ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)

18 juillet 2017 ( *1 )

« Marque de l’Union européenne – Procédure d’opposition – Demande de marque de l’Union européenne figurative BYRON – Marque antérieure non enregistrée BYRON – Motif relatif de refus – Article 8, paragraphe 4, du règlement (CE) no 207/2009 – Régime de l’action de common law en usurpation d’appellation (action for passing off) – “Goodwill” – Preuve de l’acquisition et de la permanence du droit antérieur »

Dans l’affaire T‑45/16,

Nelson Alfonso Egüed, demeurant à Madrid (Espagne), représenté par Me N. Fernández Fernández-Pacheco, avocat,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par M. J. Ivanauskas, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

l’autre partie à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

Jackson Family Farms LLC, établie à Santa Rosa, Californie (États-Unis),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la deuxième chambre de recours de l’EUIPO du 16 novembre 2015 (affaire R 822/2015-2), relative à une procédure d’opposition entre Jackson Family Farms et M. Alfonso Egüed,

LE TRIBUNAL (première chambre),

composé de Mme I. Pelikánová, président, MM. V. Valančius et U. Öberg (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 1er février 2016,

vu le mémoire en réponse déposé au greffe du Tribunal le 1er avril 2016,

vu la question écrite du Tribunal aux parties et leurs réponses à cette question déposées au greffe du Tribunal les 14 et 15 février 2017,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties principales dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1

La présente affaire porte sur la question de savoir si l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) a, dans une décision ayant fait l’objet d’un recours, correctement conclu que le droit du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord permettrait, à titre hypothétique, à l’opposante à une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne d’interdire l’usage de la marque plus récente devant les juridictions du Royaume-Uni au titre d’une action en usurpation d’appellation (passing off). L’affaire soulève notamment la question de la date pertinente pour apprécier l’acquisition et la permanence du droit antérieur, en l’espèce le « goodwill » (force d’attraction de la clientèle).

Antécédents du litige

2

Le 23 janvier 2012, le requérant, M. Nelson Alfonso Egüed, a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’EUIPO, en vertu du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque de l’Union européenne (JO 2009, L 78, p. 1).

3

La marque dont l’enregistrement a été demandé est le signe figuratif suivant :

Image

4

Les produits pour lesquels l’enregistrement a été demandé relèvent notamment de la classe 33 au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié, et correspondent, pour cette classe, à la description suivante : « Vins et boissons alcooliques en tous genres (excepté la bière) ».

5

La demande de marque de l’Union européenne a été publiée au Bulletin des marques communautaires no 56/2012, du 21 mars 2012.

6

Le 21 juin 2012, la société de droit américain Jackson Family Farms LLC a formé opposition, au titre de l’article 41 du règlement no 207/2009, à l’enregistrement de la marque demandée pour les produits visés au point 4 ci-dessus.

7

Après la limitation intervenue au cours de la procédure devant l’EUIPO, l’opposition était fondée sur la marque antérieure non enregistrée BYRON, utilisée dans la vie des affaires pour désigner des vins.

8

Les motifs invoqués à l’appui de l’opposition étaient ceux visés à l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 et au titre du délit d’usurpation d’appellation (passing off) en vertu du droit du Royaume-Uni.

9

Le 27 février 2015, la division d’opposition a fait droit à l’opposition.

10

Le 24 avril 2015, le requérant a formé un recours auprès de l’EUIPO, au titre des articles 58 à 64 du règlement no 207/2009, contre la décision de la division d’opposition.

11

Par décision du 16 novembre 2015 (ci-après la « décision attaquée »), la deuxième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours.

12

En particulier, la chambre de recours a considéré que les éléments de preuve produits par Jackson Family Farms suffisaient à prouver que la marque non enregistrée BYRON était utilisée dans la vie des affaires et que la portée de cette utilisation n’était pas seulement locale au Royaume-Uni.

13

La chambre de recours a également conclu que lesdits éléments de preuve, examinés conjointement, prouvaient que Jackson Family Farms exerçait des activités commerciales sérieuses concernant les vins vendus sous la marque BYRON à la date pertinente et que, par conséquent, un « goodwill » avait été établi.

14

En outre, la chambre de recours a pleinement souscrit à la conclusion de la division d’opposition selon laquelle, compte tenu de l’identité des produits en cause et des similitudes existantes entre les signes en cause, les produits du requérant risquaient d’être confondus avec ceux de Jackson Family Farms.

15

La chambre de recours a enfin conclu que, en l’espèce, la présentation trompeuse occasionnerait un préjudice en ce sens que Jackson Family Farms perdrait des ventes, car le consommateur achèterait par erreur les produits du requérant en pensant qu’ils provenaient de Jackson Family Farms.

Conclusions des parties

16

Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler la décision attaquée ;

faire droit à sa demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne pour tous les produits visés dans les classes 18, 25 et 33 ;

condamner Jackson Family Farms aux dépens de la procédure.

17

L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours en annulation dans son intégralité ;

condamner le requérant aux dépens exposés par l’EUIPO.

En droit

Sur la recevabilité du deuxième chef de conclusions du requérant

18

Le deuxième chef de conclusions du requérant peut être compris comme visant à ce que le Tribunal réforme la décision attaquée, en ce sens que la marque demandée soit enregistrée.

19

Or, les instances de l’EUIPO compétentes en la matière n’adoptent pas de décision formelle constatant l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne qui pourrait faire l’objet d’un recours. Par conséquent, la chambre de recours n’est pas compétente pour connaître d’une demande visant à ce qu’elle enregistre une marque de l’Union européenne.

20

Dans ces circonstances, il n’appartient pas davantage au Tribunal de connaître d’une demande de réformation visant à ce qu’il modifie la décision d’une chambre de recours en ce sens [ordonnance du 30 juin 2009, Securvita/OHMI (Natur-Aktien-Index), T‑285/08, EU:T:2009:230, points 17 et 20 à 23 ; arrêts du 15 décembre 2011, Mövenpick/OHMI (PASSIONATELY SWISS), T‑377/09, non publié, EU:T:2011:753, point 11, et du 28 novembre 2013, Vitaminaqua/OHMI – Energy Brands (vitaminaqua), T‑410/12, non publié, EU:T:2013:615, point 17].

21

Partant, il y a lieu de rejeter comme irrecevable le deuxième chef de conclusions du requérant.

Sur le fond

22

À l’appui du recours, le requérant invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009.

Observations liminaires

– Sur le renvoi au droit de l’État membre qui régit le signe invoqué

23

En vertu de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, le titulaire d’une marque non enregistrée peut s’opposer à l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne si cette marque non enregistrée remplit quatre conditions. La marque non enregistrée doit être utilisée dans la vie des affaires ; elle doit avoir une portée qui n’est pas seulement locale ; le droit à cette marque doit avoir été acquis conformément au droit de l’État membre où la marque était utilisée avant la date de dépôt de la demande de marque de l’Union européenne ; enfin, cette marque doit donner à son titulaire le droit d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente.

24

Ces conditions sont cumulatives, de sorte que, lorsqu’une marque ne remplit pas l’une de ces conditions, l’opposition fondée sur l’existence d’une marque non enregistrée utilisée dans la vie des affaires, au sens de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, ne peut aboutir [arrêt du 30 juin 2009, Danjaq/OHMI – Mission Productions (Dr. No), T‑435/05, EU:T:2009:226, point 35].

25

Les deux premières conditions, c’est-à-dire celles relatives à l’usage et à la portée non uniquement locale de la marque antérieure, résultent du libellé même de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 et doivent donc être interprétées à la lumière du droit de l’Union.

26

Ainsi, le règlement no 207/2009 établit des standards uniformes, relatifs à l’usage des signes et à leur portée, qui sont cohérents avec les principes qui inspirent le système mis en place par ce règlement [arrêt du 24 mars 2009, Moreira da Fonseca/OHMI – General Óptica (GENERAL OPTICA), T‑318/06 à T‑321/06, EU:T:2009:77, point 33].

27

En revanche, dans l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, il résulte du membre de phrase « lorsque et dans la mesure où, selon [...] le droit de l’État membre qui est applicable à ce signe » que les deux autres conditions fixées par ce règlement s’apprécient, à la différence des précédentes, au regard des critères fixés par le droit qui régit le signe invoqué.

28

Le requérant juge « surprenant » le renvoi aux législations des États membres et considère que l’application d’une législation étrangère cause une « rupture de l’équité » entre les parties.

29

Or, d’une part, ce renvoi au droit qui régit le signe invoqué est justifié par le fait que le règlement no 207/2009 reconnaît à des signes étrangers au système de marque de l’Union européenne la possibilité d’être invoqués à l’encontre d’une marque de l’Union européenne. Dès lors, seul le droit de l’État membre qui régit le signe invoqué permet d’établir si celui-ci est antérieur à la marque de l’Union européenne et s’il peut justifier de l’interdiction de l’utilisation d’une marque plus récente (arrêt du 24 mars 2009, GENERAL OPTICA, T‑318/06 à T‑321/06, EU:T:2009:77, point 34).

30

D’autre part, il convient de remarquer que plusieurs éléments visent à assurer que ce renvoi satisfasse aux exigences du principe de protection juridictionnelle effective.

31

D’abord, conformément à l’article 76, paragraphe 1, du règlement no 207/2009, c’est sur l’opposant devant l’EUIPO que pèse la charge de prouver que, selon le droit de l’État membre applicable au signe invoqué au titre de l’article 8, paragraphe 4, sous b), du règlement no 207/2009, ce signe donne à son titulaire le droit d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente. Sur le fondement de la réglementation nationale alléguée au soutien de l’opposition et des décisions juridictionnelles rendues dans l’État membre concerné, c’est à l’opposant qu’il incombe de démontrer que le signe en cause entre dans le champ d’application du droit de l’État membre invoqué et qu’il permet d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente (arrêt du 29 mars 2011, Anheuser-Busch/Budějovický Budvar, C‑96/09 P, EU:C:2011:189, points 188 à 190).

32

En l’espèce, la charge de prouver que, selon le droit de l’État membre applicable, le signe invoqué donnait à son titulaire le droit d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente reposait donc sur l’opposante.

33

De plus, l’EUIPO et le Tribunal peuvent vérifier la pertinence des éléments produits par l’opposant en ce qui concerne l’administration de la preuve, qui lui incombe, du contenu du droit national (voir, par analogie, arrêt du 27 mars 2014, OHMI/National Lottery Commission, C‑530/12 P, EU:C:2014:186, point 41).

34

Ainsi, les instances compétentes de l’EUIPO, appelées à statuer dans un premier temps, ne sont pas limitées à un rôle de simple validation du droit national tel que présenté par l’opposant. L’EUIPO peut s’informer d’office sur le droit national de l’État membre concerné au cas où de telles informations sont nécessaires à l’appréciation des conditions d’application d’une cause d’opposition invoquée et, notamment, de la matérialité des faits avancés ou de la force probante des pièces présentées (voir, par analogie, arrêts du 27 mars 2014, OHMI/National Lottery Commission, C‑530/12 P, EU:C:2014:186, points 43 et 45, et du 5 avril 2017, EUIPO/Szajner, C‑598/14 P, EU:C:2017:265, point 36).

35

Quant au Tribunal, exerçant un contrôle juridictionnel dans un second temps, il doit, afin d’exercer un contrôle effectif, pouvoir vérifier, au-delà des documents produits, la teneur, les conditions d’application et la portée des règles de droit invoquées par l’opposant (voir, par analogie, arrêts du27 mars 2014, OHMI/National Lottery Commission, C‑530/12 P, EU:C:2014:186, point 44, et du 5 avril 2017, EUIPO/Szajner, C‑598/14 P, EU:C:2017:265, point 38). Le contrôle juridictionnel serait en effet vidé de sa substance si le juge de l’Union devait se contenter des documents produits par l’opposant, au risque d’une fausse application ou d’une interprétation erronée des règles applicables.

36

Quand bien même l’opposant fournirait des documents présentant une vue incomplète ou trompeuse du droit national applicable, il n’en résulterait donc pas pour autant un préjudice pour l’autre partie dès lors que tant l’EUIPO que le Tribunal peuvent s’informer d’office sur le droit national de l’État membre concerné. L’application du droit d’un État membre n’est donc pas constitutive d’une « rupture de l’équité » entre les parties.

– Sur le rapport entre l’usage dans la vie des affaires dont la portée n’est pas seulement locale et le « goodwill »

37

Dans la décision attaquée, la chambre de recours a conclu que les deux premières conditions énoncées à l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009, c’est-à-dire celles relatives à l’usage et à la portée non uniquement locale de la marque antérieure, étaient remplies.

38

Le requérant n’a pas introduit un recours contre la décision attaquée en ce qu’elle a conclu que la marque non enregistrée BYRON de Jackson Family Farms était utilisée dans la vie des affaires au Royaume-Uni en relation avec des vins avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée et que cette utilisation n’était pas de portée seulement locale.

39

Le requérant présente en revanche un moyen unique relatif à l’une des trois conditions constitutives de la « trinité classique » du délit d’usurpation d’appellation, à savoir le « goodwill ».

40

L’objet du litige ne porte donc pas sur une appréciation des deux premières conditions prévues à l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009.

41

En l’espèce, l’examen du Tribunal doit par conséquent porter sur la question de savoir si la chambre de recours a, dans la décision attaquée, correctement conclu que le droit du Royaume-Uni permettrait, à titre hypothétique, à l’opposante d’interdire l’usage de la marque plus récente devant les juridictions du Royaume-Uni au titre d’une action en usurpation d’appellation.

42

Le droit de l’État membre applicable à la marque non enregistrée est le Trade Marks Act 1994 (loi du Royaume-Uni sur les marques), dont l’article 5, paragraphe 4, dispose :

« Une marque ne peut être enregistrée si, ou dans la mesure où, son usage au Royaume-Uni est susceptible d’être empêché :

a)

en raison de toute règle de droit [notamment en vertu du droit relatif à l’usurpation d’appellation (law of passing off)] protégeant une marque non enregistrée ou tout autre signe utilisé dans la vie des affaires […] »

43

Il résulte de l’article 5, paragraphe 4, de la loi du Royaume-Uni sur les marques, tel qu’interprété par les juridictions nationales [décision de la House of Lords (Chambre des Lords, Royaume-Uni) Reckitt & Colman Products Ltd v Borden Inc. (1990) R.P.C. 341, 406 HL], que l’opposant doit établir, conformément au régime juridique de l’action en usurpation d’appellation prévue par le droit du Royaume Uni, que trois conditions sont remplies, à savoir, premièrement, le « goodwill » acquis (c’est-à-dire la force d’attraction de la clientèle) par la marque non enregistrée ou le signe en cause, deuxièmement, la présentation trompeuse de la part du titulaire de la marque plus récente et, troisièmement, le préjudice causé au « goodwill » [arrêts du 18 janvier 2012, Tilda Riceland Private/OHMI – Siam Grains (BASmALI), T‑304/09, EU:T:2012:13, point 19, et du 18 novembre 2015, Government of Malaysia/OHMI – Vergamini (HALAL MALAYSIA), T‑508/13, EU:T:2015:861, point 32].

44

La chambre de recours a conclu que les éléments de preuve fournis par Jackson Family Farms, examinés conjointement, prouvaient que cette dernière exerçait des activités commerciales sérieuses concernant les vins vendus sous la marque BYRON à la date pertinente et que, par conséquent, un « goodwill » avait été établi.

45

Le moyen unique invoqué par le requérant peut être divisé en trois branches concernant, premièrement, l’existence d’un « goodwill » de la marque non enregistrée BYRON au Royaume-Uni, deuxièmement, l’acquisition de ce « goodwill » et, troisièmement, l’expiration de la marque de l’Union européenne antérieure BYRON.

Sur la première branche du moyen unique, relative à l’existence d’un « goodwill » de la marque non enregistrée BYRON au Royaume-Uni

– Sur l’insuffisance des éléments de preuve présentés par Jackson Family Farms

46

Le requérant soutient que les éléments de preuve produits par Jackson Family Farms ne sont pas suffisants pour démontrer l’existence d’un « goodwill » au Royaume-Uni. En particulier, le requérant fait remarquer que les factures adressées au grossiste en vin Boutinot Ltd ne font pas mention de la marque BYRON, mais simplement du terme « byr » ; qu’elles ne prouvent pas la vente de produits aux consommateurs finaux ; qu’elles ne peuvent être considérées, comme l’a fait la chambre de recours, comme de simples exemples de ventes, et que les documents internes fournis par ailleurs par Jackson Family Farms ont une valeur probante très faible.

47

L’EUIPO réfute les arguments du requérant.

48

Il convient de relever que la propriété protégée par l’action en usurpation d’appellation ne porte pas sur un mot ou sur un nom dont l’usage par les tiers est restreint, mais sur la clientèle même à laquelle il est porté atteinte par l’usage litigieux [Lord Parker dans la décision de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery) Burberrys v JC Cording & Co Ltd (1909) 26 R.P.C. 693], la réputation d’une marque étant la force d’attraction sur la clientèle et le critère permettant de distinguer une entreprise établie d’une entreprise nouvelle [arrêts du 11 juin 2009, Last Minute Network/OHMI – Last Minute Tour (LAST MINUTE TOUR), T‑114/07 et T‑115/07, EU:T:2009:196, point 61, et du 9 décembre 2010, Tresplain Investments/OHMI – Hoo Hing (Golden Elephant Brand), T‑303/08, EU:T:2010:505, point 101 ; voir, également, Lord Macnaghten dans la décision de la House of Lords (Chambre des Lords) Inland Revenue Commissioners v Muller & Co’s Margarine (1901) A.C. 217, 223 HL].

49

L’existence d’un « goodwill » est en principe établie en apportant notamment la preuve d’activités commerciales et publicitaires et de comptes clients. La preuve d’activités commerciales sérieuses débouchant sur l’acquisition d’une réputation et le développement d’une clientèle serait généralement suffisante pour établir un « goodwill » (arrêts du 9 décembre 2010, Golden Elephant Brand, T‑303/08, EU:T:2010:505, point 102, et du 18 novembre 2015, HALAL MALAYSIA, T‑508/13, EU:T:2015:861, point 74).

50

Il convient donc d’examiner si les preuves fournies par Jackson Family Farms permettent d’établir l’existence d’un « goodwill ».

51

Il est vrai que, comme le relève à juste titre le requérant, une partie des preuves ne sont pas pertinentes. Il en est ainsi, notamment, des factures concernant les ventes faites à des sociétés situées à Chypre et au Luxembourg.

52

Le critère temporel expressément prévu à l’article 8, paragraphe 4, sous a), du règlement no 207/2009 pour ce qui concerne l’acquisition du droit au signe invoqué au soutien de l’opposition est celui de la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque de l’Union européenne (arrêt du 29 mars 2011, Anheuser-Busch/Budějovický Budvar, C‑96/09 P, EU:C:2011:189, point 166 ; voir également, par analogie, arrêt du 9 décembre 2010, Golden Elephant Brand, T‑303/08, EU:T:2010:505, points 98 et 99). La date pertinente est donc, en l’espèce, le 23 janvier 2012.

53

Par conséquent, la liste de vins proposée par British Airways sur laquelle figure un byron pinot noir 2010, datant de décembre 2012, ne peut pas non plus être prise en compte.

54

Les preuves les plus pertinentes présentées par Jackson Family Farms afin de prouver l’existence d’un « goodwill » sont, par ordre chronologique, les suivantes :

un catalogue de Boutinot datant de 2010, proposant à la vente des vins sous la marque BYRON, avec une commande minimale de 25 caisses (ainsi qu’un autre catalogue non daté) ;

quatre factures adressées à Boutinot, située au Royaume-Uni, datées entre janvier et décembre 2011, pour un montant total d’environ 45000 dollars des États-Unis (USD) pour 728 caisses de vins et pour des produits comme « 09 BYR PN Santa Maria 750 ml 14,6 % Alc » ;

une critique de vins publiée sur Internet, datée de mars-avril 2011, mentionnant un byron pinot noir 2008 ;

une invitation en ligne du site Internet « meetup.com » à une dégustation de vins au magasin Harrods à Londres (Royaume-Uni), annonçant un byron pinot noir, datée de mai 2011 ;

un rapport de ventes interne pour la période allant du 1er mai au 8 juin 2011, listant des ventes de vins sous la marque BYRON pour un total d’environ 3800 livres sterling (GBP) ;

un rapport de ventes interne pour les ventes de vins sous la marque BYRON pour la période allant de septembre 2010 à novembre 2011, listant un total de 2130 bouteilles vendues notamment à des restaurants et à des détaillants (en particulier le magasin Harrods) au Royaume-Uni ;

des captures d’écran (non datées) du site Internet du magasin Harrods montrant des vins vendus sous la marque BYRON.

55

Les quatre factures susmentionnées, qui sont les plus pertinentes en l’espèce, sont adressées à Boutinot, située au Royaume-Uni, et expédiées à une adresse au Royaume-Uni. Elles montrent donc que les vins ont été vendus sous la marque BYRON au Royaume-Uni.

56

Le requérant fait valoir que les factures adressées à Boutinot ne font pas mention de la marque BYRON, mais simplement du terme « byr ». Il est cependant habituel que les produits vendus soient décrits sous forme abrégée sur les factures et, étant donné qu’il ne s’agit pas des seules preuves fournies pour démontrer la vente de vin sous la marque antérieure au Royaume-Uni, il convenait pour l’EUIPO de procéder à une appréciation globale de l’ensemble des éléments de preuve (voir, en ce sens, arrêt du 9 décembre 2010, Golden Elephant Brand, T‑303/08, EU:T:2010:505, points 106 et 107). Les factures, appréciées conjointement avec les autres preuves d’activités commerciales, montrent que les vins ont été vendus sous la marque BYRON au Royaume-Uni.

57

Le requérant soutient que les factures adressées à Boutinot ne prouvent pas la vente de produits aux consommateurs finaux et que Jackson Family Farms n’aurait pas d’activité au Royaume-Uni.

58

À cet égard, il convient de rappeler que les juridictions du Royaume-Uni ont jugé de manière constante qu’un demandeur à l’action en usurpation d’appellation devait disposer d’un « goodwill », entendu comme clientèle, au Royaume-Uni [jugement de la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni) Starbucks (HK) Ltd and another v British Sky Broadcasting Group Plc and others (2015) UKSC 31]. Une entreprise établie à l’étranger peut disposer d’un « goodwill » au Royaume-Uni si ses produits font l’objet d’une demande au Royaume-Uni et que cette demande peut être satisfaite (Wadlow, C., The Law of Passing-Off: Unfair Competition by Misrepresentation, 5e éd., Sweet & Maxwell, Londres, 2016, points 1-17 et 3-93). Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery], SA des Anciens Établissements Panhard et Levassor v Panhard Levassor Motor Co [(1901) 18 R.P.C. 405], par exemple, la vente des produits du demandeur par un tiers ainsi que leur achat et leur importation par des résidents du Royaume-Uni ont été considérés comme une activité suffisante. Comme le note à juste titre l’EUIPO, le fait que Jackson Family Farms soit établie aux États-Unis et vende son vin par l’intermédiaire de son distributeur au Royaume-Uni ne saurait donc modifier la conclusion de la chambre de recours selon laquelle Jackson Family Farms détient un « goodwill » au Royaume-Uni.

59

De plus, il ressort de la jurisprudence nationale que les clients incluent tant ceux qui ont une relation contractuelle directe avec les demandeurs à l’action en usurpation d’appellation que ceux qui achètent les biens de ces derniers de manière indirecte [décision de la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile)], Anheuser-Busch Inc. v Budějovický Budvar NP (1984) F.S.R. 413, 415 CA ; voir, également, arrêt du 18 novembre 2015, HALAL MALAYSIA, T‑508/13, EU:T:2015:861, points 67 et 75].

60

Les agents intermédiaires, c’est-à-dire les grossistes, les importateurs et les détaillants, qui achetaient les produits de Jackson Family Farms constituaient donc, au même titre que des consommateurs finaux, des clients de Jackson Family Farms auprès de qui le « goodwill » était acquis. À cet égard, les factures mentionnées au point 54 ci-dessus permettent d’attester l’existence d’un « goodwill » auprès de Boutinot, un client qui exerce ses activités dans le commerce de gros du vin et revend les produits de Jackson Family Farms.

61

En ce qui concerne le « goodwill » acquis auprès des consommateurs finaux, comme le note à juste titre l’EUIPO, il est logique de supposer que les produits ont été vendus au consommateur final, car si tel n’avait pas été le cas, le grossiste n’aurait pas commandé de cargaisons supplémentaires de ces produits, comme le montrent les éléments de preuve fournis.

62

Le requérant soutient enfin que les factures adressées à Boutinot ne peuvent être considérées, comme l’aurait fait la chambre de recours, comme de simples exemples de ventes, ce qui serait contraire à l’arrêt du 23 octobre 2013, Dimian/OHMI – Bayer Design Fritz Bayer (Baby Bambolina) (T‑581/11, non publié, EU:T:2013:553), et que les documents internes fournis par ailleurs par Jackson Family Farms ont une valeur probante très faible.

63

Comme le note à juste titre la chambre de recours, il ne peut être attribué une valeur probante à une déclaration émanant d’une partie que si elle est corroborée par d’autres éléments de preuve [arrêt du 13 mai 2009, Schuhpark Fascies/OHMI – Leder & Schuh (jello SCHUHPARK), T‑183/08, non publié, EU:T:2009:156, point 39].

64

À cet égard, la chambre de recours est tenue de procéder à une appréciation globale de l’ensemble des éléments de preuve présentés devant l’EUIPO.

65

En effet, il ne peut être exclu qu’un faisceau d’éléments de preuve permette d’établir les faits à démontrer, alors même que chacun de ces éléments, pris isolément, serait impuissant à rapporter la preuve de l’exactitude de ces faits (arrêts du 17 avril 2008, Ferrero Deutschland/OHMI, C‑108/07 P, non publié, EU:C:2008:234, point 36, et du 9 décembre 2010, Golden Elephant Brand, T‑303/08, EU:T:2010:505, points 104 à 107).

66

En l’espèce, les rapports de ventes internes, à supposer qu’ils émanent de Jackson Family Farms, sont corroborés par d’autres éléments de preuve. Par exemple, le rapport de ventes interne pour les ventes de vins sous la marque BYRON pour la période allant de septembre 2010 à novembre 2011, listant un total de 2130 bouteilles vendues notamment au magasin Harrods à Londres, est corroboré par l’invitation en ligne du site Internet « meetup.com » à une dégustation de vin au magasin Harrods, datée de mai 2011, et par les captures d’écran du site Internet d’Harrods.

67

De même, si le catalogue de Boutinot datant de 2010, proposant à la vente des vins sous la marque BYRON, ne prouve pas que des vins portant la marque BYRON aient effectivement été vendus, cet élément de preuve, examiné conjointement avec les quatre factures adressées à Boutinot, suggère la vente de vins sous la marque BYRON par cette société à des tiers.

68

La chambre de recours a donc conclu à juste titre que l’examen conjoint des factures et des autres documents présentés, qui comprenaient les rapports des ventes de Boutinot à des détaillants, restaurants et hôtels au Royaume-Uni ainsi que des extraits de magazines et d’autres informations sur les vins vendus sous la marque BYRON publiées sur Internet et visant une clientèle située au Royaume-Uni, permettait de considérer que Jackson Family Farms exerçait des activités commerciales sérieuses concernant les vins vendus sous la marque BYRON à la date pertinente, avec pour conséquence qu’elle avait acquis un « goodwill » à cette date.

– Sur la part de marché de Jackson Family Farms

69

Le requérant soutient que le peu d’importance des ventes de Jackson Family Farms au Royaume-Uni ainsi que sa part de marché minime, d’environ 0,0001234 % en 2011/2012 selon ses calculs, permettraient de conclure à l’absence de « goodwill ».

70

L’EUIPO réfute les arguments du requérant.

71

À cet égard, il convient de rappeler que l’action en usurpation d’appellation protège le « goodwill » quelle que soit la taille de l’entreprise. Le simple fait que l’activité du demandeur à l’action en usurpation d’appellation soit très petite ne l’empêche pas en soi de disposer d’un « goodwill » (Wadlow, C., The Law of Passing-Off: Unfair Competition by Misrepresentation, 5e éd., Sweet & Maxwell, Londres, 2016, point 3-13).

72

Ainsi, dans l’affaire ayant donné lieu à la décision de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery], Stannard v Reay [(1967) R.P.C. 589], il a été jugé qu’un commerce ambulant de fish and chips, avec un chiffre d’affaires situé entre 129 et 138 GBP par semaine, avait acquis un « goodwill » après une activité d’environ trois semaines (arrêt du 9 décembre 2010, Golden Elephant Brand, T‑303/08, EU:T:2010:505, point 110).

73

Dans l’affaire ayant donné lieu à la décision de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division [Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery], Jian Tools for Sales v Roderick Manhattan Group [(1995) F.S.R. 924, 933], la vente de 127 logiciels par une entreprise américaine sur le marché du Royaume-Uni a été considérée comme suffisante (arrêt du 9 décembre 2010, Golden Elephant Brand, T‑303/08, EU:T:2010:505, point 114).

74

A fortiori, la taille de l’activité du demandeur à l’action en usurpation d’appellation par rapport au marché dans son entier n’est pas déterminante [décision de la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) (Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile)) Lumos Skincare Ltd v Sweet Squared Ltd and others (2013) EWCA Civ 590].

75

Ainsi, une activité commerciale très limitée a pu être considérée comme suffisante pour créer un « goodwill » (Wadlow, C., The Law of Passing-Off: Unfair Competition by Misrepresentation, 5e éd., Sweet & Maxwell, Londres, 2016, point 3-64).

76

Si le demandeur à l’action en usurpation d’appellation n’est pas établi au Royaume-Uni, il devra à tout le moins démontrer qu’il dispose d’un ou de plusieurs clients au Royaume-Uni [décision de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery), Jian Tools for Sales v Roderick Manhattan Group (1995) F.S.R. 924, 925], et pas uniquement d’une réputation au Royaume-Uni [jugement de la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni) Starbucks (HK) Ltd and another v British Sky Broadcasting Group Plc and others (2015) UKSC 31].

77

Il ressort ainsi de la jurisprudence nationale, appliquée par le Tribunal dans des affaires similaires (arrêts du 9 décembre 2010, Golden Elephant Brand, T‑303/08, EU:T:2010:505, et du 18 novembre 2015, HALAL MALAYSIA, T‑508/13, EU:T:2015:861), que même les petites entreprises peuvent avoir un « goodwill ».

78

En l’espèce, ainsi que cela ressort de la décision attaquée, Jackson Family Farms a vendu 728 caisses de vins sous la marque BYRON à Boutinot en 2011, pour un total d’environ 45000 USD, et non d’environ 30000 USD comme le soutient erronément le requérant.

79

Compte tenu également des rapports de ventes internes fournis par Jackson Family Farms, cette dernière aurait de plus vendu à d’autres clients au Royaume-Uni 2130 bouteilles de vins sous la marque BYRON de septembre 2010 à novembre 2011, pour un total d’environ 3800 GBP entre mai et juin 2011, et non 6800 GBP comme le soutient l’EUIPO, prenant erronément en compte les ventes de vins autres que ceux vendus sous la marque BYRON dans le rapport de ventes daté de mai-juin 2011.

80

S’il est vrai que les ventes dont font état les preuves présentées par Jackson Family Farms peuvent être considérées comme faibles, cette dernière a toutefois régulièrement vendu du vin sous la marque antérieure au Royaume-Uni (plus de 700 caisses en 2011) pendant au moins un an avant la date de dépôt de la demande de marque de l’Union européenne.

81

Compte tenu de la jurisprudence nationale sur ce point, la chambre de recours a donc conclu à juste titre que Jackson Family Farms exerçait des activités commerciales sérieuses au Royaume-Uni concernant les vins vendus sous la marque BYRON à la date pertinente, avec pour conséquence qu’elle a acquis un « goodwill » à la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque figurative BYRON en tant que marque de l’Union européenne.

– Sur la permanence du « goodwill »

82

Le requérant conteste par ailleurs la pertinence de la liste de vins proposée par British Airways datant de décembre 2012, dans la mesure où elle « se rapporte à une date ultérieure (de plus de six mois) à l’introduction du recours en opposition ».

83

La règle 19, paragraphe 2, sous d), du règlement (CE) no 2868/95 de la Commission, du 13 décembre 1995, portant modalités d’application du règlement (CE) no 40/94 du Conseil sur la marque communautaire (JO 1995, L 303, p. 1), prévoit qu’un opposant se fondant sur l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 doit apporter la preuve non seulement de l’acquisition du droit antérieur et de l’étendue de sa protection, mais également de la permanence dudit droit.

84

Cela implique, normalement, que le signe en cause doit encore être utilisé au moment de l’introduction de l’opposition (voir, par analogie, arrêt du 23 octobre 2013, Baby Bambolina, T‑581/11, non publié, EU:T:2013:553, points 26 et 27).

85

La chambre de recours a pris en compte la liste de vins proposée par British Airways afin d’apprécier non l’acquisition du « goodwill » – laquelle, ainsi que cela a été rappelé au point 53 ci-dessus, doit s’apprécier à la date de dépôt de la demande de marque de l’Union européenne contre laquelle l’opposition a été faite –, mais la permanence du droit antérieur à la date de l’opposition.

86

La question se pose de savoir si, quand bien même un « goodwill » aurait été acquis avant la date de dépôt de la demande de marque de l’Union européenne, l’opposition devrait être rejetée comme non fondée eu égard au fait que l’opposante n’aurait pas démontré la permanence du droit à la date de l’opposition.

87

À cet égard, la chambre de recours s’est fondée, pour établir la permanence à la date de l’opposition, non seulement sur la liste de vins proposée par British Airways, mais également sur le fait que tous les autres éléments de preuve présentés par l’opposante étaient assez proches de la date de dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée.

88

La jurisprudence du Royaume-Uni a établi que le « goodwill » pouvait survivre à l’interruption de l’activité [décision du Judicial Committee of the Privy Council (Comité judiciaire du Conseil privé, Royaume-Uni) Star Industrial v Yap Kwee Kor (1976) F.S.R. 256 PC], quand bien même cette interruption durerait plusieurs années (Wadlow, C., The Law of Passing-Off: Unfair Competition by Misrepresentation, 5e éd., Sweet & Maxwell, Londres, 2016, points 3-223 et suivants).

89

Au vu de cette jurisprudence, il doit être conclu que, en l’espèce, même dans l’hypothèse d’une interruption de l’activité de Jackson Family Farms entre la date du dépôt de la demande de la marque contestée et la date de l’opposition, l’intervalle entre ces deux dates n’est pas assez long pour que le « goodwill » ait pu s’éteindre sous le seul effet du temps écoulé.

90

Il peut en être conclu que le « goodwill » acquis à la date de dépôt de la demande de la marque contestée, à savoir le 23 janvier 2012, persistait cinq mois plus tard, lors de l’introduction de l’opposition le 21 juin 2012.

– Sur l’absence de caractéristiques spécifiques et distinctes

91

Par la première branche du moyen unique, relative à l’existence d’un « goodwill » de la marque non enregistrée BYRON au Royaume-Uni, le requérant soutient en outre, en s’inspirant des décisions de la Court of Appeal (England & Wales) (Civil Division) [Cour d’appel (Angleterre et pays de Galles) (division civile)] Diageo North America v InterContinental Brands [(2010) EWCA Civ 920, ci-après la « décision Vodkat »] et de la House of Lords (Chambre des Lords) Erven Warnink BV v J Townend & Sons (Hull) Ltd [(1979) A.C. 731, ci-après la « décision Advocaat »], que la condition relative au « goodwill » n’est pas remplie, en particulier parce que Jackson Family Farms n’aurait pas démontré que son produit possèderait certaines caractéristiques spécifiques et distinctes, qui pousseraient le consommateur à l’acquérir. Au contraire, le prix peu élevé de son produit et sa qualité moyenne suggéreraient que ce dernier ne constituerait pas un produit distinct et reconnaissable. Le requérant fait également valoir que la chambre de recours elle-même, dans la décision attaquée, ferait référence à une condition relative à des caractéristiques spécifiques et distinctes.

92

Selon l’EUIPO, le requérant se fonderait ainsi sur la forme dite « extensive » de l’action en usurpation d’appellation. Ce serait cependant à tort, dans la mesure où Jackson Family Farms aurait fondé son recours en opposition sur la forme « classique » de cette action.

93

Il convient d’abord de rappeler que le délit d’usurpation d’appellation couvre un vaste éventail de situations.

94

Comme le note à juste titre l’EUIPO, dans la forme « classique » du délit d’usurpation d’appellation, le défendeur à l’action en usurpation d’appellation trompe sur l’origine commerciale de ses produits en faisant croire qu’ils sont ceux du demandeur à l’action. Cette présentation trompeuse consiste généralement en l’utilisation par le défendeur d’un signe distinctif du demandeur (Wadlow, C., The Law of Passing-Off: Unfair Competition by Misrepresentation, 5e éd., Sweet & Maxwell, Londres, 2016, points 1-16, 5-8, 7-35, 7-163, 8-1 et 8-8).

95

En revanche, dans la forme « extensive » du délit d’usurpation d’appellation, illustrée dans les décisions Advocaat ou Vodkat, le défendeur trompe sur l’origine ou la nature de ses produits en les présentant de manière trompeuse comme provenant d’une région particulière, ou ayant des caractéristiques ou une composition particulières. Cette présentation trompeuse peut se faire par l’utilisation d’un terme descriptif ou générique qui ne décrit pas correctement les produits du défendeur, laissant penser qu’ils possèdent une caractéristique ou une qualité dont ils sont dépourvus (par exemple le terme « Vodkat » utilisé pour un type de boisson qui n’est pas de la vodka) [voir décision Advocaat et Wadlow, C., The Law of Passing-Off: Unfair Competition by Misrepresentation, 5e éd., Sweet & Maxwell, Londres, 2016, points 7-161, 7-166 et 7-281].

96

Dans ses conclusions du 31 décembre 2012 devant la division d’opposition, Jackson Family Farms avait soutenu que, en l’espèce, ses clients seraient amenés à croire que les produits proposés par le requérant étaient les siens. Au soutien de cette affirmation, Jackson Family Farms s’était référée à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 9 décembre 2010, Golden Elephant Brand (T‑303/08, EU:T:2010:505, points 132 et 148), laquelle constituait un cas d’application de la forme « classique » du délit d’usurpation d’appellation.

97

Jackson Family Farms n’ayant jamais allégué que les produits du requérant inviteraient à penser qu’ils possèdent une caractéristique dont ils sont dépourvus, mais que ses clients seraient amenés à croire que les produits proposés par le requérant étaient les siens, la chambre de recours s’est correctement fondée, dans la décision attaquée, sur la forme « classique » de l’action en usurpation d’appellation en concluant que les produits du requérant risquaient d’être pris pour ceux de Jackson Family Farms.

98

À cet égard, contrairement à ce que soutient le requérant, la référence, dans la décision attaquée, au fait que l’opposante doit prouver « que ses produits sont reconnus par un élément distinctif » ne constitue pas une référence à une condition relative à des caractéristiques spécifiques et distinctes. Pour qu’il puisse y avoir présentation trompeuse, il faut que le signe utilisé par le demandeur à l’action en usurpation d’appellation soit perçu comme distinctif de ses produits (Wadlow, C., The Law of Passing-Off: Unfair Competition by Misrepresentation, 5e éd., Sweet & Maxwell, Londres, 2016, points 1-24, 3-11, 8-2 et 8-9). Or, ce caractère distinctif du signe ne doit pas être confondu avec ce qui est appelé dans la décision Advocaat les « qualités reconnaissables et distinctes » du produit. Il y a lieu de relever que le caractère distinctif du signe BYRON, pertinent en ce qui concerne la condition relative à la présentation trompeuse, n’est pas contesté en l’espèce.

99

En tout état de cause, la forme « extensive » du délit d’usurpation d’appellation n’avait pas lieu de s’appliquer en l’espèce. En effet, contrairement aux appellations « vodka » ou « champagne », « byron » ne constitue pas un terme descriptif ou générique donnant une indication quant à l’origine géographique ou quant à la composition du produit. La présentation trompeuse tient en l’espèce à la similitude entre les signes utilisés, et non au fait que le requérant prétendrait que ses produits possèdent une qualité qu’ils n’ont pas.

100

Il n’y avait donc pas lieu d’examiner si les produits de Jackson Family Farms sont caractérisés par des « qualités reconnaissables et distinctes », telles qu’une origine ou une composition particulières.

101

Par conséquent, le fait que la chambre de recours a apprécié l’opposition au regard de l’hypothèse que celle-ci était fondée sur le délit d’usurpation d’appellation dans sa forme « classique » n’a pu avoir de répercussions négatives, pour le requérant, sur l’appréciation des faits et des preuves de l’espèce.

102

De plus, la décision Vodkat a établi que l’action en usurpation d’appellation « extensive » n’était pas réservée aux seuls produits dont la qualité était perçue comme supérieure, des produits très modestes pouvant bénéficier d’un « goodwill » (Wadlow, C., The Law of Passing-Off: Unfair Competition by Misrepresentation, 5e éd., Sweet & Maxwell, Londres, 2016, point 7-190). En tout état de cause, les arguments avancés par le requérant concernant le prix peu élevé et la qualité moyenne des produits de Jackson Family Farms sont donc inopérants.

103

En appliquant la forme « classique » et non la forme « extensive » du délit d’usurpation d’appellation, la chambre de recours n’a donc commis aucune erreur de nature à remettre en cause la légalité de la décision attaquée.

Sur la deuxième branche du moyen unique, relative à l’acquisition du « goodwill »

104

Le requérant soutient que, quand bien même la marque non enregistrée BYRON aurait généré un « goodwill » au Royaume-Uni, ce n’est pas Jackson Family Farms qui détiendrait ce « goodwill », mais le grossiste en vin Boutinot.

105

L’EUIPO réfute les arguments du requérant.

106

Les facteurs qui ont une influence sur la propriété du « goodwill » sont les suivants : qui est responsable de la qualité des produits et qui est perçu par le public comme responsable [décision de la House of Lords (Chambre des Lords) T. Oertli A.G. v E.J. Bowman (London) LD. and others (1959) R.P.C. 1, 7 HL].

107

Ce qui importe, pour qu’un signe puisse être protégé, est qu’aux yeux du public le signe indique que la qualité des produits relève de la responsabilité d’une entreprise unique, même si le public ne connaît pas le nom de cette entreprise. La question de la propriété du « goodwill » est en général une question de fait et il n’existe pas de présomption selon laquelle le « goodwill » serait détenu par le fabricant étranger plutôt que par le distributeur britannique [décision de la High Court of Justice (England & Wales), Chancery Division (Haute Cour de justice (Angleterre et pays de Galles), division de la Chancery), MedGen Inc. v Passion for Life Products Ltd (2001) F.S.R. 30]. En principe, le « goodwill » appartient au fournisseur étranger identifié des produits importés plutôt qu’à l’importateur (Wadlow, C., The Law of Passing-Off: Unfair Competition by Misrepresentation, 5e éd., Sweet & Maxwell, Londres, 2016, points 3-136 et 3-158).

108

De manière générale, la fonction d’une marque est d’indiquer l’origine commerciale du produit, à savoir son producteur, et non son vendeur. En l’espèce, Jackson Family Farms contrôlait la fabrication et la qualité des produits. Il est probable que le public percevait Jackson Family Farms, en tant que producteur du vin, comme responsable de sa fabrication et de sa qualité.

109

Le catalogue Boutinot distinguait clairement les différents vins qu’il proposait à la vente, en fonction de leur prix, de leur origine géographique et de leur producteur. Les acheteurs étaient donc libres de choisir leurs vins en fonction de ces critères. Même si Boutinot était le seul distributeur des produits de Jackson Family Farms au Royaume-Uni, cette dernière devrait néanmoins être considérée comme propriétaire du « goodwill ». En effet, le catalogue Boutinot distingue clairement les produits de Jackson Family Farms, par leur nom et leur origine, des autres produits vendus par Boutinot. En particulier, dans les deux catalogues Boutinot présentés par Jackson Family Farms, certains vins apparemment produits par Boutinot sont clairement identifiés comme tels, signifiant que les autres vins ne sont pas produits par Boutinot, mais par des producteurs tels que Jackson Family Farms.

Sur la troisième branche du moyen unique, relative à l’expiration de la marque de l’Union européenne antérieure BYRON

110

Au soutien de sa conclusion selon laquelle Jackson Family Farms ne peut avoir acquis de « goodwill » pour la marque BYRON au Royaume-Uni, le requérant fait valoir que le fait que Jackson Family Farms aurait laissé expirer la marque de l’Union européenne antérieure BYRON en 2007 montre qu’elle ne disposait pas d’intérêts commerciaux en Europe.

111

En effet, selon le requérant, sans que cela ait été contesté par l’EUIPO, la marque BYRON, propriété de Byron Vineyard & Winery, Inc., aurait fait l’objet d’un enregistrement comme marque de l’Union européenne qui aurait expiré en 2007, un an après l’acquisition de Byron Vineyard & Winery par Jackson Family Farms.

112

Cet argument n’est pas susceptible de contredire l’existence d’un « goodwill » généré par la marque non enregistrée BYRON et acquis par Jackson Family Farms.

113

En effet, l’opposition était fondée sur la marque antérieure non enregistrée BYRON, et non sur la marque de l’Union européenne antérieure BYRON.

114

Il convient également de rappeler qu’il existe des marques non enregistrées tirant leur légitimité de leur usage dans un certain nombre d’États membres. Ces signes, indiquant l’origine commerciale d’un produit ou d’un service, fonctionnent comme une marque. L’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 reconnaît l’existence de tels droits dans les États membres et accorde aux titulaires de marques non enregistrées la possibilité d’empêcher l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne si ces droits sont aptes à empêcher l’usage d’une telle marque en vertu de la législation nationale.

115

La question de savoir si la marque non enregistrée protégée par un droit national a été préalablement enregistrée ou non comme marque de l’Union européenne n’est donc pas pertinente.

116

En l’espèce, comme le note à juste titre l’EUIPO, l’expiration de l’enregistrement de la marque de l’Union européenne antérieure BYRON n’empêchait pas Jackson Family Farms d’utiliser la marque non enregistrée et, par cette utilisation, d’acquérir un « goodwill ».

117

Dans la mesure où Jackson Family Farms a acquis un « goodwill » suffisant lors du dépôt de la demande de marque de l’Union européenne, l’expiration de l’enregistrement de la marque de l’Union européenne antérieure BYRON n’empêcherait pas Jackson Family Farms de protéger son droit non enregistré en engageant une action en usurpation d’appellation.

118

Le fait que la marque de l’Union européenne antérieure BYRON a expiré ne contredit donc pas l’acquisition par Jackson Family Farms d’un « goodwill » généré par la marque non enregistrée BYRON.

Sur les points relatifs à la présentation trompeuse et au préjudice

119

Les deux dernières conditions constituant la « trinité classique » du délit d’usurpation d’appellation prévu par le droit du Royaume Uni concernent la présentation trompeuse de la part du titulaire de la marque plus récente, d’une part, et le préjudice causé au « goodwill », d’autre part.

120

Dans la décision attaquée, la chambre de recours a conclu que ces deux conditions étaient remplies : compte tenu de l’identité des produits en cause et des similitudes existantes entre les signes, les produits du requérant risquaient d’être confondus avec ceux de Jackson Family Farms, présentation trompeuse qui occasionnerait un préjudice pour cette dernière.

121

Il convient de souligner que, si le requérant affirme qu’« aucun des critères de la “trinité classique” n’éta[i]t rempli », il n’a pas présenté d’argumentation élaborée quant aux deuxième et troisième conditions constitutives de la « trinité classique » du délit d’usurpation d’appellation, à savoir la présentation trompeuse et le préjudice, mais uniquement un moyen relatif à la première condition constitutive de la « trinité classique » de ce délit, à savoir le « goodwill ».

122

À défaut d’arguments avancés par le requérant concernant la présentation trompeuse et le préjudice, il convient donc de confirmer la conclusion de la chambre de recours selon laquelle, compte tenu de l’identité des produits en cause et des similitudes existantes entre les signes, les produits du requérant risquaient d’être confondus avec ceux de Jackson Family Farms, présentation trompeuse qui occasionnerait un préjudice pour cette dernière.

123

Il résulte de tout ce qui précède que, le moyen unique invoqué par le requérant n’étant pas fondé, il y a lieu de rejeter le premier chef de conclusions du requérant ainsi que, par voie de conséquence, le recours dans son intégralité.

Sur les dépens

124

Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

125

Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de l’EUIPO.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (première chambre)

déclare et arrête :

 

1)

Le recours est rejeté.

 

2)

M. Nelson Alfonso Egüed est condamné aux dépens.

 

Pelikánová

Valančius

Öberg

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 juillet 2017.

Table des matières

 

Antécédents du litige

 

Conclusions des parties

 

En droit

 

Sur la recevabilité du deuxième chef de conclusions du requérant

 

Sur le fond

 

Observations liminaires

 

– Sur le renvoi au droit de l’État membre qui régit le signe invoqué

 

– Sur le rapport entre l’usage dans la vie des affaires dont la portée n’est pas seulement locale et le « goodwill »

 

Sur la première branche du moyen unique, relative à l’existence d’un « goodwill » de la marque non enregistrée BYRON au Royaume-Uni

 

– Sur l’insuffisance des éléments de preuve présentés par Jackson Family Farms

 

– Sur la part de marché de Jackson Family Farms

 

– Sur la permanence du « goodwill »

 

– Sur l’absence de caractéristiques spécifiques et distinctes

 

Sur la deuxième branche du moyen unique, relative à l’acquisition du « goodwill »

 

Sur la troisième branche du moyen unique, relative à l’expiration de la marque de l’Union européenne antérieure BYRON

 

Sur les points relatifs à la présentation trompeuse et au préjudice

 

Sur les dépens


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.