CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME TAMARA ĆAPETA

présentées le 9 février 2023 ( 1 )

Affaire C‑444/21

Commission européenne

contre

Irlande

« Manquement d’État – Directive 92/43/CEE – Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages – Article 6, paragraphe 1 – Zones spéciales de conservation – Obligation d’établir les mesures de conservation nécessaires – Manquement général et persistant »

I. Introduction

1.

« Le monde vivant constitue un miracle unique et magnifique. [...] Nous sommes entièrement dépendants de cette machine si splendidement syntonisée qui nous maintient en vie, et elle, pour son bon fonctionnement, est tributaire de sa biodiversité. » ( 2 )

2.

La biodiversité présente non pas uniquement une valeur intrinsèque, mais elle est aussi de la plus haute importance pour la survie de l’homme. Selon le Forum économique mondial ( 3 ), les conséquences possibles qui découlent d’une perte de biodiversité ( 4 ) comprennent, à tout le moins, l’insécurité alimentaire, l’aggravation du changement climatique ainsi que des risques pour la santé, pour l’économie et pour la culture.

3.

L’Union européenne reconnaît les problèmes que la perte de biodiversité est susceptible d’entraîner ( 5 ). L’un des fers de lance de la lutte qu’elle mène pour préserver la biodiversité est la directive 92/43/CEE du Conseil ( 6 ).

4.

C’est sur cette directive que porte la présente procédure en manquement. Sur le fondement de l’article 258 TFUE, la Commission européenne a introduit un recours contre l’Irlande pour non‑respect des obligations qui incombent à cet État membre en vertu de l’article 4, paragraphe 4, et de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive.

5.

Il s’agit là du troisième recours en manquement dont la Commission a saisi la Cour en ce qui concerne la mise en œuvre de ces mêmes dispositions de la directive « habitats », après ceux qui ont donné lieu, respectivement, aux arrêts du 5 septembre 2019, Commission/Portugal (Désignation et protection des zones spéciales de conservation) ( 7 ), et du 17 décembre 2020, Commission/Grèce ( 8 ). La Cour est également saisie de deux autres recours d’une portée similaire ( 9 ), et d’autres procédures en manquement sont en cours ( 10 ).

6.

La présente affaire ne constitue donc pas une procédure de plus parmi d’autres recours en manquement intentés d’ordinaire contre un État membre au titre de l’article 258 TFUE par la Commission. Elle semble, au contraire, faire partie d’une politique de cette dernière pour s’attaquer aux résultats insuffisants constatés dans l’amélioration de l’état des habitats et des espèces qui y vivent, que la directive « habitats » englobe ( 11 ).

7.

Par ailleurs, la présente affaire met en évidence différentes difficultés qui se posent à la Cour dans le cadre d’une procédure en manquement où il est reproché aux États membres de ne pas avoir atteint des objectifs environnementaux. Quelles sont exactement les obligations dont un État membre doit s’acquitter pour être considéré comme ayant dûment mis en œuvre la directive « habitats » ? Comment faut-il que la Commission prouve un tel manquement et que peut invoquer un État membre à sa défense ? De surcroît, il importe aussi de savoir comment la Cour doit apprécier ces arguments.

8.

Ainsi que je le montrerai, la réponse à ces questions nécessite, plus que dans bien d’autres domaines du droit de l’Union, une approche substantielle, qui évite le formalisme juridique et qui se concentre sur le principal objectif de la directive « habitats ». Cet objectif est de sauvegarder la biodiversité. Dans le cadre de cette directive, cette sauvegarde de la biodiversité doit se réaliser par les mesures que les États membres sont tenus d’adopter pour assurer que les habitats naturels et populations d’espèces de faune et de flore sauvages qui ont été sélectionnés soient maintenus ou rétablis dans un état de conservation favorable ( 12 ).

9.

La directive « habitats » vise, dès lors, à atteindre des résultats dont les effets doivent se faire sentir sur la nature. Ce résultat est non pas d’aboutir à tout un arsenal de dispositions juridiques (bien que certaines puissent s’avérer nécessaires), mais de préserver la biodiversité couverte par cette directive. L’objectif de la directive « habitats » ne saurait être atteint par la simple adoption d’un certain nombre de normes juridiques ni même par la mise en œuvre de telles normes. Plusieurs des mesures requises ne sont pas juridiques, en ce sens qu’elles ne créent pas des droits et obligations à l’intention de sujets de droit spécifiques. Ces mesures ne sont souvent pas susceptibles d’être appréciées par les méthodes d’évaluation que la Cour emploie habituellement dans les procédures en manquement, c’est-à-dire quant à savoir si une mesure juridique existe, si son respect en est assuré en pratique et pour quelles personnes elle crée des droits et obligations. Dans l’affaire qui nous occupe, les questions sont d’un ordre différent, et la Cour n’est pas dotée des moyens nécessaires pour y répondre sur la base de ses propres connaissances. Par exemple, savoir si interdire l’utilisation à des fins récréatives de certaines parties d’une forêt suffit à sauver une espèce de faune ou de flore menacée d’extinction est une question que la Cour peut difficilement apprécier. Or, il lui faut être à même de juger si un État membre a ou non fait ce que la directive « habitats » lui a imposé.

10.

Après un bref exposé sur le déroulement de la présente procédure en manquement contre l’Irlande (partie II), je poursuivrai de la façon qui suit. J’expliquerai d’abord le système instauré par la directive « habitats » et démontrerai que les obligations qu’elle impose aux États membres en application de son article 4, paragraphe 4, et de son article 6, paragraphe 1, créent un ensemble indivisible (partie III). J’analyserai ensuite, comme la Cour l’a demandé, le grief que la Commission fait valoir en l’espèce en ce qui concerne le manquement à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive (partie IV). Je conclurai que l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive, ce qui implique concrètement, en même temps, un manquement à son article 4, paragraphe 4.

II. Le déroulement de la présente affaire : la procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

11.

La présente affaire se rapporte à la mise en œuvre par l’Irlande de ses obligations en vertu de l’article 4, paragraphe 4, et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » en ce qui concerne la région biogéographique atlantique ( 13 ).

12.

Par sa décision 2004/813/CE ( 14 ), la Commission a adopté pour cette région une liste de 413 sites d’importance communautaire (ci‑après les « SIC ») qui se situent sur le territoire de l’Irlande. La Commission a mis ultérieurement cette liste à jour, notamment par deux décisions ( 15 ), qui, en ce qui concerne cet État membre, y ont ajouté 11 sites et ont regroupé deux sites pour qu’ils n’en forment plus qu’un seul. La présente affaire se rapporte donc, au total, à 423 sites répertoriés dans ces trois décisions de la Commission.

13.

Le 27 février 2015, à la suite de demandes d’information dans une procédure « EU pilot », la Commission a adressé à l’Irlande une lettre de mise en demeure au titre de l’article 258 TFUE, dans laquelle elle estimait que cet État membre avait enfreint les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 4, paragraphe 4, et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », en ne désignant pas de nombreux sites sur son territoire en tant que zones spéciales de conservation (ci-après les « ZSC »), en ne fixant pas des objectifs de conservation détaillés spécifiques à chaque site et en n’établissant pas les mesures de conservation nécessaires pour tous les 423 sites concernés.

14.

Le 30 avril 2015, l’Irlande a répondu à la lettre de mise en demeure en indiquant ses progrès dans la désignation des ZSC et dans la définition d’objectifs de conservation spécifiques à chaque site. Par ailleurs, elle a souligné que le droit irlandais protégeait les sites avant leur désignation formelle en tant que ZSC. Elle a également fourni des informations sur les mesures de conservation qui étaient en cours sur de nombreux sites. Complémentairement à cela, elle a envoyé à la Commission trois rapports d’avancement concernant la désignation des ZSC et la définition des objectifs de conservation spécifiques à chaque site, et ce respectivement les 9 décembre 2015, 15 janvier 2016 et 4 mars 2016.

15.

Le 29 avril 2016, considérant que les manquements reprochés à l’article 4, paragraphe 4, et à l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » persistaient pour la majorité des sites, la Commission a adressé à l’Irlande un avis motivé ( 16 ). Elle a demandé à cet État membre de mettre fin à ces manquements dans un délai de deux mois à compter de la réception de l’avis motivé.

16.

Le 27 juin 2016, l’Irlande a répondu à cet avis motivé. En particulier, elle a exposé le « SAC Designation and Management Work Programme » (programme de travail pour la désignation et la gestion des ZSC) approuvé peu de temps auparavant pour l’aboutissement des désignations des ZSC, de la fixation des objectifs de conservation spécifiques à chaque site et du développement de mesures de conservation à l’échelle des sites concernés.

17.

Le 9 novembre 2018, la Commission a adressé un avis motivé complémentaire à l’Irlande, dans lequel elle procédait à une analyse plus détaillée des mesures de conservation présentées par cet État membre ( 17 ). Cet avis invitait l’Irlande à mettre fin aux manquements reprochés pour le 9 janvier 2019.

18.

Le 11 janvier 2019, l’Irlande a répondu à l’avis motivé complémentaire. En particulier, elle a présenté l’avancement de ses travaux et un calendrier pour l’achèvement, au plus tard à la fin de l’année 2020, des désignations des ZSC et de la fixation des objectifs de conservation spécifiques à chaque site ainsi que pour la détermination et la mise en œuvre, au plus tard dans le courant de l’année 2021, des mesures de conservation nécessaires quant à tous les sites. Complémentairement à cela, elle a envoyé à la Commission six rapports d’avancement sur la désignation des sites en tant que ZSC, la publication d’objectifs de conservation spécifiques à chaque site ainsi que les développements concernant les mesures de conservation spécifiques à chaque site, et ce respectivement les 26 avril 2019, 2 mai 2019, 11 octobre 2019, 12 décembre 2019, 14 janvier 2020 et 14 avril 2020.

19.

Considérant que, au 9 janvier 2019, l’Irlande n’avait toujours pas rempli les obligations lui incombant en vertu de l’article 4, paragraphe 4, et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », la Commission a saisi la Cour du présent recours au titre de l’article 258 TFUE par une requête qu’elle a déposée le 16 juillet 2021.

20.

Par ses deux premiers griefs, la Commission demande à la Cour de constater que l’Irlande a enfreint l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats », premièrement, en n’ayant pas désigné un certain nombre de sites sur son territoire en tant que ZSC (à savoir 217 sites sur les 423 SIC), et, deuxièmement, en ne fixant pas d’objectifs détaillés de conservation spécifiques pour certains sites (140 sites sur les 423 SIC).

21.

Par son troisième grief, la Commission demande à la Cour de constater que l’Irlande a enfreint l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », en ce que cet État membre n’a établi les mesures de conservation nécessaires pour aucun des 423 sites qu’elle avait répertoriés en tant que SIC dans ses décisions pertinentes.

22.

Dans son mémoire en défense déposé le 15 octobre 2021, l’Irlande, soutenue par la République fédérale d’Allemagne ( 18 ), a demandé à la Cour de rejeter le présent recours dans son ensemble comme étant non fondé.

23.

La Commission et l’Irlande ont aussi déposé, respectivement, un mémoire en réplique et un mémoire en duplique les 29 novembre 2021 et 20 janvier 2022.

24.

Une audience s’est tenue le 9 novembre 2022, au cours de laquelle la Commission et l’Irlande ont été entendues en leurs plaidoiries.

III. La directive « habitats » et les obligations des États membres en vertu de son article 4, paragraphe 4, et de son article 6, paragraphe 1

A.   Le réseau Natura 2000 et la région biogéographique atlantique

25.

Les ZSC instaurées en vertu de la directive « habitats » ( 19 ), ensemble avec les zones de protection spéciale (ci-après les « ZPS ») instaurées en vertu de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil ( 20 ), font partie d’un réseau écologique européen cohérent, dénommé « Natura 2000 », qui vise à assurer la survie à long terme des habitats et espèces les plus précieux et les plus menacés de l’Union.

26.

Natura 2000 constitue le plus grand réseau coordonné de zones de conservation de la nature au monde ( 21 ). Il recouvre presque un cinquième de la surface terrestre de l’Union et environ 10 % de ses mers, totalisant à peu près 28000 sites à travers les 27 États membres, selon des rapports récents ( 22 ).

27.

Natura 2000 se réparti en cinq régions biogéographiques marines et neuf régions biogéographiques terrestres, y compris la région atlantique en cause dans la présente affaire. Cette région englobe en tout ou en partie huit (antérieurement neuf) États membres (à savoir l’ensemble du territoire de l’Irlande, des Pays-Bas et du Royaume-Uni, plus des parties de la Belgique, du Danemark, de l’Allemagne, de l’Espagne, de la France et du Portugal). Elle représente plus de la moitié du littoral de l’Union et comporte deux des mers les plus productives du monde, la mer du Nord et le nord-est de l’océan Atlantique. Comptant plus de 100 millions d’habitants (soit près d’un quart de la population de l’Union), il s’agit aussi de l’une des zones les plus densément peuplées de l’Union ( 23 ).

28.

Pour ce qui intéresse la présente affaire, la région biogéographique atlantique comprise dans le territoire de l’Irlande contient plusieurs types d’habitats prioritaires et d’espèces prioritaires ( 24 ) en danger de disparition. Citons, ainsi, les tourbières de couverture ( 25 ), qui sont une sorte de zones humides dont le sol mou et spongieux est composé principalement de matière végétale en décomposition partielle appelée tourbe, laquelle s’est accumulée lentement sur des milliers d’années dans des régions au climat frais et humide. Elles sont extrêmement importantes, entre autres, en ce qui concerne le changement climatique, étant donné qu’elles stockent des millions de tonnes de carbone (les plantes tourbigènes telles que la sphaigne et les poales absorbent le carbone de l’atmosphère) ( 26 ). Citons aussi les lagunes côtières ( 27 ), qui sont les parties du littoral où l’océan et la terre se rejoignent et qui constituent d’importants écosystèmes pour la productivité globale des eaux côtières du fait qu’elles présentent une diversité d’habitats ( 28 ). Citons, de même, la moule perlière d’eau douce (Margaritifera margaritifera) ( 29 ), espèce en déclin rapide (il s’agit apparemment de l’une des 365 espèces les plus menacées du monde), qui est un mollusque étonnant dont la durée de vie peut être supérieure à 200 ans et qui joue un rôle vital pour l’écosystème par sa capacité de filtration de l’eau, améliorant ainsi sa qualité ( 30 ).

B.   Le système de la directive « habitats »

29.

L’article 3, paragraphe 2, de la directive « habitats » impose aux États membres de contribuer à l’établissement de Natura 2000 en fonction de la représentation sur leur territoire des types d’habitats et espèces concernés. À cette fin, ils doivent donc, conformément à l’article 4 de cette directive, désigner des sites en tant que ZSC et, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de ladite directive, adopter des mesures pour préserver ces types d’habitats et espèces.

30.

À mon sens, l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », lequel impose aux États membres, en substance, d’adopter des mesures de conservation active pour préserver les habitats et les espèces que ces habitats abritent, constitue la disposition la plus importante de cette directive ainsi que sa raison d’être.

31.

Pour être conformes aux exigences de la directive « habitats », ces mesures de conservation doivent s’intégrer dans la structure de celle-ci, telle qu’elle y a été conçue. Il ne peut être conclu qu’un État membre a rempli ses obligations essentielles au titre de cette directive que si ces mesures sont adaptées à sa structure.

32.

Il est donc nécessaire d’exposer brièvement les aspects pertinents du système de la directive « habitats ».

33.

En vertu de l’article 4 de la directive « habitats », la procédure de désignation des sites en tant que ZSC se déroule en trois étapes ( 31 ) (ou en quatre ( 32 ), selon la manière dont elles sont scindées).

34.

Tout d’abord, en application de l’article 4, paragraphe 1, de la directive « habitats », chaque État membre propose une liste de sites indiquant les types d’habitats naturels ainsi que les espèces indigènes qu’ils abritent, liste qui est alors transmise à la Commission.

35.

Ensuite, en application de l’article 4, paragraphe 2, de la directive « habitats », la Commission établit, à partir des listes des États membres et en accord avec chacun d’entre eux, un projet de liste des SIC. Sur la base de ce projet de liste, la Commission arrête la liste des SIC, et ce par une décision contraignante. Ainsi qu’il a été expliqué plus haut (voir point 12 des présentes conclusions), les décisions répertoriant les 423 SIC sur le territoire irlandais ont été arrêtées dans le courant, respectivement, des années 2004, 2007 et 2008.

36.

Enfin, en application de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats » ( 33 ), aussitôt qu’un site a été répertorié par la Commission comme étant un SIC, l’État membre concerné doit le désigner en tant que ZSC. Cette disposition est libellée comme suit :

« Une fois qu’un site d’importance communautaire a été retenu en vertu de la procédure prévue au paragraphe 2, l’État membre concerné désigne ce site comme zone spéciale de conservation le plus rapidement possible et dans un délai maximal de six ans en établissant les priorités en fonction de l’importance des sites pour le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, d’un type d’habitat naturel de l’annexe I ou d’une espèce de l’annexe II et pour la cohérence de Natura 2000, ainsi qu’en fonction des menaces de dégradation ou de destruction qui pèsent sur eux. »

37.

En d’autres termes, en vertu de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats », l’État membre concerné doit désigner chaque SIC en tant que ZSC ( 34 ). En outre, il faut que cette désignation ait lieu dans un délai de six ans à compter de l’adoption de la liste contraignante des SIC. En ce qui concerne les SIC en cause en l’espèce, la date butoir a expiré au cours, respectivement, de l’année 2010 et de l’année 2014 (voir notes en bas de page 14 et 15 des présentes conclusions).

38.

Même si ce sont les États membres qui doivent transformer les SIC en ZSC, l’inscription par la Commission d’un site sur la liste en tant que SIC entraîne en soi des conséquences juridiques directes. La directive « habitats » prévoit, à son article 4, paragraphe 5, que, dès qu’un site est inscrit sur la liste des SIC adoptée par la Commission, ce site est soumis aux obligations prévues par les dispositions de son article 6, paragraphes 2 à 4. Ces dernières dispositions visent à prévenir la survenance de tout dommage futur causé au site ou, dans des circonstances exceptionnelles où ce dommage doit être admis, à le minimiser ( 35 ).

39.

Or, la seule désignation d’un SIC en tant que ZSC déclenche l’application de la disposition essentielle qu’est l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » ( 36 ).

40.

Cet article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » dispose :

« Pour les zones spéciales de conservation, les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d’autres plans d’aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I et des espèces de l’annexe II présents sur les sites. »

41.

Comme le texte de cette disposition le précise clairement, les mesures de conservation doivent répondre aux exigences écologiques des types d’habitats naturels et des espèces présents sur le site concerné. Cela signifie que la désignation d’une ZSC exige non pas seulement d’en établir les limites géographiques par un acte contraignant ( 37 ), mais aussi d’en exposer les raisons de son existence, ou, en d’autres mots, les objectifs poursuivis par une telle désignation. Dans sa jurisprudence, la Cour considère que la fixation d’objectifs de conservation constitue une étape obligatoire et nécessaire dans la désignation des ZSC et la mise en œuvre de mesures de conservation ( 38 ).

42.

La mise en œuvre des mesures de conservation nécessaires visées à l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » est obligatoire. Autrement dit, les États membres conservent certes une certaine marge d’appréciation quant au choix des moyens les plus appropriés à appliquer ( 39 ), mais ils ne peuvent pas décider de ne pas adopter des mesures adéquates et efficaces, c’est-à-dire capables d’atteindre les objectifs de la ZSC.

43.

En outre, même si l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » n’impose aucun délai, dès lors qu’elles doivent être intégrées à la ZSC, qui, pour sa part, doit être désignée dans les six ans de l’adoption par la Commission de la liste des SIC, les mesures de conservation doivent, elles aussi, être adoptées dans ce même délai.

44.

Selon moi, deux conséquences découlent de ce qui précède. D’une part, s’ils n’ont pas désigné le site en tant que ZSC, les États membres ne sauraient avoir rempli les obligations qui leur incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » ( 40 ) et, d’autre part, lorsqu’ils désignent les ZSC, les États membres doivent préciser clairement les objectifs de conservation à réaliser au sein de chacune d’entre elles. Autrement, l’on ne saurait déterminer si les mesures de conservation répondent aux besoins écologiques du type d’habitat spécifique et de l’espèce spécifique.

45.

Partant, les constats d’un manquement à l’article 4, paragraphe 4, et à l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » sont nécessairement liés. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que ce soit normalement en même temps que la Commission intente une procédure en manquement pour le non-respect de ces deux dispositions.

46.

En d’autres termes, en raison de la structure telle que conçue par la directive « habitats », dans toute situation où un État membre n’a pas désigné une ZSC dans le délai de six ans à compter de l’adoption de la liste des SIC, cet État viole à la fois l’article 4, paragraphe 4, et l’article 6, paragraphe 1, de cette directive. Il en est ainsi parce que les mesures de conservation ne sont dûment établies que si elles font partie du régime mis en place par la directive « habitats ».

47.

L’une des conséquences de la désignation d’une ZSC est qu’il faut établir et mettre en œuvre des mesures de conservation telles que requises par l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » ( 41 ).

48.

Selon la Commission, si l’État membre n’a pas adopté des mesures formelles pour désigner une ZSC, il est possible d’invoquer une violation de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats » indépendamment d’une violation de l’article 6, paragraphe 1, de celle‑ci. Or, selon moi, l’on ne saurait conclure qu’un État membre a dûment désigné une ZSC sur le plan substantiel, s’il n’en a pas fixé les objectifs de conservation et les mesures de conservation par lesquelles ces objectifs peuvent être réalisés. En conséquence, il est vrai également que, en n’adoptant pas les mesures de conservation nécessaires, l’État membre méconnaît, sur le plan substantiel, non pas seulement l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », mais aussi l’article 4, paragraphe 4, de celle-ci.

49.

Une question distincte mais tout aussi importante est celle de savoir ce qui constitue une mesure de conservation nécessaire aux fins de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ». Si nous adoptons l’approche substantielle telle que suggérée dès le début des présentes conclusions (voir point 8 des présentes conclusions), il ne peut s’agir que d’une mesure qui, sur la base des connaissances scientifiques actuelles, est capable de réaliser le résultat envisagé par l’objectif de conservation d’une ZSC déterminée. Lorsqu’une ZSC a de multiples objectifs de conservation parce qu’elle concerne des habitats particuliers ainsi que de nombreuses espèces animales et végétales qu’ils abritent, les mesures visées par l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » doivent couvrir tous ces objectifs. Cette approche a été confirmée par la jurisprudence, la Cour ayant considéré que les mesures de conservation devaient être mises en œuvre de manière effective, par des mesures complètes, claires et précises ( 42 ).

50.

Dans le cadre d’une procédure en manquement, la Cour est appelée à décider si, sur la base des éléments de preuve portés devant elle par la Commission et qui peuvent être admis ou contestés par l’État membre concerné, les mesures de conservation en question satisfont à ces exigences. Sur ce point, il n’est pas nécessaire, selon moi, que la Commission démontre, ou que la Cour apprécie, l’insuffisance des mesures de conservation pour chacune des ZSC sur le territoire de l’État membre. Il suffit de démontrer l’existence d’indices concordants d’une insuffisance systématique de ces mesures. C’est à cet égard qu’un grief tiré d’un manquement général et persistant devient important (voir points 90 à 112 des présentes conclusions).

51.

La question qui se pose alors, à son tour, est de savoir quelle preuve il y a lieu d’apporter et quels sont les rôles respectifs de la Commission, de l’État membre concerné et de la Cour dans la vérification du respect de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ». La Cour a déjà admis, à cet égard, que la Commission ne disposait pas de pouvoirs propres d’investigation mais était tributaire des éléments fournis par les États membres ( 43 ). Ces éléments d’information pourraient être fournis soit sur la base des obligations de surveillance et de présentation de rapports prévues aux articles 11 et 17 de cette directive, soit sur la base de demandes faites par la Commission. En tout état de cause, la Commission devrait être à même de vérifier aisément, au moyen des informations qu’elle reçoit, l’existence ou non des mesures de conservation et leur rattachement à tous les objectifs de conservation pertinents pour chacun des habitats et chacune des espèces ( 44 ). Ayant ces informations en sa possession, l’État membre concerné est également à même de montrer l’existence et l’étendue des mesures de conservation ainsi que la manière dont elles se rattachent aux objectifs de conservation pour chaque site. Il semble donc possible d’exiger de l’État membre concerné qu’il indique les mesures de conservation prises pour chaque habitat et chaque espèce sans imposer à la Commission de faire la preuve – ce qui serait excessivement contraignant – qu’aucune des mesures de conservation adoptées par cet État membre ne concerne telle espèce et tel habitat. Cependant, il incomberait encore à la Commission de prouver que les mesures de conservation que l’État membre a présentées comme protégeant une espèce ou un habitat sont insuffisantes pour mener cette tâche à bien. De même, sur le fondement des éléments produits devant elle par les parties, la Cour devrait pouvoir déterminer si les mesures de conservation sont conformes à l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », sans avoir à « se livrer à un travail d’enquête approfondi » ( 45 ).

52.

Enfin, il importe de souligner que, en violant soit l’article 4, paragraphe 4, soit l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », un État membre nuit non seulement à ses propres zones de conservation de la nature, mais aussi aux efforts entrepris au niveau de l’Union pour favoriser la conservation et la biodiversité grâce à Natura 2000. Ainsi que la Cour l’a admis, il ressort des quatrième et onzième considérants de cette directive que les habitats et espèces menacés font partie du patrimoine naturel de l’Union et que les menaces pesant sur ceux-ci sont souvent de nature transfrontalière, de telle sorte que l’adoption de mesures de conservation incombe, à titre de responsabilité commune, à tous les États membres ( 46 ).

53.

Vantée, entre autres, comme « un outil puissant en ce qui concerne la protection de la nature » ( 47 ) et comme « l’un des instruments les plus formidables de l’Union en matière de législation environnementale » ( 48 ), la directive « habitats » risque de se solder par un échec si les États membres n’établissent pas les mesures de conservation nécessaires pour la réalisation des objectifs de conservation de chaque site retenu pour participer à Natura 2000.

54.

C’est sous cet angle que je vais aborder à présent le troisième grief que la Commission a avancé en l’espèce.

IV. Le troisième grief, tiré de la violation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats »

55.

Par son troisième grief, la Commission fait valoir que l’Irlande a violé l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » parce qu’elle n’a établi pour aucun des 423 sites en question les mesures de conservation nécessaires.

56.

La Commission fait valoir, en substance, quatre types d’allégation. Premièrement, certains sites ne font pas l’objet de la moindre mesure de conservation (230 sites sur les 423). Deuxièmement, certains sites font l’objet de mesures de conservation incomplètes parce qu’elles ne se rapportent qu’à un sous‑ensemble de types d’habitat ou d’espèces concernés présents de manière significative dans ces sites (149 sites sur les 193 sites restants). Troisièmement, certains sites font l’objet de mesures de conservation qui ne sont pas fondées sur des objectifs de conservation spécifiques à chaque site clairement définis (les 44 sites restants). Quatrièmement, dans plusieurs sites, les mesures de conservation existantes ne sont pas effectives parce qu’elles ne sont ni suffisamment précises ni ne permettent de faire face à toutes les pressions et menaces importantes. En outre, la Commission, soutient que ce dernier type de manquement est de nature générale et persistante.

57.

J’examinerai séparément chacun des quatre types d’allégation ci‑après.

58.

Avant d’entamer cette analyse, il me faut préciser que, à mon sens, rien ne s’oppose à ce que la Commission fasse valoir un grief distinct au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » lorsqu’elle a fait valoir également pour le même site un grief au titre de l’article 4, paragraphe 4, de cette directive (par exemple, pour non‑désignation formelle d’une ZSC ou pour absence d’objectifs de conservation spécifiques en lien avec des ZSC déterminées) ( 49 ).

59.

Dans la présente affaire, si elle allègue pour tous les 423 sites en cause la violation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », la Commission affirme aussi qu’il existe pour certains d’entre eux une violation de l’article 4, paragraphe 4, de cette directive.

60.

Comme je l’ai déjà expliqué (voir points 44 à 48 des présentes conclusions), le constat de la violation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » signifie automatiquement, du même coup, celle de l’article 4, paragraphe 4, de cette directive sur le plan substantiel, car une ZSC ne saurait être considérée comme étant dûment mise en place en l’absence d’adoption et de mise en œuvre des mesures de conservation nécessaires. Inversement, constater qu’un État membre n’a pas formellement désigné une ZSC ou qu’il a établi ses objectifs de conservation en méconnaissance de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats » signifie, en même temps, que l’article 6, paragraphe 1, de celle-ci a également été violé, puisque les mesures de conservation ne peuvent être adoptées de manière conforme à la directive « habitats » que si elles se rattachent à une ZSC spécifique et à ses objectifs de conservation.

61.

La Commission ne peut dès lors pas se dispenser d’intenter un recours en manquement au titre de ces deux dispositions, compte tenu de leur imbrication, et ce même si les violations alléguées peuvent faire l’objet d’une appréciation distincte.

A.   L’allégation selon laquelle l’Irlande n’a adopté aucune mesure de conservation pour certains sites

62.

La Commission allègue que, eu égard aux informations que l’Irlande a fournies dans le cadre de la procédure précontentieuse, 230 sites ne font l’objet d’aucune mesure de conservation.

63.

En réponse à cette affirmation, l’Irlande explique que le droit irlandais contient une liste des actions à notifier et une liste des activités requérant approbation préalable, qui identifient les activités exigeant l’accord du ministre concerné avant de pouvoir être entreprises sur un site particulier. Selon l’Irlande, tant les actions à notifier que les activités requérant approbation préalable constituent des mesures de conservation spécifiques à chaque site, qui s’appliquent aux fins de prévenir tout dommage aux espèces et habitats concernés de chacun des sites. Ainsi, selon l’Irlande, étant donné qu’il existe une liste d’actions à notifier ou une liste d’activités requérant approbation préalable pour chacun des 423 sites en question, aucun d’entre eux ne se trouve dénué de mesures de conservation spécifiques à chaque site.

64.

Or, comme l’indique la Commission, les mesures de conservation nécessaires à adopter en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » ne sauraient être confondues avec les mesures à prendre pour éviter la détérioration des sites ni se limiter à celles-ci. En vertu de l’article 6, paragraphe 2, de cette directive, l’adoption de ces dernières mesures doit avoir lieu immédiatement après la publication de la liste des SIC (voir point 38 des présentes conclusions). À la différence des mesures visant à éviter la détérioration des sites, les mesures de conservation requises par l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » constituent des mesures proactives positives pour le maintien ou le rétablissement dans un état de conservation favorable du site ( 50 ).

65.

D’après les informations que l’Irlande a fournies quant aux listes, applicables à chaque site, des actions à notifier et des activités requérant une approbation préalable, ces listes revêtent à bien des égards un caractère général (beaucoup d’entre elles sont identiques pour les différents sites, par exemple, « défrichement, y compris remblayage », et « dynamitage, forage, dragage ou plus généralement enlèvement ou perturbation de fossiles, roches, minéraux, boues, sable, gravier ou d’autres sédiments ») et n’offrent aucun détail quant à leur mise en œuvre effective ou quant à la façon dont elles se rattachent aux exigences écologiques de chaque site.

66.

De surcroît, l’Irlande produit une liste de 79 sites pour lesquels elle prétend qu’il existe un ensemble exhaustif de mesures de conservation. Elle invoque également l’existence de 10 programmes horizontaux, qui mettent en œuvre des mesures de conservation en fonction des types d’habitat et des espèces plutôt qu’en fonction de sites individuels. Elle soulève aussi les mêmes arguments en ce qui concerne l’allégation selon laquelle elle a adopté des mesures de conservation incomplètes pour certains sites (voir points 72 et 76 des présentes conclusions).

67.

Or, sans qu’il soit nécessaire de chercher à savoir si les mesures de conservation de ces 79 sites sont effectivement exhaustives, un tel argument ne réfute pas l’allégation selon laquelle il existe des sites où aucune mesure de conservation n’est mise en place (la Commission affirme que 230 sites sont dans ce cas). Il en va de même pour les 10 programmes horizontaux que l’Irlande invoque. Sans informations complémentaires, l’on peut difficilement conclure sur la base de la seule existence de tels programmes qu’aucun des sites ne se trouve dénué de toute mesure.

68.

À mon avis, l’Irlande n’a donc pas réfuté l’allégation de la Commission selon laquelle plusieurs sites ne font pas l’objet de la moindre mesure de conservation.

B.   L’allégation selon laquelle l’Irlande a adopté des mesures de conservation incomplètes pour certains sites

69.

La Commission allègue que, eu égard aux informations que l’Irlande a fournies dans le cadre de la procédure précontentieuse, il existe 149 sites dont les mesures de conservation sont incomplètes parce qu’elles ne couvrent qu’un sous-ensemble des habitats et espèces concernés pour lesquels le site a été désigné.

70.

À l’appui de cette allégation, la Commission se fonde sur la jurisprudence de la Cour, qui exige la mise en œuvre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » par des mesures complètes.

71.

Dans cette jurisprudence ( 51 ), la Cour a souligné que les mesures de conservation litigieuses étaient lacunaires, en ce qu’elles ne comportaient pas systématiquement des mesures de conservation établies en fonction des exigences écologiques de chaque espèce et de chaque type d’habitat présents dans chacun des ZSC.

72.

À sa défense, l’Irlande fait valoir que, dans différentes ZSC, elle met actuellement en œuvre 10 programmes, qui, comme indiqué précédemment, contiennent des mesures de conservation s’appliquant à l’ensemble d’un type d’habitat ou l’ensemble d’une espèce plutôt qu’en fonction d’un site individuel.

73.

La République fédérale d’Allemagne ajoute à cet égard que, pour être complètes et précises, les mesures de conservation ne doivent pas obligatoirement être établies individuellement, « espèce par espèce » et « type d’habitat par type d’habitat ». Selon le contexte, une interdiction générale d’actes dommageables peut dans certains cas déjà prévenir toutes les principales menaces et pressions, alors que, dans d’autres cas, des mesures plus différenciées sont nécessaires.

74.

Selon moi, la mise en œuvre de mesures de conservation par des programmes horizontaux ne saurait en soi être considérée comme étant problématique, mais il faut savoir clairement comment de tels programmes répondent aux besoins de chaque habitat et chaque espèce dans chacun des sites.

75.

Or, l’Irlande ne donne aucune information concrète quant à savoir quelles mesures de conservation établies au titre de ces programmes remplissent les objectifs de conservation spécifiques de chaque site. Il est dès lors difficile de conclure sur la seule base des informations concernant ces programmes horizontaux qu’ils satisfont aux besoins de chaque habitat et chaque espèce dans chaque ZSC. Qui plus est, comme la Commission l’a indiqué sans avoir été contredite par l’Irlande, quatre de ces programmes sont postérieurs à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé complémentaire (voir point 17 des présentes conclusions) et ne peuvent donc pas être pris en considération dans la présente affaire ( 52 ).

76.

L’Irlande fournit également une liste de 79 sites qui, selon elle, seraient dotés de mesures de conservation exhaustives. Or, comme la Commission le relève, cette liste ne s’accompagne d’aucune information corroborant le caractère exhaustif des mesures pour ces sites ou des dates auxquelles elles ont été adoptées. L’Irlande donne des exemples pour six sites ainsi que pour 21 autres sites où le petit rhinolophe fer à cheval (Rhinolophus hipposideros) est protégé, mais sans expliquer, pour aucun de ces exemples, comment ils se rattachent aux objectifs de conservation ni en quoi ils tiennent compte de manière exhaustive de ces objectifs. L’Irlande n’indique pas davantage, en ce qui concerne ces exemples, les dates auxquelles les mesures de conservation ont été établies et mises en œuvre. De ce fait, il ne peut pas être vérifié si ces mesures ont été prises avant ou après l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé complémentaire (voir point 17 des présentes conclusions) ( 53 ).

77.

La Cour me permettra de présenter quelques exemples :

Le site IE000090, à savoir la ZSC « Glengarriff Harbour and Woodland », abrite un type d’habitat prioritaire (forêts alluviales comportant les espèces Alnus glutinosa et Fraxinus excelsior), de même qu’un type d’habitat supplémentaire (vieilles chênaies des îles Britanniques comportant les espèces Ilex et Blechnum) et quatre espèces [l’escargot du Kerry (Geomalacus maculosus), le petit rhinolophe fer à cheval, la loutre d’Europe (Lutra lutra) et le phoque commun (Phoca vitulina)]. Six mesures de conservation sont indiquées pour ce site. Toutefois, ces mesures revêtent un caractère général (« Programme de contrôle des espèces exotiques invasives », « Régime de gestion des forêts indigènes », « Régime de gestion des activités récréatives », « Régime de gestion des herbivores sauvages », « Gestion du gîte des chauves-souris » et « Programme de transfert de communications et de connaissances »). Aucune information concrète n’est fournie quant à savoir comment ces mesures de conservation correspondent aux objectifs de conservation spécifiques fixés pour chacun de ces habitats et espèces sur le site ( 54 ). Pour plusieurs objectifs de conservation, les mesures de conservation correspondantes semblent faire défaut (par exemple, en ce qui concerne le phoque commun, seules les troisième et sixième mesures de conservation susmentionnées sont indiquées, sans signaler les objectifs relatifs aux sites de reproduction et aux échoueries de repos et de mue), et aucune mesure quelconque de conservation n’est indiquée pour la loutre ;

Le site IE000364, à savoir la ZSC « Kilgarvan Ice House », abrite une espèce (le petit rhinolophe fer à cheval) et trois mesures de conservation sont indiquées (« Gestion du gîte des chauves-souris », « Plantation d’arbres » et « Acquisitions de terres »). Pour ce site, l’Irlande a répertorié sept objectifs de conservation concrets, qui se rapportent au maintien de la population, aux gîtes hivernaux, aux gîtes estivaux, aux gîtes auxiliaires, à l’étendue de la zone potentielle d’alimentation, aux éléments linéaires (routes de passages) et à la pollution lumineuse, sans la moindre indication quant à savoir comment les mesures et les objectifs sont liés entre eux ;

Le site IE0000412, à savoir la ZSC « Slieve Bloom Mountains », abrite un type d’habitat prioritaire (tourbières de couverture) ainsi que deux types d’habitat supplémentaires (landes humides atlantiques septentrionales comportant l’espèce Erica tetralix et forêts alluviales comportant les espèces Alnus glutinosa et Fraxinus excelsior), et dix mesures de conservation sont indiquées (« Programme de contrôle des espèces exotiques invasives », « Établissement du plan de gestion des incendies », « Régime de gestion des forêts indigènes », « Régime de gestion des activités récréatives », « Régime de gestion des herbivores sauvages », « Régime visant à remettre en état/entretenir les sentiers pour éviter les dommages à des zones sensibles », « Programme de blocage du drainage », « Installation de sentiers/chemins pour éviter les dommages à des zones sensibles », « Programme de transfert de communications et de connaissances » et « Régime visant à accroître la résilience aux incendies »). Toutefois, il n’est pas précisé comment ces mesures correspondent aux 19 objectifs de conservation spécifiques pour chaque site en ce qui concerne cet habitat prioritaire, ainsi qu’aux objectifs de conservation spécifiques pour chaque site qui sont indiqués pour ces deux habitats supplémentaires (respectivement 20 objectifs pour l’un et 13 pour l’autre) et qui se rapportent, entre autres, aux aires d’habitat, à la répartition de l’habitat, à la fonction des écosystèmes, à la diversité des communautés, à la composition de la végétation, à la structure de la végétation, au drainage et à l’érosion de la structure physique, aux indicateurs de spécificité locale, à l’étendue des superficies boisées et à la structure de celles-ci ;

Le site IE0001242, à savoir la ZSC « Carrownagappul Bog », abrite un habitat prioritaire (tourbières hautes actives), ainsi que deux types d’habitat supplémentaires (tourbières hautes dégradées encore susceptibles de régénération naturelle et dépressions sur substrats tourbeux du Rhynchosporion), et les douze mesures de conservation qui sont indiquées sont, en grande partie, génériques (par exemple, « Coupe rase de plantations forestières », « Détermination des droits de propriété », « Programme de contrôle des espèces exotiques invasives », « Régime de gestion du drainage », « Régime de gestion de la coupe de l’herbe » et « Programme de blocage du drainage »). Il existe, parallèlement, 17 objectifs de conservation relatifs aux aires d’habitat, à la répartition des habitats, à la zone de tourbières hautes, aux niveaux d’eau, aux configurations de l’écoulement, aux aires de transition, à la qualité de la végétation, aux espèces typiques de tourbières hautes actives, aux éléments de spécificité locale, aux indicateurs physiques négatifs, à la composition de la végétation, à la qualité de l’air et à la qualité de l’eau ;

Le site IE0002010, à savoir la ZSC « Old Domestic Building (Keevagh) », désignée pour la protection de l’espèce petit rhinolophe fer à cheval, ne comporte qu’une seule mesure de conservation (« Gestion du gîte des chauves-souris ») avec quelques précisions (« Cheminée et fenêtres réparées ; autres travaux nécessaires étant donné que le bâtiment s’est dégradé »), tandis que cinq objectifs de conservation détaillés spécifiques au site sont mentionnés concernant la population par gîte, les gîtes estivaux, l’étendue de la zone potentielle d’alimentation, les éléments linéaires et la pollution lumineuse.

78.

Je ne vois donc pas comment les éléments produits par l’Irlande justifient que ces exemples peuvent être considérés comme une démonstration que les sites font l’objet de mesures de conservation exhaustives. Le fait qu’il puisse exister quelques mesures de conservation pour certains sites ne suffit pas, à mon avis, pour satisfaire aux exigences de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ».

79.

J’estime que l’Irlande n’a dès lors pas réfuté l’allégation de la Commission selon laquelle un certain nombre de sites ne font pas l’objet de mesures de conservation complètes.

C.   L’allégation selon laquelle les mesures de conservation que l’Irlande a adoptées ne sont pas fondées sur des objectifs de conservation

80.

La Commission allègue que, eu égard aux informations que l’Irlande a fournies dans le cadre de la procédure précontentieuse, les mesures de conservation pour (tout au moins) 44 sites ne sont pas fondées sur les objectifs de conservation fixés pour chaque site.

81.

La Commission comprend les exigences formulées à l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » de fonder les mesures de conservation sur des objectifs détaillés de conservation spécifiques à chaque site comme présentant un aspect matériel (objectifs et mesures doivent être corrélés) et un aspect séquentiel (les objectifs ne peuvent pas succéder aux mesures). Selon elle, cela va dans le sens du contexte et des objectifs de cette directive. Comme elle l’a souligné lors de l’audience, le cas de figure où un État membre établirait d’abord des mesures de conservation pour fixer ensuite des objectifs de conservation, avec pour résultat que ces mesures correspondraient alors pleinement auxdits objectifs, est irréaliste et présente un risque significatif que les objectifs de conservation ne servent pas de critères permettant d’apprécier l’adéquation des mesures de conservation, mais constituent un simple réfléchissement de ces mesures.

82.

L’Irlande, soutenue par la République fédérale d’Allemagne, conteste les affirmations de la Commission. Ces deux États membres font valoir, notamment, qu’il n’existe aucune obligation de fixer les objectifs de conservation avant l’établissement des mesures de conservation.

83.

Ainsi que l’a souligné l’Irlande lors de l’audience, l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » ne prescrit pas un ordre spécifique à suivre dans l’adoption des objectifs de conservation et des mesures de conservation, ni le texte de cette disposition ni la jurisprudence de la Cour n’allant dans ce sens. L’Irlande soutient qu’il existe 37 sites où les mesures de conservation ont été fondées sur une évaluation adaptée des menaces et pressions malgré le fait qu’aucun objectif de conservation spécifique à chaque site n’avait encore été développé et publié.

84.

La République fédérale d’Allemagne souligne qu’une violation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » ne saurait découler du simple fait que des mesures de conservation ont déjà été adoptées avant la définition des objectifs de conservation ; le facteur déterminant doit être de savoir si les mesures de conservation nécessaires sont prises et sont effectives en tant que telles.

85.

À cet égard, en dépit de ce que la Commission soutient, je ne suis pas persuadée que des mesures de conservation ne respecteraient pas l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » pour la seule raison que les objectifs de conservation ont été définis après qu’elles ont été établies. À mon sens, ce qui importe est de savoir si les mesures de conservation nécessaires sont adéquates et effectives pour répondre aux exigences écologiques des habitats et espèces en raison desquels le site a été désigné.

86.

L’argument de la Commission concernant le risque que, si cet ordre est inversé, les objectifs de conservation seront aménagés pour correspondre aux mesures de conservation ne me paraît pas non plus convaincant. Au contraire, il est davantage probable que les besoins d’un site aient déjà été identifiés par l’État membre, même s’ils n’ont pas encore été formellement exprimés en tant qu’objectifs de conservation. On imagine difficilement que des États membres ont adopté des mesures de conservation sans raison valable.

87.

Cela ne signifie pas pour autant que, même en étant préexistantes, les mesures de conservation ne devraient pas correspondre aux objectifs de conservation pour satisfaire aux exigences de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ». Cela ne signifie pas non plus que les objectifs de conservation ne devraient pas être énoncés clairement. La fixation des objectifs de conservation constitue, comme il ressort de la jurisprudence de la Cour ( 55 ), une étape obligatoire et nécessaire dans la désignation des ZSC et la mise en œuvre de mesures de conservation (voir point 41 des présentes conclusions).

88.

Je considère dès lors que l’allégation de la Commission selon laquelle l’Irlande a violé l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » en établissant les mesures de conservation avant de définir les objectifs de conservation n’est pas fondée.

89.

Néanmoins, dans la mesure où l’Irlande n’a pas contesté que les mesures de conservation ne peuvent pas être mises en adéquation avec les objectifs de conservation pour les sites en question, l’allégation de la Commission relative à la violation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » est fondée.

D.   L’allégation de l’ineffectivité de certaines mesures de conservation adoptées par l’Irlande ainsi que du manquement général et persistant que celle-ci a commis

90.

La Commission allègue que, eu égard aux informations que l’Irlande a fournies dans le cadre de la procédure précontentieuse, cet État membre a violé de manière générale et persistante les obligations qui découlent de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » en établissant systématiquement des mesures de conservation qui n’étaient pas suffisamment détaillées et ne permettaient pas de faire face à toutes les pressions et menaces susceptibles d’affecter les habitats et espèces présents sur chaque site.

91.

La Commission affirme dès lors non pas seulement que certaines mesures de conservation ne satisfont pas aux exigences qualitatives parce que ces mesures ne sont pas suffisamment effectives, mais aussi que les exemples mis en avant sont représentatifs d’une pratique constituant un manquement général et persistant commis par l’Irlande.

92.

La Commission invoque trois exemples se rapportant à deux types d’habitats prioritaires (les lagunes côtières et les tourbières de couverture) et à une espèce prioritaire (la moule perlière d’eau douce) pour démontrer que les mesures de conservation sont de qualité insuffisante parce qu’elles ne sont pas définies sur le plan quantitatif, qu’elles n’indiquent pas les acteurs responsables ou des calendriers de mise en œuvre et qu’elles ne répondent pas aux principales pressions et menaces susceptibles d’affecter ces habitats et cette espèce ( 56 ).

93.

Dans la jurisprudence à laquelle la Commission se réfère ( 57 ), la Cour a expliqué que les mesures de conservation devaient être non pas seulement complètes, mais aussi claires et précises. L’exigence de complétude a été abordée en l’espèce dans l’examen de la deuxième allégation de la Commission (voir points 69 à 79 des présentes conclusions). La Cour n’a toutefois pas encore eu l’occasion de préciser en détail ce que l’exigence de mesures claires et précises impliquait. Jusqu’à présent, la Cour a considéré que les mesures de conservation étaient insuffisantes lorsqu’elles étaient génériques et programmatiques ou qu’elles imposaient de nouvelles mesures d’exécution pour devenir effectives.

94.

Je peux partager l’avis de la Commission selon lequel des mesures de conservation effectives doivent faire face à toutes les menaces et pressions principales susceptibles d’affecter les habitats et espèces sur chaque site. Je peux admettre également que de telles mesures doivent être suffisamment spécifiques et détaillées pour répondre aux besoins du site particulier. Toutefois, l’on ne saurait prescrire de manière générale qu’une précision suffisante nécessite, d’avance, une quantification ou une identification des acteurs concernés ainsi que des calendriers ; cette question dépend, en effet, des circonstances du site particulier et des types de mesures adaptés à ses besoins. Ce qui est déterminant est la possibilité de mettre de telles mesures en œuvre ( 58 ). Par conséquent, si l’on ne peut pas s’attendre à ce que la mise en œuvre se réalise sans une identification des acteurs responsables, sans calendriers ou sans objectifs quantifiés, il faut que ces mesures comportent d’avance ce genre de précisions. En revanche, si ce n’est pas nécessaire dans un cas particulier, un État membre doit expliquer pourquoi la mesure est néanmoins apte à être mise en œuvre de manière effective.

95.

L’Irlande n’avance aucun argument pour réfuter les informations que la Commission produit afin de faire valoir l’inefficacité des mesures de conservation en ce qui concerne les trois exemples.

96.

Pour autant que les 27 exemples que l’Irlande a exposés afin de démontrer qu’elle disposait de mesures de conservation exhaustives peuvent être compris également comme une réponse à l’allégation de la qualité insuffisante de ces mesures, j’observe qu’il n’y a qu’un seul exemple (la ZSC « Slieve Bloom Mountains » mentionnée au point 77 des présentes conclusions en ce qui concerne les tourbières de couverture) qui se rapporte à un quelconque des habitats et espèces prioritaires invoqués par la Commission pour étayer cette allégation.

97.

À cet égard, selon une jurisprudence constante de la Cour, dans le cadre d’une procédure en manquement au titre de l’article 258 TFUE, il incombe à la Commission, qui a la charge d’établir l’existence du manquement allégué, d’apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque ( 59 ). Lorsque la Commission a fourni suffisamment d’éléments faisant apparaître que les dispositions nationales transposant une directive ne sont pas correctement appliquées en pratique sur le territoire de l’État membre défendeur, il incombe à celui-ci de contester de manière substantielle et détaillée les éléments ainsi présentés et les conséquences qui en découlent ( 60 ).

98.

Selon moi, dans la présente affaire, la Commission a fourni suffisamment d’éléments pour montrer que les mesures de conservation relatives aux trois exemples sont d’une qualité insuffisante pour satisfaire aux exigences qualitatives de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », sans que l’Irlande ait avancé le moindre élément pour réfuter cette allégation.

99.

Dès lors, j’estime que, en ce qui concerne les habitats et espèces que la Commission a présentés comme exemples, l’Irlande n’a pas rempli les obligations lui incombant, au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », d’adopter des mesures effectives.

100.

La Commission fait valoir, en outre, que ces trois exemples sont représentatifs d’un manquement général et persistant parce qu’ils concernent un nombre important de sites, qu’ils indiquent bien la configuration géographique du réseau des ZSC en Irlande et qu’ils se rapportent à des habitats et des espèces pour la conservation desquels ce réseau est essentiel.

101.

Par conséquent, même sans fournir des arguments spécifiques pour d’autres ZSC se rapportant à des habitats ou espèces différents, en invoquant un manquement général et persistant, la Commission donne à entendre qu’il y a également violation de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » dans d’autres zones si les mesures adoptées dans le cadre de ces autres ZSC ne satisfont pas aux exigences qualitatives.

102.

L’Irlande n’a ni réfuté les allégations concrètes dans les exemples avancés par la Commission ni ne s’est opposée à l’affirmation selon laquelle ces exemples étaient représentatifs en ce sens qu’ils permettent de conclure à un manquement général et persistant à l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ».

103.

Quelle est la valeur ajoutée, s’il en existe une, de faire valoir qu’une violation est de nature générale et persistante ?

104.

La Commission a commencé à recourir à l’allégation d’un manquement général et persistant dans des procédures environnementales à l’occasion de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Commission/Irlande ( 61 ). Dans cet arrêt ( 62 ), la Cour a admis que « rien n’empêche a priori cette dernière de poursuivre concomitamment le constat de manquements à des dispositions de la directive en raison de l’attitude adoptée par les autorités d’un État membre à l’égard de situations concrètes, qui sont identifiées de manière spécifique, et celui de manquements auxdites dispositions du fait qu’une pratique générale contraire à celles‑ci aurait été adoptée par ces autorités, dont lesdites situations spécifiques seraient le cas échéant l’illustration ».

105.

Cette jurisprudence portant sur un manquement général et persistant ( 63 ) implique, en substance, que la Commission peut intenter une procédure en manquement contre un État membre parce que, sur la base d’exemples spécifiques, et ce par comparaison avec la procédure en manquement habituelle qui vise des incidents isolés ( 64 ), il a prétendument violé le droit de l’Union de façon générale et persistante. Ainsi, la valeur ajoutée de cette sorte de grief paraît être que, lorsque la Cour juge qu’un État membre a commis un manquement général et persistant du droit de l’Union, ce constat est susceptible d’exiger de cet État qu’il opère un changement général de sa pratique à tous égards, au lieu qu’il se borne à redresser les manquements spécifiques identifiés ( 65 ).

106.

Ainsi que l’avocat général Geelhoed l’a expliqué dans les conclusions qu’il a présentées dans l’affaire Commission/Irlande ( 66 ), pour établir que la violation commise par un État membre est générale et persistante, les dimensions de l’ampleur, de la durée et de la gravité peuvent être prises en considération. La dimension de l’ampleur signifierait, selon moi, que les exemples au moyen desquels la violation est démontrée sont représentatifs du comportement d’un État membre dans tous les domaines régis par une directive. La dimension de la durée implique que la violation subsiste pendant un long espace de temps, tandis que la dimension de la gravité peut être rattachée aux deux autres dimensions ou à l’importance des conséquences qui résultent de la non‑mise en œuvre d’un acte législatif déterminé de l’Union.

107.

Selon moi, s’agissant d’établir les dimensions permettant de conclure que la violation est d’une nature générale et persistante, rien ne change pour ce qui est de la charge de la preuve. La Commission est tenue d’apporter des éléments de preuve suffisants pour démontrer qu’un État membre a commis un manquement général et persistant, et ce au moyen de plusieurs exemples à considérer comme représentatifs de la pratique de cet État membre, et, sur la base d’une telle tendance concordante, il est dès lors probable que des violations du même ordre existent dans d’autres cas individuels non examinés spécifiquement. Il incombe alors à l’État membre de contester de manière substantielle et détaillée les données ainsi présentées quant à ces exemples et les conséquences qui en découlent ( 67 ).

108.

En l’espèce, l’Irlande n’a avancé aucun argument pour contester l’allégation de la Commission selon laquelle les trois exemples étaient représentatifs du manquement général et persistant allégué.

109.

J’estime, dès lors, que l’Irlande n’a pas réfuté l’allégation de la Commission selon laquelle, en établissant systématiquement des mesures de conservation qui ne sont pas suffisamment détaillées et qui ne s’attaquent pas à toutes les menaces et pressions susceptibles d’affecter les habitats et espèces sur chaque site, elle a commis un manquement général et persistant à l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ».

110.

En outre, à mon avis, étant donné que des mesures effectives étaient censées être adoptées et mises en œuvre dans la majorité des ZSC en cause dès l’année 2010, la dimension de la durée nécessaire pour le constat du manquement général et persistant est présente. Si elle s’accompagne de celle de la gravité des conséquences susceptibles de découler du manquement, d’autant que certains processus pourraient devenir irréversibles au cas où les mesures nécessaires ne seraient pas prises, j’estime que les conditions pour constater le manquement général et persistant à l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats » sont réunies en l’espèce.

111.

Je considère, dès lors, que la Commission a démontré à suffisance que l’Irlande a manqué d’une manière générale et persistante aux obligations lui incombant d’établir les mesures de conservation nécessaires au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats ».

112.

Pour les raisons qui ont été exposées plus haut, le troisième grief soulevé par la Commission est fondé.

V. Conclusion

113.

Eu égard aux considérations qui précèdent et sans préjudice de l’examen des autres griefs soulevés dans la présente affaire, je propose que la Cour déclare que l’Irlande a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 92/43/CEE du Conseil, du 21 mai 1992, concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, en n’établissant pas les mesures de conservation nécessaires qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de son annexe I et des espèces de son annexe II présents sur les sites.


( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Hughes, J., Scholey, K., et Fothergill, A. (réalisateurs), David Attenborough : A Life on Our Planet, documentaire original Netflix, 2020, traduction libre.

( 3 ) World Economic Forum, The Global Risks Report 2020, p. 47 à 49, consultable à l’adresse Internet suivante : https://www3.weforum.org/docs/WEF_Global_Risk_Report_2020.pdf.

( 4 ) Selon certaines prévisions, la disparition des espèces est estimée être 1000 à 10000 fois plus élevée que le taux d’extinction naturelle, c’est-à-dire le taux de l’extinction à laquelle l’on peut s’attendre sans la moindre intervention humaine. Cela signifie que, chaque année, la terre voit disparaître entre 0,01 % et 0,1 % de toutes les espèces. À supposer que ce soient des estimations peu élevées du nombre d’espèces qui sont exactes (approximativement 2 millions), il se produit alors, par an, entre 200 et 2000 extinctions. À l’autre extrémité de l’échelle des estimations, ce sont entre 10000 à 100000 espèces qui disparaissent chaque année. Voir le site Internet du World Wide Fund for Nature à l’adresse suivante : https://wwf.panda.org/discover/our_focus/biodiversity/biodiversity/.

( 5 ) Voir, à cet égard, communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, « Stratégie de l’UE en faveur de la biodiversité à l’horizon 2030 : ramener la nature dans nos vies » [COM(2020) 380 final], Bruxelles, 20 mai 2020. L’un des résultats de cette stratégie est la récente proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la restauration de la nature [COM(2022) 304 final], Bruxelles, 22 juin 2022.

( 6 ) Directive du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7, ci-après la « directive “habitats” »), telle que modifiée par la directive 97/62/CE du Conseil, du 27 octobre 1997 (JO 1997, L 305, p. 42).

( 7 ) C‑290/18, non publié, EU:C:2019:669.

( 8 ) C‑849/19, non publié, EU:C:2020:1047.

( 9 ) Voir, à cet égard, affaires en cours Commission/Bulgarie (C‑85/22), et Commission/Allemagne (C‑116/22).

( 10 ) Dans la requête qu’elle a présentée en l’espèce, la Commission expose que plusieurs autres procédures du même ordre sont en cours en ce qui concerne le Royaume d’Espagne, la République italienne, la République de Chypre, la République de Lettonie et la République de Pologne.

( 11 ) Voir, à cet égard, Agence européenne pour l’environnement, State of nature in the EU : Results from the reporting under the nature directives 2013‑2018, rapport AEE no 10/2020, Office des publications de l’Union européenne, 2020, p. 127, où il a été conclu que, « par rapport aux situations de départ de 2010, les progrès globaux accomplis sur l’ensemble des espèces et des habitats en ce qui concerne l’objectif 1 sont relativement faibles, c’est-à-dire que l’objectif n’a été atteint pour aucun des groupes » (traduction libre).

( 12 ) Voir article 2, paragraphes 1 et 2, de la directive « habitats ». Voir, pour une description plus détaillée du système de cette directive, points 29 à 53 des présentes conclusions.

( 13 ) Il s’agit de l’une des régions visées par la directive « habitats », dont fait partie l’ensemble du territoire de l’Irlande. Voir points 25 à 28 des présentes conclusions.

( 14 ) Décision de la Commission du 7 décembre 2004 arrêtant, en application de la [directive « habitats »], la liste des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique atlantique (JO 2004, L 387, p. 1). Le délai de six ans prévu aux fins de la désignation de ces sites en tant que zones spéciales de conservation conformément à l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats » a donc expiré le 7 décembre 2010.

( 15 ) Décision de la Commission 2008/23/CE, du 12 novembre 2007, arrêtant, en application de la [directive « habitats »], une première liste actualisée des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique atlantique (JO 2008, L 12, p. 1), et décision de la Commission 2009/96/CE, du 12 décembre 2008, adoptant, en application de la [directive « habitats »], une deuxième liste actualisée des sites d’importance communautaire pour la région biogéographique atlantique (JO 2009, L 43, p. 466). Selon cette dernière décision, le délai de six ans prévu en application de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats » pour les sites supplémentaires a donc expiré le 12 décembre 2014.

( 16 ) Dans cet avis motivé, la Commission a estimé que l’Irlande n’avait pas désigné 401 sites en tant que ZSC, n’avait pas défini pour 335 sites des objectifs de conservation détaillés spécifiques à chaque site et n’avait établi pour aucun des 423 sites les mesures de conservation nécessaires.

( 17 ) Dans cet avis motivé complémentaire, la Commission a considéré que l’Irlande n’avait toujours pas rempli ses obligations quant à un grand nombre de sites. Elle a estimé que l’Irlande n’avait pas désigné 255 sites en tant que ZSC, n’avait pas défini pour 198 sites des objectifs de conservation détaillés spécifiques à chaque site et n’avait établi pour aucun des 423 sites les mesures de conservation nécessaires.

( 18 ) Par ordonnance du 6 décembre 2021, le président de la Cour a admis la République fédérale d’Allemagne à intervenir dans la présente affaire au soutien des conclusions de l’Irlande.

( 19 ) Voir sixième et septième considérants ainsi que article 3, paragraphe 1, de la directive « habitats ».

( 20 ) Directive du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 2010, L 20, p. 7, ci-après la « directive “oiseaux” »), qui a abrogé la directive 79/409/CEE du Conseil, du 2 avril 1979, concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 1979, L 103, p. 1).

( 21 ) Voir, entre autres, « Strasbourg Declaration », adoptée par l’Union le 25 février 2022, point 5 ; document de travail des services de la Commission, « Fitness Check of the EU Nature Legislation (Birds and Habitats Directives) » [SWD(2016) 472 final], Bruxelles, 16 décembre 2016, p. 24.

( 22 ) Voir, entre autres, Agence européenne pour l’environnement, rapport AEE no 10/2020, « State of nature in the EU : Results from the reporting under the nature directives 2013‑2018 », Office des publications de l’Union européenne, 2020, p. 6.

( 23 ) Voir, entre autres, Commission, « Natura 2000 dans la région atlantique », Office des publications de l’Union européenne, 2009, consultable à l’adresse Internet suivante : https://ec.europa.eu/environment/nature/natura2000/.

( 24 ) Voir cinquième et onzième considérants ainsi que article 1er, initio et sous d) et h), de la directive « habitats ».

( 25 ) Voir « Tourbières acides à sphaignes », troisième type cité, sous « Tourbières hautes, tourbières basses et bas-marais » de l’annexe I de la directive « habitats ».

( 26 ) Voir, entre autres, « Blanket Bog Restoration in Ireland », consultable à l’adresse Internet suivante : https://www.irishbogrestorationproject.ie/.

( 27 ) Voir « Eaux marines et milieux à marées », cinquième espèce citée, sous « Habitats côtiers et végétations halophytiques », de l’annexe I, de la directive « habitats ».

( 28 ) Voir, entre autres, « Coastal Lagoon », ScienceDirect, consultable à l’adresse Internet suivante : https://www.sciencedirect.com/topics/earth-and-planetary-sciences/coastal-lagoon.

( 29 ) Voir « Bivalvia », deuxième espèce citée, sous « Mollusques », « Invertébrés », « a) Animaux », de l’annexe II, de la directive « habitats ».

( 30 ) Voir, entre autres, Dilly, L., « Let’s Save the Endangered Freshwater Pearl Mussel », Alerce Environmental Blog, 16 novembre 2020, consultable à l’adresse Internet suivante : https://alerceenvironmental.com/endangered-freshwater-pearl-mussel ; Ireland National Parks and Wildlife Service (organisme de gestion de la protection environnementale, Irlande), « The Freshwater Pearl Mussel », consultable à l’adresse Internet suivante : https://www.npws.ie/research-projects/animal-species/invertebrates/freshwater-pearl-mussel.

( 31 ) Voir, entre autres, arrêts du 6 avril 2000, Commission/France (C‑256/98, EU:C:2000:192, point 7), du 12 juin 2019, CFE (C‑43/18, EU:C:2019:483, point 37), et du 17 décembre 2020, Commission/Grèce (C‑849/19, non publié, EU:C:2020:1047, point 43).

( 32 ) Voir, entre autres, arrêts du 11 septembre 2001, Commission/Irlande (C‑67/99, EU:C:2001:432, point 5), du 18 octobre 2018, Commission/Royaume-Uni (C‑669/16, EU:C:2018:844, points 5 et 60), et du 5 septembre 2019, Commission/Portugal (Désignation et protection des zones spéciales de conservation) (C‑290/18, non publié, EU:C:2019:669, point 34).

( 33 ) Voir, également, à cet égard, article 1er, initio et sous l), de la directive « habitats », disposition qui, conjointement avec le sixième considérant de cette directive, établit la définition d’une ZSC.

( 34 ) Voir, entre autres, arrêt du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża) (C‑441/17, EU:C:2018:255, point 207).

( 35 ) Voir conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire Sweetman e.a. (C‑258/11, EU:C:2012:743, points 43 à 45), et celles de l’avocat général Tanchev dans l’affaire Grace et Sweetman (C‑164/17, EU:C:2018:274, point 50). Voir, également, entre autres, Commission, « Gérer les sites Natura 2000 : les dispositions de l’article 6 de la directive “habitats” (92/43/CEE) », 2019, p. 7 et 8, consultable sur le site Internet de la Commission (cité dans la note en bas de page 23 des présentes conclusions).

( 36 ) Selon la « note de la Commission sur la fixation d’objectifs de conservation pour les sites Natura 2000 », 18 septembre 2013, p. 3, consultable sur le site Internet de la Commission à l’adresse indiquée dans la note en bas de page 23 des présentes conclusions, la désignation d’un site en tant que ZSC au titre de l’article 4, paragraphe 4, de la directive « habitats » déclenche l’application de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive.

( 37 ) Voir, par analogie, arrêts du 27 février 2003, Commission/Belgique (C‑415/01, EU:C:2003:118, point 22), et du 14 octobre 2010, Commission/Autriche (C‑535/07, EU:C:2010:602, point 64), où la Cour a considéré que la délimitation d’une ZPS visée par la directive « oiseaux » doit revêtir une forme contraignante incontestable.

( 38 ) Voir arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Grèce (C‑849/19, non publié, EU:C:2020:1047, point 52).

( 39 ) Voir arrêt du 10 mai 2007, Commission/Autriche (C‑508/04, EU:C:2007:274, spécialement points 75, 76, 87 et 89).

( 40 ) Voir, à cet égard, arrêts du 5 septembre 2019, Commission/Portugal (Désignation et protection des zones spéciales de conservation) (C‑290/18, non publié, EU:C:2019:669, point 52), et du 17 décembre 2020, Commission/Grèce (C‑849/19, non publié, EU:C:2020:1047, point 76). Dans ces arrêts, la Cour a considéré que les mesures de conservation nécessaires, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats », doivent être établies dans le cadre d’une ZSC désignée.

( 41 ) Voir, entre autres, arrêts du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża) (C‑441/17, EU:C:2018:255, point 213), et du 22 juin 2022, Commission/Slovaquie (Protection du Grand tétras) (C‑661/20, EU:C:2022:496, point 128).

( 42 ) Voir arrêts du 5 septembre 2019, Commission/Portugal (Désignation et protection des zones spéciales de conservation) (C‑290/18, non publié, EU:C:2019:669, point 53), et du 17 décembre 2020, Commission/Grèce (C‑849/19, non publié, EU:C:2020:1047, point 77).

( 43 ) Voir, entre autres, arrêts du 26 avril 2005, Commission/Irlande (C‑494/01, EU:C:2005:250, point 43), du 26 avril 2007, Commission/Italie (C‑135/05, EU:C:2007:250, point 28), et du 2 mai 2019, Commission/Croatie (Décharge de Biljane Donje) (C‑250/18, non publié, EU:C:2019:343, point 35).

( 44 ) Voir, à cet égard, conclusions que l’avocat général Léger a présentées dans l’affaire Commission/Belgique (C‑324/01, EU:C:2002:489, point 14), et où il a rappelé que la Commission remplit une fonction centrale dans le cadre de la directive « habitats », puisqu’elle est la seule institution à pouvoir coordonner le réseau Natura 2000 et à en assurer la cohérence, par exemple, en ce qui concerne l’appréciation de l’état de conservation d’un habitat ou d’une espèce par rapport à l’ensemble du territoire européen des États membres.

( 45 ) Voir, à cet égard, conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire Commission/Autriche (C‑535/07, EU:C:2010:85, point 79), où elle a déclaré qu’elle « ne pense pas qu’il soit approprié que la Cour, dans le cadre d’une procédure en manquement contre un État membre, se livre à un travail d’enquête approfondi afin de pallier les insuffisances des arguments de la Commission ».

( 46 ) Voir, entre autres, arrêts du 20 octobre 2005, Commission/Royaume-Uni (C‑6/04, EU:C:2005:626, point 25), et du 17 décembre 2020, Commission/Grèce (C‑849/19, non publié, EU:C:2020:1047, point 78).

( 47 ) Clément, M., « Global objectives and scope of the Habitats Directive : what does the obligation of result mean in practice ? The European hamster in Alsace », dans Born, C.-H., Cliquet, A., Schoukens, H., Misonne, D., et Van Hoorick, G. (éd.), The Habitats Directive in its EU Environmental Law Context : European Nature’s Best Hope ?, Routledge, Londres, 2015, p. 9, plus spécialement p. 13.

( 48 ) Born, C.-H., Cliquet, A., et Schoukens, H., « Outlook », The Habitats Directive in its EU Environmental Law Context : European Nature’s Best Hope ?, p. 499 (cité dans la note en bas de page 47 des présentes conclusions).

( 49 ) Voir, par analogie, arrêt du 2 août 1993, Commission/Espagne (C‑355/90, EU:C:1993:331, points 20 à 22), où, dans cette affaire se rapportant à la directive « oiseaux », la Cour a rejeté l’argumentation du Royaume d’Espagne selon laquelle il n’était pas possible de reprocher à un État membre d’avoir à la fois enfreint les dispositions concernant le classement d’un site en tant que ZPS et les dispositions concernant les mesures de protection relatives à une telle zone, et ce en déclarant que les objectifs de protection formulés par cette directive ne pourraient être atteints si les États membres devaient respecter les obligations en matière d’instauration de mesures dans les seuls cas où une ZPS a été préalablement établie. Voir, également, conclusions de l’avocat général Van Gerven dans la même affaire Commission/Espagne (C‑355/90, non publiées, EU:C:1993:229, point 22).

( 50 ) Le même point de vue a été également exprimé dans les conclusions de l’avocate générale Sharpston dans l’affaire Sweetman e.a. (C‑258/11, EU:C:2012:743, point 42), où elle a déclaré que les mesures de conservation aux fins de l’article 6, paragraphe 1, de la directive « habitats »« existent essentiellement pour assurer que des mesures positives seront prises plus ou moins régulièrement afin d’assurer que l’état de conservation du site concerné sera maintenu et/ou rétabli ».

( 51 ) Voir arrêts du 5 septembre 2019, Commission/Portugal (Désignation et protection des zones spéciales de conservation) (C‑290/18, non publié, EU:C:2019:669, spécialement points 54 et 55), et du 17 décembre 2020, Commission/Grèce (C‑849/19, non publié, EU:C:2020:1047, spécialement points 80 à 86 et 88).

( 52 ) Conformément à une jurisprudence constante, dans un recours au titre de l’article 258 TFUE, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé, les changements intervenus par la suite ne pouvant pas être pris en compte par la Cour. Voir, entre autres, arrêts du 13 décembre 2007, Commission/Irlande (C‑418/04, EU:C:2007:780, point 74), et du 16 juillet 2020, Commission/Irlande (Lutte contre le blanchiment de capitaux) (C‑550/18, EU:C:2020:564, point 30).

( 53 ) Je constate que, eu égard aux informations qu’elle a reçues de l’Irlande dans la procédure précontentieuse, la Commission a répertorié plusieurs de ces sites comme ne faisant pas l’objet de la moindre mesure de conservation.

( 54 ) Des objectifs de conservation spécifiques à chaque site pour les ZSC peuvent être trouvés sur le site Internet du National Parks and Wildlife Service (organisme de gestion de la protection environnementale), qui est chargé de la mise en œuvre de la directive « habitats » en Irlande, à l’adresse suivante : https://www.npws.ie. En ce qui concerne cette ZSC, douze objectifs de cet ordre sont indiqués pour le type d’habitat prioritaire en question, treize pour le type d’habitat supplémentaire, quatre pour l’escargot du Kerry, sept pour le petit rhinolophe fer à cheval, huit pour la loutre d’Europe et cinq pour le phoque commun.

( 55 ) Voir arrêt du 17 décembre 2020, Commission/Grèce (C‑849/19, non publié, EU:C:2020:1047, point 52).

( 56 ) Selon la Commission, pour les lagunes côtières, l’Irlande a désigné 25 sites, mais n’a communiqué des mesures de conservation que pour trois de ces sites, et ces mesures ne sont pas définies en termes quantitatifs, n’indiquent pas les acteurs responsables ou les calendriers d’action et ne s’attaquent pas aux principales pressions et menaces, telles que la pollution et les rejets. Pour les tourbières de couverture, l’Irlande a désigné 50 sites mais n’a indiqué certaines mesures de conservation que pour 13 d’entre eux, et ces mesures sont extrêmement génériques, ne sont pas spécifiées quantitativement quant à ce qu’elles planifient et ne permettent pas de s’attaquer à certaines pressions et menaces majeures, telles que des parcs éoliens et autres constructions d’infrastructures, la coupe de la tourbe, l’érosion, le brûlage ou le drainage. Pour la moule perlière d’eau douce, l’Irlande a désigné 19 sites, mais n’a communiqué des mesures de conservation que pour trois d’entre eux, et ces mesures ne sont pas définies en termes quantitatifs, n’indiquent pas les acteurs responsables ou les calendriers d’action et ne s’attaquent pas aux principales pressions et menaces, telles que celles de sources diffuses et ponctuelles.

( 57 ) Voir arrêts du 5 septembre 2019, Commission/Portugal (Désignation et protection des zones spéciales de conservation) (C‑290/18, non publié, EU:C:2019:669, spécialement points 53 et 55), et du 17 décembre 2020, Commission/Grèce (C‑849/19, non publié, EU:C:2020:1047, points 77 et 82).

( 58 ) Voir arrêt du 17 avril 2018, Commission/Pologne (Forêt de Białowieża) (C‑441/17, EU:C:2018:255, points 213 et 214).

( 59 ) Voir, entre autres, arrêts du 28 mars 2019, Commission/Irlande (Système de collecte et de traitement des eaux usées) (C‑427/17, non publié, EU:C:2019:269, point 38), et du 8 mars 2022, Commission/Royaume-Uni (Lutte contre la fraude à la sous-évaluation) (C‑213/19, EU:C:2022:167, point 221).

( 60 ) Voir, entre autres, arrêts du 28 mars 2019, Commission/Irlande (Système de collecte et de traitement des eaux usées) (C‑427/17, non publié, EU:C:2019:269, point 39), et du 17 décembre 2020, Commission/Hongrie (Accueil des demandeurs de protection internationale) (C‑808/18, EU:C:2020:1029, point 112).

( 61 ) Voir arrêt du 26 avril 2005, Commission/Irlande (C‑494/01, EU:C:2005:250).

( 62 ) Arrêt du 26 avril 2005, Commission/Irlande (C‑494/01, EU:C:2005:250, point 27). Voir, plus récemment, entre autres, arrêt du 5 septembre 2019, Commission/Italie (Bactérie Xylella fastidiosa) (C‑443/18, EU:C:2019:676, point 73) ; voir également conclusions de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire Commission/Irlande (C‑494/01, EU:C:2004:546, spécialement points 15 à 22 et 43 à 60).

( 63 ) Voir, entre autres, arrêts du 26 avril 2005, Commission/Irlande (C‑494/01, EU:C:2005:250, points 127 et 174), et du 2 décembre 2014, Commission/Italie (C‑196/13, EU:C:2014:2407, point 33) (« manquement de nature générale et persistante »). Des descripteurs similaires peuvent aussi être utilisés. Voir, entre autres, arrêts du 10 septembre 2009, Commission/Grèce (C‑416/07, EU:C:2009:528, point 25) (« violation structurée et généralisée »), et du 10 novembre 2020, Commission/Italie (Valeurs limites – PM10) (C‑644/18, EU:C:2020:895, points 75 et 77) (« manquement systématique et persistant »).

( 64 ) Voir, également, entre autres, Wennerås, P., « A New Dawn For Commission Enforcement under Articles 226 and 228 EC : General and Persistent (GAP) Infringements, Lump Sums and Penalty Payments », Common Market Law Review, vol. 43, 2006, p. 31, spécialement p. 33 à 50 ; Lenaerts, K., et Gutiérrez-Fons, J.A., « The General System of EU Environmental Law Enforcement », Yearbook of European Law, Oxford University Press, vol. 30, 2011, p. 1, spécialement p. 9 à 11 ; Prete, L., Infringement Proceedings in EU Law. European Monograph, Wolters Kluwer, Alphen-sur-le-Rhin, 2017, p. 95 à 98. Comme indiqué dans la doctrine, cette jurisprudence n’est pas la même que celle concernant la pratique administrative dans le cadre de procédures en manquement. Voir, entre autres, Lenaerts, K., Maselis, I., et Gutman, K., EU Procedural Law, Oxford University Press, Oxford, 2015, p. 167.

( 65 ) Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Geelhoed dans l’affaire Commission/Irlande (C‑494/01, EU:C:2004:546, point 48) ; voir également, entre autres, Wennerås, P., « A New Dawn For Commission Enforcement under Articles 226 and 228 EC : General and Persistent (GAP) Infringements, Lump Sums and Penalty Payments », Common Market Law Review, vol. 43, 2006, p. 42 à 46, ainsi que Prete, L., Infringement Proceedings in EU Law. European Monographs, Wolters Kluwer, Alphen-sur-le-Rhin, 2017, p. 97. Au cas où il ne serait pas remédié au manquement général et persistant, la possibilité existe alors que l’État membre concerné ait à payer des sanctions pécuniaires au titre de l’article 260, paragraphe 2, TFUE. Voir, entre autres, arrêt du 2 décembre 2014, Commission/Italie (C‑196/13, EU:C:2014:2407).

( 66 ) C‑494/01, EU:C:2004:546, point 43.

( 67 ) Voir, entre autres, arrêts du 26 avril 2005, Commission/Irlande (C‑494/01, EU:C:2005:250, points 46 et 47), et du 26 avril 2007, Commission/Italie (C‑135/05, EU:C:2007:250, point 32).