ARRÊT DU TRIBUNAL (sixième chambre)

25 juin 2010 (*)

« Concurrence – Abus de position dominante – Marché de la soude au Royaume-Uni – Décision constatant une infraction à l’article 82 CE – Prescription du pouvoir de la Commission d’infliger des amendes ou des sanctions – Délai raisonnable – Formes substantielles – Autorité de la chose jugée – Existence de la position dominante – Exploitation abusive de la position dominante – Affectation du commerce entre États membres – Amende – Gravité et durée de l’infraction – Circonstances atténuantes »

Dans l’affaire T‑66/01,

Imperial Chemical Industries Ltd, anciennement Imperial Chemical Industries plc, établie à Londres (Royaume‑Uni), représentée initialement par MM. D. Vaughan, D. Anderson, QC, Mme S. Lee, barrister, Mmes S. Turner, S. Berwick et M. R. Coles, solicitors, puis par M. Vaughan, Mmes Lee, Berwick et S. Ford, barrister,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. J. Currall et P. Oliver, en qualité d’agents, assistés de MM. J. Flynn, QC, et C. West, barrister,

partie défenderesse,

ayant pour objet, à titre principal, une demande d’annulation de la décision 2003/7/CE de la Commission, du 13 décembre 2000, relative à une procédure d’application de l’article 82 [CE] (Affaire COMP/33.133 – D : Carbonate de soude – ICI) (JO 2003, L 10, p. 33), et, à titre subsidiaire, une demande d’annulation ou de réduction de l’amende infligée à la requérante,

LE TRIBUNAL (sixième chambre),

composé de MM. A. W. H. Meij, président, V. Vadapalas (rapporteur) et A. Dittrich, juges,

greffier : Mme K. Pocheć, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 26 juin 2008,

rend le présent

Arrêt

 Faits à l’origine du litige

1        La requérante, Imperial Chemical Industries Ltd, anciennement Imperial Chemical Industries plc, est une société de droit du Royaume-Uni active dans le secteur de la chimie. Elle produisait au moment des faits notamment du carbonate de soude.

2        Le carbonate de soude est soit présent dans la nature sous forme de minerai de trona (soude naturelle), soit obtenu par un procédé chimique (soude synthétique). La soude naturelle est obtenue à partir du broyage, de la purification et de la calcination du minerai de trona. La soude synthétique est issue de la réaction du sel ordinaire et du calcaire par le procédé « ammoniaque-soude », mis au point par les frères Solvay en 1863.

3        Au mois d’avril 1989, la Commission des Communautés européennes a procédé à des vérifications auprès des différents producteurs de carbonate de soude de la Communauté, en application de l’article 14, paragraphe 3, du règlement n° 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [81 CE] et [82 CE] (JO 1962, 13, p. 204), dans sa version applicable au moment des faits.

4        Le 19 juin 1989, la Commission a adressé une demande de renseignements à la requérante au titre de l’article 11 du règlement n° 17, à laquelle celle-ci a répondu le 14 septembre 1989.

5        Le 19 février 1990, la Commission a décidé d’engager une procédure d’office à l’encontre de la requérante, de Solvay et de Chemische Fabrik Kalk (ci-après « CFK »), au titre de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 17.

6        Le 13 mars 1990, la Commission a adressé une communication des griefs à la requérante, à Solvay et à CFK. Chacune de ces sociétés a reçu uniquement la ou les parties de la communication des griefs relatives aux infractions la concernant, auxquelles étaient joints en annexe les éléments de preuve à charge.

7        La Commission a constitué un seul dossier pour l’ensemble des infractions visées par la communication des griefs.

8        En ce qui concerne la présente affaire, la Commission a conclu sous le titre V de la communication des griefs que la requérante avait abusé de la position dominante qu’elle détenait sur le marché du carbonate de soude au Royaume-Uni.

9        Le 31 mai 1990, la requérante a présenté ses observations écrites en réponse aux griefs retenus par la Commission. Elle a été auditionnée par la Commission les 26 et 27 juin 1990.

10      Le 19 décembre 1990, la Commission a adopté la décision 91/300/CEE, relative à une procédure d’application de l’article [82 CE] (IV/33.133 – D : Carbonate de soude – ICI) (JO 1991, L 152, p. 40). Dans cette décision, notifiée à la requérante par lettre du 1er mars 1991, elle a constaté que « [la requérante avait] enfreint les dispositions de l’article [82 CE] depuis environ 1983 [et] jusqu’à ce jour par un comportement visant à exclure ou à limiter très fortement la concurrence et consistant à […] accorder des ristournes substantielles et d’autres incitations financières se rapportant à un tonnage marginal de façon à assurer que le client s’approvisionne pour la totalité ou la plus grande part de ses besoins auprès [d’elle, à] s’assurer l’accord des clients de s’approvisionner auprès [d’elle] pour couvrir la totalité ou la quasi-totalité de leurs besoins ou de restreindre leurs achats aux concurrents à une quantité spécifiée [et,] dans un cas au moins, à subordonner l’octroi des ristournes et autres avantages financiers à l’accord du client de s’approvisionner auprès [d’elle] pour la totalité de ses besoins ».

11      Aux termes de l’article 2 de la décision 91/300, « [u]ne amende de [dix] millions d’écus [a été] infligée à [la requérante] en raison de l’infraction [constatée] ».

12      Le même jour, la Commission a également adopté la décision 91/297/CEE, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/33.133 – A : Carbonate de soude – Solvay, ICI) (JO 1991, L 152, p. 1), dans laquelle elle a constaté que « Solvay et [la requérante] [avaient] enfreint les dispositions de l’article [81 CE] en participant, depuis le 1er janvier 1973 [et] jusqu’à au moins l’engagement de la présente procédure, à une pratique concertée par laquelle elles ont limité leurs ventes de soude dans la Communauté à leurs marchés intérieurs respectifs, à savoir l’Europe de l’Ouest continentale pour Solvay et le Royaume-Uni et l’Irlande pour [la requérante] ». Solvay et la requérante ont été condamnées respectivement à une amende de sept millions d’écus.

13      Le même jour, la Commission a, par ailleurs, adopté la décision 91/298/CEE, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/33.133 – B : Carbonate de soude – Solvay, CFK) (JO 1991, L 152, p. 16), dans laquelle elle a constaté que « Solvay et CFK [avaient] enfreint les dispositions de l’article [81 CE] en participant, depuis 1987 environ [et] jusqu’à ce jour, à un accord de partage de marché par lequel Solvay garantissait à CFK un tonnage annuel minimal de ventes de soude en Allemagne, calculé par référence aux ventes réalisées par CFK en 1986, et compensait à CFK tout déficit en lui rachetant les tonnages nécessaires pour porter ses ventes au minimum garanti ». Solvay et CFK ont été condamnées à une amende respectivement de trois millions et d’un million d’écus.

14      Le même jour, la Commission a, en outre, adopté la décision 91/299/CEE, relative à une procédure d’application de l’article [82 CE] (IV/33.133 – C : Carbonate de soude – Solvay) (JO 1991, L 152, p. 21), dans laquelle elle a constaté que « Solvay [avait] enfreint les dispositions de l’article [82 CE], depuis environ 1983 [et] jusqu’à ce jour, par un comportement visant à exclure ou à limiter très fortement la concurrence et consistant à […] conclure des accords avec des clients qui les obligent à s’approvisionner auprès de Solvay pour la totalité ou une très large part de leurs besoins de soude pour une période indéfinie ou excessivement longue [, à] accorder des ristournes substantielles et d’autres incitations financières par référence à un tonnage marginal excédant le tonnage contractuel de base du client de façon à assurer qu’il s’approvisionne auprès de Solvay pour la totalité ou la plus grande part de leurs besoins [et, à] subordonner l’octroi des ristournes à l’accord du client de s’approvisionner [auprès de] Solvay pour la totalité de ses besoins ». Solvay a été condamnée à une amende de 20 millions d’écus.

15      Le 2 mai 1991, Solvay a demandé l’annulation des décisions 91/297, 91/298 et 91/299. Le 14 mai 1991, la requérante a introduit des recours devant le Tribunal ayant pour objet une demande d’annulation des décisions 91/297 et 91/300.

16      Par arrêt du 29 juin 1995, ICI/Commission (T‑37/91, Rec. p. II‑1901, ci-après l’« arrêt ICI II »), le Tribunal a jugé que le moyen tiré d’une violation des droits de la défense en ce qui concerne l’accès au dossier devait être écarté dans son ensemble avant d’annuler la décision 91/300 au motif que l’authentification de ladite décision avait été effectuée après sa notification, ce qui constituait une violation d’une forme substantielle au sens de l’article 230 CE.

17      Le même jour, le Tribunal a également annulé la décision 91/297 (arrêts Solvay/Commission, T‑30/91, Rec. p. II‑1775, ci-après l’« arrêt Solvay I », et ICI/Commission, T‑36/91, Rec. p. II‑1847, ci-après l’« arrêt ICI I »), dans la mesure où celle-ci concerne les parties requérantes dans ces deux affaires, pour violation du droit d’accès au dossier. Par ailleurs, le Tribunal a annulé la décision 91/298 (arrêt Solvay/Commission, T‑31/91, Rec. p. II‑1821, ci-après l’« arrêt Solvay II »), dans la mesure où elle concerne Solvay, ainsi que la décision 91/299 (arrêt Solvay/Commission, T‑32/91, Rec. p. II‑1825, ci-après l’« arrêt Solvay III »), en raison de l’authentification irrégulière des décisions attaquées.

18      Par requêtes déposées au greffe de la Cour le 30 août 1995, la Commission a formé des pourvois contre les arrêts ICI II, point 16 supra, Solvay II et Solvay III, point 17 supra.

19      Par arrêts du 6 avril 2000, Commission/ICI (C‑286/95 P, Rec. p. I‑2341), et Commission/Solvay (C‑287/95 P et C‑288/95 P, Rec. p. I‑2391), la Cour a rejeté les pourvois contre les arrêts ICI II, point 16 supra, Solvay II et Solvay III, point 17 supra.

20      Le mardi 12 décembre 2000, une agence de presse a publié un communiqué de presse rédigé de la façon suivante :

« La Commission européenne infligera une amende aux sociétés de l’industrie de la chimie que sont Solvay SA et Imperial Chemical Industries plc […] mercredi pour violation du droit de la concurrence de l’Union européenne, a déclaré une porte-parole ce mardi.

Les amendes pour le prétendu abus de position dominante sur le marché du carbonate de soude avaient été imposées à l’origine il y a dix ans, mais elles ont été annulées par la plus haute Cour européenne pour des raisons de procédure.

La Commission adoptera à nouveau la même décision mercredi, mais dans une forme correcte, a déclaré la porte-parole.

La substance de la décision n’a jamais été contestée par les sociétés. Nous adopterons à nouveau la même décision, a-t-elle dit. »

21      Le 13 décembre 2000, la Commission a adopté la décision 2003/7/CE, relative à une procédure d’application de l’article 82 [CE] (COMP/33.133 – D : Carbonate de soude – ICI) (JO 2003, L 10, p. 33, ci-après la « décision attaquée »).

22      Le même jour, la Commission a également adopté les décisions 2003/5/CE, relative à une procédure d’application de l’article 81 [CE] (COMP/33.133 – B : Carbonate de soude – Solvay, CFK) (JO 2003, L 10, p. 1), et 2003/6/CE, relative à une procédure d’application de l’article 82 [CE] (COMP/33.133 – C : Carbonate de soude – Solvay) (JO 2003, L 10, p. 10).

23      La décision attaquée comporte le dispositif suivant :

« Article premier

[La requérante] a enfreint les dispositions de l’article [82 CE] à partir de 1983 environ et jusque fin 1989 au moins par un comportement visant à exclure ou à limiter très fortement la concurrence et consistant :

a)      à accorder des remises substantielles et d’autres incitations financières portant sur le tonnage marginal de façon […] que le client s’approvisionne pour la totalité ou la majeure partie de ses besoins [auprès d’elle] ;

b)       à obtenir l’accord des clients de s’approvisionner [auprès d’elle] pour couvrir la totalité ou la quasi-totalité de leurs besoins ou de restreindre leurs achats aux concurrents à une quantité spécifiée ;

c)      dans un cas au moins, à subordonner l’octroi des ristournes et autres avantages financiers à l’accord du client de s’approvisionner [auprès d’elle] pour la totalité de ses besoins.

Article 2

Une amende de [dix] millions d’euros est infligée à [la requérante] en raison de l’infraction spécifiée à l’article 1er.

[…] »

24      La décision attaquée est rédigée pratiquement dans les mêmes termes que la décision 91/300. La Commission a seulement apporté quelques modifications d’ordre rédactionnel et ajouté une partie nouvelle intitulée « Procédures devant le Tribunal de première instance et la Cour de justice ».

25      Dans cette partie nouvelle de la décision attaquée, la Commission, se référant à l’arrêt du Tribunal du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, Rec. p. II‑931, ci-après l’« arrêt PVC II du Tribunal »), a considéré qu’elle avait « le droit d’arrêter [à] nouveau une décision qui avait été annulée pour vices de pure procédure, sans que soit engagée une nouvelle procédure administrative » et qu’elle n’était « pas tenue d’organiser une nouvelle audition si le texte de la nouvelle décision ne [contenait] pas d’autres griefs que ceux formulés dans la première décision » (considérant 164).

26      La Commission a également précisé dans la décision attaquée que le délai de prescription devait être prorogé de la période pendant laquelle le recours contre la décision 91/300 faisait l’objet d’une procédure pendante devant le Tribunal et la Cour, en application de l’article 3 du règlement (CEE) n° 2988/74 du Conseil, du 26 novembre 1974, relatif à la prescription en matière de poursuites et d’exécution dans les domaines du droit des transports et de la concurrence de la Communauté économique européenne (JO L 319, p. 1) (considérants 169 et 170). Ainsi, compte tenu des circonstances de l’espèce, la Commission a considéré qu’elle avait jusqu’à la fin de l’année 2003 pour arrêter une nouvelle décision (considérant 172). Elle a, en outre, indiqué qu’il n’y avait pas violation des droits de la défense si la nouvelle décision était arrêtée dans un délai raisonnable (considérant 164).

27      En ce qui concerne l’infraction proprement dite, la Commission a indiqué dans la décision attaquée que « le marché de produit et le marché géographique sur lesquels la puissance économique de la requérante [devait] être évaluée [était] le marché de la soude au Royaume-Uni » (considérant 125).

28      Afin d’apprécier le pouvoir de marché de la requérante aux fins de la présente affaire, la Commission a relevé que la part de marché détenue par la requérante sur le marché pertinent était traditionnellement supérieure à 90 % pendant toute la période considérée, ce qui constituait en soi un indice probant d’un degré significatif de pouvoir de marché (considérant 127). Ensuite, elle a examiné les facteurs économiques pertinents et en a conclu dans la décision attaquée que, à tous les moments essentiels, la requérante avait occupé une position dominante au sens de l’article 82 CE (considérants 128 à 136).

29      S’agissant de l’abus de position dominante, la Commission a indiqué dans la décision attaquée que la requérante avait mis en place une « pratique consistant à lier » ses clients au moyen d’un certain nombre de mécanismes qui visaient tous le même but d’exclusion (considérant 138). À cet égard, elle a exposé, au considérant 139 de la décision attaquée, que les ristournes sur tonnage marginal visaient à exclure la concurrence effective par les moyens suivants :

–        inciter les consommateurs à acheter à la requérante le tonnage marginal qu’ils pourraient se procurer auprès d’un deuxième fournisseur ;

–        minimiser ou neutraliser l’impact concurrentiel de General Chemical en maintenant sa présence sur le marché, en termes de prix, de quantités et de clients, dans des limites garantissant le maintien du monopole effectif de la requérante ;

–        éliminer Brenntag du marché ou du moins réduire au minimum son effet concurrentiel ;

–        réduire au minimum le risque de voir les clients se tourner vers d’autres sources d’approvisionnement ;

–        maintenir ou renforcer le monopole virtuel de la requérante sur le marché de la soude au Royaume-Uni.

30      De plus, au point 147 de la décision attaquée, la Commission a précisé que « les accords passés par [la requérante] avec ses gros clients signifiaient que ceux-ci lui étaient liés pour la quasi-totalité de leurs besoins (et dans un cas au moins pour la totalité de ceux-ci), alors que l’effet concurrentiel d’autres fournisseurs était réduit au minimum ».

31      La Commission a également précisé dans la décision attaquée que d’autres incitations financières consolidaient la position dominante de la requérante d’une manière incompatible avec la notion de concurrence inhérente à l’article 82 CE (considérant 149).

32      S’agissant de l’effet sur le commerce entre États membres, la Commission a indiqué dans la décision attaquée que, si les mesures prises par la requérante pour s’assurer le maintien de sa position dominante et de son monopole effectif au Royaume-Uni visaient en premier lieu la concurrence directe de l’extérieur de la Communauté (États-Unis et Pologne) plutôt que les autres producteurs de la Communauté, les ristournes sur tonnage marginal et les autres mécanismes d’exclusion devaient néanmoins être examinés dans le contexte global du phénomène de cloisonnement strict des marchés nationaux dans la Communauté. À cet égard, elle a exposé que la requérante était particulièrement désireuse que General Chemical reste sur le marché en cause comme autre source d’approvisionnement et que, si cette société avait dû quitter totalement ce marché, les consommateurs auraient pu être incités à rechercher d’autres sources d’approvisionnement, peut-être meilleur marché, en Europe de l’Ouest continentale. En outre, elle a relevé que le maintien et le renforcement de la position dominante de la requérante au Royaume-Uni affectaient la totalité de la structure de la concurrence dans le marché commun et garantissaient le maintien du statu quo, fondé sur le cloisonnement des marchés (considérants 151 à 154).

33      La Commission a précisé dans la décision attaquée que les infractions commises avaient été d’une gravité particulière en ce que celles-ci « faisaient partie d’une politique délibérée visant à consolider le contrôle exercé par la requérante sur le [marché de la soude au Royaume-Uni] d’une manière totalement contraire aux objectifs fondamentaux du traité » et « visaient spécifiquement à restreindre ou à affecter l’activité de concurrents déterminés » (considérant 156).

34      La Commission a en outre indiqué dans la décision attaquée que l’infraction avait commencé vers 1983 et s’était poursuivie au moins jusqu’à la fin de l’année 1989. Elle a finalement précisé avoir tenu compte du fait que la requérante avait abandonné le système des ristournes sur tonnage marginal à compter du 1er janvier 1990 (considérants 160 et 161).

35      Par lettres des 18 janvier, 26 janvier et du 8 février 2001, la requérante a formulé une demande d’accès au dossier auprès de la Commission. Par lettre du 14 février 2001, la Commission a rejeté cette demande.

 Procédure

36      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 mars 2001, la requérante a introduit le présent recours.

37      Dans la requête, la requérante a notamment demandé au Tribunal d’ordonner à la Commission de produire les documents figurant à son dossier dans l’affaire COMP/33.133.

38      Le 4 mai 2001, l’affaire a été attribuée à la quatrième chambre du Tribunal et un juge rapporteur a été nommé.

39      Après autorisation du Tribunal, la requérante et la Commission ont présenté leurs observations respectivement les 18 et 23 décembre 2002 sur les conséquences à tirer dans la présente affaire de l’arrêt de la Cour du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission (C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, Rec. p. I‑8375, ci-après l’« arrêt PVC II de la Cour »). Dans ses observations, la requérante a informé le Tribunal qu’elle se désistait du grief tiré de la violation du principe non bis in idem.

40      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée à compter du 1er octobre 2003, le juge rapporteur a été affecté à la première chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée le 8 octobre 2003.

41      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée à compter du 13 septembre 2004, le juge rapporteur a été affecté à la quatrième chambre dans sa nouvelle composition, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée le 19 octobre 2004.

42      Le 11 janvier 2005, le Tribunal a invité la Commission à déposer au greffe une liste énumérative détaillée de l’ensemble des documents composant le dossier administratif. Cette liste devait comporter une indication succincte permettant d’identifier l’auteur, la nature et le contenu de chaque pièce. Il a également demandé à la Commission d’indiquer lesquelles parmi ces pièces étaient accessibles à la requérante, en précisant, le cas échéant, les motifs qui, selon elle, s’opposaient à leur divulgation.

43      Par lettres du 28 janvier 2005, la Commission a déposé au greffe la liste énumérative demandée par le Tribunal et a indiqué que les pièces auxquelles la requérante avait pu accéder lors de la procédure administrative étaient les documents sur lesquels elle s’était fondée pour étayer ses griefs, et qui étaient donc joints à la communication des griefs. Elle a également indiqué qu’elle était « au regret de devoir informer le Tribunal qu’il [apparaissait alors], à la suite, à n’en pas douter, de plusieurs déménagements au cours des dix dernières années, qu’en dépit de recherches approfondies il lui [était] impossible de retrouver certaines pièces » et qu’elle estimait qu’il était de son devoir d’informer sans délai le Tribunal et la requérante que, « bien que la liste jointe aux […] observations énumère l’intégralité des pièces du dossier qu’elle [avait] en sa possession, les pièces manquantes n’y [figuraient] pas ». Selon la Commission, la procédure suivie en 1990 respectait la jurisprudence alors applicable au droit d’accès au dossier. Elle a ajouté que rien n’indiquait à ce stade que, dans le dossier, il existât des pièces qui auraient pu avoir une influence réelle sur l’issue de la décision 91/300, même en tenant compte de l’évolution de la jurisprudence depuis 1990.

44      Par lettre du 13 avril 2005, le Tribunal a invité la requérante à indiquer les documents figurant sur la liste énumérative dont elle n’avait pas eu communication lors de la procédure administrative et qui, à son avis, étaient susceptibles de contenir des éléments qui auraient pu être utiles à sa défense.

45      Par lettre du 9 mai 2005, la requérante a souligné que certains des documents manquants auraient été utiles pour sa défense. Elle a également indiqué, parmi les documents répertoriés dans la liste, ceux qui lui semblaient utiles à sa défense et qu’elle souhaitait consulter. Selon elle, ces documents auraient pu lui permettre de développer son argumentation quant à la définition du marché géographique pertinent, à l’existence de la position dominante, à l’exploitation abusive de cette position dominante et à l’affectation du commerce entre États membres.

46      Par lettre du 7 juin 2005, le Tribunal a invité la Commission à déposer au greffe du Tribunal les documents composant le dossier administratif contenus dans les « sous-dossiers » 2 à 38, 50 à 59 et 60 à 65, à l’exception des documents internes. La Commission était également invitée à déposer des versions non confidentielles ou des résumés non confidentiels en lieu et place des documents comportant des secrets d’affaires, des informations qui lui ont été communiquées lors de la procédure administrative, sous réserve d’en respecter la confidentialité ou d’autres informations confidentielles. En outre, la Commission était invitée à produire la version complète, y compris les éléments confidentiels, des documents mentionnés ci-dessus aux fins de la vérification de leur caractère confidentiel.

47      Le 21 juin 2005, la Commission a demandé au Tribunal, compte tenu de la longueur des documents, de pouvoir déposer un seul original accompagné de CD-ROM. Cette demande a été acceptée le 4 juillet 2005.

48      Par lettre du 20 juillet 2005, la Commission a déposé au greffe les documents demandés par le Tribunal. Le greffe a ensuite adressé à la requérante les CD-ROM déposés par la Commission.

49      Le 13 octobre 2005, la requérante a présenté ses observations quant à l’utilité pour sa défense des documents composant le dossier administratif. La Commission a répondu aux observations de la requérante le 26 octobre 2007.

50      À la suite de la cessation des fonctions du juge rapporteur initialement désigné, le président du Tribunal a, par décision du 22 juin 2006, nommé un nouveau juge rapporteur.

51      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée à compter du 25 septembre 2007, le juge rapporteur a été affecté à la sixième chambre, à laquelle la présente affaire a, par conséquent, été attribuée le 8 novembre 2007.

52      Le 13 février 2008, M. le juge Tchipev étant empêché de siéger, le président du Tribunal a désigné, en application de l’article 32, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, M. le juge Dittrich pour compléter la chambre.

53      Sur rapport du juge rapporteur, le Tribunal (sixième chambre) a décidé d’ouvrir la procédure orale et, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 64 du règlement de procédure, a posé des questions écrites à la requérante et à la Commission. La requérante et la Commission y ont répondu dans le délai imparti.

54      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions orales du Tribunal lors de l’audience des 26 et 27 juin 2008.

55      Lors de l’audience, le Tribunal a autorisé la requérante à présenter des observations sur les réponses écrites de la Commission du 16 juin 2008. La requérante a présenté ses observations le 9 juillet 2008 et la Commission y a répondu le 3 septembre 2008.

 Conclusions des parties

56      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        déclarer le recours recevable ;

–        déclarer qu’en raison de l’écoulement du temps la Commission n’était pas compétente pour adopter la décision attaquée ou, à titre subsidiaire, qu’elle n’était pas compétente pour lui infliger une amende ;

–        annuler la décision attaquée ;

–        supprimer ou réduire l’amende infligée à l’article 2 de la décision attaquée ;

–        ordonner à la Commission de produire tous ses documents internes relatifs à l’adoption de la décision attaquée, et notamment le procès-verbal de la réunion du collège des commissaires et tous les documents annexés, ainsi que tous les documents soumis au collège des commissaires à cette occasion ;

–        ordonner à la Commission de produire les documents figurant à son dossier dans l’affaire COMP/33.133 ;

–        condamner la Commission aux dépens, y compris les coûts, intérêts compris, de toute garantie fournie par elle liée à l’amende infligée dans la décision attaquée.

57      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours comme non fondé ;

–        rejeter la demande d’accès au dossier introduite par la requérante ;

–        déclarer irrecevable la demande d’obtention d’une ordonnance spécifique la condamnant à payer les dépens de la requérante, y compris les frais et les intérêts occasionnés par la constitution d’une quelconque garantie versée pour l’amende ou, en tout état de cause, la rejeter comme non fondée ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

58      Les conclusions de la requérante visent, à titre principal, à l’annulation de la décision attaquée et, à titre subsidiaire, à l’annulation ou à la réduction de l’amende qui lui a été infligée par ladite décision.

 1. Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée

59      La requérante soulève, en substance, six moyens tendant à l’annulation de la décision attaquée. Ils sont tirés, premièrement, de l’incompétence de la Commission pour adopter la décision attaquée, deuxièmement, d’une violation des formes substantielles, troisièmement, d’une mauvaise appréciation du marché en cause, quatrièmement, de l’absence de position dominante, cinquièmement, de l’absence d’abus de position dominante et, sixièmement, de l’absence d’affectation du commerce entre États membres.

 Sur le premier moyen, tiré de l’incompétence de la Commission pour adopter la décision attaquée

60      Le premier moyen s’articule en deux branches, tirées respectivement d’une application erronée des règles de prescription et d’une violation du principe du délai raisonnable.

 Sur la première branche, tirée d’une application erronée des règles de prescription

–       Arguments des parties

61      La requérante fait observer que, même si le délai de prescription prévu par le règlement n° 2988/74 ne s’applique qu’à la partie de la décision concernée infligeant l’amende, il s’agit d’une partie très significative de ladite décision.

62      Selon la requérante, l’article 3 du règlement n° 2988/74 n’a pas pour effet de proroger le délai de prescription en ce qui concerne une procédure juridictionnelle ayant pour objet une décision finale de la Commission. En effet, la prescription serait suspendue seulement en cas de recours contre des décisions adoptées au cours de la procédure administrative, à savoir les mesures d’instruction, y compris l’adoption d’une communication des griefs ou l’adoption de mesures en vertu des pouvoirs généraux d’enquête conférés par le règlement n° 17. L’interprétation suivie par la Commission dans la décision attaquée serait contraire au texte de l’article 3 du règlement n° 2988/74. La Commission aurait mal interprété l’expression « en matière de poursuites » contenue dans les articles 1er à 3 du règlement n° 2988/74 et aurait ignoré le fait que sa décision finale devait être prise avant l’expiration du délai de prescription. En outre, l’interprétation de la Commission viderait de son sens l’article 2, paragraphe 3, du règlement n° 2988/74 et serait la preuve d’une mauvaise compréhension de la structure dudit règlement en ce que les implications de la prescription découlant d’une décision seraient traitées aux articles 4 à 6 et non aux articles 1er à 3. Enfin, une telle interprétation serait contraire au principe selon lequel, en vue d’assurer la sécurité juridique, la Commission doit mettre fin à ses poursuites dans un délai défini et adopter sa décision finale dans un délai de rigueur de dix ans à partir de la fin de l’infraction, sauf lorsque la Commission a été empêchée de mettre fin à ses enquêtes et à ses procédures en raison de recours juridictionnels formés contre des décisions préliminaires. Or, en l’espèce, la Commission n’aurait pas été empêchée de mettre fin à ses poursuites.

63      La requérante estime que l’approche retenue dans l’arrêt PVC II du Tribunal, point 25 supra, est incompatible avec l’affirmation contenue au point 1098 dudit arrêt selon laquelle l’objectif de l’article 3 du règlement n° 2988/74 est de permettre la suspension du délai de prescription quand la Commission est empêchée d’intervenir pour une raison objective qui ne lui est pas imputable. En effet, un recours contre une décision finale infligeant une amende n’empêcherait pas la Commission d’agir, ladite décision finale étant pleinement exécutoire jusqu’au moment où cette décision est annulée ou déclarée inexistante par le Tribunal.

64      En tout état de cause, le raisonnement selon lequel la Commission a été empêchée d’agir ne saurait, en l’espèce, être applicable au pourvoi formé contre l’arrêt ICI II, point 16 supra. En effet, la Commission aurait été parfaitement libre d’adopter à nouveau la décision 91/300 immédiatement après le prononcé de l’arrêt ICI II, point 18 supra. Le délai supplémentaire résultant du pourvoi serait donc entièrement « attribuable » à la Commission. En outre, ce pourvoi serait sans objet à la lumière de l’arrêt de la Cour du 15 juin 1994, Commission/BASF e.a. (C‑137/92 P, Rec. p. I‑2555), et compte tenu de l’intention de la Commission d’adopter à nouveau la décision 91/300. Ainsi, la Commission ne saurait bénéficier de sa « propre erreur de procédure » et du retard d’une durée de cinq ans dont elle serait à l’origine.

65      Au demeurant, l’interprétation de la Commission serait contraire à l’article 60 du statut de la Cour de justice, selon lequel un pourvoi n’a pas d’effet suspensif. Selon la requérante, même si la durée de la procédure devant le Tribunal devait être prise en considération, le délai de prescription n’aurait été suspendu que pour une période d’environ quatre ans, un mois et quinze jours. La Commission aurait dû, par conséquent, adopter à nouveau la décision 91/300 avant le mois d’avril 1999.

66      En outre, il ressortirait de l’article 3 du règlement n° 2988/74 que, dans le cas d’un pourvoi, ce n’est pas la décision de la Commission qui constitue l’objet de la procédure, mais l’arrêt du Tribunal.

67      Par ailleurs, dans l’arrêt PVC II du Tribunal, point 25 supra, n’aurait pas été spécifiquement abordée la question de savoir si le pourvoi devait être pris en considération par rapport à la suspension du délai de prescription, dans la mesure où, dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, la Commission devait seulement établir si la durée de la procédure devant le Tribunal suspendait le délai de prescription. Ainsi, les observations du Tribunal quant à l’effet du pourvoi sur la suspension de la prescription ne constitueraient qu’un obiter dictum.

68      La requérante ajoute qu’une décision adoptée par la Commission en violation de son propre règlement intérieur ne saurait avoir pour effet de proroger le délai de prescription. En effet, la Commission n’aurait pas correctement authentifié la décision 91/300. Dès lors, cette décision ne pourrait avoir pour effet d’étendre la compétence de la Commission pour infliger des amendes au-delà du délai de prescription normal fixé par le règlement n° 2988/74. En effet, un tel résultat serait contraire au principe selon lequel une partie ne saurait tirer avantage de sa propre faute et au droit naturel. Or, le retard serait entièrement dû à l’action de la Commission et celle-ci ne saurait, en tout état de cause, chercher à tirer avantage de l’article 3 du règlement n° 2988/74.

69      Enfin, l’interprétation des articles 2 et 3 du règlement n° 2988/74 retenue dans l’arrêt PVC II du Tribunal, point 25 supra, permettrait à la Commission d’adopter une série de décisions successives s’étendant jusqu’à la moitié du XXIe siècle. Une telle interprétation serait donc illégale dans la mesure où elle contreviendrait au droit à être jugé dans un délai raisonnable.

70      La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

71      À titre liminaire, il convient de souligner que le règlement n° 2988/74 a institué une réglementation complète régissant en détail les délais dans lesquels la Commission est en droit, sans porter atteinte à l’exigence fondamentale de la sécurité juridique, d’infliger des amendes aux entreprises faisant l’objet de procédures d’application des règles de la concurrence (arrêts du Tribunal du 19 mars 2003, CMA CGM e.a./Commission, T‑213/00, Rec. p. II‑913, point 324, et du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, T‑410/03, Rec. p. II‑881, point 223).

72      Ainsi, en application de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 2, du règlement n° 2988/74 ainsi que de l’article 2, paragraphe 3, du même règlement, la prescription des poursuites est acquise dès lors que la Commission n’a pas prononcé une amende ou une sanction dans les cinq ans suivant le point de départ du délai de prescription sans que, entre-temps, soit intervenu un acte interruptif ou, au plus tard, dans les dix ans suivant le même point de départ si des actes interruptifs ont été accomplis. Néanmoins, en vertu de l’article 2, paragraphe 3, du règlement en cause, le délai de prescription ainsi défini est prorogé de la période pendant laquelle la prescription est suspendue conformément à son article 3 (arrêt PVC II de la Cour, point 39 supra, point 140).

73      Aux termes de l’article 3 du règlement n° 2988/1974, la prescription en matière de poursuites est suspendue aussi longtemps que la décision de la Commission fait l’objet d’une procédure pendante devant la Cour de justice des Communautés européennes.

74      La référence de l’article 3 du règlement n° 2988/74 à « une procédure pendante devant la Cour de justice des Communautés européennes » doit être comprise, depuis la création du Tribunal, comme visant en premier lieu une procédure pendante devant celui-ci, dans la mesure où les recours infligeant des sanctions ou des amendes dans le domaine du droit de la concurrence relèvent de sa compétence.

75      En l’espèce, la requérante ne conteste pas que, sous réserve de la question de la suspension de la prescription en vertu de l’article 3 du règlement n° 2988/74, la période quinquennale de prescription serait venue à échéance au cours de l’année 1995.

76      Dès lors, il convient uniquement d’examiner si, en application de l’article 3 du règlement n° 2988/74, la Commission était en droit d’adopter la décision attaquée le 13 décembre 2000.

77      À cet égard, il résulte du point 157 de l’arrêt PVC II de la Cour, point 39 supra, que, au sens de l’article 3 du règlement n° 2988/74, la prescription est suspendue aussi longtemps que la décision en cause fait l’objet d’une procédure pendante « devant le Tribunal et la Cour ». Ainsi, en l’espèce, la prescription a été suspendue pendant toute la durée de la procédure devant le Tribunal ainsi que pendant toute la durée de la procédure devant la Cour dans le cadre du pourvoi, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur la période allant du prononcé de l’arrêt du Tribunal à la saisine de la Cour.

78      Or, à la suite du recours formé par la requérante devant le Tribunal, le 14 mai 1991, et de l’arrêt rendu le 29 juin 1995, puis du pourvoi devant la Cour, introduit par la Commission, le 30 août 1995 et de l’arrêt rendu le 6 avril 2000, la prescription a été suspendue pour une période minimale de huit ans, huit mois et vingt-deux jours, comme le relève à juste titre la Commission au considérant 171 de la décision attaquée.

79      Par conséquent, à la suite de cette suspension de la prescription, aucune période de plus de cinq ans ne s’est écoulée, en l’espèce, depuis la fin des infractions en cause ou depuis une interruption quelconque de la prescription jusqu’à l’adoption de la décision attaquée, le 13 décembre 2000.

80      Partant, la décision attaquée a été adoptée dans le respect des règles de prescription établies par le règlement n° 2988/74.

81      Aucun des arguments avancés par la requérante n’est de nature à remettre en cause cette considération.

82      Premièrement, il ne résulte nullement des termes des articles 2 et 3 du règlement n° 2988/74 que la « décision de la Commission », visée à l’article 3, qui fait l’objet d’une procédure pendante devant le juge entraînant la suspension de la prescription en matière de poursuites, ne peut être que l’un des actes visés à l’article 2 comme étant interruptifs de cette prescription, et dont la liste serait limitative (arrêt PVC II de la Cour, point 39 supra, point 141). En effet, l’article 3 protège la Commission contre l’effet de la prescription dans des situations dans lesquelles elle doit attendre la décision du juge, dans le cadre de procédures dont elle ne maîtrise pas le déroulement, avant de savoir si l’acte attaqué est ou non entaché d’illégalité. L’article 3 concerne donc des hypothèses dans lesquelles l’inaction de l’institution n’est pas la conséquence d’un manque de diligence. Or, de telles hypothèses se concrétisent aussi bien en cas de recours contre les actes interruptifs énumérés à l’article 2 du règlement n° 2988/74 susceptibles d’être attaqués qu’en cas de recours contre une décision prononçant une amende ou une sanction. Dans ces conditions, tant le libellé de l’article 3 que son objectif couvrent à la fois les recours introduits contre les actes visés à l’article 2 qui sont attaquables et les recours dirigés contre la décision finale de la Commission. Par suite, un recours dirigé contre la décision finale infligeant des sanctions suspend la prescription en matière de poursuites jusqu’à ce que le juge ait définitivement statué sur ledit recours (arrêt PVC II de la Cour, point 39 supra, points 144 à 147).

83      Deuxièmement, la requérante soutient que l’introduction d’un recours contre une décision infligeant des amendes n’empêche en rien la Commission d’adopter une décision de ce type. Cependant, cette interprétation impliquerait, si elle était suivie, que l’institution retire la décision contestée pour lui substituer une autre décision tenant compte du contenu de la contestation. Elle reviendrait à dénier à la Commission le droit même de faire constater par le juge communautaire, le cas échéant, la légalité de la décision attaquée (voir, en ce sens, arrêt PVC II de la Cour, point 39 supra, point 149).

84      Troisièmement, la requérante ne peut tirer argument de ce qu’une décision prononçant des amendes est pleinement exécutoire jusqu’à ce qu’elle ait été annulée par voie juridictionnelle. Par définition, des actes d’exécution d’une décision sanctionnant une infraction ne peuvent être considérés comme des actes visant à l’instruction ou à la poursuite de l’infraction. De tels actes, dont la légalité est de surcroît subordonnée à celle de la décision objet d’un recours, ne sauraient donc produire aucun effet interruptif de la prescription des poursuites en cas d’annulation de la décision contestée judiciairement (voir, en ce sens, arrêt PVC II de la Cour, point 39 supra, point 150).

85      Quatrièmement, il convient de relever que l’article 60 du statut de la Cour et l’article 3 du règlement n° 2988/74 ont un champ d’application différent. L’absence d’effet suspensif d’un pourvoi n’est pas de nature à priver de tout effet l’article 3 du règlement n° 2988/74, qui concerne des situations dans lesquelles la Commission doit attendre la décision du juge communautaire. La thèse de la requérante selon laquelle la Commission ne devait pas tenir compte de la période au cours de laquelle un pourvoi était pendant devant la Cour ne saurait donc être accueillie, car elle aurait pour résultat de priver l’arrêt de la Cour sur pourvoi de sa raison d’être et de ses effets.

86      Cinquièmement, la requérante ne peut prétendre que, à la suite de l’annulation de la décision 91/300 pour défaut d’authentification, la Commission ne saurait tirer profit de sa propre faute en infligeant une amende après l’expiration du délai de prescription quinquennal fixé par le règlement n° 2988/74. En effet, toute annulation d’un acte que la Commission a adopté est nécessairement imputable à celle-ci, en ce sens qu’elle traduit une erreur de sa part. Dès lors, exclure la suspension de la prescription des poursuites lorsque le recours aboutit à reconnaître une erreur imputable à la Commission priverait de tout sens l’article 3 du règlement. C’est le fait même qu’un recours est pendant devant le Tribunal ou la Cour qui justifie la suspension, et non les conclusions auxquelles parviennent ces juridictions dans leur arrêt (voir, en ce sens, arrêt PVC II de la Cour, point 39 supra, point 153).

87      Sixièmement, le recours en annulation vise à ce que le Tribunal examine si l’acte attaqué est ou non entaché d’illégalité (voir, en ce sens, arrêt PVC II de la Cour, point 39 supra, point 144).

88      Septièmement, l’interprétation de l’article 3 du règlement n° 2988/74 proposée par la requérante aboutit à des difficultés pratiques sérieuses. En effet, si la Commission doit adopter une nouvelle décision à la suite de l’annulation d’une décision par le Tribunal sans attendre l’arrêt de la Cour, il existe un risque que deux décisions ayant le même objet coexistent dans l’hypothèse où la Cour annulerait l’arrêt du Tribunal.

89      Huitièmement, il apparaît contraire aux exigences d’économie de la procédure administrative d’imposer à la Commission, dans le seul but d’éviter que la prescription ne soit acquise, l’adoption d’une nouvelle décision avant de savoir si la décision initiale est ou non entachée d’illégalité.

90      Il résulte de tout ce qui précède que la première branche du premier moyen doit être écartée.

 Sur la seconde branche, tirée de la violation du principe du délai raisonnable

–       Arguments des parties

91      La requérante affirme que, indépendamment des questions de prescription, l’écoulement du temps depuis les prétendues infractions affecte la compétence de la Commission pour adopter la totalité de la décision attaquée et non la seule partie relative aux amendes.

92      Se référant au point 121 de l’arrêt PVC II du Tribunal, point 25 supra, et au principe du délai raisonnable, la requérante estime qu’il est nécessaire d’examiner si la Commission a adopté la décision attaquée dans un délai raisonnable à l’issue des procédures administratives en matière de concurrence.

93      Selon la requérante, il peut être présumé que la Commission a violé le principe du délai raisonnable lorsque plus de onze ans et demi se sont écoulés dans une affaire entre l’ouverture de l’enquête et l’adoption de la décision attaquée.

94      La requérante fait observer que, si la procédure devant le Tribunal et celle devant la Cour ont duré 105 mois au total, la Commission a consacré 35 mois à l’adoption de sa décision, y compris les 9 mois compris entre l’arrêt Commission/ICI, point 19 supra, et la décision attaquée. En outre, il serait légitime de prendre en compte la durée de la procédure juridictionnelle, en particulier lorsque cette procédure a trait à une décision différente et est antérieure à la décision attaquée.

95      Selon la requérante, la prise en considération de la durée de la procédure devant la Cour est particulièrement inacceptable. À la suite des arrêts ICI II, point 16 supra, et Commission/BASF e.a., point 64 supra, la Commission aurait été consciente que la décision 91/300 était viciée par un défaut d’authentification. Si la Commission avait l’intention d’adopter à nouveau sa décision, elle aurait dû le faire à ce stade, au lieu d’introduire un pourvoi devant la Cour qui a eu pour effet de retarder l’adoption de ladite décision de cinq ans et demi.

96      Se référant à l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme Garyfallou AEBE c. Grèce du 27 septembre 1997 (Recueil des arrêts et décisions, 1997-V, p. 1821), la requérante estime qu’il est nécessaire d’examiner la procédure dans son ensemble afin de vérifier si l’affaire a été jugée dans un délai raisonnable.

97      Par ailleurs, la requérante soutient que l’écoulement du temps depuis les prétendues infractions l’empêche d’exercer pleinement ses droits de la défense. Tout d’abord, elle fait valoir qu’elle a vendu sa division « Carbonate de soude » à un acheteur indépendant, le 6 octobre 1991, et qu’elle n’est plus active sur le marché du carbonate de soude au Royaume-Uni. Ensuite, elle soutient que les membres de son personnel chargés du dossier à l’époque ont quitté l’entreprise et ne sont plus disponibles pour lui fournir l’assistance nécessaire. En outre, l’écoulement du temps depuis les prétendues infractions aggraverait son préjudice financier, en augmentant par exemple les coûts supportés pour garantir des dépenses et/ou les effets des intérêts de retard. En tout état de cause, l’arrêt PVC II du Tribunal, point 25 supra, serait contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, selon laquelle la protection de l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), ne dépend pas de la preuve que le délai a causé un préjudice effectif aux intérêts d’un requérant. La violation d’une obligation fondamentale de la CEDH pourrait seulement conduire à l’annulation de la décision attaquée et non simplement au paiement de dommages et intérêts.

98      La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

99      À titre liminaire, il convient de rappeler que le respect du principe du délai raisonnable s’impose, en matière de concurrence, aux procédures administratives diligentées en application du règlement n° 17 et susceptibles d’aboutir aux sanctions fixées par celui-ci, et à la procédure juridictionnelle (arrêt PVC II de la Cour, point 39 supra, point 179).

100    En premier lieu, la requérante fait valoir que la durée de la procédure administrative, prise dans son ensemble, c’est-à-dire entre l’ouverture de l’enquête et l’adoption de la décision attaquée, a excédé un délai raisonnable.

101    Cet argument doit être rejeté.

102    En effet, dans le cadre de l’examen d’un grief pris d’une violation du principe du délai raisonnable, il y a lieu d’opérer une distinction entre la procédure administrative et la procédure juridictionnelle. Ainsi, la période durant laquelle le juge a examiné la légalité de la décision 91/300 ainsi que la validité de l’arrêt ICI II, point 16 supra, ne peut pas être prise en compte lors de la détermination de la durée de la procédure devant la Commission (voir, en ce sens, arrêt PVC II du Tribunal, point 25 supra, point 123).

103    En deuxième lieu, la requérante critique la durée de la procédure administrative entre le prononcé de l’arrêt Commission/ICI, point 19 supra, et l’adoption de la décision attaquée.

104    À cet égard, il convient de rappeler que cette période a débuté le 6 avril 2000, date du prononcé de l’arrêt Commission/ICI, point 19 supra, et a pris fin le 13 décembre 2000 avec l’adoption de la décision attaquée. Cette étape de la procédure administrative a par conséquent duré huit mois et sept jours.

105    Lors de cette période, la Commission a uniquement procédé à des modifications de forme de la décision 91/300, notamment par l’introduction d’un nouveau passage relatif aux « procédures devant le Tribunal de première instance et la Cour de justice », concernant l’appréciation du respect des délais de prescription. Par ailleurs, l’adoption de la décision attaquée n’a été précédée d’aucun acte d’instruction supplémentaire, la Commission s’étant fondée sur les résultats de l’enquête menée dix ans auparavant. Cependant, il convient d’admettre que, même dans ces conditions, certaines vérifications et concertations au sein de l’administration peuvent s’avérer indispensables aux fins d’arriver à un tel résultat.

106    Dans cette perspective, il n’y a pas lieu de considérer le délai de huit mois et sept jours qui s’est écoulé entre le prononcé de l’arrêt Commission/ICI, point 19 supra, et l’adoption de la décision attaquée comme étant déraisonnable.

107    En troisième lieu, la requérante critique, en substance, la durée de la procédure administrative ayant abouti à l’adoption de la décision 91/300 (voir point 94 supra).

108    Toutefois, si on prend en compte la durée de la procédure administrative à partir de la communication des griefs ainsi que la durée de la procédure avant celle-ci (voir, à cet égard, arrêt de la Cour du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C‑105/04 P, Rec. p. I‑8725, point 51), il y a lieu de relever que cette durée n’est pas excessivement longue, à la lumière des vérifications effectuées à partir du mois d’avril 1989, des demandes de renseignements effectuées par la suite et de l’ouverture de la procédure d’office du 19 février 1990. Dans ces conditions, la durée de la procédure administrative ayant abouti à l’adoption de la décision 91/300 ne saurait être considérée comme déraisonnable.

109    Il y a lieu d’ajouter que, en tout état de cause, la violation du principe du délai raisonnable ne justifierait l’annulation d’une décision prise à l’issue d’une procédure administrative en matière de concurrence qu’en tant qu’elle emporterait également une violation des droits de la défense de l’entreprise concernée. En effet, lorsqu’il n’est pas établi que l’écoulement excessif du temps a affecté la capacité des entreprises concernées de se défendre effectivement, le non-respect du principe du délai raisonnable est sans incidence sur la validité de la procédure administrative (voir, en ce sens, arrêt PVC II du Tribunal, point 25 supra, point 122).

110    À cet égard, la requérante prétend qu’il lui aurait été difficile d’exercer ses droits de la défense dès lors qu’elle aurait vendu sa division « Carbonate de soude » à un acheteur indépendant, le 6 octobre 1991, ne serait plus active sur le marché du carbonate de soude au Royaume-Uni et ne pourrait contacter les membres de son personnel chargés du dossier à l’époque, ceux-ci ayant quitté l’entreprise, pour obtenir l’assistance nécessaire.

111    Cependant, il convient de relever que la Commission n’a pas effectué d’acte d’instruction entre le prononcé de l’arrêt Commission/ICI, point 19 supra, et l’adoption de la décision attaquée.

112    Dès lors, par rapport à la première période ayant abouti à la décision 91/300 et n’ayant présenté aucun inconvénient du point de vue de l’exercice des droits de la défense, aucun élément nouveau n’a été pris en compte par la Commission nécessitant l’exercice d’un droit de la défense.

113    Dans ces circonstances, les droits de la défense de la requérante n’ont pas été violés.

114    En quatrième lieu, s’agissant de la procédure juridictionnelle, il y a lieu de rappeler que le principe général de droit communautaire selon lequel toute personne a droit à un procès équitable, qui s’inspire de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, et notamment le droit à un procès dans un délai raisonnable, est applicable dans le cadre d’un recours juridictionnel contre une décision de la Commission infligeant à une entreprise des amendes pour violation du droit de la concurrence. Le caractère raisonnable du délai est apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire et, notamment, de l’enjeu du litige pour l’intéressé, de la complexité de l’affaire ainsi que du comportement du requérant et de celui des autorités compétentes. La liste de ces critères n’est pas exhaustive et l’appréciation du caractère raisonnable du délai n’exige pas un examen systématique des circonstances de la cause au regard de chacun d’eux lorsque la durée de la procédure apparaît justifiée au regard d’un seul. Ainsi, la complexité de l’affaire peut être retenue pour justifier un délai de prime abord trop long (voir arrêt de la Cour du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, Rec. p. I‑729, points 115 à 117, et la jurisprudence citée).

115    En outre, dans l’arrêt du 17 décembre 1998, Baustahlgewebe/Commission (C‑185/95 P, Rec. p. I‑8417), après avoir constaté que le Tribunal avait méconnu les exigences liées au respect du délai raisonnable, la Cour a, pour des raisons d’économie de procédure et afin de garantir un remède immédiat et effectif contre une telle irrégularité de procédure, déclaré le moyen tiré de la durée excessive de la procédure fondé aux fins de l’annulation de l’arrêt attaqué dans la mesure où il fixe le montant de l’amende infligée à la requérante à la somme de 3 millions d’écus. En l’absence de tout indice que la durée de la procédure ait eu une incidence sur la solution du litige, la Cour a jugé que ce moyen ne saurait aboutir à l’annulation de l’arrêt attaqué dans son ensemble, mais qu’un montant de 50 000 écus constituait une satisfaction équitable, en raison de la durée excessive de la procédure, et a donc réduit le montant de l’amende infligée à l’entreprise concernée.

116    Par conséquent, en l’absence de tout indice que la durée de la procédure ait eu une incidence sur la solution du litige, un éventuel dépassement du délai raisonnable par le juge en l’espèce, même en le supposant établi, n’aurait aucune incidence sur la légalité de la décision attaquée » (cette solution a été retenue au point 140 de l’arrêt du Tribunal du 17 décembre 2009, Solvay/Commission, T-57/01, non publié au Recueil).

117    Il convient d’ajouter que, dans la requête, la requérante n’a pas formulé de demande en indemnité.

118    Partant, il y a lieu d’écarter la seconde branche du premier moyen et, en conséquence, de rejeter le premier moyen dans son ensemble.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des formes substantielles

119    Le deuxième moyen s’articule, en substance, en cinq branches, tirées, premièrement, du caractère illégal des phases préparatoires à la décision 91/300, deuxièmement, du délai excessif entre la procédure administrative et l’adoption de la décision attaquée, troisièmement, de l’obligation de procéder à de nouvelles démarches procédurales, quatrièmement, d’une violation du droit d’accès au dossier et, cinquièmement, d’une violation de l’article 253 CE.

 Sur la première branche, tirée du caractère illégal des phases préparatoires à la décision 91/300

–       Arguments des parties

120    La requérante fait valoir que les démarches procédurales effectuées par la Commission avant l’adoption d’une décision ne représentent que des phases préparatoires et ne sont pas, en elles-mêmes, susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation. Il se déduirait de la nature accessoire des phases procédurales antérieures à l’adoption de cette décision que, contrairement à ce qu’énonce le point 189 de l’arrêt PVC II du Tribunal, point 25 supra, l’annulation de ladite décision doit également entraîner l’annulation de ces phases procédurales antérieures. En l’espèce, la Commission ne saurait dès lors invoquer lesdites phases procédurales antérieures à la décision 91/300 comme constituant les étapes procédurales nécessaires pour l’adoption de la décision attaquée.

121    En outre, selon la requérante, la Commission a ouvert une seule procédure administrative pour les infractions présumées aux articles 81 CE et 82 CE. Les deux affaires auraient été séparées uniquement au stade de l’adoption des décisions 91/297 et 91/300. La requérante rappelle également que, dans l’arrêt ICI I, point 17 supra, le Tribunal a jugé que les droits de la défense avaient été violés au stade de la procédure administrative. Or, cette décision aurait des conséquences sur la décision 91/300, puisque la Commission a suivi exactement la même procédure administrative. Ainsi, le Tribunal aurait dû conclure, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt ICI II, point 16 supra, à l’annulation de la décision 91/300 pour violation des droits de la défense.

122    Dans la réplique, la requérante ajoute que, dans l’arrêt ICI II, point 16 supra, le Tribunal s’est montré très critique vis-à-vis de l’analyse du marché en cause par la Commission, qui a consisté à dissocier les éléments de preuve concernant les allégations relatives à l’article 81 CE, d’une part, et à l’article 82 CE, d’autre part, et à conduire des procédures distinctes.

123    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

124    À titre liminaire, il convient de rappeler que la décision 91/300 a été annulée pour un vice de forme, à savoir l’absence d’authentification, qui concernait exclusivement les modalités de l’adoption définitive de cette décision par la Commission.

125    Or, selon une jurisprudence constante, l’annulation d’un acte communautaire n’affecte pas nécessairement les actes préparatoires, la procédure visant à remplacer l’acte annulé pouvant en principe être reprise au point précis auquel l’illégalité est intervenue (arrêt de la Cour du 12 novembre 1998, Espagne/Commission, C‑415/96, Rec. p. I‑6993, points 31 et 32, et arrêt PVC II de la Cour, point 39 supra, point 73).

126    En l’espèce, dès lors que le vice procédural constaté est intervenu au stade ultime de l’adoption de la décision 91/300, l’annulation n’a pas affecté la validité des mesures préparatoires de cette décision, antérieures au stade où ce vice avait été constaté (voir, en ce sens, arrêt PVC II de la Cour, point 39 supra, point 75).

127    Par ailleurs, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel, dans l’arrêt ICI I, point 17 supra, le Tribunal a annulé la décision 91/297 pour violation des droits de la défense, il y a lieu de rappeler que, dans l’arrêt ICI II, point 16 supra, à l’origine de la présente affaire, le Tribunal a également examiné de façon détaillée le moyen tiré de la violation des droits de la défense et qu’il l’a rejeté dans son ensemble (voir point 73). La Cour a ensuite rejeté le pourvoi formé contre ce dernier arrêt.

128    En outre, même si le dossier administratif est commun aux affaires COMP/33.133, les décisions 91/297 et 91/300 concernent des infractions de nature différente, sur deux marchés différents. Or, la violation des droits de la défense doit être examinée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce, en ce qu’elle dépend essentiellement des griefs retenus par la Commission pour établir l’infraction reprochée à l’entreprise concernée (arrêts ICI I, point 17 supra, point 70, et arrêt ICI II, point 16 supra, point 50 ; voir, également, arrêt de la Cour du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, Rec. p. I‑123, point 127).

129    Partant, il y a lieu d’écarter la première branche du deuxième moyen.

 Sur la deuxième branche, tirée du délai excessif entre la procédure administrative et l’adoption de la décision attaquée

–       Arguments des parties

130    La requérante fait valoir qu’un délai de dix ans s’est écoulé entre les phases procédurales antérieures à l’adoption des décisions 91/297 et 91/300, d’une part, et la décision attaquée, d’autre part, ce qui constitue un déni de la protection des droits de la défense. Selon elle, les entreprises doivent avoir l’occasion d’exprimer leur point de vue et de défendre effectivement leurs intérêts. Dès lors, il ne serait possible d’adopter des décisions, en particulier lorsqu’elles infligent des amendes, que dans un délai raisonnable après que les entreprises ont pu faire connaître leurs observations, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

131    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

132    En premier lieu, comme indiqué dans le cadre de l’examen de la première branche du premier moyen, la prescription prévue par l’article 3 du règlement n° 2988/74 a été suspendue pendant toute la durée de la procédure devant le Tribunal et la Cour à la suite de l’introduction du pourvoi contre l’arrêt ICI II, point 16 supra. Dès lors, il ne saurait être reproché à la Commission d’avoir attendu que le Tribunal et la Cour aient statué avant adopter la décision attaquée. À cet égard, le fait que la Commission n’a pas adopté la décision attaquée au cours de la procédure devant le Tribunal et la Cour est justifié par le respect de la procédure juridictionnelle et des futurs arrêts.

133    En deuxième lieu, ainsi qu’il ressort de l’examen de la deuxième branche du premier moyen, la Commission n’a pas violé le principe du délai raisonnable en adoptant la décision attaquée le 13 décembre 2000.

134    En troisième lieu, il résulte de l’examen de la troisième branche du deuxième moyen, mené ci-après (points 151, 153 et 168), que la Commission n’était pas tenue, en l’espèce, d’effectuer de nouvelles démarches procédurales à la suite de l’annulation de la décision 91/300, intervenue pour un vice de forme concernant exclusivement les modalités de l’adoption définitive de ladite décision.

135    Dès lors, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir donné à la requérante l’occasion de présenter à nouveau ses arguments à la suite de l’annulation de la décision 91/300.

136    En conséquence, il y a lieu d’écarter la deuxième branche du deuxième moyen.

 Sur la troisième branche, tirée d’une violation de l’obligation de procéder à de nouvelles démarches procédurales

–       Arguments des parties

137    La requérante soutient que la Commission aurait dû effectuer de nouvelles démarches procédurales préalablement à l’adoption de la décision attaquée.

138    Premièrement, la requérante fait valoir que la Commission aurait dû lui adresser une nouvelle communication des griefs. Selon elle, les allégations contenues dans la communication des griefs notifiée en 1990 ont été faites dans le cadre de « l’accusation selon laquelle ‘le cloisonnement des marchés’ entre le Royaume-Uni et l’Europe de l’Ouest continentale ainsi que le principe du ‘marché national’ [étaient] la conséquence d’un accord ou d’une pratique concertée entre Solvay et [elle] ». Or, la requérante fait observer que la décision de la Commission sur cette entente a été annulée par le Tribunal et qu’elle n’a plus fait l’objet de poursuites à cet égard. Dès lors, la requérante estime qu’elle avait le droit de recevoir, avant l’adoption de la décision attaquée, une communication des griefs qui ne reprenne pas l’allégation de concertation. Cette communication des griefs aurait dû également exposer les griefs de la Commission à la lumière du développement du droit entre 1990 et 2000, notamment en ce qui concerne la définition du marché en cause.

139    Deuxièmement, la requérante affirme que la Commission aurait dû l’auditionner à nouveau et lui donner l’occasion de développer ses arguments. Elle estime que, dans l’arrêt PVC II du Tribunal, point 25 supra, celui-ci ne pouvait invoquer le fait qu’aucun grief nouveau n’avait été formulé. En effet, les entreprises devraient avoir l’occasion de présenter des observations sur tous les griefs soulevés contre elles, notamment à la lumière de nouvelles questions qui pourraient être pertinentes pour leur défense.

140    Selon la requérante, le droit d’être entendu concerne non seulement les éléments de fait, mais également les éléments de droit, comme l’aurait reconnu le Tribunal dans les arrêts ICI I, point 17 supra, et PVC II du Tribunal, point 25 supra. En outre, dans ses arrêts du 3 octobre 1991, Italie/Commission (C‑261/89, Rec. p. I‑4437), et du 4 février 1992, British Aerospace et Rover/Commission (C‑294/90, Rec. p. I‑493), la Cour aurait reconnu que le droit d’être entendu s’applique avant l’adoption d’une deuxième décision substantiellement identique à la première. Or, en l’espèce, plusieurs éléments, à savoir le fait qu’elle a quitté le marché en cause en 1991, l’annulation de la décision 91/297, ainsi que les conclusions des décisions antidumping dans les années 90, auraient une influence sur la manière dont il convient d’examiner les griefs.

141    Par ailleurs, le droit d’être entendu à nouveau résulterait des règles de procédure du Tribunal. En effet, dans l’hypothèse où la Cour renverrait une affaire au Tribunal, l’article 119, paragraphe 1, du règlement de procédure donnerait aux parties le droit de déposer des mémoires d’observations écrites nonobstant le fait que la procédure écrite serait normalement considérée comme close. De la même façon, l’article 4 du protocole n° 7 à la CEDH disposerait qu’une nouvelle décision, adoptée à la suite d’une décision finale antérieure, ne peut être adoptée que lorsque l’affaire est rouverte conformément à la loi et à la procédure pénale de l’État concerné.

142    La requérante en déduit que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que ses droits de la défense avaient été adéquatement protégés par la faculté qui lui avait été donnée d’être entendue au cours de la procédure administrative.

143    Troisièmement, la requérante rappelle le rôle essentiel du conseiller-auditeur qui veille à ce que, préalablement à l’adoption d’une décision, les parties concernées aient pu exercer pleinement leurs droits de la défense et que les éléments essentiels de droit ou de fait qu’elles ont soulevés soient communiqués au directeur général de la concurrence, aux membres de la Commission et au comité consultatif. Elle soutient également que, ses droits de la défense impliquant la faculté d’être entendue à nouveau avant l’adoption de la décision attaquée, elle aurait dû également bénéficier du droit à l’implication du conseiller-auditeur, dont elle a été privée.

144    Quatrièmement, la requérante estime que, compte tenu de son droit d’être entendue à nouveau avant l’adoption de la décision attaquée, la Commission aurait dû également consulter à nouveau le comité consultatif. Dans l’arrêt PVC II du Tribunal, point 25 supra, celui-ci aurait décidé à tort que la consultation du comité consultatif n’était nécessaire que dans les situations dans lesquelles les entreprises devaient être entendues. En outre, il résulterait du règlement n° 17 qu’une consultation séparée est requise pour chaque décision distincte, indépendamment de la question de savoir si les entreprises ont également été entendues et du degré de similitude des décisions. Par conséquent, même si la décision attaquée n’avait contenu que des modifications d’ordre rédactionnel par rapport à la décision 91/300, la Commission aurait dû consulter à nouveau le comité consultatif avant l’adoption de la décision attaquée. En outre, la composition du comité consultatif aurait sans doute été modifiée substantiellement et son avis en 2000 n’aurait pas nécessairement coïncidé avec celui exprimé en 1990.

145    Cinquièmement, la requérante soutient que, lors de l’adoption de la décision attaquée, le collège des commissaires aurait dû avoir l’occasion d’examiner tous les faits, circonstances et questions juridiques pertinents à ce moment. Or, il aurait été privé de cette possibilité du fait que la Commission n’a pas entendu à nouveau les entreprises concernées, ni consulté à nouveau le comité consultatif. La requérante en déduit que, si le collège des commissaires avait eu connaissance de tous les faits, il aurait pu ne pas parvenir à la même décision.

146    Sixièmement, la requérante fait observer que la porte-parole de la Commission, dont les déclarations sont reproduites dans le communiqué de presse de l’agence Reuters du 12 décembre 2000, a indiqué que la décision attaquée serait adoptée lors de la réunion du collège des commissaires le 13 décembre 2000. Il résulterait de ces déclarations que la décision attaquée avait déjà été adoptée avant ladite réunion, en violation du règlement intérieur de la Commission et du principe de collégialité.

147    Enfin, la requérante demande au Tribunal d’ordonner la production du dossier soumis au collège des commissaires et du procès-verbal de la réunion avec tous les documents annexés.

148    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

149    Premièrement, il convient de relever que la requérante prétend, en substance, qu’elle aurait dû recevoir une nouvelle communication des griefs en 2000, dès lors que les allégations figurant dans la communication des griefs qui lui avait été notifiée en 1990 reposaient sur l’existence d’un cloisonnement des marchés, lequel était la conséquence d’un accord ou d’une pratique concertée entre Solvay et elle, accord sanctionné par la décision 91/297, qui avait ensuite été annulée par l’arrêt ICI I, point 17 supra.

150    Cependant, ainsi que cela ressort du point 126 supra, l’annulation de la décision 91/300 n’a pas affecté la validité des actes de procédure antérieurs et, en particulier, de la communication des griefs.

151    La Commission n’était donc pas, du seul fait de cette annulation, tenue d’adresser une nouvelle communication des griefs à la requérante.

152    En outre, il y a lieu de relever que, dans le cadre de la communication des griefs qui avait été notifiée à la requérante en 1990, la Commission avait formulé plusieurs reproches et que les griefs tirés, d’une part, de la violation de l’article 81 CE et, d’autre part, de la violation de l’article 82 CE étaient autonomes et reposaient sur des éléments de preuve différents. Par conséquent, le fait que le Tribunal a annulé la décision 91/297 pour violation du droit d’accès au dossier ne saurait remettre en cause les reproches selon lesquels la requérante a abusé de sa position dominante sur le marché en cause.

153    Deuxièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la Commission aurait dû l’entendre à nouveau, il convient de rappeler que, lorsque la Commission, après l’annulation d’une décision sanctionnant des entreprises ayant enfreint l’article 82 CE, en raison d’un vice de procédure concernant exclusivement les modalités de son adoption définitive par le collège des commissaires, adopte une nouvelle décision, d’un contenu substantiellement identique et fondée sur les mêmes griefs, elle n’est pas obligée de procéder à une nouvelle audition des entreprises concernées (voir, en ce sens, arrêt PVC II du Tribunal, point 25 supra, points 246 à 253, confirmé par l’arrêt PVC II de la Cour, point 39 supra, points 83 à 111).

154    Quant aux questions de droit susceptibles de se poser dans le cadre de l’application de l’article 233 CE, comme celles relatives à l’écoulement du temps, à la possibilité d’une reprise des poursuites, à l’accès au dossier qui serait inhérent à la reprise de la procédure, à l’intervention du conseiller-auditeur et du comité consultatif ainsi qu’à d’éventuelles implications de l’article 20 du règlement n° 17, elles n’exigent pas davantage de nouvelles auditions, dans la mesure où elles ne modifiaient pas le contenu des griefs, étant seulement justiciables, le cas échéant, d’un contrôle juridictionnel ultérieur (voir, en ce sens, arrêt PVC II de la Cour, point 39 supra, point 93).

155    En l’espèce, la Commission a repris la quasi-intégralité du contenu de la décision 91/300. Elle a seulement complété la décision attaquée par un passage concernant la procédure devant le Tribunal et la Cour.

156    Dès lors, il convient de constater que la décision attaquée et la décision 91/300 ont un contenu substantiellement identique et sont fondées sur les mêmes motifs.

157    Par conséquent, conformément à la jurisprudence citée aux points 153 et 154 ci-dessus, la Commission n’était pas tenue en l’espèce d’auditionner à nouveau la requérante avant d’adopter la décision attaquée.

158    Troisièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel elle aurait dû bénéficier de l’implication du conseiller-auditeur avant l’adoption de la décision attaquée, il convient de rappeler que la Commission a créé la fonction de conseiller-auditeur, avec effet au 1er septembre 1982, selon une communication intitulée « Information relative aux procédures d’application des règles de concurrence des traités CEE et CECA (articles [81 CE] et [82 CE] ; articles 65 [CA], et 66 [CA]) » (JO 1982, C 251, p. 2).

159    Dans la communication mentionnée au point 158 ci-dessus, la Commission a défini la fonction de conseiller-auditeur de la manière suivante :

« Le conseiller-auditeur a pour mission d’assurer le bon déroulement de l’audition et de contribuer par là au caractère objectif tant de l’audition que de la décision ultérieure éventuelle. Il veille notamment à ce que tous les éléments de fait pertinents, qu’ils soient favorables ou défavorables aux intéressés, soient dûment pris en considération dans l’élaboration des projets de décision de la Commission en matière de concurrence.

Dans l’exercice de ses fonctions, il veille au respect des droits de la défense, tout en tenant compte de la nécessité d’une application efficace des règles de concurrence, en conformité avec les règlements en vigueur et les principes retenus par la Cour de justice. »

160    Les fonctions du conseiller-auditeur ont été précisées dans une décision du 24 novembre 1990, dont l’article 2 était rédigé dans des termes identiques à ceux de la définition initiale, puis dans la décision 94/810/CECA, CE de la Commission, du 12 décembre 1994, relative au mandat des conseillers-auditeurs dans le cadre des procédures de concurrence devant la Commission (JO L 330, p. 67). Cette décision, qui était en vigueur au moment de l’adoption de la décision attaquée, a remplacé et annulé les deux décisions précédentes. Son article 2 était rédigé dans des termes semblables à ceux de la définition initiale.

161    Par conséquent, il résulte du contenu même de la mission confiée au conseiller-auditeur intervenu dans la procédure antérieurement à l’adoption de la décision attaquée que l’intervention en cause était nécessairement liée à l’audition des entreprises, dans la perspective d’une éventuelle décision.

162    Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que, comme une nouvelle audition n’était pas nécessaire en l’espèce après l’annulation de la décision 91/300, une nouvelle intervention du conseiller-auditeur dans les conditions prévues par la décision du 24 novembre 1990, qui était entre-temps entrée en vigueur, n’était pas non plus requise (voir, en ce sens, arrêt PVC II de la Cour, point 39 supra, point 127).

163    Quatrièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel le comité consultatif aurait dû être consulté préalablement à l’adoption de la décision attaquée, il convient de rappeler que l’article 10 du règlement n° 17, dans sa version applicable au moment des faits, prévoit ce qui suit :

« 3. Un comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes est consulté préalablement à toute décision consécutive à une procédure visée au paragraphe 1 et à toute décision concernant le renouvellement, la modification ou la révocation d’une décision prise en application de l’article [81], paragraphe 3, [CE].

[…]

5. La consultation a lieu au cours d’une réunion commune sur l’invitation de la Commission et au plus tôt quatorze jours après l’envoi de la convocation. [À] celle-ci seront annexés un exposé de l’affaire avec indication des pièces les plus importantes et un avant-projet de décision pour chaque cas à examiner. »

164    Par ailleurs, l’article 1er du règlement n° 99/63/CEE de la Commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prévues à l’article 19, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 17 (JO 1963, 127, p. 2268) dispose :

« Avant de consulter le comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes, la Commission procède à une audition en application de l’article 19, paragraphe 1, du règlement n° 17. »

165    Selon une jurisprudence constante, il résulte de l’article 1er du règlement n° 99/63 que l’audition des entreprises intéressées et la consultation du comité sont nécessaires dans les mêmes situations (arrêt de la Cour du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, Rec. p. 2859, point 54, et arrêt PVC II de la Cour, point 39 supra, point 115).

166    Le règlement n° 99/63 a été remplacé par le règlement (CE) n° 2842/98 de la Commission, du 22 décembre 1998, relatif à l’audition dans certaines procédures fondées sur les articles [81 CE] et [82 CE] (JO L 354, p. 18), en vigueur au moment de l’adoption de la décision attaquée, dont l’article 2, paragraphe 1, est rédigé dans des termes proches de ceux de l’article 1er du règlement n° 99/63.

167    En l’espèce, il y a lieu de constater que, aux termes de la décision attaquée, le comité consultatif en matière d’ententes et de positions dominantes a été consulté préalablement à la décision 91/300. La requérante ne conteste ni l’existence ni la régularité de cette consultation.

168    Dès lors, dans la mesure où la décision attaquée ne comporte pas de modifications substantielles par rapport à la décision 91/300, la Commission, qui n’était pas tenue d’entendre à nouveau la requérante avant d’adopter la décision attaquée, n’était pas davantage tenue de procéder à une nouvelle consultation du comité consultatif (voir, en ce sens, arrêt PVC II de la Cour, point 39 supra, point 118).

169    Par ailleurs, aux termes de l’article 10, paragraphe 4, du règlement n° 17, dans sa version applicable au moment des faits :

« Le comité consultatif est composé de fonctionnaires compétents en matière d’ententes et de positions dominantes. Chaque État membre désigne un fonctionnaire qui le représente et qui peut être remplacé en cas d’empêchement par un autre fonctionnaire. »

170    Selon la jurisprudence, la modification de la composition d’une institution n’affecte pas la continuité de l’institution elle-même, dont les actes définitifs ou préparatoires conservent, en principe, tous leurs effets (arrêt de la Cour du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, Rec. p. I‑4023, point 36).

171    En outre, il n’existe aucun principe général de droit imposant la continuité dans la composition de l’organe administratif saisi d’une procédure pouvant aboutir à une amende (arrêt PVC II du Tribunal, point 25 supra, points 322 et 323).

172    Cinquièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel, lors de l’adoption de la décision attaquée, le collège des commissaires aurait dû avoir l’occasion d’examiner tous les faits, circonstances et questions juridiques pertinents à ce moment, il convient de rappeler que la Commission n’a commis aucune erreur de droit en ne procédant pas, après l’annulation de la décision 91/300, à une nouvelle audition des entreprises concernées avant l’adoption de la décision attaquée.

173    En outre, comme il a été observé aux points 162 et 167 ci-dessus, une nouvelle intervention du conseiller-auditeur et une nouvelle consultation du comité consultatif ne s’imposaient pas en l’espèce.

174    Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient la requérante, le dossier soumis au collège des commissaires ne devait pas contenir, notamment, un nouveau rapport du conseiller-auditeur et un nouveau compte rendu de consultation du comité consultatif. En conséquence, la prémisse du raisonnement de la requérante relatif à la composition de ce dossier est erronée, de sorte que ledit raisonnement est dénué de fondement (voir, en ce sens, arrêt PVC II de la Cour, point 39 supra, points 130 à 133).

175    Sixièmement, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel la décision attaquée aurait été adoptée avant la réunion du collège des commissaires, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le principe de collégialité repose sur l’égalité des membres de la Commission dans la participation à la prise de décision et implique notamment que les décisions soient délibérées en commun et que tous les membres du collège soient collectivement responsables, sur le plan politique, de l’ensemble des décisions arrêtées (arrêts de la Cour du 29 septembre 1998, Commission/Allemagne, C‑191/95, Rec. p. I‑5449, point 39, et du 13 décembre 2001, Commission/France, C‑1/00, Rec. p. I‑9989, point 79).

176    Le respect du principe de collégialité, et spécialement la nécessité que les décisions soient délibérées en commun, intéresse nécessairement les sujets de droit concernés par les effets juridiques qu’elles produisent, en ce sens qu’ils doivent être assurés que ces décisions ont été effectivement prises par le collège et correspondent exactement à la volonté de ce dernier. Tel est le cas, en particulier, des actes, qualifiés expressément de décisions, que la Commission est amenée à prendre à l’égard des entreprises ou des associations d’entreprises en vue du respect des règles de concurrence et qui ont pour objet de constater une infraction à ces règles, d’émettre des injonctions à l’égard de ces entreprises et de leur infliger des sanctions pécuniaires (arrêt Commission/BASF e.a., point 64 supra, points 64 et 65).

177    En l’espèce, la requérante invoque le fait que, selon un communiqué de presse de l’agence Reuters du 12 décembre 2000, la porte-parole de la Commission a annoncé que celle-ci adopterait à nouveau la même décision le 13 décembre 2000.

178    Cependant, à supposer que la porte-parole de la Commission ait tenu les propos auxquels la requérante se réfère, le simple fait que le communiqué de presse d’une société privée fasse mention d’une déclaration ne présentant aucun caractère officiel ne saurait suffire à considérer que la Commission a violé le principe de collégialité. En effet, le collège des commissaires n’était aucunement lié par cette déclaration et, lors de sa réunion du 13 décembre 2000, il aurait donc pu également décider, au terme d’une délibération en commun, de ne pas adopter la décision attaquée.

179    En conséquence, il n’y a pas lieu d’ordonner à la Commission de produire tous ses documents internes relatifs à l’adoption de la décision attaquée et notamment le procès-verbal de la réunion du collège des commissaires et tous les documents annexés, ainsi que tous les documents soumis au collège des commissaires à cette occasion.

180    Il résulte de tout ce qui précède que la troisième branche du deuxième moyen doit être écartée.

 Sur la quatrième branche, tirée de la violation du droit d’accès au dossier

–       Arguments des parties

181    La requérante fait valoir que, après avoir reçu la décision attaquée, elle a demandé à avoir accès au dossier au début de l’année 2001, ce que la Commission a refusé. Cet accès lui aurait également été refusé en 1990.

182    La requérante souligne que la Commission aurait dû lui donner accès au dossier nonobstant le fait que la décision attaquée était déjà adoptée, pour plusieurs raisons. Premièrement, la Commission l’aurait privée d’une nouvelle occasion de demander l’accès au dossier en adoptant la décision attaquée sans rouvrir la procédure administrative et sans même lui indiquer son intention. Deuxièmement, la Commission, qui avait refusé d’accorder l’accès au dossier en 1990, aurait pu rectifier cette erreur au moment de l’adoption de la décision attaquée. Troisièmement, la communication de la Commission relative aux règles de procédure interne pour le traitement des demandes d’accès au dossier dans les cas d’application des articles [81 CE] et [82 CE], des articles 65 [CA] et 66 [CA] et du règlement (CEE) n° 4064/89 du Conseil (JO 1997, C 23, p. 3, ci-après la « communication sur l’accès au dossier »), aurait établi des règles plus favorables aux entreprises en ce qui concerne l’accès au dossier. La requérante estime donc que, comme tout autre destinataire d’une décision adoptée en 2000, elle aurait dû bénéficier de ces nouvelles règles.

183    La requérante reconnaît que ses arguments relatifs à l’accès au dossier ont été rejetés dans l’arrêt ICI II, point 16 supra. Toutefois, elle soutient que cela n’empêche pas le Tribunal de formuler une appréciation lui étant favorable dans la présente affaire.

184    Selon la requérante, le dossier contenait certainement de la correspondance et des documents émanant de ses clients du Royaume-Uni, notamment des fabricants de verre, de ses concurrents au Royaume-Uni ainsi que des importateurs américains. Les réponses écrites et les documents émanant de verriers et de clients du Royaume-Uni auraient pu l’aider dans sa défense en ce qui concerne les allégations de position dominante et d’exploitation abusive de celle-ci. De même, des renseignements émanant de ses concurrents auraient pu lui fournir un éclairage sur des éléments de la décision attaquée. En outre, les documents émanant de producteurs de l’Europe de l’Ouest continentale auraient pu l’aider en ce qui concerne l’analyse du marché en cause et, notamment, sur la question de l’effet appréciable sur la concurrence ou le commerce entre États membres. Il en résulterait que le Tribunal a commis une erreur dans l’arrêt ICI II, point 16 supra, en jugeant que ses droits de la défense n’avaient pas été violés.

185    De plus, la requérante soutient qu’elle a le droit de soulever à nouveau la question de l’accès au dossier. D’une part, lorsque le Tribunal a examiné la question de l’accès au dossier dans l’arrêt ICI II, point 16 supra, il l’aurait fait sur la base de la liste énumérative produite par la Commission. Or, cette liste n’aurait pas identifié complètement les documents contenus dans le dossier. D’autre part, à la suite de l’annulation de la décision 91/300, elle n’aurait pas eu de raison de consacrer du temps et de l’argent à introduire un pourvoi incident sur la question de l’accès au dossier, d’autant plus qu’elle estimait à l’époque que l’arrêt ICI II, point 16 supra, serait probablement confirmé sur pourvoi. La requérante estime que, « si la Commission l’avait emporté, [elle] aurait alors pu introduire un pourvoi sur [cette question], après avoir été entendue à nouveau sur le fond par [le Tribunal] ».

186    Dans la réplique, la requérante ajoute que la question de l’accès au dossier n’est pas revêtue de l’autorité de la chose jugée. Selon elle, cette question n’a pas été effectivement ou nécessairement tranchée dans l’arrêt ICI II, point 16 supra. Elle fait valoir que, même si elle a eu la possibilité de former un pourvoi incident sur cette question, il ne saurait lui être reproché de ne pas l’avoir fait, dès lors que ce pourvoi incident n’était pas nécessaire compte tenu de l’arrêt Commission/BASF e.a., point 64 supra. En outre, se référant aux conclusions de l’avocat général M. Jacob sous l’arrêt de la Cour du 9 mars 1994, TWD Textilwerke Deggendorf (C‑188/92, Rec. p. I‑833), la requérante soutient qu’il n’était pas manifestement indubitable ou évident qu’un pourvoi incident était nécessaire ou que celui-ci ait été d’une quelconque utilité. À cet égard, elle précise que, si la thèse de la Commission sur la question de l’autorité de la chose jugée devait être retenue, cela encouragerait l’introduction de nombreux pourvois incidents et alourdirait inutilement la charge de travail de la Cour.

187    Par ailleurs, l’appréciation du Tribunal en ce qui concerne l’accès au dossier serait erronée dans l’arrêt ICI II, point 16 supra. Selon la requérante, il est suffisant d’établir que des documents non divulgués ont pu avoir une importance qui n’aurait pas dû être négligée, comme le Tribunal l’a déclaré dans l’arrêt ICI I, point 17 supra. En outre, si le Tribunal était amené à se prononcer aujourd’hui sur la question de l’accès au dossier qui lui avait été posée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt ICI II, point 16 supra, il ne serait pas du tout évident qu’il parvienne à la même conclusion que celle à laquelle il était parvenu dans cet arrêt du fait de l’évolution du droit. À cet égard, la requérante invoque notamment la communication sur l’accès au dossier.

188    La requérante fait également valoir que, à la suite de la mesure d’instruction ordonnée par le Tribunal lui donnant accès au dossier, elle a pu constater des failles importantes dans la gestion des documents par la Commission, qui ont eu plusieurs conséquences.

189    En premier lieu, la requérante soutient qu’il est impossible que la Commission ait pu adopter sa décision après un examen complet et loyal de tous les éléments de preuve à sa disposition.

190    En deuxième lieu, la requérante fait observer que la Commission a perdu au moins cinq sous-dossiers. Or, selon elle, un sous-dossier et demi devait contenir de la correspondance échangée au titre de l’article 11 du règlement n° 17 entre elle et la Commission et trois sous-dossiers et demi devaient contenir de la correspondance entre ses clients et ses concurrents au Royaume-Uni et la Commission. La perte de ces dossiers aurait eu pour conséquence de l’handicaper très sérieusement dans sa défense devant le Tribunal. La requérante fait valoir que, si elle avait eu accès à des informations indépendantes provenant de ses clients au Royaume-Uni, elle aurait disposé d’éléments probants supplémentaires pour conforter sa thèse, si bien que la Commission serait probablement parvenue à une conclusion différente notamment quant à la question de l’existence d’une position dominante, de l’exploitation abusive de la position dominante, de l’effet sur le commerce entre États membres et de l’amende.

191    En troisième lieu, la requérante indique que certains documents existants qu’elle a consultés lui auraient également permis de conforter sa thèse et de remettre en question plusieurs conclusions auxquelles la Commission est parvenue dans la décision attaquée.

192    La Commission rétorque que « le droit d’accès au dossier est un point revêtu de l’autorité de la chose jugée au détriment de [la requérante] ». Selon elle, toute demande d’accès au dossier après l’adoption d’une décision est sans objet.

193    S’agissant des observations de la requérante formulées à la suite de la mesure d’instruction ordonnée par le Tribunal, la Commission fait observer que cette mesure a permis de confirmer que les affirmations de la requérante faites au cours de la procédure administrative et dans ses actes procéduraux au sujet de violations de ses droits de la défense, étaient dénuées de tout fondement. Après avoir pris connaissance d’un dossier comptant près de 25 000 documents, la requérante n’aurait trouvé que 60 documents qui étayeraient son argumentation. Toutefois, selon la Commission, aucun d’entre eux ne lui aurait été de la moindre utilité.

194    S’agissant de la perte des sous-dossiers, constatée à la suite de la mesure d’instruction ordonnée par le Tribunal, la Commission estime que celle-ci n’a aucune incidence sur la légalité de la décision attaquée et qu’il ne faut pas surestimer l’importance du fait que 5 sous-dossiers sur 71 ont été perdus. Selon elle, la requérante n’avance aucune raison permettant de penser que ces sous-dossiers devaient contenir des éléments de preuve en sa faveur, qui ne lui ont pas été montrés, mais qui l’auraient aidée à réfuter les allégations formulées dans la communication des griefs. La Commission ajoute que, quand bien même les sous-dossiers perdus contiendraient de la correspondance avec les clients et les concurrents de la requérante, comme cette dernière le soutient, cela n’aurait pas été pas utile à la requérante, puisque, dans ce cas, il ne pourrait s’agir que d’éléments qui soit ne présentaient aucun intérêt et n’ont donc pas été utilisés, soit étaient, dans la meilleure des hypothèses, semblables à ceux qu’elle avait vus et dont elle n’avait pu tirer aucun argument.

195    En ce qui concerne l’incohérence dans la numérotation et la mauvaise gestion des documents invoquée par la requérante, la Commission soutient que le critère pour déterminer si les droits de la défense ont été respectés est de savoir si une partie a vu le document et, dans le cas contraire, si le document lui aurait permis de soulever un argument qu’elle n’a pas été en mesure d’invoquer à l’époque. Cela dépend exclusivement de la consultation du document et non du dossier dans lequel la Commission l’a placé, ni de la façon dont elle a numéroté ses dossiers.

–       Appréciation du Tribunal

196    À titre liminaire, il importe de rappeler que la Cour a reconnu l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique communautaire que dans les ordres juridiques nationaux, le principe d’autorité de la chose définitivement jugée. En effet, afin de garantir aussi bien la stabilité du droit et des relations juridiques qu’une bonne administration de la justice, il importe que des décisions juridictionnelles devenues définitives après épuisement des voies de recours disponibles ou après expiration des délais prévus pour ces recours ne puissent plus être remises en cause (arrêts de la Cour du 30 septembre 2003, Köbler, C‑224/01, Rec. p. I‑10239, point 38, et du 16 mars 2006, Kapferer, C‑234/04, Rec. p. I‑2585, point 20).

197    Selon une jurisprudence constante, l’autorité de la chose jugée s’attachant à un arrêt est susceptible de faire obstacle à la recevabilité d’un recours si celui ayant donné lieu à l’arrêt en cause a opposé les mêmes parties, a porté sur le même objet et a été fondé sur la même cause (voir, en ce sens, arrêts de la Cour du 19 septembre 1985, Hoogovens Groep/Commission, 172/83 et 226/83, Rec. p. 2831, point 9, et du 22 septembre 1988, France/Parlement, 358/85 et 51/86, Rec. p. 4821, point 12 ; arrêt du Tribunal du 8 mars 1990, Maindiaux e.a./CES, T‑28/89, Rec. p. II‑59, point 23), étant précisé que ces conditions ont nécessairement un caractère cumulatif (arrêt du Tribunal du 5 juin 1996, NMB France e.a./Commission, T‑162/94, Rec. p. II‑427, point 37).

198    L’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement ou nécessairement tranchés par la décision judiciaire en cause (arrêt de la Cour du 19 février 1991, Italie/Commission, C‑281/89, Rec. p. I‑347, point 14, et ordonnance de la Cour du 28 novembre 1996, Lenz/Commission, C‑277/95 P, Rec. p. I‑6109, point 50).

199    Dans l’arrêt ICI II, point 16 supra, le Tribunal a examiné le moyen tiré d’une violation des droits de la défense, résultant du refus de la Commission d’accorder à la requérante l’accès au dossier.

200    Afin de savoir si le moyen était fondé, le Tribunal a procédé, dans l’arrêt ICI II, point 16 supra, à un examen sommaire des griefs de fond que la Commission a retenus dans la communication des griefs et dans la décision 91/300.

201    La première branche du moyen, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt ICI II, point 16 supra, était tirée de la non-divulgation, vis-à-vis de la requérante, de documents éventuellement à décharge. En premier lieu, s’agissant de l’argument selon lequel le refus de la Commission d’accorder l’accès aux documents des producteurs avait pu affecter sa défense, le Tribunal a jugé que les constatations opérées dans la décision 91/300 quant à la position dominante, l’abus de position dominante et l’affectation du commerce entre États membres n’étaient pas susceptibles d’être remises en cause par les documents non communiqués. En second lieu, s’agissant du refus d’accès aux dossiers émanant de la requérante elle-même, le Tribunal a considéré qu’elle pouvait se prévaloir de documents provenant de sa propre sphère. Le Tribunal en a conclu que, dans les circonstances de l’espèce, c’est à juste titre que la Commission avait refusé d’accorder à la requérante l’accès à ces dossiers et de lui fournir une liste des documents y figurant.

202    La deuxième branche du moyen, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt ICI II, point 16 supra, était tirée de la non-divulgation, vis-à-vis de la requérante, de certains documents à charge. Le Tribunal a jugé que, s’agissant des constatations faites par la Commission relatives à la remise spéciale qu’une société aurait offerte au Royaume-Uni, la manière de procéder de la Commission était difficilement conciliable avec les droits de la défense, mais que le vice constaté n’avait pas affecté en l’espèce l’exercice par la requérante de ses droits de la défense. Par ailleurs, les autres arguments avancés par la requérante relevaient de l’examen du fond de l’affaire et étaient étrangers au moyen tiré d’une violation des droits de la défense.

203    En conséquence, le Tribunal a écarté le moyen tiré de la violation des droits de la défense dans son ensemble.

204    Ensuite, le Tribunal a examiné le moyen tiré de l’authentification irrégulière de la décision 91/300 et a conclu à l’annulation de ladite décision.

205    Avec le rejet du pourvoi par l’arrêt Commission/ICI, point 19 supra, l’arrêt ICI II, point 16 supra, est une décision juridictionnelle devenue définitive.

206    Conformément à la jurisprudence citée au point 197 supra, pour déterminer si la question de l’accès au dossier est revêtue de l’autorité de la chose jugée, il convient donc d’examiner si le recours ayant donné lieu à l’arrêt ICI II, point 16 supra, et le recours introduit dans la présente affaire opposent les mêmes parties, portent sur le même objet et sont fondées sur la même cause.

207    S’agissant de la condition relative à l’identité des parties en cause dans le cadre des deux recours, force est de constater qu’elle est remplie en l’espèce. En effet, comme le recours ayant donné lieu à l’arrêt ICI II, point 16 supra, le recours introduit dans la présente affaire oppose la requérante à la Commission. S’agissant des conditions relatives à l’identité d’objet et de cause, il y a lieu de relever d’emblée que, formellement, la Commission a adopté deux décisions, à savoir la décision 91/300 et la décision attaquée. Toutefois, il résulte des développements qui précèdent (voir notamment points 24, 111, 112 et 156 ci-dessus) que, d’une part, le contenu de la décision attaquée est identique à celui de la décision 91/300 à l’exception d’une partie nouvelle intitulée « Procédures devant le Tribunal de première instance et la Cour de justice » et, d’autre part, la décision attaquée est fondée sur les mêmes motifs que ceux de la décision 91/300. La Commission était en effet fondée à adopter la décision attaquée dans les mêmes termes que ceux de la décision 91/300 sans être tenue d’effectuer de nouvelles démarches procédurales à la suite de l’annulation de la décision 91/300, dans la mesure où le vice de forme concernait exclusivement les modalités de l’adoption définitive de ladite décision et où l’annulation n’a pas affecté la validité des mesures préparatoires de cette décision.

208    Dès lors que la Commission n’a pas effectué d’acte d’instruction entre le prononcé de l’arrêt Commission/ICI, point 19 supra, et l’adoption de la décision attaquée, que le contenu de la décision attaquée est identique à celui de la décision 91/300, à l’exception du passage correspondant à la procédure devant le Tribunal et la Cour, et que la requérante demande à nouveau l’accès au dossier, il convient de constater que le litige porte sur le même objet et est fondé sur la même cause.

209    Les conditions d’identité de parties, d’objet et de cause étant cumulativement remplies en l’espèce, conformément à la jurisprudence citée au point 197 ci-dessus, il y a lieu de considérer que le point de droit concernant l’accès au dossier dans l’affaire COMP/33.133 – D : Carbonate de soude – ICI a été effectivement tranché par le juge et qu’il est, dès lors, revêtu de l’autorité de la chose jugée.

210    Cette autorité de la chose jugée fait obstacle à ce que ce point de droit soit à nouveau soumis au Tribunal et examiné par celui-ci.

211    Il en résulte que la quatrième branche du deuxième moyen doit être écartée comme étant irrecevable.

212    Toutefois, à titre surabondant, il convient de relever que, à supposer que le point de droit relatif à l’accès au dossier n’ait pas été revêtu de l’autorité de la chose jugée, les observations présentées par la requérante, le 13 octobre 2005, à la suite de la consultation du dossier dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure ne sont pas de nature à remettre en cause les conclusions du Tribunal figurant dans l’arrêt ICI II, point 16 supra.

213    S’agissant de l’argument de la requérante selon lequel certains documents lui auraient permis de conforter sa thèse et de remettre en question plusieurs conclusions auxquelles la Commission est parvenue dans la décision attaquée, il y a lieu de relever que la requérante n’a pas démontré que la non-divulgation de ces documents et informations ait pu influencer, au détriment de celle-ci, le déroulement de la procédure administrative et le contenu de la décision de la Commission ainsi que l’exige la jurisprudence s’agissant des éléments à décharge (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2008, Hoechst/Commission, point 71 supra, point 146, et la jurisprudence citée).

214    En effet, la requérante n’a pas démontré que, si elle avait pu se prévaloir des documents contenus dans le dossier lors de la procédure administrative, elle aurait pu invoquer des éléments qui ne concordaient pas avec les déductions opérées à ce stade par la Commission et aurait donc pu influencer, de quelque manière que ce soit, les appréciations portées par cette dernière dans la décision éventuelle, au moins en ce qui concerne la gravité et la durée du comportement qui lui était reproché, et, partant, le montant de l’amende.

215    S’agissant de l’existence d’une position dominante, la requérante prétend que, si elle avait eu accès au cours de la procédure administrative à certains documents dont elle a pris connaissance à la suite de la consultation du dossier dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, cela lui aurait permis de réfuter l’allégation de la Commission selon laquelle elle détenait une position dominante sur le marché en cause. La requérante estime qu’elle aurait pu invoquer notamment des documents émanant de Solvay, de producteurs allemands et de ses clients au Royaume-Uni pour démontrer l’importance des produits de substitution tels que la soude caustique, le calcin ou la dolomie et illustrer la pression concurrentielle exercée par les importations en provenance des États-Unis.

216    À cet égard, il convient tout d’abord de relever, que la Commission s’est essentiellement fondée sur la part de marché de 90 % traditionnellement détenue par la requérante pour établir que cette dernière occupait une position dominante sur le marché en cause. Or, aucun indice ne permet de présumer que la requérante aurait pu découvrir dans les « sous-dossiers » manquants des documents infirmant la constatation qu’elle détenait une position dominante sur le marché du carbonate de soude (voir, en ce sens, arrêt ICI II, point 16 supra, point 61). En outre, selon la jurisprudence, des parts de marché extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante (arrêt de la Cour du 13 février 1979, Hoffmann-La Roche/Commission, 85/76, Rec. p. 461, point 41, et arrêt du Tribunal du 23 octobre 2003, Van den Bergh Foods/Commission, T‑65/98, Rec. p. II‑4653, point 154). Or, la requérante n’invoque aucun fait susceptible de constituer de telles circonstances exceptionnelles. Enfin, à supposer même que de tels faits aient existé et soient mentionnés dans les documents contenus dans les « sous-dossiers » manquants, la requérante ne pouvait pas les ignorer compte tenu des circonstances de l’espèce, de sorte qu’il n’a pas été porté atteinte à ses droits de la défense à cet égard.

217    Ensuite, s’agissant de l’argument relatif aux produits de substitution, il y a lieu de relever que la Commission n’a jamais contesté que la soude caustique et le calcin soient dans une certaine mesure substituables au carbonate de soude ainsi que cela ressort des considérants 129 à 134 de la décision attaquée. Toutefois, elle a considéré que cette substituabilité limitée n’excluait pas la position dominante de la requérante sur le marché en cause. En outre, la requérante étant à l’époque des faits le seul producteur de carbonate de soude au Royaume-Uni, elle était la mieux placée pour connaître la situation sur le marché en cause et pour fournir à l’appréciation de la Commission les éléments nécessaires quant à la question de la substituabilité du carbonate de soude par la soude caustique ou le calcin. Dès lors, contrairement à ce que fait valoir la requérante, cette dernière n’avait nullement besoin de documents de producteurs continentaux qui concernaient d’autres marchés ni de documents émanant de ses clients au Royaume-Uni pour tenter de démontrer qu’elle n’était pas dominante sur le marché en cause en raison de la substituabilité partielle du carbonate de soude par la soude caustique et par le calcin. Quant à la substituabilité du carbonate de soude par la dolomie, il y a lieu de relever que la requérante se fonde sur un document émanant d’un concurrent qui concerne une visite effectuée dans sa propre usine. Par conséquent, la requérante ne pouvait ignorer l’existence d’un tel document ou, à tout le moins, les informations qu’il était susceptible de contenir. En tout état de cause, la requérante ne démontre pas que des éléments relatifs à la substituabilité par la dolomie aurait pu influencer les appréciations de la Commission quant à sa position dominante sur le marché en cause.

218    Enfin, s’agissant de l’argument selon lequel des documents provenant de ses clients du Royaume-Uni ou de producteurs continentaux illustreraient la pression concurrentielle exercée par les producteurs américains sur le marché en cause, il y a lieu de relever que l’impact exercé par les concurrents américains est analysé en détail par la Commission dans la décision attaquée, qui tient compte de ces importations et qui explique que la concurrence américaine était contenue par des mesures antidumping (considérants 51 à 54 et 128). En tout état de cause, compte tenu du fait que la requérante était à l’époque des faits le seul producteur de soude au Royaume-Uni, elle disposait nécessairement des informations quant au marché en cause et à l’effet des importations en provenance des États-Unis sur ce marché pour se défendre au cours de la procédure administrative.

219    Dès lors, il convient de considérer que, dans ses observations du 13 octobre 2005, la requérante n’avance aucun élément permettant d’établir que la non-divulgation lors de la procédure administrative des documents consultés et des documents prétendument contenus dans les « sous-dossiers » manquants a pu influencer, à son détriment, le déroulement de ladite procédure et le contenu de la décision attaquée quant à l’existence de sa position dominante sur le marché en cause.

220    S’agissant de l’exploitation abusive de la position dominante, la requérante soutient que, si elle avait eu accès au cours de la procédure administrative à certains documents dont elle a pris connaissance à la suite de la consultation du dossier dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure ainsi qu’aux informations indépendantes provenant de clients et de concurrents au Royaume-Uni prétendument contenues dans les « sous-dossiers » manquants, cela lui aurait permis de démontrer que ses remises n’étaient pas par nature destinées à exclure des concurrents et qu’elles étaient essentiellement un mode légitime de concurrence. Selon elle, divers documents illustreraient le fait que l’octroi de remises constituait une pratique usuelle chez les producteurs continentaux, ce qui aurait été un élément important pour montrer que ses remises étaient parfaitement compatibles avec les pratiques acceptées dans l’industrie. En outre, elle prétend que des documents, émanant notamment d’Akzo, faisant référence à la politique de la double source d’approvisionnement ou du second fournisseur, lui auraient été utiles pour analyser la question de savoir si ses remises ont eu pour effet d’exclure des concurrents comme le prétendait la Commission.

221    À cet égard, il y a tout d’abord lieu de relever que l’argument de la requérante selon lequel les remises sur la tranche supérieure constituent une pratique usuelle n’est pas de nature à démontrer que de telles remises, lorsqu’elles sont accordées par une entreprise en position dominante, étaient conformes à l’article 82 CE. Dès lors, la consultation de documents illustrant l’existence d’une telle pratique n’aurait été d’aucune utilité à la requérante.

222    Ensuite, il convient de souligner que le caractère fidélisant du système de remises mis en œuvre par la requérante ressort de preuves documentaires directes. Dans la partie de la décision attaquée consacrée aux « faits », la Commission a cité, aux considérants 61 à 82, de nombreux documents relatifs aux remises sur la tranche supérieure dont il ressort qu’elles ne reflétaient pas des gains d’efficience et des économies d’échelle et que, contrairement à un rabais de quantité lié uniquement au volume des achats, ces remises visaient à exclure les concurrents du marché. Or, dans un cas où, comme en l’espèce, la Commission s’est fondée, dans la décision attaquée, uniquement sur des preuves documentaires directes pour établir les différentes infractions, la requérante doit s’efforcer d’indiquer dans quelle mesure d’autres éléments de preuve auraient pu remettre en cause le caractère fidélisant du système de rabais mis en œuvre ou, à tout le moins, quel éclairage différent aurait pu être donné aux preuves documentaires directes qui n’ont pas été contestées.

223    Enfin, s’agissant de l’argument relatif à la politique du second fournisseur, il y a lieu d’observer que la Commission avait connaissance de ce fait et qu’elle ne l’a jamais contesté, ainsi que cela ressort du considérant 23 de la décision attaquée. Partant, quand bien même la requérante aurait pris connaissance de documents illustrant cette politique, les conclusions de la Commission sur l’exploitation abusive de la position dominante n’en auraient pas été différentes pour autant.

224    Dès lors, il convient de considérer que, dans ses observations du 13 octobre 2005, la requérante n’avance aucun élément permettant d’établir que la non-divulgation lors de la procédure administrative des documents consultés et des documents prétendument contenus dans les « sous-dossiers » manquants a pu influencer, à son détriment, le déroulement de ladite procédure et le contenu de la décision attaquée quant à l’exploitation abusive par elle de sa position dominante.

225    S’agissant de l’effet sur le commerce entre États membres, la requérante soutient que, si elle avait eu accès au cours de la procédure administrative à certains documents dont elle a pris connaissance à la suite de la consultation du dossier dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure ainsi qu’aux informations provenant de clients au Royaume-Uni prétendument contenues dans les « sous-dossiers » manquants, cela lui aurait permis de réfuter l’analyse de la Commission quant à l’affectation du commerce entre États membres. Elle estime que divers documents auraient conforté sa thèse selon laquelle le cloisonnement des marchés nationaux n’était pas dû à son prétendu comportement visant à exclure les concurrents, mais à des éléments tels que l’importance des coûts de transport, la fluctuation des taux de change et les décisions unilatérales des producteurs de ne pas approvisionner certains marchés pour éviter le risque de ventes en représailles.

226    À cet égard, il y a lieu de relever que l’analyse de la Commission quant à l’affectation du commerce entre États membres se fonde notamment sur des documents émanant de la requérante elle-même et, en particulier, sur une note de stratégie de cette dernière du 28 juin 1985, citée au considérant 66 de la décision attaquée, dont il ressort que cette dernière visait à empêcher ou à éliminer toutes les importations de soude dense au Royaume-Uni, à l’exception de celle de General Chemical (considérants 66 à 70 de la décision attaquée). Or, dans un cas où, comme en l’espèce, la Commission s’est fondée, dans la décision attaquée, uniquement sur des preuves documentaires directes pour établir l’infraction, la requérante doit s’efforcer d’indiquer dans quelle mesure d’autres éléments de preuve auraient pu remettre en cause l’affectation du commerce entre États membres ou, à tout le moins, quel éclairage différent aurait pu être donné aux preuves documentaires directes qui n’ont pas été contestées.

227    En outre, en ce qui concerne le cloisonnement des marchés nationaux, il y a lieu de relever que la requérante pouvait développer des arguments pris de l’importance des coûts de transport, de la fluctuation des taux de change et de ventes en représailles lors de la procédure administrative, à la lumière de sa propre expérience sur le marché, sans qu’il soit besoin pour elle d’avoir à se fonder sur des documents émanant d’autres producteurs.

228    Dès lors, il convient de considérer que, dans ses observations du 13 octobre 2005, la requérante n’avance aucun élément permettant d’établir que la non-divulgation lors de la procédure administrative des documents consultés et des documents prétendument contenus dans les « sous-dossiers » manquants a pu influencer, à son détriment, le déroulement de la procédure et le contenu de la décision quant à l’effet de son comportement sur le commerce entre États membres.

229    S’agissant du montant de l’amende, la requérante affirme que, même si les éléments avancés dans ses observations n’avaient pas pu avoir d’influence sur l’appréciation de la Commission quant à la violation de l’article 82 CE, tous ces éléments auraient pu avoir une influence sur l’appréciation de la Commission relative à l’amende. Elle soutient que, si elle avait eu accès au cours de la procédure administrative à certains documents dont elle a pris connaissance à la suite de la consultation du dossier dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure ainsi qu’à des informations provenant de clients au Royaume-Uni figurant dans les « sous-dossiers » manquants, cela lui aurait notamment permis d’invoquer des éléments « de nature à montrer que, dans la pratique, aucun concurrent n’a été privé, de manière significative, d’opportunités de vendre et qu’il n’y a pas eu d’effets négatifs sur le commerce interétatique ».

230    À cet égard, il suffit de relever que la requérante se réfère à des arguments qu’elle a avancés en ce qui concerne les appréciations portées par la Commission dans la décision attaquée quant à l’exploitation abusive par elle de sa position dominante et à l’affectation du commerce entre États membres pour lesquels il a été indiqué aux points 218 à 226 ci-dessus que l’accès au dossier ne lui aurait pas permis d’invoquer des éléments permettant de remettre en cause lesdites appréciations.

231    Dès lors, il convient de considérer que, dans ses observations du 13 octobre 2005, la requérante n’avance aucun élément permettant d’établir que la non-divulgation lors de la procédure administrative des documents consultés et des documents prétendument contenus dans les « sous-dossiers » manquants a pu influencer, à son détriment, le déroulement de ladite procédure et le contenu de la décision attaquée quant au montant de l’amende.

 Sur la cinquième branche, tirée d’une violation de l’article 253 CE

–       Arguments des parties

232    La requérante fait valoir que la Commission n’avait pas l’obligation d’adopter une nouvelle décision à la suite de l’annulation de la décision 91/300. La procédure suivie serait très inhabituelle en ce que la Commission ne lui aurait pas adressé une nouvelle communication des griefs, ni n’aurait organisé une nouvelle audition et une nouvelle consultation du comité consultatif. Dans ces circonstances, l’absence d’explications de la part de la Commission sur la manière de procéder constituerait une violation de l’article 253 CE.

233    La Commission aurait également violé son règlement intérieur (JO 2000, L 308, p. 26) ainsi que le principe de bonne administration en s’abstenant de motiver la décision attaquée et « en n’adoptant pas à nouveau d’autres décisions qui avaient été annulées pour des raisons [semblables à celles de] l’affaire en 1990 ». À cet égard, le code de bonne conduite administrative pour le personnel de la Commission dans ses relations avec le public, qui est annexé au règlement intérieur de la Commission, prévoirait que toute différence de traitement dans des cas semblables doit être expressément justifiée par la nature particulière de chaque cas et que toute exception à ce principe doit être dûment justifiée. De surcroît, l’absence de motivation de la décision sur des questions importantes, notamment quant à l’appréciation juridique et à l’amende, démontrerait que la Commission a violé l’article 253 CE.

234    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

235    Il y a lieu de constater que le grief invoqué par la requérante manque en fait. En effet, aux considérants 162 à 172 de la décision attaquée, la Commission a motivé son choix d’adopter une nouvelle décision à la suite de l’annulation de la décision 91/300.

236    Le fait que la Commission n’a pas adressé une nouvelle communication des griefs à la requérante, ne l’a pas auditionnée à nouveau et n’a pas consulté à nouveau le comité consultatif ne saurait constituer un défaut de motivation de la décision attaquée. En effet, ces arguments invoqués par la requérante ne visent, en substance, qu’à contester le bien-fondé de l’appréciation de la Commission relative à ces différentes questions et doivent donc être rejetés (voir, en ce sens, arrêt PVC II du Tribunal, point 25 supra, point 389).

237    De même, contrairement à ce que soutient la requérante, la Commission, en décidant de constater dans une nouvelle décision, après l’annulation de la décision 91/300, les infractions retenues par celle-ci, ne s’est pas écartée d’une pratique décisionnelle constante. Elle a simplement confirmé son choix initial de sanctionner ces infractions, ce à quoi ne s’opposait pas l’article 233 CE, qui ne lui imposait que de prendre les mesures que comportait l’exécution de l’arrêt Commission/ICI, point 19 supra, à savoir réparer la seule illégalité constatée par celui-ci (voir, en ce sens, arrêt PVC II de la Cour, point 39 supra, point 451). Par ailleurs, la requérante ne renvoie à aucune autre affaire, qui aurait été similaire à la présente affaire et traitée différemment par la Commission.

238    Partant, il convient d’écarter la cinquième branche du deuxième moyen et, en conséquence, de rejeter le deuxième moyen dans son ensemble.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une mauvaise appréciation du marché en cause

 Arguments des parties

239    Se référant à l’arrêt du Tribunal du 22 mars 2000, Coca‑Cola/Commission (T‑125/97 et T‑127/97, Rec. p. II‑1733), la requérante indique que, dans le cadre du recours en annulation de la décision 91/300, elle n’a pas contesté la conclusion de la Commission selon laquelle le « marché géographique » en cause était celui du Royaume-Uni, ni que le « marché de produit » en cause était celui du carbonate de soude, dense et léger. Cependant, selon la requérante, la Commission ne pouvait se contenter de reproduire dans la décision attaquée des conclusions relatives aux produits et aux marchés géographiques en cause sur la base d’une analyse effectuée dix ans auparavant. La Commission aurait dû examiner si de telles conclusions étaient toujours valables à la lumière de l’évolution du droit et de la pratique au cours de la période qui s’est écoulée entre les deux décisions. La décision attaquée serait donc viciée par une erreur de fait et un défaut de motivation. Par ailleurs, rien dans la décision attaquée n’indiquerait que la Commission a effectué, en 2000, l’une des enquêtes mentionnées dans sa communication sur la définition du marché en cause aux fins du droit communautaire de la concurrence (JO 1997, C 372, p. 5).

240    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

 Appréciation du Tribunal

241    Premièrement, la requérante ne conteste pas que, dans le cadre de l’adoption de la décision 91/300, la Commission a analysé la structure du marché et la concurrence. De même, elle ne soutient pas que, dans le cadre de ladite décision, la Commission ait commis une erreur en définissant le marché géographique et le marché de produits.

242    La requérante indique uniquement que la Commission aurait dû examiner si ses conclusions étaient toujours valables à la lumière de l’évolution du droit et de la pratique au cours de la période qui s’est écoulée entre l’adoption de la décision 91/300 et celle de la décision attaquée. Elle se réfère à l’arrêt Coca‑Cola/Commission, point 239 supra, dans lequel le Tribunal aurait notamment jugé que la constatation par la Commission de l’existence d’une position dominante résulte de l’analyse de la structure du marché en cause et de la concurrence qui y règne au moment de l’adoption par cette dernière de chaque décision (point 81).

243    Toutefois, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, l’institution dont émane l’acte annulé n’est tenue que dans les limites de ce qui est nécessaire pour assurer l’exécution de l’arrêt d’annulation, la procédure visant à remplacer un tel acte peut ainsi être reprise au point précis auquel l’illégalité est intervenue (voir arrêt de la Cour du 29 novembre 2007, Italie/Commission, C‑417/06 P, non publié au Recueil, point 52, et la jurisprudence citée). Or, en l’espèce, la décision 91/300 a été annulée par le Tribunal au motif que l’authentification de ladite décision avait été effectuée après sa notification, ce qui constituait une violation d’une forme substantielle au sens de l’article 230 CE.

244    La Commission pouvait donc reprendre son analyse au stade de l’authentification sans devoir examiner si les conclusions relatives au marché en cause qu’elle avait tirées lors de l’adoption de la décision 91/300 étaient toujours valables à la lumière des circonstances de fait et de droit existant au moment de l’adoption de la décision attaquée.

245    L’argument de la requérante tiré du point 81 de l’arrêt Coca‑Cola/Commission, point 239 supra, ne saurait remettre en cause cette conclusion. En effet, la considération selon laquelle la constatation de l’existence d’une position dominante résulte d’une analyse de la structure du marché et de la concurrence qui y règne au moment de l’adoption par la Commission de chaque décision n’implique pas que la Commission doive procéder dans tous les cas à une nouvelle analyse du marché en cause au moment de l’adoption de la décision attaquée. En l’espèce, il y a lieu de considérer que la Commission n’était pas tenue de procéder à une telle analyse dès lors que ce n’était pas nécessaire pour assurer l’exécution de l’arrêt ICI II, point 16 supra. Partant, les arguments de la requérante tirés d’une erreur de fait et d’un défaut de motivation, qui ont été présentés au point 237 ci-dessus, reposent sur une prémisse inexacte et doivent également être rejetés.

246    Par conséquent, il y a lieu de rejeter le troisième moyen.

 Sur le quatrième moyen, tiré de l’absence de position dominante

 Arguments des parties

247    Selon la requérante, il est admis qu’une entreprise qui détient plus de 90 % d’un marché de produit est normalement considérée comme dominante au sens de l’article 82 CE. Cependant, une part de marché élevée ne suffirait pas à établir la position dominante. Or, dans la décision attaquée, la Commission n’aurait pas apprécié correctement certains facteurs qui l’ont empêchée de se comporter de manière indépendante dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs, au sens de l’arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 216 supra. Ainsi, pendant de nombreuses années, ses clients auraient été en position de déterminer la quantité de carbonate de soude qu’ils achèteraient auprès d’elle et auprès d’importateurs ainsi que le montant des produits de substitution. En effet, ses clients auraient établi des relations avec des fournisseurs en Europe de l’Est et aux États-Unis afin de disposer de sources alternatives et de veiller à ce qu’elle demeure concurrentielle en ce qui concerne les prix et la qualité, nonobstant sa part de marché importante. À cet égard, ses clients, et notamment les fabricants de verre, auraient disposé d’une puissance d’achat considérable, ce qui avait pour conséquence qu’elle n’était pas en position dominante. La requérante souligne que la Commission a appliqué le principe d’une puissance d’achat compensatoire dans sa décision 1999/641/CE, du 25 novembre 1998, déclarant une concentration compatible avec le marché commun et le fonctionnement de l’accord EEE (Affaire IV/M.1225 – Enso/Stora) (JO 1999, L 254, p. 9). En l’espèce, la Commission n’aurait pas reconnu que la puissance compensatoire des acheteurs constituait une limitation à sa puissance sur le marché. En outre, la Commission n’aurait pas tenu compte de la disponibilité de produits de substitution et du fait qu’ils sont à l’origine de la baisse du volume de ses ventes depuis 1979.

248    De même, la Commission n’aurait pas pris en compte le fait qu’au moins un producteur de verre d’Europe de l’Ouest continentale a remplacé le carbonate de soude par la soude caustique. La requérante soutient également que la Commission n’a pas apprécié l’importance du calcin en tant que facteur limitatif de sa puissance sur le marché, ni celle d’autres substituts, comme la dolomite, que celle-ci ne mentionne même pas dans la décision attaquée.

249    La requérante admet que ses clients percevaient General Chemical et Brenntag comme des fournisseurs secondaires. Cependant, elle conteste que cette perception puisse constituer un facteur indicatif de sa puissance sur le marché. Selon elle, il aurait suffi qu’un gros client transforme un fournisseur secondaire en un fournisseur principal ou que plusieurs clients augmentent leurs achats auprès d’un fournisseur secondaire pour que toute sa marge bénéficiaire disparaisse.

250    Par ailleurs, l’affirmation de la Commission selon laquelle la requérante a maintenu un niveau de prix supérieur à celui existant dans d’autres États membres serait erronée et ne serait pas corroborée par le moindre élément de preuve. Le fait que ses prix tendaient à être légèrement supérieurs refléterait notamment l’effet sur ses coûts de la chute importante de la demande de carbonate de soude, qui ne s’est pas produite dans une même mesure sur d’autres marchés. Il refléterait également l’influence de facteurs tels que les taux de change et les coûts du carburant.

251    La requérante admet que, pour maintenir la viabilité de ses deux unités de production de carbonate de soude, sa stratégie était de maintenir un volume suffisant de ventes, ce qui impliquait de chercher à augmenter les ventes et de répondre aux offres des fournisseurs alternatifs. En revanche, elle conteste avoir cherché à réduire au minimum la présence ou l’efficacité de General Chemical ou de Brenntag en tant que concurrents.

252    Enfin, les divers règlements et décisions antidumping adoptés par la Commission au cours de la période en cause auraient conclu à l’existence d’un dumping et d’un préjudice substantiel, à l’exemple du règlement (CEE) n° 2253/84, du 31 juillet 1984, instituant un droit antidumping provisoire sur certaines importations d’un certain type de carbonate de sodium originaire des États-Unis d’Amérique et portant acceptation d’engagements concernant d’autres importations du même produit (JO L 206, p. 15). Une telle situation serait incompatible avec l’existence d’une position dominante. Selon la requérante, en procédant à l’imposition de mesures antidumping, la Commission était sans doute d’avis que celles-ci n’étaient pas susceptibles de réduire de manière significative la concurrence ou de créer un monopole et qu’elles étaient dans l’intérêt communautaire.

253    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

 Appréciation du Tribunal

254    Selon une jurisprudence constante, la position dominante visée par l’article 82 CE concerne une situation de puissance économique détenue par une entreprise qui lui donne le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en lui fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients et, finalement, des consommateurs (arrêt de la Cour du 14 février 1978, United Brands et United Brands Continentaal/Commission, 27/76, Rec. p. 207, point 65, et arrêt du Tribunal du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission, T‑201/04, Rec. p. II‑3601, point 229). Une telle position, à la différence d’une situation de monopole ou de quasi-monopole, n’exclut pas l’existence d’une certaine concurrence, mais met la firme qui en bénéficie en mesure sinon de décider, tout au moins d’influencer notablement les conditions dans lesquelles cette concurrence se développera et, en tout cas, de se comporter dans une large mesure sans devoir en tenir compte et sans pour autant que cette attitude lui porte préjudice (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 216 supra, point 39).

255    L’existence d’une position dominante résulte en général de la réunion de plusieurs facteurs, qui, pris isolément, ne seraient pas nécessairement déterminants (arrêt United Brands et United Brands Continental/Commission, point 254 supra, point 66). L’examen de l’existence d’une position dominante sur le marché en cause doit se faire en examinant d’abord sa structure et ensuite la situation concurrentielle sur ledit marché (voir, en ce sens, arrêt United Brands et United Brands Continental/Commission, point 254 supra, point 67).

256    Des parts de marché extrêmement importantes constituent par elles-mêmes, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante. En effet, la possession d’une part de marché extrêmement importante met l’entreprise qui la détient pendant une certaine durée, par le volume de production et d’offre qu’elle représente – sans que les détenteurs de parts sensiblement plus réduites soient en mesure de satisfaire rapidement la demande qui désirerait se détourner de l’entreprise détenant la part la plus considérable –, dans une situation de force qui fait d’elle un partenaire obligatoire et qui, déjà de ce fait, lui assure, tout au moins pendant des périodes relativement longues, l’indépendance de comportement caractéristique de la position dominante (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 216 supra, point 41, et arrêt Van den Bergh Foods/Commission, point 216 supra, point 154). Ainsi, selon la jurisprudence de la Cour, une part de marché de 50 % constitue par elle-même, et sauf circonstances exceptionnelles, la preuve de l’existence d’une position dominante (voir, en ce sens, arrêt de la Cour du 3 juillet 1991, AKZO/Commission, C‑62/86, Rec. p. I‑3359, point 60).

257    De même, une part de marché de 70 à 80 % constitue, en elle-même, un indice clair de l’existence d’une position dominante (arrêts du Tribunal du 12 décembre 1991, Hilti/Commission, T‑30/89, Rec. p. II‑1439, point 92, et du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98, T-212/98 à T‑214/98, Rec. p. II‑3275, point 907).

258    En l’espèce, la Commission a indiqué, au considérant 127 de la décision attaquée, que la requérante avait détenu une part de marché « traditionnellement supérieure à 90 % », et ce « pendant toute la période considérée ». Dans la requête, la requérante ne conteste pas avoir détenu cette part de marché très importante.

259    Il résulte de la détention de telles parts de marché que, sauf circonstances exceptionnelles propres à l’espèce, la requérante détenait une position dominante sur le marché en cause.

260    Au considérant 128 de la décision attaquée, la Commission invoque différents éléments qui complètent son examen des parts de marché de la requérante et vont dans le sens de l’existence d’une position dominante de celle-ci.

261    Par définition, ces éléments ne sauraient se rattacher à des circonstances exceptionnelles permettant de conclure que la requérante n’est pas en position dominante.

262    Par ailleurs, la requérante invoque six arguments qu’il convient d’analyser afin de déterminer si, en l’espèce, il existait de telles circonstances exceptionnelles au sens de la jurisprudence de la Cour.

263    Premièrement, la requérante allègue une pression concurrentielle importante provenant d’autres producteurs de carbonate de soude.

264    À cet égard, il convient tout d’abord de rappeler que l’existence d’un certain degré de concurrence n’est pas incompatible avec l’existence d’une position dominante sur le marché en cause.

265    En outre, il y a lieu d’observer que la requérante ne fournit aucun élément de fait et de preuve visant à remettre en cause l’« absence de toute concurrence de la part de Solvay et des autres producteurs d’Europe occidentale » constatée par la Commission. Bien au contraire, la requérante reconnaît qu’il n’y a pas eu de vente significative de carbonate de soude au Royaume-Uni par ces producteurs continentaux. De même, elle admet « l’improbabilité qu’un ‘nouveau producteur de soude synthétique’ apparaisse sur le marché et crée des capacités de production dans la Communauté » (considérant 128 de la décision attaquée).

266    Par ailleurs, au considérant 128 de la décision attaquée, la Commission a relevé que « les clients ne [considéraient] General Chemical et Brenntag que comme des fournisseurs secondaires », ce que la requérante admet. Cette dernière estime néanmoins qu’il aurait suffi qu’un gros client transforme un fournisseur secondaire en un fournisseur principal ou que plusieurs clients augmentent leurs achats auprès d’un fournisseur secondaire pour que toute sa marge bénéficiaire disparaisse. Cependant, une telle affirmation apparaît purement hypothétique, la requérante n’apportant aucun élément au soutien de son allégation. En tout état de cause, à supposer même que cette affirmation soit fondée, l’argument de la requérante est inopérant dès lors que le seul fait que les clients utilisent une telle menace ne peut constituer une circonstance exceptionnelle excluant l’existence d’une position dominante sur le marché en cause.

267    De même, si la requérante conteste le « succès de [sa stratégie] visant à réduire au minimum la présence ou l’efficacité de General Chemical et de Brenntag en tant que concurrents et à maintenir sa part de marché prédominante au Royaume-Uni », elle n’apporte pas le moindre élément concret à l’appui de son argumentation.

268    Quant aux documents provenant de sources continentales et concernant des concurrents américains, dont la requérante a pris connaissance à la suite de la consultation du dossier dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, ils ne peuvent modifier l’appréciation portée par la Commission en ce qui concerne l’existence d’une position dominante de la requérante sur le marché en cause. En effet, la requérante a évoqué les importations américaines au cours de la procédure administrative et la Commission a pris en compte cette argumentation avant d’adopter la décision attaquée.

269    Il s’ensuit que l’argument de la requérante tiré de l’existence d’une pression concurrentielle exercée par les autres producteurs de carbonate de soude, non étayé, ne saurait constituer une circonstance exceptionnelle excluant l’existence d’une position dominante de la requérante sur le marché en cause.

270    Deuxièmement, la requérante invoque la possibilité d’une substitution du carbonate de soude par la soude caustique, le calcin et la dolomite, ce qui constituait selon elle une pression concurrentielle dans sa relation avec la clientèle.

271    À cet égard, il y a lieu de constater que, aux considérants 129 à 133 de la décision attaquée, la Commission a procédé à une analyse détaillée de la substitution par la soude caustique et a constaté que, dans la pratique, cette possibilité était très limitée. Dans la requête, la requérante ne fournit aucun élément susceptible de remettre en cause cette analyse.

272    S’agissant du calcin, la Commission a indiqué, au considérant 134 de la décision attaquée, que les besoins de soude d’un client pour la production de verre creux pouvaient être réduits de 15 % ou moins par l’utilisation de calcin. Ce pourcentage n’est pas contesté par la requérante. La Commission a également admis qu’il était possible que l’utilisation de calcin réduise la dépendance des clients à l’égard des fournisseurs de soude en général sans toutefois réduire la capacité d’un producteur de soude puissant d’exclure les petits producteurs. Dès lors, il y a lieu de considérer que, contrairement à ce qu’affirme la requérante, la Commission a tenu compte de cette possibilité de substitution du carbonate de soude par le calcin. L’argument de la requérante manque ainsi en fait.

273    S’agissant de la dolomite, la requérante se contente de mentionner son existence, n’avance aucun argument et n’apporte aucun élément de preuve permettant de mesurer son utilisation en tant que substitut du carbonate de soude.

274    En effet, les documents cités par la requérante dans ses observations présentées à la suite de la consultation du dossier dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure permettent seulement d’établir que la soude caustique et le calcin sont partiellement substituables au carbonate de soude et que celui-ci peut être éventuellement substitué par la dolomite. Toutefois, rien dans ces documents ne permet de mettre en doute les conclusions de la Commission quant au fait que la substituabilité partielle du carbonate de soude par d’autres produits n’exclut pas la position dominante de la requérante sur le marché en cause. En outre, ainsi que la Commission l’a relevé, la requérante n’affirme pas que la dolomite soit utilisée par les verriers, les principaux acheteurs de carbonate de soude. Dès lors, rien n’indique que l’utilisation de la dolomite aurait pu avoir une influence sur la position dominante de la requérante sur le marché en cause.

275    Dès lors, la requérante n’a pas démontré que la Commission avait commis une erreur manifeste d’appréciation en concluant que les possibilités de substitution ne constituaient pas une contrainte significative à l’égard de sa puissance sur le marché.

276    Troisièmement, la requérante prétend que la Commission aurait dû prendre en compte la pression concurrentielle exercée par les clients.

277    Dans la requête, la requérante a indiqué que ses quatre plus gros clients représentaient environ 50 % de ses ventes. Cependant, elle ne donne aucune précision quant à la part respective de chacun de ces quatre clients. Par ailleurs, elle se contente d’affirmer que ses clients, notamment les fabricants de verre, disposaient d’une « puissance d’achat considérable », sans étayer cette affirmation. Dès lors, à supposer même que la Commission ait dû prendre en compte le critère du pouvoir compensateur des clients, la requérante n’a pas démontré que ses clients étaient en mesure de contrebalancer sa puissance sur le marché.

278    Quatrièmement, la requérante conteste l’affirmation de la Commission selon laquelle elle aurait maintenu un niveau de prix supérieur à celui existant dans d’autres États membres. À cet égard, il y a lieu de relever que la requérante reconnaît cependant que ses prix « tendaient à être légèrement supérieurs à ceux [existant] dans d’autres États membres ». Certes, elle invoque la chute de la demande de carbonate, qui ne se serait pas produite dans la même mesure dans d’autres marchés, les taux de change et les coûts de carburant. Toutefois, la requérante n’étaye aucunement son argumentation par des éléments concrets permettant au Tribunal de vérifier le bien-fondé de ses allégations.

279    Cinquièmement, la requérante fait valoir que, pour maintenir la viabilité de ses deux unités de production de carbonate de soude, sa stratégie était de maintenir un volume suffisant de ventes, ce qui impliquait de chercher à augmenter les ventes et de répondre aux offres des fournisseurs alternatifs. Cependant, il suffit de relever qu’un tel argument n’est pas de nature à remettre en cause l’existence de la position dominante de la requérante sur le marché en question.

280    Sixièmement, la requérante se réfère aux mesures antidumping adoptées par la Commission. À cet égard, il convient de relever que, dans la décision attaquée, la Commission a examiné en détail les mesures antidumping prises à l’encontre des producteurs américains (considérants 51 à 54) et en a conclu, s’agissant du pouvoir de marché de la requérante, que celle-ci bénéficiait de la protection contre les producteurs américains et d’Europe de l’Est offerte par les mesures antidumping ainsi que des contraintes de prix imposées à General Chemical par les engagements antidumping (considérant 128).

281    En réponse à ces constatations, la requérante fait valoir, tout d’abord, que l’existence démontrée d’un dumping jusqu’en 1984 est incompatible avec la conclusion qu’elle jouissait d’une position dominante à cette époque. Cependant, la requérante n’explique pas en quoi l’existence d’un dumping de la part des producteurs américains permettait de conclure qu’elle n’était pas en position dominante. En tout état de cause, le règlement n° 2253/84, qui a été adopté dans un cadre juridique totalement différent de celui de l’article 82 CE, n’indique pas que la requérante n’était pas en position dominante au Royaume-Uni.

282    La requérante soutient, ensuite, que l’adoption des mesures antidumping impliquait, selon la Commission, que celles-ci n’affecteraient pas la situation concurrentielle au sein de la Communauté. Cependant, la requérante n’étaye pas cette affirmation, qui apparaît purement hypothétique dès lors que le règlement n° 2253/84 ne fait aucunement référence à la situation concurrentielle au sein de la Communauté.

283    En conclusion, les arguments soulevés par la requérante ne permettent pas d’admettre l’existence de circonstances exceptionnelles qui justifieraient de remettre en cause la constatation selon laquelle elle était en position dominante sur le marché en cause.

284    En conséquence, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.

 Sur le cinquième moyen, tiré de l’absence d’abus de position dominante

285    Le cinquième moyen s’articule, en substance, en trois branches relatives, premièrement, aux ristournes sur tonnage marginal, deuxièmement, aux clauses d’approvisionnement exclusif et aux restrictions des achats auprès de concurrents et, troisièmement, aux autres incitations financières.

 Sur la première branche, relative aux ristournes sur tonnage marginal

–       Arguments des parties

286    La requérante conteste la considération selon laquelle ses pratiques en matière de fixation de prix au cours de la période en cause constituaient un abus. Ses pratiques auraient été, dans chaque cas, des actions concurrentielles normales à la lumière des facteurs économiques et commerciaux. Les arrangements en matière de prix conclus par la requérante n’auraient à aucun moment faussé la structure concurrentielle du marché en cause ni causé un préjudice aux consommateurs.

287    La requérante fait valoir qu’il n’est pas abusif pour un fournisseur dominant de négocier un prix réduit si son client est disposé à commander des quantités supplémentaires. L’objet ou l’effet des ristournes sur tonnage marginal n’aurait pas été d’exclure des concurrents du marché. Elles auraient été introduites en réponse à des demandes de clients visant à obtenir un prix inférieur pour toute quantité supplémentaire commandée. Selon la requérante, l’objectif des ristournes individuellement négociées était de maintenir une occupation suffisante de ses capacités de production et une certaine rentabilité afin d’éviter des fermetures supplémentaires d’usines. De telles ristournes inciteraient les clients à acquérir des quantités de carbonate de soude que ceux-ci estimaient ne pas pouvoir acquérir. À cet égard, il aurait été particulièrement important de rendre le carbonate de soude attrayant par rapport à des produits de substitution comme la soude caustique, le calcin et la dolomite.

288    En outre, la requérante soutient que ses prix nets ne se sont à aucun moment écartés de la réalité économique et que les ristournes ont été entièrement transparentes, en ce sens que le client était informé du tonnage donnant droit à la ristourne et du calcul précis de celui-ci, par écrit, contrairement à la situation examinée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour du 9 novembre 1983, Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission (322/81, Rec. p. 3461). Le client n’aurait pas subi de pression pour acheter davantage auprès d’elle et n’aurait pas été découragé d’acheter du volume additionnel auprès de tiers, de peur de perdre une ristourne sur le volume central. De plus, les ristournes sur tonnage marginal n’auraient porté que sur une petite proportion de ses ventes totales de carbonate de soude, à savoir 8 %.

289    À l’exception d’un seul cas, les ristournes n’auraient pas été liées au fait que l’acheteur achète la totalité ou un pourcentage spécifique des besoins de celui-ci auprès d’elle. De telles ristournes auraient été offertes sur un tonnage additionnel par rapport au tonnage central estimé que le client se proposait d’acquérir auprès d’elle ou d’un ou de plusieurs fournisseurs secondaires, dans des proportions prédéterminées. Les clients auraient été libres d’acquérir à tout moment les quantités qu’ils souhaitaient auprès d’autres fournisseurs. La situation serait donc différente de celle ayant donné lieu à la décision 88/518/CEE de la Commission, du 18 juillet 1988, relative à une procédure d’application de l’article [82 CE] (IV/30.178 – Napier Brown – British Sugar) (JO L 284, p. 41).

290    La requérante fait également observer que, dans la présente affaire, les ristournes sur tonnage marginal qu’elle accordait ne visaient pas à opérer une discrimination entre ses clients et n’affectaient pas la situation concurrentielle entre eux. En effet, compte tenu de la variété des clients et des produits de substitution, il lui aurait été nécessaire de négocier avec chaque client sur une base individuelle. En tout état de cause, les ristournes sur tonnage marginal qu’elle accordait n’auraient eu qu’un effet insignifiant en ce qui concerne la différenciation des coûts de ses clients.

291    Par ailleurs, les arrangements en matière de remise n’auraient pas été conclus pour une durée indéterminée, contrairement à ceux examinés dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 216 supra. En effet, ces arrangements auraient été décidés lors de négociations annuelles séparées. De plus, selon la requérante, le montant ou l’existence des remises ne dépendait pas de la circonstance que le client avait atteint une certaine cible ou acquis un tonnage additionnel au cours d’une année précédente.

292    La requérante ajoute que les remises ont été accordées pour des achats additionnels de carbonate de soude et non par référence à l’achat d’une gamme de produits par le client. Dès lors, elle estime ne pas avoir agi abusivement en offrant à ses clients un prix réduit pour des volumes additionnels.

293    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

294    Selon une jurisprudence constante, la notion d’exploitation abusive est une notion objective qui vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence (arrêt Hoffmann-La Roche/Commission, point 216 supra, point 91, et arrêt du Tribunal du 14 décembre 2005, General Electric/Commission, T‑210/01, Rec. p. II‑5575, point 549).

295    Si la constatation de l’existence d’une position dominante n’implique en soi aucun reproche à l’égard de l’entreprise concernée, il lui incombe, indépendamment des causes d’une telle position, une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte par son comportement à une concurrence effective et non faussée dans le marché commun (arrêts Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, point 288 supra, point 57, et Microsoft/Commission, point 254 supra, point 229). De même, si l’existence d’une position dominante ne prive pas une entreprise placée dans cette position du droit de préserver ses propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont menacés, et si cette entreprise a la faculté, dans une mesure raisonnable, d’accomplir les actes qu’elle juge appropriés en vue de protéger ses intérêts, de tels comportements ne peuvent cependant être admis lorsqu’ils ont pour objet de renforcer cette position dominante et d’en abuser (arrêt United Brands et United Brands Continental/Commission, point 254 supra, point 189, et arrêt du Tribunal du 30 septembre 2003, Michelin/Commission, T‑203/01, Rec. p. II‑4071, point 55).

296    S’agissant plus particulièrement de l’octroi de rabais par une entreprise en position dominante, il ressort d’une jurisprudence constante qu’un rabais de fidélité, qui est octroyé en contrepartie d’un engagement du client de s’approvisionner exclusivement ou quasi exclusivement auprès d’une entreprise en position dominante, est contraire à l’article 82 CE. Un tel rabais tend, en effet, à empêcher, par la voie de l’octroi d’avantages financiers, l’approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents (arrêt Michelin/Commission, point 295 supra, point 56 ; voir également, en ce sens, arrêt de la Cour du 16 décembre 1975, Suiker Unie e.a./Commission, 40/73 à 48/73, 50/73, 54/73 à 56/73, 111/73, 113/73 et 114/73, Rec. p. 1663, point 518).

297    Un système de rabais qui a un effet de forclusion sur le marché sera considéré comme étant contraire à l’article 82 CE s’il est appliqué par une entreprise en position dominante. Pour cette raison, la Cour a jugé qu’un rabais lié à la réalisation d’un objectif d’achat violait l’article 82 CE (arrêt Michelin/Commission, point 295 supra, point 57).

298    Les systèmes de rabais quantitatifs, liés exclusivement au volume des achats effectués auprès d’une entreprise en position dominante, sont généralement considérés ne pas avoir un effet de forclusion interdit par l’article 82 CE. Si l’augmentation de la quantité fournie se traduit par un coût inférieur pour le fournisseur, celui-ci est, en effet, en droit de faire bénéficier son client de cette réduction par le biais d’un tarif plus favorable. Les rabais de quantité sont donc censés refléter des gains d’efficience et des économies d’échelle réalisées par l’entreprise en position dominante (arrêt Michelin/Commission, point 295 supra, point 58).

299    Il s’ensuit qu’un système de rabais dont le taux de remise augmente en fonction du volume acheté ne violera pas l’article 82 CE, sauf si les critères et les modalités d’octroi du rabais font apparaître que le système ne repose pas sur une contrepartie économiquement justifiée, mais tend, à l’instar d’un rabais de fidélité et d’objectif, à empêcher l’approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents (arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, point 216 supra, point 90, et arrêt Michelin/Commission, point 295 supra, point 59).

300    Pour déterminer l’éventuel caractère abusif d’un système de rabais quantitatifs, il y aura donc lieu d’apprécier l’ensemble des circonstances, et notamment les critères et les modalités d’octroi des rabais, et d’examiner si les rabais tendent, par un avantage qui ne repose sur aucune prestation économique qui le justifie, à enlever à l’acheteur, ou à restreindre pour lui, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement, à barrer l’accès du marché aux concurrents, à appliquer à des partenaires commerciaux des conditions inégales à des prestations équivalentes ou à renforcer la position dominante par une concurrence faussée (arrêts Hoffmann-La Roche/Commission, point 216 supra, point 90, et Michelin/Commission, point 295 supra, point 60).

301    En l’espèce, aux considérants 139 à 141 de la décision attaquée, la Commission a énoncé ce qui suit :

« (139) Si l’on considère la nature du système lui-même et les termes des documents internes de [la requérante], il est évident que les ristournes sur tonnage marginal visaient à exclure la concurrence effective par les moyens suivants :

–        inciter les consommateurs à acheter à [la requérante] le tonnage marginal qu’ils pourraient se procurer auprès d’un deuxième fournisseur,

–        minimiser ou neutraliser l’impact concurrentiel de General Chemical en maintenant sa présence sur le marché, en termes de prix, de quantité et de clients, dans des limites garantissant le maintien du monopole effectif de [la requérante],

–        éliminer Brenntag du marché ou tout au moins réduire au minimum son effet concurrentiel,

–        réduire au minimum le risque de voir les clients se tourner vers d’autres sources d’approvisionnement (autres producteurs, négociants ou autres producteurs de la Communauté),

–        maintenir ou renforcer le monopole virtuel de [la requérante] sur le marché [en cause].

(140)          Les variations substantielles des tonnages ‘seuil’ à partir desquelles la remise était applicable pour chaque client démontrent que le système de ristournes sur tonnage marginal et les avantages de prix qu’il conférait dépendaient non pas de différences de coût pour [la requérante] en fonction des quantités fournies, mais bien de l’achat, par le client, de son tonnage marginal à [la requérante].

(141)          Il n’est pas nécessaire, pour que de telles pratiques tombent sous le coup de l’article 82 [CE], que le client soit juridiquement contraint ou ait pris expressément l’engagement de s’approvisionner exclusivement auprès de l’entreprise dominante. Il suffit que l’objet ou l’effet des incitations offertes soit de lier les clients au producteur dominant. »

302    En outre, aux considérants 61 à 82 de la décision attaquée, la Commission a également fait référence à de nombreux documents, relatifs aux ristournes sur tonnage marginal, en vertu desquels la requérante visait à exclure les concurrents du marché.

303    Il y a également lieu de relever que la requérante ne conteste pas l’existence et le contenu des documents invoqués par la Commission dans la décision attaquée. Or, il résulte de ces documents que les ristournes accordées par la requérante ne reflétaient pas des gains d’efficience et des économies d’échelle. Contrairement à un rabais de quantité lié uniquement au volume des achats, ces ristournes visaient à empêcher l’approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents.

304    Par ailleurs, aucun des arguments de la requérante visant à démontrer que ses ristournes sur tonnage marginal n’étaient pas contraires à l’article 82 CE n’est de nature à remettre en cause les conclusions de la Commission.

305    Premièrement, la requérante prétend que ses ristournes sur tonnage marginal ont été introduites à la demande de ses clients. Cependant, un tel argument est inopérant. En effet, il résulte d’une jurisprudence constante que, pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, le fait de lier – fût-ce à leur demande – des acheteurs par une obligation ou une promesse de s’approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article 82 CE, soit que l’obligation en question soit stipulée sans plus, soit qu’elle trouve sa contrepartie dans l’octroi de rabais (arrêt Hoffmann-Laroche/Commission, point 216 supra, point 89).

306    Deuxièmement, la requérante soutient que son objectif était de maintenir une occupation suffisante de ses capacités de production en vue d’éviter la fermeture d’usines. À cet égard, il suffit de constater que la volonté de maintenir ou d’accroître ses capacités de production ne constitue pas une justification objective permettant à une entreprise de s’affranchir de l’application de l’article 82 CE.

307    Troisièmement, la requérante prétend que son système était transparent, contrairement à la situation examinée dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, point 288 supra. Cependant, il convient de relever que la Commission ne reproche pas à la requérante le caractère non transparent de ses ristournes sur tonnage marginal. En tout état de cause, selon la jurisprudence, un système de rabais fidélisants est contraire à l’article 82 CE, qu’il soit ou non transparent (arrêt Michelin/Commission, point 295 supra, point 111).

308    Quatrièmement, la requérante prétend que ses ristournes sur tonnage marginal ne portaient que sur 8 % de ses ventes totales de carbonate de soude. Or, à cet égard, il y a lieu de rappeler que, concernant l’effet dont fait état la jurisprudence citée au point 295 ci-dessus, celui-ci ne concerne pas nécessairement l’effet concret du comportement abusif dénoncé. Aux fins de l’établissement d’une violation de l’article 82 CE, il suffit de démontrer que le comportement abusif de l’entreprise en position dominante tend à restreindre la concurrence ou, en d’autres termes, que le comportement est de nature à, ou susceptible de, avoir un tel effet (arrêt Michelin/Commission, point 295 supra, point 239). Il convient d’ajouter que, en toute hypothèse, 8 % des ventes totales de carbonate de soude de la requérante ne sauraient être considérées comme une quantité négligeable desdites ventes.

309    Cinquièmement, la requérante prétend que ses ristournes sur tonnage marginal n’étaient pas discriminatoires. Un tel argument doit également être rejeté. En effet, d’une part, la Commission ne reproche pas à la requérante le caractère discriminatoire de ses ristournes sur tonnage marginal et, d’autre part, quand bien même lesdites ristournes ne seraient pas discriminatoires, il n’en demeure pas moins que la requérante ne conteste pas l’existence et le contenu des documents invoqués par la Commission dans la décision attaquée, dont il ressort que ces ristournes ne reposaient pas sur une contrepartie économiquement justifiée et tendaient à empêcher l’approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents. Or, de telles ristournes, ayant un effet de forclusion, sont contraires à l’article 82 CE si elles sont appliquées par une entreprise en position dominante (voir point 297 ci-dessus).

310    Sixièmement, la requérante fait valoir que ses arrangements en matière de remises n’étaient pas conclus pour une durée indéterminée. Cependant, à supposer même que les arrangements aient été conclus pour une courte durée, cela ne permet pas d’établir que ces arrangements n’ont pas eu pour effet d’exclure la concurrence.

311    En conclusion, il y a lieu de constater que la requérante n’a pas démontré que la Commission avait commis une erreur en concluant que le système de ristournes appliqué par elle avait pour but d’exclure la concurrence effective.

312    Il résulte de tout ce qui précède que la première branche du cinquième moyen doit être écartée.

 Sur la deuxième branche, relative aux clauses d’approvisionnement exclusif et aux restrictions des achats auprès de concurrents

–       Arguments des parties

313    La requérante conteste que ses arrangements en matière de prix soient équivalents à une clause d’exclusivité. Elle prétend que la Commission n’est pas loin d’affirmer que le fait pour un fournisseur dominant de chercher à obtenir l’intégralité ou une partie substantielle des commandes d’un client ou de fournir tout ou partie de ses besoins constitue un comportement abusif. Or, une telle affirmation reviendrait à dire que, compte tenu de sa part de marché, elle n’avait pas le droit de faire jouer la concurrence sur le marché pour obtenir des commandes. Or, il n’existerait aucune jurisprudence allant en ce sens et cette affirmation serait incompatible avec la « philosophie des règles de concurrence ».

314    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

315    Il résulte d’une jurisprudence constante que, pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, le fait de lier – fût-ce à leur demande – des acheteurs par une obligation ou une promesse de s’approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article 82 CE, soit que l’obligation en question soit stipulée sans plus, soit qu’elle trouve sa contrepartie dans l’octroi de rabais. Il en est de même lorsque ladite entreprise, sans lier les acheteurs par une obligation formelle, applique, soit en vertu d’accords passés avec ces acheteurs, soit unilatéralement, un système de rabais de fidélité, c’est-à-dire de remises liées à la condition que le client – quel que soit par ailleurs le montant, considérable ou minime, de ses achats – s’approvisionne exclusivement pour la totalité ou pour une partie importante de ses besoins auprès de l’entreprise en position dominante (arrêt Hoffmann-Laroche/Commission, point 216 supra, point 89). En effet, les engagements d’approvisionnement exclusif de cette nature, avec ou sans la contrepartie de rabais ou l’octroi de rabais de fidélité en vue d’inciter l’acheteur à s’approvisionner exclusivement auprès de l’entreprise en position dominante, sont incompatibles avec l’objectif d’une concurrence non faussée dans le marché commun parce qu’ils ne reposent pas sur une prestation économique justifiant cette charge ou cet avantage, mais tendent à enlever à l’acheteur, ou à restreindre à son égard, la possibilité de choix en ce qui concerne ses sources d’approvisionnement et à barrer l’accès du marché aux autres producteurs (arrêt Hoffmann-Laroche/Commission, point 216 supra, point 90).

316    En l’espèce, dans la décision attaquée, la Commission a notamment relevé ce qui suit, s’agissant des clauses d’approvisionnement exclusif :

« (144) Les effets anticoncurrentiels possibles des clauses relatives aux quantités dans les accords de fourniture de [la requérante] doivent être évalués à la lumière de la politique déclarée de [la requérante] à l’égard de General Chemical et de Brenntag. Comme le révèlent les documents saisis [auprès de la requérante], cette société était soucieuse de ne pas exclure totalement tous les concurrents. Il était de son intérêt de faire en sorte que General Chemical au moins reste sur le marché [en cause] comme une ‘présence’ – strictement contrôlée tant sur le plan des prix que sur celui de la quantité – qui réponde au besoin de la plupart des gros clients d’un deuxième fournisseur, tout en ne représentant en fait pas de menace concurrentielle réelle pour la position de quasi-monopole de [la requérante].

(145)          En s’employant à déterminer les besoins totaux de chaque gros client, [la requérante] pouvait structurer son système de remise de la tranche supérieure de façon à exclure ou à réduire au minimum la présence de concurrents. Dans de nombreux cas, elle a obtenu du client l’assurance qu’il réduirait ses achats à la concurrence ou les limiterait à un tonnage déterminé. Dans le cas de Beatson Clarke, il était expressément stipulé que le client s’approvisionnerait [auprès de la requérante] pour la totalité de ses besoins.

(146)          De tels accords restreignent substantiellement la liberté contractuelle du client, empêchent l’arrivée de concurrents sur le marché et équivalent à une clause d’exclusivité.

(147)          Les accords passés par [la requérante] avec ces gros clients signifiaient que ceux-ci lui étaient liés pour la quasi-totalité de leurs besoins (et dans un cas au moins pour la totalité de ceux-ci), alors que l’effet concurrentiel d’autres fournisseurs était réduit au minimum. »

317    Aux considérants 83 à 114 de la décision attaquée, la Commission a également invoqué de nombreux documents, concernant les sociétés Pilkington, Rockware, CWS, Redfearn et Beatson Clarke.

318    Or, il y a lieu de considérer que ces documents démontrent que la requérante souhaitait restreindre les achats de ses clients auprès de concurrents.

319    En effet, s’agissant de Beatson Clarke, la Commission fait état de preuves directes permettant d’établir que cette société avait conclu un accord avec la requérante pour exclure la concurrence effective, en vertu duquel elle était tenue de s’approvisionner chaque année pour la totalité de ses besoins auprès de celle-ci.

320    Dans la requête, la requérante ne conteste pas l’existence de cet accord. Elle admet même que, « telle qu’elle a été exprimée dans ses lettres, une telle disposition pourrait peut-être être qualifiée de ristourne de fidélité ». Selon elle, l’accord avec Beatson Clarke avait pour objet de soutenir des exportations non rentables. Cependant, un tel argument n’est pas de nature à remettre en cause la constatation de la Commission selon laquelle il existait un engagement d’approvisionnement exclusif.

321    De même, s’agissant de Redfearn, la Commission a notamment constaté que « l’accord pour 1987 prévoyait que Redfearn achèterait à [la requérante] au moins 45 000 tonnes sur sa consommation totale estimée de 47 500 tonnes (soit environ 95 % de ses besoins) » et que [la requérante] y ajoutait une incitation à lui acheter tout tonnage marginal sous la forme d’une remise de 10 [livres sterling (GBP)] ». Or, la requérante ne conteste pas l’existence de cet engagement de Redfearn de s’approvisionner pour une part considérable de ses besoins exclusivement auprès d’elle.

322    Dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner la totalité des documents sur lesquels la Commission s’est fondée dans la décision attaquée, il y a lieu de conclure que la Commission a considéré à juste titre que la requérante avait conclu des accords d’approvisionnement contraires à l’article 82 CE.

323    En conséquence, il y a lieu d’écarter la deuxième branche du cinquième moyen.

 Sur la troisième branche, relative aux autres incitations financières

–       Arguments des parties

324    La requérante soutient que les autres incitations financières ont été généralement offertes à la demande du client afin de permettre à celui-ci de se développer par des exportations qui n’auraient pas été rentables autrement ou de maintenir la part de marché qu’il détenait ou encore de faire face à des biens importés peu coûteux. De tels arrangements n’auraient pas eu pour objet ni pour effet de lier les clients.

325    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

–       Appréciation du Tribunal

326    Aux considérants 148 à 150 de la décision attaquée, la Commission a indiqué ce qui suit :

« (148) Dans ses relations avec Beatson Clarke, [la requérante] a également précisé que les ‘mesures d’aide’, qui s’ajoutaient à la remise sur la tranche supérieure, étaient subordonnées à son accord de s’approvisionner à 100 % auprès d’[elle], condition qui a été confirmée par écrit. Cette ‘incitation’ spéciale avait pour objet et pour effet de renforcer la position de [la requérante] vis-à-vis du client et d’exclure la concurrence.

(149)          Toutes les mesures définies aux considérants 139 à 147 visaient à éliminer ou à restreindre la possibilité, pour d’autres producteurs ou fournisseurs de soude, de livrer concurrence à [la requérante]. Elles doivent être considérées à la lumière de la stratégie clairement signifiée de [la requérante] de maintenir un quasi-monopole (mais non à 100 %) sur le marché [en cause]. Elles consolidaient par conséquent la position dominante de [la requérante] d’une manière incompatible avec la notion de concurrence inhérente à l’article 82 [CE].

(150)          Les remises ne reflétaient pas des écarts éventuels de coûts fondés sur le volume fourni. Elles étaient dictées par la volonté de couvrir la totalité ou le pourcentage le plus élevé possible des besoins du client. Aussi le système des remises sur la tranche supérieure présentait-il des variations considérables d’un client à l’autre quant au tonnage à partir duquel il était appliqué. Il y avait en outre des différences en ce qui concerne le montant par tonne de la remise elle-même, puisqu’elle variait de 6 GBP par tonne à 30 GBP ou plus. »

327    À cet égard, il y a lieu de relever que la requérante ne conteste pas l’existence des incitations financières offertes à ses clients.

328    Comme il a été indiqué au point 305 ci-dessus, le fait que les incitations financières aient été offertes aux clients à leur demande, que ces mesures visent à les assister pour l’exportation, à maintenir la part de marché qu’ils détenaient ou encore à faire face à des biens importés peu coûteux et que de telles mesures soient transparentes ne sont pas des éléments pertinents dans l’appréciation de leur légalité au regard de l’article 82 CE. Quant à l’argument selon lequel les arrangements n’auraient pas eu pour objet et pour effet de lier les clients, il ne saurait être accueilli dès lors qu’il ressort notamment des considérants susmentionnés de la décision attaquée que la requérante avait précisé, pour un client au moins, que les mesures d’aide, qui s’ajoutaient à la remise sur la tranche supérieure, étaient subordonnées à son engagement de s’approvisionner à 100 % auprès d’elle. De la même manière que les ristournes sur tonnage marginal, lesdits arrangements tendaient donc, pour certains d’entre eux au moins, à empêcher l’approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents.

329    Partant, il y a lieu d’écarter la troisième branche du cinquième moyen et, en conséquence, de rejeter le cinquième moyen dans son ensemble.

 Sur le sixième moyen, tiré de l’absence d’affectation du commerce entre États membres

 Arguments des parties

330    La requérante fait observer que les difficultés éprouvées par la Commission pour établir l’affectation du commerce entre États membres ressortent de son analyse brève et contradictoire de cette question. Elle soutient que cette analyse a déjà été critiquée par le Tribunal au point 63 de l’arrêt ICI II, point 16 supra. En outre, la Commission n’aurait pas repris dans la décision attaquée un élément important qui figurait dans la communication des griefs, à savoir le fait que la politique de fixation des prix de la requérante avait un effet sur le commerce intracommunautaire.

331    De même, la Commission n’expliquerait pas le phénomène de « cloisonnement strict des marchés nationaux dans la Communauté », évoqué au considérant 152 de la décision attaquée, et ne ferait pas le lien entre ledit cloisonnement et l’abus allégué. En effet, après avoir estimé, au moment de l’adoption de la décision 91/300, que le cloisonnement des marchés était dû aux pratiques concertées entre la requérante et Solvay, la Commission n’aurait pas repris son allégation de « cloisonnement strict » dans la décision attaquée. En outre, la requérante fait observer que la Commission ne réfute pas l’explication du cloisonnement des marchés qu’elle a avancée et qui est fondée sur une analyse économique détaillée et non contredite. Selon elle, l’explication avancée est confirmée par les propres conclusions de la Commission dans les procédures antidumping.

332    Par ailleurs, l’allégation de la Commission selon laquelle la requérante était désireuse que General Chemical restât sur le marché en cause serait « illogique » et « non corroborée » par des éléments de preuve. En effet, la Commission n’aurait pas présenté d’analyse économique à l’appui de cette allégation. En outre, celle-ci serait contredite par les propres conclusions de la Commission dans la décision 91/301/CEE de la Commission, du 19 décembre 1990, relative à une procédure d’application de l’article [81, paragraphe 1, CE] (IV/33.016 – ANSAC) (JO 1991, L 152, p. 54, ci-après la « décision ANSAC »). La Commission ne tenterait pas davantage de corroborer son affirmation selon laquelle, en l’absence de General Chemical, les consommateurs auraient pu être incités à chercher d’autres sources d’approvisionnement, peut-être meilleur marché, en Europe de l’Ouest continentale. À cet égard, la requérante fait référence au règlement (CE) n° 823/95 de la Commission, du 10 avril 1995, instituant un droit antidumping provisoire sur les importations de carbonate disodique originaire des États-Unis d’Amérique (JO 1995, L 83 p. 8), en vertu duquel, pendant au moins trois années et demie après la cessation des pratiques prétendument abusives, il n’y a eu pratiquement aucune modification de la configuration des échanges entre le Royaume-Uni et l’Europe continentale.

333    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

 Appréciation du Tribunal

334    Selon une jurisprudence constante, l’interprétation et l’application de la condition relative aux effets sur le commerce entre États membres, figurant aux articles 81 CE et 82 CE, doivent prendre comme point de départ le but de cette condition, qui est de déterminer, en matière de réglementation de la concurrence, le domaine du droit communautaire par rapport à celui des États membres. C’est ainsi que relèvent du domaine du droit communautaire toute entente et toute pratique susceptible de mettre en cause la liberté du commerce entre États membres dans un sens qui pourrait nuire à la réalisation des objectifs d’un marché unique entre les États membres, notamment en cloisonnant les marchés nationaux ou en modifiant la structure de la concurrence dans le marché commun (arrêts de la Cour du 31 mai 1979, Hugin Kassaregister et Hugin Cash Registers/Commission, 22/78, Rec. p. 1869, point 17, et du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C‑407/04 P, Rec. p. I‑829, point 89).

335    Pour être susceptibles d’affecter le commerce entre États membres, une décision, un accord ou une pratique doivent, sur la base d’un ensemble d’éléments de fait et de droit, permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’ils puissent exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres, et cela de manière à faire craindre qu’ils puissent entraver la réalisation d’un marché unique entre États membres. Il faut, en outre, que cette influence ne soit pas insignifiante (arrêts de la Cour du 28 avril 1998, Javico, C‑306/96, Rec. p. I‑1983, point 16 ; du 21 janvier 1999, Bagnasco e.a., C‑215/96 et C‑216/96, Rec. p. I‑135, point 47, et Dalmine/Commission, point 334 supra, point 90). À cet égard, comme il a été relevé au point 308 ci-dessus, 8 % des ventes totales de la requérante de carbonate de soude ne sauraient être considérées comme une quantité négligeable desdites ventes.

336    En l’espèce, il y a lieu de relever que la Commission a considéré, à suffisance de droit, que les pratiques reprochées à la requérante étaient susceptibles d’affecter le commerce entre États membres.

337    En effet, d’une part, les ristournes sur tonnage marginal ont un effet d’exclusion en ce qu’un rabais de fidélité, qui est octroyé en contrepartie d’un engagement du client de s’approvisionner exclusivement ou quasi exclusivement auprès d’une entreprise en position dominante, tend à empêcher, par la voie de l’octroi d’avantages financiers, l’approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents (arrêt Michelin/Commission, point 295 supra, point 56 ; voir également, en ce sens, arrêt Suiker Unie e.a./Commission, point 296 supra, point 518). Or, en barrant l’accès au marché à des concurrents, le comportement de la requérante était susceptible d’avoir des répercussions sur les courants commerciaux et sur la concurrence dans le marché commun (voir, en ce sens, arrêt Nederlandsche Banden-Industrie-Michelin/Commission, point 288 supra, point 103).

338    D’autre part, la Commission se réfère à un document de stratégie de la requérante du 28 juin 1985, selon lequel celle-ci vise à empêcher ou à éliminer toutes les importations de soude dense au Royaume-Uni, à l’exception de celles de General Chemical [anciennement Allied] (considérants 66 à 70 de la décision attaquée). En effet, aux termes de cette note de la requérante, citée au considérant 70 de la décision attaquée :

« La stratégie reste de pratiquer des prix rendus compétitifs dans tous les cas de façon à réaliser le tonnage de base [de la requérante], ainsi que d’offrir des conditions pour la tranche supérieure allant jusqu’à 15 GBP par tonne afin de reprendre un tonnage supplémentaire à Allied. L’objectif est de maintenir la position de Allied à moins de 30 kilotonnes par an. Notre intention est de ne pas forcer Allied à se retirer du marché, étant donné que ceci contraindrait l’industrie verrière à chercher des sources d’approvisionnement, soit en Europe de l’Ouest continentale, soit en Europe de l’Est. »

339    Dans ses écritures, la requérante ne conteste ni l’existence ni le contenu de cette note de stratégie. Dès lors, la requérante admet, elle-même, que ses pratiques ont, au moins potentiellement, entraîné des courants d’échanges différents de ceux qui auraient résulté d’un marché ouvert à la concurrence. Sur ce point, il convient de préciser que le critère visé au point 335 supra, selon lequel l’influence sur les courants d’échanges entre États membres ne doit pas être insignifiante, est bien satisfait en l’espèce.

340    Aucun argument de la requérante n’est de nature à remettre en cause la conclusion selon laquelle les pratiques qui lui sont reprochées étaient susceptibles d’affecter le commerce entre États membres.

341    Premièrement, la requérante soutient que, dans l’arrêt ICI II, point 16 supra, le Tribunal a critiqué l’analyse de la Commission portant sur l’affectation du commerce entre États membres. Cependant, il ressort du point 63 dudit arrêt que l’ambiguïté relevée par le Tribunal portait uniquement sur le fait que la Commission a constaté que les mesures prises par la requérante affectent le commerce interétatique, au lieu de constater qu’elles sont susceptibles de l’affecter. De plus, le Tribunal n’a pas remis en cause le fait que, dans cette affaire, les mesures mises en oeuvre par la requérante étaient susceptibles d’affecter le commerce entre États membres.

342    Deuxièmement, la requérante prétend que la Commission n’a pas repris dans la décision attaquée un élément important qui figurait dans la communication des griefs, à savoir que sa politique de fixation des prix avait un effet sur le commerce intracommunautaire. Toutefois, il y a lieu de relever à cet égard que le contrôle du Tribunal ne porte pas sur une partie de la communication des griefs qui n’a pas été reprise dans la décision attaquée. Le Tribunal doit uniquement examiner si la décision attaquée, dans sa partie consacrée à l’affectation du commerce, respecte l’article 82 CE, tel qu’interprété par la jurisprudence.

343    Troisièmement, la requérante reproche à la Commission de ne pas avoir expliqué le phénomène de « cloisonnement strict des marchés nationaux dans la Communauté » et le lien entre ce cloisonnement et l’abus allégué. Selon elle, la décision 91/300 était fondée sur la constatation par la Commission d’un cloisonnement des marchés résultant des pratiques concertées existant entre la requérante et Solvay, qui ont fait l’objet de la décision 91/297, laquelle a ensuite été annulée par le Tribunal. Cependant, indépendamment de la question de savoir si la Commission était tenue d’indiquer dans la décision attaquée les causes du cloisonnement des marchés, il convient de relever que, d’une part, la requérante ne conteste pas que ce cloisonnement existait et, d’autre part, les éléments contenus dans la décision attaquée justifient de considérer que les ristournes sur tonnage marginal appliquées par la requérante étaient susceptibles, par leur effet d’exclusion, d’affecter le commerce entre États membres.

344    Quatrièmement, la requérante conteste l’allégation de la Commission selon laquelle elle était désireuse que General Chemical restât sur le marché en cause. À cet égard, elle se réfère à la décision ANSAC, adoptée le même jour que la décision 91/300. Cependant, la requérante ne démontre pas que la décision ANSAC contredisait la décision 91/300. En effet, le passage de la décision ANSAC cité par la requérante dans la requête fait partie des conclusions de l’ANSAC et ne relève pas de l’appréciation de la Commission, cette dernière n’ayant au demeurant pas fait droit auxdites conclusions.

345    Cinquièmement, la requérante invoque le règlement n° 823/95, dont le considérant 45 énonce ce qui suit :

« Entre 1990 et la période d’enquête, les échanges intracommunautaires de soude produite dans la Communauté n’ont augmenté que faiblement. La position relative des divers opérateurs communautaires sur les marchés nationaux n’a guère évolué. Plus particulièrement, il n’y a eu pratiquement aucune modification de la configuration des échanges entre le Royaume-Uni et l’Europe continentale. »

346    Cependant, le fait que le commerce entre le Royaume-Uni et l’Europe continentale n’ait pas été modifié après la date admise de la cessation des infractions ne saurait suffire à considérer que les pratiques reprochées à la requérante n’étaient pas susceptibles d’affecter le commerce entre États membres.

347    Il résulte de tout ce qui précède qu’il convient de rejeter le sixième moyen et, en conséquence, de rejeter les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée.

 2. Sur les conclusions tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende

348    À titre liminaire, la requérante souligne que ses conclusions tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende ne doivent pas être interprétées comme une quelconque admission de la violation de l’article 82 CE et qu’elles sont invoquées à titre subsidiaire.

349    La requérante soulève, en substance, quatre moyens à l’appui de ses conclusions tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende. Ils sont tirés, premièrement, de l’écoulement du temps, deuxièmement, de l’appréciation erronée de la gravité de l’infraction, troisièmement, de l’appréciation erronée de la durée de l’infraction et, quatrièmement, de l’existence de circonstances atténuantes.

 Sur le premier moyen, tiré de l’écoulement du temps

 Arguments des parties

350    La requérante fait valoir que, même si la Commission était compétente pour lui infliger une amende, le Tribunal devrait en l’espèce, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, supprimer l’amende.

351    La requérante invoque tout d’abord le laps de temps qui s’est écoulé entre l’adoption de la décision 91/300 et celle de la décision attaquée.

352    La requérante souligne ensuite que la Commission n’a pas correctement « articulé » les motifs s’agissant de l’amende et n’a pas tenu compte des changements de circonstances pertinents qui se sont produits depuis l’adoption de la décision 91/300. Selon elle, il n’est pas clair que le collège des commissaires était conscient de ces changements lors de la réunion au cours de laquelle la décision attaquée a prétendument été adoptée.

353    La Commission conteste les arguments avancés par la requérante.

 Appréciation du Tribunal

354    Il résulte de l’examen des arguments avancés par la requérante dans le cadre des premier et deuxième moyens invoqués à l’appui des conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée dans son intégralité que la Commission a adopté la décision attaquée dans le respect du règlement n° 2988/74 ainsi que du principe du délai raisonnable. Dès lors, il ne peut être reproché à la Commission d’avoir tardé à adopter la décision attaquée. En outre, il résulte de la jurisprudence que, dans la détermination du montant des amendes pour infraction au droit de la concurrence, la Commission doit prendre en compte non seulement la gravité de l’infraction et les circonstances particulières de l’espèce, mais aussi le contexte dans lequel ladite infraction a été commise et veiller au caractère dissuasif de son action, surtout pour les types d’infractions particulièrement nuisibles pour la réalisation des objectifs de la Communauté (arrêt de la Cour du 7 juin 1983, Musique Diffusion française e.a./Commission, 100/80 à 103/80, Rec. p. 1825, point 106, et arrêt du Tribunal du 5 avril 2006, Degussa/Commission, T‑279/02, Rec. p. II‑897, point 272).

355    En conséquence, il n’y a pas lieu d’annuler l’amende infligée à la requérante en raison du temps qui s’est écoulé entre l’adoption de la décision 91/300 et celle de la décision attaquée.

356    Le premier moyen doit donc être rejeté.

 Sur le deuxième moyen, tiré de l’appréciation erronée de la gravité de l’infraction

 Arguments des parties

357    La requérante fait valoir que le montant de l’amende infligée par la décision 91/300 était manifestement excessif. En outre, aucun système de fixation des prix semblable au sien n’aurait antérieurement fait l’objet d’une « décision pertinente » de la Commission ou des juridictions communautaires. La Commission aurait donc commis une erreur de principe en considérant, en 1990, que l’infraction alléguée était d’une « particulière gravité ». La requérante soutient également que, pour déterminer le montant de l’amende, la Commission aurait dû également prendre en compte en 1990 l’amende infligée en raison de la prétendue violation de l’article 81 CE. Selon elle, la Commission a traité les infractions comme étant entièrement distinctes alors qu’il y a eu une superposition des effets sur la concurrence et sur le commerce au sein de la Communauté, ce qui a conduit à un double emploi et à des amendes excessives.

358    Par ailleurs, la Commission ne ferait pas référence dans la décision attaquée aux lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 15, paragraphe 2, du règlement n° 17 et de l’article 65, paragraphe 5, du traité CECA (JO 1998, C 9, p. 3, ci-après les « lignes directrices pour le calcul des amendes »). Or, dans la décision attaquée, figureraient des constatations incompatibles avec les lignes directrices pour le calcul des amendes, notamment quant au fait que seules des infractions répétées du même type devraient être considérées comme des circonstances aggravantes.

359    En outre, la Commission n’aurait pas tenu compte, dans la décision attaquée, du fait que, au cours de la période postérieure à l’adoption de la décision 91/300, elle n’a fait l’objet d’aucune condamnation au titre des articles 81 CE et 82 CE.

360    Enfin, la requérante affirme qu’elle a dépensé 171 729,93 GBP pour fournir des garanties en ce qui concerne l’amende infligée dans la décision 91/300 et 120 200 GBP en ce qui concerne l’amende infligée dans la décision 91/297, deux décisions qui ont été annulées par le Tribunal. Selon elle, la Commission aurait dû tenir compte de ces sommes lorsqu’elle a fixé le montant de l’amende en l’espèce. En outre, la requérante prétend avoir subi des coûts internes irrécupérables à la suite des actions qu’elle a entreprises pour établir que la décision 91/300 était illégale et en raison du pourvoi superflu et sans objet introduit par la Commission. En tout état de cause, l’amende devrait être réduite conformément à l’arrêt Baustahlgewebe/Commission, point 115 supra, en raison du délai excessif qui s’est écoulé entre le début de l’enquête en avril 1989 et l’adoption de la décision attaquée.

361    La Commission rétorque que la référence à la décision 91/297 est « hors de propos » dans la mesure où cette décision a été annulée et qu’elle n’a pas adopté de nouvelle décision à cet égard. En outre, même si l’amende infligée dans la décision 91/300 équivalait à un pourcentage donné du chiffre d’affaires de la requérante pour le carbonate de soude durant un exercice particulier, cela ne serait pas pertinent dès lors que l’amende a été infligée pour sanctionner une infraction ayant été commise durant plusieurs années. La Commission rappelle que le chiffre d’affaires visé par le règlement n° 17 est le chiffre d’affaires mondial pour tous les produits et que dix millions d’écus représentait un pourcentage extrêmement faible du chiffre d’affaires total de la requérante.

362    Par ailleurs, s’agissant de l’argument de la requérante selon lequel elle n’aurait pas suivi les lignes directrices pour le calcul des amendes, la Commission fait observer que la requérante ne prétend pas qu’elle aurait dû appliquer ces lignes directrices. À cet égard, la Commission précise que, si les niveaux indicatifs des amendes visés dans les lignes directrices pour le calcul des amendes avaient été appliqués, ils auraient conduit à une amende supérieure pour une infraction aussi grave que celle commise par la requérante. En tout état de cause, il n’y aurait aucune incohérence entre la décision attaquée et les lignes directrices pour le calcul des amendes. En effet, il serait clair que la liste contenue au point 2 des lignes directrices pour le calcul des amendes est « donnée uniquement à titre d’exemple ».

363    Le fait qu’aucune infraction n’ait été reprochée à la requérante depuis 1990 ne saurait être pertinent pour la détermination du montant de l’amende concernant une infraction commise avant cette date. De même, les frais de constitution de garanties engagés à la suite de l’adoption de la décision 91/300 ne sauraient entrer en ligne de compte pour la détermination du montant de l’amende dans la décision attaquée.

 Appréciation du Tribunal

364    Premièrement, la requérante critique l’appréciation de la Commission en ce qui concerne le montant de l’amende qui lui a été infligée dans la décision 91/300. Cependant, ladite décision ayant été annulée par le Tribunal et le présent litige portant uniquement sur une demande d’annulation de la décision attaquée et, à titre subsidiaire, une demande d’annulation ou de réduction de l’amende infligée dans la décision attaquée, il n’y a pas lieu d’examiner les arguments de la requérante portant sur l’amende infligée dans la décision 91/300 mentionnés notamment au point 357 ci-dessus.

365    Deuxièmement, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, si la Commission dispose d’un pouvoir d’appréciation lors de la fixation du montant de chaque amende, sans être tenue d’appliquer une formule mathématique précise, le Tribunal statue toutefois, en vertu de l’article 17 du règlement n° 17, avec une compétence de pleine juridiction au sens de l’article 229 CE sur les recours intentés contre les décisions par lesquelles la Commission fixe une amende et peut, en conséquence, supprimer, réduire ou majorer l’amende infligée (arrêts du Tribunal du 29 avril 2004, Tokai Carbon e.a./Commission, T‑236/01, T‑239/01, T‑244/01 à T‑246/01, T‑251/01 et T‑252/01, Rec. p. II‑1181, point 165, et du 13 décembre 2006, FNCBV e.a./Commission, T‑217/03 et T‑245/03, Rec. p. II‑4987, point 358).

366    S’agissant de l’application des lignes directrices pour le calcul des amendes, il y a lieu de rappeler que, la décision 91/300 ayant été annulée en raison d’un vice de procédure, la Commission était en droit d’adopter une nouvelle décision, sans avoir engagé une nouvelle procédure administrative.

367    Dès lors que le contenu de la décision attaquée est quasi identique à celui de la décision 91/300 et que ces deux décisions sont fondées sur les mêmes motifs, la décision attaquée est soumise, dans le cadre de la fixation du montant de l’amende, aux règles en vigueur au moment de l’adoption de la décision 91/300.

368    En effet, la Commission a repris la procédure au stade où l’erreur de procédure a été commise et sans procéder à une nouvelle appréciation du cas à la lumière de règles qui n’existaient pas à l’époque de la première adoption. Or, l’adoption d’une nouvelle décision exclut par hypothèse l’application des lignes directrices pour le calcul des amendes postérieures à la première adoption.

369    Par conséquent, les lignes directrices pour le calcul des amendes ne sont pas applicables en l’espèce.

370    Troisièmement, il convient de relever que la Commission a considéré que les infractions reprochées à la requérante étaient d’une « gravité particulière » (considérant 156 de la décision attaquée).

371    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, le montant des amendes doit être gradué en fonction des circonstances de la violation et de la gravité de l’infraction, et l’appréciation de la gravité de l’infraction aux fins de la fixation du montant de l’amende doit être effectuée en tenant compte notamment de la nature des restrictions apportées à la concurrence (voir arrêt du Tribunal du 23 février 1994, CB et Europay/Commission, T‑39/92 et T‑40/92, Rec. p. II‑49, point 143, et la jurisprudence citée).

372    Ainsi, pour apprécier la gravité des infractions aux règles de concurrence imputables à une entreprise, en vue de déterminer un montant d’amende qui lui soit proportionnel, la Commission peut tenir compte de la durée particulièrement longue de certaines infractions, du nombre et de la diversité des infractions, qui ont concerné la totalité ou la quasi-totalité des produits de l’entreprise en cause et dont certaines ont affecté tous les États membres, de la gravité particulière d’infractions relevant d’une stratégie délibérée et cohérente visant, par des pratiques éliminatoires diverses à l’égard des concurrents et par une politique de fidélisation des clients, à maintenir artificiellement ou à renforcer la position dominante de l’entreprise sur des marchés où la concurrence était déjà limitée, des effets d’abus particulièrement néfastes sur le plan de la concurrence et de l’avantage tiré par l’entreprise de ses infractions (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 6 octobre 1994, Tetra Pak/Commission, T‑83/91, Rec. p. II‑755, points 240 et 241).

373    En l’espèce, il convient de considérer que les pratiques reprochées à la requérante justifiaient la qualification retenue par la Commission.

374    En effet, en accordant des ristournes sur tonnage marginal à ses clients et en concluant des accords de fidélisation avec ceux-ci, la requérante a gravement porté atteinte à la concurrence. Comme l’énonce à juste titre la Commission :

« [Les infractions commises par la requérante] faisaient partie d’une politique délibérée visant à consolider le contrôle exercé par [elle] sur le marché [en cause] d’une manière totalement contraire aux objectifs fondamentaux du traité. En outre, elles visaient spécialement à restreindre ou à affecter l’activité de concurrents déterminés. En fermant pendant longtemps les possibilités de vente à tous ses concurrents, [la requérante] a endommagé durablement la structure du marché [en cause], au détriment des consommateurs. »

375    À titre purement indicatif, il y a lieu d’observer que les lignes directrices pour le calcul des amendes, bien que celles-ci ne soient pas applicables en l’espèce, énoncent que les rabais fidélisants accordés par une entreprise en position dominante afin d’exclure ses concurrents du marché constituent une infraction « grave », pour laquelle les montants de départ pour le calcul de l’amende envisageables vont de 1 à 20 millions d’euros.

376    Quatrièmement, s’agissant de la récidive, il y a lieu de relever que, en réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a confirmé que le grief énoncé au considérant 159 de la décision attaquée, selon lequel la requérante s’était déjà vu infliger à plusieurs reprises des amendes substantielles pour fait de collusion dans l’industrie de la chimie (peroxydes, polypropylène, PVC), constituait une circonstance aggravante.

377    À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence, l’analyse de la gravité de l’infraction commise doit tenir compte d’une éventuelle récidive (arrêt Aalborg Portland e.a./Commission, point 128 supra, point 91, et arrêt du Tribunal du 25 octobre 2005, Groupe Danone/Commission, T‑38/02, Rec. p. II‑4407, point 348).

378    La notion de récidive, telle qu’elle est comprise dans un certain nombre d’ordres juridiques nationaux, implique qu’une personne a commis de nouvelles infractions après avoir été sanctionnée pour des infractions similaires (arrêt du Tribunal du 11 mars 1999, Thyssen Stahl/Commission, T‑141/94, Rec. p. II‑347, point 617).

379    Les lignes directrices pour le calcul des amendes, même si elles ne sont pas applicables au présent litige, vont dans le même sens en se référant à une « infraction de même type ».

380    Or, il y a lieu de constater que ces infractions pour lesquelles la requérante s’est vu infliger à plusieurs reprises des amendes substantielles pour fait de collusion dans l’industrie de la chimie se rattachent toutes à l’article 81 CE. En effet, comme l’a précisé la Commission, sont en cause sa décision 69/243/CEE, du 24 juillet 1969, relative à une procédure au titre de l’article [81 CE] (IV/26.267 – Matières colorantes) (JO L 195, p. 11), sa décision 86/398/CEE, du 23 avril 1986, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/31.149 – Polypropylène) (JO L 230, p. 1), ainsi que sa décision 89/190/CEE, du 21 décembre 1988, relative à une procédure d’application de l’article [81 CE] (IV/31.865 – PVC) (JO 1989, L 74, p. 1). En outre, les pratiques ayant fait l’objet des décisions susmentionnées sont très différentes de celles en cause en l’espèce.

381    Dès lors, la Commission ayant retenu à tort une circonstance aggravante à l’encontre de la requérante, il y a lieu de réformer la décision attaquée en réduisant de 5 % le montant de l’amende qui lui a été infligée.

382    Cinquièmement, l’argument de la requérante selon lequel elle n’a fait l’objet d’aucune condamnation pour violation des articles 81 CE et 82 CE depuis l’adoption de la décision 91/300 ne saurait prospérer dès lors que la décision attaquée porte uniquement sur des faits antérieurs à 1990.

383    Sixièmement, les arguments de la requérante selon lesquels la Commission aurait dû tenir compte, d’une part, des frais engagés pour constituer des garanties en ce qui concerne l’amende infligée dans la décision 91/300 et l’amende infligée dans la décision 91/297 lorsque celle-ci a fixé le montant de l’amende en l’espèce et, d’autre part, des coûts internes irrécupérables à la suite des actions entreprises pour établir que la décision 91/300 était illégale et en raison du pourvoi superflu et sans objet introduit par la Commission doivent être rejetés. En effet, il résulte de la jurisprudence que, dans la détermination du montant de l’amende, la Commission doit prendre en compte la gravité de l’infraction et les circonstances particulières de l’espèce, mais aussi le contexte dans lequel ladite infraction a été commise et veiller au caractère dissuasif de son action, surtout pour les types d’infractions particulièrement nuisibles pour la réalisation des objectifs de la Communauté (arrêts Musique Diffusion française e.a./Commission, point 354 supra, point 106, et Degussa/Commission, point 354 supra, point 272). Or, en l’espèce, à supposer même que des frais aient été engagés par la requérante pour constituer des garanties pour le paiement des amendes infligées dans des décisions qui ont ensuite été annulées et pour établir qu’une de ces décisions était illégale, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas les avoir pris en considération dès lors que la requérante pouvait demander leur remboursement dans le cadre d’un recours en indemnité.

384    Septièmement, lors de l’examen du premier moyen invoqué par la requérante, le Tribunal a rejeté le grief tiré d’une violation du principe du délai raisonnable par la Commission. Dès lors, la jurisprudence tirée de l’arrêt Baustahlgewebe/Commission, point 115 supra, qui suppose la constatation d’une violation du principe du délai raisonnable, n’est pas susceptible d’être invoquée en l’espèce.

385    En conclusion, la Commission ayant retenu à tort une circonstance aggravante à l’encontre de la requérante, il y a lieu de réformer la décision attaquée en réduisant le montant de l’amende qui lui a été infligée de 5 %, soit d’un montant de 500 000 euros.

 Sur le troisième moyen, tiré de l’appréciation erronée de la durée de l’infraction

 Arguments des parties

386    S’agissant de la fin de l’infraction, la requérante fait valoir que les conclusions de la Commission sont contradictoires et ne sont pas corroborées par des éléments de preuve.

387    En effet, il serait indiqué au considérant 2 de la décision attaquée que l’infraction s’est poursuivie jusqu’à la « fin [de l’année] 1990 environ ». En revanche, il serait précisé aux considérants 160 et 161 de la décision attaquée que l’infraction s’est poursuivie « au moins jusqu’à [la] fin [de l’année] 1989 » et que la requérante a abandonné les rabais sur la tranche supérieure à compter du « 1er janvier 1990 ». De même, à l’article 1er de la décision attaquée, la Commission se référait à la « fin [de l’année] 1989 au moins » comme moment auquel l’infraction a pris fin. La requérante affirme également que la Commission n’apporte aucune preuve de l’existence d’un comportement fautif après 1989.

388    S’agissant du début de l’infraction, la requérante prétend que la Commission ne dispose d’aucune preuve que l’infraction a commencé en 1983 ou établissant l’identité des clients auxquels les remises sur la tranche supérieure étaient destinées. Ainsi, dans la communication des griefs, la Commission aurait retenu l’année 1984 comme date de début de l’infraction. En tout état de cause, aucun des documents invoqués par la Commission n’aurait une date antérieure au 1er janvier 1985.

389    Selon la requérante, dès lors qu’il apparaît que le montant de l’amende a été fixé sur la base de huit années, à savoir les années 1983 à 1990, alors que la Commission n’avance des preuves que pour une durée de cinq années, à savoir les années 1985 à 1989, il convient de réduire ce montant de 35 à 40 %, sans préjudice des autres considérations exposées.

390    S’agissant de la fin de l’infraction, la Commission fait observer que l’incohérence relevée par la requérante se limite au considérant 2 de la décision attaquée, dans lequel il est indiqué que les remises sur la tranche supérieure offertes par la requérante avaient cessé à la fin de l’année 1990, alors qu’il ressort clairement des autres dispositions de la décision attaquée que l’infraction a pris fin au terme de l’année 1989. Selon elle, le collège des commissaires a adopté l’ensemble de la décision attaquée et il ne saurait y avoir de confusion.

391    S’agissant de la date de début de l’infraction, la Commission reconnaît qu’elle ne sait pas exactement à quelle date les accords relatifs aux remises sur la tranche supérieure ont été conclus en 1983 ou en 1984, mais, selon elle, il est incontestable que ces pratiques ont duré plus de cinq ans, qu’elles ont commencé avant 1985 et qu’elles n’ont été abandonnées qu’à la fin de 1989. Dès lors, l’amende qui a été infligée à la requérante ne serait pas excessive pour une infraction d’une telle durée.

 Appréciation du Tribunal

392    À titre liminaire, il convient de relever que, bien que ce moyen tende formellement à la suppression ou à la réduction de l’amende, il doit également être compris comme étant une demande d’annulation partielle de la décision attaquée en ce qu’elle indique à son article 1er que la requérante a enfreint les dispositions de l’article 82 CE en 1983.

393    Aux termes de la décision attaquée, en ce qui concerne la durée de l’infraction :

« (2)          Entre 1983 et [la] fin [de l’année] 1990 environ, [la requérante] a abusé de la position dominante qu’elle détenait sur le marché de la soude au Royaume-Uni en appliquant à ses principaux clients un système de rabais de fidélité et de remises liés au tonnage marginal (‘top-slice rebates’, ou ‘remises sur la tranche supérieure’), des conditions contractuelles tendant à lui assurer une exclusivité effective d’approvisionnement, ainsi que d’autres mesures qui avaient pour objet et pour effet de lui lier lesdits clients pour la totalité de leurs besoins et d’exclure les concurrents.

                  […]

(160)          L’infraction a commencé vers 1983, peu de temps après les négociations avec la Commission et la clôture du dossier par celle-ci, et s’est poursuivie au moins jusqu’à [la] fin [de l’année] 1989.

(161)          La Commission tient compte du fait que [la requérante] a abandonné le système des remises sur la tranche supérieure à compter du 1er janvier 1990. »

394    L’article 1er de la décision attaquée précise ensuite :

« […] [la requérante] a enfreint les dispositions de l’article [82 CE] à partir de 1983 environ et [jusqu’à la] fin [de l’année] 1989 au moins par un comportement visant à exclure ou à limiter très fortement la concurrence. »

395    Par conséquent, s’agissant de la date à laquelle l’infraction a pris fin, il existe une contradiction entre les dispositions de la décision attaquée, l’une mentionnant la « fin [de l’année] 1990 environ », et les autres indiquant la fin de l’année 1989.

396    À cet égard, il y a lieu de considérer que, comme l’indique l’article 1er de la décision attaquée, l’infraction n’a pas cessé avant la « fin [de l’année] 1989 au moins », ce qui est également mentionné au considérant 160 relatif à la durée de l’infraction, la référence à la « fin [de l’année] 1990 environ », qui figure au considérant 2 de la décision attaquée, lequel ne constitue qu’un résumé de l’infraction commise par la requérante, apparaissant, par conséquent, comme une erreur de plume.

397    S’agissant de la date à laquelle l’infraction a débuté, la requérante fait valoir que la Commission ne dispose d’aucun élément de preuve concernant les années 1983 et 1984, alors que la Commission soutient que la requérante a conclu les accords relatifs aux remises sur la tranche supérieure avant 1985, même si elle reconnaît ignorer la date exacte à laquelle ces accords ont été conclus en 1983 ou en 1984.

398    En réponse à une question écrite du Tribunal, la Commission a fait référence à certains documents contenus dans le dossier, qui, selon elle, indiquent que les pratiques reprochées à la requérante avaient été mises en place en 1983 et en1984.

399    À cet égard, d’une part, il convient de relever que, dans sa réponse à la communication des griefs, la requérante a fait, elle-même, référence à l’année 1984 et que, au considérant 60 de la décision attaquée, il est indiqué que, selon la requérante, à compter de 1984, les remises ont pour la plupart fait l’objet de négociations individuelles.

400    D’autre part, il y a lieu d’observer que les documents invoqués par la Commission en réponse à la question écrite du Tribunal ne permettent pas de considérer que l’infraction reprochée à la requérante s’était déjà produite en 1983. Par ailleurs, la Commission reconnaît qu’elle ne sait pas exactement à quelle date les accords relatifs aux remises sur la tranche supérieure ont été conclus (voir point 391 ci-dessus).

401    Dès lors, il convient d’annuler la décision attaquée en ce qu’elle indique que la requérante a enfreint les dispositions de l’article 82 CE en 1983.

402    En conséquence, il y a lieu de réduire, à ce titre, le montant de l’amende infligée à la requérante de 15 %, soit de 1 500 000 euros.

 Sur le quatrième moyen, tiré de l’existence de circonstances atténuantes

403    La requérante fait valoir que la Commission aurait dû retenir neuf circonstances atténuantes lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction.

 Sur la première branche, tirée de la coopération de la requérante avec la Commission

404    La requérante soutient qu’elle s’est montrée coopérative en assistant pleinement la Commission à tous les stades de l’enquête et en se présentant à l’audition avec les témoins ayant le plus contribué à la compréhension des faits. Elle fait observer que, dans son arrêt du 10 mars 1992, ICI/Commission (T‑13/89, Rec. p. II‑1021), le Tribunal a accordé pour ce motif une réduction supplémentaire d’un million d’écus du montant de l’amende.

405    Aux termes de l’article 11 du règlement n° 17, intitulé « Demande de renseignements » :

« 4. Sont tenus de fournir les renseignements demandés les propriétaires des entreprises ou leurs représentants et, dans le cas de personnes morales, de sociétés ou d’associations n’ayant pas la personnalité juridique, les personnes chargées de les représenter selon la loi ou les statuts.

5. Si une entreprise ou association d’entreprises ne fournit pas les renseignements requis dans le délai imparti par la Commission ou les fournit de façon incomplète, la Commission les demande par voie de décision. Cette décision précise les renseignements demandés, fixe un délai approprié dans lequel les renseignements doivent être fournis et indique les sanctions prévues à l’article 15, paragraphe 1, [sous] b), et à l’article 16, paragraphe 1, [sous] c), ainsi que le recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision. »

406    Il est de jurisprudence constante qu’une coopération à l’enquête qui ne dépasse pas ce qui résulte des obligations qui incombent aux entreprises en vertu de l’article 11, paragraphes 4 et 5, du règlement n° 17 ne justifie pas une réduction de l’amende (arrêts du Tribunal du 10 mars 1992, Solvay/Commission, T‑12/89, Rec. p. II‑907, points 341 et 342, et du 18 juillet 2005, Scandinavian Airlines System/Commission, T‑241/01, Rec. p. II‑2917, point 218). En revanche, une telle réduction est justifiée lorsque l’entreprise a fourni des renseignements allant bien au-delà de ceux dont la production peut être exigée par la Commission en vertu de l’article 11 du règlement n° 17 (arrêt du Tribunal du 9 juillet 2003, Daesang et Sewon Europe/Commission, T‑230/00, Rec. p. II‑2733, point 137).

407    Dans l’arrêt du 10 mars 1992, ICI/Commission, point 404 supra (point 393), le Tribunal avait relevé le caractère très détaillé de la réponse de la requérante à la demande de renseignements, qui concernait non seulement ses agissements, mais aussi ceux de l’ensemble des entreprises concernées, réponse sans laquelle il aurait été beaucoup plus difficile pour la Commission de constater et de mettre fin à l’infraction qui est l’objet de la décision 91/300.

408    Cependant, en l’espèce, la requérante se contente d’affirmer, sans apporter aucun élément, qu’elle a assisté pleinement la Commission à tous les stades de son enquête et qu’elle s’est présentée à l’audition avec les témoins ayant le plus contribué à la compréhension des faits.

409    En tout état de cause, le comportement de la requérante ne saurait être qualifié de coopération à l’enquête qui dépasse ce qui résulte des obligations qui incombent aux entreprises en vertu de l’article 11, paragraphes 4 et 5, du règlement n° 17. Par ailleurs, il ne saurait davantage être considéré que la requérante a fourni des renseignements allant bien au-delà de ceux dont la production peut être exigée par la Commission en vertu du même article.

410    Le comportement de la requérante n’étant pas susceptible d’être considéré comme une circonstance atténuante, il y a lieu d’écarter la première branche du quatrième moyen.

 Sur la deuxième branche, tirée du caractère non délibéré des arrangements en matière de fixation des prix

411    Selon la requérante, les arrangements en matière de fixation des prix dans le secteur du carbonate de soude ne constituaient pas une politique délibérée, de la part des parties concernées, visant à enfreindre les règles de la concurrence. À cet égard, elle se réfère à une note interne du 29 novembre 1988, rédigée par le responsable commercial de la division « Carbonate de soude », qui avait été transmise à la Commission lors de la procédure administrative, selon laquelle, « à la lumière des rencontres entre les producteurs de carbonate de soude avec la [direction générale de la concurrence] il y a quelques années, [il] ne [croyait] pas [qu’ils avaient] un problème majeur quant à la nature de [leurs] contrats ». Dans ladite note, il est également indiqué qu’il existe souvent une frontière très ténue entre, par exemple, le fait d’optimiser une position sur le marché et le fait d’abuser de sa position dominante sur ce marché. En tout état de cause, la requérante soutient que sa conduite n’a pas été qualifiée d’abusive dans un arrêt antérieur de la Cour ou du Tribunal. Dès lors, si infraction il y a eu, il conviendrait de la traiter comme une « infraction technique ».

412    Il résulte d’une jurisprudence constante que, pour qu’une infraction aux règles de concurrence du traité puisse être considérée comme ayant été commise de propos délibéré, il n’est pas nécessaire que l’entreprise ait eu conscience d’enfreindre une interdiction édictée par ces règles ; il suffit qu’elle n’ait pu ignorer que la conduite incriminée avait pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence dans le marché commun (arrêts du Tribunal du 1er avril 1993, BPB Industries et British Gypsum/Commission, T‑65/89, Rec. p. II‑389, point 165, et du 27 juillet 2005, Brasserie nationale e.a./Commission, T‑49/02 à T‑51/02, Rec. p. II‑3033, point 155).

413    Or, comme le relève à juste titre la Commission au considérant 137 de la décision attaquée, la Cour a déjà rendu plusieurs arrêts condamnant les pratiques visant à empêcher l’accès de concurrents aux clients en liant ces derniers au fournisseur dominant. À cet égard, l’arrêt Hoffmann-Laroche/Commission, point 216 supra, a notamment établi que, pour une entreprise se trouvant en position dominante sur un marché, le fait de lier – fût-ce à leur demande – des acheteurs par une obligation ou une promesse de s’approvisionner pour la totalité ou pour une part considérable de leurs besoins exclusivement auprès de ladite entreprise constitue une exploitation abusive d’une position dominante au sens de l’article 82 CE, soit que l’obligation en question soit stipulée sans plus, soit qu’elle trouve sa contrepartie dans l’octroi de rabais.

414    En outre, il ressort du considérant 108 de la décision attaquée que la requérante a rédigé « une note intitulée ‘Problèmes et objectifs pour 1989’ : ‘Examiner la légalité du système de la tranche supérieure et les autres solutions’ ».

415    Au surplus, comme le relève la Commission au considérant 158 de la décision attaquée :

« [La requérante] savait bien, à la suite des négociations approfondies qu’elle avait eues avec la Commission entre 1980 et 1982, quelles étaient les exigences de l’article 82 [CE]. L’instauration des ristournes sur tonnage marginal vers 1983 suivait de peu les assurances spécifiques qu’elle avait données à la Commission selon lesquelles elle n’offrait pas d’incitations spéciales aux clients pour que ceux-ci s’approvisionnent [auprès d’] elle pour la totalité ou la quasi-totalité de leurs besoins de carbonate de soude. »

416    Dès lors, la requérante ne pouvait ignorer que les pratiques visées dans la décision attaquée avaient pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence dans le marché commun.

417    La note interne du responsable commercial de la division « Carbonate de soude » de la requérante du 29 novembre 1988 n’est pas de nature à remettre en cause cette conclusion, dès lors que la jurisprudence avait déjà bien établi l’illégalité de pratiques semblables à celles reprochées à la requérante par la Commission.

418    En conséquence, il y a lieu d’écarter la deuxième branche du quatrième moyen.

 Sur la troisième branche, tirée de l’existence de mesures préventives

419    La requérante soutient avoir pris des mesures approfondies pour veiller au respect des règles de la concurrence. Ces mesures comprendraient un programme de formation global et continu mis en œuvre par des avocats internes et externes. Une cassette vidéo, réalisée professionnellement, vendue à plus de 170 autres entreprises, ainsi qu’une brochure explicative auraient ainsi été utilisées. Selon la requérante, ces mesures ont été efficaces, comme l’atteste l’absence de toute plainte concernant des violations du droit de la concurrence au cours de la période de dix ans qui s’est écoulée depuis l’adoption de la décision 91/300.

420    À cet égard, s’il est, certes, important qu’une entreprise ait pris des mesures pour empêcher que de nouvelles infractions au droit de la concurrence soient commises à l’avenir par des membres de son personnel, ce fait ne saurait affecter la réalité de l’infraction constatée. Le seul fait que, dans certains cas, la Commission a pris en considération, dans sa pratique décisionnelle antérieure, la mise en place d’un programme d’alignement en tant que circonstance atténuante n’implique pas pour elle une obligation de procéder de la même façon dans chaque cas d’espèce (voir arrêt du Tribunal du 15 mars 2006, BASF/Commission, T‑15/02, Rec. p. II‑497, point 266, et la jurisprudence citée).

421    Il en résulte que, dans la présente affaire, il ne saurait être reproché à la Commission de ne pas avoir pris en compte dans le cadre de l’examen de l’existence des circonstances atténuantes les mesures préventives que la requérante allègue avoir adoptées.

422    Partant, il y a lieu d’écarter la troisième branche du quatrième moyen.

 Sur la quatrième branche, tirée de l’abandon des rabais sur la tranche supérieure

423    La requérante prétend que, bien avant l’envoi de la communication des griefs, ses arrangements en matière de fixation des prix en ce qui concerne le carbonate de soude ont été volontairement renégociés, afin d’éviter les ristournes sur tonnage marginal et en adoptant un prix négocié unique, sans le moindre rabais ou la moindre ristourne. Elle invoque la communication de la Commission concernant la non-imposition d’amendes ou la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes (JO 1996, C 207, p. 4). Selon elle, cette communication prévoit que l’abandon volontaire de pratiques à un stade précoce est un facteur menant à une réduction substantielle du montant de l’amende. De même, en vertu du point 3 des lignes directrices pour le calcul des amendes, il s’agirait d’un facteur justifiant une réduction très substantielle de l’amende.

424    À cet égard, il y a lieu de relever que, selon le point 3 des lignes directrices pour le calcul des amendes, constitue une circonstance atténuante la « cessation des infractions dès les premières interventions de la Commission (notamment vérifications) ».

425    Toutefois, ainsi que cela ressort des points 366 à 369 ci-dessus, les lignes directrices pour le calcul des amendes ne sont pas applicables en l’espèce.

426    En tout état de cause, à supposer même que les lignes directrices soient applicables en l’espèce, force est de constater que les conditions prévues à l’article 3 des lignes directrices ne sont pas remplies dans la présente affaire. En effet, il ne saurait être considéré que la requérante n’a plus commis d’infraction dès les premières interventions de la Commission ainsi que les lignes directrices l’exigent pour que la cessation de l’infraction constitue une circonstance atténuante. À cet égard, il ressort du point 3 ci-dessus que la Commission a procédé aux premières vérifications au mois d’avril 1989 alors que la requérante a abandonné le système des ristournes sur tonnage marginal à compter du 1er janvier 1990 ainsi que cela ressort du considérant 161 de la décision attaquée.

427    Il convient de relever au demeurant que l’article 3 des lignes directrices ne saurait être interprété en ce sens que le seul fait pour un contrevenant de cesser toute infraction dès les premières interventions de la Commission constitue de façon générale et sans réserve une circonstance atténuante. En effet, une telle interprétation de l’article 3 des lignes directrices amoindrirait l’effet utile des dispositions permettant le maintien d’une concurrence efficace, car elle affaiblirait tant la sanction pouvant être imposée à la suite d’une violation de l’article 82 CE que l’effet dissuasif d’une telle sanction. Par conséquent, il y a lieu d’interpréter cette disposition en ce sens que seules les circonstances particulières du cas d’espèce, dans lesquelles l’hypothèse de la cessation de l’infraction dès les premières interventions de la Commission trouve à se concrétiser, pourraient justifier la prise en compte de cette dernière circonstance comme circonstance atténuante (arrêt du Tribunal du 27 septembre 2006, Archer Daniels Midland/Commission, T‑59/02, Rec. p. II‑3627, points 335 et 338).

428    En l’espèce, il y a lieu de rappeler que la Commission reproche à la requérante d’avoir abusé de la position dominante que cette dernière détenait sur le marché de la soude au Royaume‑Uni en appliquant à ses principaux clients un système de rabais de fidélité et de remises liés au tonnage marginal, des conditions contractuelles tendant à lui assurer une exclusivité effective d’approvisionnement ainsi que d’autres mesures qui avaient pour objet et pour effet de lui lier lesdits clients pour la totalité ou la quasi-totalité de leurs besoins et d’exclure les concurrents. À cet égard, il y a lieu de relever notamment que la requérante ne conteste pas l’existence ni le contenu des documents invoqués par la Commission dans la décision attaquée, dont il ressort que les remises sur la tranche supérieure ne reposaient pas sur une contrepartie économiquement justifiée et qu’elles visaient à empêcher l’approvisionnement des clients auprès de producteurs concurrents. Il convient également de relever, ainsi qu’il a été constaté aux points 370, 373 et 374 ci-dessus, que les infractions reprochées à la requérante sont d’une gravité particulière.

429    Partant, il y a lieu de considérer que, à supposer même que les lignes directrices aient été applicables et que la requérante ait cessé d’offrir des remises sur la tranche supérieure à ses clients dès les premières interventions de la Commission, une telle cessation ne saurait être considérée comme une circonstance atténuante en l’espèce.

430    Il convient par conséquent d’écarter la quatrième branche du quatrième moyen.

 Sur la cinquième branche, tirée de l’étendue limitée des rabais

431    Selon la requérante, les tonnages affectés par les rabais sur la tranche supérieure ne représentent que 8 % de ses ventes totales de carbonate de soude.

432    À cet égard, il convient de rappeler que la Commission, pour apprécier la gravité d’une infraction, doit tenir compte d’un grand nombre d’éléments dont le caractère et l’importance varient selon le type d’infraction en cause et les circonstances particulières de l’infraction concernée. Parmi ces éléments peuvent figurer le volume et la valeur des marchandises faisant l’objet de l’infraction ainsi que la taille et la puissance économique de l’entreprise et, partant, l’influence que celle-ci a pu exercer sur le marché (arrêt Musique Diffusion française e.a./Commission, point 354 supra, point 120).

433    Dans la présente affaire, la Commission a énoncé ce qui suit en ce qui concerne la gravité de l’infraction en cause :

« (156) En l’espèce, la Commission considère que les infractions à l’article 82 [CE] ont été d’une gravité particulière. Elles faisaient partie d’une politique délibérée visant à consolider le contrôle exercé par [la requérante] sur le marché [en cause] d’une manière totalement contraire aux objectifs fondamentaux du traité. En outre, elles visaient spécifiquement à restreindre ou à affecter l’activité de concurrents déterminés.

(157)          En fermant pendant longtemps les possibilités de vente à tous ses concurrents, [la requérante] a endommagé durablement la structure du marché concerné, au détriment des consommateurs. »

434    Par conséquent, il y a lieu de constater que la Commission a bien pris en compte l’influence que l’infraction a pu exercer sur le marché, laquelle, dans les circonstances de l’espèce, ne saurait se limiter au seul montant des quantités de carbonate de soude affectées par les ristournes sur tonnage marginal.

435    En tout état de cause, il ressort d’une jurisprudence constante que des éléments relevant de l’objet d’un comportement peuvent avoir plus d’importance aux fins de la fixation du montant de l’amende que ceux relatifs à ses effets (arrêts Thyssen Stahl/Commission, point 378 supra, point 636, et Michelin/Commission, point 295 supra, point 259).

436    Partant, la cinquième branche du quatrième moyen doit être écartée.

 Sur la sixième branche, tirée de l’absence de critique d’autres éléments de contrats de vente

437    La requérante fait valoir que la Commission ne formule aucune critique en ce qui concerne la durée de ses contrats de vente de carbonate de soude, la présence de clauses de concurrence, les contrats portant sur la totalité des besoins des clients ou les rabais sur le volume central ou encore toute autre remise concernant les 92 % restants de sa production.

438    À cet égard, il suffit de relever que de telles pratiques ne sont pas visées dans la décision attaquée.

439    Le fait que la Commission ne formule pas de critiques sur d’autres éléments de contrats de vente ne saurait constituer une circonstance atténuante en ce qui concerne l’infraction qui a fait l’objet de la décision attaquée.

440    Il convient par conséquent d’écarter la sixième branche du quatrième moyen.

 Sur la septième branche, tirée de l’absence de profit tiré de l’infraction

441    Selon la requérante, la Commission n’apporte aucune preuve qu’elle ait profité de l’une quelconque des pratiques qui lui sont reprochées. Elle affirme que ses ventes avaient chuté au début des années 80 et qu’elle devait rationaliser sa capacité de production en fermant son unité de production à Wallerscote (Royaume-Uni). La situation se serait améliorée ensuite, mais ses profits globaux auraient été modérés tout au long des années 80.

442    Cependant, la requérante n’apporte aucun élément de fait et de preuve au soutien de son allégation d’une absence de profit.

443    En outre, à supposer même que la requérante n’ait pas profité des pratiques qui lui sont reprochées, il y a lieu de rappeler que, si le montant de l’amende infligée doit être proportionné à la durée de l’infraction et aux autres éléments de nature à entrer dans l’appréciation de la gravité de l’infraction, parmi lesquels figure le profit que l’entreprise concernée a pu retirer de ses pratiques, le fait qu’une entreprise n’ait retiré aucun bénéfice de l’infraction ne saurait faire obstacle à ce qu’une amende soit infligée, sous peine de faire perdre à cette dernière son caractère dissuasif. Il s’ensuit que la Commission n’est pas tenue, en vue de fixer le montant des amendes, de prendre en considération l’absence de bénéfice tiré de l’infraction en cause. En outre, l’absence d’un avantage financier lié à l’infraction ne saurait être considérée comme une circonstance atténuante (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 29 novembre 2005, Heubach/Commission, T‑64/02, Rec. p. II‑5137, points 184 à 186, et la jurisprudence citée).

444    En conséquence, la septième branche du quatrième moyen doit être écartée.

 Sur la huitième branche, tirée de l’absence de caractère secret de l’infraction

445    La requérante soutient que, dans la présente affaire, il n’y a pas de caractéristique aggravante de secret en ce qui concerne les rabais sur la tranche supérieure. Il résulterait des mesures antidumping adoptées par la Commission que le marché du carbonate de soude était transparent et sensible aux prix et que les consommateurs opéraient sur une base communautaire ou sur une base mondiale pour leurs contrats annuels.

446    À cet égard, il y a lieu de relever que la Commission peut retenir le caractère du secret comme une circonstance aggravante lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction (voir en ce sens, pour une entente, arrêt du Tribunal du 14 mai 1998, Mayr-Melnhof/Commission, T‑347/94, Rec. p. II‑1751, point 213).

447    Il ne saurait pour autant en être inféré que l’absence de caractère secret constitue une circonstance atténuante.

448    Dans ces conditions, la huitième branche du quatrième moyen doit être écartée.

 Sur la neuvième branche, tirée de la nature des concurrents

449    Selon la requérante, les rabais sur la tranche supérieure n’auraient affecté que ses concurrents établis en dehors de la Communauté, lesquels se seraient eux-mêmes livrés tout au long des années 80 à des politiques de fixation des prix inéquitables.

450    À cet égard, il suffit de relever que, à supposer même que les rabais sur la tranche supérieure n’aient affecté que ses concurrents établis en dehors de la Communauté, la requérante n’explique pas en quoi le fait que ceux-ci soient des entreprises établies en dehors de la Communauté devrait constituer une circonstance atténuante en l’espèce.

451    Dès lors, il y a lieu d’écarter la neuvième branche du quatrième moyen.

452    En conclusion, il convient d’annuler la décision attaquée dans la mesure où elle indique que les infractions se sont déroulées entre 1983 environ et la fin de l’année 1989, et non entre 1984 à la fin de l’année 1989, et de la réformer en tant qu’elle retient à tort la circonstance aggravante d’une récidive commise par la requérante.

453    En conséquence, le montant de l’amende infligée à la requérante est fixé à 8 millions d’euros.

 Sur les dépens

454    Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, du règlement de procédure, le Tribunal peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

455    En l’espèce, les conclusions de la requérante ont été déclarées partiellement fondées. Le Tribunal estime qu’il est fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en décidant que la requérante supportera quatre cinquièmes de ses propres dépens et quatre cinquièmes de ceux exposés par la Commission et que cette dernière supportera un cinquième de ses propres dépens et un cinquième de ceux exposés par la requérante.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (sixième chambre)

déclare et arrête :

1)      L’article 1er de la décision 2003/7/CE de la Commission, du 13 décembre 2000, relative à une procédure d’application de l’article 82 [CE] (Affaire COMP/33.133 – D : Carbonate de soude – ICI), est annulé dans la mesure où il déclare que Imperial Chemical Industries Ltd a enfreint les dispositions de l’article 82 CE en 1983.

2)      Le montant de l’amende infligée à Imperial Chemical Industries à l’article 2 de la décision 2003/7 est fixé à 8 millions d’euros.

3)      Le recours est rejeté pour le surplus.

4)      Imperial Chemical Industries supportera quatre cinquièmes de ses propres dépens et quatre cinquièmes des dépens de la Commission européenne.

5)      La Commission supportera un cinquième de ses propres dépens et un cinquième des dépens de Imperial Chemical Industries.

Meij

Vadapalas

Dittrich

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 25 juin 2010.

Signatures

Table des matières


Faits à l’origine du litige

Procédure

Conclusions des parties

En droit

1. Sur les conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée

Sur le premier moyen, tiré de l’incompétence de la Commission pour adopter la décision attaquée

Sur la première branche, tirée d’une application erronée des règles de prescription

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la seconde branche, tirée de la violation du principe du délai raisonnable

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation des formes substantielles

Sur la première branche, tirée du caractère illégal des phases préparatoires à la décision 91/300

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la deuxième branche, tirée du délai excessif entre la procédure administrative et l’adoption de la décision attaquée

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la troisième branche, tirée d’une violation de l’obligation de procéder à de nouvelles démarches procédurales

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la quatrième branche, tirée de la violation du droit d’accès au dossier

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la cinquième branche, tirée d’une violation de l’article 253 CE

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le troisième moyen, tiré d’une mauvaise appréciation du marché en cause

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le quatrième moyen, tiré de l’absence de position dominante

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le cinquième moyen, tiré de l’absence d’abus de position dominante

Sur la première branche, relative aux ristournes sur tonnage marginal

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la deuxième branche, relative aux clauses d’approvisionnement exclusif et aux restrictions des achats auprès de concurrents

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur la troisième branche, relative aux autres incitations financières

– Arguments des parties

– Appréciation du Tribunal

Sur le sixième moyen, tiré de l’absence d’affectation du commerce entre États membres

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

2. Sur les conclusions tendant à la suppression ou à la réduction de l’amende

Sur le premier moyen, tiré de l’écoulement du temps

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le deuxième moyen, tiré de l’appréciation erronée de la gravité de l’infraction

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le troisième moyen, tiré de l’appréciation erronée de la durée de l’infraction

Arguments des parties

Appréciation du Tribunal

Sur le quatrième moyen, tiré de l’existence de circonstances atténuantes

Sur la première branche, tirée de la coopération de la requérante avec la Commission

Sur la deuxième branche, tirée du caractère non délibéré des arrangements en matière de fixation des prix

Sur la troisième branche, tirée de l’existence de mesures préventives

Sur la quatrième branche, tirée de l’abandon des rabais sur la tranche supérieure

Sur la cinquième branche, tirée de l’étendue limitée des rabais

Sur la sixième branche, tirée de l’absence de critique d’autres éléments de contrats de vente

Sur la septième branche, tirée de l’absence de profit tiré de l’infraction

Sur la huitième branche, tirée de l’absence de caractère secret de l’infraction

Sur la neuvième branche, tirée de la nature des concurrents

Sur les dépens


* Langue de procédure : l’anglais.