ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
14 juin 2016 ( *1 )
«Recours en annulation — Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) — Décision 2014/198/PESC — Accord entre l’Union européenne et la République unie de Tanzanie relatif aux conditions de transfert, de la force navale placée sous la direction de l’Union européenne à la République unie de Tanzanie, des personnes soupçonnées d’actes de piraterie et des biens associés saisis — Choix de la base juridique — Obligation d’informer le Parlement européen immédiatement et pleinement à toutes les étapes de la procédure de négociation et de conclusion des accords internationaux — Maintien des effets de la décision en cas d’annulation»
Dans l’affaire C‑263/14,
ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 28 mai 2014,
Parlement européen, représenté par MM. R. Passos, A. Caiola et M. Allik, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie requérante,
soutenu par :
Commission européenne, représentée par MM. M. Konstantinidis et R. Troosters ainsi que par Mme D. Gauci, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,
partie intervenante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. F. Naert, G. Étienne et M. Bishop ainsi que par Mme M.‑M. Joséphidès, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenu par :
République tchèque, représentée par MM. M. Smolek, E. Ruffer, J. Vláčil et J. Škeřik ainsi que par Mme M. Hedvábná, en qualité d’agents,
Royaume de Suède, représenté par Mmes A. Falk, C. Meyer-Seitz et U. Persson ainsi que par MM. M. Rhodin, E. Karlsson et L. Swedenborg, en qualité d’agents,
Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, représenté par Mmes J. Kraehling et V. Kaye, en qualité d’agents, assistées de Me G. Facenna, barrister,
parties intervenantes,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice-président, MM. L. Bay Larsen, T. von Danwitz, A. Arabadjiev, Mme C. Toader, MM. D. Šváby et C. Lycourgos, présidents de chambre, MM. A. Rosas (rapporteur), E. Juhász, M. Safjan, Mme M. Berger, MM. E. Jarašiūnas, C. G. Fernlund et Mme K. Jürimäe, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : Mme L. Hewlett, administrateur principal,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 septembre 2015,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 octobre 2015,
rend le présent
Arrêt
1 |
Par sa requête, le Parlement européen demande, d’une part, l’annulation de la décision 2014/198/PESC du Conseil, du 10 mars 2014, concernant la signature et la conclusion de l’accord entre l’Union européenne et la République unie de Tanzanie relatif aux conditions de transfert, de la force navale placée sous la direction de l’Union européenne à la République unie de Tanzanie, des personnes soupçonnées d’actes de piraterie et des biens associés saisis (JO 2014, L 108, p. 1, ci-après la « décision attaquée »), et, d’autre part, le maintien des effets de cette décision. |
Le cadre juridique
Le droit international
La convention des Nations unies sur le droit de la mer
2 |
La convention des Nations unies sur le droit de la mer, signée à Montego Bay le 10 décembre 1982, est entrée en vigueur le 16 novembre 1994. Elle a été approuvée par la décision 98/392/CE du Conseil, du 23 mars 1998, concernant la conclusion par la Communauté européenne de la convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982 et de l’accord du 28 juillet 1994 relatif à l’application de la partie XI de ladite convention (JO 1998, L 179, p. 1). |
3 |
Sous la section 1, intitulée « Dispositions générales », de la partie VII, intitulée « Haute mer », de ladite convention figurent les articles 100 à 107 qui définissent le cadre juridique de la lutte contre la piraterie. L’article 100 de la même convention fait obligation à tous les États de coopérer à la répression de la piraterie. Les articles 101 et 103 de celle‑ci définissent, respectivement, les notions de « piraterie » et de « navire ou d’aéronef pirate ». |
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Aux termes de l’article 105, intitulé « Saisie d’un navire ou d’un aéronef pirate », de la convention des Nations unies sur le droit de la mer : « Tout État peut, en haute mer ou en tout autre lieu ne relevant de la juridiction d’aucun État, saisir un navire ou un aéronef pirate, ou un navire ou un aéronef capturé à la suite d’un acte de piraterie et aux mains de pirates, et appréhender les personnes et saisir les biens se trouvant à bord. Les tribunaux de l’État qui a opéré la saisie peuvent se prononcer sur les peines à infliger, ainsi que sur les mesures à prendre en ce qui concerne le navire, l’aéronef ou les biens, réserve faite des tiers de bonne foi. » |
Le droit de l’Union
L’action commune 2008/851
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L’action commune 2008/851/PESC du Conseil, du 10 novembre 2008, concernant l’opération militaire de l’Union européenne en vue d’une contribution à la dissuasion, à la prévention et à la répression des actes de piraterie et de vols à main armée au large des côtes de la Somalie (JO 2008, L 301, p. 33), telle que modifiée par la décision 2012/174/PESC du Conseil, du 23 mars 2012 (JO 2012, L 89, p. 69) (ci-après l’« action commune 2008/851 »), est fondée sur l’article 14, l’article 25, troisième alinéa, et l’article 28, paragraphe 3, UE. Cette opération est dénommée « opération Atalanta ». |
6 |
L’article 1er de cette action commune, intitulé « Mission », prévoit, à son paragraphe 1 : « L’Union européenne [...] mène une opération militaire à l’appui des résolutions 1814 (2008), 1816 (2008), 1838 (2008), 1846 (2008) et 1851 (2008) du Conseil de sécurité des Nations unies [...] d’une manière conforme à l’action autorisée en cas de piraterie en application des articles 100 et suivants de la convention des Nations unies sur le droit de la mer [...] et par le biais, notamment, d’engagements pris avec les États tiers (“Atalanta”), en vue de contribuer :
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7 |
L’article 2 de ladite action commune, intitulé « Mandat », dispose : « Atalanta, dans les conditions fixées par le droit international applicable, notamment la convention des Nations unies sur le droit de la mer, et par les résolutions 1814 (2008), 1816 (2008) et 1838 (2008) du [Conseil de sécurité des Nations unies], et dans la limite de ses capacités disponibles : [...]
[...] » |
8 |
L’article 10 de la même action commune, intitulé « Participation d’États tiers », est libellé dans les termes suivants : « 1. Sans préjudice de l’autonomie décisionnelle de l’[Union] et du cadre institutionnel unique, et conformément aux orientations pertinentes du Conseil européen, les États tiers peuvent être invités à participer à l’opération. [...] 3. Les modalités précises de la participation d’États tiers font l’objet d’accords conclus conformément à la procédure prévue à l’article [37 TUE]. Si l’[Union] et un État tiers ont conclu un accord établissant un cadre pour la participation de ce dernier à des opérations de gestion de crise menées par l’[Union], les dispositions de cet accord s’appliquent dans le cadre de la présente opération. [...] 6. Les conditions de transfert, vers un État tiers participant à l’opération, des personnes appréhendées et retenues en vue de l’exercice de la compétence juridictionnelle de cet État, sont arrêtées à l’occasion de la conclusion ou de la mise en œuvre des accords de participation visés au paragraphe 3. » |
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Aux termes de l’article 12 de cette action commune, intitulé « Transfert des personnes appréhendées et retenues en vue de l’exercice de poursuites judiciaires » : « 1. Sur la base de l’acceptation par la Somalie de l’exercice de leur juridiction par des États membres ou des États tiers, d’une part, et de l’article 105 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, d’autre part, les personnes suspectées d’avoir l’intention, au sens des articles 101 et 103 de ladite convention, de commettre, commettant ou ayant commis des actes de piraterie ou des vols à main armée dans les eaux territoriales ou intérieures de la Somalie ou en haute mer, qui sont appréhendées et retenues, en vue de l’exercice de poursuites judiciaires, ainsi que les biens ayant servi à accomplir ces actes, sont transférés :
2. Les personnes suspectées d’avoir l’intention, au sens des articles 101 et 103 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, de commettre, commettant ou ayant commis des actes de piraterie ou des vols à main armée qui sont appréhendées et retenues, en vue de l’exercice de poursuites judiciaires, par Atalanta dans les eaux territoriales, les eaux intérieures ou les eaux archipélagiques d’autres États de la région, en accord avec ceux-ci, ainsi que les biens ayant servi à accomplir ces actes, peuvent être transférés aux autorités compétentes de l’État concerné ou, avec le consentement de ce dernier, aux autorités compétentes d’un autre État. 3. Aucune des personnes mentionnées aux paragraphes 1 et 2 ne peut être transférée à un État tiers si les conditions de ce transfert n’ont pas été arrêtées avec cet État tiers d’une manière conforme au droit international applicable, notamment le droit international des droits de l’homme, pour garantir en particulier que nul ne soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à tout autre traitement cruel, inhumain ou dégradant. » |
L’accord UE-Tanzanie
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Sous l’intitulé « Définitions », l’article 2 de l’accord entre l’Union européenne et la République unie de Tanzanie relatif aux conditions de transfert, de la force navale placée sous la direction de l’Union européenne à la République unie de Tanzanie, des personnes soupçonnées d’actes de piraterie et des biens associés saisis (JO 2014, L 108, p. 3, ci-après l’« accord UE-Tanzanie »), prévoit : « Aux fins du présent accord, on entend par :
[...]
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L’article 1er de cet accord, intitulé « Objectif », dispose : « Le présent accord définit les conditions et les modalités régissant le transfert de l’EUNAVFOR à la Tanzanie des personnes soupçonnées d’avoir l’intention de commettre, de commettre ou d’avoir commis des actes de piraterie et retenues par l’EUNAVFOR et des biens associés saisis par l’EUNAVFOR, ainsi que leur traitement après ce transfert. » |
12 |
Ledit accord énonce, à son article 3, les principes généraux régissant, notamment, les modalités et les conditions du transfert aux autorités tanzaniennes des personnes suspectées d’actes de piraterie retenues par l’EUNAVFOR, y compris celui d’un traitement respectueux des obligations internationales en matière de droits de l’homme. En outre, le même accord régit, à son article 4, les conditions dans lesquelles les personnes transférées sont traitées, poursuivies et jugées, tout en disposant, à son article 5, que de telles personnes ne peuvent pas être jugées pour une infraction dont la sanction maximale est plus sévère que la réclusion à perpétuité. |
13 |
L’article 6 de l’accord UE-Tanzanie est relatif aux échanges de documents et d’informations devant intervenir dans le cadre du transfert desdites personnes. L’article 7, paragraphe 1, de cet accord dispose que, « dans la limite de leurs moyens et capacités, l’Union et l’EUNAVFOR fournissent toute assistance à la Tanzanie à des fins d’enquête et de poursuites concernant les personnes transférées ». |
14 |
Aux termes de l’article 8 de l’accord UE-Tanzanie, aucune disposition de celui‑ci ne vise à déroger aux autres droits dont peuvent jouir des personnes transférées en vertu du droit national ou international applicable. L’article 9 de cet accord porte sur la liaison entre les autorités tanzaniennes et celles de l’Union, ainsi que sur le règlement des différends. Enfin, les articles 10 et 11 du même accord régissent les modalités d’application et d’entrée en vigueur de celui-ci. |
Les antécédents du litige et la décision attaquée
15 |
Au cours de l’année 2008, en particulier dans les résolutions 1814 (2008), 1816 (2008) et 1838 (2008), le Conseil de sécurité des Nations unies (ci‑après le « Conseil de sécurité ») a exprimé sa profonde préoccupation relative à la menace que les actes de piraterie et les vols à main armée commis contre des navires font peser sur l’acheminement de l’aide humanitaire en Somalie, sur la navigation internationale et sur la sécurité des routes maritimes commerciales, ainsi que sur les autres navires vulnérables, y compris ceux dédiés aux activités de pêche exercées en conformité avec le droit international. En outre, il a constaté, dans le préambule de sa résolution 1846 (2008), que les actes de piraterie et les vols à main armée commis contre des navires dans les eaux territoriales de la République fédérale de Somalie ou en haute mer, au large de ses côtes, enveniment la situation dans ce pays, laquelle continue de menacer la paix internationale et la sécurité de la région. |
16 |
Dans ce contexte, le Conseil de sécurité a demandé, au point 14 de cette dernière résolution, à tous les États, en particulier aux États de pavillon, aux États du port et aux États côtiers ainsi qu’aux États de nationalité des victimes ou des auteurs d’actes de piraterie ou de vols à main armée et aux États tirant juridiction du droit international ou de leur droit interne de coopérer en vue de déterminer lequel aura compétence et de prendre les mesures voulues d’enquête et de poursuite à l’encontre des auteurs d’actes de piraterie ou de vols à main armée commis au large des côtes somaliennes, conformément au droit international applicable, y compris le droit international des droits de l’homme, et de seconder ces efforts, notamment en fournissant une assistance en matière de logistique et d’exercice des voies de droit à l’égard des personnes relevant de leur juridiction et de leur contrôle, telles que les victimes, les témoins et les personnes détenues dans le cadre d’opérations menées en vertu de cette résolution. |
17 |
Au neuvième considérant de la résolution 1851 (2008), le Conseil de sécurité note, avec préoccupation, que le manque de moyens, l’absence de législation interne et les incertitudes au sujet du sort à réserver aux pirates après leur capture ont empêché de mener une action internationale plus vigoureuse contre les pirates agissant au large des côtes somaliennes et, dans certains cas, contraint à libérer les pirates sans les avoir traduits en justice. Il a également invité, au point 3 de cette résolution, tous les États et organisations régionales qui luttent contre la piraterie au large des côtes somaliennes à conclure des accords ou arrangements spéciaux avec les pays disposés à prendre livraison des pirates pour embarquer des agents des services de lutte contre la criminalité (« shipriders ») de ces pays, en particulier au sein de la région, en vue de faciliter la conduite d’enquêtes et de poursuites à l’encontre des personnes détenues dans le cadre de leurs opérations. |
18 |
En réponse à ces différentes résolutions, l’Union a adopté l’action commune 2008/851 en vertu de laquelle elle mène, depuis le mois de novembre 2008, l’opération Atalanta par laquelle elle contribue, notamment, à la lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes. |
19 |
Dans le cadre de cette opération militaire, le Conseil de l’Union européenne a envoyé au Parlement, le 22 mars 2010, une lettre dans laquelle il faisait état de la nécessité de négocier et de conclure des accords internationaux avec certains États tiers. Par cette lettre, le Conseil a rappelé que, conformément à l’article 12 de l’action commune 2008/851, les personnes ayant commis ou soupçonnées d’avoir commis des actes de piraterie ou des vols à main armée dans les eaux territoriales de la République fédérale de Somalie ou en haute mer, qui sont appréhendées et retenues, en vue de l’exercice de poursuites judiciaires ainsi que les biens ayant servi à accomplir ces actes peuvent être transférés à tout État tiers qui souhaite exercer sa juridiction sur ces personnes ou ces biens, sous réserve que les conditions de ce transfert aient été arrêtées avec cet État tiers d’une manière conforme au droit international applicable. En outre, le Conseil a informé le Parlement, par ladite lettre, que le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (ci‑après le « haut représentant ») avait été autorisé, le même jour, à ouvrir des négociations, en vertu de l’article 37 TUE, afin de conclure des accords de transfert avec la République de Maurice, la République du Mozambique, la République d’Afrique du Sud, la République unie de Tanzanie et la République d’Ouganda. |
20 |
Par lettre du 19 mars 2014, le Conseil a indiqué au Parlement que, à la suite de la conclusion des négociations avec la République unie de Tanzanie, il avait adopté, le 10 mars 2014, la décision attaquée. |
21 |
L’accord UE-Tanzanie a été signé, à Bruxelles, le 1er avril 2014. Le texte de cet accord ainsi que la décision attaquée ont été publiés au Journal officiel de l’Union européenne le 11 avril 2014. |
Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
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Le Parlement conclut à ce que la Cour annule la décision attaquée, ordonne le maintien des effets de cette décision jusqu’à ce qu’elle soit remplacée et condamne le Conseil aux dépens. |
23 |
Le Conseil demande à la Cour, à titre principal, de rejeter le recours comme étant non fondé et de condamner le Parlement aux dépens. À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où il serait fait droit à la demande d’annulation de la décision attaquée, le Conseil demande que les effets de celle-ci soient maintenus soit jusqu’à la date d’entrée en vigueur d’un acte la remplaçant si cette annulation est fondée sur le premier moyen soulevé par le requérant, soit indéfiniment si ladite annulation est uniquement fondée sur le second moyen. |
24 |
Par décision du président de la Cour du 3 octobre 2014, la République tchèque, le Royaume de Suède et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ont été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil. La Commission européenne a été admise à intervenir au soutien des conclusions du Parlement. |
Sur le recours
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À l’appui de son recours, le Parlement soulève deux moyens. Par le premier moyen, il fait valoir que la décision attaquée est fondée, à tort, sur le seul article 37 TUE et que, partant, elle n’aurait pas dû être adoptée conformément à la procédure spécifique aux accords portant exclusivement sur la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), instituée à l’article 218, paragraphe 6, second alinéa, premier membre de phrase, TFUE, qui exclut toute participation du Parlement. Une telle décision, dont la base juridique appropriée serait constituée des articles 37 TUE ainsi que 82 et 87 TFUE, ne pourrait être adoptée que conformément à la procédure prévue à l’article 218, paragraphe 6, second alinéa, sous a), v), TFUE, prévoyant l’approbation du Parlement. Par le second moyen, tiré de la violation de l’article 218, paragraphe 10, TFUE, le Parlement fait grief au Conseil de ne pas l’avoir immédiatement et pleinement informé à toutes les étapes de la négociation et de la conclusion de l’accord UE‑Tanzanie. |
Sur le premier moyen, tiré du choix erroné de la base juridique
Argumentation des parties
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Par son premier moyen, le Parlement fait valoir que le Conseil a considéré à tort que la décision attaquée concernait un accord international portant « exclusivement sur la [PESC] » au sens de l’article 218, paragraphe 6, second alinéa, premier membre de phrase, TFUE. Il allègue que, faute d’approbation de sa part, cette décision a été adoptée en violation des dispositions des traités. Il soutient que l’accord UE‑Tanzanie poursuit une double finalité dans la mesure où cet accord porte tant sur la PESC que sur les domaines de la coopération judiciaire en matière pénale et de la coopération policière, domaines qui relèvent de la procédure législative ordinaire. Par conséquent, le Parlement considère que la décision attaquée aurait dû avoir pour bases juridiques les articles 37 TUE ainsi que 82 et 87 TFUE et que , partant, elle aurait dû être adoptée selon la procédure définie à l’article 218, paragraphe 6, second alinéa, sous a), v), TFUE. |
27 |
Le Parlement relève que le choix de la base juridique doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent notamment la finalité et le contenu de l’acte en cause. À cet égard, la finalité de l’accord UE‑Tanzanie serait d’éviter que les États membres concernés ne soient obligés de mener eux‑mêmes des procédures pénales et de faciliter la coopération entre leurs autorités et celles de la République unie de Tanzanie en établissant un cadre juridique pour la remise des suspects à cet État tiers afin que celui‑ci se charge des enquêtes et des poursuites. Par ailleurs, cet accord contiendrait des dispositions portant directement sur la coopération judiciaire en matière pénale et la coopération policière et, notamment, sur le traitement, les poursuites et le procès des personnes transférées. |
28 |
En effet, l’accord UE‑Tanzanie ne se rapporterait pas exclusivement à la PESC. À cet égard, le Parlement estime que ledit accord ne peut pas être uniquement considéré comme un aspect de la mission internationale de l’Union visant à préserver la paix, à prévenir les conflits et à renforcer la sécurité internationale. De fait, l’objectif de cet accord serait également de transférer des personnes soupçonnées d’activités criminelles, qui relèvent de la juridiction des États membres et se trouvent sur le territoire de l’Union, aux autorités judiciaires et policières d’un État tiers afin de permettre à celles-ci d’exercer, à l’égard de ces suspects, leurs pouvoirs d’enquête et de poursuite. |
29 |
Le Parlement souligne, à cet égard, que les autorités policières et judiciaires des États membres pourraient elles‑mêmes exercer ces pouvoirs. En effet, dans l’hypothèse où les personnes retenues seraient transférées non pas aux autorités tanzaniennes, mais aux autorités compétentes des États membres, l’EUNAVFOR ne mènerait pas une opération militaire, mais agirait plutôt en tant qu’autorité administrative. À cet égard, le simple fait de confier de tels transferts à une force navale ne permettrait pas de les qualifier d’activités militaires ou sécuritaires et, partant, d’en conclure que ces transferts relèvent exclusivement de la PESC. |
30 |
Au demeurant, ni le droit international, ni les résolutions du Conseil de sécurité, ni le mandat de l’opération Atalanta imparti par l’action commune 2008/851 n’imposeraient le transfert des pirates, retenus par l’EUNAVFOR, aux États tiers. À cet égard, le Parlement fait valoir que la première branche de l’alternative prévue à l’article 12, paragraphe 1, de cette action commune est celle du transfert des personnes soupçonnées d’actes de piraterie aux autorités compétentes des États membres, leur transfert vers un État tiers ne constituant que la seconde branche de cette alternative. |
31 |
Le Parlement relève, pour affirmer qu’il existe un lien direct et étroit entre cet accord et l’espace de liberté, de sécurité et de justice, au sens du titre V du traité FUE, que les personnes appréhendées et retenues, soupçonnées d’actes de piraterie, ainsi que les biens saisis se trouvent sous la juridiction des États membres participant à l’EUNAVFOR. En effet, le transfert de telles personnes et de tels biens de l’Union à un État tiers, en l’occurrence à la République unie de Tanzanie, aurait pour effet de priver les autorités compétentes de ces États membres de l’exercice de leurs pouvoirs d’enquête, de poursuite et de juger conformément à leur droit. La piraterie relèverait de la lutte contre la criminalité internationale, un domaine qui se rapporterait à l’espace de liberté, de sécurité et de justice et, notamment, aux dispositions afférentes à cet espace portant sur la coopération judiciaire en matière pénale et la coopération policière. Dans ces conditions, il ne pourrait être inséré, dans un accord international tel que l’accord UE‑Tanzanie, des instruments de coopération se rattachant audit espace, sans recourir à une base juridique se rapportant au même espace. |
32 |
Le Parlement admet que l’opération Atalanta et l’accord UE‑Tanzanie contribuent à la réalisation de certains des objectifs de l’action extérieure de l’Union visés à l’article 21, paragraphes 1 et 2, TUE. Toutefois, il soutient que le seul fait qu’une mesure poursuive ces objectifs ne signifie pas nécessairement que ceux-ci relèvent exclusivement de la PESC. De même, si le renforcement de la sécurité internationale est également un objectif spécifique de la politique de sécurité et de défense commune, le contenu de l’accord UE‑Tanzanie ne se rapporterait à aucune des missions spécifiques de cette politique visées à l’article 42, paragraphe 1, et à l’article 43, paragraphe 1, TUE. De fait, l’implication des États membres dans la lutte contre la piraterie serait motivée par la menace que ce phénomène constituerait pour la sécurité intérieure de l’Union. |
33 |
En défense, le Conseil soutient que la décision attaquée est fondée à bon droit sur l’article 37 TUE et sur l’article 218, paragraphes 5 et 6, second alinéa, premier membre de phrase, TFUE, et que l’adoption de l’accord UE‑Tanzanie, qui porte exclusivement sur la PESC, ne nécessitait pas l’approbation du Parlement. |
34 |
En premier lieu, dans l’arrêt du 24 juin 2014, Parlement/Conseil (C‑658/11, EU:C:2014:2025), rendu après le dépôt du présent recours en annulation, la Cour aurait considéré que la décision 2011/640/PESC du Conseil, du 12 juillet 2011, concernant la signature et la conclusion de l’accord entre l’Union européenne et la République de Maurice relatif aux conditions de transfert, de la force navale placée sous la direction de l’Union européenne à la République de Maurice, des personnes suspectées d’actes de piraterie et des biens associés saisis, et aux conditions des personnes suspectées d’actes de piraterie après leur transfert (JO 2011, L 254, p. 1), dont le contenu serait quasi identique à celui de la décision attaquée et qui porterait sur la signature d’un accord dont les termes sont très proches de ceux de l’accord UE‑Tanzanie, pouvait valablement être fondée sur le seul article 37 TUE. |
35 |
En deuxième lieu, le Conseil considère que le moyen tiré d’une erreur quant au choix de la base juridique matérielle de la décision attaquée doit être rejeté comme étant non fondé. En effet, pour autant que le Parlement prétend que l’accord UE‑Tanzanie poursuit deux objectifs qui se rapportent, s’agissant du premier, à la PESC et, s’agissant du second, aux domaines de la coopération judiciaire en matière pénale et de la coopération policière et, par conséquent, que les articles 82 et 87 TFUE auraient dû, avec l’article 37 TUE, constituer les bases juridiques de la décision attaquée, il ne préciserait toutefois pas si ce second objectif est ou non accessoire. Le Conseil soutient que, dans la mesure où le Parlement a reconnu, dans le cadre de la procédure ayant donné lieu à l’arrêt du 24 juin 2014, Parlement/Conseil (C‑658/11, EU:C:2014:2025), que, s’agissant de l’accord du 14 juillet 2011 entre l’Union européenne et la République de Maurice, les objectifs ne relevant pas de la PESC poursuivis par cet accord n’étaient qu’accessoires, les objectifs, identiques, poursuivis par l’accord UE‑Tanzanie ont le même caractère. Partant, la base juridique de la décision attaquée serait l’article 37 TUE. |
36 |
En troisième lieu, le Conseil soutient que la décision attaquée et l’accord UE‑Tanzanie relèvent exclusivement de la PESC et ne poursuivent aucun objectif accessoire afférent à la coopération judiciaire en matière pénale ou à la coopération policière. L’accord UE‑Tanzanie, ayant été conclu dans le cadre d’une opération militaire de gestion de crise menée au titre de la PESC et visant à lutter contre la piraterie conformément aux résolutions applicables du Conseil de sécurité, ne se rapporterait pas à l’espace de liberté, de sécurité et de justice au sein de l’Union. En effet, la rétention et le transfert des personnes soupçonnées d’actes de piraterie ne seraient qu’une simple conséquence de la mission de sécurité de l’opération Atalanta. Au surplus, cet accord visant, par son contenu, à promouvoir l’État de droit et le respect des droits de l’homme, celui‑ci s’inscrirait pleinement dans la PESC. |
37 |
En outre, la lutte contre la criminalité internationale relèverait de la PESC. À cet égard, l’accord UE‑Tanzanie ne viserait pas à préserver l’espace de liberté, de sécurité et de justice, considéré d’un point de vue tant interne qu’externe à l’Union. En particulier, cet accord ne priverait les autorités compétentes des États membres ni de leur pouvoir d’enquête ni de celui de poursuivre et de juger les personnes appréhendées et retenues par des forces déployées dans le cadre de l’opération Atalanta, mais viserait davantage à éviter des situations d’impunité en offrant la possibilité de transférer lesdites personnes vers un État de la région où cette opération se déroule, lorsqu’aucune autorité compétente d’un État membre ne souhaite les poursuivre. |
38 |
En réplique, le Parlement fait valoir que la Cour ne s’est pas prononcée, dans l’arrêt du 24 juin 2014, Parlement/Conseil (C‑658/11, EU:C:2014:2025), sur la question de savoir si la décision 2011/640 aurait dû avoir pour base juridique le seul article 37 TUE ou, également, d’autres dispositions des traités. Si le Parlement concède que l’élimination de la piraterie dans le but de protéger les navires constitue indéniablement le principal objectif de l’opération Atalanta, conformément à l’action commune 2008/851, il soutient que toutes les actions induites par cette opération ne relèvent pas systématiquement de la PESC. Ainsi, sauf à considérer que tous les accords internationaux conclus par l’Union concernant le transfert de personnes soupçonnées d’activités criminelles et capturées par les forces armées des États membres relèvent exclusivement de la PESC, les transferts des personnes soupçonnées d’actes de piraterie ainsi que l’exercice de poursuites à leur égard en vertu de l’accord UE‑Tanzanie ne sauraient être assimilés à des activités militaires. Dans ces conditions, l’accord UE‑Tanzanie poursuivrait une double finalité et, partant, aurait dû être fondé sur une double base juridique. |
39 |
En duplique, le Conseil ajoute que l’opération Atalanta vise à renforcer la sécurité internationale, qu’elle est menée dans le cadre de la politique de sécurité et de défense commune et que l’accord UE‑Tanzanie a été conclu en application de l’article 12 de l’action commune 2008/851. Dès lors, la rétention et le transfert des personnes soupçonnées d’actes de piraterie résulteraient de l’exécution de cette mission et ne constitueraient pas une action distincte de coopération policière ou judiciaire. En effet, aux termes de l’article 2 de l’action commune 2008/851, les missions principales de l’opération Atalanta consisteraient en la protection des navires affrétés par le Programme alimentaire mondial et d’autres navires vulnérables, en la surveillance de certaines zones, ainsi qu’en la dissuasion, en la prévention et en la répression, y compris par l’usage de la force, des actes de piraterie et des vols à main armée commis en mer. En revanche, les opérations de rétention et de transfert des personnes soupçonnées d’actes de piraterie, de collecte de leurs données à caractère personnel, de transmission à Interpol de ces données et de mise à disposition des données relatives aux activités de pêche collectées revêtiraient un caractère accessoire. |
40 |
Le Conseil précise que les mesures concernant l’espace de liberté, de sécurité et de justice, qu’elles soient internes à l’Union ou qu’elles aient une portée extérieure à celle‑ci, doivent être prises dans le but de faire progresser la liberté, la sécurité et la justice au sein de l’Union ou à ses frontières. Or, l’accord UE‑Tanzanie serait sans rapport avec les objectifs dudit espace. En effet, lors d’un transfert à la République unie de Tanzanie d’une personne soupçonnée d’actes de piraterie, aucun État membre n’exercerait sa juridiction. En outre, un navire de guerre relevant de la juridiction exclusive de son État de pavillon ne serait pas assimilable à une partie du territoire de celui‑ci. Par ailleurs, le Parlement n’expliquerait pas en quoi la piraterie constitue une menace pour la sécurité intérieure de l’Union. |
41 |
Lors de l’audience devant la Cour, le Parlement a affirmé, en réponse à une question posée par la Cour, que, dans l’hypothèse où les bases juridiques afférentes à la PESC et à l’espace de liberté, de sécurité et de justice ne pourraient pas être combinées en raison de l’incompatibilité des procédures s’y rapportant, les articles 82 et 87 TFUE devraient constituer, à eux seuls, le fondement juridique de la décision attaquée. |
Appréciation de la Cour
42 |
S’agissant des actes adoptés sur le fondement d’une disposition relative à la PESC, il incombe à la Cour de veiller, notamment, au titre de l’article 275, second alinéa, premier membre de phrase, TFUE, et de l’article 40 TUE, à ce que la mise en œuvre de cette politique n’affecte pas l’application des procédures et l’étendue respective des attributions des institutions prévues par les traités pour l’exercice des compétences de l’Union au titre du traité FUE. Le choix de la base juridique appropriée d’un acte de l’Union revêt une importance de nature constitutionnelle, le recours à une base juridique erronée étant susceptible d’invalider un tel acte, notamment, lorsque la base juridique appropriée prévoit une procédure d’adoption différente de celle qui a effectivement été suivie (voir, en ce sens, avis 2/00, du 6 décembre 2001, EU:C:2001:664, point 5). |
43 |
Selon une jurisprudence constante, le choix de la base juridique d’un acte de l’Union, y compris celui adopté en vue de la conclusion d’un accord international tel que celui en cause en l’espèce, doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent la finalité et le contenu de cet acte (voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 1987, Commission/Conseil, 45/86, EU:C:1987:163, point 11 ; du 11 juin 1991, Commission/Conseil, dit « Dioxyde de titane », C‑300/89, EU:C:1991:244, point 10 ; avis 2/00, du 6 décembre 2001, EU:C:2001:664, point 22, et arrêt du 19 juillet 2012, Parlement/Conseil, C‑130/10, EU:C:2012:472, point 42). |
44 |
Si l’examen d’un acte de l’Union démontre qu’il poursuit deux finalités ou qu’il a deux composantes et si l’une de ces finalités ou de ces composantes est identifiable comme étant principale tandis que l’autre n’est qu’accessoire, l’acte doit être fondé sur une seule base juridique, à savoir celle exigée par la finalité ou la composante principale ou prépondérante. À titre exceptionnel, s’il est établi, en revanche, que l’acte poursuit à la fois plusieurs objectifs ou a plusieurs composantes qui sont liés de façon indissociable, sans que l’un soit accessoire par rapport à l’autre de sorte que différentes dispositions des traités sont applicables, une telle mesure doit être fondée sur les différentes bases juridiques correspondantes (voir, en ce sens, arrêts du 10 janvier 2006, Commission/Parlement et Conseil, C‑178/03, EU:C:2006:4, points 42 et 43, ainsi que du 24 juin 2014, Parlement/Conseil, C‑658/11, EU:C:2014:2025, point 43). |
45 |
S’agissant, en premier lieu, du contenu de l’accord UE‑Tanzanie, il convient de constater que les dispositions de cet accord définissent, conformément à son article 1er, les conditions et les modalités régissant le transfert à la République unie de Tanzanie des personnes soupçonnées d’avoir l’intention de commettre, de commettre ou d’avoir commis des actes de piraterie, retenues par l’EUNAVFOR, et des biens associés saisis par celle-ci, ainsi que le traitement de ces personnes après ce transfert. |
46 |
En vertu des articles 3 et 4 dudit accord, parmi ces conditions et ces modalités figurent le respect de principes généraux, notamment celui de traitement respectueux des obligations internationales en matière de droits de l’homme. Le même accord régit également le traitement, les poursuites et les procès des personnes transférées, tout en prévoyant, à son article 5, que de telles personnes ne peuvent pas être jugées pour une infraction dont la sanction maximale est plus sévère que la réclusion à perpétuité. En outre, cet accord prévoit, à son article 6, la tenue de registres et la notification de documents afférents à ces personnes et dispose, à son article 7, paragraphe 1, que, dans la limite de leurs moyens et de leurs capacités, l’Union et l’EUNAVFOR fournissent toute assistance à la République unie de Tanzanie à des fins d’enquête et de poursuites concernant les personnes transférées. |
47 |
Certes, comme l’a relevé Mme l’avocat général au point 60 de ses conclusions, certaines des obligations prévues par l’accord UE‑Tanzanie semblent, de prime abord, se rapporter aux domaines de la coopération judiciaire en matière pénale et de la coopération policière transfrontalières lorsqu’elles sont considérées isolément. Cependant, et comme l’a fait également valoir Mme l’avocat général, la circonstance que certaines des dispositions d’un tel accord, prises isolément, s’apparentent à des règles pouvant être adoptées dans un domaine d’action de l’Union n’est pas, à elle seule, suffisante pour déterminer la base juridique appropriée de la décision attaquée. S’agissant, en particulier, des dispositions de l’accord UE‑Tanzanie consacrées au respect des principes de l’État de droit et des droits de l’homme ainsi que de la dignité humaine, il convient de souligner que ce respect s’impose à toute action de l’Union, y compris dans le domaine de la PESC, ainsi qu’il ressort des dispositions combinées de l’article 21, paragraphe 1, premier alinéa, paragraphe 2, sous b), et paragraphe 3, TUE et de l’article 23 TUE. Dans ces conditions, il y a également lieu d’apprécier cet accord à la lumière de sa finalité. |
48 |
En ce qui concerne, en second lieu, cette finalité, il ressort notamment du considérant 3 de la décision attaquée que cet accord a été conclu en application de l’article 12 de l’action commune 2008/851, qui relève de la PESC, afin de permettre le transfert, dans le cadre de l’opération Atalanta, des personnes appréhendées et retenues par l’EUNAVFOR ainsi que des biens saisis, à un État tiers, en l’occurrence la République unie de Tanzanie, souhaitant exercer sa juridiction sur ces personnes et ces biens. Ainsi qu’il ressort de l’intitulé même de ladite action commune, celle‑ci vise à contribuer, notamment, à la répression des actes de piraterie et de vols à main armée au large des côtes de la Somalie. |
49 |
L’accord UE‑Tanzanie vise ainsi à établir un mécanisme essentiel pour contribuer à la réalisation effective des objectifs de l’opération Atalanta, notamment, en ce qu’il renforce, de manière durable, la coopération internationale en matière de répression des actes de piraterie en définissant un cadre légal de transfert des personnes appréhendées et retenues, permettant de lutter contre l’impunité de ces personnes, conformément au mandat défini par les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité. |
50 |
À cet égard, il y a lieu de rappeler que le Conseil de sécurité a, notamment au point 14 de sa résolution 1846 (2008), demandé à tous les États de coopérer en vue de déterminer lequel aura compétence et de prendre les mesures voulues d’enquête et de poursuite à l’encontre des auteurs d’actes de piraterie ou de vols à main armée commis au large des côtes somaliennes. Reflétant la coopération envisagée par l’article 100 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, qui soumet les États contractants à une obligation de coopération à la répression de la piraterie en haute mer, c’est en tant qu’élément de cette action internationale de lutte contre des actes de piraterie et, en particulier, contre l’impunité des personnes commettant de tels actes que la décision attaquée a été adoptée en vue de la signature et de la conclusion de l’accord UE‑Tanzanie. |
51 |
Cet accord, conclu en application de l’article 12 de l’action commune 2008/851, est intimement lié à l’opération Atalanta, de telle sorte que, en l’absence de cette opération, ledit accord serait sans objet. L’accord UE‑Tanzanie n’existant qu’en tant qu’accessoire à l’action de l’EUNAVFOR, cet accord perdra son objet le jour où cette force cessera ses activités. |
52 |
L’argument du Parlement selon lequel, en l’absence de l’accord UE‑Tanzanie, les États membres seraient en mesure d’assurer eux‑mêmes les poursuites pénales des personnes capturées n’est pas pertinent dès lors que cet accord vise notamment à rendre de telles poursuites plus efficaces en assurant le transfert des personnes concernées à la République unie de Tanzanie précisément lorsque l’État membre compétent ne peut pas ou ne souhaite pas exercer sa juridiction. De fait, sans la conclusion préalable de tels accords de transfert, visés expressément par l’article 12, paragraphe 3, de l’action commune 2008/851, en vue de garantir que le traitement des personnes transférées soit conforme aux exigences du droit international en matière de droits de l’homme, aucune personne appréhendée par l’EUNAVFOR ne pourrait être transférée aux États tiers de la région où se déroule l’opération Atalanta, ce qui serait susceptible d’alourdir, voire d’entraver, le fonctionnement efficace de cette opération et l’accomplissement des objectifs poursuivis par celle‑ci. |
53 |
Au demeurant, l’EUNAVFOR peut uniquement transférer des personnes, soupçonnées d’actes de piraterie, qu’elle a appréhendées et retenues elle‑même dans le cadre de l’opération Atalanta. Dans ces conditions, l’argument du Parlement visant à établir que les actions entreprises par cette force navale pourraient être assimilées à celles des autorités judiciaires ou policières des États membres ne saurait être retenu. En effet, lesdites actions se déroulent dans le cadre exclusif d’une opération spécifique relevant de la PESC à l’exécution de laquelle elles sont indissociablement rattachées. |
54 |
Ainsi, l’examen de la finalité de l’accord UE‑Tanzanie confirme que la procédure de transfert des personnes appréhendées ou retenues par l’EUNAVFOR qu’il établit constitue un instrument par lequel l’Union poursuit les objectifs de l’opération Atalanta consistant à préserver la paix et la sécurité internationale, notamment, en ce qu’il permet d’éviter que les personnes ayant commis des actes de piraterie restent impunies. |
55 |
Cet accord relevant de manière prépondérante de la PESC, et non de la coopération judiciaire en matière pénale ou de la coopération policière, la décision attaquée a pu valablement être fondée sur le seul article 37 TUE. Partant, c’est à bon droit qu’elle a été adoptée conformément à la procédure prévue à l’article 218, paragraphe 6, second alinéa, premier membre de phrase, TFUE. |
56 |
Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le premier moyen comme étant non fondé. |
Sur le second moyen, tiré d’une violation de l’article 218, paragraphe 10, TFUE
Argumentation des parties
57 |
Selon le Parlement, l’obligation énoncée à l’article 218, paragraphe 10, TFUE, aux termes duquel celui-ci doit être « immédiatement et pleinement informé à toutes les étapes de la procédure », constitue une règle de procédure essentielle qui s’applique à tous les accords internationaux conclus par l’Union, y compris ceux relevant de la PESC. Le Conseil aurait enfreint cette règle dans la mesure où il n’a informé le Parlement que de l’ouverture des négociations portant sur l’accord UE‑Tanzanie, le 22 mars 2010, et de l’adoption de la décision attaquée, le 19 mars 2014, neuf jours après cette adoption. En outre, ni le haut représentant ni le Conseil n’auraient tenu le Parlement informé des pourparlers ayant précédé ladite adoption. Enfin, le Conseil ne lui aurait communiqué ni les directives de négociation, ni le texte de cette décision, ni, encore, celui de l’accord UE‑Tanzanie. |
58 |
Le Parlement soutient que cette absence d’information l’a empêché d’arrêter une ligne politique concernant le contenu de l’accord UE‑Tanzanie et, plus généralement, d’exercer un contrôle parlementaire des activités du Conseil. Il soutient que, sauf à vouloir priver l’obligation instaurée par ladite disposition de tout caractère contraignant, cette obligation s’ajoute à celle, distincte, de consultation du Parlement sur la PESC, au titre de l’article 36 TUE. En outre, l’effet utile de l’article 218, paragraphe 10, TFUE serait affecté si le Parlement n’était informé de la négociation et de la conclusion des accords internationaux que par la publication de ces derniers au Journal officiel de l’Union européenne. |
59 |
Le Conseil ne conteste pas que cette dernière disposition s’applique également aux accords internationaux portant exclusivement sur la PESC, mais soutient qu’elle n’a pas été violée en l’occurrence. À cet égard, il explique que le Parlement est informé de toutes les décisions pertinentes qu’il adopte au titre de l’article 218 TFUE en ce qui concerne, notamment, l’autorisation de l’ouverture de négociations, les directives de négociation, la signature et la conclusion d’un accord international ainsi que, le cas échéant, l’application provisoire d’un tel accord. |
60 |
Pour ce qui est de l’accord UE-Tanzanie, le Conseil relève, tout d’abord, qu’il a dûment communiqué au Parlement les directives de négociation. Le 22 mars 2010, date de l’adoption de la décision autorisant l’ouverture des négociations, le Conseil aurait adressé une lettre au Parlement dans laquelle il expliquait que, conformément à l’article 12 de l’action commune 2008/851, des accords de transfert avec certains États tiers devaient être conclus et que le haut représentant avait été autorisé à ouvrir des négociations, en application de l’article 37 TUE, avec un certain nombre d’États, parmi lesquels figurait la République unie de Tanzanie. Quant au contenu du projet d’accord UE‑Tanzanie, la connaissance que le Parlement avait des accords de transfert conclus antérieurement avec d’autres États dans le cadre de l’opération Atalanta lui aurait permis d’exercer ses prérogatives qui seraient, en tout état de cause, limitées en matière d’accords internationaux relevant exclusivement de la PESC. |
61 |
S’agissant, ensuite, de la communication au Parlement du texte de la décision attaquée et de celui de l’accord UE‑Tanzanie, le Conseil soutient que les prérogatives limitées du Parlement dans le cadre de la procédure de négociation et de conclusion des accords internationaux en matière de PESC ont pour objectif premier de permettre à celui-ci de contrôler la base juridique de ces accords et que, en l’occurrence, cet objectif a été atteint dans la mesure où le Parlement a été en mesure de procéder à un tel contrôle à la suite de la réception de la lettre du Conseil du 22 mars 2010 l’informant de l’ouverture des négociations. Par ailleurs, les textes de la décision attaquée et de l’accord UE‑Tanzanie auraient nécessairement été communiqués au Parlement par l’effet de leur publication au Journal officiel de l’Union européenne le 11 avril 2014, date qui constituerait le point de départ du délai durant lequel le Parlement pouvait former un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE. |
62 |
Enfin, le Conseil soutient que, dans la mesure où des informations devraient être données sur le déroulement des négociations, cette tâche incombe au haut représentant et que, par conséquent, le moyen tiré de la violation de l’article 218, paragraphe 10, TFUE est non fondé. À titre surabondant, le Conseil fait état de l’impossibilité matérielle de tenir le Parlement informé, pendant le déroulement de négociations en matière de PESC, de tous leurs développements parfois rapides et inattendus. Il relève que, en tout état de cause, le Parlement s’est vu communiquer des informations, dans le cadre, plus large, de l’opération Atalanta dans lequel s’inscrit la décision attaquée. |
63 |
En réplique, le Parlement reconnaît avoir été « immédiatement » informé, au sens de l’article 218, paragraphe 10, TFUE, par le Conseil de sa décision d’autoriser l’ouverture des négociations, le jour de l’adoption de celle-ci. Il soutient, toutefois, que, s’agissant de la décision attaquée, il ne l’a pas été, dans la mesure où cette décision ne lui a été notifiée que neuf jours après son adoption. En outre, le Conseil ne lui aurait jamais communiqué les textes de ladite décision et de l’accord UE‑Tanzanie. L’exigence d’informer le Parlement « pleinement », au sens de l’article 218, paragraphe 10, TFUE, ne pourrait pas être satisfaite du seul fait que le Conseil a conclu auparavant des accords similaires. En tout état de cause, un contrôle, par le Parlement, de la base juridique de la décision attaquée n’aurait pas pu être effectué en l’absence de communication d’un texte lui permettant d’identifier les éléments pertinents à cet égard, tels que le but et le contenu de l’accord envisagé. Selon le Parlement, le Conseil aurait dû lui communiquer le texte du projet de décision du Conseil et le texte du projet d’accord, au plus tard, le 4 avril 2012, date à laquelle, au terme des négociations, les conseillers pour les relations extérieures du Conseil ont arrêté ces textes. Postérieurement à cette date, le Conseil aurait simplement attendu l’approbation de ce projet d’accord par la République unie de Tanzanie, qui lui a été notifiée au mois de février 2014. |
64 |
Enfin, le Parlement conteste la distinction faite par le Conseil entre les responsabilités exercées par celui-ci et celles imparties au haut représentant au motif que ce dernier préside le Conseil des affaires étrangères, la formation du Conseil chargée de la PESC. Se référant à l’arrêt du 24 juin 2014, Parlement/Conseil (C‑658/11, EU:C:2014:2025), le Parlement soutient que le respect de l’article 218, paragraphe 10, TFUE constitue une condition de validité de la décision d’adoption des accords internationaux et qu’il incombe au Conseil de s’assurer, avant leur adoption, que le Parlement a été dûment informé. |
65 |
En duplique, le Conseil, tout en considérant qu’un délai de plusieurs mois ou de plusieurs semaines ne répond pas à l’exigence d’informer « immédiatement » le Parlement, au sens de l’article 218, paragraphe 10, TFUE, soutient qu’un délai de quelques jours, en l’occurrence neuf jours correspondant à sept jours ouvrables, ne saurait être considéré comme étant déraisonnable. |
66 |
En ce qui concerne le déroulement des négociations ayant précédé la conclusion de l’accord UE‑Tanzanie, le Conseil considère que sa lettre du 22 mars 2010 fournissait au Parlement des informations suffisantes ayant permis à celui-ci, à tout le moins, de se forger une première opinion sur le bien‑fondé de la base juridique indiquée par le Conseil et d’exprimer ses doutes éventuels à ce sujet. À cet égard, le Conseil ajoute que, si la circonstance qu’il avait conclu auparavant des accords similaires n’est pas suffisante, à elle seule, pour considérer que les exigences résultant de l’article 218, paragraphe 10, TFUE sont satisfaites, cette circonstance et les éléments figurant dans sa lettre du 22 mars 2010, pris dans leur ensemble, le sont. Par ailleurs, le Conseil relève que le mandat de négociation décrit dans cette lettre est resté inchangé. |
67 |
S’agissant du partage des responsabilités entre le Conseil et le haut représentant, tout en reconnaissant que ce dernier préside le Conseil des affaires étrangères, le Conseil affirme que le haut représentant n’agit pas en cette qualité lorsqu’il représente l’Union dans le cadre de la négociation des accords relatifs au domaine de la PESC. Partant, dans la mesure où la conduite des négociations relèverait de la responsabilité du haut représentant et non de celle du Conseil, l’obligation d’en informer le Parlement ne pourrait incomber qu’au haut représentant. Le Conseil estime, par ailleurs, que l’obligation de fournir des informations au cours des négociations ne peut pas porter sur chaque document élaboré ou sur chaque séance de négociation, ou encore sur les travaux préparatoires qui ont lieu au sein du Conseil. Enfin, le Conseil considère qu’il ne lui incombe pas de vérifier, avant l’adoption d’une décision concernant la conclusion d’un accord international, si l’article 218, paragraphe 10, TFUE a effectivement été respecté et si le Parlement a donc été dûment informé de la conduite des négociations précédant l’adoption d’un tel accord. |
Appréciation de la Cour
68 |
Selon la jurisprudence de la Cour, l’obligation impartie par l’article 218, paragraphe 10, TFUE, aux termes duquel le Parlement est « immédiatement et pleinement informé à toutes les étapes de la procédure » de négociation et de conclusion des accords internationaux, s’applique à toute procédure de conclusion d’un accord international, y compris les accords portant exclusivement sur la PESC (arrêt du 24 juin 2014, Parlement/Conseil, C‑658/11, EU:C:2014:2025, point 85). L’article 218 TFUE, pour satisfaire à des exigences de clarté, de cohérence et de rationalisation, prévoit une procédure unifiée et de portée générale concernant la négociation et la conclusion des accords internationaux par l’Union dans tous les domaines d’action de celle‑ci, y compris la PESC qui, contrairement à d’autres domaines, n’est soumise à aucune procédure spéciale (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2014, Parlement/Conseil, C‑658/11, EU:C:2014:2025, points 52 et 72). |
69 |
Si, certes, le rôle conféré au Parlement en matière de PESC demeure limité, cette institution étant exclue de la procédure de négociation et de conclusion des accords portant exclusivement sur la PESC, il n’en demeure pas moins que celui‑ci n’est pas dépourvu de tout droit de regard sur cette politique de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2014, Parlement/Conseil, C‑658/11, EU:C:2014:2025, points 83 et 84). |
70 |
À cet égard, il convient de rappeler que l’implication du Parlement dans le processus décisionnel est le reflet, au niveau de l’Union, d’un principe démocratique fondamental selon lequel les peuples participent à l’exercice du pouvoir par l’intermédiaire d’une assemblée représentative (voir, en ce sens, arrêts du 29 octobre 1980, Roquette Frères/Conseil, 138/79, EU:C:1980:249, point 33 ; du 11 juin 1991, Dioxyde de titane, C‑300/89, EU:C:1991:244, point 20, et du 19 juillet 2012, Parlement/Conseil, C‑130/10, EU:C:2012:472, point 81). S’agissant de la procédure de négociation et de conclusion des accords internationaux, l’exigence d’information prévue à l’article 218, paragraphe 10, TFUE est l’expression de ce principe démocratique sur lequel l’Union se fonde (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2014, Parlement/Conseil, C‑658/11, EU:C:2014:2025, point 81). |
71 |
Cette exigence d’information vise à assurer, notamment, que le Parlement soit mis à même d’exercer un contrôle démocratique sur l’action extérieure de l’Union et, plus spécifiquement, de vérifier que le choix de la base juridique d’une décision portant conclusion d’un accord a été opéré dans le respect de ses attributions (voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2014, Parlement/Conseil, C‑658/11, EU:C:2014:2025, point 79). À cet égard, si l’exigence d’informer le Parlement de manière pleine et immédiate n’a pas pour objet de permettre à ce dernier de participer à la négociation et à la conclusion des accords en matière de PESC, elle lui permet, en plus de procéder à la vérification de la base juridique appropriée des mesures adoptées dans le cadre de cette politique, d’exercer ses propres compétences en pleine connaissance de l’ensemble de l’action extérieure de l’Union. |
72 |
En effet, l’Union devant veiller, conformément à l’article 21, paragraphe 3, TUE, à la cohérence entre les différents domaines de son action extérieure, l’obligation d’information dont sont débitrices les autres institutions à l’égard du Parlement en vertu de l’article 218, paragraphe 10, TFUE contribue à garantir l’unité et la cohérence de cette action (voir, par analogie, s’agissant de la coopération entre les institutions de l’Union et les États membres, arrêt du 2 juin 2005, Commission/Luxembourg, C‑266/03, EU:C:2005:341, point 60 ; avis 1/08, du 30 novembre 2009, EU:C:2009:739, point 136, et arrêt du 20 avril 2010, Commission/Suède, C‑246/07, EU:C:2010:203, point 75). |
73 |
Il y a lieu, d’emblée, de rejeter l’argument du Conseil selon lequel l’obligation d’informer le Parlement de la conduite des négociations relève de la responsabilité du haut représentant et non de celle du Conseil lui‑même. En effet, dans la mesure où l’article 218, paragraphe 2, TFUE prévoit qu’il appartient au Conseil d’autoriser l’ouverture des négociations, d’arrêter les directives de négociation, d’autoriser la signature et de conclure les accords, il s’ensuit qu’il incombe également à cette institution, notamment dans le contexte des accords portant exclusivement sur la PESC, de veiller au respect de l’obligation impartie par l’article 218, paragraphe 10, TFUE. |
74 |
En l’occurrence, le Parlement reproche au Conseil, en premier lieu, de ne pas l’avoir informé du déroulement des négociations, en deuxième lieu, de ne lui avoir transmis ni le texte final de l’accord UE‑Tanzanie, ni celui de la décision attaquée et, en troisième lieu, de ne l’avoir informé de l’adoption de cette dernière décision que neuf jours après cette adoption. |
75 |
S’agissant, tout d’abord, du grief tiré de l’absence d’information du Parlement par le Conseil sur le déroulement des négociations, il y a lieu de constater que, en l’espèce, le Conseil n’a informé le Parlement que lors de l’autorisation d’ouverture des négociations et de leur conclusion. Or, la Cour a considéré, au point 86 de l’arrêt du 24 juin 2014, Parlement/Conseil (C‑658/11, EU:C:2014:2025), que l’obligation, prévue à l’article 218, paragraphe 10, TFUE, de veiller à ce que le Parlement soit immédiatement et pleinement informé à toutes les étapes de la procédure de conclusion d’un accord international s’étend également aux étapes précédant la conclusion d’un tel accord et couvre ainsi, notamment, la phase de négociation. |
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À cet égard, en ce qui concerne l’étendue de l’information visée par ladite disposition, il convient de relever que la procédure de négociation et de conclusion des accords internationaux prévue à l’article 218 TFUE comporte, notamment, l’autorisation d’ouverture des négociations, la définition des directives de négociation, la désignation du négociateur de l’Union et, le cas échéant, d’un comité spécial, la clôture des négociations, l’autorisation de signature de l’accord, le cas échéant, la décision d’application provisoire de l’accord avant son entrée en vigueur et la conclusion de l’accord. |
77 |
Si, en vertu de l’article 218, paragraphe 10, TFUE, le Parlement doit être informé à toutes ces étapes de la procédure, le fait que sa participation à la négociation et à la conclusion des accords relevant exclusivement de la PESC est précisément exclue signifie que cette exigence d’information ne s’étend pas aux étapes relevant d’un processus préparatoire interne au Conseil. Cela étant, ainsi que Mme l’avocat général l’a relevé au point 86 de ses conclusions, l’exigence d’information du Parlement ne saurait se limiter aux seules étapes de la procédure visées au point précédent du présent arrêt, mais s’étend également aux résultats intermédiaires auxquels les négociations aboutissent. À cet égard, ainsi que le Parlement l’a fait valoir, cette exigence d’information nécessitait que le Conseil lui communique le texte du projet d’accord et celui du projet de décision arrêtés par les conseillers pour les relations extérieures du Conseil en charge des négociations, dans la mesure où le texte de ces projets a été communiqué aux autorités tanzaniennes en vue de la conclusion de l’accord. |
78 |
Au demeurant, en l’occurrence, le Conseil n’a aucunement informé le Parlement du déroulement de la procédure de négociation ayant précédé la conclusion de l’accord UE‑Tanzanie, hormis l’envoi de la lettre du 22 mars 2010 l’avisant de l’ouverture de celle‑ci. L’exercice du droit de regard du Parlement n’étant concevable qu’en considération du contenu de l’accord envisagé lui‑même, et non en fonction de celui d’autres accords présentant, le cas échéant, des caractéristiques similaires (voir, par analogie, arrêt du 6 novembre 2008, Parlement/Conseil, C‑155/07, EU:C:2008:605, point 74), l’existence d’accords conclus avec d’autres États dont le Parlement pourrait avoir connaissance est, à cet égard, sans pertinence. Dans ces conditions, l’argument du Conseil, selon lequel le Parlement aurait, du fait de l’existence de tels accords similaires antérieurs, été suffisamment informé de la conduite des négociations ayant abouti à l’accord UE-Tanzanie, doit être rejeté. |
79 |
Ensuite, s’agissant du grief tiré du fait que le Conseil n’a pas transmis les textes de l’accord UE‑Tanzanie et de la décision attaquée au Parlement, il convient de rejeter l’argument du Conseil selon lequel le Parlement a été en mesure d’exercer ses prérogatives lorsqu’il a pris connaissance du contenu des textes adoptés à l’occasion de leur publication dans le Journal officiel de l’Union européenne. |
80 |
Ainsi que la Cour l’a déjà souligné, la publication de la décision portant signature et conclusion d’un accord au Journal officiel de l’Union européenne n’est pas de nature à remédier à une violation de l’article 218, paragraphe 10, TFUE. En effet, une telle publication est prévue à l’article 297 TFUE et répond aux conditions de publicité auxquelles un acte de l’Union est soumis afin d’entrer en vigueur, alors que l’exigence d’information découlant de l’article 218, paragraphe 10, TFUE est prévue pour assurer que le Parlement soit mis à même d’exercer un contrôle démocratique sur l’action extérieure de l’Union et, plus spécifiquement, de vérifier que ses attributions sont respectées précisément en conséquence du choix de la base juridique d’une décision portant conclusion d’un accord (arrêt du 24 juin 2014, Parlement/Conseil, C‑658/11, EU:C:2014:2025, point 79). |
81 |
Enfin, s’agissant du grief tiré de la violation par le Conseil de l’article 218, paragraphe 10, TFUE au motif que celui-ci a informé tardivement le Parlement, soit neuf jours après l’adoption de la décision attaquée, il y a lieu de constater qu’un tel délai ne répond pas, en principe, à l’exigence d’informer le Parlement « immédiatement », au sens de cette disposition. |
82 |
Certes, il ne peut être exclu que, dans certaines circonstances, une information délivrée au Parlement au terme d’un délai de quelques jours puisse être qualifiée d’« immédiate », au sens de ladite disposition. Toutefois, le Conseil n’ayant transmis au Parlement, en l’espèce, ni le texte de la décision attaquée ni celui de l’accord UE‑Tanzanie, il convient de constater que, en tout état de cause, il ne l’a pas informé immédiatement et pleinement au cours de la procédure de négociation et de conclusion de cet accord. |
83 |
Il résulte des considérations qui précèdent que le Conseil a violé l’article 218, paragraphe 10, TFUE. |
84 |
Dans la mesure où le Parlement n’a pas été immédiatement et pleinement informé à toutes les étapes de la procédure conformément à l’article 218, paragraphe 10, TFUE, il n’a pas été en mesure d’exercer le droit de regard que les traités lui ont conféré en matière de PESC et, le cas échéant, de faire valoir son point de vue en ce qui concerne, en particulier, la base juridique correcte sur laquelle l’acte en cause doit se fonder. La méconnaissance de cette exigence d’information porte, dans ces conditions, atteinte aux conditions d’exercice, par le Parlement, de ses fonctions dans le domaine de la PESC et constitue en conséquence une violation d’une forme substantielle (arrêt du 24 juin 2014, Parlement/Conseil, C‑658/11, EU:C:2014:2025, point 86). |
85 |
Dans ces conditions, le second moyen est fondé et la décision attaquée doit être annulée. |
Sur le maintien des effets de la décision attaquée
86 |
Le Parlement et le Conseil, soutenus par le gouvernement du Royaume-Uni et la Commission, demandent à la Cour, dans l’hypothèse où elle annulerait la décision attaquée, de maintenir les effets de celle‑ci jusqu’à ce qu’elle soit remplacée. |
87 |
Selon les termes de l’article 264, second alinéa, TFUE, la Cour peut, si elle l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets d’un acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs. |
88 |
Or, il convient d’admettre que l’annulation de la décision attaquée sans que les effets de celle-ci soient maintenus serait susceptible d’entraver le déroulement des opérations menées sur la base de l’accord UE‑Tanzanie et, en particulier, de compromettre les poursuites et les procès des personnes suspectées d’actes de piraterie appréhendées par l’EUNAVFOR. |
89 |
Par conséquent, il y a lieu de maintenir les effets de la décision attaquée dont l’annulation est prononcée par le présent arrêt. |
Sur les dépens
90 |
Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, conformément au paragraphe 3 de ce même article, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. |
91 |
Le Parlement et le Conseil ayant, en l’espèce, chacun succombé partiellement en leurs prétentions, il y a lieu de décider qu’ils supporteront chacun leurs propres dépens. |
92 |
Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, la République tchèque, le Royaume de Suède, le Royaume-Uni et la Commission, qui sont intervenus au litige, supporteront leurs propres dépens. |
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête : |
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Signatures |
( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.