ARRÊT DU TRIBUNAL (quatrième chambre)

18 juillet 2017 ( *1 )

« Dessin ou modèle communautaire – Procédure de nullité – Dessin ou modèle communautaire enregistré représentant un ornement – Dessin ou modèle antérieur – Motif de nullité – Absence de caractère individuel – Produit en cause – Degré de liberté du créateur – Absence d’impression globale différente – Article 6 et article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) no 6/2002 »

Dans l’affaire T‑57/16,

Chanel SAS, établie à Neuilly-sur-Seine (France), représentée par Me C. Sueiras Villalobos, avocate,

partie requérante,

contre

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par Mme E. Zaera Cuadrado, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

les autres parties à la procédure devant la chambre de recours de l’EUIPO ayant été

Li Jing Zhou, demeurant à Fuenlabrada (Espagne),

et

Golden Rose 999 Srl, établie à Rome (Italie),

ayant pour objet un recours formé contre la décision de la troisième chambre de recours de l’EUIPO du 18 novembre 2015 (affaire R 2346/2014-3), relative à une procédure de nullité entre, d’une part, Chanel et, d’autre part, M. Li Jing Zhou et Golden Rose 999,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre),

composé de MM. H. Kanninen, président, L. Calvo‑Sotelo Ibáñez‑Martín et Mme I. Reine (rapporteur), juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la requête déposée au greffe du Tribunal le 8 février 2016,

vu le mémoire en réponse de l’EUIPO déposé au greffe du Tribunal le 27 avril 2016,

à la suite de l’audience du 7 mars 2017,

rend le présent

Arrêt

Antécédents du litige

1

Le 30 mars 2010, M. Li Jing Zhou a présenté une demande d’enregistrement d’un dessin communautaire à l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), en vertu du règlement (CE) no 6/2002 du Conseil, du 12 décembre 2001, sur les dessins ou modèles communautaires (JO 2002, L 3, p. 1).

2

Le dessin dont l’enregistrement a été demandé est représenté comme suit :

Image

3

Le dessin représenté au point 2 ci-dessus, enregistré sous le numéro 1689027-0001 et destiné à être appliqué à une « ornementation », relevant de la classe 32 au sens de l’arrangement de Locarno instituant une classification internationale pour les dessins et modèles industriels, du 8 octobre 1968, tel que modifié, a été publié au Bulletin des dessins ou modèles communautaires no 97/2010, du 5 mai 2010.

4

Le 24 janvier 2014, l’EUIPO a été informé que Golden Rose 999 Srl était devenue cotitulaire du dessin représenté au point 2 ci-dessus.

5

Le 4 décembre 2013, la requérante, Chanel SAS, a, en vertu de l’article 52 du règlement no 6/2002, présenté devant la division d’annulation de l’EUIPO une demande de nullité du dessin contesté. Le motif invoqué au soutien de la demande était celui visé à l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lu en combinaison avec les articles 4 à 9 du même règlement.

6

Dans le mémoire exposant les motifs de la demande en nullité, la requérante a fait valoir que le dessin contesté ne présentait pas un caractère nouveau au sens de l’article 5 du règlement no 6/2002. Selon elle, le dessin contesté présentait une forte similitude avec son propre monogramme et était presque identique à celui-ci, enregistré comme marque commerciale en France depuis 1989 et représenté comme suit :

Image

7

En outre, elle a invoqué l’absence de caractère individuel du dessin contesté en vertu de l’article 6 du règlement no 6/2002.

8

Par décision du 15 juillet 2014, la division d’annulation de l’EUIPO a rejeté la demande en nullité, au motif que le dessin antérieur ne privait pas de nouveauté le dessin contesté, ni de caractère individuel.

9

La division d’annulation a considéré, en substance, quant au caractère nouveau du dessin contesté, que les différences entre les dessins en conflit n’étaient pas insignifiantes. En ce qui concerne le caractère individuel, la division d’annulation a conclu que le dessin contesté créait sur l’utilisateur averti une impression globale différente du dessin antérieur.

10

Le 10 septembre 2014, la requérante a formé un recours devant la chambre de recours de l’EUIPO contre la décision de la division d’annulation.

11

Par décision du 18 novembre 2015 (ci‑après la « décision attaquée »), la troisième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté le recours. Elle a considéré, en substance, que le dessin contesté n’était manifestement pas identique au monogramme Chanel, que les différences entre les deux dessins ne sauraient être assimilées à des détails insignifiants et que, par conséquent, le dessin contesté était nouveau.

12

Elle a également considéré que le dessin antérieur ne privait pas le dessin contesté de son caractère individuel. La chambre de recours a d’abord examiné le concept d’« utilisateur averti » appliqué à l’espèce. Elle en a conclu que le produit auquel le dessin contesté était appliqué constituait un ornement et que ce produit était utilisé tant par les professionnels que par les utilisateurs finaux comme ornement d’autres produits.

13

La chambre de recours a ensuite observé que le créateur du dessin contesté jouissait d’une grande liberté pour la création de celui-ci. Cependant, la différence existant dans les parties centrales des deux monogrammes constituerait une caractéristique fondamentale, gardée en mémoire par l’utilisateur averti, tel que correctement défini par la division d’annulation. Par conséquent, l’impression d’ensemble produite par chacun des dessins en conflit sur l’utilisateur averti différerait.

Conclusions des parties

14

La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

annuler la décision attaquée ;

déclarer la nullité du dessin contesté ;

condamner l’EUIPO aux dépens, de même que toute partie principale ou intervenante à la procédure qui viendrait au soutien de la décision attaquée.

15

L’EUIPO conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

rejeter le recours ;

condamner la requérante aux dépens.

En droit

Sur la recevabilité du deuxième chef de conclusions de la requérante

16

Par son deuxième chef de conclusions, la requérante demande au Tribunal de déclarer la nullité du dessin contesté.

17

Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 61, paragraphe 3, du règlement no 6/2002, le Tribunal est compétent aussi bien pour annuler que pour réformer la décision attaquée. Par ailleurs, aux termes de l’article 61, paragraphe 6, du même règlement, l’EUIPO est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du Tribunal. Il découle de cette dernière disposition qu’il n’appartient pas au Tribunal d’adresser des injonctions à l’EUIPO, auquel il incombe, en effet, de tirer les conséquences du dispositif et des motifs de l’arrêt du Tribunal [arrêt du 12 mai 2010, Beifa Group/OHMI – Schwan-Stabilo Schwanhäußer (Instrument d’écriture), T‑148/08, EU:T:2010:190, point 40].

18

Il y a donc lieu de rejeter le deuxième chef de conclusions de la requérante comme irrecevable [voir, par analogie, arrêt du 11 février 2009, Bayern Innovativ/OHMI – Life Sciences Partners Perstock (LifeScience), T‑413/07, non publié, EU:T:2009:34, point 17].

Sur le fond

19

À l’appui de son recours, la requérante invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002, lequel s’articule en deux branches, tirées, la première, d’une violation de l’article 6 dudit règlement et, la seconde, d’une violation de l’article 5 de ce même règlement. Il convient d’examiner la première branche de ce moyen unique.

20

Dans le cadre de la première branche du moyen unique, la requérante fait valoir, en substance, que l’analyse de la chambre de recours est manifestement incomplète et que ses conclusions sont entachées de plusieurs erreurs.

21

Selon la requérante, dans le cadre de l’analyse du caractère individuel du dessin contesté, la chambre de recours n’a fait aucune mention du produit auquel ce dessin est destiné à être appliqué. Il aurait également été omis de préciser qui est l’utilisateur averti en l’espèce. La requérante soutient que la chambre de recours aurait dû prendre en compte les preuves fournies, démontrant que les dessins en conflit étaient reproduits sur de véritables articles, ainsi que le fait qu’il n’y avait que des différences minimes entre ces dessins. La requérante fait en outre valoir que le dessin contesté peut être utilisé avec un changement d’orientation de 90 degrés par rapport à sa représentation dans la demande d’enregistrement.

22

Ainsi, malgré la conclusion que le créateur du dessin contesté jouissait d’une grande liberté pour sa création, la chambre de recours aurait néanmoins décidé que les dessins en conflit ne produisaient pas la même impression globale, ce qui constituerait une violation de l’article 25, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002.

23

L’EUIPO conclut au rejet de la première branche. À cet égard, tout d’abord, il observe que la requérante ne conteste pas la définition de l’utilisateur averti ni le degré de liberté du créateur du dessin et définit le produit auquel est destiné à être appliqué le dessin contesté comme un ornement.

24

Ensuite, l’EUIPO conclut à l’irrecevabilité de certains éléments de preuve présentés pour la première fois devant le Tribunal ainsi qu’à l’irrecevabilité de l’argument selon lequel la chambre de recours aurait été tenue de prendre en compte les dessins en conflit tels qu’ils sont représentés sur des produits commercialisés. En tout état de cause, une telle prise en compte ne serait pas possible, puisque les conditions d’utilisation des dessins en conflit dépendraient entièrement de la volonté des parties.

25

Enfin, selon l’EUIPO, la chambre de recours a tenu compte de la grande liberté dont avait bénéficié le créateur du dessin contesté. Malgré cette constatation, elle aurait retenu les différences entre les parties centrales des dessins en conflit, sans que ces différences soient contestées par la requérante. Par conséquent, la chambre de recours aurait conclu, à juste titre, que les dessins en conflit ne produisaient pas la même impression globale chez l’utilisateur averti.

26

L’article 6 du règlement no 6/2002 dispose :

« 1.   Un dessin ou modèle est considéré comme présentant un caractère individuel si l’impression globale qu’il produit sur l’utilisateur averti diffère de celle que produit sur un tel utilisateur tout dessin ou modèle qui a été divulgué au public :

a)

dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire non enregistré, avant la date à laquelle le dessin ou modèle pour lequel la protection est revendiquée a été divulgué au public pour la première fois ;

b)

dans le cas d’un dessin ou modèle communautaire enregistré, avant la date de dépôt de la demande d’enregistrement ou, si une priorité est revendiquée, avant la date de priorité.

2.   Pour apprécier le caractère individuel, il est tenu compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle. »

27

Il ressort de cette disposition que l’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle communautaire suppose, en substance, un examen en quatre étapes, consistant à déterminer, premièrement, le secteur des produits auxquels le dessin ou modèle est destiné à être incorporé ou à être appliqué, deuxièmement, l’utilisateur averti desdits produits selon leur finalité et, en référence à cet utilisateur averti, le degré de connaissance de l’art antérieur ainsi que le niveau d’attention dans la comparaison, directe si possible, des dessins ou modèles, troisièmement, le degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle et, quatrièmement, le résultat de la comparaison des dessins ou modèles en cause, en tenant compte du secteur concerné, du degré de liberté du créateur et des impressions globales produites sur l’utilisateur averti par le dessin ou modèle contesté et par tout dessin ou modèle antérieur divulgué au public. Un prérequis à l’examen du caractère individuel d’un dessin ou modèle ainsi qu’à l’examen de sa nouveauté au titre de l’article 5 du règlement no 6/2002 consiste à établir l’existence et l’antériorité de la divulgation au public de tout dessin ou modèle invoqué au soutien de la nullité du dessin ou modèle contesté [arrêt du 7 novembre 2013, Budziewska/OHMI – Puma (Félin bondissant), T‑666/11, non publié, EU:T:2013:584, point 21].

28

Par conséquent, il ressort de l’article 6, paragraphe 1, sous b), du règlement no 6/2002 ainsi que d’une jurisprudence constante que l’examen du caractère individuel d’un dessin ou modèle dépend de l’impression globale que celui-ci produit sur l’utilisateur averti [voir, en ce sens, arrêts du 22 juin 2010, Shenzhen Taiden/OHMI – Bosch Security Systems (Équipement de communication), T‑153/08, EU:T:2010:248, point 17, et du 25 octobre 2013, Merlin e.a./OHMI – Dusyma (Jeux), T‑231/10, non publié, EU:T:2013:560, point 28 et jurisprudence citée].

29

Dans le cadre de l’appréciation concrète de l’impression globale des dessins ou modèles en cause sur l’utilisateur averti, lequel a une certaine connaissance de l’état de l’art antérieur, il y a lieu de tenir compte du degré de liberté du créateur dans l’élaboration du dessin ou modèle contesté [voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2010, Grupo Promer Mon Graphic/OHMI – PepsiCo (Représentation d’un support promotionnel circulaire), T‑9/07, EU:T:2010:96, point 72].

30

Conformément à la jurisprudence, plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est grande, moins des différences mineures entre les dessins ou modèles en conflit suffisent à produire une impression globale différente sur l’utilisateur averti. À l’inverse, plus la liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle est restreinte, plus les différences mineures entre les dessins ou modèles en conflit suffisent à produire une impression globale différente sur l’utilisateur averti. Ainsi, un degré élevé de liberté du créateur dans l’élaboration d’un dessin ou modèle renforce la conclusion selon laquelle les dessins ou modèles ne présentant pas de différences significatives produisent une même impression globale sur l’utilisateur averti [arrêt du 9 septembre 2011, Kwang Yang Motor/OHMI – Honda Giken Kogyo (Moteur à combustion interne), T‑11/08, non publié, EU:T:2011:447, point 33].

31

Cependant, il convient de rappeler que le facteur relatif à la liberté du créateur ne saurait à lui seul conditionner l’appréciation du caractère individuel d’un dessin ou modèle, mais que, en revanche, il est un élément dont il faut tenir compte dans cette appréciation. Il s’agit d’un facteur qui permet de nuancer l’appréciation du caractère individuel du dessin contesté, plutôt qu’un facteur autonome déterminant la distance requise entre deux dessins ou modèles pour que l’un d’eux atteste un caractère individuel. Ainsi, le facteur relatif au degré de liberté du créateur peut renforcer ou, a contrario, nuancer la conclusion quant à l’impression globale produite par chaque dessin ou modèle en cause [voir, en ce sens, arrêt du 10 septembre 2015, H&M Hennes & Mauritz/OHMI – Yves Saint Laurent (Sacs à main), T‑526/13, non publié, EU:T:2015:614, points 33 et 35].

32

Le dessin ou modèle ne doit donc pas être considéré comme une reproduction du dessin ou modèle antérieur ou de l’idée originale qui aurait été développée pour la première fois dans celui-ci [voir, en ce sens, arrêts du 6 juin 2013, Kastenholz/OHMI – Qwatchme (Cadrans de montre), T‑68/11, EU:T:2013:298, point 71, et du 4 février 2014, Gandia Blasco/OHMI – Sachi Premium-Outdoor Furniture (Fauteuil cubique), T‑339/12, non publié, EU:T:2014:54, point 40].

33

Enfin, il convient de rappeler qu’il résulte de la jurisprudence que la comparaison des impressions globales produites par les dessins ou modèles doit être synthétique et ne peut se borner à la comparaison analytique d’une énumération de similitudes et de différences [arrêt du 29 octobre 2015, Roca Sanitario/OHMI – Villeroy & Boch (Robinet à commande unique), T‑334/14, non publié, EU:T:2015:817, point 58].

34

C’est à la lumière de ces principes qu’il convient d’examiner la première branche du moyen unique soulevée dans le cadre du présent recours.

35

Il y a lieu de constater que, en l’espèce, l’antériorité du monogramme Chanel n’est pas contestée par les parties.

36

En outre, la requérante ne conteste pas que le dessin contesté soit un ornement relevant de la classe 32, mais soutient que la chambre de recours n’a pas identifié les produits sur lesquels cet ornement serait destiné à être appliqué.

37

Par ailleurs, il est constant entre les parties et il a été réaffirmé lors de l’audience que l’utilisateur averti en l’espèce est défini aussi bien par les professionnels que par les utilisateurs finaux.

38

Les parties se mettent également d’accord sur le fait que le créateur du dessin contesté jouissait d’une grande liberté pour sa création.

39

Par conséquent, dans le cadre de l’analyse du caractère individuel du dessin contesté effectuée par la chambre de recours, il convient d’examiner si celle-ci a commis une erreur, d’une part, quant à la détermination de la nature du produit auquel le dessin contesté est destiné à être appliqué et, d’autre part, concernant la comparaison des impressions globales produites sur l’utilisateur averti par les dessins en conflit.

– Sur la nature du produit auquel le dessin contesté est destiné à être appliqué

40

En l’espèce, la requérante soutient que la décision attaquée n’a pas identifié, comme elle l’aurait dû, le produit auquel est destiné à être appliqué le dessin contesté.

41

Pour déterminer le produit auquel un dessin ou modèle contesté est destiné à être incorporé ou à être appliqué, il convient de tenir compte de l’indication qui y est relative dans la demande d’enregistrement dudit dessin ou modèle, mais également, le cas échéant, du dessin ou modèle lui-même, dans la mesure où il précise la nature du produit, sa destination ou sa fonction (arrêt du 18 mars 2010, Représentation d’un support promotionnel circulaire, T‑9/07, EU:T:2010:96, point 56).

42

À titre liminaire, il y a lieu de rappeler qu’un dessin ou modèle peut être enregistré en tant qu’ornement comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 novembre 2013, Félin bondissant (T‑666/11, non publié, EU:T:2013:584), qui était relative à un dessin ou modèle enregistré en tant que logo au titre de la classe 32.

43

En l’espèce, le dessin contesté ne donne pas d’information sur sa destination ou sur sa fonction. En outre, à la différence de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 7 novembre 2013 (Félin bondissant, T‑666/11, non publié, EU:T:2013:584), citée au point 42 ci-dessus, dans laquelle les dessins ou modèles en cause portaient généralement sur le secteur de l’habillement et du matériel sportif, en l’espèce, le monogramme Chanel est enregistré pour un très grand nombre de produits et le dessin contesté est enregistré en tant qu’ornement, sans aucune précision sur les produits sur lesquels celui-ci est destiné à être appliqué. Il s’ensuit que, en l’espèce, il n’était pas possible de déterminer le secteur des produits auxquels le dessin contesté était destiné à être incorporé ou à être appliqué, ni de le comparer à celui du monogramme Chanel.

44

Par conséquent, la chambre de recours a décidé à bon droit que le produit auquel était destiné à être appliqué le dessin contesté était un ornement, ce qui n’est pas contesté par les parties. Contrairement à ce que soutient la requérante, la chambre de recours n’était pas tenue d’identifier le produit auquel était destiné à être appliqué cet ornement.

45

Il y a donc lieu de tenir compte de cette conclusion dans le cadre de la comparaison des impressions globales produites par les dessins en conflit sur l’utilisateur averti.

– Sur la comparaison des impressions globales produites par les dessins en conflit

46

La requérante soutient en particulier que la chambre de recours a, à tort et sans fournir une motivation suffisante, conclu à l’existence d’impression globale différente produite par les dessins en conflit, malgré la grande liberté du créateur, en ignorant les preuves fournies démontrant que les dessins en conflit étaient reproduits sur de véritables articles ainsi que le fait qu’il n’y avait que des différences minimes entre ces dessins.

47

L’EUIPO considère que la chambre de recours a estimé à juste titre que les dessins en conflit présentaient une impression globale différente, sans ignorer la grande liberté du créateur. En outre, il conclut à l’irrecevabilité de certains éléments de preuve et de l’argument sur la nécessité de la prise en compte de produits commercialisés, présentés pour la première fois devant le Tribunal.

48

Il est exact que la requérante a fourni devant le Tribunal des photographies de lunettes de soleil à titre de comparaison d’articles sur lesquels sont apposés le dessin contesté, d’une part, et le monogramme Chanel, d’autre part, afin d’illustrer des produits avec les dessins en conflit effectivement commercialisés, présentées au cours de la phase administrative à l’appui de la branche relative à l’absence de caractère nouveau du dessin contesté et non à l’appui de la présente branche du moyen. Il est également vrai que la requérante a présenté, pour la première fois devant le Tribunal, d’autres photographies dans la requête et lors de l’audience afin d’illustrer l’utilisation du dessin contesté sur des produits commercialisés ainsi que l’argument sur la nécessité de la prise en compte de produits commercialisés.

49

Tout d’abord, il convient de relever que les pièces et l’argument, visés au point 48 ci-dessus, présentés pour la première fois devant le Tribunal ne peuvent pas être pris en considération. En effet, le recours devant le Tribunal vise au contrôle de la légalité des décisions des chambres de recours de l’EUIPO au sens de l’article 61 du règlement no 6/2002, de sorte que la fonction du Tribunal n’est pas de réexaminer les circonstances de fait à la lumière des documents présentés pour la première fois devant lui. Il convient donc d’écarter les documents susmentionnés sans qu’il soit nécessaire d’examiner leur force probante [voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 18 mars 2010, Représentation d’un support promotionnel circulaire, T‑9/07, EU:T:2010:96, point 24, et du 13 novembre 2012, Antrax It/OHMI – THC (Radiateurs de chauffage), T‑83/11 et T‑84/11, EU:T:2012:592, point 28].

50

De plus, en ce qui concerne les photographies illustrant des lunettes de soleil déjà présentées devant l’EUIPO, il convient de constater que, en tout état de cause, ces photographies ne peuvent être prises en compte qu’à titre d’exemple d’une utilisation possible du dessin contesté, également eu égard à l’orientation ou à la taille des dessins en conflit lors de leur utilisation, et, partant, ne peuvent pas être perçues comme le seul point de repère (voir, en ce sens, arrêts du 7 novembre 2013, Félin bondissant, T‑666/11, non publié, EU:T:2013:584, point 30, et du 29 octobre 2015, Robinet à commande unique, T‑334/14, non publié, EU:T:2015:817, point 78). Cette constatation est renforcée par le fait que, en l’espèce, le dessin contesté représente un ornement relevant de la classe 32, qui est susceptible d’être appliqué à une multitude de produits.

51

En outre, les variations dans l’orientation du dessin contesté ont été démontrées lors de la procédure devant la chambre de recours par une représentation de superposition des dessins en conflit. L’EUIPO a confirmé dans le mémoire en défense ainsi que lors de l’audience que cette possibilité d’utilisation avait été prise en compte par la chambre de recours.

52

À cet égard, il convient d’observer que, selon la jurisprudence, l’impression globale doit nécessairement être déterminée aussi au regard de la manière dont le produit en cause est utilisé, en particulier en fonction des manipulations qu’il subit normalement à cette occasion (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2010, Équipement de communication, T‑153/08, EU:T:2010:248, point 66).

53

En l’espèce, dans le cadre de son analyse concrète sur la comparaison des impressions globales, la chambre de recours, tout en admettant la grande liberté du créateur, a décidé que les dessins en conflit produisaient une impression globale différente chez l’utilisateur averti. À cet égard, elle s’est essentiellement fondée sur les différences entre les parties centrales des dessins en conflit. En particulier, premièrement, selon elle, le dessin contesté se composerait de « deux “3” inversés », alors que le monogramme Chanel se composerait de « deux “C” inversés ». Deuxièmement, le dessin contesté représenterait une boucle horizontale dont les extrémités seraient pointues et avec un trait légèrement plus épais, alors que le monogramme Chanel présenterait un vide central ovale vertical avec des extrémités pointues. Troisièmement, il était observé une analogie avec le symbole de l’infini pour le dessin contesté et avec une ellipse pour le monogramme Chanel.

54

Ainsi, il résulte de la décision attaquée que la chambre de recours s’est limitée à relever que, malgré la grande liberté de création, les différences dans la partie centrale des dessins en conflit, telles que décrites au point 53 ci-dessus, constituaient une caractéristique fondamentale qui était gardée en mémoire par l’utilisateur averti.

55

Or, il convient de constater que, en l’espèce, le dessin antérieur présente des similitudes remarquables avec le dessin contesté. Celui-ci peut être perçu, dans une certaine mesure, comme une création inspirée par l’idée du monogramme Chanel, d’autant plus que le choix du dessin contesté n’était aucunement conditionné par des considérations quelconques et que son créateur n’a pas suffisamment différencié ledit dessin du monogramme Chanel. Dès lors, il doit être considéré que l’utilisateur averti percevra les dessins en conflit de façon globale afin de déterminer si ceux-ci produisent une impression globale différente. Or, même si les deux dessins comportent des différences dans leurs parties centrales, force est de constater que l’impression globale ne diffère pas, dans la mesure où les parties extérieures, qui déterminent considérablement le contour et l’impression globale produits par les dessins en conflit, sont fortement similaires et presque identiques. De plus, les parties centrales, même si elles comportent certaines différences, sont toutes les deux composées de formes ovales similaires qui se dissolvent dans l’image globale des dessins. En particulier, la partie centrale du dessin contesté est composée de deux ellipses semblables à l’ellipse unique observée pour le monogramme Chanel. Ces différences sont d’autant moins susceptibles d’être relevées par l’utilisateur averti qu’il est possible d’utiliser le dessin contesté dans une orientation qui varie de 90 degrés et dans des tailles diverses.

56

Eu égard aux similitudes des dessins en conflit, la grande liberté de création ne peut que renforcer, en application de la jurisprudence, l’absence d’une impression globale différente produite par lesdits dessins, d’autant que les différences ne sauraient être relevées qu’à l’occasion d’une comparaison directe qui n’est pas toujours immédiatement possible (voir, en ce sens, arrêt du 20 octobre 2011, PepsiCo/Grupo Promer Mon Graphic, C‑281/10 P, EU:C:2011:679, point 55).

57

Il y a également lieu de relever que, en l’espèce, aucune contrainte liée à des caractéristiques imposées par la fonction technique de l’ornement ou d’un élément de l’ornement, ou encore à des prescriptions légales applicables, n’a été constatée (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2011, Moteur à combustion interne, T‑11/08, non publié, EU:T:2011:447, point 32).

58

Enfin, il convient de rappeler que le dessin contesté est un ornement relevant de la classe 32 et qu’un tel ornement peut être appliqué sur un large éventail de produits, ce qui rend la détermination préalable de l’utilisation de celui-ci quasiment impossible. Par conséquent, cette circonstance renforce la nécessité d’une analyse minutieuse des impressions globales produites par les dessins en conflit.

59

Partant, tout en tenant compte de la grande liberté de création du créateur du dessin contesté et de l’existence d’une grande liberté d’utilisation dudit dessin sur des produits variables, les différences entre les dessins en conflit ne seraient pas en mesure de produire chez l’utilisateur averti une impression globale différente.

60

Il s’ensuit que c’est à tort que la chambre de recours a considéré que le dessin contesté possédait un caractère individuel en regard du monogramme Chanel.

61

Par conséquent, la première branche du moyen unique, tirée de la violation de l’article 6 du règlement no 6/2002, doit être accueillie.

62

Il n’est pas nécessaire d’examiner la seconde branche du moyen unique, dans la mesure où l’article 4, paragraphe 1, du règlement no 6/2002 prévoit que la protection d’un dessin ou modèle n’est assurée que si celui-ci est à la fois nouveau et présente un caractère individuel.

63

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la décision attaquée doit être annulée.

Sur les dépens

64

Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’EUIPO ayant succombé en l’essentiel de ses conclusions, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la requérante.

 

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (quatrième chambre)

déclare et arrête :

 

1)

La décision de la troisième chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 18 novembre 2015 (affaire R 2346/2014-3) est annulée.

 

2)

Le recours est rejeté pour le surplus.

 

3)

L’EUIPO est condamné aux dépens.

 

Kanninen

Calvo-Sotelo Ibáñez-Martín

Reine

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 18 juillet 2017.

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’espagnol