62001J0207

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 11 septembre 2003. - Altair Chimica SpA contre ENEL Distribuzione SpA. - Demande de décision préjudicielle: Corte d'appello di Firenze - Italie. - Concurrence - Position dominante - Fourniture d'électricité - Facturation d'un 'sovrapprezzo'. - Affaire C-207/01.

Recueil de jurisprudence 2003 page I-08875


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


1. Questions préjudicielles - Recevabilité - Nécessité de fournir à la Cour suffisamment de précisions sur le contexte factuel et réglementaire

(Art. 234 CE; statut de la Cour de justice, art. 23)

2. Concurrence - Règles communautaires - Champ d'application matériel - Comportement anticoncurrentiel - Notion - Comportement d'une entreprise imposé par une législation nationale et se limitant au recouvrement, pour le compte de l'État, de suppléments de prix constituant des impositions - Exclusion

(Art. 81 CE et 82 CE)

3. Actes des institutions - Recommandations - Effet direct - Exclusion - Prise en considération par le juge national - Obligation - Portée

(Art. 249, al. 5, CE)

4. Industrie - Structures tarifaires pour l'énergie électrique - Recommandation 81/924 - Champ d'application matériel - Supplément de prix frappant la fourniture d'électricité - Exclusion

(Recommandation du Conseil 81/924)

Sommaire


1. La nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s'insèrent les questions qu'il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. Les informations fournies dans les décisions de renvoi ne doivent pas seulement permettre à la Cour de donner des réponses utiles, mais elles doivent également donner aux gouvernements des États membres ainsi qu'aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l'article 23 du statut de la Cour de justice. Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de la disposition précitée, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées.

( voir points 24-25 )

2. Les articles 81 CE et 82 CE ne visant que des comportements anticoncurrentiels qui ont été adoptés par les entreprises de leur propre initiative, ils ne sont pas d'application si un comportement anticoncurrentiel est imposé aux entreprises par une législation nationale ou si celle-ci crée un cadre juridique qui lui-même élimine toute possibilité de comportement concurrentiel de leur part. Dans une telle situation, la restriction de concurrence ne trouve pas sa cause, ainsi que l'impliquent ces dispositions, dans des comportements autonomes des entreprises. En revanche, les articles 81 CE et 82 CE peuvent s'appliquer s'il s'avère que la législation nationale laisse subsister la possibilité d'une concurrence susceptible d'être empêchée, restreinte ou faussée par des comportements autonomes des entreprises.

Dès lors, ne saurait constituer un comportement anticoncurrentiel l'action d'une entreprise qui doit être considérée comme agissant en tant que collecteur d'impôt. Tel est le cas lorsque l'entreprise, n'agissant pas en tant qu'opérateur économique et ne disposant d'aucune marge d'appréciation, se limite au recouvrement, pour le compte de l'État, de suppléments de prix constituant des impositions relevant exclusivement de la compétence de l'État telles que le supplément de prix pour charges nucléaires et le supplément de prix pour les nouvelles installations utilisant des sources d'énergie renouvelables ou assimilées frappant la fourniture d'électricité institués par la loi italienne.

( voir points 30-35 )

3. Même si les recommandations ne visent pas à produire des effets contraignants et ne sont pas en mesure de créer des droits que les particuliers peuvent invoquer devant un juge national, elles ne sont cependant pas dépourvues de tout effet juridique. En effet, les juges nationaux sont tenus de prendre les recommandations en considération en vue de la solution des litiges qui leur sont soumis, notamment lorsqu'elles éclairent l'interprétation de dispositions nationales prises dans le but d'assurer leur mise en oeuvre ou lorsqu'elles ont pour objet de compléter des dispositions communautaires ayant un caractère contraignant.

( voir point 41 )

4. Il ressort tant de son intitulé que des principes qu'elle énonce que la recommandation 81/924, concernant les structures tarifaires pour l'énergie électrique dans la Communauté, ne s'applique qu'à la structure de la tarification de l'énergie électrique. En effet, elle entend unifier les principes à la base des structures tarifaires dans les différents États membres et améliorer la transparence et la publicité des prix de l'électricité. Si cette recommandation donne des indications quant aux différents coûts que les prix doivent couvrir, elle ne contient en revanche aucun indice permettant de conclure qu'elle pourrait être interprétée comme s'appliquant à l'instauration d'un impôt sur la consommation d'énergie électrique. Dès lors, ladite recommandation n'est pas de nature à empêcher un État membre de prélever des suppléments de prix frappant la fourniture d'électricité.

( voir points 42-43 )

Parties


Dans l'affaire C-207/01,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par la Corte d'appello di Firenze (Italie) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Altair Chimica SpA

et

ENEL Distribuzione SpA,

une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 81 CE, 82 CE et 85 CE, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO L 76, p. 1), telle que modifiée par la directive 96/99/CE du Conseil, du 30 décembre 1996 (JO 1997, L 8, p. 12), et de la recommandation 81/924/CEE du Conseil, du 27 octobre 1981, concernant les structures tarifaires pour l'énergie électrique dans la Communauté (JO L 337, p. 12),

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. J.-P. Puissochet, président de chambre, MM. R. Schintgen (rapporteur) et V. Skouris, Mme F. Macken et M. J. N. Cunha Rodrigues, juges,

avocat général: M. F. G. Jacobs,

greffier: Mme M.-F. Contet, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

- pour Altair Chimica SpA, par Me F. Lorenzoni, avvocato,

- pour le gouvernement italien, par M. U. Leanza, en qualité d'agent, assisté de Me G. De Bellis, avvocato dello Stato,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. E. Traversa, en qualité d'agent,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Altair Chimica SpA, représentée par Me F. Lorenzoni, de ENEL Distribuzione SpA, représentée par Mes G. M. Roberti et A. Franchi, avvocati, du gouvernement italien, représenté par M. G. De Bellis, et de la Commission, représentée par M. E. Traversa, à l'audience du 16 janvier 2003,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 13 mars 2003,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par ordonnance du 23 janvier 2001, parvenue à la Cour le 18 mai suivant, la Corte d'appello di Firenze a posé, en vertu de l'article 234 CE, une question préjudicielle sur l'interprétation des articles 81 CE, 82 CE et 85 CE, de la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise (JO L 76, p. 1), telle que modifiée par la directive 96/99/CE du Conseil, du 30 décembre 1996 (JO 1997, L 8, p. 12, ci-après la «directive 92/12»), et de la recommandation 81/924/CEE du Conseil, du 27 octobre 1981, concernant les structures tarifaires pour l'énergie électrique dans la Communauté (JO L 337, p. 12).

2 Cette question a été soulevée dans le cadre d'un litige opposant Altair Chimica SpA (ci-après «Altair») à ENEL Distribuzione SpA (ci-après l'«ENEL») au sujet de la perception de suppléments au prix de l'électricité.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 Le troisième considérant de la directive 92/12 est libellé comme suit:

«considérant que la notion de produits soumis à accise doit être définie; que seules les marchandises qui sont traitées comme tels dans tous les États membres peuvent faire l'objet de dispositions communautaires; que ces produits peuvent faire l'objet d'autres impositions indirectes poursuivant des finalités spécifiques; que le maintien ou l'introduction d'autres impositions indirectes ne doivent pas donner lieu à des formalités liées au passage d'une frontière».

4 L'article 3 de la directive 92/12 dispose:

«1. La présente directive est applicable, au niveau communautaire, aux produits suivants tels que définis dans les directives y afférentes:

- les huiles minérales,

- l'alcool et les boissons alcooliques,

- les tabacs manufacturés.

2. Les produits mentionnés au paragraphe 1 peuvent faire l'objet d'autres impositions indirectes poursuivant des finalités spécifiques, à condition que ces impositions respectent les règles de taxation applicables pour les besoins des accises ou de la taxe sur la valeur ajoutée pour la détermination de la base d'imposition, le calcul, l'exigibilité et le contrôle de l'impôt.

3. Les États membres conservent la faculté d'introduire ou de maintenir des impositions frappant des produits autres que ceux mentionnés au paragraphe 1, à condition toutefois que ces impositions ne donnent pas lieu dans les échanges entre États membres à des formalités liées au passage d'une frontière.

Sous le respect de cette même condition, les États membres garderont également la faculté d'appliquer des taxes sur les prestations de services n'ayant pas le caractère de taxes sur le chiffre d'affaires, y compris celles en relation avec des produits soumis à accise.»

5 La directive 92/81/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant l'harmonisation des structures des droits d'accises sur les huiles minérales (JO L 316, p.12), telle que modifiée par la directive 94/74/CE du Conseil, du 22 décembre 1994 (JO L 365, p. 46, ci-après la «directive 92/81»), définit plus avant les huiles minérales soumises aux droits d'accise harmonisés.

6 L'article 2, paragraphe 1, de cette directive énumère de manière limitative les produits auxquels elle s'applique. L'électricité ne figure pas parmi ces produits.

7 L'article 2, paragraphes 2 et 3, de la directive 92/81 prévoit en outre:

«2. Les huiles minérales, autres que celles pour lesquelles un niveau d'accise est fixé par la directive 92/82/CEE, sont soumises à une accise si elles sont destinées à être utilisées, mises en vente ou utilisées comme combustible ou carburant. Le taux de l'accise exigible est fixé, selon l'utilisation, au taux applicable au combustible ou au carburant pour moteur équivalent.

3. Outre les produits imposables visés au paragraphe 1, tout produit destiné à être utilisé, mis en vente ou utilisé comme carburant ou comme additif ou en vue d'accroître le volume final des carburants est taxé comme un carburant. Tout autre hydrocarbure, à l'exception du charbon, du lignite, de la tourbe ou de tout autre hydrocarbure solide similaire ou du gaz naturel, destiné à être utilisé, mis en vente ou utilisé pour le chauffage, est taxé au taux applicable à l'huile minérale équivalente.

Toutefois, le charbon, le lignite, la tourbe ou tout autre hydrocarbure solide similaire ou le gaz naturel peuvent être taxés conformément à l'article 3 paragraphe 3 de la directive 92/12.»

8 L'article 4, paragraphe 3, premier alinéa, de la directive 92/81 est libellé comme suit:

«La consommation d'huiles minérales dans l'enceinte d'un établissement produisant des huiles minérales n'est pas considérée comme un fait générateur de l'accise lorsqu'elle s'effectue aux fins de la production.»

9 La directive 92/82/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant le rapprochement des taux d'accises sur les huiles minérales (JO L 316, p. 19), telle que modifiée par la directive 94/74 (ci-après la «directive 92/82»), contient, à son article 2, paragraphe 1, une liste exhaustive des huiles minérales auxquelles elle s'applique. L'énergie électrique ne fait pas partie de cette liste.

10 La recommandation 81/924 invite les États membres à faire en sorte que les structures tarifaires de l'énergie électrique soient fondées sur les principes communs suivants:

«1. La tarification de l'électricité devrait être structurée et adoptée de façon à permettre une politique rationnelle des prix et à reproduire les coûts supportés pour les différentes catégories de consommateurs; elle devrait être définie en considération de l'utilisation rationnelle de l'énergie et de façon à éviter l'encouragement d'une consommation non justifiée, tout en étant aussi claire et simple que possible.

2. La tarification binôme, qui, parmi les différentes formules tarifaires, permet de reproduire au mieux la structure des coûts de mise à la disposition de l'énergie électrique, est à généraliser [¼ ].

3. Les structures tarifaires à caractère promotionnel, qui favorisent une consommation superflue et accentuent la dégressivité artificielle des coûts, devraient être écartées.

4. Les tarifs basés sur l'utilisation qui est faite de l'énergie électrique devraient être abandonnés, à moins que ces tarifs ne soient conformes aux dispositions générales du point 1 et ne contribuent à la réalisation des objectifs à long terme de la politique énergétique.

5. Dans le but de transférer la demande en dehors des périodes de charge maximale, voire de permettre des délestages, il y aurait lieu de prévoir l'application de tarifs multiples à prix différenciés, et/ou la possibilité de fournitures interruptibles.

6. Les tarifs ne devraient pas être maintenus à un niveau artificiellement bas, pour des motifs sociaux ou des raisons liées à la politique anti-inflationniste par exemple; dans ces cas, une action séparée devrait être menée le cas échéant.

7. Les formules tarifaires devraient permettre la mise à jour des prix à intervalles réguliers;

de poursuivre les recherches sur les caractéristiques de la demande d'électricité des différentes catégories de consommateurs et de son évolution à long terme et de les développer en étroite coopération au niveau communautaire, en vue d'améliorer encore les structures tarifaires;

de veiller à ce que les prix de l'électricité présentent le plus haut degré de transparence possible et que ces prix et les coûts pour les consommateurs soient rendus publics autant que possible.»

La réglementation nationale

11 Le décret législatif n° 347, du 19 octobre 1944 (GURI n° 90, serie speciale, du 5 décembre 1944), prévoit, à son article 1er, l'instauration d'un Comitato interministeriale dei prezzi (comité interministériel des prix, ci-après le «CIP») pour assurer la coordination et la discipline des prix.

12 L'article 1er du décret législatif n° 896, du 15 septembre 1947 (GURI n° 217, du 22 septembre 1947, p. 2789), a conféré au CIP le pouvoir de créer des caisses de compensation et d'établir les modalités des contributions correspondantes aux fins de l'unification ou de la péréquation des prix. La Cassa conguaglio per il settore elettrico (Caisse de péréquation pour le secteur électrique, ci-après la «Caisse») a été constituée sur le fondement de ce texte. Elle a été financée, notamment, à travers le «sovrapprezzo termico», ce dernier étant un supplément au prix de l'électricité, établi pour encourager les économies d'énergie et dont le montant était périodiquement révisé par le CIP.

13 En 1987, la République italienne a décidé, par référendum, de mettre un terme à la production d'électricité nucléaire et d'arrêter les centrales nucléaires. Afin de faire face aux frais engendrés par cette décision, le CIP a, par délibération du 27 janvier 1988 (GURI n° 26, du 2 février 1988, p. 27), décidé d'instaurer une «maggiorazione straordinaria del sovrapprezzo termico» (majoration extraordinaire du supplément au prix de l'électricité) qui devait être appliquée à titre provisoire.

14 En vertu de la loi n° 9, du 9 janvier 1991 (supplément ordinaire à la GURI n° 13, du 16 janvier 1991, p. 3), cette majoration extraordinaire a reçu le nom de «sovrapprezzo per onere nucleare» (supplément de prix pour charges nucléaires). Elle est en outre devenue permanente et les recettes qu'elle génère sont affectées, notamment, au remboursement à l'ENEL et aux entreprises de construction de centrales nucléaires concernées des charges supplémentaires engendrées par la décision d'abandonner définitivement la construction de centrales nucléaires.

15 L'article 22 de la loi n° 9/91 prévoit l'adoption de mesures devant inciter à la production d'électricité à partir de sources d'énergie renouvelables ou assimilées.

16 Par délibération du 29 avril 1992 (GURI n° 109, du 12 mai 1992, p. 21), le CIP a décidé d'instaurer un «sovrapprezzo per nuovi impianti da fonti rinnovabili e assimilate» (supplément de prix pour les nouvelles installations utilisant des sources d'énergie renouvelables ou assimilées), destiné à financer les aides octroyées aux entreprises produisant de l'énergie à partir de ressources renouvelables. Ce supplément consiste en un prélèvement sur les fournitures d'électricité selon des taux dégressifs en fonction de la puissance de l'énergie électrique consommée.

17 La «maggiorazione straordinaria del sovrapprezzo termico» et le «sovrapprezzo per nuovi impianti da fonti rinnovabili e assimilate» (ci-après les «suppléments») sont recouvrés par l'ENEL, qui les verse à la Caisse. Celle-ci redistribue les sommes perçues entre les différentes entreprises auxquelles elles sont destinées.

Le litige au principal et la question préjudicielle

18 Altair est une société qui produit de la soude caustique, de la potasse caustique et du chlorure de potassium par la mise en oeuvre d'un processus électrochimique. Cette activité constitue, selon la juridiction de renvoi, une activité industrielle à haute consommation énergétique pour laquelle l'électricité est utilisée en tant qu'«énergie de processus» et constitue une véritable matière première qui s'intègre dans le processus de production, dans la mesure où elle s'incorpore au produit final sans pouvoir en être séparée.

19 Ainsi qu'il ressort du dossier, Altair a, dans un premier temps, refusé de payer les suppléments relatifs à sa consommation d'électricité des mois de février et de mars 1997. En conséquence, l'ENEL a, par requête du 27 juin 1997, demandé au président du Tribunale di Firenze d'enjoindre à Altair de payer les montants en cause.

20 Ayant, à l'issue de plusieurs procédures, été condamnée au paiement des montants litigieux, Altair a porté l'affaire devant la Corte d'appello di Firenze. Devant cette juridiction elle a fait valoir que les dispositions réglementaires instituant les suppléments étaient incompatibles avec le droit communautaire, et notamment avec les articles 81 CE, 82 CE et 85 CE, ainsi qu'avec la directive 92/12 et la recommandation 81/924.

21 Estimant que la solution du litige pendant devant elle nécessitait l'interprétation de différentes dispositions du droit communautaire, la Corte d'appello di Firenze a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante:

«La Corte d'appello di Firenze saisit la Cour de justice des Communautés européennes d'une demande de décision préjudicielle sur l'interprétation exacte des articles 81 [CE], 82 [CE] et 85 [CE], de la directive 92/12 et de la recommandation [81/924], afin d'établir si la réglementation nationale constituée du décret législatif n° 347/44, du décret législatif n° 896/47, du décret du président de la République n° 373/94, du décret législatif n° 98/48 et de la loi n° 9/91 est compatible avec les dispositions communautaires précitées.»

22 Il résulte de l'ordonnance de renvoi que la Corte d'appello est encline à penser, d'une part, que les suppléments constituent des prestations supplémentaires, au sens des articles 81, paragraphe 1, sous e), CE et 82, sous d), CE et, d'autre part, que des matières premières ne peuvent pas être frappées d'impôts.

Sur la recevabilité

23 Le gouvernement italien a émis des doutes quant à la recevabilité du présent renvoi préjudiciel. Selon lui, l'ordonnance de renvoi ne contiendrait ni les éléments minimaux indispensables concernant le contexte juridique dans lequel s'inscrit le litige au principal ni le cadre factuel de l'affaire, et ne remplirait donc pas les conditions de recevabilité telles qu'elles résultent de la jurisprudence de la Cour.

24 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la nécessité de parvenir à une interprétation du droit communautaire qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s'insèrent les questions qu'il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées (voir, notamment, arrêt du 21 septembre 1999, Brentjens', C-115/97 à C-117/97, Rec. p. I-6025, point 38).

25 Les informations fournies dans les décisions de renvoi ne doivent pas seulement permettre à la Cour de donner des réponses utiles, mais elles doivent également donner aux gouvernements des États membres ainsi qu'aux autres parties intéressées la possibilité de présenter des observations conformément à l'article 23 du statut de la Cour de justice. Il incombe à la Cour de veiller à ce que cette possibilité soit sauvegardée, compte tenu du fait que, en vertu de la disposition précitée, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux parties intéressées (voir, notamment, ordonnances du 30 avril 1998, Testa et Modesti, C-128/97 et C-137/97, Rec. p. I-2181, point 6, et du 11 mai 1999, Anssens, C-325/98, Rec. p. I-2969, point 8).

26 En l'espèce, il apparaît, à la lecture de l'ordonnance de renvoi, que la juridiction de renvoi a défini de façon suffisante le cadre tant factuel que juridique dans lequel elle formule sa demande d'interprétation du droit communautaire et qu'elle a fourni à la Cour toutes les informations nécessaires pour mettre celle-ci en mesure de répondre utilement à ladite demande.

27 Il ressort d'ailleurs des observations présentées, conformément à l'article 23 du statut de la Cour de justice, par le gouvernement italien ainsi que par la Commission que les informations contenues dans l'ordonnance de renvoi leur ont permis de prendre utilement position sur la question posée à la Cour.

28 Il s'ensuit que la question préjudicielle est recevable.

Sur la question préjudicielle

29 Par sa question, la juridiction de renvoi demande en substance si les articles 81 CE, 82 CE et 85 CE, la directive 92/12 ou la recommandation 81/924 doivent être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à une réglementation qui prévoit le prélèvement de suppléments au prix de l'électricité tels que ceux en cause au principal lorsque l'électricité est utilisée dans un processus électrochimique.

30 En ce qui concerne, en premier lieu, l'interprétation des articles du traité, il y a lieu de rappeler, d'une part, que les articles 81 CE et 82 CE ne visent que des comportements anticoncurrentiels qui ont été adoptés par les entreprises de leur propre initiative. Si un comportement anticoncurrentiel est imposé aux entreprises par une législation nationale ou si celle-ci crée un cadre juridique qui lui-même élimine toute possibilité de comportement concurrentiel de leur part, les articles 81 CE et 82 CE ne sont pas d'application. Dans une telle situation, la restriction de concurrence ne trouve pas sa cause, ainsi que l'impliquent ces dispositions, dans des comportements autonomes des entreprises (arrêt du 11 novembre 1997, Commission et France/Ladbroke Racing, C-359/95 P et C-379/95 P, Rec. p. I-6265, point 33).

31 En revanche, les articles 81 CE et 82 CE peuvent s'appliquer s'il s'avère que la législation nationale laisse subsister la possibilité d'une concurrence susceptible d'être empêchée, restreinte ou faussée par des comportements autonomes des entreprises (arrêt Commission et France/Ladbroke Racing, précité, point 34).

32 Il importe de constater, d'autre part, que, eu égard à l'origine des dispositions régissant les suppléments en cause au principal, au destinataire de ces suppléments, à l'affectation des recettes qu'ils génèrent ainsi qu'aux pénalités et procédures de recouvrement prévues au cas où ils ne sont pas payés, lesdits suppléments constituent des impositions.

33 Cette qualification est d'ailleurs conforme à celle retenue par la Cour dans son arrêt du 21 mai 1980, Commission/Italie (73/79, Rec. p. 1533, point 22), au sujet d'un supplément au prix du sucre également instauré par le CIP et versé à une caisse de péréquation en vue d'être redistribué à l'industrie du sucre italienne.

34 En tant que tels, et bien qu'ils soient facturés et recouvrés par l'ENEL, les suppléments en cause au principal relèvent donc exclusivement de la compétence de l'État italien.

35 Dans la mesure où l'intervention de l'ENEL se limite au recouvrement, pour le compte de l'État, de ces suppléments, elle doit être considérée comme un collecteur d'impôt. Or, dès lors que, dans l'exercice de cette fonction, l'ENEL n'intervient pas en tant qu'opérateur économique et ne dispose d'aucune marge d'appréciation, son intervention ne saurait être considérée comme constituant un comportement anticoncurrentiel, au sens de la jurisprudence citée aux points 30 et 31 du présent arrêt.

36 Cette constatation ne saurait être remise en cause par l'argument selon lequel le prélèvement de suppléments tels que ceux en cause au principal compromettrait la situation concurrentielle des opérateurs économiques qui y sont soumis par rapport aux opérateurs économiques établis dans les autres États membres qui ne connaissent pas un tel prélèvement. En effet, les articles 81 CE et 82 CE n'ont vocation à s'appliquer qu'aux comportements anticoncurrentiels d'entreprises et n'ont pas pour objet d'éliminer les différences pouvant exister entre les régimes fiscaux des différents États membres.

37 Eu égard à ces considérations, il y a lieu de conclure que les articles 81 CE, 82 CE et 85 CE ne s'opposent pas au prélèvement de suppléments tels que ceux en cause au principal.

38 S'agissant, en deuxième lieu, de la compatibilité des suppléments en cause au principal avec la directive 92/12, il convient de rappeler que ladite directive énumère, à son article 3, paragraphe 1, les produits auxquels elle s'applique.

39 Or, il résulte clairement de la lecture combinée de cette disposition, de l'article 2 de la directive 92/81 et de l'article 2 de la directive 92/82 que l'électricité ne relève pas du champ d'application de la directive 92/12.

40 Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin d'examiner si, ainsi que Altair l'a soutenu, la directive 92/12 contient un principe selon lequel les matières premières ne peuvent être imposées, il y a lieu de constater que ladite directive ne saurait s'opposer au prélèvement de suppléments tels que ceux en cause au principal.

41 En ce qui concerne, en troisième lieu, l'interprétation de la recommandation 81/924, il convient de rappeler, d'une part, qu'il ressort de la jurisprudence de la Cour que, même si les recommandations ne visent pas à produire des effets contraignants et ne sont pas en mesure de créer des droits que les particuliers peuvent invoquer devant un juge national, elles ne sont cependant pas dépourvues de tout effet juridique. En effet, les juges nationaux sont tenus de prendre les recommandations en considération en vue de la solution des litiges qui leur sont soumis, notamment lorsqu'elles éclairent l'interprétation de dispositions nationales prises dans le but d'assurer leur mise en oeuvre ou lorsqu'elles ont pour objet de compléter des dispositions communautaires ayant un caractère contraignant (voir arrêt du 13 décembre 1989, Grimaldi, C-322/88, Rec. p. 4407, points 7, 16 et 18).

42 Il importe de relever, d'autre part, qu'il ressort tant de son intitulé que des principes qu'elle énonce que la recommandation 81/924 ne s'applique qu'à la structure de la tarification de l'énergie électrique. En effet, elle entend unifier les principes à la base des structures tarifaires dans les différents États membres et améliorer la transparence et la publicité des prix de l'électricité. Si cette recommandation donne des indications quant aux différents coûts que les prix doivent couvrir, elle ne contient en revanche aucun indice permettant de conclure qu'elle pourrait être interprétée comme s'appliquant à l'instauration d'un impôt sur la consommation d'énergie électrique.

43 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que la recommandation 81/924 n'est pas de nature à empêcher un État membre de prélever des suppléments tels que ceux en cause au principal.

44 Eu égard à l'ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question préjudicielle que les articles 81 CE, 82 CE et 85 CE, ainsi que la directive 92/12 doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit le prélèvement de suppléments au prix de l'électricité tels que ceux en cause dans l'affaire au principal lorsque l'électricité est utilisée dans un processus électrochimique et que la recommandation 81/924 n'est pas de nature à empêcher un État membre de prélever de tels suppléments.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

45 Les frais exposés par le gouvernement italien et par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement. La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre),

statuant sur la question à elle soumise par la Corte d'appello di Firenze, par ordonnance du 23 janvier 2001, dit pour droit:

Les articles 81 CE, 82 CE, et 85 CE, ainsi que la directive 92/12/CEE du Conseil, du 25 février 1992, relative au régime général, à la détention, à la circulation et aux contrôles des produits soumis à accise, telle que modifiée par la directive 96/99/CE du Conseil, du 30 décembre 1996, doivent être interprétés en ce sens qu'ils ne s'opposent pas à une réglementation nationale qui prévoit le prélèvement de suppléments au prix de l'électricité tels que ceux en cause dans l'affaire au principal lorsque l'électricité est utilisée dans un processus électrochimique et que la recommandation 81/924/CEE du Conseil, du 27 octobre 1981, concernant les structures tarifaires pour l'énergie électrique dans la Communauté, n'est pas de nature à empêcher un État membre de prélever de tels suppléments.