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Document 62020CO0287

Rješenje Suda (osmo vijeće) od 10. siječnja 2022.
EL i CP protiv Ryanair DAC.
Zahtjev za prethodnu odluku koji je uputio Amtsgericht Hamburg.
Zahtjev za prethodnu odluku – Članak 99. Poslovnika Suda – Zračni prijevoz – Uredba (EZ) br. 261/2004 – Članak 5. stavak 3. – Opća pravila odštete i pomoći putnicima u slučaju otkazivanja ili dužeg kašnjenja leta u polasku – Oslobođenje od obveze isplate odštete – Pojam ,izvanredne okolnosti’ – Štrajk kabinskog osoblja i pilota – ,Unutarnje’ i ,vanjske’ okolnosti vezano za stvarnu djelatnost zračnog prijevoza – Povelja Europske unije o temeljnim pravima – Nepostojanje ugrožavanja slobode okupljanja i udruživanja radnika i prava na pregovaranje zračnog prijevoznika.
Predmet C-287/20.

ECLI identifier: ECLI:EU:C:2022:1

ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

10 janvier 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Transports aériens – Règlement (CE) no 261/2004 – Article 5, paragraphe 3 – Règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas d’annulation ou de retard important d’un vol – Exonération de l’obligation d’indemnisation – Notion de “circonstances extraordinaires” – Grève du personnel de cabine et des pilotes – Circonstances “internes” et “externes” à l’activité du transporteur aérien effectif – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Articles 12 et 28 – Articles 12 et 28 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Absence d’atteinte à la liberté de réunion et d’association des travailleurs ainsi qu’au droit de négociation du transporteur aérien »

Dans l’affaire C‑287/20,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Amtsgericht Hamburg (tribunal de district de Hambourg, Allemagne), par décision du 16 juin 2020, parvenue à la Cour le 30 juin 2020, dans la procédure

EL,

CP

contre

Ryanair DAC,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Jääskinen, président de chambre, MM. N. Piçarra et M. Gavalec (rapporteur), juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour EL et CP, par Mes C. Jansen et M. Jansen, Rechtsanwälte,

–        pour Ryanair DAC, par Me S. Hensel, Rechtsanwältin,

–        pour le gouvernement danois, par MM. J. Nymann-Lindegren et M. Jespersen ainsi que par Mme M. Wolff, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. L. Aguilera Ruiz, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement français, par M. A. Ferrand et Mme A. Daniel, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par MM. K. Simonsson et W. Mölls, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO 2004, L 46, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant EL et CP, deux passagers, au transporteur aérien Ryanair DAC au sujet du refus de ce dernier d’indemniser ces passagers en dépit de l’annulation du vol sur lequel ils avaient réservé une place.

 Le cadre juridique

 La charte sociale européenne

3        La charte sociale européenne, signée à Turin le 18 octobre 1961 dans le cadre du Conseil de l’Europe et révisée à Strasbourg le 3 mai 1996, est entrée en vigueur au cours de l’année 1999. Tous les États membres sont parties à cette convention dans la mesure où ils ont adhéré à celle‑ci dans sa version d’origine, dans sa version révisée ou dans ses deux versions.

4        Dans sa version révisée, le point 6 de la partie I de la charte sociale européenne dispose :

« Tous les travailleurs et employeurs ont le droit de négocier collectivement ».

5        Intitulé « Droit de négociation collective », l’article 6 de la partie II de cette charte prévoit notamment :

« En vue d’assurer l’exercice effectif du droit de négociation collective, les Parties [...]

reconnaissent :

4.      le droit des travailleurs et des employeurs à des actions collectives en cas de conflits d’intérêt, y compris le droit de grève, sous réserve des obligations qui pourraient résulter des conventions collectives en vigueur. »

 Le droit de l’Union

6        Les considérants 1, 4, 14 et 15 du règlement no 261/2004 énoncent :

« (1)      L’action de [l’Union européenne] dans le domaine des transports aériens devrait notamment viser à garantir un niveau élevé de protection des passagers. Il convient en outre de tenir pleinement compte des exigences de protection des consommateurs en général.

[...]

(4)      [L’Union] devrait, par conséquent, relever les normes de protection fixées par [le] règlement [(CEE) no 295/91 du Conseil, du 4 février 1991, établissant des règles communes relatives à un système de compensation pour refus d’embarquement dans les transports aériens réguliers (JO 1991, L 36, p. 5)], à la fois pour renforcer les droits des passagers et pour faire en sorte que les transporteurs aériens puissent exercer leurs activités dans des conditions équivalentes sur un marché libéralisé.

[...]

(14)      Tout comme dans le cadre de la convention [pour l’unification de certaines règles relatives au transport aérien international, conclue à Montréal le 28 mai 1999 et approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2001/539/CE du Conseil, du 5 avril 2001 (JO 2001, L 194, p. 38)], les obligations des transporteurs aériens effectifs devraient être limitées ou leur responsabilité exonérée dans les cas où un événement est dû à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. De telles circonstances peuvent se produire, en particulier, en cas d’instabilité politique, de conditions météorologiques incompatibles avec la réalisation du vol concerné, de risques liés à la sécurité, de défaillances imprévues pouvant affecter la sécurité du vol, ainsi que de grèves ayant une incidence sur les opérations d’un transporteur aérien effectif.

(15)      Il devrait être considéré qu’il y a circonstance extraordinaire, lorsqu’une décision relative à la gestion du trafic aérien concernant un avion précis pour une journée précise génère un retard important, un retard jusqu’au lendemain ou l’annulation d’un ou de plusieurs vols de cet avion, bien que toutes les mesures raisonnables aient été prises par le transporteur aérien afin d’éviter ces retards ou annulations. »

7        Intitulé « Définitions », l’article 2 de ce règlement dispose :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

b)      “transporteur aérien effectif”, un transporteur aérien qui réalise ou a l’intention de réaliser un vol dans le cadre d’un contrat conclu avec un passager, ou au nom d’une autre personne, morale ou physique, qui a conclu un contrat avec ce passager ;

[...]

l)      “annulation”, le fait qu’un vol qui était prévu initialement et sur lequel au moins une place était réservée n’a pas été effectué. »

8        Aux termes de l’article 5 dudit règlement, qui s’intitule « Annulations » :

« 1.      En cas d’annulation d’un vol, les passagers concernés :

[...]

c)      ont droit à une indemnisation du transporteur aérien effectif conformément à l’article 7, à moins qu’ils [ne] soient informés de l’annulation du vol :

i)      au moins deux semaines avant l’heure de départ prévue, ou

ii)      de deux semaines à sept jours avant l’heure de départ prévue si on leur offre un réacheminement leur permettant de partir au plus tôt deux heures avant l’heure de départ prévue et d’atteindre leur destination finale moins de quatre heures après l’heure d’arrivée prévue, ou

iii)      moins de sept jours avant l’heure de départ prévue si on leur offre un réacheminement leur permettant de partir au plus tôt une heure avant l’heure de départ prévue et d’atteindre leur destination finale moins de deux heures après l’heure prévue d’arrivée.

[...]

3.      Un transporteur aérien effectif n’est pas tenu de verser l’indemnisation prévue à l’article 7 s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des circonstances extraordinaires qui n’auraient pas pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises.

[...] »

9        Intitulé « Droit à indemnisation », l’article 7 du règlement no 261/2004 énonce, à son paragraphe 1 :

« Lorsqu’il est fait référence au présent article, les passagers reçoivent une indemnisation dont le montant est fixé à :

a)      250 euros pour tous les vols de 1 500 kilomètres ou moins ;

[...]

Pour déterminer la distance à prendre en considération, il est tenu compte de la dernière destination où le passager arrivera après l’heure prévue du fait du refus d’embarquement ou de l’annulation. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

10      Les requérants au principal ont effectué, auprès de Ryanair, une réservation pour un vol au départ de Vérone (Italie) et à destination de Hambourg (Allemagne). Ce vol devait être opéré par ce même transporteur aérien le 28 septembre 2018 à 14 h 50.

11      Ryanair a annulé ledit vol et en a informé les requérants au principal le jour du départ prévu. Cette annulation était due à une grève consécutive à l’échec de négociations entre ce transporteur aérien et les représentants de son personnel navigant, à savoir les membres d’équipage de cabine et les pilotes.

12      Les requérants au principal ont saisi la juridiction de renvoi, à savoir l’Amtsgericht Hamburg (tribunal de district de Hambourg, Allemagne), d’une demande visant à ordonner à Ryanair de leur verser à chacun l’indemnisation de 250 euros prévue à l’article 5, paragraphe 1, sous c), du règlement no 261/2004, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, sous a), de ce règlement.

13      Ils considèrent qu’une grève des propres membres d’équipage de cabine et des pilotes du transporteur aérien effectif ne constitue pas une « circonstance extraordinaire » au sens de l’article 5, paragraphe 3, dudit règlement. Il s’agirait d’un évènement prévisible lors de toute négociation collective, et non pas d’un « évènement extraordinaire », comme l’allègue Ryanair.

14      La juridiction de renvoi estime que, la Cour ayant jugé, dans l’arrêt du 17 avril 2018, Krüsemann e.a. (C‑195/17, C‑197/17 à C‑203/17, C‑226/17, C‑228/17, C‑254/17, C‑274/17, C‑275/17, C‑278/17 à C‑286/17 et C‑290/17 à C‑292/17, EU:C:2018:258), une « grève sauvage » comme étant un évènement n’échappant pas à la maîtrise du transporteur aérien, cette interprétation devrait, a fortiori, s’imposer s’agissant d’une grève du propre personnel d’un transporteur aérien effectif organisée par un syndicat.

15      Cette juridiction estime néanmoins qu’une interprétation différente ne peut être exclue, puisque, contrairement à la « grève sauvage », une grève organisée à l’appel d’un syndicat est protégée notamment par l’article 12, paragraphe 1, et l’article 28 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), ainsi que par l’article 6, paragraphe 4, de la partie II de la charte sociale européenne, interprété à la lumière du point 6 de la partie I de cette charte. Le fait de qualifier de « circonstance extraordinaire », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, une grève organisée à l’appel d’un syndicat pourrait permettre, ainsi que l’a jugé le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), dans un arrêt du 21 août 2012, d’éviter que le transporteur aérien effectif renonce d’emblée à sa liberté de négociation collective protégée par le droit de l’Union et assume le rôle de la partie perdante dans le cadre du conflit social. En outre, à l’instar de Ryanair, la juridiction de renvoi relève que le considérant 14 de ce règlement désigne, de manière générique, la grève comme une « circonstance extraordinaire » au sens de l’article 5, paragraphe 3, dudit règlement, sans établir de distinction selon que la grève est menée par le personnel du transporteur aérien effectif ou par des tiers.

16      C’est dans ce contexte que l’Amtsgericht Hamburg (tribunal de district de Hambourg) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La grève du propre personnel d’un transporteur aérien effectif organisée par des syndicats constitue-t-elle une “circonstance extraordinaire” au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement [no 261/2004] ?

2)      Importe-t-il à cet égard que des négociations aient été menées en amont de la grève avec les représentants des intérêts des salariés ? »

 Sur les questions préjudicielles

17      En vertu de l’article 99 de son règlement de procédure, la Cour peut, notamment lorsqu’une réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence ou lorsque la réponse à la question posée ne laisse place à aucun doute raisonnable, décider, à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée.

18      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

19      Par ses questions, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens qu’un mouvement de grève entamé à l’appel d’un syndicat du personnel de cabine et des pilotes d’un transporteur aérien effectif relève de la notion de « circonstance extraordinaire », au sens de cette disposition, et s’il y a lieu de tenir compte du fait que la grève a été précédée de négociations avec les représentants des travailleurs.

20      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, en cas d’annulation d’un vol, l’article 5 du règlement no 261/2004 prévoit que les passagers concernés ont droit à une indemnisation à la charge du transporteur aérien effectif, conformément à l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, à moins qu’ils n’aient été préalablement informés de cette annulation dans le respect des délais prévus au paragraphe 1, sous c), i) à iii), de cet article 5.

21      L’article 5, paragraphe 3, dudit règlement, lu à la lumière des considérants 14 et 15 de celui-ci, exonère toutefois le transporteur aérien effectif de cette obligation d’indemnisation s’il est en mesure de prouver que l’annulation est due à des « circonstances extraordinaires » qui n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises. En outre, en cas de survenance de telles circonstances, il incombe également au transporteur aérien effectif de démontrer qu’il a adopté les mesures adaptées à la situation en mettant en œuvre tous les moyens en personnel ou en matériel et les moyens financiers dont il disposait, afin d’éviter que celle-ci conduise à l’annulation du vol concerné. Il ne saurait toutefois être exigé de lui qu’il consente des sacrifices insupportables au regard des capacités de son entreprise au moment pertinent (arrêt du 23 mars 2021, Airhelp, C‑28/20, EU:C:2021:226, point 22 et jurisprudence citée).

22      Selon une jurisprudence constante de la Cour, la notion de « circonstances extraordinaires », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, qui doit être interprétée strictement, désigne des évènements qui, par leur nature ou leur origine, ne sont pas inhérents à l’exercice normal de l’activité du transporteur aérien concerné et échappent à la maîtrise effective de celui-ci, ces deux conditions étant cumulatives et leur respect devant faire l’objet d’une appréciation au cas par cas. Le choix de cette notion témoigne de la volonté du législateur de l’Union de n’y inclure que les circonstances sur lesquelles le transporteur aérien effectif n’a aucun contrôle (voir, en ce sens, arrêts du 23 mars 2021, Airhelp, C‑28/20, EU:C:2021:226, points 23, 24 et 36, ainsi que du 6 octobre 2021, Eurowings, C‑613/20, EU:C:2021:820, points 19 et 28).

23      En premier lieu, bien qu’incarnant un moment conflictuel des relations entre les travailleurs et l’employeur, dont elle vise à paralyser l’activité, la grève n’en demeure pas moins l’une des expressions possibles de la négociation sociale et, partant, doit être appréhendée comme un évènement inhérent à l’exercice normal de l’activité de l’employeur concerné, indépendamment des spécificités du marché du travail en cause ou de la législation nationale applicable en ce qui concerne la mise en œuvre du droit fondamental garanti à l’article 28 de la Charte (arrêts du 23 mars 2021, Airhelp, C‑28/20, EU:C:2021:226, point 28, et du 6 octobre 2021, Eurowings, C‑613/20, EU:C:2021:820, point 20).

24      De telles considérations doivent également prévaloir lorsque l’employeur est, comme en l’occurrence, un transporteur aérien effectif, ce dernier pouvant, de manière ordinaire, être confronté, dans l’exercice de son activité, à des désaccords, voire à des conflits, avec les membres de son personnel ou une partie de celui-ci. Or, des mesures relatives aux conditions de travail et de rémunération du personnel d’un transporteur aérien effectif relèvent de la gestion normale des activités dudit transporteur (arrêts du 23 mars 2021, Airhelp, C‑28/20, EU:C:2021:226, point 29, et du 6 octobre 2021, Eurowings, C‑613/20, EU:C:2021:820, point 21).

25      En deuxième lieu, une grève destinée à porter des revendications salariales et/ou sociales du personnel de cabine et des pilotes d’un transporteur aérien effectif doit être regardée comme un évènement qui n’échappe pas entièrement à la maîtrise effective du transporteur aérien concerné (voir, en ce sens, arrêts du 23 mars 2021, Airhelp, C‑28/20, EU:C:2021:226, point 36, et du 6 octobre 2021, Eurowings, C‑613/20, EU:C:2021:820, point 24), notamment lorsque des négociations avec des représentants des travailleurs ont précédé une telle grève.

26      En effet, dès lors que la grève constitue, pour les travailleurs, un droit garanti par l’article 28 de la Charte, le fait que ceux-ci s’en prévalent et déclenchent en conséquence un mouvement en ce sens doit être considéré comme relevant de l’ordre du prévisible pour tout employeur, qui plus est lorsqu’une telle grève est précédée d’un préavis (voir, en ce sens, arrêt du 23 mars 2021, Airhelp, C‑28/20, EU:C:2021:226, point 32, et du 6 octobre 2021, Eurowings, C‑613/20, EU:C:2021:820, point 25).

27      En outre, la survenance d’une grève constituant un évènement prévisible pour l’employeur, celui-ci a, en principe, les moyens de s’y préparer et, le cas échéant, d’en atténuer les conséquences, de sorte qu’il conserve, dans une certaine mesure, la maîtrise des événements. Or, à l’instar de tout employeur, un transporteur aérien effectif confronté à une grève de son personnel, qui est motivée par des revendications liées aux conditions salariales et/ou sociales, ne saurait prétendre qu’il n’a aucun contrôle sur ce mouvement (voir, en ce sens, arrêts du 23 mars 2021, Airhelp, C‑28/20, EU:C:2021:226, points 35 et 36, ainsi que du 6 octobre 2021, Eurowings, C‑613/20, EU:C:2021:820, point 28).

28      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que la grève a été précédée de négociations collectives entre le transporteur aérien effectif et les représentants du personnel de cabine et des pilotes, ce qui permet d’en déduire que cette grève était motivée par de telles revendications salariales et/ou sociales.

29      En troisième lieu, en indiquant, au considérant 14 du règlement no 261/2004, que des circonstances extraordinaires peuvent se produire, en particulier, en cas de grèves ayant une incidence sur les opérations d’un transporteur aérien effectif, le législateur de l’Union a entendu faire référence aux grèves externes à l’activité du transporteur aérien concerné. Il en résulte que sont notamment susceptibles de constituer des « circonstances extraordinaires », au sens de l’article 5, paragraphe 3, de ce règlement, des mouvements de grève déclenchés et suivis par des contrôleurs aériens ou du personnel d’un aéroport. De même, si une grève trouve son origine dans des revendications que seuls les pouvoirs publics peuvent satisfaire et qui, dès lors, échappent à la maîtrise effective du transporteur aérien concerné, elle est susceptible de constituer une « circonstance extraordinaire », au sens de cette disposition. En revanche, une grève déclenchée et suivie par des membres du propre personnel d’un transporteur aérien effectif constitue un évènement « interne » à cette entreprise, y compris s’agissant d’une grève déclenchée à l’appel de syndicats, dès lors que ceux-ci interviennent dans l’intérêt des travailleurs de ladite entreprise. (voir, en ce sens, arrêts du 23 mars 2021, Airhelp, C‑28/20, EU:C:2021:226, points 42, 44 et 45, ainsi que du 6 octobre 2021, Eurowings, C‑613/20, EU:C:2021:820, points 30 et 31).

30      En quatrième et dernier lieu, le fait de ne pas qualifier de « circonstances extraordinaires », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004, une grève du personnel de cabine et des pilotes d’un transporteur aérien effectif motivée par des revendications liées aux conditions salariales et/ou sociales dans un cadre légal ne saurait aucunement affecter le droit de toute personne de fonder avec d’autres des syndicats et de s’y affilier pour la défense de ses intérêts, tel que garanti par l’article 12 de la Charte.

31      Il en va de même pour ce qui est du droit de négociation de l’employeur visé à l’article 28 de la Charte. À cet égard, il suffit de constater que la circonstance qu’un transporteur aérien effectif soit confronté à une grève de membres de son personnel organisée dans un cadre légal, au risque de devoir s’acquitter de l’indemnité prévue à l’article 5, paragraphe 1, et à l’article 7, paragraphe 1, du règlement no 261/2004, ne le contraint pas à accepter, sans discussion, l’intégralité des revendications des grévistes. En effet, ce transporteur aérien reste en mesure de faire valoir les intérêts de l’entreprise de façon à parvenir à un compromis satisfaisant pour l’ensemble des partenaires sociaux. Ainsi, ne saurait-il être considéré que ledit transporteur se voit privé de sa liberté de négociation protégée par le droit de l’Union et qu’il assume d’emblée le rôle de la partie perdante dans le cadre du conflit social (arrêt du 23 mars 2021, Airhelp, C‑28/20, EU:C:2021:226, point 48).

32      En tout état de cause, à supposer même, ainsi que le suggère Ryanair dans ses observations écrites, que le syndicat qui a appelé le personnel de cabine et les pilotes à la grève n’ait pas observé le délai de préavis prévu par la réglementation nationale, il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il n’y a pas lieu de distinguer parmi les grèves celles qui, sur la base du droit national applicable, seraient légales de celles qui ne le seraient pas pour déterminer si elles doivent être qualifiées de « circonstances extraordinaires », au sens de l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004. En effet, une telle distinction aurait pour conséquence de faire dépendre le droit à indemnisation des passagers de la législation sociale propre à chaque État membre et porterait ainsi atteinte aux objectifs de ce règlement, visés à ses considérants 1 et 4, de garantir un niveau élevé de protection des passagers ainsi que des conditions équivalentes d’exercice des activités de transporteur aérien sur le territoire de l’Union (arrêt du 17 avril 2018, Krüsemann e.a., C‑195/17, C‑197/17 à C‑203/17, C‑226/17, C‑228/17, C‑254/17, C‑274/17, C‑275/17, C‑278/17 à C‑286/17 et C‑290/17 à C‑292/17, EU:C:2018:258, point 47).

33      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 5, paragraphe 3, du règlement no 261/2004 doit être interprété en ce sens qu’un mouvement de grève entamé à l’appel d’un syndicat du personnel de cabine et des pilotes d’un transporteur aérien effectif et destiné à porter les revendications de ces travailleurs ne relève pas de la notion de « circonstance extraordinaire », au sens de cette disposition, l’existence de négociations préalables avec les représentants des travailleurs étant sans incidence à cet égard.

 Sur les dépens

34      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

L’article 5, paragraphe 3, du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91, doit être interprété en ce sens qu’un mouvement de grève entamé à l’appel d’un syndicat du personnel de cabine et des pilotes d’un transporteur aérien effectif et destiné à porter les revendications de ces travailleurs ne relève pas de la notion de « circonstance extraordinaire », au sens de cette disposition, l’existence de négociations préalables avec les représentants des travailleurs étant sans incidence à cet égard.

Signatures


*      Langue de procédure : l’allemand.

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