue en droit, pour la Commission, d'adopter une quelconque mesure. L'appréciation définitive du caractère fondé de l'action intentée par les requérants sur cette base relevant du fond de l'affaire, on ne saurait donc considérer que le recours des requérants est prématuré.

44

La première branche de l'exception d'irrecevabilité doit ainsi être rejetée.

45

En ce qui concerne le premier argument de la seconde branche de l'exception d'irrecevabilité, il ressort de l'ensemble des conclusions des requérants et de leurs réponses aux questions orales posées par le Tribunal que, malgré la portée quelque peu ambiguë de la réplique à propos de l'objet véritable du recours intenté, ils visent en réalité à obtenir l'application rétroactive du coefficient correcteur «Berlin» à leurs bulletins de rémunération jusqu'en janvier 1992. Dans cette mesure, les requérants doivent également être considérés comme ayant un intérêt au présent litige.

46

En ce qui concerne le second argument présenté au soutien de la seconde branche de l'exception d'irrecevabilité selon lequel les requérants n'auraient pas d'intérêt à agir en raison du fait qu'ils ont continué à bénéficier jusqu'en 1994 d'un coefficient correcteur calculé par rapport à Bonn, c'est-à-dire supérieur à celui de Karlsruhe, il doit être constaté que ce problème relève du fond de la présente affaire. En conséquence, l'appréciation de cet élément de fait sera réalisée ci-après.

47

La seconde branche de l'exception d'irrecevabilité doit dès lors être rejetée dans son ensemble.

48

II s'ensuit que le recours doit être déclaré recevable, sans préjudice de l'application de l'article 44 du règlement de procédure qui sera effectuée ultérieurement.

Sur le fond

49

Les requérants invoquent deux moyens à l'appui de leur recours, tirés respectivement d'une violation de l'article 176 du traité et d'une violation des articles 24, 64 et 65 du statut.

Sur le premier moyen tiré d'une violation de l'article 176 du traité

Argumentation des parties

50

Les requérants estiment que la portée de l'article 176 du traité, telle que précisée dans l'arrêt Parlement/Meskens, précité (points 24 et suivants), obligeait la Commission non seulement à adopter les mesures d'exécution directes qu'exigeait l'arrêt du Tribunal, mais également à réparer le préjudice additionnel résultant de l'acte annulé.

51

Ils évaluent ex aequo et bono à la somme de 50000 BFR le dommage moral que chacun d'eux a subi en raison des fautes successives commises par la Commission. Ils soulignent encore l'état d'incertitude quant à la fixation de leurs droits, dans lequel ils se trouvent depuis le prononcé de l'arrêt concerné.

52

En l'occurrence, ils relèvent que le Tribunal a constaté, dans l'arrêt Chavane de Dalmassy, l'illégalité de leurs bulletins de rémunération de janvier 1992. Or, depuis le prononcé de cet arrêt, la Commission n'aurait toujours pas établi de nouveaux bulletins de rémunération, appliquant un coefficient correcteur calculé par rapport à la capitale du pays d'affectation. L'adoption d'une proposition de règlement par la Commission pourrait, quant à elle, tout au plus être considérée comme une simple mesure préparatoire et non comme une mesure d'exécution de l'arrêt concerné.

53

Par ailleurs, le Conseil n'ayant réservé aucune suite à sa proposition rectificative de règlement, la Commission aurait dû, conformément à l'arrêt Parlement/Meskens, précité, adopter toute mesure de nature à compenser équitablement les préjudices directs et accessoires résultant de l'illégalité constatée par le Tribunal.

54

Enfin, elle n'aurait pu que constater, à défaut de fixation d'un coefficient correcteur spécifique pour Karlsruhe, que les bulletins de rémunération annulés devaient être établis en application des articles 63 et suivants du statut, normes de droit supérieures au règlement du Conseil no 3834/91, en faisant application du coefficient correcteur fixé par le Conseil pour Berlin. Il lui appartiendrait en conséquence d'établir dans un délai raisonnable de nouveaux bulletins de rémunération, dans le respect de ces articles 63 et suivants du statut.

55

La Commission, premièrement, souligne qu'elle a soumis au Conseil une proposition rectificative de règlement actualisant les coefficients correcteurs pour les différents lieux situés en Allemagne pour la période courant de 1990 à 1994. De la sorte, elle aurait agi afin que le Conseil, seule instance pouvant corriger l'illégalité sanctionnée, porte remède à cette illégalité. Elle estime dès lors avoir agi légalement, d'une part, en prenant les initiatives appropriées et, d'autre part, en se conformant aux règlements en vigueur pour ce qui était des modalités de liquidation des traitements de son personnel.

56

La défenderesse, deuxièmement, met en doute le fait que la situation décrite ci-dessus porte préjudice aux requérants. Il ressortirait des données contenues dans la proposition rectificative de règlement précitée que, pour la période courant du 1er janvier 1991 au 1er juillet 1994, à l'exception fort marginale de la période du 1er juillet 1993 au 30 juin 1994, les requérants ont bénéficié du coefficient correcteur «Bonn», supérieur à celui de Karlsruhe qu'ils auraient perçu si le Conseil avait retenu la proposition rectificative de règlement précitée. Par ailleurs, les requérants ne pourraient raisonnablement revendiquer l'application du coefficient correcteur «Berlin», en raison de la différence sensible de coût de la vie entre les deux lieux considérés.

57

La Commission, troisièmement, objecte à l'argument des requérants selon lequel elle aurait dû adopter des mesures visant à compenser équitablement les préjudices résultant de l'illégalité constatée que, en vertu du point 23 de l'arrêt Chavane de Dalmassy, elle n'avait aucune possibilité de revenir sur les décisions du Conseil ayant conduit à l'établissement des bulletins litigieux, en l'absence d'un acte rectificatif du Conseil. En adoptant un comportement différent, elle aurait outrepassé ses pouvoirs.

58

Enfin, un recours en indemnité supposerait la réunion d'un ensemble de conditions en ce qui concerne l'illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l'existence d'un lien de causalité entre le comportement illicite et le préjudice invoqué (arrêts du Tribunal du 9 février 1994, Latham/Commission, T-82/91, RecFP p. II-61, et T-3/92, RecFP p. II-83). Or, les requérants n'auraient pas fait la preuve, en l'espèce, du bien-fondé de leurs revendications ni de la réalité d'un quelconque préjudice.

59

Le Conseil souligne qu'il n'a effectivement pas donné suite aux propositions de la Commission relatives à l'application rétroactive des coefficients correcteurs pour la période courant de 1991 à 1994, mais pour des raisons différentes de celles relatives à la fixation d'un coefficient correcteur spécifique pour Karlsruhe.

Appréciation du Tribunal

60

En cas d'annulation par le juge communautaire d'un acte d'une institution, il incombe à celle-ci, en vertu de l'article 176 du traité, de prendre les mesures appropriées que comporte l'exécution de l'arrêt (arrêt du Tribunal du 15 juillet 1993, Cámara Alloisio e.a./Commission, T-17/90, T-28/91 et T-17/92, Rec. p. II-841, points 78 à 83, et arrêt Parlement/Meskens, précité, point 24). En outre, lorsqu'une réglementation est déclarée illégale, l'adoption ultérieure par l'institution concernée d'une nouvelle réglementation, applicable aux situations futures, laisse subsister pour la partie en cause les effets de l'illégalité commise à son égard par le passé (arrêt du Tribunal du 8 octobre 1992, Meskens/Parlement, T-84/91, Rec. p. II-2335, points 76 à 78).

61

II s'ensuit que la seule adoption du règlement no 3161/94 ne constitue pas, a priori, une exécution suffisante de l'arrêt Chavane de Dalmassy, dans la mesure où ce règlement ne porte pas sur les bulletins de rémunération des fonctionnaires des mois de janvier 1992 à juin 1994 inclus.

62

II convient donc d'examiner dans quelle mesure l'arrêt Chavane de Dalmassy imposait également à la Commission d'adopter des mesures concernant la période courant de janvier 1992 au 1er juillet 1994, date de prise d'effet du règlement no 3161/94.

63

A cet égard, il convient de se référer à la jurisprudence selon laquelle, en exerçant son pouvoir d'appréciation visant à déterminer les mesures appropriées que comporte l'exécution d'un arrêt d'annulation au regard de l'article 176 du traité, l'autorité administrative doit respecter aussi bien les dispositions du droit communautaire que le dispositif et les motifs de l'arrêt qu'elle est tenue d'exécuter (arrêts du Tribunal, Meskens/Parlement, précité, point 74, et du 27 octobre 1994, Mancini/Commission, T-508/93, RecFP p. II-761, point 51).

64

Or, le point 56 de l'arrêt Chavane de Dalmassy énonce clairement que le Conseil n'était pas en droit, au vu du principe énoncé à l'annexe XI du statut, de fixer un coefficient provisoire pour l'Allemagne sur la base du coût de la vie dans une ville autre que la capitale. Il précise que, dans ces conditions, le Conseil aurait dû fixer, d'une part, un coefficient correcteur — le cas échéant provisoire — pour l'Allemagne sur la base du coût de la vie à Berlin et, d'autre part, des coefficients correcteurs spécifiques — le cas échéant également provisoires — pour les différents lieux d'affectation dans ce pays où une distorsion sensible du pouvoir d'achat aurait été constatée par rapport au coût de la vie dans la capitale, Berlin.

65

C'est dès lors à la lumière de cette double obligation qu'il convient d'examiner l'argumentation développée par les requérants. Or, il ressort de la formulation du point 56 susvisé que le Tribunal a considéré ces deux obligations comme intimement liées.

66

La nécessité d'une interdépendance entre ces deux obligations est confirmée, d'une part, par le principe de l'équivalence du pouvoir d'achat, puisqu'il est constant que le coût de la vie à Karlsruhe est considérablement moins élevé qu'à Berlin (voir arrêt du Tribunal du 11 décembre 1996, Barraux e.a./Commission, T-177/95, RecFP p. II-1451, point 53) et, d'autre part, par le fait que les deux propositions faites par la Commission visant à adapter rétroactivement jusqu'en 1990 les coefficients correcteurs comportaient l'adoption d'un coefficient correcteur général fondé sur Berlin et la création d'un coefficient correcteur spécifique pour la ville de Karlsruhe.

67

II est en outre établi que la Commission possédait déjà, tant au moment de la présentation de la première proposition de règlement comportant adaptation rétroactive du coefficient correcteur «Berlin» jusqu'en 1990, datée du 4 septembre 1991 [doc. SEC (91) 1612 final], que plus tard, lors de la présentation de la deuxième proposition datée de décembre 1995 [doc. SEC (94) 2085 final], tous les éléments nécessaires établissant l'existence d'une distorsion sensible du pouvoir d'achat à Karlsruhe par rapport au coût de la vie à Berlin en vue de la détermination d'un coefficient correcteur spécifique pour cette ville.

68

Dans ces conditions, il doit être constaté que, dans l'hypothèse où le Conseil aurait adopté le coefficient correcteur «Berlin» antérieurement à l'adoption du règlement no 3161/94, il aurait été obligé d'adopter également un coefficient correcteur spécifique pour Karlsruhe, conformément au point 56 de l'arrêt Chavane de Dalmassy, en utilisant les données statistiques nécessaires dont il disposait à cette époque.

69

II découle de l'ensemble de ces considérations que les requérants ne sauraient invoquer l'application à leur profit de l'une des deux obligations connexes susmentionnées sans également tenir compte pour la détermination de l'étendue de leurs droits du contenu de la seconde obligation imposée au Conseil.

70

Or, en demandant l'application à leurs bulletins de rémunération du coefficient correcteur «Berlin», les requérants requièrent de la Commission qu'elle remplisse la première des obligations visées au point 56 de l'arrêt Chavane de Dalmassy, en faisant abstraction de la seconde. Ils exigent ainsi de la Commission qu'elle viole l'interdépendance des deux obligations constatée par le Tribunal.

71

Dans ces circonstances, la demande des requérants exigeant de la Commission que, jusqu'en janvier 1992, elle affecte rétroactivement leurs bulletins de rémunération du coefficient correcteur «Berlin» impliquerait que cette institution soit obligée de violer le dispositif de l'arrêt Chavane de Dalmassy, tel qu'éclairé par son point 56. Une telle exigence excède manifestement les droits que les requérants tiennent de l'article 176 du traité.

72

Les requérants ont relevé par ailleurs que le Conseil, n'ayant réservé aucune suite à la proposition rectificative de règlement de la Commission, celle-ci aurait dû, conformément à l'arrêt Meskens/Parlement, précité (points 79 et suivants), prendre toute mesure de nature à compenser équitablement les préjudices directs et accessoires résultant de l'illégalité constatée par le Tribunal.

73

A ce sujet, la jurisprudence (voir arrêt Parlement/Meskens, précité, point 28), précise que, lorsque l'exécution de l'arrêt d'annulation présente des difficultés particulières, l'institution concernée peut satisfaire à l'obligation découlant de l'article 176 du traité en prenant toute décision qui serait de nature à compenser équitablement un désavantage ayant résulté pour les intéressés de la décision annulée.

74

Or, il ressort clairement du point 23 de l'arrêt Chavane de Dalmassy, cité ci-dessus, que la Commission était dans l'incapacité, en l'absence d'adoption d'un acte réglementaire par le Conseil, d'appliquer à la rémunération des requérants un coefficient correcteur différent de celui imposé par la réglementation en vigueur. Cette incapacité constituait incontestablement une «difficulté particulière» d'exécution de l'arrêt Chavane de Dalmassy, qui obligeait la Commission à adopter des mesures de nature à compenser équitablement un éventuel désavantage subi par les requérants.

75

Toutefois, la jurisprudence subordonne l'adoption de telles mesures compensatoires à la condition que les requérants aient subi un «désavantage». Or, il n'est pas contesté que les requérants ont globalement obtenu au cours de la période courant de janvier 1992 au 1er juillet 1994 l'application à leur rémunération d'un coefficient correcteur supérieur à celui qu'ils auraient obtenu si le Conseil avait déjà précédemment modifié la réglementation en vigueur. En l'absence de démonstration par les requérants de l'existence d'un quelconque désavantage, la Commission n'était pas dans l'obligation d'adopter des mesures compensatoires telles que prévues par la jurisprudence. Par suite, la Commission n'a pas violé les obligations qui découlaient pour elle, en vertu de l'article 176 du traité, de l'arrêt Chavane de Dalmassy.

76

II y a lieu de relever que la décision de rejet du 26 février 1996 de la Commission se fonde en substance (p. 4 et 5) sur le raisonnement élaboré ci-dessus par le Tribunal. Dès lors, il convient également de rejeter le recours dans la mesure où il viserait à l'annulation de cette décision de rejet.

77

Les requérants ont enfin allégué que l'article 176 du traité, tel qu'interprété par l'arrêt Parlement/Meskens, précité (points 24 et suivants) obligeait la Commission non seulement à prendre des mesures d'exécution directes, mais également à réparer le préjudice additionnel résultant de l'acte annulé, sous réserve que les conditions de l'article 215, deuxième alinéa, du traité fussent remplies.

78

L'unique explication qu'ils fournissent à propos de leur demande en réparation figure au point 73 de leur requête: «Les requérants évaluent, ex aequo et bono, le dommage moral que chacun d'eux subit en raison des fautes successives commises par la Commission à la somme de 50000 BFR.» Ils soulignent encore, en termes généraux, leur état d'incertitude quant à la fixation de leurs droits.

79

A cet égard, il est de jurisprudence constante que, selon l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure, une requête doit indiquer l'objet du litige et l'exposé sommaire des moyens invoqués. Pour satisfaire à ces exigences, une requête visant à la réparation de dommages causés par une institution communautaire doit contenir des éléments qui permettent d'identifier, notamment, le préjudice que le requérant prétend avoir subi ainsi que le caractère et l'étendue de ce préjudice. Par ailleurs, la violation dudit article 44, paragraphe 1, sous c), compte parmi les fins de non-recevoir que le Tribunal peut soulever d'office, à tout stade de la procédure, en vertu de l'article 113 du règlement de procédure (arrêt du Tribunal du 13 décembre 1995, Exporteurs in Levende Varkens e.a./Commission, T-481/93 et T-484/93, Rec. p. II-2941, points 75 et 76).

80

Force est de constater que le recours en indemnité des requérants ne répond pas aux conditions imposées par l'article 44, paragraphe 1, sous c), du règlement de procédure.

81

Dans ces circonstances, les conclusions en indemnité fondées sur un prétendu préjudice additionnel s'ajoutant au fait que les requérants n'ont pas vu leurs bulletins de rémunération affectés du coefficient correcteur «Berlin» sont irrecevables.

Sur le second moyen tiré de la violation des articles 24, 64 et 65 du statut

Argumentation des parties

82

Les requérants estiment, dans une première branche de leur second moyen, que la Commission était tenue de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt Chavane de Dalmassy conformément, premièrement, au devoir de sollicitude prévu à l'article 24 du statut et précisé au point 18 de l'arrêt de la Cour du 23 octobre 1986, Schwiering/Cour des comptes (321/85, Rec. p. 3199), ainsi que, deuxièmement, à son obligation de soumettre au Conseil des propositions en cas de variation sensible du coût de la vie ou en cas de constatation d'une distorsion sensible du pouvoir d'achat dans un lieu d'affectation déterminé, telle qu'énoncée aux articles 64 et 65 du statut et à l'article 9 de l'annexe XI de ce statut.

83

Ils constatent, dans une deuxième branche de leur moyen, que les propositions faites par la Commission à la suite de l'arrêt Chavane de Dalmassy prévoyaient la fixation d'un coefficient correcteur pour Karlsruhe avec effet rétroactif. Or, une telle fixation aurait constitué une nouvelle faute de service dans la mesure où elle aurait eu pour conséquence de réduire rétroactivement la rémunération à laquelle les requérants auraient eu droit sur la base du coefficient correcteur calculé par référence à la capitale Berlin.

84

Dans une troisième branche du moyen, invoquée à titre subsidiaire, les requérants estiment que la Commission a également commis une faute et violé son devoir d'assistance, prévu à l'article 24 du statut, en ne soumettant pas à la censure du juge communautaire, premièrement, la légalité du règlement no 3161/94, dans la mesure où, en violation de l'article 176 du traité, il n'avait prévu aucune disposition rétroactive avec effet au mois de janvier 1992 et, deuxièmement, la légalité du règlement no 3834/91, ce qui leur aurait évité de devoir introduire le recours ayant donné lieu à l'arrêt Chavane de Dalmassy.

85

La Commission souligne, en ce qui concerne la première branche du moyen, que si le devoir de sollicitude reflète l'équilibre des droits et obligations réciproques que le statut a créés entre l'autorité publique et ses agents la prétention des requérants à l'établissement de nouveaux bulletins de rémunération constitue par contre un abus de droit caractérisé, dans la mesure où elle va à l'encontre du principe fondamental de l'équivalence du pouvoir d'achat des fonctionnaires.

86

Elle soutient par ailleurs que la finalité des coefficients correcteurs est de garantir le maintien d'un pouvoir d'achat équivalent pour tous les fonctionnaires, conformément au principe d'égalité de traitement. Or, puisque les données statistiques relatives au site de Karlsruhe étaient disponibles à l'époque, elle n'aurait pu que proposer avec effet rétroactif la fixation d'un coefficient correcteur spécifique, dès lors qu'elle proposait d'établir le coefficient correcteur de l'Allemagne sur la base de Berlin.

87

Dans la deuxième branche du moyen, les requérants ne pourraient pas non plus tirer argument du fait que la fixation d'un coefficient correcteur spécifique avec effet rétroactif aurait eu pour conséquence de réduire rétroactivement leur rémunération, dans la mesure où d'éventuelles différences à la baisse n'auraient pas fait l'objet de récupération à leur dépens, puisqu'ils avaient perçu de bonne foi les montants liquidés auparavant.

88

En ce qui concerne la troisième branche du moyen, l'absence de contestation du règlement no 3161/94 devant le juge communautaire n'aurait pas porté préjudice aux requérants, dans la mesure où le coefficient correcteur «Bonn» était plus important que celui proposé pour Karlsruhe, tout au long de la période concernée.

89

Le Conseil souligne que l'argumentation des requérants relative à la faute qu'aurait commise la Commission en n'attaquant pas le règlement no 3161/94 méconnaît les différentes voies de recours offertes par le traité. En effet, la Commission disposerait d'un large pouvoir d'appréciation pour décider de l'opportunité d'engager un recours en carence contre l'abstention du Conseil d'adopter une de ses propositions, ce qui exclurait tout droit d'un particulier d'obtenir d'elle qu'elle se décide dans un sens donné (voir, notamment, arrêts du Tribunal du 9 janvier 1996, Koelman/Commission, T-575/93, Rec. p. II-1, point 71, et du 22 mai 1996, AITEC/Commission, T-277/94, Rec. p. II-351, points 58 et suivants).

Appréciation du Tribunal

90

En vertu d'une jurisprudence constante, le devoir de sollicitude de l'administration à l'égard de ses agents reflète l'équilibre des droits et des obligations réciproques que le statut a créés dans les relations entre l'autorité publique et les agents du service public. Cependant, la protection des droits et des intérêts des fonctionnaires doit toujours trouver sa limite dans le respect des normes en vigueur (arrêts du Tribunal du 16 mars 1993, Blackman/Parlement, T-33/89 et T-74/89, Rec. p. II-249, point 96, et du 30 juin 1993, Devillez e.a./Parlement, T-46/90, Rec. p. II-699, points 37 et 38).

91

II est donc exclu que des fonctionnaires se fondent sur le devoir de sollicitude des institutions pour prétendre à des avantages auxquels s'opposent les dispositions de l'arrêt sur lequel leur recours est fondé. De même que l'invocation du devoir de sollicitude à l'encontre d'une institution ne saurait amener celle-ci à violer une norme législative, le devoir de sollicitude ne saurait imposer à cette institution de violer le dispositif d'un arrêt du Tribunal, comme l'arrêt Chavane de Dalmassy, passé en force de chose jugée, tel qu'il est éclairé par la motivation qu'il contient.

92

Le moyen des requérants relatif à une violation du devoir de sollicitude doit dès lors être rejeté.

93

En ce qui concerne l'allégation des requérants selon laquelle la Commission aurait été tenue d'appliquer à leurs bulletins de rémunération le coefficient «Berlin» en vertu de son obligation de soumettre au Conseil des propositions en cas de variation sensible du coût de la vie ou en cas de constatation d'une distorsion sensible du pouvoir d'achat dans un lieu d'affectation déterminé, il suffit de rappeler (voir ci-dessus) que, indépendamment de l'existence d'une telle obligation, le Conseil aurait également été obligé d'adopter un coefficient correcteur spécifique «Karlsruhe» s'il avait adopté un coefficient correcteur «Berlin».

94

En conséquence, l'éventuelle existence de l'obligation susmentionnée n'aurait pas conduit, en tout état de cause, à appliquer aux bulletins de rémunération des requérants le coefficient correcteur «Berlin».

95

Dans ces conditions, la première branche du moyen doit être rejetée.

96

En ce qui concerne la deuxième branche, relative au caractère illégal d'une éventuelle réduction rétroactive des rémunérations des requérants lors de la modification de la réglementation applicable, il convient de se référer à l'arrêt Barraux e.a./Commission, précité (point 43), selon lequel des requérants ne sauraient prétendre que le Conseil ne peut accorder un effet rétroactif à la fixation d'un nouveau coefficient correcteur que dans le cas où celui-ci conduit à une augmentation des rémunérations déjà perçues, car aucune disposition statutaire ne contient cette limitation.

97

Dans des circonstances comme celles de l'espèce, le Conseil était donc a priori en droit de réduire rétroactivement les rémunérations des requérants.

98

II en résulte que la deuxième branche du moyen doit également être rejetée.

99

En ce qui concerne la troisième branche, selon laquelle la Commission aurait commis une faute et violé son devoir d'assistance en ne soumettant pas à la censure du juge communautaire la légalité des règlements nos 3161/94 et 3834/91, le Conseil a souligné à juste titre que, dans l'hypothèse où la Commission considère que le Conseil a illégalement omis d'adopter une de ses propositions, elle peut introduire un recours en carence contre lui.

100

II est d'autre part établi que les institutions communautaires disposent, sous le contrôle du juge communautaire, d'un pouvoir d'appréciation dans le choix des mesures et moyens à mettre en œuvre en vue de remplir leur devoir d'assistance (voir, notamment, arrêts du Tribunal du 26 octobre 1993, Caronna/Commission, T-59/92, Rec. p. II-1129, points 64 et 65, et du 11 octobre 1995, Baltsavias/Commission, T-39/93 et T-553/93, RecFP p. II-695, point 59).

101

Dès lors que la Commission dispose de ce pouvoir d'appréciation, un particulier ne saurait l'obliger à engager un recours en carence, c'est-à-dire l'obliger à agir dans un sens déterminé, sans mettre en danger la marge de manœuvre propre au pouvoir d'appréciation de la Commission en cette matière (voir, en ce sens, arrêt Koelman/Commission, précité, point 71).

102

Le Tribunal a également précisé dans son arrêt AITEC/Commission, précité (points 58 et suivants) que, dans la mesure où la décision de saisir la Cour est un acte préparatoire interne de la Commission n'ayant pas de destinataire potentiel, des particuliers ne sont pas recevables à exiger d'elle, par le biais d'un recours en carence, qu'elle introduise un tel recours.

103

Le devoir d'assistance prévu à l'article 24 du statut ne saurait donc être invoqué par les requérants pour obliger la Commission à introduire un recours en carence contre une autre institution.

104

La troisième branche du moyen doit dès lors être rejetée.

105

Dans la mesure où les conclusions en indemnité formulées par les requérantes visent à compenser un dommage subi en raison d'une violation des articles 24, 64 et 65 du statut, elles doivent être considérées comme irrecevables pour les motifs énoncés aux points 77 à 81 ci-dessus.

Sur les dépens

106

Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. Toutefois, selon l'article 88 du même règlement, dans les litiges entre les Communautés et leurs agents, les frais exposés par les institutions restent à la charge de celles-ci.

107

Conformément à l'article 87, paragraphe 4, du règlement de procédure, les institutions intervenantes à un litige supportent leurs dépens.

180

En application de ces dispositions, chaque partie supportera ses propres dépens.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête:

 

1)

Le recours est rejeté.

 

2)

Chaque partie supportera ses propres dépens.

 

Vesterdorf

Briët

Potocki

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 10 juillet 1997.

Le greffier

H. Jung

Le président

B. Vesterdorf


( *1 ) Langue de procédure: le français.

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