ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
1er août 2022 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Citoyenneté de l’Union – Libre circulation des personnes – Égalité de traitement – Directive 2004/38/CE – Article 24, paragraphes 1 et 2 – Prestations de sécurité sociale – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 4 – Prestations familiales – Exclusion des ressortissants d’autres États membres économiquement inactifs pendant les trois premiers mois de séjour dans l’État membre d’accueil »
Dans l’affaire C‑411/20,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Finanzgericht Bremen (tribunal des finances de Brême, Allemagne), par décision du 20 août 2020, parvenue à la Cour le 2 septembre 2020, dans la procédure
S
contre
Familienkasse Niedersachsen-Bremen der Bundesagentur für Arbeit,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice-président, M. A. Arabadjiev, Mmes A. Prechal, K. Jürimäe (rapporteure), MM. C. Lycourgos, E. Regan, N. Jääskinen et Mme I. Ziemele, présidents de chambre, MM. M. Ilešič, F. Biltgen, P. G. Xuereb et N. Wahl, juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– |
pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents, |
– |
pour le gouvernement tchèque, par MM. J. Pavliš, M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents, |
– |
pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent, |
– |
pour la Commission européenne, par MM. D. Martin et B.‑R. Killmann, en qualité d’agents, |
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 16 décembre 2021,
rend le présent
Arrêt
1 |
La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1), ainsi que de l’article 24 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE (JO 2004, L 158, p. 77, et rectificatif JO 2005, L 197, p. 34). |
2 |
Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant S, une citoyenne de l’Union originaire d’un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne, à la Familienkasse Niedersachsen-Bremen der Bundesagentur für Arbeit (caisse d’allocations familiales pour la Basse-Saxe et Brême de l’Agence fédérale pour l’emploi, Allemagne, ci-après la « caisse d’allocations familiales ») au sujet du rejet, par cette dernière, de la demande d’allocations familiales introduite par S pour la période correspondant aux trois premiers mois de son séjour en Allemagne. |
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement no 883/2004
3 |
L’article 1er, sous j), k) et z), du règlement no 883/2004 contient les définitions suivantes aux fins de ce règlement :
[...]
|
4 |
S’agissant du champ d’application personnel dudit règlement, l’article 2, paragraphe 1, de celui-ci énonce : « Le présent règlement s’applique aux ressortissants de l’un des États membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre qui sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres, ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs survivants. » |
5 |
S’agissant du champ d’application matériel du même règlement, l’article 3, paragraphe 1, de celui-ci dispose : « Le présent règlement s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent : [...] j) les prestations familiales. » |
6 |
L’article 4 du règlement no 883/2004 énonce, sous l’intitulé « Égalité de traitement » : « À moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les personnes auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout État membre, que les ressortissants de celui-ci. » |
7 |
L’article 11 de ce règlement prévoit en ces termes les règles générales relatives à la détermination de la législation applicable : « 1. Les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément au présent titre. [...] 3. Sous réserve des articles 12 à 16 :
[...] » |
Le règlement (CE) no 987/2009
8 |
L’article 11 du règlement (CE) no 987/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 16 septembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement no 883/2004 (JO 2009, L 284, p. 1), dispose : 1. En cas de divergence de vues entre les institutions de deux États membres ou plus au sujet de la détermination de la résidence d’une personne à laquelle le règlement de base s’applique, ces institutions établissent d’un commun accord le centre d’intérêt de la personne concernée en procédant à une évaluation globale de toutes les informations disponibles concernant les faits pertinents, qui peuvent inclure, le cas échéant :
2. Lorsque la prise en compte des différents critères fondés sur les faits pertinents tels qu’ils sont énoncés au paragraphe 1 ne permet pas aux institutions concernées de s’accorder, la volonté de la personne en cause, telle qu’elle ressort de ces faits et circonstances, notamment les raisons qui l’ont amenée à se déplacer, est considérée comme déterminante pour établir le lieu de résidence effective de cette personne. » |
La directive 2004/38
9 |
Les considérants 9, 10, 20 et 21 de la directive 2004/38 énoncent :
[...]
|
10 |
L’article 6 de cette directive dispose : « 1. Les citoyens de l’Union ont le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une période allant jusqu’à trois mois, sans autres conditions ou formalités que l’exigence d’être en possession d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité. 2. Les dispositions du paragraphe 1 s’appliquent également aux membres de la famille munis d’un passeport en cours de validité qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui accompagnent ou rejoignent le citoyen de l’Union. » |
11 |
L’article 14, paragraphe 1, de ladite directive est libellé comme suit : « Les citoyens de l’Union et les membres de leur famille ont un droit de séjour tel que prévu à l’article 6 tant qu’ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil. » |
12 |
Aux termes de l’article 24 de la même directive : « 1. Sous réserve des dispositions spécifiques expressément prévues par le traité et le droit dérivé, tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil en vertu de la présente directive bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État membre dans le domaine d’application du traité. Le bénéfice de ce droit s’étend aux membres de la famille, qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui bénéficient du droit de séjour ou du droit de séjour permanent. 2. Par dérogation au paragraphe 1, l’État membre d’accueil n’est pas obligé d’accorder le droit à une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de séjour ou, le cas échéant, pendant la période plus longue prévue à l’article 14, paragraphe 4, point b), ni tenu, avant l’acquisition du droit de séjour permanent, d’octroyer des aides d’entretien aux études, y compris pour la formation professionnelle, sous la forme de bourses d’études ou de prêts, à des personnes autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut, et les membres de leur famille. » |
Le droit allemand
13 |
L’article 62 de l’Einkommensteuergesetz (loi relative à l’impôt sur le revenu), dans sa version publiée le 8 octobre 2009 (BGBl. 2009 I, p. 3366), telle que modifiée par le Gesetz gegen illegale Beschäftigung und Sozialleistungsmissbrauch (loi contre le travail illégal et l’abus de prestations sociales, BGBl. 2019 I, p. 1066), et entrée en vigueur le 18 juillet 2019 (ci-après l’« EStG »), est libellé comme suit : « (1) 1 S’agissant d’enfants au sens de l’article 63, a droit aux allocations familiales en vertu de la présente loi, toute personne 1. qui a son domicile ou sa résidence habituelle sur le territoire national [...] 2Pour pouvoir prétendre aux allocations familiales au titre du paragraphe 1, l’ayant droit doit être identifié au moyen du numéro d’identification qu’il s’est vu attribuer [...]. 3L’attribution ultérieure du numéro d’identification a un effet rétroactif sur les mois pendant lesquels les conditions visées à la première phrase sont réunies. (1a) 1Si un ressortissant d’un autre État membre de l’Union européenne ou d’un État auquel s’applique l’accord sur l’Espace économique européen établit son domicile ou sa résidence habituelle sur le territoire national, il ne peut prétendre à des allocations familiales pour les trois premiers mois suivant l’établissement du domicile ou de la résidence habituelle. 2Cette règle ne s’applique pas s’il prouve qu’il perçoit des revenus nationaux au sens de l’article 2, paragraphe 1, première phrase, numéros 1 à 4, à l’exception des revenus visés à l’article 19, paragraphe 1, première phrase, numéro 2. 3Après l’expiration de la période visée à la première phrase, il peut prétendre aux allocations familiales, à moins que les conditions prévues à l’article 2, paragraphes 2 ou 3, du [Gesetz über die allgemeine Freizügigkeit von Unionsbürgern (loi sur la libre circulation des citoyens de l’Union)], ne soient pas remplies ou que seules les conditions prévues à l’article 2, paragraphe 2, no 1a, de la loi sur la libre circulation des citoyens de l’Union soient remplies sans qu’aucune autre des conditions visées à l’article 2, paragraphe 2, de la loi sur la libre circulation des citoyens de l’Union n’ait auparavant été réunie. 4L’examen visant à déterminer si les conditions d’éligibilité aux allocations familiales sont réunies conformément à la deuxième phrase relève de la seule appréciation de la caisse d’allocations familiales [...]. 5Lorsque, dans un tel cas, la caisse d’allocations familiales rejette une demande d’allocations familiales, elle doit notifier sa décision à l’autorité compétente en matière d’immigration. 6Lorsque c’est en utilisant des documents falsifiés ou altérés, ou en faisant œuvre de tromperie, que le demandeur a fait croire qu’il remplissait les conditions requises pour prétendre aux allocations familiales, la caisse d’allocations familiales en informe sans délai l’autorité compétente en matière d’immigration. » |
Le litige au principal et la question préjudicielle
14 |
La requérante au principal, S, est la mère de trois enfants nés, respectivement, en 2003, en 2005 et en 2010. V, son conjoint, est le père de ces enfants. Ces parents et leurs enfants sont ressortissants d’un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne. |
15 |
Au mois de mai 2015, S a, pour la première fois, demandé à la caisse d’allocations familiales l’octroi d’allocations familiales pour ses trois enfants. Cet organisme a fait droit à cette demande par décision du 13 mai 2015 et a commencé à lui verser ces allocations de manière régulière, jusqu’au 3 juin 2016. À cette dernière date, ledit organisme a décidé de retirer sa décision du 13 mai 2015, de cesser de verser lesdites allocations à S à compter du mois de mai 2016 et de lui réclamer la restitution des allocations familiales versées au titre de ce dernier mois. Cette décision faisait suite à la radiation d’office, par l’autorité d’enregistrement, de S et de ses trois enfants de leur adresse à Bremerhaven (Allemagne), au motif que leur logement était vide. |
16 |
Au mois de décembre 2017, S a introduit une demande d’allocations familiales pour deux de ses trois enfants auprès de la Familienkasse Nordrhein-Westfalen Nord (caisse d’allocations familiales pour la Rhénanie du Nord-Westphalie nord, Allemagne) en indiquant une adresse à Herne (Allemagne). Des lettres envoyées par cet organisme à l’adresse renseignée lui ont cependant été retournées avec la mention « destinataire inconnu ». Par décision du 1er août 2018, ledit organisme a alors rejeté la demande de S au motif que celle-ci n’avait pas son domicile ou sa résidence habituelle en Allemagne. |
17 |
À la fin du mois d’octobre 2019, S a saisi la caisse d’allocations familiales d’une nouvelle demande d’allocations familiales pour ses trois enfants, pour la période à compter du 1er août 2019. |
18 |
Par décision du 27 décembre 2019, la caisse d’allocations familiales a rejeté cette demande. Cet organisme a constaté que S, V et leurs enfants résidaient en Allemagne depuis le 19 août 2019, cette date correspondant à leur entrée sur le territoire de cet État membre en provenance de leur État membre d’origine et à leur installation dans un appartement à Bremerhaven (Allemagne). Ledit organisme a, cependant, considéré que S n’avait pas perçu de revenus nationaux au cours des trois premiers mois suivant l’établissement de sa résidence en Allemagne. Le même organisme a, partant, décidé qu’elle ne remplissait pas les conditions prévues à l’article 62, paragraphe 1a, de l’EStG pour pouvoir prétendre au bénéfice des allocations familiales pour ce qui concerne cette période. |
19 |
Par décision du 6 avril 2020, la caisse d’allocations familiales a rejeté la réclamation formée par S contre sa décision du 27 décembre 2019, confirmant ainsi cette dernière. Elle a considéré que S n’exerçait pas d’activité rémunérée et que V avait exercé une activité négligeable au cours de la période allant du 5 novembre 2019 au 12 décembre 2019. |
20 |
S a saisi la juridiction de renvoi, le Finanzgericht Bremen (tribunal des finances de Brême, Allemagne), d’un recours tendant à l’annulation du rejet de sa demande d’allocations familiales et à la condamnation de la caisse d’allocations familiales au versement des allocations familiales pour les mois d’août à octobre 2019. |
21 |
Selon la juridiction de renvoi, en premier lieu, les allocations familiales relèvent, en Allemagne, de la notion de « prestations familiales », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous j), du règlement no 883/2004, lu en combinaison avec l’article 1er, sous z), de ce règlement. En effet, elles seraient financées non pas par les cotisations des bénéficiaires, mais par l’impôt. Elles leur seraient octroyées sur la base d’une situation légalement définie, indépendamment de toute condition de revenus et en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels des bénéficiaires. Ces allocations viseraient à compenser les charges de famille. |
22 |
En deuxième lieu, cette juridiction fait observer que l’article 62, paragraphe 1a, de l’EStG, issu d’une modification législative intervenue au mois de juillet 2019, opère une différence de traitement entre un ressortissant d’un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne établissant son domicile ou sa résidence habituelle dans ce dernier État membre et un ressortissant allemand qui y établit son domicile ou sa résidence habituelle à la suite d’un séjour dans un autre État membre. En effet, en application de cette disposition, un ressortissant d’un autre État membre, tel que S, se verrait refuser le bénéfice des allocations familiales au cours des trois premiers mois de son séjour lorsqu’il n’apporte pas la preuve de l’exercice d’une activité rémunérée en Allemagne. En revanche, un ressortissant allemand en bénéficierait, dès ces trois premiers mois, même lorsqu’il n’exerce pas une telle activité. |
23 |
À cet égard, la juridiction de renvoi expose que, dans le projet de loi ayant conduit à l’ajout du paragraphe 1a à l’article 62 de l’EStG, le législateur allemand a considéré que cette différence de traitement était conforme au droit de l’Union au motif qu’elle permettrait d’éviter un afflux de ressortissants d’autres États membres, qui serait de nature à générer une charge déraisonnable pour le système allemand d’assurance sociale. Cette différence de traitement serait en outre justifiée au regard de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38, étant donné que le versement d’allocations familiales à des ressortissants d’un État membre autre que la République fédérale d’Allemagne n’exerçant pas d’activité rémunérée dans ce dernier État membre aurait, sur les finances publiques de celui-ci, le même effet que l’octroi de prestations sociales à ces ressortissants. Cela étant, ledit législateur n’aurait pas explicitement abordé, dans ce projet de loi, l’incidence éventuelle de l’article 4 du règlement no 883/2004. Enfin, en faisant référence à l’arrêt du 14 juin 2016, Commission/Royaume-Uni (C‑308/14, EU:C:2016:436), le législateur allemand aurait justifié cette inégalité de traitement par la nécessité de protéger les finances de l’État membre d’accueil. |
24 |
En troisième lieu, la juridiction de renvoi précise que le point de savoir si les allocations familiales en cause au principal relèvent de la notion d’« assistance sociale », au sens de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38, est toutefois débattu en doctrine. Ainsi, il serait notamment avancé que ces allocations familiales ne relèvent pas de ladite notion, mais constituent, en tant que « prestations familiales », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous j), du règlement no 883/2004, lu en combinaison avec l’article 1er, sous z), de celui-ci, des prestations de sécurité sociale à proprement parler, dès lors que leur octroi n’est pas soumis à des conditions de ressources. Certes, en pareille hypothèse, conformément au règlement no 883/2004, la République fédérale d’Allemagne serait compétente pour décider des conditions d’octroi de prestations familiales aux ressortissants d’autres États membres résidant en Allemagne sans y exercer d’activité rémunérée. Toutefois, ce règlement prévoirait, à son article 4, une obligation d’égalité de traitement en vertu de laquelle il y aurait lieu de soumettre les ressortissants d’un autre État membre aux mêmes conditions d’octroi que celles qui s’appliquent aux ressortissants nationaux. Ce règlement ne contiendrait aucune disposition permettant d’opérer une différence de traitement telle que celle observée dans la présente affaire. |
25 |
En définitive, la solution du litige au principal dépend, selon la juridiction de renvoi, du point de savoir si la discrimination directe établie par l’article 62, paragraphe 1a, de l’EStG est interdite par l’article 4 du règlement no 883/2004 ou si elle peut être justifiée au titre de la dérogation au principe de l’égalité de traitement visée à l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38. |
26 |
C’est dans ces circonstances que le Finanzgericht Bremen (tribunal des finances de Brême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante : « L’article 24 de la directive [2004/38] et l’article 4 du règlement [no 883/2004] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la réglementation d’un État membre en vertu de laquelle un ressortissant d’un autre État membre qui établit son domicile ou sa résidence habituelle sur le territoire national et qui ne justifie pas de revenus nationaux provenant d’une activité agricole ou sylvicole, d’une activité industrielle ou commerciale, d’une activité professionnelle indépendante ou d’une activité professionnelle salariée, ne peut pas prétendre, pour les trois premiers mois suivant l’établissement du domicile ou de la résidence habituelle, à des prestations familiales au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous j), lu conjointement avec l’article 1er, sous z), du règlement [no 883/2004], alors qu’un ressortissant de l’État membre concerné, qui se trouve dans la même situation, peut prétendre à des prestations familiales au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous j), lu conjointement avec l’article 1er, sous z), du règlement [no 883/2004], sans avoir à justifier de revenus nationaux provenant d’une activité agricole ou sylvicole, d’une activité industrielle ou commerciale, d’une activité professionnelle indépendante ou d’une activité professionnelle salariée ? » |
Sur la question préjudicielle
27 |
Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4 du règlement no 883/2004 et l’article 24 de la directive 2004/38 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre ayant établi sa résidence habituelle sur le territoire du premier État membre et étant économiquement inactif en tant qu’il n’exerce pas d’activité rémunérée dans celui-ci, se voit refuser le bénéfice de « prestations familiales », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous j), du règlement no 883/2004, lu en combinaison avec l’article 1er, sous z), de ce règlement, au cours des trois premiers mois de son séjour sur le territoire de cet État membre, tandis qu’un ressortissant économiquement inactif dudit État membre bénéficie de telles prestations, y compris au cours des trois premiers mois suivant son retour dans le même État membre après avoir fait usage, en vertu du droit de l’Union, de son droit de circuler et de séjourner dans un autre État membre. |
Observations liminaires
28 |
En premier lieu, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres permettant à ceux parmi ces derniers qui se trouvent dans la même situation d’obtenir, indépendamment de leur nationalité et sans préjudice des exceptions expressément prévues à cet égard, le même traitement juridique (voir, en ce sens, arrêts du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C‑184/99, EU:C:2001:458, point 31, et du 15 juillet 2021, The Department for Communities in Northern Ireland, C‑709/20, EU:C:2021:602, point 62). |
29 |
Tout citoyen de l’Union peut donc se prévaloir de l’interdiction de discrimination en raison de la nationalité figurant à l’article 18 TFUE, précisée dans d’autres dispositions du traité FUE, à l’article 4 du règlement no 883/2004 et à l’article 24 de la directive 2004/38, dans toutes les situations relevant du domaine d’application ratione materiae du droit de l’Union. Ces situations comprennent, entre autres, l’exercice de la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres conférée par l’article 21 TFUE, sous réserve des limitations et des conditions définies par les traités ainsi que par les mesures adoptées en application de ceux-ci [voir, en ce sens, arrêts du 20 septembre 2001, Grzelczyk, C‑184/99, EU:C:2001:458, points 32 et 33 ; du 21 février 2013, N., C‑46/12, EU:C:2013:97, point 28, ainsi que du 15 juillet 2021, A (Soins de santé publics), C‑535/19, EU:C:2021:595, points 40 et 42]. |
30 |
La directive 2004/38 établit de telles limitations et conditions. Cette directive a prévu un système graduel en ce qui concerne le droit de séjour dans l’État membre d’accueil qui, reprenant en substance les étapes et conditions prévues dans les différents instruments du droit de l’Union et de la jurisprudence antérieurs à cette directive, aboutit au droit de séjour permanent (arrêt du 21 décembre 2011, Ziolkowski et Szeja, C‑424/10 et C‑425/10, EU:C:2011:866, point 38). |
31 |
S’agissant des trois premiers mois du séjour dans l’État membre d’accueil, seuls visés par la question préjudicielle, l’article 6, paragraphe 1, de cette directive prévoit que les citoyens de l’Union ont le droit de séjourner sur le territoire d’un autre État membre pour une période allant jusqu’à trois mois, sans autres conditions ou formalités que l’exigence d’être en possession d’une carte d’identité ou d’un passeport en cours de validité. L’article 14, paragraphe 1, de ladite directive maintient ce droit tant que le citoyen de l’Union ainsi que les membres de sa famille ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil (voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2011, Ziolkowski et Szeja, C‑424/10 et C‑425/10, EU:C:2011:866, point 39, ainsi que du 25 février 2016, García-Nieto e.a., C‑299/14, EU:C:2016:114, point 42). |
32 |
Partant, un citoyen de l’Union, même économiquement inactif, dispose, dans le respect des conditions énoncées à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2004/38, lu en combinaison avec l’article 14, paragraphe 1, de celle-ci, d’un droit de séjour d’une durée de trois mois dans un État membre dont il n’est pas ressortissant. |
33 |
En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que S se trouvait, au cours des trois premiers mois de son séjour en Allemagne, en situation de séjour légal au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2004/38, lu en combinaison avec l’article 14, paragraphe 1, de celle-ci. |
34 |
En second lieu, il ressort de la demande de décision préjudicielle que le litige au principal concerne l’octroi, par l’État membre d’accueil, d’allocations familiales, au sens de la législation de cet État membre. À ce titre, il y a lieu de rappeler que doivent être considérées comme des « prestations familiales », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous j), du règlement no 883/2004, lu en combinaison avec l’article 1er, sous z), de ce règlement, des prestations accordées automatiquement aux familles qui répondent à certains critères objectifs portant notamment sur leur taille, leurs revenus et leurs ressources en capital, en dehors de toute appréciation individuelle et discrétionnaire des besoins personnels, et qui visent à compenser les charges de famille (voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2016, Commission/Royaume-Uni, C‑308/14, EU:C:2016:436, point 60, ainsi que du 21 juin 2017, Martinez Silva, C‑449/16, EU:C:2017:485, point 22). |
35 |
Il ressort également de la demande de décision préjudicielle que tel est le cas des allocations familiales en cause au principal, dès lors que celles-ci sont octroyées à leurs bénéficiaires sur la base d’une situation légalement définie, laquelle est indépendante de leurs besoins personnels, et que leur octroi vise non pas à garantir leurs moyens de subsistance, mais à compenser les charges de famille. |
36 |
En outre, il y a lieu de rappeler que l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004 énonce une « règle de conflit » visant à déterminer la législation nationale applicable à la perception des prestations de sécurité sociale énumérées à l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement, parmi lesquelles figurent les prestations familiales, auxquelles peuvent prétendre toutes les personnes autres que celles visées à l’article 11, paragraphe 3, sous a) à d), dudit règlement, c’est-à-dire, notamment, les personnes économiquement non actives. Il découle de l’application de cette règle que ces dernières personnes relèvent, en principe, de la législation de l’État membre de leur résidence [voir, en ce sens, arrêts du 14 juin 2016, Commission/Royaume-Uni, C‑308/14, EU:C:2016:436, point 63, et du 15 juillet 2021, A (Soins de santé publics), C‑535/19, EU:C:2021:595, point 45]. Aux termes de l’article 1er, sous j), du règlement no 883/2004, la notion de « résidence » désigne, aux fins de l’application de ce règlement, le lieu où la personne concernée réside habituellement. |
37 |
En l’occurrence, la juridiction de renvoi expose que S et sa famille avaient établi leur résidence habituelle sur le territoire allemand au cours de la période de trois mois en cause au principal. Étant économiquement inactive, S paraît donc relever, conformément à l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004, lu en combinaison avec l’article 1er, sous z), et l’article 3, paragraphe 1, sous j), de ce règlement, de la législation allemande pour ce qui concerne l’octroi de prestations familiales. |
38 |
C’est sous le bénéfice de ces précisions liminaires qu’il convient de déterminer si, dès lors qu’il se trouve en situation de séjour légal au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2004/38, lu en combinaison avec l’article 14, paragraphe 1, de cette directive, un citoyen de l’Union économiquement inactif peut se prévaloir du principe d’égalité de traitement avec les ressortissants de l’État membre d’accueil économiquement inactifs, qui retournent dans cet État membre après avoir fait usage, en vertu du droit de l’Union, de leur droit de circuler et de séjourner dans un autre État membre, aux fins de l’octroi de prestations familiales, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous j), du règlement no 883/2004, lu en combinaison avec l’article 1er, sous z), de ce règlement. |
Sur l’interprétation de l’article 4 du règlement no 883/2004 et de l’article 24 de la directive 2004/38
39 |
Ainsi qu’il ressort du point 27 du présent arrêt, la question posée porte sur l’interprétation tant de l’article 4 du règlement no 883/2004 que de l’article 24 de la directive 2004/38, en ce que ces deux dispositions précisent le principe d’égalité de traitement dans leur champ d’application respectif. |
40 |
Dans la mesure où cette question est liée, en particulier, à la détermination du champ d’application de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38, il convient de déterminer la portée de cette disposition, avant d’examiner celle de l’article 4 du règlement no 883/2004. |
Sur l’article 24 de la directive 2004/38
41 |
L’article 24 de la directive 2004/38 prévoit, à son paragraphe 1, que tout citoyen de l’Union qui séjourne sur le territoire de l’État membre d’accueil en vertu de cette directive bénéficie de l’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État membre dans le domaine d’application du traité. |
42 |
Le principe d’égalité de traitement bénéficie ainsi à tout citoyen de l’Union dont le séjour, sur le territoire de l’État membre d’accueil, respecte les conditions établies par ladite directive (voir, en ce sens, arrêts du 11 novembre 2014, Dano, C‑333/13, EU:C:2014:2358, point 69, ainsi que du 25 février 2016, García-Nieto e.a., C‑299/14, EU:C:2016:114, point 38 et jurisprudence citée). |
43 |
Toutefois, l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 établit une dérogation au principe d’égalité de traitement dont bénéficient les citoyens de l’Union autres que les travailleurs salariés, les travailleurs non salariés, les personnes qui gardent ce statut et les membres de leur famille, qui séjournent sur le territoire d’un État membre d’accueil, en permettant à ce dernier de ne pas accorder le droit aux prestations d’assistance sociale, notamment pendant les trois premiers mois du séjour (arrêt du 19 septembre 2013, Brey, C‑140/12, EU:C:2013:565, point 56 et jurisprudence citée). |
44 |
L’État membre d’accueil peut donc se prévaloir de la dérogation de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 pour refuser d’accorder à un citoyen de l’Union qui fait usage de son droit de séjourner sur le territoire de cet État membre une prestation d’assistance sociale durant les trois premiers mois de ce séjour (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2016, García-Nieto e.a., C‑299/14, EU:C:2016:114, point 43 et jurisprudence citée). |
45 |
Il convient, partant, de déterminer si les allocations familiales en cause au principal constituent des « prestations d’assistance sociale », au sens de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38. |
46 |
À cet égard, la Cour a déjà jugé que la notion de « prestation d’assistance sociale », au sens de cette dernière disposition, fait référence à l’ensemble des régimes d’aides institués par des autorités publiques, que ce soit au niveau national, régional ou local, auxquels a recours un individu qui ne dispose pas de ressources suffisantes pour faire face à ses besoins élémentaires ainsi qu’à ceux de sa famille et qui risque, de ce fait, de devenir, pendant son séjour, une charge pour les finances publiques de l’État membre d’accueil susceptible d’avoir des conséquences sur le niveau global de l’aide pouvant être octroyée par cet État (arrêts du 19 septembre 2013, Brey, C‑140/12, EU:C:2013:565, point 61, ainsi que du 11 novembre 2014, Dano, C‑333/13, EU:C:2014:2358, point 63). |
47 |
Or, ainsi qu’il a été relevé au point 35 du présent arrêt, les allocations familiales en cause au principal sont octroyées indépendamment des besoins individuels de leur bénéficiaire et ne visent pas à assurer les moyens de subsistance de celui-ci. |
48 |
De telles allocations ne relèvent donc pas, ainsi que l’a considéré M. l’avocat général au point 54 de ses conclusions, de la notion de « prestations d’assistance sociale », au sens de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38. |
49 |
Dans ces conditions, il convient encore de vérifier si, comme l’a suggéré le gouvernement allemand dans ses observations écrites, l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 doit, au vu de sa ratio legis, être interprété en ce sens que, pour ce qui concerne l’octroi de prestations autres que des « prestations d’assistance sociale », au sens de cette disposition, il permet néanmoins à l’État membre d’accueil de déroger à l’égalité de traitement dont doivent en principe bénéficier les citoyens de l’Union en situation de séjour légal sur son territoire au titre de l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, lu en combinaison avec l’article 14, paragraphe 1, de celle-ci. |
50 |
À cette fin, d’une part, il y a lieu de rappeler que, en tant que dérogation au principe d’égalité de traitement prévu à l’article 18, premier alinéa, TFUE et dont l’article 24, paragraphe 1, de la directive 2004/38 ne constitue qu’une expression spécifique, le paragraphe 2 de cet article 24 doit être interprété de manière stricte et en conformité avec les dispositions du traité, y compris celles relatives à la citoyenneté de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 21 février 2013, N., C‑46/12, EU:C:2013:97, point 33, et du 6 octobre 2020, Jobcenter Krefeld, C‑181/19, EU:C:2020:794, point 60). |
51 |
D’autre part, selon une jurisprudence constante de la Cour, en vue de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie (arrêt du 6 octobre 2020, Jobcenter Krefeld, C‑181/19, EU:C:2020:794, point 61 et jurisprudence citée). |
52 |
Tout d’abord, s’agissant des termes de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38, rien dans le libellé de cette disposition ne permet de considérer que, par celle-ci, le législateur de l’Union ait entendu permettre à l’État membre d’accueil de déroger au principe d’égalité de traitement dont doivent en principe bénéficier les citoyens de l’Union qui séjournent légalement sur son territoire pour ce qui concerne des prestations autres que celles d’assistance sociale. Au contraire, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 57 de ses conclusions, il ressort clairement de ladite disposition que celle-ci concerne exclusivement les prestations d’assistance sociale. |
53 |
Ensuite, s’agissant du contexte réglementaire de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort du point 31 du présent arrêt, l’article 14, paragraphe 1, de cette directive maintient le droit de séjour allant jusqu’à trois mois tant que le citoyen de l’Union et les membres de sa famille « ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil ». Cet article 14 conforte ainsi l’interprétation selon laquelle la possibilité de déroger au principe d’égalité de traitement, sur le fondement de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38, est limitée aux prestations d’assistance sociale et qu’elle ne saurait s’étendre aux prestations de sécurité sociale. |
54 |
Enfin, cette interprétation est conforme à l’objectif de l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38, lequel vise, selon le considérant 10 de cette directive, à préserver l’équilibre financier non pas du système de sécurité sociale des États membres, mais de leur « système d’assistance sociale ». |
55 |
Il s’ensuit que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, en substance, au point 62 de ses conclusions, la dérogation au principe d’égalité de traitement prévue à l’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38 n’est pas applicable à la situation dans laquelle, au cours des trois premiers mois de son séjour dans l’État membre d’accueil, un citoyen de l’Union sollicite, non pas des « prestations d’assistance sociale », au sens de cette disposition, mais des « prestations familiales », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous j), du règlement no 883/2004, lu en combinaison avec l’article 1er, sous z), de ce règlement. |
Sur l’article 4 du règlement no 883/2004
56 |
À titre liminaire, il convient de rappeler qu’un citoyen de l’Union, économiquement inactif, ayant transféré sa résidence habituelle dans l’État membre d’accueil relève, conformément à l’article 11, paragraphe 3, sous e), du règlement no 883/2004, de la législation de cet État membre pour ce qui concerne l’octroi de prestations de sécurité sociale. |
57 |
À cet égard, la Cour a déjà jugé que cette disposition poursuit le but non seulement d’éviter l’application simultanée de plusieurs législations nationales à une situation déterminée et les complications qui peuvent en résulter, mais également d’empêcher que les personnes entrant dans le champ d’application de ce règlement soient privées de protection en matière de sécurité sociale, faute de législation qui leur serait applicable [arrêts du 14 juin 2016, Commission/Royaume-Uni, C‑308/14, EU:C:2016:436, point 64, et du 15 juillet 2021, A (Soins de santé publics), C‑535/19, EU:C:2021:595, point 46]. |
58 |
Cela étant, le règlement no 883/2004 n’organise pas un régime commun de sécurité sociale, mais laisse subsister des régimes nationaux distincts et a pour unique objet d’assurer une coordination entre ces derniers afin de garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes. Ses dispositions, telles que celle de son article 11, paragraphe 3, sous e), n’ont, par conséquent, pas pour objet de déterminer les conditions de fond de l’existence du droit à des prestations de sécurité sociale (voir, en ce sens, arrêt du 14 juin 2016, Commission/Royaume-Uni, C‑308/14, EU:C:2016:436, points 65 et 67). Si les États membres restent ainsi compétents pour déterminer dans leur législation les conditions d’octroi de ces prestations, cette compétence doit toutefois s’exercer dans le respect du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 11 avril 2013, Jeltes e.a., C‑443/11, EU:C:2013:224, point 59). |
59 |
À cet égard, l’article 4 du règlement no 883/2004 concrétise le principe d’égalité de traitement à l’égard des citoyens de l’Union qui se prévalent, dans l’État membre d’accueil, des prestations de sécurité sociale visées à l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement [voir, en ce sens, arrêt du 15 juillet 2021, A (Soins de santé publics), C‑535/19, EU:C:2021:595, point 40]. |
60 |
Conformément à cet article 4, à moins que le règlement no 883/2004 n’en dispose autrement, les personnes auxquelles ce règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout État membre, que les ressortissants de celui-ci. |
61 |
Or, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 71 de ses conclusions, le règlement no 883/2004 ne comporte aucune disposition qui permettrait à l’État membre d’accueil d’un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre en situation de séjour légal dans le premier État membre, d’opérer, au regard de la circonstance que ce citoyen est économiquement inactif, une différence de traitement entre ledit citoyen et ses propres ressortissants quant aux conditions d’octroi de « prestations familiales », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous j), de ce règlement, lu en combinaison avec l’article 1er, sous z), dudit règlement. Partant, l’article 4 de ce même règlement s’oppose à une mesure qui opère une telle différence de traitement. |
62 |
Certes, la Cour a déjà jugé que rien ne s’oppose à ce que l’octroi de prestations relevant du champ d’application du règlement no 883/2004 à des citoyens de l’Union économiquement inactifs soit subordonné à l’exigence que ceux-ci remplissent les conditions pour disposer d’un droit de séjour légal en vertu de la directive 2004/38 dans l’État membre d’accueil (voir, en ce sens, arrêts du 19 septembre 2013, Brey, C‑140/12, EU:C:2013:565, point 44 ; du 11 novembre 2014, Dano, C‑333/13, EU:C:2014:2358, point 83, ainsi que du 14 juin 2016, Commission/Royaume-Uni, C‑308/14, EU:C:2016:436, point 68). |
63 |
Cela étant, un citoyen de l’Union séjournant sur le territoire de l’État membre d’accueil en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2004/38, lu en combinaison avec l’article 14, paragraphe 1, de celle-ci, s’y trouve, ainsi qu’il ressort des points 31 à 33 du présent arrêt, en situation de séjour légal, au sens de cette directive. |
64 |
Il s’ensuit qu’un tel citoyen de l’Union bénéficie du principe d’égalité de traitement avec les ressortissants de cet État membre prévue à l’article 4 du règlement no 883/2004, y compris s’il est économiquement inactif au cours des trois premiers mois de son séjour dans ledit État membre au titre des dispositions de la directive 2004/38 mentionnées au point précédent. |
65 |
Il découle des considérations qui précèdent qu’un citoyen de l’Union économiquement inactif qui séjourne, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2004/38, lu en combinaison avec l’article 14, paragraphe 1, de celle-ci, sur le territoire d’un État membre autre que celui dont il a la nationalité et qui a établi sa résidence habituelle sur ce territoire peut se prévaloir, dans l’État membre d’accueil, du principe d’égalité de traitement, prévu à l’article 4 du règlement no 883/2004, aux fins de se voir octroyer des prestations familiales, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous j), de ce règlement, lu en combinaison avec l’article 1er, sous z), dudit règlement. |
66 |
En conséquence, l’article 4 du règlement no 883/2004 précisant le principe d’égalité de traitement en matière d’accès à de telles prestations, il y a lieu d’examiner si une réglementation nationale telle que celle visée au point 27 du présent arrêt est constitutive d’une différence de traitement contraire à cette disposition |
Sur l’existence d’une différence de traitement contraire à l’article 4 du règlement no 883/2004
67 |
Est constitutive d’une discrimination directe d’un citoyen de l’Union une réglementation de l’État membre d’accueil qui exclut du bénéfice de prestations familiales, au sens du règlement no 883/2004, ce citoyen alors qu’il séjourne légalement, en vertu de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2004/38, lu en combinaison avec l’article 14, paragraphe 1, de celle-ci, sur le territoire de cet État membre et qu’il y a établi sa résidence habituelle, au motif que ledit citoyen est économiquement inactif, tandis que ce même État membre octroie de telles prestations à ses propres ressortissants, fussent-ils économiquement inactifs, dès leur retour dans cet État membre après qu’ils ont exercé leur droit de circuler et de séjourner sur le territoire d’un autre État membre en vertu du droit de l’Union. |
68 |
Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 73 de ses conclusions et compte tenu de ce qui a été énoncé au point 61 du présent arrêt, une telle discrimination ne saurait, en l’absence de toute dérogation expressément prévue dans le règlement no 883/2004, être justifiée. |
69 |
Partant, l’article 4 du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que l’État membre d’accueil adopte une réglementation telle que celle visée au point 67 du présent arrêt. |
70 |
Il importe toutefois de souligner que le citoyen de l’Union, économiquement inactif, qui revendique, dans l’État membre d’accueil, l’application du principe d’égalité de traitement consacré par cet article en ce qui concerne les conditions d’octroi de prestations familiales, au sens du règlement no 883/2004, doit, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, de ce règlement, lu en combinaison avec l’article 1er, sous j), dudit règlement, avoir établi, durant la période des trois premiers mois au cours desquels il bénéficie, dans cet État membre, d’un titre de séjour au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2004/38, lu en combinaison avec l’article 14, paragraphe 1, de celle-ci, sa résidence habituelle dans ledit État membre, et non pas y séjourner de manière temporaire, au sens de l’article 1er, sous k), du même règlement. |
71 |
À cet égard, d’une part, l’article 11 du règlement no 987/2009, intitulé « Éléments pour la détermination de la résidence », identifie, à son paragraphe 1, une série d’éléments aux fins de la détermination de l’État membre dans lequel la personne concernée réside. Le paragraphe 2 de cet article précise que la notion de « résidence », au sens du règlement no 883/2004, doit s’entendre comme la résidence « effective » de cette personne. |
72 |
D’autre part, conformément à la jurisprudence de la Cour, la notion de « résidence habituelle » reflète essentiellement une question de fait soumise à l’appréciation de la juridiction nationale au regard de l’ensemble des circonstances propres au cas d’espèce. À cet égard, il convient de relever que la condition selon laquelle un citoyen de l’Union tel que visé au point 70 du présent arrêt doit avoir transféré sa résidence habituelle sur le territoire de l’État membre d’accueil implique qu’il ait manifesté la volonté d’établir, de manière effective, le centre habituel de ses intérêts dans cet État membre et qu’il démontre que sa présence sur le territoire dudit État membre témoigne d’un degré suffisant de stabilité, qui la distingue d’un séjour temporaire [voir, par analogie, arrêt du 25 novembre 2021, IB (Résidence habituelle d’un époux – Divorce), C‑289/20, EU:C:2021:955, point 58]. |
73 |
À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée de la manière suivante:
|
Sur les dépens
74 |
La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. |
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit : |
L’article 4 du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle un citoyen de l’Union, ressortissant d’un autre État membre ayant établi sa résidence habituelle sur le territoire du premier État membre et étant économiquement inactif en tant qu’il n’exerce pas d’activité rémunérée dans celui-ci, se voit refuser le bénéfice de « prestations familiales », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous j), de ce règlement, lu en combinaison avec l’article 1er, sous z), dudit règlement, au cours des trois premiers mois de son séjour sur le territoire de cet État membre, tandis qu’un ressortissant économiquement inactif dudit État membre bénéficie de telles prestations, y compris au cours des trois premiers mois suivant son retour dans le même État membre après avoir fait usage, en vertu du droit de l’Union, de son droit de circuler et de séjourner dans un autre État membre. |
L’article 24, paragraphe 2, de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, modifiant le règlement (CEE) no 1612/68 et abrogeant les directives 64/221/CEE, 68/360/CEE, 72/194/CEE, 73/148/CEE, 75/34/CEE, 75/35/CEE, 90/364/CEE, 90/365/CEE et 93/96/CEE, doit être interprété en ce sens qu’il n’est pas applicable à une telle réglementation. |
Signatures |
( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.