ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

14 mai 2009 ( *1 )

«Agriculture — Organisation commune des marchés — Quotas laitiers — Prélèvement — Validité du règlement (CE) no 1788/2003 — Objectifs de la politique agricole commune — Principes de non-discrimination et de proportionnalité — Détermination de la quantité de référence nationale — Critères — Pertinence du critère d’un État membre déficitaire»

Dans l’affaire C-34/08,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 234 CE, introduite par le Tribunale ordinario di Padova (Italie), par décision du 23 janvier 2008, parvenue à la Cour le , dans la procédure

Azienda Agricola Disarò Antonio e.a.

contre

Cooperativa Milka 2000 Soc. coop. arl,

en présence de:

Azienda Agricola De Agostini Lorenzo,

LA COUR (première chambre),

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. M. Ilešič (rapporteur), A. Borg Barthet, E. Levits et J.-J. Kasel, juges,

avocat général: Mme V. Trstenjak,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 janvier 2009,

considérant les observations présentées:

pour Azienda Agricola Disarò Antonio e.a., par Mes P. Chiarelli et A. Cimino, avvocati,

pour la Commission des Communautés européennes, par Mme H. Tserepa-Lacombe et M. D. Nardi, en qualité d’agents,

pour le Conseil de l’Union européenne, par MM. M. Moore, A. Vitro et G. Castellan, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 mars 2009,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur la validité du règlement (CE) no 1788/2003 du Conseil, du 29 septembre 2003, établissant un prélèvement dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 270, p. 123), au regard des objectifs de la politique agricole commune énumérés à l’article 33, paragraphe 1, CE ainsi qu’au regard des principes de non-discrimination et de proportionnalité.

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant les sociétés Azienda Agricola Disarò Antonio e.a. à la Cooperativa Milka 2000 Soc. coop. arl (ci-après «Cooperativa Milka»), au sujet de la contestation d’une dette concernant le prélèvement dû par lesdites sociétés pour les campagnes laitières des années 1995/1996 à 2003/2004 et suivantes.

Le cadre juridique

3

En raison de la persistance d’un déséquilibre entre l’offre et la demande dans le secteur laitier, le règlement (CEE) no 856/84 du Conseil, du 31 mars 1984, modifiant le règlement (CEE) no 804/68 portant organisation commune des marchés dans le secteur du lait et des produits laitiers (JO L 90, p. 10), a institué un régime de prélèvement dans ledit secteur qui est dû pour des quantités de lait qui dépassent une quantité de référence à déterminer.

4

Ce régime a débuté le 2 avril 1984. Il a été prolongé à diverses reprises et, pour la dernière fois, par le règlement no 1788/2003, jusqu’au .

5

En vertu du troisième considérant dudit règlement, l’objectif essentiel du régime du prélèvement est, en substance, de réduire le déséquilibre entre l’offre et la demande de lait et de produits laitiers ainsi que les excédents structurels en résultant.

6

Le cinquième considérant du règlement no 1788/2003 énonce, notamment, que les producteurs sont redevables envers l’État membre du paiement de leur contribution au prélèvement dû par le seul fait du dépassement de leur quantité disponible.

7

Aux termes du vingt-deuxième considérant de ce règlement, ledit prélèvement est destiné principalement à régulariser et à stabiliser le marché des produits laitiers, de sorte qu’il convient d’affecter le produit dudit prélèvement au financement des dépenses dans le secteur laitier.

8

En vertu de l’article 1er, paragraphe 1, dudit règlement, des quantités de référence nationales annuelles sont fixées à l’annexe I de celui-ci pour chaque État membre. Selon le paragraphe 3 de cet article, lesdites quantités peuvent être révisées en fonction de la situation générale du marché et des conditions particulières existant dans certains États membres.

9

En application des dispositions combinées des articles 1er, paragraphe 2, et 6 du règlement no 1788/2003, les producteurs laitiers se voient attribuer des quantités de référence individuelles dont le total n’excède pas la quantité de référence nationale. Si la quantité de référence nationale est dépassée, l’État membre concerné doit, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, dudit règlement, verser à la Communauté européenne un prélèvement dont le montant dépend de l’ampleur de ce dépassement.

10

Conformément à l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement, ledit prélèvement est alors entièrement réparti entre les producteurs qui ont contribué à chacun des dépassements des quantités de référence nationales et, selon le paragraphe 2 de cette disposition, ce prélèvement est dû par les producteurs du seul fait du dépassement de leurs quantités de référence disponibles.

11

L’article 6, paragraphe 5, dudit règlement prévoit, en substance, que les quantités de référence individuelles sont modifiées, le cas échéant, pour chacune des périodes de douze mois concernées.

12

L’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1788/2003 dispose, en substance, que l’acheteur est responsable de la collecte, auprès des producteurs, des contributions dues par ceux-ci au titre du prélèvement et paie à l’organisme compétent de l’État membre le montant de ces contributions qu’il retient sur le prix du lait payé aux producteurs responsables du dépassement et, à défaut, qu’il perçoit par tout moyen approprié.

13

En vertu de l’article 22 de ce règlement, le prélèvement est considéré comme faisant partie des interventions destinées à la régularisation des marchés agricoles, tandis que le produit dudit prélèvement est destiné au financement des dépenses dans le secteur laitier.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14

Les requérantes au principal, des entreprises productrices de lait, sont membres de Cooperativa Milka, société coopérative chargée, en sa qualité de «premier acheteur», de percevoir le prélèvement conformément à l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1788/2003.

15

Au titre de ce prélèvement, des sommes très importantes sont réclamées auxdites entreprises.

16

Devant les juridictions nationales, les requérantes au principal ont contesté ces montants, mettant en cause la validité du règlement no 1788/2003 et le critère de répartition qu’il instaure entre les États membres de la quantité globale garantie pour l’ensemble de la Communauté et, plus particulièrement, l’application de ce critère à l’égard de la République italienne.

17

Elles invoquent, à cet égard, notamment la violation des principes de non-discrimination et de proportionnalité.

18

S’agissant de la violation invoquée du principe de non-discrimination, elles soutiennent que, pour déterminer de manière définitive la quantité globale garantie à l’égard de la République italienne, la Communauté n’a pris en considération que des données fournies par l’Istituto nazionale di statistica (Institut national de statistiques), pour la production laitière d’une année de référence, à savoir l’année 1983, données qui ont servi de fondement au calcul de ladite quantité pour les années suivantes, ce qui a eu pour effet de qualifier à tort les producteurs italiens d’«excédentaires».

19

Le règlement no 1788/2003 traiterait les États membres déficitaires et ceux qui sont excédentaires d’une manière identique, ce qui constituerait une violation du principe de non-discrimination qui ne peut pas être justifiée au regard du droit communautaire. Un État membre est déficitaire lorsqu’il est obligé, eu égard à l’ampleur de la demande intérieure, d’importer le lait d’autres États membres.

20

En ce qui concerne la violation alléguée du principe de proportionnalité, les requérantes au principal prétendent qu’une telle absence d’actualisation des volumes produits pénalise les petits producteurs, car elle empêche leur développement et leur adaptation structurelle et, dans certains cas, compromet même leur survie, du fait de la rémunération insuffisante des facteurs de production.

21

Dans ces conditions, le Tribunale ordinario di Padova a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Le règlement [no 1788/2003, en établissant] un prélèvement supplémentaire pesant sur les productions laitières dépassant la quantité nationale attribuée, sans prendre en considération l’actualisation périodique de la quantité attribuée à chaque pays communautaire après vérification concrète de leurs productions respectives, est-il compatible avec l’article 32 du traité et avec les finalités de la politique agricole commune qui y sont prévues, telles que l’accroissement de la productivité de l’agriculture, le développement du progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production agricole ainsi qu’un emploi optimal des facteurs de production, notamment de la main-d’œuvre, du moment que ce mécanisme pèse aussi sur les producteurs laitiers italiens, qu’elle prive d’un niveau de vie équitable et dont elle compromet le développement en raison de la rémunération inadéquate des facteurs de production, cela parce que la République italienne est, en réalité, un pays déficitaire […], obligé de recourir aux importations de matière première pour soutenir les industries de transformation et de commercialisation de produits de qualité […]?

2)

Le règlement no 1788/2003, précité, est-il compatible avec l’article 33 CE, qui prévoit une organisation commune des marchés, mais exclut, en même temps, toute discrimination entre producteurs ou consommateurs de la Communauté, alors que, en revanche, l’application uniforme du prélèvement […], sans véritable distinction entre producteurs déficitaires et excédentaires, aboutit à une discrimination exercée au détriment des producteurs italiens, qui appartiennent à un pays déficitaire?

3)

Le règlement no 1788/2003, précité, est-il compatible avec l’article 34 CE, qui prévoit que la poursuite des objectifs définis à l’article 33 CE ‘doit exclure toute discrimination entre producteurs ou consommateurs de la Communauté’, alors qu’une telle discrimination est créée par le règlement, qui, aux fins de la contribution supplémentaire, exige une contribution uniforme tant des producteurs appartenant à des pays excédentaires que de ceux appartenant à des pays déficitaires, tels que la République italienne?

4)

Le règlement no 1788/2003 […] est-il compatible avec le principe de proportionnalité consacré à l’article 5 CE, qui limite l’action de la Communauté à ‘ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du présent traité’, alors que l’application uniforme du prélèvement […] va au-delà de la finalité même d’une organisation commune du marché, parce qu’elle impose durablement à la moyenne des exploitants agricoles italiens une productivité réduite, des revenus médiocres et la nécessité de recourir en permanence à l’aide publique?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

22

Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le fait que le règlement no 1788/2003 ne prenne pas en compte, dans le cadre de la détermination de la quantité de référence nationale, le caractère déficitaire de l’État membre concerné est susceptible d’affecter la conformité de ce règlement avec les objectifs prévus notamment à l’article 33, paragraphe 1, sous a) et b), CE.

Argumentation des parties

23

Les requérantes au principal soutiennent que la quantité de référence nationale qui a été garantie à la République italienne en 1983 était fondée sur des données statistiques erronées, car celles-ci ne prenaient pas en compte le caractère déficitaire de cet État membre. Dès lors, même après plusieurs augmentations de cette quantité depuis ladite année conformément au mécanisme prévu par le règlement no 1788/2003, la quantité de référence nationale qui a été attribuée à la République italienne ne correspondrait qu’à la moitié des besoins de cet État. Partant, les producteurs laitiers italiens ne pouvant atteindre les objectifs prévus à l’article 33 CE que par le dépassement de la quantité nationale, le règlement no 1788/2003 méconnaîtrait les objectifs prévus à l’article 33 CE.

24

Le Conseil de l’Union européenne fait valoir que les requérantes au principal demandent un régime dans le cadre duquel la fixation des quotas soit fondée sur le caractère «excédentaire» ou «déficitaire» de l’État membre donné. Il rappelle, à cet égard, que le règlement no 1788/2003, par le maintien des quotas laitiers au niveau communautaire, ne subdivise pas le marché de la manière souhaitée par les requérantes au principal, car l’article 34 CE prévoit une organisation européenne du marché. Dès lors, il serait erroné de réclamer qu’un régime spécial soit instauré pour un État membre déficitaire tel que la République italienne.

25

Le Conseil souligne que le régime des quotas laitiers en vigueur n’est pas incompatible avec les finalités de la politique agricole commune. Il est demandé au législateur communautaire, dans le cadre de l’article 33 CE, d’assurer le développement rationnel de la production agricole et un emploi optimal des facteurs de la production, ainsi que de stabiliser les marchés. Aux fins de ce dernier objectif, le Conseil a adopté le prélèvement sur les quantités de lait commercialisées. Or, la Cour a jugé que les institutions peuvent, compte tenu des faits ou des circonstances économiques, accorder la prééminence temporaire à l’un de ces objectifs.

26

Dès lors, le Conseil considère que le prélèvement dû au titre du règlement no 1788/2003 ne contrevient pas aux articles 33 CE et 34 CE et qu’il est applicable quel que soit l’État membre dans lequel le producteur concerné est établi.

27

La Commission des Communautés européennes soutient que la constatation concrète de l’équilibre entre la demande et l’offre de lait dans un État membre déterminé, pour définir si cet État est déficitaire ou non, n’est pas significative pour atteindre les objectifs de la politique agricole commune. Elle précise que la Cour a déjà rejeté l’argumentation qui a été fondée sur le déficit en tant qu’élément déterminant dans l’évaluation de la poursuite des objectifs de la politique agricole commune et que ce raisonnement est applicable par analogie à une affaire telle que celle au principal.

28

Selon la Commission, l’instauration du prélèvement sur le lait est conforme à l’objectif de stabilisation du marché. S’agissant d’autres objectifs prévus à l’article 33 CE, à savoir l’accroissement de la productivité de l’agriculture et le développement rationnel de la production agricole ainsi qu’un emploi optimal des facteurs de production, la Commission ajoute que, à la suite de l’instauration du régime des quotas et du prélèvement, on a observé en Italie:

une diminution du nombre des exploitations productrices, de 182000 en 1988/1989 à 49000 en 2006/2007;

une augmentation du rendement par vache laitière de 3900 à 6000 litres par an, et

un dépassement constant du prix moyen du lait.

29

Par conséquent, la Commission conclut que l’examen de la première question ne révèle aucun élément susceptible d’affecter la validité du règlement no 1788/2003, pour des motifs d’incompatibilité avec les objectifs de la politique agricole commune visés à l’article 33 CE.

Réponse de la Cour

— Sur le caractère déficitaire d’un État membre en tant qu’un des éléments pertinents aux fins de la détermination de la quantité de référence nationale

30

Les requérantes au principal font valoir, en substance, que le système de la détermination de la «quantité de référence nationale» au sens du règlement no 1788/2003 aurait dû également prendre en compte le caractère déficitaire de la République italienne. Or, la République italienne serait titulaire d’une quantité de référence qui correspondrait environ à la moitié de ses besoins nationaux, tandis que, pour le reste, elle serait obligée d’importer le lait d’autres États membres.

31

À cet égard, il y a lieu de rappeler que le caractère déficitaire d’un État membre ne constitue pas un des éléments pertinents aux fins de la détermination de la quantité de référence nationale (voir, en ce sens, arrêt du 20 septembre 1988, Espagne/Conseil, 203/86, Rec. p. 4563, point 29).

32

S’il est vrai que, dans cet arrêt, était en cause une réduction de la quantité de référence nationale, il y a lieu, cependant, de souligner que le même raisonnement doit également s’appliquer aux augmentations de ladite quantité. En effet, l’«objectif essentiel» du règlement no 1788/2003 au sens de son troisième considérant est de faire face au déséquilibre entre l’offre et la demande des produits laitiers en ce qui concerne tant les réductions que les augmentations de la quantité de référence.

33

Par ailleurs, afin d’atteindre ledit objectif, un effort de solidarité auquel doivent participer de manière égale tous les producteurs de la Communauté est exigé (voir arrêts du 9 juillet 1985, Bozzetti, 179/84, Rec. p. 2301, point 32, et Espagne/Conseil, précité, point 29). En effet, le mécanisme du marché agricole commun présuppose que les États membres dont la demande nationale de lait excède son offre peuvent l’importer surtout des États membres dont la demande de lait est inférieure à l’offre. Au demeurant, les requérantes au principal ont soutenu à l’audience que la quantité de référence globale de la Communauté n’est pas outrepassée, de sorte qu’on peut en déduire qu’elles ne font pas valoir que la demande globale du lait dans la Communauté dépasse l’offre de celui-ci.

34

Il en résulte que la prise en compte du caractère déficitaire de l’État membre concerné est dépourvue de pertinence en ce qui concerne la détermination de la «quantité de référence nationale» au sens du règlement no 1788/2003 et que l’argumentation des requérantes au principal soutenue à cet égard doit être écartée.

35

Les requérantes au principal font encore valoir que la prise en compte de l’année 1983 comme année de référence est erronée, car cette référence n’a pas été établie selon le critère du caractère déficitaire de l’État membre concerné.

36

Il convient de relever, en premier lieu, qu’il ressort du point 34 du présent arrêt que ledit critère est dépourvu de toute pertinence aux fins de la détermination de la quantité de référence nationale. Ce raisonnement vaut tout autant en ce qui concerne la pertinence dudit critère lors de l’instauration du régime des quantités de référence par le règlement no 856/84.

37

En deuxième lieu, il découle de la jurisprudence que, lorsque la mise en œuvre par le Conseil d’une politique commune implique la nécessité d’évaluer une situation économique complexe, le pouvoir discrétionnaire dont il jouit ne s’applique pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais aussi, dans une certaine mesure, à la constatation de données de base en ce sens, notamment, qu’il lui est loisible de se fonder, le cas échéant, sur des constatations globales (voir, notamment, arrêt du 17 juillet 1997, SAM Schiffahrt et Stapf, C-248/95 et C-249/95, Rec. p. I-4475, point 25).

38

En troisième et dernier lieu, il convient de relever qu’il ressort du neuvième considérant du règlement no 856/84 que la détermination de la quantité de référence nationale pour la République italienne est fondée sur des critères particulièrement favorables. En effet, l’année 1983 a été choisie comme l’année de référence car la collecte de la production laitière dans cet État, en 1981, avait été la plus faible des dix dernières années, le rendement moyen par vache y avait été inférieur à la moyenne communautaire et l’augmentation apparente des livraisons entre les années 1981 et 1983 correspondait, pour une partie substantielle, à une évolution structurelle consistant en une réduction des livraisons directes compensées par un accroissement des livraisons aux laiteries.

39

Partant, ladite argumentation des requérantes au principal relative au choix de l’année 1983 comme celle de référence doit être écartée.

40

Les requérantes au principal invoquent cependant que, selon l’arrêt du 14 mars 2002, Italie/Conseil (C-340/98, Rec. p. I-2663), le caractère déficitaire de la production de l’État membre concerné doit être pris en compte dans le cadre de la politique commune du lait de la même manière que dans le cadre de celle du sucre.

41

Il suffit de relever, à cet égard, que ledit critère figure expressément dans la réglementation communautaire portant sur le régime du sucre qui était en cause dans ladite affaire. En revanche, si le législateur communautaire avait voulu prévoir le caractère déficitaire de la production de l’État membre concerné en tant qu’un des critères pertinents aux fins de la détermination de la «quantité de référence nationale» au sens du règlement no 1788/2003, il aurait facilement pu le faire par un tel renvoi dans ledit règlement. Or, tel n’est pas le cas, de sorte que ladite argumentation doit être écartée.

42

Il y a lieu, également, de rejeter l’argumentation des requérantes au principal selon laquelle ces dernières seraient tenues de cofinancer des excédents dont elles ne sont pas responsables. En effet, selon le cinquième considérant et l’article 4 du règlement no 1788/2003, tous les producteurs qui contribuent au dépassement sont redevables envers l’État membre du paiement de leur contribution au prélèvement dû par le seul fait du dépassement de leur quantité disponible, de sorte que l’on ne peut pas déterminer davantage les producteurs ou les États membres responsables d’une éventuelle surproduction du lait.

43

Il résulte de tout ce qui précède que le caractère déficitaire de l’État membre concerné ne saurait être considéré comme un des critères pertinents aux fins de la détermination de la «quantité de référence nationale» au sens du règlement no 1788/2003.

— Sur la conformité du règlement no 1788/2003 avec les objectifs visés à l’article 33, paragraphe 1, CE

44

Il y a lieu, d’emblée, de rappeler que le législateur communautaire dispose, en matière de politique agricole commune, d’un large pouvoir d’appréciation, qui correspond aux responsabilités politiques que les articles 34 CE à 37 CE lui attribuent (arrêt du 17 janvier 2008, Viamex Agrar Handel et ZVK, C-37/06 et C-58/06, Rec. p. I-69, point 34).

45

S’agissant plus particulièrement des objectifs de la politique agricole commune prévus à l’article 33 CE, les institutions communautaires doivent assurer la conciliation permanente que peuvent exiger d’éventuelles contradictions entre ces objectifs considérés séparément et, le cas échéant, accorder à tel ou tel d’entre eux la prééminence temporaire qu’imposent les faits ou circonstances économiques au vu desquels elles arrêtent leurs décisions (voir, notamment, arrêt du 19 mars 1992, Hierl, C-311/90, Rec. p. I-2061, point 13, et jurisprudence citée).

46

Il y a lieu de relever que, selon l’article 33, paragraphe 1, CE, la politique agricole commune a pour but:

«[…]

a)

d’accroître la productivité de l’agriculture en développant le progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production agricole ainsi qu’un emploi optimal des facteurs de production, notamment de la main-d’œuvre;

b)

d’assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture;

c)

de stabiliser les marchés;

d)

de garantir la sécurité des approvisionnements;

e)

d’assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs.»

47

Or, il y a lieu de rappeler que le règlement no 1788/2003 s’inscrit dans le cadre de l’objectif de la stabilisation des marchés qui est mentionné expressément à l’article 33, paragraphe 1, sous c), CE (voir, par analogie, arrêt Hierl, précité, point 10).

48

D’une part, et ainsi qu’il ressort du point 4 du présent arrêt, ledit règlement a prolongé le régime du prélèvement sur les quantités de lait livrées qui dépassent une quantité de référence définie pour chaque État membre.

49

D’autre part, en vertu du troisième considérant du règlement no 1788/2003, l’objectif essentiel de celui-ci est de réduire le déséquilibre entre l’offre et la demande de lait et de produits laitiers ainsi que les excédents structurels en résultant afin de parvenir à un meilleur équilibre du marché. Au demeurant, selon le vingt-deuxième considérant de ce règlement, le prélèvement que celui-ci prévoit est destiné à la stabilisation des marchés agricoles.

50

Par ailleurs, force est de relever que la poursuite dudit objectif est limitée dans le temps et s’applique, ainsi qu’il ressort du point 4 du présent arrêt, jusqu’au 31 mars 2015.

51

Dans ces conditions, il s’ensuit que, en accordant la prééminence temporaire à l’objectif de la «stabilisation des marchés» au sens de l’article 33, paragraphe 1, CE, le Conseil n’a pas outrepassé, par l’adoption du règlement no 1788/2003, son «pouvoir d’appréciation» au sens de la jurisprudence rappelée au point 45 du présent arrêt.

52

Par ailleurs, il importe de rappeler que la stabilisation du marché n’est pas le seul objectif poursuivi par le règlement no 1788/2003. En effet, il convient de relever qu’il ressort déjà implicitement de la notion d’«objectif essentiel» auquel renvoie le troisième considérant dudit règlement que celui-ci ne poursuit pas un seul objectif.

53

S’agissant plus particulièrement des objectifs mis en exergue par la juridiction de renvoi ainsi que par les requérantes au principal, il ressort d’une jurisprudence constante que le régime de prélèvement vise à rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande sur le marché laitier, caractérisé par des excédents structurels, au moyen d’une limitation de la production laitière et s’inscrit donc dans le cadre des objectifs de développement rationnel de la production laitière ainsi que, en contribuant à une stabilisation du revenu de la population agricole concernée, dans celui du maintien d’un niveau de vie équitable de cette population (arrêt du 25 mars 2004, Azienda Agricola Ettore Ribaldi e.a., C-480/00 à C-482/00, C-484/00, C-489/00 à C-491/00 et C-497/00 à C-499/00, Rec. p. I-2943, point 57 et jurisprudence citée).

54

En outre, ainsi que le souligne la Commission, à la suite de l’instauration du régime du prélèvement, on a observé en Italie, notamment, une augmentation importante du rendement par vache laitière par an ainsi qu’un dépassement constant du prix moyen du lait.

55

Il convient d’ajouter, ainsi que la Commission et le Conseil le font valoir, que pour la période allant de 1984/1985 à 2006/2007, la somme des quantités de référence nationales pour les dix États membres a baissé au total de 2%, alors que la quantité de référence de la République italienne a augmenté de 6% et a été fixée à l’annexe I du règlement no 1788/2003 à 10530060 tonnes.

56

Au demeurant, conformément à l’article 1er, paragraphe 3, dudit règlement, est prévue la possibilité de révisions des quantités de référence nationales fixées à l’annexe I de ce règlement en fonction de la situation générale du marché et des conditions particulières existant dans certains États membres, de sorte que, selon la dernière modification effectuée par le règlement (CE) no 248/2008 du Conseil, du 17 mars 2008, modifiant le règlement (CE) no 1234/2007 en ce qui concerne les quotas nationaux du lait (JO L 76 p. 6), la quantité de référence a été augmentée au bénéfice de tous les États membres et est fixée, s’agissant de la République italienne, à 10740661,2 tonnes. Par conséquent, il n’est pas exclu que l’augmentation de ladite quantité de référence ait conduit, conformément à l’article 6, paragraphe 5, du règlement no 1788/2003, également à une augmentation, dans ledit État, des quantités de référence individuelles.

57

Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre à la première question que le fait que le règlement no 1788/2003 ne prenne pas en compte, dans le cadre de la détermination de la quantité de référence nationale, le caractère déficitaire de l’État membre concerné n’est pas susceptible d’affecter la conformité de ce règlement avec les objectifs prévus notamment à l’article 33, paragraphe 1, sous a) et b), CE.

Sur les deuxième et troisième questions

58

Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si le règlement no 1788/2003 méconnaît le principe de non-discrimination en ce qu’il ne prend pas en compte, dans le cadre de la détermination de la quantité de référence nationale, le caractère déficitaire de l’État membre concerné.

Argumentation des parties

59

Les requérantes au principal soutiennent, en substance, que le principe de non-discrimination vise également l’interdiction de traiter de la même manière des situations différentes. Dans l’affaire au principal, le règlement no 1788/2003 traiterait de manière égale des situations qui ne l’étaient pas et qui ne le sont pas non plus aujourd’hui, car le caractère sensiblement déficitaire de la production italienne ne serait pas pris en considération, de sorte que ce règlement méconnaîtrait le principe de non-discrimination.

60

Elles ajoutent que ladite inégalité de traitement n’est pas justifiée par des raisons objectives. D’une part, la référence à la solidarité entre agriculteurs ne serait pas une raison objective qui justifierait le traitement égal de situations différentes. D’autre part, il ne serait pas correct d’affirmer que tous les producteurs européens participent de manière égale à l’effort de stabilisation du marché, car les producteurs non excédentaires seraient appelés à supporter des charges qui, en partie, ne leur incombent pas.

61

Le Conseil soutient que ses observations à la première question valent également pour les deuxième et troisième questions.

62

La Commission fait valoir, en substance, que, dans un marché commun, l’obligation d’importer du lait ne peut pas être, en soi, l’expression d’une disparité de traitement. La Cour aurait déjà jugé que le critère de détermination des quantités de référence nationales, tout comme la réduction de ces dernières, ne peut pas provoquer de discrimination au détriment d’un État membre parce que celui-ci est déficitaire.

63

Par ailleurs, la République italienne aurait de toute façon bénéficié d’un traitement favorable de la part de la Communauté en ce qui concerne la détermination des quantités de référence, pour tenir compte de sa situation spécifique.

64

La Commission fait également valoir que le régime de détermination des quantités de référence nationales prévu par le règlement no 1788/2003 est conforme au principe de la spécialisation régionale qui exige que la production puisse se faire à l’endroit le plus adéquat du point de vue économique. Ce principe s’oppose à ce que le caractère déficitaire de la production d’un bien donné par rapport à la consommation dans un État membre puisse être pertinent au regard de l’exclusion de toute «discrimination» au sens de l’article 34, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE.

65

Dès lors, selon la Commission, le règlement no 1788/2003 ne serait pas invalide au regard du principe de non-discrimination.

Réponse de la Cour

66

Les requérantes au principal soutiennent, en substance, que, en raison du caractère déficitaire de la production laitière italienne, leur situation diffère de celle des autres producteurs de lait, en particulier de ceux des États membres qui sont excédentaires. Ce traitement différencié porte atteinte notamment aux petits producteurs.

67

Il convient, à cet égard, de rappeler que, aux termes de l’article 34, paragraphe 2, deuxième alinéa, CE, l’organisation commune des marchés agricoles doit exclure toute discrimination entre producteurs ou consommateurs de la Communauté. Selon une jurisprudence constante, le principe de non-discrimination requiert que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit objectivement justifié (arrêt du 23 octobre 2007, Pologne/Conseil, C-273/04, Rec. p. I-8925, point 86 et jurisprudence citée).

68

Ceci étant, il suffit de relever, à l’égard de ladite argumentation, qu’il ressort des points 30 à 43 du présent arrêt que le caractère déficitaire d’un État membre est dépourvu de toute pertinence aux fins de la détermination de la quantité de référence nationale, de sorte que les requérantes au principal ne sauraient faire valoir que, pour ledit motif invoqué, elles se trouvent dans une situation différente de celle des producteurs de lait d’autres États membres.

69

Or, même à supposer que le règlement no 1788/2003 qui trouve à s’appliquer indistinctement à tous les titulaires de quantités de référence frapperait en fait les petits producteurs plus lourdement que les grands, force est de constater que le fait qu’une mesure prise dans le cadre d’une organisation commune de marché puisse avoir des répercussions différentes pour certains producteurs, en fonction de la nature particulière de leur production, n’est pas constitutif d’une discrimination, dès lors que cette mesure est fondée sur des critères objectifs, adaptés aux besoins du fonctionnement global de l’organisation commune de marché. Tel est le cas du régime des quotas laitiers et de prélèvement, qui est aménagé de telle sorte que les quantités de référence individuelles sont fixées à un niveau tel que leur total ne dépasse pas la quantité globale garantie de chaque État membre (voir, par analogie, arrêt Hierl, précité, point 19 et jurisprudence citée).

70

Il s’ensuit que, à défaut de l’existence d’une situation différenciée, il y a lieu de répondre aux deuxième et troisième questions que l’examen du règlement no 1788/2003, au regard du principe de non-discrimination, n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de ce règlement.

Sur la quatrième question

71

Par cette question, la juridiction de renvoi se demande, en substance, si le règlement no 1788/2003 méconnaît le principe de proportionnalité en ce que l’application uniforme du prélèvement irait au-delà de l’objectif d’une organisation commune du marché, en imposant une productivité réduite et des revenus médiocres à la moyenne des exploitants italiens.

Argumentation des parties

72

Selon les requérantes au principal, le système des quotas laitiers en Italie cause des dommages très graves notamment aux petits producteurs, car il empêche le développement de ces derniers. En effet, seule une adaptation structurelle des entreprises leur permettrait de survivre sur le marché, adaptation qui présupposerait l’augmentation de la production, laquelle serait en revanche interdite à cause du régime des quotas.

73

En outre, ce régime ne serait nullement apte à réaliser les objectifs de la politique agricole. Le seul objectif qu’il poursuivrait, au détriment des autres objectifs, serait celui de la stabilisation des marchés. Par conséquent, le système des quotas méconnaîtrait les principes communautaires du caractère raisonnable et de la proportionnalité.

74

Le Conseil soutient que le législateur communautaire jouit d’un large pouvoir d’appréciation, notamment en ce qui concerne les choix législatifs nécessaires pour mettre en œuvre la politique agricole commune. En outre, seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure, ce qui ne serait pas le cas en ce qui concerne le règlement no 1788/2003.

75

La Commission prétend que la décision de renvoi ne contient pas d’éléments propres à prouver le caractère manifestement inapproprié du règlement no 1788/2003. Selon elle, le régime des quotas et du prélèvement, d’une part, a stabilisé le marché et s’est révélé efficace pour apporter une solution au problème de la surproduction et, d’autre part, est compatible avec d’autres objectifs de la politique agricole commune.

Réponse de la Cour

76

Le règlement no 1788/2003 faisant partie intégrante de la politique agricole commune, il y a lieu de rappeler que, en cette matière, le Conseil dispose d’un pouvoir discrétionnaire et que le contrôle juridictionnel de ce pouvoir se limite à vérifier le caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée dans ce domaine par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre (voir, en ce sens, arrêts du 16 mars 2006, Emsland-Stärke, C-94/05, Rec. p. I-2619, point 54 et jurisprudence citée, ainsi que du , France/Conseil, C-479/07, point 63 et jurisprudence citée).

77

Il ressort des points 47 à 49 du présent arrêt que la stabilisation du marché laitier constitue l’objectif essentiel du règlement no 1788/2003 qui s’inscrit dans le but de la stabilisation des marchés mentionné expressément à l’article 33, paragraphe 1, sous c), CE. Au demeurant, selon les points 4 et 50 du présent arrêt, la poursuite dudit objectif est limitée dans le temps.

78

Il découle plus particulièrement du point 49 du présent arrêt que l’adoption du règlement no 1788/2003 a été nécessaire afin de réduire le déséquilibre entre l’offre et la demande de lait et de produits laitiers ainsi que les excédents structurels en résultant afin de parvenir à un meilleur équilibre du marché.

79

Par ailleurs, ainsi que l’observe Mme l’avocat général aux points 9 et 67 de ses conclusions, le législateur communautaire a envisagé comme alternative au régime du prélèvement la baisse du prix de soutien qui aurait eu des conséquences plus défavorables sur le revenu des producteurs de lait que l’introduction du régime du prélèvement.

80

Au demeurant, il a été relevé aux points 30 à 43 du présent arrêt que le caractère déficitaire de l’État membre concerné est dépourvu de pertinence aux fins de la détermination de la quantité de référence nationale.

81

Or, selon le point 57 du présent arrêt, le règlement no 1788/2003 est conforme également aux objectifs prévus à l’article 33, paragraphe 1, sous a) et b), CE.

82

Partant, le règlement no 1788/2003 n’est pas manifestement inapproprié pour la poursuite de l’objectif de la stabilisation des marchés.

83

Eu égard à tout ce qui précède, force est de conclure que l’examen du règlement no 1788/2003, au regard du principe de proportionnalité, n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de ce règlement.

Sur les dépens

84

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit:

 

1)

Le fait que le règlement (CE) no 1788/2003 du Conseil, du 29 septembre 2003, établissant un prélèvement dans le secteur du lait et des produits laitiers, ne prenne pas en compte, dans le cadre de la détermination de la quantité de référence nationale, le caractère déficitaire de l’État membre concerné n’est pas susceptible d’affecter la conformité de ce règlement avec les objectifs prévus notamment à l’article 33, paragraphe 1, sous a) et b), CE.

 

2)

L’examen du règlement no 1788/2003, au regard du principe de non-discrimination, n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de ce règlement.

 

3)

L’examen du règlement no 1788/2003, au regard du principe de proportionnalité, n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de ce règlement.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’italien.