ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

6 octobre 2020 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Article 267 TFUE – Nécessité d’une interprétation du droit de l’Union pour que la juridiction de renvoi puisse rendre son jugement – Absence – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C‑623/18,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Sąd Okręgowy w Gorzowie Wielkopolskim (tribunal régional de Gorzów Wielkopolski, Pologne), par décision du 24 septembre 2018, parvenue à la Cour le 3 octobre 2018, dans la procédure

Prokuratura Rejonowa w Słubicach

contre

BQ,

LA COUR (huitième chambre),

composée de Mme L. S. Rossi, présidente de chambre, Mme A. Prechal (rapporteure), présidente de la troisième chambre, et M. N. Wahl, juge,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, TUE.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée à l’encontre de BQ du chef d’infraction à la législation polonaise en matière de lutte contre la toxicomanie.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

3        BQ est poursuivi par la Prokuratura Rejonowa w Słubicach (parquet de l’arrondissement de Słubice, Pologne) devant la juridiction de renvoi, le Sąd Okręgowy w Gorzowie Wielkopolskim (tribunal régional de Gorzów Wielkopolski, Pologne), pour avoir, en juin 2015, en violation de l’article 55, paragraphe 3, de l’ustawy o przeciwdziałaniu narkomanii (loi relative à la lutte contre la toxicomanie), du 29 juillet 2005 (Dz. U. de 2005, no 179, position 1485), en agissant de manière conjointe et concertée avec d’autres individus, procédé à l’acquisition et au transfert depuis l’Allemagne vers la Pologne d’importantes quantités de cannabis.

4        La juridiction de renvoi fait état de ce que, aux fins d’établir l’éventuelle culpabilité de BQ, elle sera notamment amenée à devoir apprécier la fiabilité des témoignages des fonctionnaires des douanes sur lesquels repose l’accusation. Elle pourrait ainsi être conduite à mettre en doute cette fiabilité ou, encore, à porter, sur les faits, une appréciation juridique différente de celle du ministère public et à prononcer, en ce cas, une peine inférieure à celle préconisée par ce dernier. Or, le juge unique en charge de l’affaire au principal indique craindre que des poursuites disciplinaires puissent être engagées à son encontre au cas où il statuerait dans l’un des sens venant ainsi d’être esquissés.

5        Ces craintes seraient nourries, en substance, par le fait que, en conséquence de diverses réformes législatives récemment intervenues en Pologne, l’objectivité et l’impartialité des procédures disciplinaires à l’égard des juges ne seraient plus garanties et l’indépendance de la juridiction de renvoi s’en trouverait affectée.

6        À cet égard, ladite juridiction considère, en premier lieu, que la composition de l’Izba Dyscyplinarna Sądu Nawyższego (chambre disciplinaire de la Cour suprême, Pologne) nouvellement instituée au sein de cette juridiction en vertu de l’ustawa o Sądzie Najwyższym (loi sur la Cour suprême), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, positions 5, 650, 771, 847, 848, 1045, 1443), et appelée, en vertu de cette même loi, à connaître des affaires disciplinaires concernant les juges, tantôt en première instance tantôt en degré d’appel, serait problématique, l’indépendance des membres de ladite chambre n’étant notamment pas garantie.

7        En effet, les juges appelés à siéger dans cette chambre disciplinaire, laquelle constituerait, au sein du Sąd Nawyższy (Cour suprême), une entité séparée jouissant d’une totale autonomie organisationnelle et financière, auraient, au terme de procédures de recrutement au déroulement douteux, été nommés par le président de la République, sur proposition de la Krajowa Rada Sądownictwa (Conseil national de la magistrature, Pologne). Or, par l’effet des modifications récemment apportées à l’ustawa o Krajowej Radzie Sądownictwa (loi sur le Conseil national de la magistrature), du 12 mai 2011 (Dz. U. de 2011, no 126, position 714), par l’ustawa o zmianie ustawy o Krajowej Radzie Sądownictwa oraz niektórych innych ustaw (loi portant modification de la loi sur le Conseil national de la magistrature et de certaines autres lois), du 8 décembre 2017 (Dz. U. de 2018, position 3), le Conseil national de la magistrature, dont les quinze membres ayant la qualité de magistrat seraient désormais désignés par le Sejm (la Diète), et non plus, comme auparavant, par leurs pairs, ne constituerait plus un organe indépendant du pouvoir politique.

8        En deuxième lieu, le Conseil national de la magistrature ainsi nouvellement composé serait lui-même devenu un organe quasi disciplinaire, dès lors qu’il serait compétent pour trancher les recours contre les décisions des présidents de juridiction portant sur la mutation de juges vers d’autres formations de jugement. Par ailleurs, de très nombreux présidents de juridiction auraient été nommés par l’actuel ministre de la Justice et certains d’entre eux auraient été élus membres du Conseil national de la magistrature.

9        En troisième lieu, les nouvelles dispositions introduites dans l’ustawa – Prawo o ustroju sądów powszechnych (loi sur l’organisation des juridictions de droit commun), du 27 juillet 2001 (Dz. U. de 2018, positions 23, 3, 5, 106, 138, 771, 848, 1000, 1045, 1443), et ayant trait à la procédure disciplinaire applicable à l’égard des juges des juridictions de droit commun, auraient attribué au ministre de la Justice, qui exerce concomitamment la fonction de procureur général, un pouvoir pratiquement illimité en cette matière.

10      En effet, le ministre de la Justice serait compétent, premièrement, pour désigner l’agent disciplinaire en charge des affaires concernant les juges siégeant au sein des juridictions de droit commun, deuxièmement, pour initier des procédures d’enquête et, en cas de refus de l’agent disciplinaire d’ouvrir une procédure disciplinaire, pour contraindre ce dernier à engager une telle procédure, troisièmement, pour procéder à la nomination ad hoc d’un agent disciplinaire pour traiter une affaire déterminée et, quatrièmement, pour désigner les juges appelés à exercer la charge de juge disciplinaire auprès d’une juridiction d’appel.

11      En outre, le pouvoir d’influence considérable dont se trouverait ainsi investi le ministre de la Justice ne serait pas assorti de garanties adéquates. Premièrement, la définition légale des manquements pouvant donner lieu à l’infliction de sanctions disciplinaires aux juges serait imprécise. Deuxièmement, les procédures disciplinaires pourraient être menées même en l’absence justifiée du juge sous enquête ou de son représentant. Troisièmement, des éléments de preuve obtenus de manière irrégulière pourraient désormais être utilisés dans le cadre de telles procédures. Quatrièmement, aucune garantie ne serait prévue concernant la durée de la procédure disciplinaire. Cinquièmement, le ministre de la Justice pourrait solliciter la réouverture d’une procédure disciplinaire jusqu’à cinq ans après sa clôture ou le prononcé d’une décision, dans l’hypothèse où de nouveaux éléments viendraient à apparaître.

12      La juridiction de renvoi est d’avis que des procédures disciplinaires ainsi conçues confèrent aux pouvoirs législatif et exécutif un moyen d’évincer les juges dont les décisions leur sont importunes et, par l’effet dissuasif que la perspective d’une telle procédure exerce ainsi sur ceux-ci, d’influencer les décisions juridictionnelles qu’ils sont appelés à rendre.

13      Selon ladite juridiction, il découle de tout ce qui précède que, dans la perspective de l’adoption de la décision juridictionnelle que celle-ci est appelée à rendre dans le cadre du litige au principal, il est nécessaire de trancher, à titre liminaire, le point de savoir si les règles nationales susmentionnées relatives au régime disciplinaire des juges nationaux portent atteinte à l’indépendance de ceux-ci en privant, de ce fait, les justiciables concernés de leur droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE. Cette dernière disposition, lue en combinaison avec l’article 2 et l’article 4, paragraphe 3, TUE ainsi que l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), exigerait en effet des États membres qu’ils assurent que les instances qui, à l’instar de la juridiction de renvoi, sont susceptibles de statuer sur des questions portant sur l’application ou l’interprétation du droit de l’Union, satisfassent aux exigences inhérentes au droit à une protection juridictionnelle effective, exigences parmi lesquelles l’indépendance desdites instances revêtirait une importance essentielle.

14      La présente demande de décision préjudicielle viserait ainsi à engager une procédure à l’issue de laquelle la Cour serait amenée à préciser le principe de l’indépendance des juges, dans un contexte caractérisé par une série d’initiatives législatives qui, par synergie, créeraient une situation de menace systémique en matière de protection des droits civiques dans l’État membre concerné.

15      C’est dans ces conditions que le Sąd Okręgowy w Gorzowie Wielkopolskim (tribunal régional de Gorzów Wielkopolski) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, lu conjointement avec l’article 2 et l’article 4, paragraphe 3, troisième alinéa, TUE ainsi que l’article 47 de la Charte, doit-il être interprété en ce sens que le principe de l’État de droit et la norme d’indépendance requise aux fins d’assurer une protection juridictionnelle effective dans les affaires relevant du droit de l’Union sont violés lorsque le législateur national instaure des règles de procédure disciplinaire à l’égard des juges, règles qui ne satisfont pas aux exigences d’équité et qui n’assurent pas de garantie quant à l’indépendance de l’autorité disciplinaire et de ses membres, en raison d’une influence excessive du pouvoir exécutif sur l’ouverture et le déroulement des procédures disciplinaires et sur l’attribution des postes au sein de la juridiction disciplinaire, en particulier de dernière instance, ainsi qu’en raison de l’absence d’une définition claire quant aux manquements pour lesquels un juge peut voir sa responsabilité disciplinaire engagée ? »

16      Le Sąd Okręgowy w Gorzowie Wielkopolskim (tribunal régional de Gorzów Wielkopolski) a également demandé à la Cour de soumettre l’affaire à une procédure accélérée, en application de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour.

 La procédure devant la Cour

17      Eu égard aux très grandes similitudes existant entre la présente affaire et les affaires jointes C‑558/18 et C‑563/18, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, dont se trouvait déjà saisie la Cour, celle-ci a décidé de suspendre l’examen de la présente affaire dans l’attente de la décision clôturant lesdites affaires jointes.

18      Interrogée sur le point de savoir si, au vu de l’arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234), elle considérait qu’une réponse à sa demande de décision préjudicielle était toujours nécessaire, la juridiction de renvoi a répondu par l’affirmative en date du 2 juin 2020.

19      Dans cette réponse, la juridiction de renvoi fait état de ce que, bien que similaires, les affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234) n’étaient pas identiques à celle dont elle est saisie, dans la mesure, tout d’abord, où la question posée porte non seulement sur l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, mais également sur l’article 47 de la Charte. Or, la juridiction de renvoi est d’avis, à ce dernier égard, que les droits fondamentaux garantis par la Charte doivent faire l’objet de la même protection minimale dans tous les États membres et que la citoyenneté européenne de BQ suffit à démontrer l’existence d’un élément de rattachement au droit de l’Union.

20      Ensuite, il y aurait également lieu de tenir compte, en l’occurrence, de la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales (JO 2016, L 65, p. 1), laquelle évoquerait, à son considérant 3, le principe de la reconnaissance mutuelle des jugements dans le cadre de la coopération judiciaire en matière pénale au sein de l’Union européenne. En effet, une telle reconnaissance mutuelle serait mise en péril lorsque, à l’occasion de l’appréciation de la culpabilité d’un suspect, l’indépendance du système judiciaire national concerné et le droit à un procès équitable ne sont pas assurés, ainsi que l’exigerait notamment l’article 6, paragraphe 2, de ladite directive. Or, depuis que la juridiction de renvoi a introduit la présente demande de décision préjudicielle, BQ, qui purgeait jusqu’alors une peine privative de liberté en Allemagne, aurait été libéré, et, en raison de la pandémie de COVID 19, la juridiction de renvoi n’aurait pas été en mesure d’identifier le lieu de résidence de l’intéressé bien qu’il soit à peu près certain qu’il se trouve toujours en Allemagne. Dans ces conditions, la réponse à la question posée devrait permettre d’éviter qu’il soit fait obstacle, dans le futur, à l’efficacité du jugement de condamnation que la juridiction de renvoi pourrait être appelée à prononcer, par exemple en raison d’un refus de remise de BQ à la République de Pologne qui serait motivé par la circonstance que ledit État membre ne répond pas à l’obligation qui lui incombe d’assurer une protection juridictionnelle effective à tout citoyen de l’Union.

21      Enfin, tant les actes de poursuite récemment adoptés à l’égard de juges polonais par les agents disciplinaires en charge des juridictions de droit commun que l’introduction, par la Commission européenne, d’un recours en constatation de manquement à l’encontre de la République de Pologne dans l’affaire C‑791/19, ou, encore, l’ordonnance de la Cour du 8 avril 2020, Commission/Pologne (C‑791/19 R, EU:C:2020:277) et le fait que ladite ordonnance soit ignorée par les autorités polonaises, et, singulièrement, par la chambre disciplinaire de la Cour suprême, confirmeraient que les craintes ayant motivé l’introduction de la présente demande de décision préjudicielle sont fondées et que la question posée ne revêt pas un caractère hypothétique.

 Sur la recevabilité

22      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’elle est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire ou lorsqu’une demande est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut, à tout moment, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

23      Il convient de faire application de cette disposition dans la présente affaire. En effet, eu égard aux enseignements découlant de l’arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234), l’irrecevabilité de la présente demande de décision préjudicielle ne laisse désormais plus place au doute.

24      Ainsi qu’il ressort des points 46 et 48 dudit arrêt, après avoir notamment rappelé qu’il ressort à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel, la Cour a précisé que, dans le contexte d’une telle procédure, il devait ainsi exister, entre le litige au principal et les dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée, un lien de rattachement tel que cette interprétation réponde à un besoin objectif pour la décision que la juridiction de renvoi doit prendre.

25      Or, en l’occurrence, pas plus que dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234), comme la Cour l’a constaté au point 52 de ce dernier, il ne ressort de la décision de renvoi qu’il existerait, entre la disposition du droit de l’Union sur laquelle porte la question posée et le litige au principal, un lien de rattachement qui soit propre à rendre l’interprétation sollicitée nécessaire afin que la juridiction de renvoi puisse, en application des enseignements découlant d’une telle interprétation, adopter une décision qui serait requise aux fins de statuer sur ce litige.

26      En effet, il convient, premièrement, de constater, de la même manière que l’a fait la Cour au point 49 de l’arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234), que le litige au principal ne présente, quant au fond, aucun lien de rattachement avec le droit de l’Union, notamment, avec l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE sur lequel porte la question posée, et que la juridiction de renvoi n’est dès lors pas appelée à appliquer ce droit, ou ladite disposition, aux fins de dégager la solution de fond à réserver audit litige. En cela, la présente affaire se distingue, notamment, de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117), dans laquelle la juridiction de renvoi était saisie d’un recours visant à l’annulation de décisions administratives ayant réduit la rémunération des membres du Tribunal de Contas (Cour des comptes, Portugal) en application d’une législation nationale prévoyant une telle réduction et dont la conformité à l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE était contestée devant ladite juridiction de renvoi.

27      La circonstance que, en l’occurrence, la question posée porte, ainsi qu’il ressort de son libellé, sur l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE, « lu conjointement avec [...] l’article 47 de la Charte », n’est pas de nature à remettre en cause ce qui précède.

28      À cet égard, il ressort, certes, de la jurisprudence de la Cour que l’article 47 de la Charte doit être dûment pris en considération aux fins de l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, second alinéa, TUE [voir, en ce sens, arrêt du 24 juin 2019, Commission/Pologne (Indépendance de la Cour suprême), C‑619/18, EU:C:2019:531, point 54].

29      Toutefois, s’agissant de l’applicabilité de l’article 47 de la Charte en tant que tel, il y a lieu de rappeler que ladite disposition prévoit, en faveur de toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés, le droit à un recours effectif devant un tribunal et constitue, à cet égard, une réaffirmation du principe de protection juridictionnelle effective (arrêt du 29 juillet 2019, Torubarov, C‑556/17, EU:C:2019:626, point 55 et jurisprudence citée).

30      Or, en l’occurrence, il ne ressort pas de la présente demande de décision préjudicielle que le litige au principal porterait sur un droit ou une liberté qu’un justiciable tire du droit de l’Union et dont la méconnaissance serait alléguée par l’intéressé, la simple référence générale à la citoyenneté européenne de BQ, dont fait état la juridiction de renvoi, ne pouvant, à cet égard, suffire à établir l’applicabilité, en l’occurrence, de l’article 47 de la Charte. En outre, et en tout état de cause, même à supposer que cette disposition soit d’application, il n’apparaîtrait toujours pas de quelle manière la juridiction de renvoi pourrait, en ce cas, être conduite à adopter, en application des enseignements découlant d’une éventuelle interprétation de ladite disposition, une décision qui serait requise aux fins de statuer sur le litige au principal.

31      Deuxièmement, il y a lieu de rappeler, ainsi que l’a également fait la Cour au point 50 de l’arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234), que, si celle-ci a déjà jugé recevables des questions préjudicielles portant sur l’interprétation de dispositions procédurales du droit de l’Union que la juridiction de renvoi concernée serait tenue d’appliquer pour rendre son jugement (voir en ce sens, notamment, arrêt du 17 février 2011, Weryński, C 283/09, EU:C:2011:85, points 41 et 42), telle n’est pas la portée de la question posée dans le cadre de la présente affaire.

32      À cet égard, et s’agissant, plus précisément, de la directive 2016/343, il n’apparaît pas que la juridiction de renvoi éprouve des doutes quant à l’interprétation d’une disposition particulière de cet acte dont elle serait appelée à faire application aux fins de la solution du litige au principal, la question posée ne portant au demeurant pas sur cette directive. Quant à l’éventualité qu’une demande de remise puisse, à l’avenir, en cas de condamnation éventuelle de BQ et à supposer que celui-ci réside bien en Allemagne, être formulée à l’encontre de ce dernier auprès des autorités allemandes, et que lesdites autorités en viennent, en pareil cas, à s’opposer à une telle remise en invoquant des doutes quant à l’indépendance et à l’impartialité de la juridiction de renvoi, il suffit de constater que ladite éventualité revêt, à ce stade, par essence, un caractère purement hypothétique et qu’elle ne permet pas de considérer qu’une réponse à la question posée répondrait à un besoin objectif aux fins du jugement que la juridiction de renvoi est appelée à rendre dans le cadre du litige au principal.

33      Troisièmement, au point 51 de l’arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234), la Cour a relevé qu’une réponse de la Cour aux questions posées dans les affaires jointes ayant donné lieu à cet arrêt n’était pas de nature à fournir aux juridictions de renvoi une interprétation du droit de l’Union leur permettant de trancher une question procédurale de droit national avant de pouvoir statuer sur le fond du litige dont elles se trouvaient saisies. Or, il en va de même dans la présente affaire. En cela, cette dernière se distingue également, par exemple, des affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982), dans lesquelles l’interprétation préjudicielle sollicitée de la Cour était de nature à influer sur la question de la détermination de la juridiction compétente aux fins de trancher au fond des litiges ayant trait au droit de l’Union, ainsi qu’il ressort plus particulièrement des points 100, 112 et 113 de cet arrêt.

34      Enfin, les éléments invoqués par la juridiction de renvoi dont il est fait mention au point 21 de la présente ordonnance ont trait, en substance, à des questions de fond, mais sont, en revanche, dépourvus de pertinence aux fins d’apprécier la recevabilité du présent renvoi préjudiciel.

35      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que la question posée ne porte pas sur une interprétation du droit de l’Union qui réponde à un besoin objectif pour la solution du litige au principal, mais revêt un caractère général (voir, par analogie, arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 53).

36      Il s’ensuit que la demande de décision préjudicielle introduite par le Sąd Okręgowy w Gorzowie Wielkopolskim (tribunal régional de Gorzów Wielkopolski) doit être déclarée manifestement irrecevable.

37      Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de statuer sur la demande visant à soumettre la présente affaire à une procédure accélérée, en application de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure, ladite demande étant en effet devenue sans objet (voir en ce sens, ordonnances du 16 juillet 2015, Striani e.a., C‑299/15, non publiée, EU:C:2015:519, point 20, et du 13 décembre 2018, Holunga, C‑370/18, non publiée, EU:C:2018:1011, point 22).

 Sur les dépens

38      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) ordonne :

La demande de décision préjudicielle introduite par le Sąd Okręgowy w Gorzowie Wielkopolskim (tribunal régional de Gorzów Wielkopolski, Pologne), par décision du 24 septembre 2018, est manifestement irrecevable.

Signatures


*      Langue de procédure : le polonais.