ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

6 novembre 2008 ( *1 )

«Recours en annulation — Décision 2006/1016/CE — Garantie communautaire accordée à la Banque européenne d’investissement en cas de pertes résultant de prêts et de garanties de prêts en faveur de projets en dehors de la Communauté — Choix de la base juridique — Article 179 CE — Article 181 A CE — Compatibilité»

Dans l’affaire C-155/07,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 230 CE, introduit le 19 mars 2007,

Parlement européen, représenté par MM. R. Passos et A. Baas ainsi que Mme D. Gauci, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes M. Arpio Santacruz et M. Sims ainsi que M. D. Canga Fano, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par:

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. A. Aresu et F. Dintilhac, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie intervenante,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. A. Rosas, président de chambre, MM. A. Ó Caoimh (rapporteur), J. N. Cunha Rodrigues, J. Klučka et A. Arabadjiev, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. M.-A. Gaudissart, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 mai 2008,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 juin 2008,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, le Parlement européen demande à la Cour, d’une part, d’annuler la décision 2006/1016/CE du Conseil, du 19 décembre 2006, accordant une garantie communautaire à la Banque européenne d’investissement en cas de pertes résultant de prêts et de garanties de prêts en faveur de projets en dehors de la Communauté (JO L 414, p. 95, ci-après la «décision attaquée»), et, d’autre part, au cas où elle annulerait cette décision, de maintenir les effets de celle-ci jusqu’à ce qu’une nouvelle décision soit adoptée.

Les antécédents du litige et la procédure devant la Cour

2

Le 22 juin 2006, la Commission des Communautés européennes a adopté une proposition qui est à l’origine de la décision attaquée. Cette proposition mentionnait en tant que base juridique l’article 181 A CE.

3

Le 30 novembre 2006, le Parlement a adopté une résolution portant avis sur ladite proposition, dont l’amendement no 1 avait pour objet d’ajouter l’article 179 CE comme base juridique. Il invitait la Commission à la modifier en conséquence, conformément à l’article 250, paragraphe 2, CE.

4

La Commission n’a pas modifié sa proposition sur ce point et, le 19 décembre 2006, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision attaquée sur la seule base juridique de l’article 181 A CE.

5

Estimant que ladite décision aurait dû être adoptée également sur le fondement de l’article 179 CE, le Parlement a introduit le présent recours en annulation.

6

Par ordonnance du président de la Cour du 10 octobre 2007, la Commission a été admise à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

7

Par ordonnance du président de la Cour du 25 octobre 2007, la demande d’intervention présentée par la Banque européenne d’investissement (BEI) a été rejetée, au motif que cette dernière ne figure pas parmi les institutions de la Communauté européenne limitativement énumérées à l’article 7, paragraphe 1, CE.

Le cadre juridique

8

Le troisième considérant de la décision attaquée se lit comme suit:

«Afin de soutenir l’action extérieure de l’Union européenne sans nuire à la cote de crédit de la BEI, la BEI devrait bénéficier d’une garantie budgétaire de la Communauté pour les opérations effectuées en dehors de la Communauté. […]»

9

Le quatrième considérant de cette décision expose que la garantie communautaire devrait couvrir les pertes résultant de prêts et de garanties de prêts en faveur des projets d’investissement éligibles au bénéfice d’un financement de la BEI réalisés dans les pays relevant des règlements (CE) no 1085/2006 du Conseil, du 17 juillet 2006, établissant un instrument d’aide de préadhésion (IAP) (JO L 210, p. 82), (CE) no 1638/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 2006, arrêtant des dispositions générales instituant un instrument européen de voisinage et de partenariat (JO L 310, p. 1), et (CE) no 1905/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, portant établissement d’un instrument de financement de la coopération au développement (JO L 378, p. 41), lorsque le prêt ou la garantie de prêt a été accordé en vertu d’un accord signé qui n’est ni expiré ni annulé.

10

Aux termes du septième considérant de ladite décision:

«À partir de 2007, les relations extérieures de l’[Union] bénéficieront également du soutien des nouveaux instruments financiers, à savoir l’IAP, l’[instrument européen de voisinage et de partenariat], l’[instrument de financement de la coopération au développement] et l’instrument de stabilité [institué par le règlement (CE) no 1717/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 novembre 2006 (JO L 327, p. 1)].»

11

Le huitième considérant de la décision attaquée énonce ce qui suit:

«Les opérations de financement de la BEI devraient être cohérentes avec les politiques extérieures de l’[Union] et les soutenir, y compris en ce qui concerne les objectifs régionaux spécifiques. En assurant une cohérence globale avec les actions de l’[Union], le financement de la BEI devrait venir en complément des politiques d’aide, des programmes et des instruments communautaires correspondants dans les différentes régions. […]»

12

Les douzième à quatorzième considérants de ladite décision sont libellés comme suit:

«(12)

Le financement de la BEI dans les pays d’Asie et d’Amérique latine s’aligneront progressivement sur la stratégie de coopération de l’[Union] dans ces régions et compléteront les instruments financés au titre des ressources budgétaires de la Communauté. La BEI devrait s’efforcer d’étendre progressivement ses activités dans un plus grand nombre de pays de ces régions, y compris les pays les plus pauvres. […]

(13)

En Asie centrale, la BEI devrait mettre l’accent sur les grands projets d’approvisionnement et de transport d’énergie ayant des incidences transfrontalières. […]

(14)

Afin de compléter les activités déployées par la BEI dans le cadre de l’accord de Cotonou en faveur des pays [d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP)], en Afrique du Sud, la BEI devrait mettre l’accent sur des projets d’infrastructure d’intérêt public […] et le soutien au secteur privé, y compris les [petites et moyennes entreprises]. […]»

13

L’article 1er de la décision attaquée, intitulé «Garantie et plafonds», dispose à son paragraphe 1:

«La Communauté accorde à la BEI une garantie globale (ci-après dénommée ‘garantie communautaire’) pour les paiements non perçus par la BEI, mais qui lui sont dus, au titre des prêts et garanties de prêts en faveur des projets d’investissement éligibles au bénéfice d’un financement de la BEI réalisés dans les pays relevant de la présente décision, pour autant que le prêt ou [la] garantie de prêt ait été accordé conformément à un accord signé qui n’est […] ni expiré ni annulé […] et ait été octroyé […] pour contribuer à la réalisation des objectifs correspondants de politique extérieure de l’Union européenne.»

14

L’article 2 de cette décision, intitulé «Pays couverts», prévoit:

«1.   La liste des pays éligibles ou potentiellement éligibles au bénéfice d’un financement de la BEI avec la garantie communautaire figure à l’annexe I.

2.   En ce qui concerne les pays mentionnés à l’annexe I et marqués d’un astérisque ‘*’ et les autres pays qui ne figurent pas à l’annexe I, l’éligibilité du pays concerné au bénéfice d’un financement de la BEI bénéficiant de la garantie communautaire est décidée au cas par cas par le Conseil conformément à la procédure prévue à l’article 181 A, paragraphe 2, du traité [CE].

[…]

4.   Si la situation politique ou économique d’un pays déterminé suscite de graves préoccupations, le Conseil peut décider de suspendre tout nouveau financement de la BEI bénéficiant de la garantie communautaire dans ce pays conformément à la procédure prévue à l’article 181 A, paragraphe 2, du traité.»

15

L’article 3 de ladite décision est intitulé «Cohérence avec les politiques de l’Union européenne». Aux termes de son paragraphe 1, «[l]a cohérence entre les actions extérieures de la BEI et les objectifs de politique extérieure de l’Union européenne est renforcée en vue de développer au maximum les synergies entre le financement de la BEI et les ressources budgétaires de l’Union européenne».

16

Le paragraphe 2 dudit article 3 est libellé comme suit:

«La coopération est menée de manière différenciée selon les régions, en fonction du rôle de la BEI et des politiques de l’Union européenne dans chaque région.»

17

L’annexe I de la décision attaquée contient, conformément à l’article 2 de celle-ci, une liste des pays ayant vocation à bénéficier de financements de la BEI couverts par la garantie communautaire, établie selon la nomenclature suivante:

«A. Pays en phase de préadhésion

1) Pays candidats

[…]

2 Pays candidats potentiels

[…]

B. Pays relevant de la politique de voisinage et de partenariat

1) Pays méditerranéens

[…]

2) Europe orientale, Caucase du sud et Russie

[…]

C. Asie et Amérique latine

1) Amérique latine

[…]

2) Asie

Asie (sauf Asie centrale):

[…]

Asie centrale:

[…]

D. Afrique du Sud

Afrique du Sud.»

Sur le recours

Argumentation des parties

Arguments du Parlement

18

Selon le Parlement, il ressort des termes de la décision attaquée que celle-ci est un instrument de politique extérieure qui couvre à la fois la coopération avec des pays qui sont en développement et avec d’autres qui ne le sont pas. Selon lui, puisque la coopération avec les pays en développement relève exclusivement du titre XX du traité, intitulé «Coopération au développement», l’article 179 CE doit être ajouté comme base juridique de cette décision.

19

Le Parlement observe notamment que la plupart des régions visées par ladite décision sont constituées de «pays en voie de développement», conformément à la classification de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et à celle de la Banque mondiale, et que la majorité des pays concernés — notamment les pays méditerranéens relevant de la politique de voisinage et de partenariat, les pays de l’Asie et de l’Amérique latine ainsi que l’Afrique du Sud — sont de tels pays. La décision attaquée s’inscrirait donc dans les objectifs de l’article 177 CE, parmi lesquels le «développement économique et social durable des pays en développement».

20

Le fait que la décision attaquée concerne également des pays tiers qui ne sont pas des pays en voie de développement n’impliquerait pas que celle-ci devait être adoptée sur la base du seul article 181 A CE. En effet, la raison d’être de cet article, introduit par le traité de Nice, serait d’établir une base juridique spécifique pour les programmes autonomes dans les domaines financier et technique ainsi que pour des accords horizontaux avec des pays tiers qui ne sont pas des pays en voie de développement.

21

Le Parlement soutient également que l’absence de l’article 179 CE comme base juridique de la décision attaquée permet au Conseil, en vertu de l’article 2, paragraphes 2 et 4, de celle-ci, d’adopter des décisions individuelles concernant un ou plusieurs pays en voie de développement sur la base de l’article 181 A CE, ce qui constituerait une violation du traité.

22

D’après le Parlement, exclure les actions de coopération économique, financière et technique du champ d’application de la coopération au développement impliquerait l’exclusion de la plupart des instruments basés sur l’article 179 CE, avec pour résultat que cette disposition serait dépourvue d’une grande partie de sa substance.

23

En outre, le Parlement est d’avis que le choix de la base juridique doit être opéré au regard d’un critère géographique, en tenant compte des pays avec lesquels la Communauté coopère en vertu de l’acte communautaire concerné. Ainsi, les articles 179 CE et 181 A CE s’appliqueraient en fonction des pays bénéficiaires de cet acte, indépendamment du point de savoir s’il y a un objet principal et un objet secondaire. En effet, dans la mesure où la poursuite des objectifs énoncés à l’article 177 CE se traduit, en pratique, par une coopération économique et financière avec les pays en voie de développement, les articles 179 CE et 181 A CE pourraient viser des objectifs similaires, bien que concernant des pays destinataires différents.

24

À titre subsidiaire, le Parlement soutient que la décision attaquée poursuit simultanément les objectifs visés aux articles 181 A CE et 179 CE, car elle constitue une mesure de coopération économique à la fois avec des pays en voie de développement et avec d’autres pays tiers. L’utilisation d’une double base juridique serait donc justifiée, dans la mesure où la coopération avec les pays en voie de développement ferait partie de manière indissociable de la finalité de cette décision.

Arguments du Conseil

25

Selon le Conseil, l’article 181 A CE constitue la base juridique appropriée et suffisante de la décision attaquée. Par ailleurs, le souhait d’une institution de participer de manière plus intense à l’adoption d’un acte déterminé serait sans incidence sur le choix de la base juridique de celui-ci.

26

Le Conseil considère qu’il ressort de l’examen du but et du contenu de la décision attaquée que celle-ci a pour seule fin l’établissement d’une action de coopération financière avec des pays tiers au moyen d’un instrument communautaire.

27

Elle rentrerait dans le champ d’application de l’article 181 A CE, car elle n’opèrerait à cet égard aucune distinction entre les pays tiers visés selon qu’il sont en voie de développement ou non. Le fait que les opérations de financement de la BEI doivent être cohérentes avec les politiques extérieures de l’Union et venir en complément des politiques d’aide implique, selon le Conseil, qu’elles soient cohérentes avec la politique de développement de la Communauté, comme l’impose l’article 181 A, paragraphe 1, premier alinéa, CE.

28

En revanche, la circonstance que la décision attaquée prévoit que son application soit cohérente avec la politique de développement ou produit des effets encourageant le développement ne suffirait pas pour justifier qu’elle ait été adoptée également sur la base de l’article 179 CE. Il en irait de même en ce qui concerne le fait que la liste des pays éligibles ou potentiellement éligibles figurant à l’annexe I de cette décision inclut des pays en développement, car les paragraphes 1 et 2 de cet article prévoiraient que les contributions de la BEI au titre dudit article se réalisent sans préjudice des autres dispositions du traité.

29

Le Conseil a précisé lors de l’audience que, à son avis, le caractère indirect de la relation entre la garantie communautaire et les pays en développement constitue le motif décisif pour lequel la décision attaquée ne devait pas au surplus être fondée sur l’article 179 CE.

Arguments de la Commission

30

La Commission considère que le champ d’application respectif des articles 179 CE et 181 A CE repose à la fois sur un critère géographique (les pays en développement pour le titre XX du traité et les pays tiers pour son titre XXI) et sur un critère matériel (les trois objectifs énoncés à l’article 177, paragraphe 1, CE pour le titre XX du traité et les actions de coopération économique, financière et technique pour son titre XXI).

31

Elle conteste ce qu’elle considère comme une interprétation strictement géographique du champ d’application de l’article 181 A CE que ferait valoir le Parlement. Cette interprétation ne serait pas fondée au regard du texte des titres XX et XXI du traité. En effet, en ce qui concerne ledit titre XXI, le critère géographique renverrait à tous les pays tiers, y compris, éventuellement, les pays en développement. L’article 181 A CE pourrait donc s’appliquer à des pays en développement en l’absence d’une rédaction plus restrictive du titre sous lequel il figure et de son paragraphe 1. Selon la Commission, l’argumentation du Parlement ne tient pas compte des termes «[s]ans préjudice des autres dispositions du présent traité» inscrits à l’article 179, paragraphe 1, CE.

32

La Commission soutient également que la décision attaquée est un instrument financier qui s’applique en premier lieu au niveau interne de la Communauté. Cette décision ne serait pas la base juridique des opérations de financement de la BEI au bénéfice de pays tiers, laquelle serait en premier lieu l’article 18, paragraphe 1, du protocole sur le statut de la BEI annexé au traité.

33

La Commission, tout comme le Conseil, rappelle que l’article 181 A CE prévoit que les actions de coopération économique, financière et technique en dehors de la Communauté entreprises sur le fondement de cet article «sont […] cohérentes avec la politique de développement de la Communauté». Dès lors, selon la Commission, les rédacteurs du traité considéraient que les mesures fondées sur l’article 181 A CE peuvent avoir un effet en faveur du développement, y compris celui des pays en développement. La Commission, en réponse à une question posée par la Cour lors de l’audience, a soutenu que, même pour l’octroi d’une garantie à la BEI relative à des opérations concernant des pays qui seraient tous des pays en développement au sens du traité, la base juridique appropriée serait l’article 181 A CE, parce que cette garantie ne bénéficierait qu’indirectement à ces pays, à travers des prêts qui sont octroyés par la BEI selon ses propres procédures internes et sur le fondement du protocole sur le statut de la BEI.

Appréciation de la Cour

Observations liminaires

34

Selon une jurisprudence constante, le choix de la base juridique d’un acte communautaire doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent la finalité et le contenu de cet acte (voir en ce sens, notamment, arrêts du 11 juin 1991, Commission/Conseil, dit «Dioxyde de titane», C-300/89, Rec. p. I-2867, point 10, et du 29 avril 2004, Commission/Conseil, C-338/01, Rec. p. I-4829, point 54), et non sur la base juridique retenue pour l’adoption d’autres actes communautaires présentant, le cas échéant, des caractéristiques similaires (voir, en ce sens, arrêts du 23 février 1988, Royaume-Uni/Conseil, 131/86, Rec. p. 905, point 29, et du 20 mai 2008, Commission/Conseil, C-91/05, Rec. p. I-3651, point 106). Par ailleurs, lorsqu’il existe, dans le traité, une disposition plus spécifique pouvant constituer la base juridique de l’acte en cause, celui-ci doit être fondé sur cette disposition (voir, en ce sens, arrêts du 29 avril 2004, Commission/Conseil, précité, point 60, et du 26 janvier 2006, Commission/Conseil, C-533/03, Rec. p. I-1025, point 45).

35

Si l’examen d’une mesure démontre qu’elle poursuit deux fins ou qu’elle a deux composantes et si l’une de ces fins ou de ces composantes est identifiable comme principale tandis que l’autre n’est qu’accessoire, l’acte doit être fondé sur une seule base juridique, à savoir celle exigée par la fin ou la composante principale ou prépondérante (voir en ce sens, notamment, arrêts du 17 mars 1993, Commission/Conseil, C-155/91, Rec. p. I-939, points 19 et 21; du 30 janvier 2001, Espagne/Conseil, C-36/98, Rec. p. I-779, point 59; du 29 avril 2004, Commission/Conseil, précité, point 55, ainsi que du 20 mai 2008, Commission/Conseil, précité, point 73).

36

S’agissant d’une mesure poursuivant à la fois plusieurs objectifs ou ayant plusieurs composantes qui sont liés de façon indissociable, sans que l’un soit accessoire par rapport à l’autre, la Cour a jugé que, lorsque différentes dispositions du traité sont ainsi applicables, une telle mesure doit être fondée, à titre exceptionnel, sur les différentes bases juridiques correspondantes (voir, en ce sens, arrêts du 11 septembre 2003, Commission/Conseil, C-211/01, Rec. p. I-8913, point 40, et du 20 mai 2008, Commission/Conseil, précité, point 75).

37

Toutefois, la Cour a déjà jugé, notamment aux points 17 à 21 de l’arrêt Dioxyde de titane, précité, que le recours à une double base juridique est exclu lorsque les procédures prévues pour l’une et l’autre de ces bases sont incompatibles (voir également, en ce sens, arrêts du 25 février 1999, Parlement/Conseil, C-164/97 et C-165/97, Rec. p. I-1139, point 14; du 29 avril 2004, Commission/Conseil, précité, point 57, ainsi que du 10 janvier 2006, Commission/Conseil, C-94/03, Rec. p. I-1, point 52, et Commission/Parlement et Conseil, C-178/03, Rec. p. I-107, point 57).

38

C’est à la lumière de ces considérations qu’il y a lieu de déterminer si la décision attaquée a pu valablement être adoptée sur la seule base juridique de l’article 181 A CE. À cette fin, il y a lieu d’analyser, dans un premier temps, les rapports entre, d’une part, l’article 179 CE, qui figure au titre XX du traité, et, d’autre part, l’article 181 A CE, qui relève de son titre XXI, avant d’examiner si le contenu et la finalité de cette décision relèvent, ainsi que le Parlement le soutient, du champ d’application de ces deux articles. Si tel s’avère être le cas, il conviendra d’examiner quelle était la base juridique appropriée pour l’adoption de ladite décision.

Sur la délimitation des domaines respectifs des titres XX et XXI du traité

39

Il est vrai que, comme le souligne la Commission, au sens littéral, les termes «pays tiers» utilisés à l’article 181 A CE sont suffisamment larges pour englober tant des pays en développement que d’autres pays tiers. Il ne saurait cependant en être inféré, sous peine de restreindre le champ d’application de l’article 179 CE, que toute action de coopération économique, financière et technique avec des pays en développement au sens de l’article 177 CE peut être entreprise sur le fondement unique de l’article 181 A CE.

40

En effet, si seul l’article 181 A CE envisage de manière explicite la «coopération économique, financière et technique», alors que l’article 179 CE ne se réfère, de manière générale, qu’à des «mesures», il n’en demeure pas moins qu’une telle coopération peut constituer, selon ses modalités, une forme typique de coopération au développement. Il est constant que la BEI agit pour l’essentiel dans un cadre de coopération économique, financière et technique. Or, il est prévu à l’article 179 CE, lu en combinaison avec l’article 177 CE, que la BEI contribue, selon les conditions prévues dans ses statuts, à la mise en œuvre des mesures nécessaires à la poursuite des objectifs de la politique de la Communauté en matière de coopération au développement. Ainsi, le point 119 de la déclaration conjointe du Conseil et des représentants des gouvernements des États membres réunis au sein du Conseil, du Parlement et de la Commission sur la politique de développement de l’Union intitulée «Le consensus européen [pour le développement]» (JO 2006, C 46, p. 1) énonce que la BEI «joue un rôle de plus en plus important dans la mise en œuvre de l’aide communautaire, par le biais d’investissements dans les entreprises privées et publiques dans les pays en développement».

41

Par ailleurs, l’article 181 A CE est introduit par les termes «[s]ans préjudice des autres dispositions du présent traité, et notamment de celles du titre XX». Ces termes manifestent l’idée que ledit titre XX est spécifique à la coopération au développement.

42

Certes, ainsi que le Conseil et la Commission le rappellent, l’article 179 CE commence également par les termes «[s]ans préjudice des autres dispositions du présent traité».

43

Il y a néanmoins lieu d’observer, d’une part, que, comme le Parlement le relève dans ses écritures, l’article 179 CE a été formulé à une époque où l’article 181 A CE n’existait pas encore, le titre XXI, dont relève ce dernier article, n’ayant été introduit dans le traité que lors de la révision de celui-ci par le traité de Nice. Avant l’entrée en vigueur de l’article 181 A CE, et pour autant qu’il ne s’agissait pas d’instruments communautaires relevant d’autres politiques, la Communauté arrêtait des mesures et concluait des accords de coopération avec des pays tiers qui n’étaient pas des pays en développement sur la base de l’article 235 du traité CE (devenu article 308 CE), à défaut de base juridique spécifique. L’insertion dans le traité du titre XXI a donc créé une base juridique spécifique pour cette coopération et a assoupli la procédure d’adoption des initiatives communautaires dans ce domaine en substituant la majorité qualifiée au sein du Conseil à l’unanimité requise par l’article 308 CE.

44

D’autre part, la réserve contenue dans l’article 179 CE est moins spécifique que celle inscrite à l’article 181 A CE, laquelle vise explicitement le titre XX du traité.

45

Dans ces conditions, la réserve inscrite à l’article 181 A CE, relative au titre XX du traité a une application prioritaire par rapport à celle de l’article 179 CE.

46

Cette interprétation ne saurait être infirmée par l’argumentation de la Commission reprise au point 33 du présent arrêt, suivant laquelle des mesures concernant la politique dans le domaine de la coopération au développement pourraient être fondées sur le seul article 181 A CE, pourvu qu’elles soient cohérentes avec cette politique telle qu’elle émane du titre XX du traité. En effet, en énonçant que les actions de coopération économique, financière et technique «sont […] cohérentes avec la politique de développement de la Communauté», l’article 181 A, paragraphe 1, CE signifie simplement que, lorsqu’elle adopte des mesures sur la base de l’article 181 A CE, la Communauté doit veiller à maintenir une cohérence avec ce qui a été ou pourrait être décidé sur la base de l’article 179 CE. Une telle analyse est confortée par l’article 178 CE, aux termes duquel la Communauté tient compte des objectifs visés à l’article 177 CE dans les politiques qu’elle met en œuvre et qui sont susceptibles d’affecter les pays en développement.

47

Il s’ensuit que, dans la mesure où l’article 181 A CE s’applique sans préjudice du titre XX du traité CE, relatif à la coopération au développement, cet article n’a pas vocation à constituer la base juridique des mesures poursuivant les objectifs de la coopération au développement au sens dudit titre XX, énoncés à l’article 177 CE.

48

Sans qu’il soit nécessaire de se prononcer en l’espèce sur la question de savoir si une action de coopération économique, financière ou technique avec des pays en développement pourrait, dans la mesure où elle ne poursuivrait pas de tels objectifs, avoir pour seule base juridique l’article 181 A CE, il convient de procéder à l’examen du contenu et de la finalité de la décision attaquée.

Sur le contenu de la décision attaquée

49

Conformément à son article 1er, paragraphe 1, la décision attaquée accorde à la BEI une garantie budgétaire afférente à des défauts de paiement en liaison avec les opérations de financement réalisées par celle-ci dans les pays relevant de cette décision, pour autant que, notamment, les financements concernés aient été octroyés pour contribuer à la réalisation des objectifs de politique extérieure de l’Union.

50

Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, de la décision attaquée, la liste des pays éligibles ou potentiellement éligibles au bénéfice d’un financement de la BEI avec la garantie communautaire figure à l’annexe I de cette décision. Cette liste est subdivisée en quatre groupes relatifs, respectivement, aux pays en phase de préadhésion, aux pays relevant de la politique de voisinage et de partenariat, à l’Asie et à l’Amérique latine et, enfin, à l’Afrique du Sud.

51

Le Parlement fait valoir que la majorité des pays mentionnés dans cette annexe sont des «pays en voie de développement», conformément aux classifications réalisées à cet égard par l’OCDE ainsi que par la Banque mondiale. Le Conseil et la Commission n’ont pas formulé d’objection à l’encontre de ces qualifications.

52

À cet égard, il convient de rappeler d’emblée que la notion de «pays en développement» figurant dans le titre XX du traité n’est pas définie par ce dernier. Certes, ainsi qu’il ressort tant des réponses orales des parties à une question posée par la Cour à l’audience que de la deuxième note en bas de page de la déclaration conjointe mentionnée au point 40 du présent arrêt, une importance particulière est accordée dans la pratique communautaire à la liste des bénéficiaires de l’aide publique au développement arrêtée par le comité d’aide au développement réuni au sein de l’OCDE. Toutefois, il n’en demeure pas moins que la notion de pays en développement doit faire l’objet d’une interprétation communautaire autonome. Il en va ainsi compte tenu également du fait que la catégorie des pays en développement est dynamique, en ce sens qu’elle a vocation à se voir modifiée au fur et à mesure d’événements peu prévisibles.

53

Néanmoins, en l’espèce, il suffit de relever qu’il est constant qu’une grande partie, voire la majorité des pays énumérés dans la liste des pays éligibles annexée à la décision attaquée sont susceptibles de relever de cette notion, quelle que soit son acception précise.

54

Dans ces conditions, il ne saurait être exclu, contrairement à ce que soutiennent le Conseil et la Commission, que l’établissement d’une action de coopération financière avec des pays tiers au bénéfice de la décision attaquée soit susceptible de relever de la coopération au développement au sens du titre XX du traité.

55

En effet, ainsi que le Parlement et la Commission l’exposent, les partenaires de la BEI au sein d’un projet bénéficient, du fait de la garantie communautaire, de prêts à des taux plus favorables, lesquels peuvent constituer des mesures d’aide. Or, l’article 179, paragraphe 2, CE prévoit que la BEI soutient la politique de coopération au développement menée par la Communauté. Partant, le fait que l’activité de la BEI consiste essentiellement à accorder des crédits remboursables, et non de subventions, ne saurait s’opposer à ce que certains de ses financements puissent être qualifiés d’aide au développement.

56

Dans ce contexte, il convient de relever également que, en vertu de l’article 2, paragraphe 2, de la décision attaquée, le Conseil peut décider au cas par cas de l’octroi de la garantie communautaire pour des financement de la BEI concernant certains pays, y compris des pays qui ne figurent pas dans l’annexe I de cette décision. Par ailleurs, conformément à l’article 2, paragraphe 4, de celle-ci, le Conseil peut décider de suspendre tout nouveau financement de la BEI bénéficiant de ladite garantie, lorsque certaines conditions sont réunies. Or, il n’est nullement exclu que des pays en développement puissent être concernés par les décisions du Conseil prises en application de l’article 2, paragraphes 2 ou 4, de la décision attaquée. Toutefois, selon ces dispositions, lesdites décisions sont adoptées conformément à la procédure prévue à l’article 181 A CE, et cela qu’il s’agisse ou non de pays en développement au sens du titre XX du traité.

Sur la finalité de la décision attaquée

57

S’il est constant que la décision attaquée s’inscrit dans la perspective d’une coopération financière avec des pays tiers au moyen d’un instrument financier communautaire, le Parlement se trouve en opposition avec le Conseil et la Commission quant aux conséquences à tirer de ce constat.

58

Le Parlement fait valoir que la décision attaquée, pour autant qu’elle concerne des pays en développement, poursuit les objectifs de l’article 177 CE, notamment la promotion du développement économique et social durable. Le Conseil s’oppose à cette thèse, sans toutefois indiquer quelle serait, à défaut, la finalité de cette décision vis-à-vis des pays en développement au sens du titre XX du traité.

59

À cet égard, contrairement à ce qu’estiment le Conseil et la Commission, c’est le contenu de la décision attaquée plutôt que sa finalité qui transparaît à travers la description figurant au point 57 du présent arrêt. Il résulte en effet de cette décision que l’octroi de la garantie communautaire poursuit des objectifs allant au-delà d’une mesure qui ne vise que subsidiairement à la coopération au développement. Ainsi, il ressort notamment du troisième considérant de ladite décision que celle-ci tend à soutenir l’action extérieure de l’Union sans nuire à la cote de crédit de la BEI. De surcroît, aux termes de l’article 1er de cette décision, la garantie communautaire n’est accordée que pour autant, notamment, que les opérations de financement en question aient été décidées «pour contribuer à la réalisation des objectifs correspondants de politique extérieure de l’Union».

60

Comme le Parlement l’a relevé lors de l’audience, il est possible que, à défaut d’une telle garantie, la BEI ne puisse entreprendre des opérations de financement dans les pays concernés. En effet, compte tenu des risques accrus liés à l’octroi de financements dans certains pays tiers, la cote de crédit de la BEI pourrait être affectée par la réalisation de telles opérations dans ces pays, de sorte que, pour éviter de nuire à cette cote, la BEI serait dissuadée d’y procéder ou du moins obligée d’imposer pour ces opérations des conditions sensiblement moins favorables pour les preneurs de crédit. Ainsi, du fait de la garantie communautaire, par suite de la contribution de celle-ci à la cote de crédit de la BEI, l’engagement de cette dernière dans les pays tiers est favorisé, voire rendu possible. Partant, le fait de préserver cette cote de crédit apparaît comme un moyen nécessaire à la réalisation de l’objectif essentiel de cette décision, qui est de contribuer à la politique extérieure de la Communauté.

61

Par ailleurs, à supposer que, comme le Conseil et le Parlement l’ont soutenu, la garantie communautaire ne déploie que des effets indirects à l’égard des pays tiers visés par la décision attaquée, par le biais des conditions plus favorables auxquelles elle permet à la BEI de soumettre les financements qu’elle accorde à ces pays, cette circonstance ne s’opposerait pas à ce que cette mesure puisse s’intégrer dans le cadre de la politique de la Communauté dans le domaine de la coopération au développement.

62

En outre, contrairement à ce que la Commission fait valoir, la décision attaquée ne saurait être considérée comme une mesure essentiellement interne à la Communauté. Il est vrai que, dans un premier temps, la garantie communautaire déploie ses effets principalement au sein de la Communauté, à savoir dans les relations entre la BEI et le budget communautaire. Toutefois, ainsi qu’il ressort du point 59 du présent arrêt, cette garantie constitue non l’objectif de cette décision, mais le moyen choisi pour atteindre cet objectif, consistant à soutenir la politique extérieure de la Communauté en facilitant et en renforçant la coopération financière avec des pays tiers par le biais de la BEI.

63

Or, la politique communautaire dans le domaine de la coopération au développement fait partie intégrante de l’action extérieure de la Communauté. En outre, le huitième considérant de la décision attaquée souligne que les opérations de financement de la BEI devraient être cohérentes avec les politiques extérieures de l’Union et les soutenir, y compris en ce qui concerne les objectifs régionaux spécifiques. De même, l’article 3, paragraphe 2, de cette décision dispose explicitement que la coopération est menée de façon différenciée selon les régions, en fonction du rôle de la BEI et des politiques de l’Union dans chaque région.

64

À cet égard, il ressort du quatrième considérant de la décision attaquée que la garantie communautaire est destinée à couvrir les opérations de financement de la BEI réalisées dans les pays relevant notamment de l’instrument de financement de la coopération au développement et de l’instrument européen de voisinage et de partenariat. Le septième considérant de la même décision mentionne également l’instrument de stabilité institué par le règlement no 1717/2006. Cette décision tend ainsi à renforcer les actions entreprises notamment au moyen de ces trois instruments, lesquels visent, au moins pour partie, la coopération au développement au sens du titre XX du traité. Cette analyse est confortée par le quinzième considérant de ladite décision, lequel porte notamment sur d’éventuelles possibilités de «combiner les opérations de financement de la BEI avec les ressources budgétaires de l’[Union] le cas échéant, sous forme de dons, de capital à risques et de bonification d’intérêts, parallèlement à une assistance technique à la préparation des projets, à la mise en œuvre et au renforcement du cadre juridique et réglementaire».

65

De surcroît, les objectifs concrets cités dans le préambule de la décision attaquée relatifs aux diverses régions visées par cette décision correspondent, au moins pour partie, à des objectifs typiques de la coopération au développement. Ainsi, il ressort du douzième considérant de ladite décision, cité par le Parlement lors de l’audience, que, en Asie et en Amérique latine — régions dans lesquelles la «BEI devrait s’efforcer d’étendre progressivement ses activités dans un plus grand nombre de pays […], y compris les pays les plus pauvres» —, le financement de la BEI devrait porter notamment sur des projets dans les domaines de la viabilité écologique et de la sécurité énergétique, et contribuer au maintien de la présence de l’Union dans ces régions par le biais de l’investissement étranger direct et du transfert de technologies et de savoir-faire. De même, il ressort respectivement des treizième et quatorzième considérants de la décision attaquée que la BEI devrait mettre l’accent, d’une part, en Asie centrale, sur les grands projets d’approvisionnement et de transport d’énergie ayant des incidences transfrontalières et, d’autre part, en Afrique du Sud, sur des projets d’infrastructure d’intérêt public et le soutien au secteur privé, y compris les petites et moyennes entreprises.

66

Il s’ensuit que la coopération financière qui s’opère, en vertu de la décision attaquée, par le biais de la garantie communautaire accordée à la BEI poursuit également, pour autant que sont concernés des pays en développement, les objectifs socio-économiques énoncés à l’article 177 CE, notamment le développement économique et social durable de tels pays.

67

Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée, pour autant qu’elle concerne des pays en développement au sens du titre XX du traité, relève de ce titre et donc de l’article 179 CE. Partant, cette décision possède une double composante, l’une relative à la coopération au développement, relevant de l’article 179 CE, l’autre relative à la coopération économique, financière et technique avec des pays tiers autres que des pays en développement, relevant de l’article 181 A CE.

Sur la relation entre les composantes de la décision attaquée

68

Contrairement à ce que soutient le Parlement, le constat que la décision attaquée possède la double composante décrite au point précédent ne suffit pas pour conclure qu’elle aurait dû être adoptée sur une double base juridique constituée par les articles 179 CE et 181 A CE. En effet, compte tenu de la jurisprudence citée aux points 35 et 36 du présent arrêt, il y a lieu de déterminer si l’une des composantes de cette décision est identifiable comme principale ou prépondérante tandis que l’autre n’est qu’accessoire ou, à l’opposé, si ces deux composantes sont liées de façon indissociable, sans que l’une soit accessoire par rapport à l’autre.

69

À cet égard, il convient de relever d’emblée que les bases juridiques en cause en l’espèce, à savoir les articles 179 CE et 181 A CE, concernent toutes deux la coopération avec des pays tiers, entre autres au niveau financier, et que, comme il ressort notamment du point 55 du présent arrêt, l’implication de la BEI dans le contexte d’une coopération financière avec des pays en développement fait partie intégrante de la coopération au développement au sens du titre XX du traité.

70

Il y a d’ailleurs lieu d’observer en l’occurrence que, alors qu’ils font valoir que la décision attaquée a, d’une part, une finalité et une composante principales liées quasi exclusivement à l’article 181 A CE et, d’autre part, une finalité et une composante accessoires liées à l’article 179 CE, le Conseil et la Commission n’ont toutefois pas été en mesure de démontrer en quoi la coopération économique, financière et technique entre la Communauté et des pays tiers qui sont en développement serait à un tel point étrangère à la coopération au développement au sens du titre XX du traité que cette décision, même dans la mesure où la coopération envisagée dans celle-ci concerne des pays en développement, aurait une finalité et une composante principales ou prépondérantes n’ayant pas trait à la coopération au développement au sens dudit titre XX.

71

En effet, la décision attaquée vise au renforcement de la coopération financière tant avec des pays en développement qu’avec d’autres pays tiers au moyen de la garantie communautaire octroyée à la BEI. Cette décision porte donc sur des actions d’une nature similaire, qui ne se distinguent qu’en fonction des régions et des pays concernés. Or, ainsi qu’il ressort des points 77 et 78 des conclusions de Mme l’avocat général, il serait aléatoire, voire arbitraire, de tenter d’identifier une composante géographique prépondérante dans ladite décision. Il en va d’autant plus ainsi en raison du caractère évolutif de la catégorie des pays en développement au sens du titre XX du traité et compte tenu de la possibilité, prévue à l’article 2, paragraphe 2, de cette même décision, pour le Conseil de décider, au cas par cas, de l’éligibilité au bénéfice d’un financement de la BEI assorti de la garantie communautaire des pays qui ne sont même pas mentionnés dans l’annexe I de la décision attaquée.

72

Il résulte de ce qui précède que, sous l’angle du contenu et de la finalité de la décision attaquée, celle-ci a des composantes qui sont liées de façon indissociable, relevant de l’article 179 CE, d’une part, et de l’article 181 A CE, d’autre part, sans qu’il soit possible d’identifier une finalité ou une composante principale ou prépondérante. En conséquence, en application de la jurisprudence rappelée au point 36 du présent arrêt, force est de conclure que cette décision devait, en principe, être adoptée sur le fondement des ces deux articles, à moins qu’une telle combinaison de bases juridiques soit exclue au sens de la jurisprudence rappelée au point 37 du présent arrêt, ce qu’il convient d’examiner.

Sur la compatibilité des procédures

73

Invitées par la Cour à s’exprimer lors de l’audience sur la question de savoir si les procédures prévues respectivement aux articles 179 CE et 181 A CE sont compatibles, toutes les parties ont répondu par l’affirmative, relevant que certaines mesures ont d’ores et déjà été adoptées par le législateur communautaire sur le double fondement de ces articles.

74

À cet égard, il y a cependant lieu de rappeler que, comme il ressort de la jurisprudence citée au point 34 du présent arrêt, la détermination de la base juridique d’un acte ne peut se faire au regard de la base juridique retenue pour l’adoption d’autres actes communautaires présentant, le cas échéant, des caractéristiques similaires.

75

Ainsi qu’il est rappelé au point 37 du présent arrêt, le recours à une double base juridique est exclu lorsque les procédures prévues pour l’une et l’autre de ces bases sont incompatibles.

76

En l’espèce, il convient de relever que, à la différence de la situation ayant donné lieu à l’arrêt Dioxyde de titane, précité, le Conseil statue à la majorité qualifiée tant dans la procédure visée à l’article 179 CE que dans celle prévue à l’article 181 A CE.

77

Il est vrai que, dans le cadre de l’article 179 CE, le Parlement exerce la fonction législative par voie de codécision avec le Conseil, alors que l’article 181 A CE — seule base juridique utilisée pour l’adoption de la décision attaquée — ne prévoit que la consultation du Parlement par le Conseil.

78

Il convient, toutefois, de rappeler l’importance du rôle du Parlement dans le processus législatif de la Communauté. Ainsi que la Cour l’a déjà relevé, la participation du Parlement à ce processus est le reflet, au niveau de la Communauté, d’un principe démocratique fondamental, selon lequel les peuples participent à l’exercice du pouvoir par l’intermédiaire d’une assemblée représentative (voir, en ce sens, arrêts Dioxyde de titane, précité, point 20 et jurisprudence citée, ainsi que du 30 mars 1995, Parlement/Conseil, C-65/93, Rec. p. I-643, point 21).

79

À cet égard, contrairement à la situation en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Dioxyde de titane, précité, dans les circonstances de l’espèce, le recours à une double base juridique consistant en les articles 179 CE et 181 A CE ne serait pas de nature à porter atteinte aux droits du Parlement (voir, en ce sens, arrêts précités du 10 janvier 2006, Commission/Conseil, point 54, ainsi que Commission/Parlement et Conseil, point 59). En effet, le recours à l’article 179 CE impliquerait une participation plus importante du Parlement dans la mesure où il prévoit l’adoption de l’acte selon la procédure dite de «codécision». Du reste, il n’a pas été soutenu devant la Cour qu’une telle double base juridique ne serait pas possible du point de vue de la technique législative.

80

En outre, plusieurs éléments militent en faveur de la conclusion selon laquelle le cumul des articles 179 CE et 181 A CE aurait été possible autant qu’approprié au regard de la décision attaquée.

81

En premier lieu, ainsi qu’il résulte des points 69 à 72 du présent arrêt, les composantes de la décision attaquée portant, la première, sur des pays en développement et, la seconde, sur d’autres pays tiers sont indissociables. En effet, compte tenu du caractère évolutif de la catégorie des pays en développement au sens du titre XX du traité ainsi que des exigences de la sécurité juridique, il ne serait guère possible, dans la pratique, de privilégier l’adoption parallèle de deux actes, l’un portant sur des pays en développement et fondé uniquement sur l’article 179 CE, l’autre portant sur des pays tiers qui ne sont pas en développement et fondé uniquement sur l’article 181 A CE. En second lieu, ainsi qu’il ressort également des mêmes points du présent arrêt, il ne saurait être soutenu qu’une de ces composantes est accessoire par rapport à l’autre.

82

Dans ces circonstances, une solution qui, eu égard aux différences entre les procédures dites de «codécision» et de «consultation» prévues respectivement aux articles 179 CE et 181 A CE, consisterait à privilégier la seule base juridique de l’article 179 CE en tant que base impliquant une participation plus poussée du Parlement aurait pour conséquence que la coopération économique, financière et technique avec des pays tiers qui ne sont pas en développement ne serait pas explicitement couverte par la base juridique choisie. Or, dans une telle hypothèse, le rôle législatif du Conseil serait, en tout état de cause, affecté de la même façon que par le recours à une double base juridique consistant en les articles 179 CE et 181 A CE. Par ailleurs, pas plus que, comme il ressort du point 47 du présent arrêt, l’article 181 A CE n’a vocation à constituer la base juridique de mesures poursuivant les objectifs visés à l’article 177 CE, relatifs à la coopération au développement au sens du titre XX du traité, l’article 179 CE ne saurait, en principe, fonder des mesures de coopération qui ne poursuivent pas de tels objectifs.

83

Il s’ensuit que, dans les circonstances spécifiques de l’espèce, caractérisées notamment par la relation de complémentarité existant entre les titres XX et XXI du traité ainsi que par l’articulation quasi interdépendante des articles 179 CE et 181 A CE, les procédures prévues respectivement à ces deux articles ne sauraient être qualifiées d’incompatibles.

84

En conséquence, force est de conclure que la décision attaquée aurait dû être fondée, à titre exceptionnel, sur la double base juridique des articles 179 CE et 181 A CE.

85

Au vu de tous les éléments qui précèdent, il y a donc lieu d’annuler la décision attaquée dans la mesure où elle est fondée sur le seul article 181 A CE.

Sur la demande de maintien des effets de la décision attaquée

86

Le Parlement, soutenu à cet égard par le Conseil et la Commission, demande à la Cour, au cas où elle annulerait la décision attaquée, de maintenir les effets de celle-ci jusqu’à ce qu’une nouvelle décision soit adoptée.

87

Aux termes de l’article 231, second alinéa, CE, la Cour peut, si elle l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets d’un règlement annulé qui doivent être considérés comme définitifs. Une telle disposition est susceptible de s’appliquer, par analogie, également à une décision lorsqu’il existe d’importants motifs de sécurité juridique, comparables à ceux qui interviennent en cas d’annulation de certains règlements, justifiant que la Cour exerce le pouvoir que lui confère, dans ce contexte, l’article 231, second alinéa, CE (voir en ce sens, notamment, arrêts du 26 mars 1996, Parlement/Conseil, C-271/94, Rec. p. I-1689, point 40; du 12 mai 1998, Royaume-Uni/Commission, C-106/96, Rec. p. I-2729, point 41, ainsi que du 28 mai 1998, Parlement/Conseil, C-22/96, Rec. p. I-3231, points 41 et 42).

88

Conformément à son article 10, la décision attaquée est entrée en vigueur le troisième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne, intervenue le 30 décembre 2006. Il est constant que son annulation sans maintien de ses effets serait susceptible d’avoir des conséquences négatives en ce qui concerne la cote de crédit de la BEI et serait de nature à entraîner des incertitudes préjudiciables pour les opérations de financement de celle-ci en cours et à venir.

89

Dans ces conditions, il existe d’importants motifs de sécurité juridique justifiant que la Cour accède à la demande des parties de maintenir les effets de la décision attaquée. Il y a donc lieu de tenir en suspens les effets de l’annulation de celle-ci jusqu’à l’entrée en vigueur, dans un délai raisonnable, d’une nouvelle décision. À cet égard, il apparaît qu’un délai de douze mois à compter du prononcé du présent arrêt peut être considéré comme raisonnable.

Sur les dépens

90

Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Parlement ayant conclu à la condamnation du Conseil et ce dernier ayant succombé en ses moyens, il convient de le condamner aux dépens. La Commission, qui est intervenue au soutien des conclusions présentées par le Conseil, supporte, conformément à l’article 69, paragraphe 4, premier alinéa, du même règlement, ses propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

 

1)

La décision 2006/1016/CE du Conseil, du 19 décembre 2006, accordant une garantie communautaire à la Banque européenne d’investissement en cas de pertes résultant de prêts et de garanties de prêts en faveur de projets en dehors de la Communauté, est annulée.

 

2)

Les effets de la décision 2006/1016 sont maintenus en ce qui concerne les financements de la Banque européenne d’investissement qui auront été conclus jusqu’à l’entrée en vigueur, dans un délai de douze mois à compter de la date du prononcé du présent arrêt, d’une nouvelle décision arrêtée sur la base juridique appropriée, à savoir les articles 179 CE et 181 A CE pris ensemble.

 

3)

Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens, à l’exception de ceux de la Commission des Communautés européennes.

 

4)

La Commission des Communautés européennes supporte ses propres dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: le français.