ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

22 novembre 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Articles 56 et 63 TFUE – Libre prestation des services et libre circulation des capitaux – Établissements de crédit – Taxe de stabilité et contribution spéciale à cette taxe déterminées sur la base du total du bilan non consolidé des établissements de crédit établis en Autriche – Inclusion des opérations bancaires ayant un caractère transfrontalier – Exclusion des opérations des filiales dans un autre État membre – Différence de traitement – Restriction – Justification »

Dans l’affaire C‑625/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche), par décision du 18 octobre 2017, parvenue à la Cour le 3 novembre 2017, dans la procédure

Vorarlberger Landes- und Hypothekenbank AG

contre

Finanzamt Feldkirch,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta, vice-présidente, faisant fonction de président de la première chambre, MM. J.–C. Bonichot (rapporteur), A. Arabadjiev, E. Regan et C. G. Fernlund, juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour Vorarlberger Landes- und Hypothekenbank AG, par Me C. Nauer, Rechtsanwalt,

pour le gouvernement autrichien, par M. G. Hesse, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par M. R. Lyal ainsi que par Mmes N. Gossement et C. Tritz, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 56 et 63 TFUE.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Vorarlberger Landes- und Hypothekenbank AG (ci‑après « Hypothekenbank ») au Finanzamt Feldkirch (centre des impôts de Feldkirch, Autriche) au sujet des décisions de ce dernier du 20 janvier 2015 établissant le montant de la taxe de stabilité et de la contribution spéciale à la taxe de stabilité qu’elle doit acquitter au titre de l’année 2014.

Le cadre juridique

3

L’article 1er du Stabilitätsabgabegesetz (loi sur la taxe de stabilité, ci‑après le « StabAbgG »), introduit par le Budgetbegleitgesetz 2011 (loi d’accompagnement du budget de 2011), du 30 décembre 2010 (BGBl. I, 111/2010), prévoit :

« L’activité des établissements de crédit est assujettie à la taxe de stabilité. On entend par “établissements de crédit” au sens de la présente loi fédérale les établissements qui disposent d’une licence en vertu du Bankwesengesetz (loi sur le système bancaire), BGBl. 532/1993, ainsi que les succursales d’établissements de crédit étrangers qui, conformément à la loi sur le système bancaire, sont autorisés à proposer des services par l’intermédiaire d’une succursale établie en Autriche. [...] »

4

L’article 2 du StabAbgG, dans la version antérieure à la loi fédérale BGBl. I, 184/2013, dispose :

« (1)   L’assiette de la taxe de stabilité est formée par le total du bilan non consolidé moyen (paragraphe 2) de l’établissement de crédit, après déduction des montants mentionnés au paragraphe 2. Pour les années civiles 2011, 2012 et 2013, il convient de se fonder sur le total du bilan non consolidé moyen de l’exercice comptable se terminant au cours de l’année 2010. À compter de l’année civile suivante, il convient de se fonder sur le total du bilan non consolidé moyen de l’exercice comptable se terminant au cours de l’année précédant l’année civile au titre de laquelle la taxe de stabilité doit être acquittée.

[...]

(6)   S’agissant des établissements de crédit visés à l’article 1er, établis dans un autre État membre [...] et exerçant une activité en Autriche par l’intermédiaire d’une succursale, il convient de calculer, en application des paragraphes 1 à 5, un total du bilan fictif du volume des opérations attribuables à cette succursale, ce total du bilan fictif formant l’assiette. »

5

L’article 3 du StabAbgG, dans la version antérieure à la loi fédérale BGBl. I, 13/2014, est libellé ainsi :

« La taxe de stabilité s’élève pour les parts de l’assiette visée à l’article 2,

1.

comprises entre 1 et 20 milliards d’euros, à 0,055 %

2.

supérieures à 20 milliards d’euros, à 0,085 %. »

6

L’article 3 du StabAbgG, tel que modifié par la loi fédérale BGBl. I, 13/2014, dispose :

« La taxe de stabilité s’élève pour les parts de l’assiette visée à l’article 2,

1.

comprises entre 1 et 20 milliards d’euros, à 0,09 %

2.

supérieures à 20 milliards d’euros, à 0,11 %. »

7

En vertu de l’article 7a, paragraphe 1, du StabAbgG, la contribution spéciale à la taxe de stabilité doit être calculée en pourcentage des montants à acquitter au titre de la taxe de stabilité.

8

Conformément à l’article 7b, paragraphe 2, du StabAbgG, le montant de la taxe de stabilité pour l’année 2014 résulte de l’application combinée des dispositions citées, en vigueur avant et après les modifications introduites par les lois fédérales BGBl. I, 184/2013 et BGBl. I, 13/2014.

Le litige au principal et la question préjudicielle

9

Hypothekenbank est un établissement de crédit établi en Autriche qui fournit des services bancaires à des clients résidant dans cet État membre ainsi que dans d’autres États membres. Le total du bilan de Hypothekenbank résulte, pour une part non négligeable, à savoir presque un quart au titre de l’année 2014, d’opérations bancaires effectuées avec le deuxième groupe de clients.

10

Par deux décisions du 20 janvier 2015, le centre des impôts de Feldkirch a fixé, en application du StabAbgG, le montant de la taxe de stabilité et de la contribution spéciale à la taxe de stabilité dû par Hypothekenbank au titre de l’année 2014. Le recours contre ces décisions a été rejeté par le Bundesfinanzgericht (tribunal fédéral des finances, Autriche) par arrêt du 1er avril 2016.

11

Au soutien de son pourvoi devant le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche), Hypothekenbank fait valoir qu’elle ne devrait rien payer au titre de la taxe de stabilité et de la contribution spéciale au motif que ces taxes sont contraires, d’une part, aux règles en matière d’aides d’État et, d’autre part, à la libre prestation des services et à la libre circulation des capitaux. En particulier, cet établissement de crédit soutient que l’article 2 du StabAbgG est à l’origine d’une discrimination en ce qu’il prévoit un traitement différent d’opérations similaires. Alors que les opérations bancaires qu’un établissement de crédit établi en Autriche effectue, sans intermédiaire ou par le moyen d’une succursale dans un autre État membre, avec des ressortissants d’autres États membres sont prises en compte afin de déterminer l’assiette des taxes litigieuses, les mêmes opérations réalisées par l’intermédiaire de filiales établies dans un autre État membre ne le sont pas.

12

Ainsi, un groupe de sociétés serait taxé plus favorablement qu’une entreprise qui ne fait pas partie d’un groupe. En effet, dans le cas d’un groupe, le critère de non-consolidation aurait pour effet automatique d’exclure les bilans des filiales établies dans un État membre autre que l’Autriche de l’assiette des taxes en cause. Il en irait autrement pour une société isolée qui fournit, elle-même ou par l’intermédiaire d’une succursale, des services dans des États membres autres que l’Autriche, dès lors que ces services seraient automatiquement inclus dans le bilan de cette société et dans l’assiette de la taxe de stabilité qu’elle doit acquitter. Cette situation serait constitutive d’une discrimination, ce qui découlerait de l’arrêt du 5 février 2014, Hervis Sport- és Divatkereskedelmi (C‑385/12, EU:C:2014:47). Cette discrimination serait susceptible de gêner la prestation des services bancaires dans des États membres autres que l’Autriche. Elle aurait pu être évitée si l’assiette de la taxe de stabilité et de la contribution spéciale à cette taxe avait été déterminée en fonction du total du bilan consolidé, tout en permettant l’imputation des éventuelles taxes de même nature devant être acquittées par une filiale dans un autre État membre.

13

Le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) considère qu’il n’est pas certain qu’il résulte de l’arrêt du 5 février 2014, Hervis Sport- és Divatkereskedelmi (C‑385/12, EU:C:2014:47), rendu en matière de liberté d’établissement, ainsi que des arrêts du 2 juin 2005, Commission/Italie (C‑174/04,EU:C:2005:350), du 12 décembre 2006, Test Claimants in the FII Group Litigation (C‑446/04, EU:C:2006:774), et du 24 mai 2007, Holböck (C‑157/05, EU:C:2007:297), relatifs à la libre circulation des capitaux, que le StabAbgG ne soit pas conforme au droit de l’Union.

14

Par ailleurs, en ce qui concerne l’application des règles en matière d’aides d’État, la juridiction de renvoi rappelle qu’il découle, notamment, de l’arrêt du 6 octobre 2015, Finanzamt Linz (C‑66/14, EU:C:2015:661, point 21), que le redevable d’une taxe ne saurait exciper de ce qu’une mesure fiscale dont bénéficient d’autres entreprises constitue une aide d’État pour se soustraire au paiement de cette taxe. Partant, elle estime que des questions préjudicielles à ce sujet ne sont pas nécessaires.

15

Dans ces conditions, le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Une réglementation prévoyant une taxe sur le total du bilan des établissements de crédit est-elle, du fait de l’obligation d’acquitter la taxe sur le total du bilan non consolidé (non inclus dans des comptes annuels consolidés de groupe), contraire à la liberté de prestation des services prévue aux articles 56 TFUE et suivants et/ou à la liberté de circulation des capitaux et des paiements visée à l’article 63 TFUE, lorsqu’un établissement de crédit établi en Autriche doit acquitter la taxe au titre des opérations bancaires effectuées avec des clients du reste de l’Union, alors que cela n’est pas le cas d’un établissement de crédit établi en Autriche qui réalise ces opérations en tant que société mère d’un groupe d’établissements de crédit par l’intermédiaire d’un établissement de crédit membre du groupe qui est établi dans un autre État de l’Union et dont le bilan doit, en raison de l’appartenance au groupe, être consolidé avec le bilan de l’établissement de crédit ayant la qualité de société mère ? »

Sur la question préjudicielle

Observations liminaires

16

Il ressort de la décision de renvoi que la taxe de stabilité et la contribution spéciale à cette taxe, dont la légalité est mise en cause dans le litige au principal, frappent les établissements de crédit établis en Autriche ainsi que les succursales d’établissements de crédit étrangers établies dans cet État membre. L’assiette de ces taxes est déterminée en fonction du « total du bilan non consolidé moyen » des établissements de crédit établis en Autriche et, dans le cas des succursales des sociétés étrangères, sur la base d’un bilan fictif. Les termes « non consolidé » signifient que la taxe de stabilité et la contribution spéciale à cette taxe sont déterminées en fonction du total du bilan de chaque personne morale prise individuellement et non pas en fonction du bilan consolidé d’un groupe de sociétés.

17

Ainsi que l’a relevé la juridiction de renvoi, les opérations bancaires sont reflétées dans le total du bilan des établissements de crédit. Il en résulte que le montant à acquitter au titre des taxes en cause au principal varie en fonction des opérations bancaires des établissements de crédit établis en Autriche qu’ils effectuent directement ou dans leurs succursales. Les opérations bancaires des filiales de tels établissements autrichiens, établies dans d’autres États membres, ne sont pas prises en compte pour la détermination de l’assiette de ces taxes.

18

Par ailleurs, le litige au principal ne porte pas sur la possibilité pour la requérante au principal, Hypothekenbank, d’offrir des services à l’aide d’un établissement stable dans un État membre autre que l’Autriche ou de s’y établir. Ainsi qu’elle l’a confirmé elle-même dans ses observations écrites, elle fournit des services à ses clients résidant dans d’autres États membres sans recourir à des établissements stables établis dans ceux-ci.

19

Par sa question, la juridiction de renvoi demande donc, en substance, si les articles 56 et 63 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, dans la mesure où elle impose aux établissements de crédit établis en Autriche, qui, tels que celui en cause au principal, fournissent des services à leurs clients résidant dans d’autres États membres sans recourir à des établissements stables établis dans ceux-ci, d’acquitter une taxe déterminée en fonction du « total du bilan non consolidé moyen », lequel comprend les opérations bancaires effectuées par ces établissements directement avec des ressortissants d’autres États membres, alors qu’elle exclut les mêmes opérations réalisées par des filiales d’établissements de crédit établis en Autriche lorsque ces filiales sont établies dans d’autres États membres.

Sur la liberté applicable

20

La question préjudicielle étant posée au regard tant de l’article 56 TFUE que de l’article 63 TFUE, il convient de déterminer, à titre liminaire, si et, le cas échéant, dans quelle mesure une réglementation nationale telle que celle en cause au principal est susceptible d’affecter l’exercice de la libre prestation des services et la libre circulation des capitaux (arrêt du 21 juin 2018, Fidelity Funds e.a., C‑480/16, EU:C:2018:480, point 32).

21

En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, dans la mesure où des services bancaires sont fournis à des résidents d’États membres autres que l’Autriche, les établissements de crédit établis en Autriche subissent, au regard de la taxe de stabilité et de la contribution spéciale à cette taxe, un traitement différent selon qu’ils fournissent de tels services sans intermédiaire ou par l’intermédiaire des filiales établies dans d’autres États membres.

22

Devant le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative), Hypothekenbank fait valoir que ce traitement différent est discriminatoire et susceptible de gêner, d’une part, la prestation des services bancaires dans des États membres autres que l’Autriche et, d’autre part, la libre circulation des capitaux.

23

À cet égard, la Cour a déjà jugé que des opérations bancaires, telles que l’octroi de crédits à titre professionnel, se rapportent, en principe, tant à la libre prestation des services au sens des articles 56 TFUE et suivants qu’à la libre circulation des capitaux au sens des articles 63 TFUE et suivants (arrêt du 3 octobre 2006, Fidium Finanz, C‑452/04, EU:C:2006:631, point 43).

24

Par ailleurs, il convient de rappeler que, lorsqu’une mesure nationale se rapporte à la fois à la libre prestation des services et à la libre circulation des capitaux, la Cour examine la mesure en cause, en principe, au regard de l’une seulement de ces deux libertés s’il s’avère que, dans les circonstances de l’affaire au principal, l’une d’elles est tout à fait secondaire par rapport à l’autre et peut lui être rattachée [arrêt du 26 mai 2016, NN (L) International, C‑48/15, EU:C:2016:356, point 39].

25

Il apparaît que, dans les circonstances de l’affaire au principal, l’aspect de la libre prestation des services prévaut sur celui de la libre circulation des capitaux. En effet, par son argumentation, telle que résumée par la juridiction de renvoi, Hypothekenbank cherche à faire valoir que la prise en compte, aux fins de la détermination de la taxe de stabilité et de la contribution spéciale à cette taxe, des opérations bancaires qu’elle effectue sans intermédiaire avec des clients dans des États membres autres que l’Autriche augmente le coût de ces opérations et rend ainsi l’activité transfrontalière moins attrayante. Une telle conséquence concerne de manière prépondérante la libre prestation des services, alors que les effets sur la libre circulation des capitaux n’en sont qu’une conséquence inéluctable.

26

Par conséquent, il convient d’examiner la question posée au regard non pas des articles 63 TFUE et suivants, relatifs à la libre circulation des capitaux, mais des articles 56 TFUE et suivants, relatifs à la libre prestation des services.

Sur l’existence d’une restriction à la libre prestation des services

27

Il importe de relever que, indépendamment du point de savoir si la taxe de stabilité et la contribution spéciale à cette taxe constituent un impôt direct ou indirect, celles-ci n’ont pas fait l’objet d’une harmonisation au sein de l’Union et relèvent donc de la compétence des États membres qui doivent, selon une jurisprudence constante de la Cour, exercer cette compétence dans le respect du droit de l’Union (arrêt du 1er décembre 2011, Commission/Hongrie, C‑253/09, EU:C:2011:795, point 42).

28

L’article 56 TFUE s’oppose à l’application de toute réglementation nationale ayant pour effet de rendre la prestation de services entre les États membres plus difficile que la prestation de services purement interne à un État membre. En effet, conformément à la jurisprudence de la Cour, l’article 56 TFUE exige la suppression de toute restriction à la libre prestation des services imposée au motif que le prestataire est établi dans un État membre différent de celui dans lequel la prestation est fournie (arrêt du 25 juillet 2018, TTL, C‑553/16, EU:C:2018:604, point 45 et jurisprudence citée).

29

Constituent des restrictions à la libre prestation des services les mesures nationales qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de cette liberté (arrêt du 25 juillet 2018, TTL, C‑553/16, EU:C:2018:604, point 46 et jurisprudence citée).

30

Le droit à la libre prestation des services conféré par l’article 56 TFUE aux ressortissants des États membres inclut également la libre prestation des services « passive », à savoir la liberté pour les destinataires de services de se rendre dans un autre État membre pour y bénéficier d’un service, sans être gênés par des restrictions (arrêt du 9 mars 2017, Piringer, C‑342/15, EU:C:2017:196, point 35).

31

À cet égard, il y a lieu de relever que la taxe de stabilité et la contribution spéciale à cette taxe n’établissent aucune distinction en fonction de l’origine des clients ni en fonction du lieu de la prestation. En effet, aux fins de la détermination de l’assiette de ces taxes en fonction du total du bilan non consolidé moyen des établissements de crédit établis en Autriche, il est tenu compte de l’ensemble des opérations bancaires qu’un tel établissement effectue, sans intermédiaire, en Autriche ou dans un autre État membre.

32

En outre, le seul fait que ces taxes sont susceptibles d’augmenter le coût des opérations bancaires ne saurait constituer un obstacle à la libre prestation des services. Ainsi que l’a jugé la Cour, ne sont pas visées par l’article 56 TFUE des mesures dont le seul effet est d’engendrer des coûts supplémentaires pour la prestation en cause et qui affectent de la même manière la prestation de services entre États membres et celle interne à un État membre (arrêts du 8 septembre 2005, Mobistar et Belgacom Mobile, C‑544/03 et C‑545/03, EU:C:2005:518, point 31, ainsi que du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a., C‑98/14, EU:C:2015:386, point 36).

33

Quant à l’allégation selon laquelle il existerait une discrimination des établissements bancaires établis en Autriche qui réalisent des opérations bancaires dans un autre État membre sans intermédiaire par rapport à ceux qui offrent ce service à l’aide des filiales indépendantes établies dans celui-ci, il convient de relever que ces derniers établissements ont choisi d’exercer la liberté d’établissement que leur confèrent les articles 49 et 54 TFUE, alors que les premiers ne sont établis qu’en Autriche et fournissent des services ayant un caractère transfrontalier qui relèvent de la libre prestation des services, garantie par l’article 56 TFUE.

34

À cet égard, la Cour a déjà jugé qu’il y a lieu de distinguer les champs d’application respectifs de la libre prestation des services et de la liberté d’établissement. À cette fin, il importe de déterminer si l’opérateur économique est établi ou non dans l’État membre dans lequel il offre le service en question. Lorsqu’il est établi dans l’État membre dans lequel il offre ce service, il entre dans le champ d’application de la liberté d’établissement, tel que défini à l’article 49 TFUE. Lorsque, en revanche, l’opérateur économique n’est pas établi dans l’État membre de destination, il est un prestataire transfrontalier relevant du principe de la libre prestation des services (voir, en ce sens, arrêts du 11 décembre 2003, Schnitzer, C‑215/01, EU:C:2003:662, points 28 et 29, ainsi que du 10 mai 2012, Duomo Gpa e.a., C‑357/10 à C‑359/10, EU:C:2012:283, point 30).

35

En effet, la notion d’« établissement », au sens des dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement, implique l’exercice effectif d’une activité économique au moyen d’une installation stable dans l’État membre d’accueil pour une durée indéterminée. Elle suppose par conséquent une implantation réelle de la société concernée dans cet État membre et l’exercice d’une activité économique effective dans celui-ci (arrêt du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C‑196/04, EU:C:2006:544, point 54).

36

En revanche, pour le cas où le prestataire d’un service se déplace dans un État membre autre que celui dans lequel il est établi, les dispositions du chapitre du traité relatif aux services, et, notamment, l’article 57, troisième alinéa, TFUE, prévoient que ce prestataire y exerce son activité à titre temporaire (arrêts du 30 novembre 1995, Gebhard, C‑55/94, EU:C:1995:411, point 26, et du 11 décembre 2003, Schnitzer, C‑215/01, EU:C:2003:662, point 27).

37

Dans ces conditions, il est loisible aux États membres de tenir compte de ces divergences et, partant, de traiter différemment, aux fins de l’imposition, les activités des personnes et des entreprises qui relèvent, respectivement, de la liberté d’établissement ou de la libre prestation des services et impliquent, en règle générale, des conséquences juridiques et économiques différentes.

38

Il s’ensuit qu’une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, n’est pas susceptible de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice de la libre prestation des services.

39

En ce qui concerne les doutes exprimés par la juridiction de renvoi à l’égard de la pertinence de l’arrêt du 5 février 2014, Hervis Sport- és Divatkereskedelmi (C‑385/12, EU:C:2014:47), invoqué devant elle par la requérante au principal, il convient de rappeler que, aux points 37 à 41 de cet arrêt ainsi qu’au point 23 de l’arrêt du 26 avril 2018, ANGED (C‑234/16 et C‑235/16, EU:C:2018:281), la Cour a jugé qu’un prélèvement obligatoire qui prévoit un critère de différenciation apparemment objectif, mais qui défavorise dans la plupart des cas, compte tenu de ses caractéristiques, les sociétés ayant leur siège dans d’autres États membres et qui sont dans une situation comparable à celles ayant leur siège dans l’État membre d’imposition, constitue une discrimination indirecte fondée sur le lieu du siège des sociétés interdite par les articles 49 et 54 TFUE.

40

Toutefois, ainsi qu’il ressort des points 18 et 26 du présent arrêt, dans le litige au principal, Hypothekenbank ne saurait invoquer une violation des dispositions du traité FUE relatives à la liberté d’établissement.

41

En outre, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, il appartient à la seule juridiction de renvoi de définir le cadre factuel dans lequel s’insèrent les questions qu’elle pose à la Cour (arrêt du 10 juillet 2018, Jehovan todistajat, C‑25/17, EU:C:2018:551, point 28).

42

Certes, dans ses observations écrites soumises à la Cour, Hypothekenbank soutient que, en pratique, les établissements de crédit régionaux établis en Autriche à la proximité des frontières de cet État membre fourniraient plus souvent des services ayant un caractère transfrontalier que les autres établissements de crédit régionaux établis dans ce même État membre, de sorte que la taxe de stabilité et la contribution spéciale à cette taxe affecteraient de manière prépondérante les premiers établissements. Cette situation constituerait une discrimination comparable à celle en cause dans l’arrêt du 5 février 2014, Hervis Sport- és Divatkereskedelmi (C‑385/12, EU:C:2014:47). Toutefois, les quelques données fournies par Hypothekenbank sur le secteur bancaire en Autriche ne permettent aucunement de vérifier le bien-fondé de ses allégations. En tout état de cause, ces éléments factuels n’ont pas été mis en évidence par la juridiction de renvoi.

43

Partant, dès lors qu’il n’est pas établi que la réglementation en cause au principal soit susceptible de créer une situation comparable à celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 5 février 2014, Hervis Sport- és Divatkereskedelmi (C‑385/12, EU:C:2014:47), il n’y a pas lieu d’examiner l’applicabilité, par analogie en matière de libre prestation des services, de la jurisprudence citée au point 39 du présent arrêt.

44

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, dans la mesure où elle impose aux établissements de crédit établis en Autriche qui, tels que celui en cause au principal, fournissent des services à leurs clients résidant dans d’autres États membres sans recourir à des établissements stables établis dans ceux-ci, d’acquitter une taxe déterminée en fonction du « total du bilan non consolidé moyen », lequel comprend les opérations bancaires effectuées par ces établissements directement avec des ressortissants d’autres États membres, alors qu’elle exclut les mêmes opérations réalisées par des filiales d’établissements de crédit établis en Autriche lorsque ces filiales sont établies dans d’autres États membres.

Sur les dépens

45

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

 

L’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale, telle que celle en cause au principal, dans la mesure où elle impose aux établissements de crédit établis en Autriche qui, tels que celui en cause au principal, fournissent des services à leurs clients résidant dans d’autres États membres sans recourir à des établissements stables établis dans ceux-ci, d’acquitter une taxe déterminée en fonction du « total du bilan non consolidé moyen », lequel comprend les opérations bancaires effectuées par ces établissements directement avec des ressortissants d’autres États membres, alors qu’elle exclut les mêmes opérations réalisées par des filiales d’établissements de crédit établis en Autriche lorsque ces filiales sont établies dans d’autres États membres.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.