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Document 61995TJ0091

Az Elsőfokú Bíróság (második tanács) június 26.-i ítélete: 1996.
Lieve de Nil és Christiane Impens kontra az Európai Unió Tanácsa.
Tisztviselők.
T-91/95. sz. ügy

ECLI identifier: ECLI:EU:T:1996:92

61995A0091

Arrêt du Tribunal de première instance (deuxième chambre) du 26 juin 1996. - Lieve de Nil et Christiane Impens contre Conseil de l'Union européenne. - Fonctionnaires - Concours interne dit de 'revalorisation' - Mesures d'exécution d'un arrêt d'annulation - Article 176 du traité CE - Nouvelles épreuves - Reclassement - Non-rétroactivité - Préjudices matériel et moral - Indemnisation. - Affaire T-91/95.

Recueil de jurisprudence - fonction publique 1996 page IA-00327
page II-00959


Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Parties


++++

Dans l'affaire T-91/95,

Lieve de Nil, fonctionnaire du Conseil de l'Union européenne, demeurant à Wolvertem (Belgique)

et

Christiane Impens, fonctionnaire du Conseil de l'Union européenne, demeurant à Bruxelles,

représentées par Mes Jean-Noël Louis, Thierry Demaseure et Ariane Tornel, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de la fiduciaire Myson SARL, 1, rue Glesener,

parties requérantes,

contre

Conseil de l'Union européenne, représenté par MM. Yves Crétien, conseiller juridique, et Diego Canga Fano, membre du service juridique, en qualité d'agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. Bruno Eynard, directeur général de la direction des affaires juridiques de la Banque européenne d'investissement, 100, boulevard Konrad Adenauer,

partie défenderesse,

ayant pour objet en ce qui concerne chacune des requérantes, d'une part, une demande d'annulation de la décision du Conseil du 15 juin 1994 et, au besoin, de la décision du Conseil du 9 juin 1994, portant respectivement rejet explicite et rejet implicite de la demande d'indemnisation du préjudice subi du fait de mesures insuffisantes d'exécution, par le Conseil, de l'arrêt du Tribunal du 11 février 1993, Raiola-Denti e.a./Conseil (T-22/91, Rec. p. II-69), ainsi que de la décision du Conseil du 4 janvier 1995, portant rejet explicite de la réclamation subséquente et, d'autre part, une demande de condamnation du Conseil à lui payer 500 000 BFR pour préjudice matériel et 1 écu symbolique pour préjudice moral,

LE TRIBUNAL DE PREMIÈRE INSTANCE DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

(deuxième chambre),

composé de MM. H. Kirschner, président, C. W. Bellamy et A. Kalogeropoulos, juges,

greffier: M. H. Jung,

vu la procédure écrite et à la suite de la procédure orale du 21 mars 1996,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


Faits et procédure

1 Le 26 octobre 1990, le Conseil a publié, dans une communication au personnel n_ 100/90, l'avis de concours interne B/228, visant à pourvoir à quinze emplois d'assistants adjoints de grade B 5 en permettant à des fonctionnaires de grade C 1 d'obtenir la «revalorisation» de leur emploi à ce grade. L'avis de concours, sur titres et épreuves orales, prévoyait que les candidats devaient avoir exercé au sein de l'institution, depuis au moins trois ans, des tâches de responsabilité en vue de la «gestion propre» d'un domaine d'activité et justifier d'une ancienneté globale auprès des Communautés européennes d'au moins six ans. Cet avis précisait que, compte tenu de la nature du concours en question, il ne serait pas établi de liste de réserve, le nombre de lauréats ne devant pas dépasser le nombre des quinze emplois à revaloriser de la catégorie C à la catégorie B pour l'année 1990.

2 Les requérantes, à l'époque fonctionnaires du Conseil de grade C 1, ont été admises aux épreuves du concours, par communication individuelle du 4 décembre 1990. N'ayant pas été inscrites par le jury sur la liste d'aptitude de ce concours, le 13 avril 1991, elles ont introduit, avec sept autres intéressées, un recours en annulation contre les décisions du jury «postérieures aux décisions d'admission aux épreuves du concours» ou, «à tout le moins, les décisions du jury de ne pas reclasser leur emploi en catégorie B». Par arrêt du 11 février 1993, Raiola-Denti e.a./Conseil (T-22/91, Rec. p. II-69), le Tribunal a jugé que les épreuves ne s'étaient pas déroulées conformément à l'avis de concours B/228 parce que le jury avait violé cet avis et vidé de sa substance l'épreuve linguistique prévue. Le Tribunal a en conséquence annulé «les opérations ayant suivi les décisions d'admission des candidats aux épreuves du concours interne B/228 [...]».

3 A la suite de cet arrêt, passé en force de chose jugée, le Conseil a décidé, d'une part, de maintenir les décisions de reclassement adoptées au profit des quinze lauréats du concours B/228, avec effet au 1er janvier 1991, et, d'autre part, de publier, le 1er septembre 1993, un avis de concours interne B/228 bis visant à pourvoir à six emplois d'assistants adjoints de grade B 5 par voie de revalorisation d'emplois de grade C 1. La nature et les modalités de cotation des épreuves du concours B/228 bis étaient identiques à celles du concours B/228. Selon l'avis de concours B/228 bis, pouvaient être admis à participer aux épreuves les candidats qui, par communication individuelle du 4 décembre 1990, avaient déjà été admis à participer aux épreuves du concours B/228. Les fonctionnaires concernés étaient priés de confirmer par écrit leur participation au concours B/228 bis avant le 15 octobre 1993. L'avis de concours précisait en outre que, lors des épreuves, chaque candidat serait confronté «à la description détaillée des fonctions qu'il [avait] fournies en annexe de son acte de candidature» au concours B/228 et que les dossiers déposés par les candidats en vue de leur participation à ce concours seraient transmis au jury du concours B/228 bis par les soins de la direction du personnel et de l'administration.

4 Les requérantes ont confirmé dans le délai imparti leur participation au concours B/228 bis et, après le déroulement des épreuves, ont été inscrites sur la liste d'aptitude. Le poste de chacune d'elles a été reclassé au grade B 5, avec effet au 1er janvier 1994.

5 Les requérantes ont cependant estimé que, malgré ce reclassement, le Conseil devait être considéré comme n'ayant pas, en fait, adopté les mesures de nature à réparer le préjudice qui leur avait été causé par le refus du jury du concours B/228 de les inscrire sur la liste d'aptitude de ce concours, dans la mesure où ce refus les avait privées d'un reclassement avec effet au 1er janvier 1991.

6 Le 9 février 1994, les requérantes ont en conséquence introduit une demande fondée sur l'article 90, paragraphe 1, du statut des fonctionnaires des Communautés européennes (ci-après «statut»), tendant à l'indemnisation du préjudice qu'elles auraient subi du fait de l'adoption de cette décision irrégulière du jury du concours B/228. Elles ont invité l'autorité investie du pouvoir de nomination (ci-après «AIPN») à «constater que les fautes successives commises par le jury du concours B/228 leur ont causé un préjudice tant moral que matériel». Elles lui ont demandé de payer, à chacune d'elles, en indemnisation des dommages moral et matériel confondus, une somme forfaitaire de 500 000 BFR, et de leur rembourser tous les frais exposés dans le cadre de la nouvelle procédure précontentieuse introduite.

7 Cette demande a fait l'objet d'un rejet implicite, acquis le 9 juin 1994, puis d'une décision explicite de rejet notifiée aux requérantes par note du 15 juin 1994 du directeur du personnel et de l'administration.

8 Le 6 septembre 1994, les requérantes ont introduit, contre la décision de rejet de leur demande, une réclamation au titre de l'article 90, paragraphe 2, du statut. Elles ont conclu à ce qu'il plaise à l'AIPN: «retirer sa décision, notifiée par lettre du 15 juin 1994, du directeur du personnel et de l'administration, portant rejet de leur demande de réparer le préjudice résultant de l'acte illégal annulé [et,] en conséquence, établir avec elles un dialogue en vue de rechercher un accord quant à la détermination de la compensation équitable à laquelle elles ont droit en réparation du préjudice additionnel tant matériel que moral qui résulte de l'acte illégal annulé, leur payer 1 écu symbolique en indemnisation du dommage moral résultant du refus de l'AIPN d'adopter les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt du Tribunal du 11 février 1993 et de la faute de service que constitue la décision portant rejet de leur demande d'indemnisation».

9 Le 4 janvier 1995, l'AIPN a pris une décision explicite de rejet de la réclamation.

10 C'est dans ces circonstances que, par requête déposée au greffe du Tribunal le 29 mars 1995, les requérantes ont introduit le présent recours.

11 Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (deuxième chambre) a décidé d'ouvrir la procédure orale et a invité les requérantes et le Conseil à déposer certains documents et à répondre à certaines questions écrites.

12 Lors de l'audience du 21 mars 1996, les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal.

Conclusions des parties

13 Les requérantes concluent à ce qu'il plaise au Tribunal:

- annuler la décision du Conseil du 15 juin 1994 portant rejet explicite de la demande d'indemnisation du préjudice additionnel subi et, pour autant que de besoin, les décisions du Conseil du 9 juin 1994 et du 4 janvier 1995;

- condamner le Conseil au paiement d'une somme de 500 000 BFR à chaque requérante, à titre d'indemnisation du dommage matériel subi, et au paiement de 1 écu symbolique à chaque requérante en indemnisation du dommage moral subi;

- condamner le Conseil aux dépens.

14 Le Conseil conclut à ce qu'il plaise au Tribunal:

- rejeter le recours et les demandes d'indemnisation qu'il contient;

- condamner les requérantes aux dépens.

Sur le fond

Exposé sommaire de l'argumentation des parties

15 Les requérantes invoquent une violation de l'article 176 du traité CE, ainsi que des articles 24 du statut et 215, deuxième alinéa, du traité.

16 Elles rappellent que, en vertu de l'article 176 du traité, l'institution dont émane l'acte annulé, ou dont l'abstention a été déclarée contraire au traité, est tenue de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt d'annulation et que cette obligation ne préjuge pas celle qui peut résulter de l'application de l'article 215, deuxième alinéa.

17 Elles soulignent que la portée de cette disposition a été précisée par la Cour dans son arrêt du 9 août 1994, Parlement/Meskens (C-412/92 P, Rec. p. I-3757, point 24), selon lequel l'article 176 du traité impose, hormis l'obligation pour l'administration de prendre les mesures que comporte l'exécution de l'arrêt de la Cour, celle de réparer le préjudice additionnel qui résulte éventuellement de l'acte illégal annulé, sous réserve que les conditions de l'article 215, deuxième alinéa, du traité soient remplies, sans que cette réparation du préjudice soit subordonnée à l'existence d'une faute nouvelle distincte de l'acte illégal d'origine annulé, dès lors que le préjudice qui résulte de cet acte persiste après son annulation et l'exécution par l'administration de l'arrêt d'annulation. Elles prétendent que, selon ce même arrêt (point 28), lorsque l'exécution d'un arrêt d'annulation présente des difficultés particulières, l'institution défenderesse peut satisfaire à l'obligation découlant de l'article 176 du traité, en prenant toutes décisions qui seraient de nature à compenser équitablement le désavantage ayant résulté de la décision annulée et, dans ce contexte, établir un dialogue avec l'intéressé, en vue de chercher à parvenir à un accord offrant à ce dernier une compensation de l'illégalité dont il a été victime.

18 Elles soulignent que le jury du concours B/228 bis les a finalement inscrites sur la liste d'aptitude de ce concours sur la base des mêmes dossiers que ceux du concours B/228, après avoir constaté qu'elles avaient effectivement contribué par leurs prestations à la revalorisation de leur emploi de grade C 1 en un emploi de la catégorie B et que, en conséquence, leur emploi a été reclassé au grade B 5 avec effet au 1er janvier 1994. Elles en déduisent que ce sont les irrégularités commises par le jury du concours B/228 qui les ont privées illégalement d'une chance d'être inscrites sur la liste d'aptitude de ce concours et, dès lors, d'une chance de reclassement de leur emploi au grade B 5 en 1990 ou, au plus tard, en 1991.

19 D'après elles, elles n'ont pas à démontrer que les irrégularités du concours B/228 ont été la cause de leur échec à ce concours, dans la mesure où, en vertu d'une jurisprudence constante, un jury est tenu de respecter la nature et les conditions de déroulement des épreuves telles que prévues dans l'avis de concours. Les requérantes précisent qu'elles ne soutiennent pas qu'elles avaient acquis un droit à être inscrites sur la liste d'aptitude du concours B/228, mais que, en tant que candidates admises aux épreuves du concours B/228, elles avaient le droit d'être jugées sur des épreuves orales conformes à l'avis de concours quant à leur nature et à leur cotation. En violant ce droit des requérantes, le jury du concours B/228 leur aurait causé un dommage que le Conseil doit réparer.

20 En l'espèce, le Conseil n'aurait donc pas satisfait à ses obligations découlant de l'article 176 du traité. Les effets des irrégularités commises par le jury du concours B/228 à leur égard auraient été maintenus, malgré l'organisation du concours B/228 bis et la revalorisation de leur poste au grade B 5 avec effet au 1er janvier 1994. A partir du moment où le Conseil avait décidé de maintenir les reclassements opérés à la suite du concours B/228 et d'organiser un nouveau concours en faveur des candidats non inscrits sur la liste d'aptitude, il aurait dû, afin de compenser complètement tous les désavantages qui étaient résultés pour elles des irrégularités du concours B/228, les nommer rétroactivement au grade B 5 à la date de reclassement à ce grade des lauréats du concours B/228. A l'appui de cette prétention, les requérantes soulignent que dès lors que le concours B/228 était un concours interne de revalorisation dont la liste d'aptitude ne devait pas comporter plus de lauréats que de postes à revaloriser du grade C 1 au grade B 5, les lauréats de ce concours n'auraient pas eu une simple vocation au reclassement de leur poste, mais un droit à être nommés fonctionnaires de grade B 5 à l'un des quinze emplois à reclasser.

21 Lors de l'audience, les requérantes ont contesté l'argument du Conseil selon lequel la rétroactivité de leur reclassement n'était pas possible aux motifs que, en raison de sa nature, le concours B/228 était définitivement clôturé avec le reclassement de ses lauréats et que, par suite, le concours B/228 bis constituait un nouveau concours et non pas une réouverture du concours B/228. Elles soulignent à cet égard que la décision de ne pas rouvrir les opérations annulées du concours B/228 a été adoptée par le Conseil lui-même, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, de sorte que rien ne l'empêchait de décider d'accorder la rétroactivité des reclassements des lauréats du concours B/228 bis. Selon elles, accorder la rétroactivité demandée était du reste possible, cinq des six postes budgétaires à revaloriser à la suite du concours B/228 bis étant de l'année 1991 et un seul de l'année 1993.

22 En ce qui concerne le préjudice subi, les requérantes font valoir que, au mois de décembre 1994, sur les quinze lauréats du concours B/228 reclassés au grade B 5 au 1er janvier 1991, cinq avaient été promus au grade B 3, huit au grade B 4, tandis que deux seulement n'avaient pas encore été promus. En réponse à une question écrite du Tribunal et lors de l'audience, elles ont fait savoir que, à la date du 1er janvier 1996, sur les quinze lauréats du concours B/228, onze avaient été promus au grade B 3, dont trois sont, en 1996, susceptibles d'être promus au grade B 2, alors que les quatre autres avaient été promus au grade B 4, dont trois sont susceptibles d'être promus au grade B 3. Dans ces conditions, leur préjudice consisterait d'abord en une perte de trois ans d'ancienneté au grade B 5. Il consisterait ensuite en un préjudice futur mais certain, lié à une diminution sensible, depuis leur reclassement effectif, de leurs chances d'obtenir une promotion rapide au grade B 4, puis au grade B 3, compte tenu des restrictions budgétaires intervenues depuis 1991.

23 Les requérantes estiment avoir également subi un préjudice moral. L'appréciation négative, inexacte, de leurs capacités, portée par les décisions annulées du jury, blessante en elle-même, aurait connu une diffusion considérable au sein de l'institution défenderesse (arrêt de la Cour du 7 février 1990, Culin/Commission, C-343/87, Rec. p. I-225, points 27 à 29). Le fait de ne pas les avoir inscrites sur la liste des lauréats démontrerait en effet que le jury du concours B/228 a considéré irrégulièrement qu'elles n'avaient pas contribué, par leurs prestations, à revaloriser leur poste de grade C 1 en un poste de grade B 5. Les irrégularités commises par le jury auraient ainsi, à tout le moins, accrédité l'idée que les prestations des requérantes étaient inférieures à celles des quinze lauréats du concours B/228.

24 De plus, les requérantes auraient été contraintes à se préparer pour les épreuves du concours B/228 bis et de consacrer à cette préparation un temps qu'elles auraient pu consacrer à leur famille ou à leurs loisirs, subissant ainsi un stress supplémentaire constitutif, lui-même, d'un préjudice moral.

25 Enfin, les décisions de l'AIPN, portant rejet de leur demande et de leur réclamation subséquente, auraient constitué de nouvelles fautes de service, commises en violation de l'article 176 du traité, qui leur auraient causé un nouveau préjudice moral.

26 Les requérantes, ex aequo et bono, évaluent le dommage subi à la somme forfaitaire de 500 000 BFR, correspondant à la rémunération supplémentaire qui leur aurait été versée si elles avaient été reclassées au grade B 5 en 1991 et si leur candidature avait pu être prise en considération, dans les délais statutaires, pour une promotion au grade B 4 et, ensuite, au grade B 3. Elles évaluent à 1 écu symbolique le dommage moral résultant de l'acte illégal annulé et du refus illégal de l'AIPN de réparer le préjudice subi.

27 Le Conseil explique que, en vue d'exécuter l'arrêt Raiola-Denti e.a./Conseil tout en conciliant, d'une part, les intérêts des candidats désavantagés par les irrégularités du concours B/228 et, d'autre part, les intérêts des lauréats de celui-ci, l'AIPN a décidé de ne pas remettre en cause les reclassements intervenus et de rétablir les candidats lésés dans leurs droits par les irrégularités constatées. L'AIPN aurait ainsi donné à ces derniers une nouvelle «chance» en organisant un nouveau concours B/228 bis, sur le même modèle et selon les mêmes critères et conditions que le concours annulé, et auquel pourraient d'office participer tous les candidats qui n'avaient pas été lauréats du premier concours. Cette approche, inspirée par l'arrêt de la Cour du 14 juillet 1983, Detti/Cour de justice (144/82, Rec. p. 2421), aurait été confortée quelques mois plus tard par un autre arrêt de la Cour du 6 juillet 1993, Commission/Albani e.a. (C-242/90 P, Rec. p. I-3839).

28 Le Conseil estime ainsi que le «préjudice additionnel» allégué, résultant de l'acte illégal annulé, au sens de l'arrêt Parlement/Meskens, précité (point 24), a été réparé par l'organisation, dans des délais brefs, du concours B/228 bis, lequel a parfaitement préservé leurs droits.

29 Il considère que, pour justifier un reclassement rétroactif au 1er janvier 1991, il faudrait admettre que les requérantes auraient dû être, en tout état de cause, lauréates du concours B/228 et qu'il était d'avance certain qu'elles réussiraient le concours B/228 bis. Or, les requérantes, qui n'avaient pas figuré parmi les lauréats du concours B/228, n'auraient pas démontré que les irrégularités du concours B/228 étaient effectivement la cause de leur échec à ce concours et que leur réussite au concours B/228 bis était certaine. En outre, la rétroactivité demandée ne serait pas concevable dans la mesure où le concours B/228 bis était un concours nouveau, distinct du concours B/228, et non pas une réouverture de ce concours, étant donné que le maintien de ses résultats et des reclassements intervenus à sa suite ne laissait plus de postes à reclasser qui auraient pu faire l'objet d'une réouverture de ses opérations.

30 Le Conseil soutient que le dommage matériel allégué n'est pas établi. En réponse à une question écrite du Tribunal et lors de la procédure orale, il a expliqué que la revalorisation au grade B 5 des postes des requérantes a entraîné pour elles une perte financière due à la suppression de l'indemnité forfaitaire, dite indemnité de secrétariat, à laquelle elles avaient droit en catégorie C. En outre, ce ne serait qu'à partir du 1er juillet 1993, date à laquelle elles auraient pu, dans les circonstances les plus favorables, faire l'objet d'une promotion au grade B 3, que leur rémunération nette dans ce dernier grade aurait dépassé leur rémunération effective à cette date.

31 S'agissant de la perte alléguée de chances d'une promotion rapide aux grades B 4 et B 3, le Conseil observe que les restrictions budgétaires intervenues depuis 1991 s'inscrivent dans une conjoncture indépendante de la volonté de l'AIPN, et que deux des lauréats du concours B/228 sont toujours classés au grade B 5. Selon lui, la promotion des requérantes aux grades B 4 et B 3 n'aurait en aucun cas été certaine.

32 Il considère qu'un préjudice moral est encore moins démontré. L'échec à un concours, même interne, n'induirait aucunement une appréciation négative des capacités des candidates et il n'y aurait rien de «blessant» à ne pas être lauréat d'un concours. En outre, le fait que les requérantes aient dû consacrer du temps à la préparation du nouveau concours serait normal et justifié. Selon le Conseil, lorsqu'on souhaite réussir un concours, on consacre le temps qu'il convient à sa préparation. Enfin, les rejets de la demande et de la réclamation des requérantes auraient été justifiés et n'auraient donc pas constitué de nouvelles fautes de service susceptibles de causer un nouveau préjudice et de justifier l'ouverture d'un dialogue avec elles en vue d'aboutir à un accord.

33 Pour l'ensemble de ces raisons, le dommage allégué serait inexistant et le montant de 500 000 BFR réclamé serait le résultat d'une évaluation pour le moins empirique et incertaine.

Appréciation du Tribunal

34 Le Tribunal rappelle, à titre liminaire, que, pour se conformer à l'obligation que fait peser sur elle l'article 176 du traité, il appartient à l'institution dont émane un acte annulé par le juge communautaire de déterminer quelles sont les mesures requises pour exécuter l'arrêt d'annulation en exerçant le pouvoir d'appréciation dont elle dispose à cet effet dans le respect aussi bien du dispositif et des motifs de l'arrêt qu'elle est tenue d'exécuter que des dispositions du droit communautaire (voir les arrêts de la Cour du 26 avril 1988, Asteris e.a./Commission, 97/86, 193/86, 99/86 et 215/86, Rec. p. 2181, et du Tribunal du 8 octobre 1992, Meskens/Parlement, T-84/91, Rec. p. II-2335, et du 27 octobre 1994, Mancini/Commission, T-508/93, RecFP p. II-761). Lorsque l'exécution de l'arrêt d'annulation présente des difficultés particulières, l'institution concernée peut satisfaire à l'obligation découlant de l'article 176 du traité en prenant toute décision qui serait de nature à compenser équitablement un désavantage étant résulté pour les intéressés. Dans ce contexte, l'AIPN peut également établir un dialogue avec eux en vue de chercher à parvenir à un accord leur offrant une compensation équitable de l'illégalité dont ils ont été victimes (arrêt de la Cour, Parlement/Meskens, précité, point 28; arrêt du Tribunal, Meskens/Parlement, précité, point 80, et du 17 mars 1994, Hoyer/Commission, T-43/91, RecFP p. II-297, point 64).

35 En tant qu'elle est tenue, pour exécuter un arrêt, de respecter le droit communautaire, l'institution concernée doit assurer le respect des principes de l'égalité de traitement des fonctionnaires et de leur vocation à la carrière, qui sont applicables en matière de fonction publique européenne (arrêt du Tribunal du 21 février 1995, Moat/Commission, T-506/93, RecFP p. II-147, point 37). Le premier interdit l'octroi, à certains fonctionnaires, d'avantages non justifiés par l'intérêt du service, dans la mesure où ils peuvent faire grief aux collègues immédiats desdits fonctionnaires (arrêt de la Cour du 16 mars 1971, Bernardi/Parlement, 48/70, Rec. p. 175, point 27). Le second impose le maintien des chances d'évolution de carrière des intéressés conformément aux dispositions du statut (arrêts de la Cour du 4 mars 1964, Lassalle/Parlement, 15/63, Rec. p. 57, et du 6 mai 1969, Reinarz/Commission, 17/68, Rec. p. 61).

36 En l'espèce, lorsque le Conseil a déterminé la nature et le contenu des mesures adoptées pour exécuter l'arrêt Raiola-Denti e.a./Conseil, il était tenu de respecter ces deux principes.

37 Afin de concilier les intérêts des lauréats du concours B/228 et les intérêts des candidats désavantagés par les irrégularités ayant conduit à l'annulation des épreuves, il a adopté deux mesures. La première, adoptée en faveur des lauréats du concours B/228, a consisté dans le maintien des reclassements opérés avec effet au 1er janvier 1991. La seconde, adoptée dans l'intérêt des candidats qui n'avaient pas pu figurer sur la liste d'aptitude, a consisté dans l'organisation du concours B/228 bis, identique au concours B/228 quant aux conditions d'admission et aux épreuves, suivie d'un reclassement des lauréats au grade B 5 avec effet au 1er janvier 1994.

38 En refusant de reclasser les requérantes rétroactivement au 1er janvier 1991 comme les lauréats du concours B/228, le Conseil leur a fait perdre une chance d'être promues, dans les délais statutaires, plus tôt au grade B 4, puis plus tôt au grade B 3, et de voir ainsi leur carrière évoluer dans les mêmes conditions que la carrière des lauréats du concours B/228. En effet, ainsi que les requérantes le soulignent, sans être contredites par le Conseil, onze des quinze lauréats du concours B/228, reclassés en 1991, avaient déjà été promus au grade B 3 à la date du 1er janvier 1996, dont trois sont, en 1996, susceptibles d'être promus au grade B 2, tandis que les quatre autres lauréats, à la même date, avaient été promus au grade B 4, dont trois sont, en 1996, susceptibles d'être promus au grade B 3. Or, en réponse à une question écrite du Tribunal, le Conseil a admis que, si les requérantes avaient été reclassées au grade B 5 en janvier 1991, elles auraient pu éventuellement, en application de l'article 45, paragraphe 2, du statut, être elles-mêmes promues au grade B 4 en juillet 1991, et au grade B 3 au 1er juillet 1993, date à laquelle leur rémunération nette aurait dépassé la rémunération alors effectivement perçue par elles.

39 Les requérantes ont donc subi une distorsion entre les perspectives d'évolution de leur carrière et celles des lauréats du concours B/228, due à l'omission du Conseil d'adopter les mesures appropriées afin de mettre ceux qui, ayant participé initialement au concours B/228, allaient finalement être lauréats du concours B/228 bis, sur un pied d'égalité avec les lauréats du concours B/228 en ce qui concerne, en particulier, les conditions de leur reclassement auquel ils avaient droit, au même titre que les lauréats du concours B/228. Dès l'organisation du concours B/228 bis, qui, selon les affirmations mêmes de l'institution défenderesse, a été organisé afin de préserver les droits lésés par les illégalités du concours B/228, le Conseil aurait, en effet, pu prévoir que les reclassements des lauréats prendraient effet à la même date que les reclassements des lauréats du concours B/228. N'ayant pas prévu à l'avance une telle solution, il aurait dû, étant saisi de demandes en ce sens des requérantes, retirer les décisions de reclassement au 1er janvier 1994, pour procéder, dans un souci d'égalité de traitement, à la reconstitution de la carrière des intéressées afin de leur assurer une ancienneté dans la catégorie B égale à l'ancienneté dans cette catégorie des lauréats du concours B/228 (voir les arrêts de la Cour du 6 octobre 1982, Williams/Cour des comptes, 9/81, Rec. p. 3301, et du 1er décembre 1983, Blomefield/Commission, 190/82, Rec. p. 3981).

40 Le Tribunal ne peut retenir les arguments du Conseil selon lesquels le reclassement rétroactif des requérantes au 1er janvier 1991 ne serait pas possible au motif que cela impliquerait qu'elles avaient un droit à être inscrites sur la liste d'aptitude du concours B/228, c'est-à-dire d'un concours distinct de celui dont elles ont été effectivement lauréates.

41 D'une part, la rétroactivité demandée ne concerne pas un succès hypothétique des requérantes au concours B/228 et leur inscription consécutive sur la liste d'aptitude correspondante, mais les effets à attacher à leur succès effectif au concours B/228 bis, lesquels, dans un souci d'égalité avec les lauréats du concours B/228, devaient être les mêmes que ceux attachés au succès des lauréats du concours B/228.

42 D'autre part, les deux concours en cause n'étaient pas distincts. En effet, l'arrêt Raiola-Denti e.a./Conseil n'a annulé que les opérations ayant suivi les décisions d'admission des candidats au concours B/228. Il en résulte que ce concours, loin d'être clôturé comme le soutient le Conseil, était encore ouvert et les candidatures admises par la communication susmentionnée du 4 décembre 1990 restaient pendantes devant l'AIPN (voir ci-dessus points 2 et 3). Dès lors, en organisant le concours B/228 bis, le Conseil n'a en réalité procédé qu'à une réouverture des opérations du concours B/228 à l'égard des seuls candidats non inscrits sur la liste d'aptitude établie à la suite des précédentes épreuves, ainsi que cela ressort d'ailleurs clairement de l'avis de concours B/228 bis. Par conséquent, les lauréats des épreuves organisées sur la base des avis B/228 et B/228 bis doivent être considérés comme étant les lauréats d'un seul et même concours. Le Conseil était ainsi tenu d'assurer aux lauréats des épreuves subies sur la base de l'avis B/228 bis le même traitement qu'aux lauréats des épreuves subies sur la base de l'avis B/228, en donnant au reclassement des premiers les mêmes effets qu'à celui des seconds.

43 Le fait que l'avis de concours B/228 bis concernait six nouveaux postes à revaloriser, distincts des quinze postes revalorisés sur la base de l'avis B/228 ne remet pas en cause cette analyse. Dès lors que le Conseil avait décidé de maintenir les quinze reclassements initiaux, il ne disposait d'autre possibilité pour rouvrir les épreuves litigieuses que d'offrir un certain nombre de nouveaux postes afin de rendre possible le reclassement des lauréats des nouvelles épreuves du concours litigieux.

44 Il en résulte que le refus du Conseil d'adopter les mesures concrètes qui lui auraient permis de placer les requérantes sur un pied d'égalité avec leurs collègues lauréats du concours B/228 en ce qui concerne la date de prise d'effet de leur reclassement est intervenu en violation de l'article 176 du traité.

45 Par suite, le Conseil doit réparation des préjudices effectivement subis à la suite de cette violation.

46 Les requérantes n'établissent pas l'existence du préjudice qu'elles invoquent, qui aurait consisté en la différence entre les rémunérations qu'elles ont perçues du 1er janvier 1991 au 1er janvier 1994 et les rémunérations qu'elles auraient perçues pendant cette période si elles avaient été reclassées au grade B 5 au 1er janvier 1991. En effet, ainsi qu'il résulte des éléments produits par le Conseil en réponse à une question écrite du Tribunal, et non contestés par les requérantes, ces dernières n'ont en fait subi aucune perte nette de rémunérations, en raison, notamment, de la perte de l'indemnité forfaitaire dite indemnité de secrétariat à laquelle elles avaient droit avant leur reclassement.

47 En revanche, les requérantes établissent l'existence d'un droit à réparation du préjudice résultant du fait qu'elles n'ont pas été reclassées dans la catégorie B en même temps que les lauréats du concours B/228, dans la mesure où, alors même qu'elles n'auraient pas eu un droit à la promotion après leur reclassement, elles ont, en tout état de cause, perdu une chance de voir leur carrière évoluer dans l'avenir de façon comparable à celle des lauréats du concours B/228 (voir ci-dessus point 38).

48 Elles soutiennent avoir subi par ailleurs un préjudice moral qu'elles évaluent à 1 écu symbolique.

49 En ce qui concerne ce préjudice, le Tribunal considère que ni l'échec à un concours ni la préparation d'épreuves ultérieures ne peuvent en principe être considérés comme susceptibles de causer un préjudice moral automatiquement indemnisable, d'autant que, en l'espèce, les requérantes n'établissent pas que leur non-inscription sur la liste d'aptitude du concours B/228 soit due aux irrégularités ayant conduit à l'annulation. S'agissant du préjudice qu'aurait causé aux requérantes le refus du Conseil de faire droit à leur demande d'indemnisation et à leur réclamation subséquente, il se confond avec le préjudice même que le Conseil a refusé de réparer. Il ne saurait, par conséquent, constituer un préjudice distinct, indemnisable séparément.

50 Le Tribunal estime que le préjudice moral effectivement subi par les requérantes est celui lié à l'état d'incertitude prolongé dans lequel elles se sont trouvées en ce qui concerne l'évolution de leur carrière. A cet égard, il y a lieu de relever que les circonstances spécifiques de l'espèce ont été caractérisées par des irrégularités importantes dans le déroulement des épreuves organisées sur la base de l'avis B/228, par une atteinte sérieuse au droit des requérantes à un déroulement régulier de ces épreuves et par le fait que le refus du Conseil de les placer sur un pied d'égalité avec leurs collègues reclassés à la date du 1er janvier 1991 est intervenu à une date où elles étaient déjà les lauréats des épreuves organisées sur la base de l'avis B/228 bis.

51 Le Tribunal estime qu'il sera fait une juste évaluation, ex aequo et bono, à la somme de 500 000 BFR, des préjudices matériel et moral confondus (voir les arrêts du Tribunal du 9 février 1994, Latham/Commission, T-82/91, RecFP p. II-61, et T-3/92, RecFP p. II-83) subis par chacune des requérantes. Il convient donc de condamner le Conseil à payer cette somme à chacune d'elles.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

52 Aux termes de l'article 87, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s'il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé en ses conclusions et les requérantes ayant conclu à sa condamnation, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LE TRIBUNAL

(deuxième chambre)

déclare et arrête:

1) Les décisions du Conseil des 9 et 15 juin 1994, ayant porté rejet des demandes d'indemnisation des requérantes du 9 février 1994, ainsi que la décision du 4 janvier 1995, ayant rejeté la réclamation des requérantes du 6 septembre 1994, sont annulées.

2) Le Conseil est condamné à payer à chacune des requérantes la somme de 500 000 BFR à titre d'indemnisation pour préjudices matériel et moral confondus.

3) Le recours est rejeté pour le surplus.

4) Le Conseil est condamné aux dépens.

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