ORDONNANCE DU TRIBUNAL (sixième chambre)

28 juin 2018 (*)

« Recours en annulation – Protection des données à caractère personnel – Publicité de la jurisprudence du Tribunal – Demande d’anonymisation et de suppression sur Internet d’un arrêt du Tribunal – Acte non susceptible de recours – Acte confirmatif – Absence de faits nouveaux et substantiels – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire T‑452/17,

TL, fonctionnaire de la Commission européenne,  représenté par Mes T. Léonard et M. Cock, avocats,

partie requérante,

contre

Contrôleur européen de la protection des données (CEPD), représenté par Mmes A. Buchta, M. Pérez Asinari, C. Gayrel et M. M. Guglielmetti, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision du CEPD du 16 mai 2017 portant refus de la demande visant, en substance, d’une part, à procéder à une nouvelle analyse de sa compétence à l’égard de la diffusion sur Internet du nom d’une partie à une procédure par la Cour de justice de l’Union européenne et, d’autre part, à ordonner l’anonymisation de l’arrêt [confidentiel],

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. G. Berardis, président, D. Spielmann et Z. Csehi (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend la présente

Ordonnance

 Antécédents du litige

1        Le 28 mai 2001, le requérant, TL, fonctionnaire de la Commission européenne, a introduit un recours devant le Tribunal ayant pour objet l’annulation de la décision de la Commission de ne pas le promouvoir au grade A 6 au titre de l’exercice de promotion 2000. Par arrêt [confidentiel] (ci-après l’« arrêt TL »), le Tribunal a donné suite à ce recours. Cet arrêt est accessible sur le site Internet de la Cour de justice de l’Union européenne, dénommé Curia (ci-après le « site Curia ») et peut être également trouvé sur Internet en effectuant une recherche à partir du nom du requérant.

2        Le 2 février 2014, le requérant a contacté le greffier du Tribunal et demandé de « […] faire disparaître d’Internet l’arrêt [TL] » pour la raison que « [c]ette [in]formation pourrait porter préjudice à [sa] carrière […] ». Le 17 mars 2014, cette demande a été rejetée par le greffier du Tribunal au motif qu'« [u]n examen de [la] demande […] ainsi que de l’arrêt en cause n’a […] pas permis d’identifier d’éléments susceptibles de justifier, [douze] ans après la diffusion dudit arrêt, une dérogation au principe de publicité de la jurisprudence du Tribunal ». En outre, le greffier du Tribunal a constaté que, en l’espèce, aucune demande d’omettre le nom du requérant n’avait été introduite au cours de la procédure, alors que l’identité d’une partie au litige peut être tenue confidentielle si des raisons légitimes le justifient.

3        Le 20 août 2014, le requérant, en remplissant un formulaire sur le site Internet du Contrôleur européen de la protection des données (CEPD), a déposé une réclamation auprès du CEPD à l’encontre de la décision du greffier du Tribunal, du 17 mars 2014, dans le cadre de laquelle il a « revendiqu[é] le droit à l’oubli au t[i]tre de l’arrêt du 13 mai 2014[,] [Google Spain et Google (C‑131/12, EU:C:2014:317)] » à l’égard de l’arrêt TL (ci-après la « première réclamation »).

4        Le 24 juillet 2015, le CEPD a envoyé une lettre à la Cour de justice de l’Union européenne l’informant officiellement de cette réclamation et lui faisant part de sa position selon laquelle, en interprétant de manière restrictive l’exception prévue à l’article 46, sous c), du règlement (CE) no 45/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2000, relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel par les institutions et organes communautaires et à la libre circulation de ces données (JO 2001, L 8, p. 1), la publication sur Internet des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne peut être assimilée à des fonctions administratives de cette dernière et est donc soumise au contrôle du CEPD.

5        Par lettre du 22 février 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a répondu que la publication sur Internet du nom d’une partie à une procédure devant l’une des juridictions de l’Union européenne relevait de l’article 46, sous c), du règlement no 45/2001, qui exclut de la compétence du CEPD le contrôle du traitement des données à caractère personnel effectué par la Cour de justice de l’Union européenne dans l’exercice de ses fonctions juridictionnelles, étant donné qu’une telle publication trouvait sa base légale dans les règlements de procédure respectifs des trois juridictions de l’Union et que seule la formation de jugement ayant statué sur l’affaire en cause serait compétente pour déterminer l’étendue et les canaux de publication. En outre, elle a souligné que cette publication découlait de l’exigence de publicité de la justice prévue à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

6        Le 11 mars 2016, le CEPD a communiqué au requérant la copie de la réponse de la Cour de justice de l’Union européenne du 22 février 2016. Il lui a indiqué que le CEPD n’était pas, compte tenu de la position de la Cour de justice de l’Union européenne, en mesure de contraindre celle-ci à omettre l’arrêt TL du site Curia (ci-après la « première décision du 11 mars 2016 »). Il a ajouté qu’il n’était pas non plus compétent pour contrôler des moteurs de recherche. Toutefois, le CEPD a soulevé la possibilité de proposer à la Cour de justice de l’Union européenne de mettre en place une solution technique afin d’exclure l’arrêt TL des moteurs de recherche.

7        Le 12 septembre 2016, le requérant, par l’intermédiaire de ses représentants, a saisi le CEPD d’une nouvelle réclamation « port[ant] sur la conformité du traitement relatif à la diffusion sur le site [Curia] des noms des parties à une procédure devant la [Cour de justice de l’Union européenne] à l’égard du [règlement no 45/2001] » et, premièrement, l’invitant « à procéder à une nouvelle analyse de sa compétence ainsi qu’à diligenter un véritable contrôle de la conformité du traitement litigieux au regard du [r]èglement no 45/2001 », deuxièmement, lui demandant de « constater l’illicéité du traitement relatif à la diffusion d[e] [ses] données à caractère personnel […] sur Internet, en violation du [r]èglement no 45/2001 », et, troisièmement, le sollicitant d’« ordonner l’anonymisation de l’arrêt [TL] et des [pages des sites Internet] contenant ses données à [caractère personnel] tel[les] que le sommaire, la communication au [Journal officiel de l’Union européenne] de la demande introductive d’instance et de la clôture de l’affaire » (ci-après la « seconde réclamation »).

8        De plus, le requérant a précisé que cette nouvelle réclamation « ne présent[ait] pas le même objet que sa [première réclamation] tendant à la suppression de la publication en ligne de l’arrêt [TL] », mais « port[ait] sur la conformité du traitement relatif à la diffusion sur le site [Curia] des noms des parties à une procédure devant la [Cour de justice de l’Union européenne] à l’égard du [règlement no 45/2001] » et avait « pour objet l’anonymisation de l’arrêt [TL] et des [pages des sites Internet] contenant ses données à [caractère personnel] tel[les] que le sommaire, la communication au [Journal officiel de l’Union européenne] de la demande introductive d’instance et de la clôture de l’affaire, et non pas leur suppression ». Le requérant a, pour finir, informé le CEPD, que, indépendamment de sa demande, il acceptait la mise en œuvre de la solution technique proposée dans la première décision du 11 mars 2016 afin de limiter l’indexation des sites Internet concernant l’arrêt TL.

9        Par lettre du 23 septembre 2016, le CEPD a notifié une copie de la seconde réclamation à la Cour de justice de l’Union européenne. Dans sa lettre du 11 novembre 2016, le greffier du Tribunal, auquel le greffier de la Cour avait transmis la lettre du CEPD, a confirmé « la position selon laquelle la publication sur [I]nternet du nom d’une partie à une procédure devant le Tribunal relève de l’exclusion visée à l’article 46, sous c), du [règlement no 45/2001] ». Par courriel du 22 novembre 2016, le CEPD a transmis la réponse du greffier du Tribunal aux représentants du requérant pour recueillir leurs observations. Ceux-ci ont fait parvenir leurs observations au CEPD par lettre du 8 décembre 2016, dans laquelle ils ont demandé au CEPD de prendre position sur le bien-fondé de la seconde réclamation.

10      Par lettre du 16 mai 2017 (ci-après la « décision attaquée »), le CEPD a informé le requérant que sa demande « ne conten[ai]t aucun élément nouveau qui [aurait] perm[is] au CEPD de ré-analyser le dossier ou de revoir sa décision » et que la seconde réclamation « fai[sai]t référence aux mêmes faits que la [première réclamation] ». Il a ajouté que l’objet mentionné dans la seconde réclamation avait déjà été pris en compte lors de l’enquête du CEPD sur la première réclamation. Dans le cadre de ses investigations auprès de la Cour de justice de l’Union européenne, le CEPD aurait « enquêté de façon plus large sur le traitement des données personnelles effectué par la Cour [de justice de l’Union européenne] dans le contexte de la publication sur [I]nternet des décisions de [celle-ci], ayant en vue une possible anonymisation de l’arrêt [TL] et des publications y afférentes suite à l’exercice par le réclamant de son “droit à l’oubli” ». Selon le CEPD, les éléments de droit invoqués concernant sa compétence n’étaient pas nouveaux et avaient déjà été soulevés par lui-même lors de son enquête sur la première réclamation auprès de la Cour de justice de l’Union européenne. Partant, le CEPD n’aurait pu que confirmer la première décision du 11 mars 2016 par laquelle il s’était déclaré incompétent eu égard à l’interprétation stricte adoptée par la Cour de justice de l’Union européenne du champ d’application de l’article 46, sous c), du règlement no 45/2001.

 Procédure et conclusions des parties

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 juillet 2017, le requérant a introduit le présent recours.

12      Le 6 octobre 2017, le Tribunal (sixième chambre) a décidé de faire droit à la demande d’anonymat présentée par le requérant.

13      Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        condamner le CEPD aux dépens.

14      Le CEPD conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        à titre principal, rejeter le recours comme irrecevable ;

–        à titre subsidiaire, déclarer que l’exception prévue à l’article 46, sous c), du règlement no 45/2001 doit recevoir une interprétation restrictive n’excluant pas du champ des compétences de contrôle du CEPD les opérations de traitement de données résultant de la publication sur Internet des décisions et d’autres documents de procédure à des fins de transparence de la justice, qui constitue une finalité administrative.

15      Le requérant n’a pas déposé de réplique pour répondre au mémoire en défense du CEPD, notamment au chef de conclusions concernant la recevabilité du présent recours.

 En droit

16      En vertu de l’article 126 du règlement de procédure du Tribunal, lorsqu’un recours est manifestement irrecevable, le Tribunal peut, sur proposition du juge rapporteur, à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

17      En l’espèce, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, décide de statuer sans poursuivre la procédure.

18      Sans soulever formellement d’exception d’irrecevabilité au titre de l’article 130 du règlement de procédure, le CEPD fait valoir que le recours est irrecevable au motif que la décision attaquée constitue un acte purement confirmatif de la première décision du 11 mars 2016. À cet égard, il avance que la seconde réclamation faisait référence aux mêmes faits que ceux visés dans la première réclamation et que les éléments de droit invoqués par le requérant n’étaient pas nouveaux puisque ceux-ci avaient été pris en considération par le CEPD, de sa propre initiative, dans le cadre de l’investigation concernant la première réclamation. Selon le CEPD, la seconde réclamation, visant à l’anonymisation de l’arrêt TL, avait le même objet que la première réclamation, étant donné que cette dernière avait porté sur le traitement des données personnelles dans les publications sur Internet des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne au sens large. En outre, dans les deux cas, l’intervention du CEPD aurait été soumise à la même condition préalable, à savoir l’étendue de sa compétence.

19      Dans la requête, le requérant fait valoir, en substance, que la seconde réclamation avait un objet différent de celui de la première réclamation, à savoir une demande d’anonymisation de l’arrêt TL au lieu d’une suppression de la publication en ligne dudit arrêt. Selon le requérant, la seconde réclamation n’était pas une demande de révision de la première décision du 11 mars 2016 et le CEPD ne pouvait donc pas la rejeter au motif qu’elle ne contenait aucun élément nouveau.

 Observations liminaires

20      La décision attaquée fait référence à l’enquête du CEPD sur le traitement des données personnelles effectué par la Cour de justice de l’Union européenne dans le contexte de la « publication » sur Internet des décisions de celle-ci ainsi qu’à la position de la Cour de justice de l’Union européenne à l’égard de « la publication sur le site Curia du nom des parties aux procédures devant une juridiction de l’Union […] ». La seconde réclamation, qui fait l’objet de la décision attaquée, « porte sur la conformité du traitement relatif à la diffusion sur le site [Curia] des noms des parties à une procédure devant la [Cour de justice de l’Union européenne] à l’égard du [règlement no 45/2001] »

21      À cet égard, il convient de rappeler que l’article 35, paragraphe 3, du règlement de procédure fait la distinction entre les « publications du Tribunal », telles que le recueil de la jurisprudence, et la « diffusion sur Internet de documents concernant le Tribunal ». L’article 20, paragraphe 3, du règlement de procédure de la Cour vise également les « publications de la Cour », notamment, le recueil de la jurisprudence.

22      Ainsi, il y a lieu d’opérer une distinction entre les termes « publication » et « diffusion » et d’utiliser ce dernier terme pour la mise en ligne des documents sur Internet, en particulier sur le site Curia, intervenant dans le cadre d’une procédure devant les juridictions de l’Union.

23      Il s’ensuit que la décision attaquée concerne la diffusion sur Internet intervenant dans le cadre d’une procédure devant les juridictions composant la Cour de justice de l’Union européenne, notamment la diffusion du nom d’une partie à une telle procédure sur le site Curia. En revanche, toute autre forme de mise en ligne sur Internet ne fait pas l’objet de la présente affaire.

 Rappel de la jurisprudence

24      Il résulte des termes mêmes de l’article 263 TFUE, comme de son objet qui est d’assurer la sécurité juridique, que l’acte qui n’a pas été attaqué dans le délai de recours devient définitif. Ce caractère définitif concerne non seulement l’acte lui-même, mais aussi tout acte ultérieur qui aurait un caractère purement confirmatif (arrêts du 18 octobre 2007, Commission/Parlement et Conseil, C‑299/05, EU:C:2007:608, point 29 ; du 2 octobre 2009, Chypre/Commission, T‑300/05 et T‑316/05, non publié, EU:T:2009:380, point 258, et du 13 novembre 2014, Espagne/Commission, T‑481/11, EU:T:2014:945, point 27).

25      Selon une jurisprudence constante, un acte est considéré comme purement confirmatif d’un acte antérieur s’il ne contient aucun élément nouveau par rapport à l’acte antérieur et n’a pas été précédé d’un réexamen de la situation du destinataire de ce dernier acte (arrêts du 7 février 2001, Inpesca/Commission, T‑186/98, EU:T:2001:42, point 44, et du 13 novembre 2014, Espagne/Commission, T‑481/11, EU:T:2014:945, point 28).

26      À cet égard, il y a également lieu d’apprécier le caractère de l’acte attaqué par rapport à la nature de la demande à laquelle cet acte constitue une réponse (voir arrêt du 7 février 2001, Inpesca/Commission, T‑186/98, EU:T:2001:42, point 45 et jurisprudence citée).

27      Toutefois, il ne saurait être admis qu’une simple vérification des éléments de fait et de droit ayant justifié l’adoption d’un acte, entreprise par l’auteur de cet acte avant de confirmer une nouvelle fois son contenu, constitue un réexamen au sens de la jurisprudence citée au point 25 ci-dessus (arrêt du 13 novembre 2014, Espagne/Commission, T‑481/11, EU:T:2014:945, point 33).

28      Il découle de cette jurisprudence qu’un acte est regardé comme adopté après réexamen de la situation, ce qui exclut son caractère confirmatif, lorsque cet acte a été adopté soit à la demande de l’intéressé, soit de la propre initiative de son auteur, sur la base de faits nouveaux et substantiels. En revanche, si les éléments de fait et de droit sur lesquels repose le nouvel acte ne sont pas différents de ceux ayant justifié l’adoption de l’acte précédent, ce nouvel acte est purement confirmatif de l’acte précédent (arrêt du 13 novembre 2014, Espagne/Commission, T‑481/11, EU:T:2014:945, points 36 et 37).

29      Un élément doit être qualifié de nouveau tant lorsque cet élément n’existait pas au moment de l’adoption de l’acte antérieur, que lorsqu’il s’agit d’un élément déjà existant lorsque l’acte antérieur a été adopté, mais qui, pour quelque raison que ce soit, y compris un manque de diligence de l’auteur de ce dernier acte, n’a pas été pris en considération lors de son adoption (arrêts du 13 novembre 2014, Espagne/Commission, T‑481/11, EU:T:2014:945, point 38, et du 17 novembre 2016, Fedtke/CESE, T‑157/16 P, non publié, EU:T:2016:666, points 19 et 23).

30      Pour présenter un caractère substantiel au sens de la jurisprudence susvisée, un élément doit être susceptible de modifier de façon substantielle les conditions qui ont régi l’acte antérieur, tel que, notamment, un élément suscitant des doutes quant au bien-fondé de la solution adoptée par ledit acte (voir arrêt du 13 novembre 2014, Espagne/Commission, T‑481/11, EU:T:2014:945, point 39 et la jurisprudence citée).

31      C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner si la décision attaquée doit être considérée comme un acte purement confirmatif de la première décision du 11 mars 2016.

32      Plus précisément, il y a lieu de vérifier si les éléments de fait et de droit invoqués par le requérant dans le cadre de la seconde réclamation, à laquelle la décision attaquée constitue la réponse, peuvent être considérés comme nouveaux et substantiels, ce qui exclurait le caractère confirmatif de la décision attaquée.

 Sur les éléments de fait invoqués dans la seconde réclamation

33      S’agissant des faits invoqués, la seconde réclamation se borne, sous l’intitulé « Rappel des faits », à résumer les antécédents de la demande, à savoir l’ordre des évènements dès l’introduction du recours devant le Tribunal dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt TL, le 28 mai 2001, jusqu’à la première décision du 11 mars 2016, sans invoquer des éléments additionnels.

34      Il s’ensuit, comme le fait valoir le CEPD, que la seconde réclamation fait référence aux mêmes faits que ceux qui ont été pris en considération dans la première décision du 11 mars 2016. Dès lors, les faits présentés dans le cadre de la seconde réclamation ne sauraient être qualifiés de nouveaux.

 Sur les éléments de droit invoqués concernant la compétence du CEPD et l’interprétation du règlement no 45/2001 dans la seconde réclamation

35      La seconde réclamation contient des éléments de droit concernant la compétence du CEPD et l’interprétation du règlement no 45/2001. Premièrement, le requérant soutient que la législation relative à la protection des données personnelles, notamment le règlement no 45/2001, s’applique à la diffusion de jurisprudence via Internet. Deuxièmement, il allègue que l’interprétation par le CEPD de l’article 46, sous c), du règlement no 45/2001 confond les fonctions juridictionnelles et les missions administratives de la Cour de justice de l’Union européenne. Le mot « juridiction » renverrait au « pouvoir de juger, de dire le droit, de rendre la justice » et, selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la notion de « tribunal » se caractériserait « au sens matériel par son rôle “juridictionnel” [, à savoir de] trancher, sur la base de normes de [droit], avec plénitude de juridiction et à l’issue d’une procédure organisée, toute question relevant de sa compétence […] ». Troisièmement, le requérant fait valoir que l’interprétation extensive de l’exception prévue à l’article 46, sous c), du règlement no 45/2001 est incompatible avec l’objectif dudit règlement et contraire à l’article 8 de la charte des droits fondamentaux.

36      À cet égard, il convient de relever que la première décision du 11 mars 2016 avait déjà traité la question de l’interprétation de l’article 46, sous c), du règlement no 45/2001 et de la compétence du CEPD pour contrôler la diffusion sur Internet intervenant dans le cadre d’une procédure devant les juridictions de l’Union, ce qui ressort notamment de la référence, dans ladite décision, à la position de la Cour de justice de l’Union européenne. Cela est confirmé par les échanges effectués entre le CEPD et la Cour de justice de l’Union européenne avant l’adoption de la première décision du 11 mars 2016. En particulier, le CEPD a indiqué, dans sa lettre à la Cour de justice de l’Union européenne du 24 juillet 2015 (voir point 4 ci-dessus), que, en premier lieu, l’exception prévue à l’article 46, sous c), du règlement no 45/2001 devait être interprétée de manière restrictive et en conformité avec l’article 8, paragraphe 3, de la charte des droits fondamentaux et que, en second lieu, la diffusion sur Internet des décisions de la Cour de justice de l’Union européenne peut être assimilée à des fonctions administratives.

37      Par conséquent, les éléments de droit invoqués par le requérant relatifs à l’étendue de la compétence du CEPD et à l’interprétation du règlement no 45/2001 avaient déjà été pris en considération par le CEPD lors de l’adoption de la première décision du 11 mars 2016 et ne sauraient être considérés comme nouveaux.

38      En outre, ces éléments ne comportent, en substance, aucun argument juridique différent de ceux qui ont été pris en considération par le CEPD dans le cadre de la première décision du 11 mars 2016. Ainsi, ils ne mettent pas en question le bien-fondé de cette dernière et ne sauraient pas non plus être considérés comme substantiels.

39      Certes, dans la première décision du 11 mars 2016, le CEPD s’est finalement déclaré incompétent pour contrôler la diffusion des documents sur Internet intervenant dans le cadre d’une procédure devant la Cour de justice de l’Union européenne, bien qu’il ait exprimé l’opinion juridique contraire dans sa lettre à la Cour de justice de l’Union européenne du 24 juillet 2015. Il n’en reste pas moins que tous les éléments de droit invoqués dans la seconde réclamation relatifs à la compétence du CEPD et à l’interprétation du règlement no 45/2001 faisaient partie des considérations du CEPD lors de l’adoption de la première décision du 11 mars 2016 et des conditions qui ont régi l’adoption de celle-ci.

 Sur les autres éléments de droit invoqués dans la seconde réclamation

40      Outre des éléments concernant la compétence du CEPD et l’interprétation du règlement no 45/2001, la seconde réclamation contient également des éléments de droit relatifs à la diffusion et à l’anonymisation du nom des parties à une procédure devant la Cour de justice de l’Union européenne. À cet égard, le requérant allègue qu’il n’est pas nécessaire de diffuser sur Internet les noms des parties à une procédure devant les juridictions de l’Union pour garantir la publicité de la justice consacrée à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux. Une telle diffusion apparaîtrait disproportionnée au regard de l’article 8, paragraphe 2, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950. De plus, la politique de la Cour de justice de l’Union européenne serait contraire aux pratiques observées au sein des États membres et aux recommandations pertinentes des autorités de contrôle compétentes. Pour étayer ces affirmations, le requérant fait référence à certaines dispositions légales, à la jurisprudence, à des recommandations et à des articles de doctrine.

41      Il est constant que ces autres éléments de droit invoqués, notamment les dispositions légales, la jurisprudence, les recommandations et les articles de doctrine, existaient déjà au moment de l’adoption de la première décision du 11 mars 2016. Il convient donc d’examiner si l’enquête menée par le CEPD a tenu compte de ces éléments et, si tel n’est pas le cas, ils sont susceptibles de modifier de façon substantielle les conditions qui ont régi l’adoption de la première décision du 11 mars 2016.

42      À cet égard, il ressort de la première réclamation que la préoccupation principale du requérant était un préjudice éventuel à sa carrière lié au fait que l’arrêt TL était associé à son nom et pouvait être trouvé sur Internet en effectuant une recherche à partir de celui-ci. Cette préoccupation et le « droit à l’oubli » invoqué par le requérant en faisant référence à l’arrêt du 13 mai 2014, Google Spain et Google (C‑131/12, EU:C:2014:317), démontrent que la demande du requérant visait, en réalité, l’adoption de toutes les mesures appropriées empêchant la diffusion en ligne de l’arrêt TL en association avec son nom, y compris l’effacement ou l’anonymisation de cet arrêt sur Internet.

43      Quant à la première décision du 11 mars 2016, il ressort de la référence à la position de la Cour de justice de l’Union européenne concernant « la publication sur le site Curia du nom des parties aux procédures devant une juridiction de l’Union […] » que non seulement la question de l’omission de l’arrêt TL en intégralité faisait partie de l’analyse du CEPD dans le cadre de la première décision du 11 mars 2016, mais aussi celle de l’ampleur de sa diffusion sur Internet, notamment en ce qui concerne le nom des parties. Une telle analyse implique que le CEPD, afin d’atteindre l’objectif de la protection des données à caractère personnel, a examiné la possibilité de l’omission du nom du requérant aussi bien que l’anonymisation de celui-ci.

44      De plus, dans la première décision du 11 mars 2016, la proposition de mettre en place une solution technique ainsi que la référence aux futurs échanges informels envisagés avec la Cour de justice de l’Union européenne pour « […] faire évoluer ses pratiques en matière de protection des données dans le cadre des procédures juridictionnelles […] » démontrent que le CEPD a effectué une analyse du traitement des données personnelles concernant la diffusion des documents sur Internet intervenant dans le cadre d’une procédure devant les juridictions de l’Union au sens large et qu’il a examiné tous les moyens appropriés pour trouver une solution qui répond aux préoccupations du requérant.

45      Un tel examen au sens large est également requis par l’article 46 du règlement no 45/2001, qui oblige le CEPD à examiner les réclamations, à effectuer des enquêtes sur la base de celles-ci ainsi qu’à contrôler et à assurer l’application dudit règlement, sans limiter la portée de son contrôle à certains aspects de la réclamation. Ainsi, c’est au CEPD d’assurer le respect des règles portant sur le traitement des données à caractère personnel et de définir les moyens les plus appropriés pour répondre à une réclamation, ce qui exige un examen au sens large de celle-ci par le CEPD.

46      L’accomplissement par le CEPD d’un examen au sens large de la première réclamation ne saurait être remis en cause par le fait que le CEPD n’a pas explicitement mentionné la possibilité de l’anonymisation de l’arrêt TL dans la première décision du 11 mars 2016 ou dans ses échanges préalables avec la Cour de justice de l’Union européenne. En effet, le CEPD a rejeté la première réclamation en faisant référence à la position de la Cour de justice de l’Union européenne selon laquelle le CEPD est, en vertu de l’article 46, sous c), du règlement no 45/2001, incompétent pour contrôler la diffusion sur le site Curia du nom des parties aux procédures devant une juridiction de l’Union. Une telle incompétence concerne la recherche de tous les moyens les plus appropriés pour répondre à la première réclamation, quelle que soit leur nature, y compris l’anonymisation du nom des parties de l’arrêt TL.

47      Par conséquent, force est de constater que les éléments de droit invoqués dans le cadre de la seconde réclamation qui ne portent pas sur la compétence du CEPD, en particulier les éléments de droit invoqués concernant la diffusion et l’anonymisation du nom des parties à une procédure devant la Cour de justice de l’Union européenne, avaient déjà été pris en considération par le CEPD lors de l’adoption de la première décision du 11 mars 2016 et ne sauraient donc pas être considérés comme nouveaux.

48      En tout état de cause, même à supposer qu’il s’agisse d’éléments de droit nouveaux, ils ne seraient pas susceptibles de modifier de façon substantielle les conditions qui ont régi l’adoption de la première décision du 11 mars 2016, étant donné que, comme l’avance le CEPD, l’étendue de la compétence du CEPD pour contrôler la diffusion des documents sur Internet intervenant dans le cadre d’une procédure devant les juridictions de l’Union constituait la condition préalable pour l’examen tant de la première réclamation que de la seconde réclamation.

49      Partant, les éléments de fait et de droit sur lesquels était fondée la seconde réclamation ne sauraient être qualifiés comme étant nouveaux et substantiels, au sens de la jurisprudence citée aux points 28 à 30 ci-dessus.

50      Cette appréciation n’est pas remise en cause par le fait que le CEPD a repris contact avec la Cour de justice de l’Union européenne après la seconde réclamation du requérant. En effet, ainsi que l’avance le CEPD, il s’agissait d’une simple vérification des éléments de fait et de droit qui ne saurait être qualifiée de réexamen au sens de la jurisprudence citée au point 28 ci-dessus, en raison de l’absence de faits nouveaux et substantiels.

51      De plus, le constat que la seconde réclamation n’était pas fondée sur des éléments de fait et de droit nouveaux et substantiels exclut en soi que l’objet de celle-ci puisse, comme le fait valoir le requérant dans le cadre du présent recours, être considéré comme différent de celui de la première réclamation.

52      Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de conclure que la décision attaquée a un caractère purement confirmatif de la première décision du 11 mars 2016 devenue définitive. Partant, le présent recours en annulation est manifestement irrecevable et doit être rejeté.

 Sur les dépens

53      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

54      En l’espèce, le CEPD a omis de conclure sur les dépens. Dans ces circonstances, il y a lieu de décider que chaque partie supporte ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

ordonne :

1)      Le recours est rejeté comme manifestement irrecevable.

2)      TL et le Contrôleur européen de la protection des données supporteront chacun leurs propres dépens.

Fait à Luxembourg, le 28 juin 2018.

Le greffier

 

Le président

E. Coulon

 

G. Berardis


*      Langue de procédure : le français.