61999J0144

Arrêt de la Cour (cinquième chambre) du 10 mai 2001. - Commission des Communautés européennes contre Royaume des Pays-Bas. - Manquement d'Etat - Directive 93/13/CEE - Clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs - Transposition incomplète. - Affaire C-144/99.

Recueil de jurisprudence 2001 page I-03541


Sommaire
Parties
Motifs de l'arrêt
Décisions sur les dépenses
Dispositif

Mots clés


Actes des institutions - Directives - Exécution par les États membres - Transposition d'une directive sans action législative - Conditions - Existence d'un contexte juridique général garantissant la pleine application de la directive - Insuffisance d'une jurisprudence nationale interprétant des dispositions de droit interne conformément aux exigences de la directive

raité CE, art. 189, al. 3 (devenu art. 249, al. 3, CE); directive du Conseil 93/13)

Sommaire


$$Bien que la transposition d'une directive n'exige pas nécessairement une action législative de chaque État membre, il est indispensable que le droit national en cause garantisse effectivement la pleine application de la directive, que la situation juridique découlant de ce droit soit suffisamment précise et claire, et que les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits et, le cas échéant, de s'en prévaloir devant les juridictions nationales. Cette dernière condition est particulièrement importante lorsque la directive en cause vise à accorder des droits aux ressortissants d'autres États membres. Tel est le cas de la directive 93/13, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, laquelle vise notamment, selon son sixième considérant, à «protéger le citoyen dans son rôle de consommateur lorsqu'il acquiert des biens et des services par des contrats régis par la législation d'États membres autres que le sien».

Une jurisprudence nationale, à la supposer établie, interprétant des dispositions de droit interne dans un sens estimé conforme aux exigences d'une directive ne saurait présenter la clarté et la précision requises pour satisfaire à l'exigence de sécurité juridique.

( voir points 17-18, 21 )

Parties


Dans l'affaire C-144/99,

Commission des Communautés européennes, représentée par M. P. van Nuffel, en qualité d'agent, assisté de Mes M. van der Woude et L. Dommering-van Rongen, advocaten, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Royaume des Pays-Bas, représenté par M. M. A. Fierstra et Mme J. van Bakel, en qualité d'agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet de faire constater que, en ne prenant pas les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour assurer la transposition complète en droit néerlandais des articles 4, paragraphe 2, et 5 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29), le royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 189 du traité CE (devenu article 249 CE) et de ladite directive,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de MM. A. La Pergola, président de chambre, M. Wathelet, D. A. O. Edward, P. Jann (rapporteur) et L. Sevón, juges,

avocat général: M. A. Tizzano,

greffier: M. R. Grass,

vu le rapport du juge rapporteur,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 23 janvier 2001,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l'arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 21 avril 1999, la Commission des Communautés européennes a introduit, en vertu de l'article 169 du traité CE (devenu article 226 CE), un recours visant à faire constater que, en ne prenant les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour assurer la transposition complète en droit néerlandais des articles 4, paragraphe 2, et 5 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs (JO L 95, p. 29, ci-après la «directive»), le royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 189 du traité CE (devenu article 249 CE) et de la directive.

La directive

2 Aux termes de son article 1er, la directive a pour objet de rapprocher les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux clauses abusives dans les contrats conclus entre un professionnel et un consommateur.

3 L'article 3 de la directive définit ce qu'il convient d'entendre par «clauses abusives». L'article 6 précise que de telles clauses «ne lient pas les consommateurs».

4 L'article 4 de la directive dispose:

«1. Sans préjudice de l'article 7, le caractère abusif d'une clause contractuelle est apprécié en tenant compte de la nature des biens ou services qui font l'objet du contrat et en se référant, au moment de la conclusion du contrat, à toutes les circonstances qui entourent sa conclusion, de même qu'à toutes les autres clauses du contrat, ou d'un autre contrat dont il dépend.

2. L'appréciation du caractère abusif des clauses ne porte ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation entre le prix et la rémunération, d'une part, et les services ou les biens à fournir en contrepartie, d'autre part, pour autant que ces clauses soient rédigées de façon claire et compréhensible.»

5 L'article 5 de la directive est libellé comme suit:

«Dans le cas des contrats dont toutes ou certaines clauses proposées au consommateur sont rédigées par écrit, ces clauses doivent toujours être rédigées de façon claire et compréhensible. En cas de doute sur le sens d'une clause, l'interprétation la plus favorable au consommateur prévaut. Cette règle d'interprétation n'est pas applicable dans le cadre des procédures prévues à l'article 7 paragraphe 2.»

6 Selon l'article 10 de la directive, les États membres devaient mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive au plus tard le 31 décembre 1994.

La réglementation nationale

7 Le Burgerlijk Wetboek (code civil néerlandais, ci-après le «BW») réglemente, dans son livre III, les aspects généraux du droit patrimonial et, dans son livre VI, le régime des obligations et des contrats en général.

8 L'article 35 du livre III du BW est libellé comme suit:

«Lorsqu'une personne fait une déclaration ou adopte un comportement non conformes à sa volonté, le défaut de volonté ne peut être opposé à celui qui a compris cette déclaration ou ce comportement, d'après le sens qu'il pouvait raisonnablement leur donner dans les circonstances, comme constituant une déclaration de portée déterminée à son adresse.»

9 L'article 231 du livre VI du BW définit les «conditions générales» comme étant «une ou plusieurs stipulations écrites formulées en vue de leur inclusion dans un certain nombre de contrats, à l'exception de celles qui décrivent les prestations essentielles».

10 L'article 233 du livre VI du BW prévoit:

«Une stipulation faisant partie de conditions générales est annulable:

a. si elle est anormalement onéreuse pour l'autre partie, compte tenu de la nature du contrat et de son contenu, de la manière dont les conditions sont nées et des intérêts réciproquement évidents des parties et des autres circonstances de l'espèce;

b. si l'utilisateur n'a pas offert à l'autre partie une possibilité suffisante de prendre connaissance des conditions générales.»

11 Aux termes de l'article 248 du livre VI du BW:

«1. Le contrat ne produit pas seulement les effets juridiques convenus entre les parties, mais également ceux qui, suivant la nature du contrat, découlent de la loi, de l'usage ou des exigences de la raison et de l'équité.

2. La règle à laquelle leur rapport est soumis par l'effet du contrat ne s'applique pas dans la mesure où, en la circonstance, cela serait inacceptable d'après des critères de la raison et de l'équité.»

La procédure précontentieuse

12 Considérant que la directive n'avait pas été transposée de manière complète en droit néerlandais dans le délai prescrit, la Commission a engagé la procédure en manquement. Après avoir mis le royaume des Pays-Bas en demeure de lui présenter ses observations, la Commission a, le 6 avril 1998, émis un avis motivé invitant cet État membre à prendre les mesures nécessaires pour s'y conformer dans un délai de deux mois à compter de sa notification. Le royaume des Pays-Bas n'ayant pas donné suite à cet avis, la Commission a introduit le présent recours.

Sur le fond

13 Dans son recours, la Commission fait valoir que la transposition de la directive dans l'ordre juridique néerlandais est insuffisante quant à la forme et au moyen utilisés et incomplète quant à son résultat.

14 Selon la Commission, une transposition qui se fonde uniquement sur l'existence préalable dans l'ordre juridique d'un État membre de dispositions conformes à la directive à transposer ne peut être admise que dans des limites très rigoureuses. Lorsque, comme en l'espèce, la directive a pour but de protéger les consommateurs en leur conférant des droits précis, la transposition devrait être assurée dans des formes claires et dépourvues d'équivoque. Tel ne serait pas le cas des dispositions du BW invoquées par le gouvernement néerlandais.

15 La Commission soutient également que ces dispositions ne garantissent pas concrètement le résultat voulu par les articles 4, paragraphe 2, et 5 de la directive.

16 Le gouvernement néerlandais conteste cette analyse en faisant valoir que l'article 189, troisième alinéa, du traité laisse toute liberté aux États membres dans le choix de la forme et des moyens nécessaires pour transposer une directive. Se fondant notamment sur l'arrêt du 23 mai 1985, Commission/Allemagne (29/84, Rec. p. 1661, point 23), il affirme qu'une transposition expresse n'est pas indispensable si l'ordre juridique national atteint déjà les objectifs poursuivis par la directive.

17 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, s'il est vrai que la transposition d'une directive n'exige pas nécessairement une action législative de chaque État membre, il est toutefois indispensable que le droit national en cause garantisse effectivement la pleine application de la directive, que la situation juridique découlant de ce droit soit suffisamment précise et claire et que les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits et, le cas échéant, de s'en prévaloir devant les juridictions nationales (arrêt du 23 mars 1995, Commission/Grèce, C-365/93, Rec. p. I-499, point 9).

18 Ainsi que la Cour l'a déjà souligné, cette dernière condition est particulièrement importante lorsque la directive en cause vise à accorder des droits aux ressortissants d'autres États membres (arrêt Commission/Grèce, précité, point 9). Or, tel est le cas en l'espèce, où la directive vise notamment, selon son sixième considérant, à «protéger le citoyen dans son rôle de consommateur lorsqu'il acquiert des biens et des services par des contrats régis par la législation d'États membres autres que le sien».

19 Or, pour les raisons exposées par M. l'avocat général aux points 25 et 26 de ses conclusions, il apparaît que le royaume des Pays-Bas n'a pas été en mesure de démontrer que son ordre juridique comporte des dispositions équivalentes aux articles 4, paragraphe 2, et 5 de la directive.

20 Pour autant que le gouvernement néerlandais a affirmé que les objectifs poursuivis par la directive pourraient être atteints au moyen d'une interprétation systématique des dispositions néerlandaises, il suffit de relever que, pour les raisons exposées par M. l'avocat général aux points 26 à 31 de ses conclusions, les résultats voulus par la directive ne peuvent être atteints en l'état du droit néerlandais.

21 S'agissant de l'argument du gouvernement néerlandais selon lequel le principe de l'interprétation conforme à la directive de la réglementation néerlandaise, tel qu'il serait affirmé par le Hoge Raad der Nederlanden (Pays-Bas), permettrait, en tout état de cause, de remédier à une divergence entre les dispositions de la législation néerlandaise et celles de la directive, il suffit de relever que, ainsi que l'a exposé M. l'avocat général au point 36 de ses conclusions, une jurisprudence nationale, à la supposer établie, interprétant des dispositions de droit interne dans un sens estimé conforme aux exigences d'une directive ne saurait présenter la clarté et la précision requises pour satisfaire à l'exigence de sécurité juridique. Il convient d'ajouter que tel est particulièrement le cas dans le domaine de la protection des consommateurs.

22 Dès lors, il convient de constater que, en ne prenant pas les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour assurer la transposition complète en droit néerlandais des articles 4, paragraphe 2, et 5 de la directive, le royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la directive.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

23 Aux termes de l'article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute personne qui succombe est condamnée aux dépens, s'il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation du royaume des Pays-Bas et celui-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (cinquième chambre)

déclare et arrête:

1) En ne prenant pas les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour assurer la transposition complète en droit néerlandais des articles 4, paragraphe 2, et 5 de la directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, le royaume des Pays-Bas a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de ladite directive.

2) Le royaume des Pays-Bas est condamné aux dépens.