ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

21 décembre 2021 ( *1 )

« Pourvoi – Union économique et monétaire – Union bancaire – Redressement et résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement – Mécanisme de résolution unique des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement (MRU) – Conseil de résolution unique (CRU) – Procédure de résolution applicable en cas de défaillance avérée ou prévisible d’une entité – Adoption d’un dispositif de résolution à l’égard de Banco Popular Español SA – Instrument de cession des activités – Dépréciation et conversion d’instruments de fonds propres – Règlement (UE) no 806/2014 – Article 20 – Notion de “valorisation définitive” – Conséquences – Refus ou abstention de procéder à une valorisation définitive ex post – Voies de recours – Recours en annulation »

Dans l’affaire C‑934/19 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 20 décembre 2019,

Algebris (UK) Ltd, établie à Londres (Royaume-Uni),

Anchorage Capital Group LLC, établie à New York (États-Unis),

représentées par Me T. Soames, avocat, M. R. East, solicitor, Me N. Chesaites, advocaat, et Mme D. Mackersie, barrister,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant :

Conseil de résolution unique (CRU), représenté par Mmes J. King et L. Pogarcic Mataija ainsi que par M. E. Muratori, en qualité d’agents, assistés de Mes H.-G. Kamann et L. Hesse, Rechstanwälte, ainsi que de Me F. Louis, avocat,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, MM. J. Passer, F. Biltgen, Mme L. S. Rossi et M. N. Wahl (rapporteur), juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 8 juillet 2021,

rend le présent

Arrêt

1

Par leur pourvoi, Algebris (UK) Ltd et Anchorage Capital Group LLC demandent l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 10 octobre 2019, Algebris (UK) et Anchorage Capital Group/CRU (T‑2/19, non publiée, ci‑après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2019:741), par laquelle celui-ci a rejeté comme étant irrecevable leur recours tendant à l’annulation du refus allégué du Conseil de résolution unique (CRU) d’effectuer une valorisation définitive ex post de Banco Popular Español SA (ci-après « Banco Popular »), dont elles auraient été informées par lettre du 18 décembre 2018.

Le cadre juridique

2

Aux termes du considérant 64 du règlement (UE) no 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) no 1093/2010 (JO 2014, L 225, p. 1) :

« Il est important de prendre en compte les pertes en cas de défaillance de l’entité. La valorisation de l’actif et du passif des entités défaillantes devrait se fonder sur des hypothèses justes, prudentes et réalistes au moment de l’application des instruments de résolution. Lors de la valorisation, la situation financière de l’entité ne devrait cependant pas avoir de répercussion sur la valeur du passif. En cas d’urgence, le CRU devrait pouvoir effectuer une évaluation rapide de l’actif ou du passif d’une entité défaillante. Cette évaluation devrait être provisoire et s’appliquer uniquement jusqu’à ce qu’une évaluation indépendante ait été effectuée. »

3

Le règlement no 806/2014 comprend un article 20, intitulé « Valorisation aux fins de la résolution », aux termes duquel :

« 1.   Avant de décider d’une mesure de résolution ou de l’exercice du pouvoir de dépréciation ou de conversion des instruments de fonds propres pertinents, le CRU veille à ce qu’une valorisation juste, prudente et réaliste de l’actif et du passif d’une entité visée à l’article 2 soit effectuée par une personne indépendante de toute autorité publique, y compris le CRU et l’autorité de résolution nationale, ainsi que de l’entité concernée.

2.   Sous réserve du paragraphe 15, lorsque toutes les exigences fixées aux paragraphes 1 et 4 à 9 sont satisfaites, la valorisation est considérée comme définitive.

3.   Dans le cas où une valorisation indépendante conformément au paragraphe 1 n’est pas possible, le CRU peut procéder à une valorisation provisoire de l’actif et du passif d’une entité visée à l’article 2, conformément au paragraphe 10 du présent article.

4.   La valorisation a pour but d’estimer la valeur de l’actif et du passif d’une entité visée à l’article 2 qui remplit les conditions de déclenchement d’une procédure de résolution figurant aux articles 16 et 18.

5.   La valorisation vise les objectifs suivants :

a)

fournir les éléments permettant de déterminer si les conditions de déclenchement d’une procédure de résolution, ou les conditions applicables à la dépréciation ou à la conversion d’instruments de fonds propres sont réunies ;

b)

si les conditions de déclenchement d’une procédure de résolution sont réunies, fournir les éléments permettant de décider des mesures de résolution appropriées qu’il convient de prendre à l’égard d’une entité visée à l’article 2 ;

c)

lorsque le pouvoir de dépréciation ou de conversion des instruments de fonds propres pertinents est exercé, fournir les éléments permettant de prendre la décision sur l’ampleur de l’annulation ou de la dilution de titres de propriété, et sur l’ampleur de la dépréciation ou de la conversion des instruments de fonds propres pertinents ;

[...]

g)

en tout état de cause, faire en sorte que toute perte subie sur les actifs d’une entité visée à l’article 2 soit pleinement prise en compte au moment où les instruments de résolution sont appliqués ou au moment où le pouvoir de dépréciation ou de conversion des instruments de fonds propres pertinents est exercé.

6.   Sans préjudice du cadre des aides d’État de l’Union [européenne], lorsqu’il y a lieu, la valorisation se fonde sur des hypothèses prudentes, y compris concernant les taux de défaut et la sévérité des pertes. La valorisation ne prévoit pas d’emblée un apport futur potentiel de soutien financier public exceptionnel, un apport urgent de liquidités par une banque centrale ou un apport de liquidités par une banque centrale à des conditions non conventionnelles, en termes de constitution de garantie, d’échéance et de taux d’intérêt à une entité visée à l’article 2 à compter du moment où la mesure de résolution est prise ou du moment où le pouvoir de dépréciation ou de conversion des instruments de fonds propres pertinents est exercé. [...]

[...]

7.   La valorisation est complétée par les informations suivantes figurant dans les livres et registres comptables d’une entité visée à l’article 2 :

a)

un bilan actualisé et un rapport sur la situation financière d’une entité visée à l’article 2 ;

b)

une analyse et une estimation de la valeur comptable des actifs ;

c)

la liste des passifs en cours exigibles sur le bilan et hors bilan figurant dans les livres et registres d’une entité visée à l’article 2, avec une indication des créanciers correspondants et de l’ordre de priorité des créances visé à l’article 17.

[...]

9.   La valorisation précise la répartition des créanciers en différentes catégories selon l’ordre de priorité des créances visé à l’article 17 et évalue le traitement que chaque catégorie d’actionnaires et de créanciers aurait été susceptible de recevoir si l’entité visée à l’article 2 avait été liquidée selon une procédure normale d’insolvabilité. Cette estimation n’affecte pas l’application du principe visé à l’article 15, paragraphe 1, [sous] g), selon lequel aucun créancier ne peut être plus mal traité.

10.   Dans le cas où, en raison de l’urgence de la situation, soit il n’est pas possible de respecter les exigences fixées aux paragraphes 7 et 9, soit le paragraphe 3 s’applique, une valorisation provisoire est effectuée. La valorisation provisoire respecte les exigences fixées au paragraphe 4 et, dans la mesure où cela est raisonnablement possible compte tenu des circonstances, les exigences fixées aux paragraphes 1, 7 et 9.

La valorisation provisoire visée au premier alinéa intègre un coussin pour pertes supplémentaires, assorti d’une justification en bonne et due forme.

11.   Une valorisation qui ne respecte pas toutes les exigences fixées aux paragraphes 1 et 4 à 9 est considérée comme provisoire jusqu’à ce qu’une personne indépendante visée au paragraphe 1 ait effectué une valorisation respectant pleinement lesdites exigences. Cette valorisation définitive ex post est effectuée dans les meilleurs délais. Elle peut être réalisée soit indépendamment de la valorisation visée aux paragraphes 16, 17 et 18, soit en même temps que ladite valorisation et par la même personne indépendante, mais tout en restant distincte.

La valorisation définitive ex post vise les objectifs suivants :

a)

faire en sorte que toute perte subie sur les actifs d’une entité visée à l’article 2 soit pleinement prise en compte dans la comptabilité de l’entité concernée ;

b)

fournir les éléments permettant de décider sur la reprise des créances ou l’augmentation de la valeur de la contrepartie versée, conformément au paragraphe 12 du présent article.

12.   Au cas où l’estimation de la valeur de l’actif net d’une entité visée à l’article 2 telle qu’elle résulte de la valorisation définitive ex post est supérieure à l’estimation résultant de la valorisation provisoire de l’actif net de ladite entité, le CRU peut exiger que l’autorité de résolution nationale :

a)

exerce son pouvoir de relever la valeur des créances des créanciers ou des propriétaires d’instruments de fonds propres pertinents qui ont été dépréciées en application de l’instrument de renflouement interne ;

b)

donne instruction à un établissement-relais ou à une structure de gestion des actifs de verser une contrepartie supplémentaire à un établissement soumis à une procédure de résolution en ce qui concerne les actifs, droits ou engagements, ou, s’il y a lieu, aux propriétaires des titres de propriété pour ce qui concerne lesdits titres de propriété.

13.   Nonobstant le paragraphe 1, une valorisation provisoire effectuée conformément aux paragraphes 10 et 11 constitue une base valable pour que le CRU décide des mesures de résolution, y compris celle de donner aux autorités de résolution nationales instruction de prendre le contrôle d’un établissement défaillant, ou de l’exercice du pouvoir de dépréciation ou de conversion des instruments de fonds propres pertinents.

14.   Le CRU établit et maintient en place des mécanismes garantissant que l’évaluation de l’application de l’instrument de renflouement interne conformément à l’article 27 et que la valorisation visée aux paragraphes 1 à 15 du présent article sont fondées sur des informations aussi récentes et complètes que raisonnablement possible au sujet des actifs et des passifs de l’établissement soumis à une procédure de résolution.

15.   La valorisation est partie intégrante de la décision d’appliquer un instrument de résolution ou d’exercer un pouvoir de résolution ou de la décision d’exercer le pouvoir de dépréciation ou de conversion des instruments de fonds propres. La valorisation elle-même ne fait pas l’objet d’un droit de recours distinct, mais peut faire l’objet d’un recours visant aussi la décision prise par le CRU.

16.   Afin de déterminer si les actionnaires et les créanciers auraient bénéficié d’un meilleur traitement si l’établissement soumis à une procédure de résolution avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité, le CRU veille à ce qu’une valorisation soit réalisée par une personne indépendante visée au paragraphe 1 aussitôt que la ou les mesures de résolution ont été exécutées. Cette valorisation est distincte de celle effectuée au titre des paragraphes 1 à 15.

17.   La valorisation visée au paragraphe 16 établit :

a)

le traitement dont auraient bénéficié les actionnaires et les créanciers ou les systèmes pertinents de garantie des dépôts si un établissement soumis à une procédure de résolution à l’égard duquel une ou plusieurs mesures de résolution ont été exécutées avait été soumis à une procédure normale d’insolvabilité au moment où la décision sur la mesure de résolution a été prise ;

b)

le traitement réel dont les actionnaires et les créanciers ont fait l’objet dans le cadre de la résolution d’un établissement soumis à une procédure de résolution ; et

c)

s’il existe une différence entre le traitement visé au point a) du présent paragraphe et celui visé au point b) du présent paragraphe.

[...] »

Les antécédents du litige

4

Les antécédents du litige ont été exposés aux points 1 à 20 de l’ordonnance attaquée et peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés de la manière suivante.

5

Les requérantes, Algebris (UK) et Anchorage Capital Group, sont des gestionnaires de fonds d’investissement qui détenaient différents types d’instruments de fonds propres de Banco Popular lorsque fut adopté à l’égard de cette dernière un dispositif de résolution sur le fondement du règlement no 806/2014.

6

Aux fins de l’adoption d’une décision de résolution, il a été procédé à la valorisation de Banco Popular, en application de l’article 20 du règlement no 806/2014. À cet effet, deux rapports ont d’abord été réalisés.

7

Le premier rapport (ci-après le « premier rapport de valorisation »), daté du 5 juin 2017, a été rédigé par le CRU, sur le fondement de l’article 20, paragraphe 5, sous a), de ce règlement et avait pour objectif de fournir les éléments permettant de déterminer si les conditions de déclenchement d’une procédure de résolution, telles que définies à l’article 18, paragraphe 1, dudit règlement, étaient réunies.

8

Le deuxième rapport (ci-après le « deuxième rapport de valorisation »), daté du 6 juin 2017, a été rédigé par un expert indépendant, en application de l’article 20, paragraphe 10, dudit règlement. Cette valorisation avait pour but d’estimer la valeur de l’actif et du passif de Banco Popular, de fournir une estimation sur le traitement dont les actionnaires et les créanciers auraient bénéficié si Banco Popular avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité ainsi que d’identifier les éléments permettant de prendre la décision concernant les actions et les titres de propriété à transférer et permettant au CRU de déterminer ce que constituaient des conditions commerciales aux fins de l’instrument de cession des activités.

9

Le 7 juin 2017, le CRU a adopté la décision SRB/EES/2017/08, concernant un dispositif de résolution à l’égard de Banco Popular (ci-après la « décision de résolution »). Le même jour, la Commission européenne a adopté la décision (UE) 2017/1246, approuvant le dispositif de résolution à l’égard de Banco Popular Español SA (JO 2017, L 178, p. 15). Toujours le même jour, le Fondo de Reestructuración Ordenada Bancaria (Fonds de restructuration ordonnée des établissements bancaires, ci-après le « FROB ») a adopté les mesures nécessaires pour mettre en œuvre la décision de résolution.

10

Aux termes de l’article 5, paragraphe 1, de la décision de résolution :

« L’instrument de résolution appliqué à Banco Popular consistera en une cession des activités en vertu de l’article 24 du règlement no 806/2014 par le transfert des actions à un acquéreur. La dépréciation et la conversion des instruments de fonds propres seront effectuées immédiatement avant l’application de l’instrument de cession des activités. »

11

L’article 6 de la décision de résolution, relatif à la dépréciation des instruments de fonds propres et à l’instrument de cession des activités, comporte un paragraphe 1 selon lequel le CRU décide, en substance, :

a)

de déprécier le montant nominal du capital social de Banco Popular d’un montant de 2098429046 euros, ce qui conduira à l’annulation de 100 % des actions de Banco Popular ;

b)

de convertir la totalité du montant principal des instruments de fonds propres additionnels de catégorie 1 émis par Banco Popular et en circulation à la date de la décision de résolution en des actions nouvellement émises de Banco Popular, dénommées « nouvelles actions I » ;

c)

de ramener à zéro la valeur nominale des « nouvelles actions I », ce qui conduira à l’annulation de 100 % de celles-ci ;

d)

de convertir la totalité du montant principal des instruments de fonds propres de catégorie 2 émis par Banco Popular et en circulation à la date de la décision de résolution en des actions nouvellement émises de Banco Popular, dénommées « nouvelles actions II ».

12

Selon l’article 6, paragraphe 3, de la décision de résolution, ces mesures de dépréciation et de conversion sont fondées sur le deuxième rapport de valorisation, corroboré par les résultats d’un processus de vente transparent et ouvert réalisé par le FROB.

13

Le CRU a également ordonné, à l’article 6, paragraphe 5, de la décision de résolution, que les « nouvelles actions II » fussent transférées à Banco Santander SA, libres et franches de tout droit ou privilège d’un tiers, en contrepartie du paiement du prix d’achat de 1 euro, précisant que l’acquéreur avait déjà consenti au transfert.

14

Le 17 août 2017, les requérantes ont introduit devant le Tribunal un recours, enregistré sous le numéro T‑570/17, tendant à l’annulation de la décision de résolution. Le même jour, elles ont également introduit un recours, enregistré sous le numéro T‑575/17, tendant à l’annulation de la décision 2017/1246.

15

Le 14 juin 2018, le CRU a reçu le rapport final de l’expert indépendant sur la valorisation, prévu à l’article 20, paragraphes 16 et 17, du règlement no 806/2014, visant à déterminer si les actionnaires et les créanciers affectés par le dispositif de résolution de Banco Popular auraient bénéficié d’un meilleur traitement si l’établissement avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité (ci-après le « troisième rapport de valorisation »).

16

Le 2 août 2018, le CRU adressait un courrier à l’expert indépendant, rédigé dans les termes suivants :

« Après un examen attentif du cadre légal, le CRU considère, au regard des circonstances de la résolution de Banco Popular, qu’il n’est pas nécessaire de préparer une valorisation définitive ex post visée à l’article 20, paragraphe 11, du règlement no 806/2014, notamment dans la mesure où la réalisation d’une telle valorisation ne saurait avoir d’effet sur la cession de Banco Popular à Banco Santander, laquelle a déterminé le prix du marché de Banco Popular en tant qu’entité dans le cadre d’une procédure ouverte, juste et transparente. »

17

Le 7 août 2018, le CRU a publié une communication concernant son « avis [...] du 2 août 2018 relatif à sa décision préliminaire sur la nécessité d’accorder ou non un dédommagement aux actionnaires et aux créanciers qui [avaie]nt fait l’objet des mesures de résolution concernant Banco Popular [...] et au lancement de la procédure du droit d’être entendu (SRB/EES/2018/132) » (JO 2018, C 277 I, p. 1), cet avis étant accompagné du troisième rapport de valorisation. Il y indiquait ce qui suit :

« Il ressort du [troisième] rapport [de] valorisation [...] qu’il n’existe pas de différence entre le traitement dont bénéficient réellement les actionnaires et créanciers affectés et celui dont ils auraient bénéficié si l’établissement avait été soumis à une procédure normale d’insolvabilité à la date de la résolution. Au vu de ce qui précède, le CRU, dans son avis, décide, à titre préliminaire, qu’il n’est pas tenu de verser un dédommagement aux actionnaires et créanciers affectés [...]

Pour lui permettre de prendre sa décision finale sur la nécessité ou non d’accorder un dédommagement, le CRU invite par le présent avis les actionnaires et créanciers affectés à faire part de leur intérêt à exercer leur droit d’être entendus au regard de la décision préliminaire du CRU susmentionnée en suivant la procédure de consultation [...] »

18

Le 28 septembre 2018, à la suite d’une fusion par absorption, Banco Santander a succédé à titre universel à Banco Popular. Dans ce cadre, le FROB a donné son accord au transfert des nouvelles actions de Banco Popular issues de la conversion des instruments de fonds propres de catégorie 2 à Banco Santander.

19

Par lettre du 3 octobre 2018 adressée au CRU, les requérantes ont indiqué que les premier et deuxième rapports de valorisation étaient provisoires et ont rappelé que, selon l’article 20, paragraphe 11, du règlement no 806/2014, « une valorisation définitive ex post est effectuée dans les meilleurs délais ». Elles ont relevé que le CRU n’avait pas annoncé quand les versions définitives de ces rapports seraient disponibles et qu’elles avaient eu connaissance par la presse espagnole d’une lettre que le CRU aurait envoyée au Tribunal selon laquelle il n’y aurait pas de valorisation définitive ex post de Banco Popular. Elles ont demandé au CRU, premièrement, de confirmer cette information, deuxièmement, de publier ou de leur transmettre une copie de cette lettre et, troisièmement, d’indiquer les motifs de la décision de ne pas procéder à une valorisation définitive ex post.

20

Le 16 octobre 2018, le CRU a publié sur son site Internet la lettre du 2 août 2018, mentionnée au point 16 du présent arrêt.

21

Par lettre du 25 octobre 2018, le CRU a répondu à la lettre des requérantes du 3 octobre 2018. Premièrement, il a indiqué qu’il n’était pas en mesure de commenter, de publier ou de dévoiler une information figurant dans un document qui avait été transmis au Tribunal dans le cadre d’une procédure pendante. Deuxièmement, s’agissant de la demande des requérantes tendant à leur fournir les motifs pour lesquels le CRU avait décidé de ne pas procéder à une valorisation définitive ex post, ce dernier les a informées de la publication sur son site Internet de la lettre du 2 août 2018 adressée à l’expert indépendant.

22

Par lettre du 16 novembre 2018 adressée au CRU, les requérantes ont rappelé le contenu de leur lettre du 3 octobre 2018. Elles ont également contesté le contenu de la réponse qu’il leur avait fournie le 25 octobre 2018, notamment en ce qu’il avait invoqué l’existence d’une procédure pendante pour refuser de communiquer la lettre transmise au Tribunal ou son contenu, en violation de l’obligation de motivation, et le fait que le CRU se soit référé au contenu de la lettre du 2 août 2018. Les requérantes ont indiqué que, alors que le CRU avait refusé de confirmer ou de nier expressément s’il avait décidé de ne pas préparer de version définitive ex post des premier et deuxième rapports de valorisation, elles considéraient cette lettre du 2 août comme une confirmation supplémentaire du fait qu’il avait décidé de ne pas le faire. Elles ont ajouté que, si tel était le cas, cela constituerait une violation de l’article 20, paragraphe 11, du règlement no 806/2014. Elles ont également précisé que ladite lettre ne pouvait être considérée comme ayant été « publiée » sur le site Internet du CRU, dans la mesure où ce ne serait qu’en utilisant le terme de recherche « Deloitte » qu’elles auraient pu y accéder. Elles sont parvenues à la conclusion que cette lettre ne satisfaisait pas à l’obligation de motivation. Les requérantes ont ainsi demandé au CRU de leur confirmer expressément qu’il avait adopté une décision de ne pas préparer de version définitive ex post de ces rapports de valorisation et, dans ce cas, de leur fournir une copie de cette décision.

23

Par une lettre datée du 18 décembre 2018, le CRU a répondu à la lettre des requérantes du 16 novembre 2018. Il a rappelé leurs demandes du 3 octobre 2018 et la réponse figurant dans sa lettre du 25 octobre 2018. Il a relevé que, dans leur lettre du 16 novembre 2018, les requérantes avaient répété leur demande tendant à ce qu’il confirmât qu’il avait adopté une décision de ne pas préparer de version définitive ex post des premier et deuxième rapports de valorisation. Il a rappelé que sa lettre du 25 octobre 2018 contenait clairement sa position à cet égard et renvoyait à la lettre adressée à l’expert indépendant dans laquelle les motifs pour lesquels il ne serait pas procédé à une valorisation définitive ex post étaient exposés.

24

Le CRU a indiqué que, par sa lettre du 25 octobre 2018, il s’était conformé à son obligation de motivation au titre de l’article 296 TFUE, dans la mesure où il faisait référence à la lettre adressée à cet expert qui contenait elle-même les motifs de sa décision de ne pas procéder à une valorisation définitive ex post. Il a relevé que les requérantes pouvaient être en désaccord avec ces motifs, mais que cela ne signifiait pas que sa lettre n’était pas motivée. Enfin, il a contesté les allégations des requérantes selon lesquelles la lettre adressée à l’expert indépendant n’était pas publiée sur son site Internet.

La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

25

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 4 janvier 2019, les requérantes ont introduit un recours tendant à l’annulation de la « décision du CRU, notifiée par la première lettre du 18 décembre 2018, de ne pas procéder à une valorisation définitive ex post de Banco Popular ».

26

Par l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rejeté le recours comme étant irrecevable au motif que les requérantes n’avaient pas qualité pour agir, n’étant pas directement concernées par la décision du CRU de ne pas procéder à une valorisation définitive ex post de Banco Popular, dans la mesure où cette décision ne produisait pas d’effets juridiques de nature à affecter leur situation juridique.

27

À cet effet, le Tribunal a estimé, à titre liminaire, que, compte tenu de la fin de non-recevoir soulevée par le CRU, tirée de l’absence de qualité pour agir des requérantes, il convenait d’examiner d’abord si la situation juridique de ces dernières était affectée par la décision de ne pas procéder à une valorisation définitive ex post de Banco Popular et par l’éventuelle compensation qui en découlerait.

28

Après avoir exposé la teneur de l’article 20, paragraphes 11 et 12, du règlement no 806/2014, le Tribunal a relevé que la valorisation définitive ex post avait deux objectifs. Il a indiqué que les requérantes ne soutenaient pas que le premier objectif, visé à l’article 20, paragraphe 11, sous a), du règlement no 806/2014 et tendant à faire en sorte que toute perte subie sur les actifs d’une entité visée à l’article 2 de ce règlement soit pleinement prise en compte dans la comptabilité de l’entité concernée, serait applicable en l’espèce.

29

Il a précisé que, en application de la décision de résolution, à la suite de l’exercice du pouvoir de dépréciation et de conversion des instruments de fonds propres de Banco Popular, toutes les actions de Banco Popular avaient été transférées à Banco Santander en application de l’instrument de cession des activités. Il en a déduit qu’il appartenait à Banco Santander de s’assurer que toute perte éventuelle subie fût prise en compte dans la comptabilité, lors de la consolidation des actifs et du passif de Banco Popular.

30

S’agissant du second objectif, visé à l’article 20, paragraphe 11, sous b), du règlement no 806/2014 et consistant à fournir les éléments permettant de se prononcer sur la reprise des créances ou l’augmentation de la valeur de la contrepartie versée, le Tribunal a souligné que cette disposition devait être lue à la lumière de l’article 20, paragraphe 12, de ce règlement selon lequel, si, à l’issue de la valorisation définitive ex post, l’estimation résultant de cette valorisation est supérieure à celle résultant de la valorisation provisoire, le CRU peut demander à l’autorité de résolution nationale soit de relever la valeur des créances des créanciers ou des propriétaires d’instruments de fonds propres pertinents ayant été dépréciées en application de l’instrument de renflouement interne, soit de donner instruction à un établissement-relais ou à une structure de gestion des actifs de verser une contrepartie supplémentaire à un établissement soumis à une procédure de résolution.

31

Cette dernière disposition indiquant expressément les hypothèses dans lesquelles une compensation, par une augmentation de la valeur des créances ou le versement d’une contrepartie supplémentaire, peut être accordée à l’issue d’une valorisation définitive ex post, à savoir uniquement lorsque le dispositif de résolution appliqué à l’entité est soit l’instrument de renflouement interne prévu à l’article 27 du règlement no 806/2014, soit l’instrument de l’établissement-relais mentionné à l’article 25 de ce règlement, soit l’instrument de séparation des actifs cité à l’article 26 dudit règlement, le Tribunal a observé que ces instruments de résolution n’avaient pas été appliqués en l’espèce, puisque l’instrument de résolution adopté à l’égard de Banco Popular était celui de cession des activités prévu à l’article 24 du règlement no 806/2014, et que l’application de cet instrument avait conduit à la vente de la totalité de Banco Popular à Banco Santander.

32

Le Tribunal a donc constaté que l’instrument de cession des activités appliqué à Banco Popular ne faisait pas partie des cas visés à l’article 20, paragraphe 12, du règlement no 806/2014, dans lesquels une compensation pouvait être versée à la suite d’une valorisation définitive ex post et, en outre, que cette disposition ne permettait pas l’indemnisation des anciens actionnaires et créanciers d’une entité dont les instruments de fonds propres ont été entièrement convertis, dépréciés et transférés à un tiers.

33

Le Tribunal a ensuite écarté l’argument des requérantes selon lequel l’absence de valorisation définitive ex post serait de nature à affecter la situation des fonds qu’elles représentent dans la mesure où elle aurait pour conséquence d’exclure l’examen de la reprise de la valeur de leurs instruments de fonds propres additionnels de catégorie 1 et de leurs instruments de fonds propres de catégorie 2 ou d’une augmentation de la contrepartie versée par Banco Santander.

34

Il a estimé que, par cet argument, les requérantes soutenaient, en substance, que, si une valorisation définitive ex post de Banco Popular était effectuée, elles pourraient prétendre à une reprise de leurs créances ou à l’augmentation de la valeur de la contrepartie versée par Banco Santander et a indiqué qu’un tel argument ne pouvait prospérer, puisque, dans le cadre de la résolution de Banco Popular, les instruments de fonds propres additionnels de catégorie 1 avaient été convertis en actions, entièrement dépréciés et annulés et les instruments de fonds propres de catégorie 2 avaient été convertis, dépréciés et entièrement transférés à Banco Santander. Il en a tiré la conclusion que les anciens actionnaires de Banco Popular avaient perdu leur qualité d’actionnaires du fait de l’adoption de la décision de résolution.

35

Le Tribunal a donc estimé que, à la suite de l’exercice du pouvoir de dépréciation et de conversion des instruments de fonds propres de Banco Popular, puis du transfert de l’ensemble des actions résultant de cet exercice à Banco Santander, les requérantes n’étaient plus titulaires d’instruments de fonds propres susceptibles de faire l’objet d’une compensation sur le fondement de l’article 20, paragraphe 12, du règlement no 806/2014 et que les requérantes ne pouvaient donc prétendre être directement affectées par la décision du CRU de ne pas procéder à une valorisation définitive ex post de Banco Popular, dans la mesure où elles n’étaient pas susceptibles d’obtenir une quelconque compensation sur le fondement de cette disposition. Il en a conclu que la décision du CRU de ne pas procéder à une valorisation définitive ex post de Banco Popular ne produisait pas d’effets juridiques obligatoires de nature à affecter la situation juridique des requérantes.

36

Aux fins du rejet de l’argumentation des requérantes, le Tribunal a précisé qu’il y avait lieu de distinguer le troisième rapport de valorisation, prévu à l’article 20, paragraphe 16, du règlement no 806/2014, de la valorisation définitive ex post, mentionnée à l’article 20, paragraphe 11, de ce règlement, l’objectif du troisième rapport de valorisation étant de déterminer si les actionnaires et les créanciers auraient bénéficié d’un meilleur traitement si l’établissement soumis à une procédure de résolution avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité et, éventuellement, de leur accorder une indemnité. Le Tribunal a considéré que, alors que les requérantes auraient potentiellement droit à une compensation sur le fondement du troisième rapport de valorisation, elles ne pouvaient y prétendre en vertu de la valorisation définitive ex post.

37

Le Tribunal a donc jugé que les requérantes n’étaient pas directement concernées par la décision du CRU de ne pas procéder à une valorisation définitive ex post de Banco Popular, dans la mesure où cette décision ne produisait pas d’effets juridiques de nature à affecter leur situation juridique.

Les conclusions des parties

38

Les requérantes demandent à la Cour :

d’annuler le dispositif de l’ordonnance attaquée ;

de condamner le CRU aux dépens, y compris ceux exposés par elles en première instance, et

de reconnaître leur qualité pour agir en première instance.

39

Le CRU demande à la Cour :

à titre principal, de rejeter le pourvoi comme étant irrecevable et, en tout état de cause, non fondé ;

à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal ;

à titre plus subsidiaire encore, en cas d’évocation, de rejeter le recours en première instance, et

de condamner les requérantes à supporter les dépens de la présente procédure et de la procédure devant le Tribunal et, à titre subsidiaire, de réserver les dépens du pourvoi.

Sur le pourvoi

40

À l’appui de leur pourvoi, les requérantes soulèvent deux moyens. Par le premier moyen, elles font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en omettant de prendre en considération les conséquences des deux premières phrases de l’article 20, paragraphe 11, du règlement no 806/2014, ainsi qu’une violation du droit de propriété. Par le second moyen, elles soutiennent que le Tribunal a mal interprété l’article 20, paragraphe 12, sous a), de ce règlement et a violé le principe de non-discrimination.

Sur la recevabilité du pourvoi

41

Selon le CRU, le pourvoi est irrecevable au regard de l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, en ce qu’il est fondé sur de nouveaux moyens de droit. Le CRU émet également des doutes sur la possibilité pour les requérantes d’agir au nom des fonds qu’elles affirment représenter.

42

Cette argumentation ne saurait prospérer.

43

En premier lieu, il convient de rappeler qu’il ressort de l’article 58 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que les moyens du pourvoi doivent être fondés sur des arguments tirés de la procédure devant le Tribunal. En outre, selon l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure, le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal. La compétence de la Cour, dans le cadre du pourvoi, est donc limitée à l’appréciation de la solution juridique qui a été donnée aux moyens et aux arguments débattus devant les premiers juges (ordonnance du 21 juillet 2020, Abaco Energy e.a./Commission, C‑436/19 P, non publiée, EU:C:2020:606, point 37 ainsi que jurisprudence citée).

44

Or, contrairement à ce que soutient le CRU, les requérantes, par leurs deux moyens, contestent l’interprétation ou l’application du droit de l’Union faite par le Tribunal, en ce sens qu’elles estiment qu’une valorisation définitive ex post était obligatoire et que le refus du CRU d’y procéder produisait des effets de droit modifiant leurs situations juridiques respectives en tant que gestionnaires de fonds détenant des obligations de Banco Popular.

45

À cet égard, il importe de préciser que la question, d’une part, de l’atteinte alléguée au droit de propriété et celle, d’autre part, de la méconnaissance supposée du principe d’égalité de traitement ne sont que des corollaires de la critique de l’interprétation du Tribunal et, donc, de ces deux moyens. Dès lors, lesdits moyens ne sont pas des moyens nouveaux (voir, en ce sens, arrêt du 28 juillet 2016, Tomana e.a./Conseil et Commission, C‑330/15 P, non publié, EU:C:2016:601, point 35).

46

En second lieu, la question de savoir si c’est valablement que les requérantes agissent au nom des fonds, soulevée par le CRU, n’est pas assortie d’éléments concrets de nature à mettre en doute la qualité avancée par ces dernières.

47

Le pourvoi est donc recevable.

Sur les moyens du pourvoi

48

Il y a lieu d’examiner conjointement les deux moyens du pourvoi en ce que les requérantes font valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en omettant de prendre en considération les conséquences des deux premières phrases de l’article 20, paragraphe 11, du règlement no 806/2014 et a mal interprété l’article 20, paragraphe 12, sous a), de ce règlement. En effet, dans l’ordonnance attaquée, le Tribunal a considéré, à bon droit, que ces dispositions étaient étroitement liées. Il conviendra ensuite de traiter, le cas échéant, la question de la violation alléguée de l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et celle du principe d’égalité de traitement.

Argumentation des parties

49

Dans le cadre du premier moyen, les requérantes indiquent que le Tribunal a commis une erreur de droit en n’examinant pas les conséquences profondes de l’article 20, paragraphe 11, du règlement no 806/2014. Bien qu’il ait cité l’intégralité de cette disposition, le Tribunal aurait ensuite omis de faire mention de ses deux premières phrases et aurait exclusivement examiné la signification des éléments y figurant aux points a) et b). Or, celles-ci indiqueraient clairement et expressément que toute valorisation provisoire doit être suivie d’une valorisation définitive ex post « dans les meilleurs délais ». Il s’agirait là d’une obligation légale absolue, qui ne serait pas subordonnée à la constatation de circonstances particulières, comme l’utilisation d’instruments de résolution spécifiques, ou aux objectifs mentionnés aux points a) et b). Ainsi, le sens clair de ladite disposition serait qu’une valorisation définitive ex post est requise dans toutes les circonstances où le CRU se fonde sur une valorisation effectuée à titre provisoire en raison de l’urgence de la situation.

50

Cette obligation impérative serait logique compte tenu des importantes exceptions prévues dans le cadre des rapports de valorisation provisoires ainsi que des pouvoirs d’expropriation draconiens et très larges dévolus par le règlement no 806/2014 au CRU. Ce dernier pourrait ainsi se dispenser, selon l’article 20, paragraphe 10, de ce règlement, de respecter les exigences posées à l’article 20, paragraphes 7 et 9, dudit règlement dans les situations d’urgence et ne respecter les conditions du paragraphe 1 de cet article, prévoyant l’obligation de faire réaliser une valorisation juste, prudente et réaliste par une personne indépendante de toute autorité publique, que dans la mesure où cela est raisonnablement possible compte tenu des circonstances.

51

L’article 20, paragraphe 7, de ce même règlement serait également très important en ce qui concerne les valorisations, car il prévoirait l’obligation de compléter la valorisation par un bilan actualisé et un rapport sur la situation financière de l’entité concernée, une analyse et une estimation de la valeur comptable de ses actifs et la liste de ses passifs en cours exigibles sur le bilan et hors bilan figurant dans les livres et les registres de cette entité, avec une indication des créanciers correspondants et de l’ordre de priorité des créances. Qui plus est, une valorisation provisoire devant intégrer un coussin pour pertes supplémentaires, conformément à l’article 20, paragraphe 10, second alinéa, du règlement no 806/2014, une valorisation provisoire serait en tout état de cause différente, et probablement inférieure, à une valorisation définitive.

52

L’expert indépendant aurait lui-même, dans le deuxième rapport de valorisation, invité le CRU à faire preuve de prudence dans l’emploi de celui-ci, en en indiquant clairement les insuffisances, étant donné qu’il aurait été établi en l’espace de deux semaines seulement, au lieu des six initialement convenues, sans avoir accès à certaines informations essentielles ni la possibilité de discuter des conclusions dudit rapport avec la direction, les auditeurs, les superviseurs et les autres personnes connaissant bien Banco Popular.

53

Or, les conditions prévues à l’article 20, paragraphes 1 à 9, du règlement no 806/2014 auraient été imposées au CRU pour que celui-ci veille à ce que les valorisations effectuées soient suffisamment solides et à ce que le droit de propriété soit respecté. C’est la raison pour laquelle les dérogations au respect de ces conditions ne seraient permises que dans les situations d’urgence. À défaut d’être suivis dans les meilleurs délais d’une valorisation définitive ex post, les rapports de valorisation demeureraient provisoires et ramèneraient ces conditions, et notamment celle exigeant qu’il soit procédé à une valorisation juste, prudente et réaliste par une personne indépendante, à l’état de vœu pieux.

54

Le raisonnement du Tribunal, consistant à aborder l’article 20, paragraphe 11, du règlement no 806/2014 comme si celui-ci devait être interprété par rapport à ses éléments figurant aux points a) et b) et à l’article 20, paragraphe 12, de ce règlement, emporterait des effets non seulement sur la question de savoir à quel moment une compensation doit être accordée, mais également sur celle de savoir à quel moment une valorisation définitive ex post doit être effectuée.

55

En substance, le Tribunal en déduirait que les parties expropriées, à l’instar des requérantes, n’ont qualité pour contester l’absence de valorisation définitive ex post que lorsqu’elles peuvent obtenir une compensation au titre de l’article 20, paragraphe 11, sous b), dudit règlement et qu’une compensation n’est due au titre de cette disposition que lorsque le dispositif de résolution appliqué a consisté à avoir recours à l’instrument de renflouement interne, conformément à l’article 27 du règlement no 806/2014, à l’instrument de l’établissement-relais, conformément à l’article 25 de ce règlement, ou à l’instrument de séparation des actifs, conformément à l’article 26 dudit règlement.

56

Il en résulterait que les actionnaires et les créanciers n’auraient pas qualité pour agir et, dans des circonstances comme celles de l’espèce, il serait difficile d’imaginer que d’autres parties que les actionnaires et les créanciers expropriés puissent avoir qualité pour contester l’absence de valorisation définitive ex post. L’interprétation du Tribunal permettrait donc au CRU de se fonder sur les premier et deuxième rapports de valorisation, qui seraient provisoires, très imparfaits et extrêmement peu fiables.

57

Les requérantes contestent également le raisonnement consistant à indiquer que les créanciers expropriés peuvent être indemnisés en introduisant un recours en annulation ou en indemnité contre la décision de résolution erronée, fondé sur le fait que les premier et deuxième rapports de valorisation sont imparfaits. Le législateur de l’Union aurait prévu un mécanisme de sécurité à cet égard, à savoir l’obligation d’effectuer une valorisation définitive ex post conformément à l’article 20, paragraphe 11, du règlement no 806/2014, qui serait plus à même de déterminer le montant du dédommagement dû dans les présentes circonstances, car l’évaluateur indépendant aurait accès à toutes les données sous-jacentes pertinentes, ce qui ne serait probablement pas le cas pour les créanciers dans le cadre d’un recours tel que celui susmentionné.

58

Une valorisation définitive ex post, si elle était effectuée, confirmerait très probablement le caractère erroné de la valorisation de Banco Popular et le fait que la dépréciation des obligations détenues par les requérantes était soit inutile soit trop importante, ce qui aurait abouti, à tout le moins, à un dispositif de résolution exigeant des conditions de vente très différentes.

59

Si, à l’issue de cette valorisation définitive ex post, le CRU décidait de ne pas indemniser les requérantes par la reprise de leurs obligations, la décision du CRU, et, potentiellement, la valorisation définitive au titre de l’article 20, paragraphe 15, de ce règlement, pourrait, en tout état de cause, être contestée par l’introduction d’un recours en annulation, d’un recours en carence ou d’un recours en responsabilité non contractuelle au titre de l’article 340 TFUE.

60

La perte de ces possibilités concrètes produirait des effets directs sur la situation juridique des requérantes, qui seraient donc directement concernées par la décision dont elles demandent l’annulation.

61

Dans leur mémoire en réplique, les requérantes contestent, premièrement, l’interprétation, par le CRU, de la fonction du coussin pour pertes supplémentaires. Deuxièmement, le raisonnement du CRU selon lequel un rapport de valorisation définitif ex post ne serait pas requis, puisque les requérantes disposeraient du prix de vente obtenu au terme d’une procédure légalement menée d’appel d’offres, serait circulaire, car la valeur exprimée dans le deuxième rapport de valorisation aurait conditionné le prix de vente en question.

62

Dans le cadre du second moyen, les requérantes font valoir que le Tribunal a, en tout état de cause, conclu à tort qu’elles n’étaient pas directement concernées par la décision dont elles demandent l’annulation.

63

Le Tribunal aurait avancé deux arguments au soutien de cette conclusion, qui procéderaient tous deux d’une mauvaise interprétation des dispositions du règlement no 806/2014, le premier consistant à considérer que l’article 20, paragraphe 12, de ce règlement ne s’applique que lorsque le CRU a recours à l’instrument de renflouement interne, à l’instrument de l’établissement-relais ou à l’instrument de séparation des actifs, aucun d’eux n’ayant été utilisé en l’espèce, et le second étant relatif au fait que l’article 20, paragraphe 12, dudit règlement ne prévoit pas de compensation pour les anciens actionnaires et créanciers d’une entité dont les instruments de fonds propres ont été entièrement convertis, dépréciés et cédés à un tiers.

64

Premièrement, l’article 20, paragraphe 12, sous a), du règlement no 806/2014 ferait expressément référence aux « propriétaires d’instruments de fonds propres pertinents qui ont été dépréciés en application de l’instrument de renflouement interne ». Or, les instruments de fonds propres pertinents seraient définis dans ce règlement comme étant les obligations telles que celles détenues par les requérantes. Le fait que cette disposition leur est applicable ne saurait donc être contesté. Le Tribunal n’aurait pas examiné ce point et n’aurait aucunement tenu compte de la signification des mots « instruments de fonds propres pertinents » dans l’ordonnance attaquée.

65

Il serait exact que, en l’occurrence, l’instrument de renflouement interne n’a pas été utilisé. Toutefois, la référence qui y serait faite à l’article 20, paragraphe 12, sous a), du règlement no 806/2014 devrait être lue conjointement avec la référence relative à la dépréciation des instruments de fonds propres pertinents. Cette disposition ne pourrait faire l’objet d’une interprétation formelle de manière à ne s’appliquer qu’aux dépréciations résultant de l’application de l’instrument de renflouement interne, mais devrait englober les cas dans lesquels les instruments de fonds propres pertinents sont dépréciés de 100 %, comme en l’espèce, que cette dépréciation ait lieu en application de l’article 22, paragraphe 1, de ce règlement ou de l’instrument de renflouement interne.

66

Deuxièmement, rien ne corroborerait l’interprétation du Tribunal selon laquelle un dédommagement ne serait pas accessible aux requérantes, conformément à l’article 20, paragraphe 12, du règlement no 806/2014, en raison du fait que les instruments de fonds propres des requérantes ont été entièrement convertis, dépréciés et transférés à un tiers, à savoir à Banco Santander pour la somme d’1 euro.

67

L’ordonnance attaquée indiquerait sur ce point que les requérantes ne sont plus titulaires d’instruments de fonds propres de Banco Popular susceptibles de faire l’objet d’une compensation, alors que cette disposition ne contiendrait pas d’exception applicable aux créances des créanciers ou des propriétaires lorsque la dépréciation a été suivie d’une cession des activités.

68

Rien ne justifierait que les créanciers et les propriétaires d’instruments de fonds propres pertinents qui ont été dépréciés et transférés ensuite en vertu de l’instrument de cession des activités ne puissent obtenir de dédommagement lorsque cette mesure a été adoptée sur la base d’une valorisation provisoire imparfaite de l’actif et du passif nets de la banque. Ils seraient affectés de la même façon, sinon davantage, que ceux qui conservent la propriété des instruments pertinents. Il s’ensuivrait que les requérantes sont directement concernées en vertu des termes mêmes de l’article 20, paragraphe 12, sous a), dudit règlement.

69

Bien que le Tribunal, dans l’ordonnance attaquée, n’ait pas examiné les questions de l’affectation individuelle et de l’intérêt à agir, les requérantes considèrent que la Cour devrait néanmoins examiner les arguments des requérantes à cet égard, dans un souci d’économie procédurale.

70

Elles estiment être individuellement concernées par la décision dont elles demandent l’annulation dans la mesure où elles feraient partie d’un petit nombre d’investisseurs identifiables qui détenaient les obligations émises par Banco Popular et expropriées par le CRU.

71

Dans la présente affaire, les premier et deuxième rapports de valorisation, bien qu’extrêmement peu fiables, auraient constitué le fondement de la décision du CRU de déprécier les investissements des requérantes dans le capital de Banco Popular. Partant, la décision du CRU de ne pas effectuer de valorisation définitive ex post, démontrant que le CRU a agi de manière illégale en dépréciant les biens des requérantes, concernerait individuellement ces dernières.

72

Contrairement à ce qu’aurait fait valoir le CRU en première instance, concernant le fait que ce type d’obligations serait largement échangé à travers le monde, ce qui ferait obstacle à l’identification et au décompte de leurs titulaires, les obligations expropriées par le CRU dans la décision de résolution y seraient identifiées par le numéro d’émission et par leur valeur, leur nombre étant donc connu au jour de la résolution, le 7 juin 2017.

73

De même, les requérantes soutiennent avoir un intérêt à l’annulation demandée, laquelle, si elle était prononcée, leur procurerait sans aucun doute un bénéfice. En effet, en cas d’annulation, le CRU serait tenu d’effectuer une valorisation définitive ex post qui devrait établir que Banco Popular valait plus que la somme de 2 milliards d’euros. Cela obligerait donc le CRU à examiner la reprise de la valeur des obligations des requérantes. De plus, les requérantes, en tant que grands investisseurs dans des banques soumises au mécanisme de surveillance unique, auraient par ailleurs un intérêt distinct à prévenir de futures violations commises par le CRU dans le cadre du règlement no 806/2014.

74

Le CRU conteste tant la recevabilité des premier et second moyens, sur la base des mêmes arguments que ceux déjà soulevés au soutien de l’irrecevabilité du pourvoi dans son ensemble, que le bien-fondé desdits moyens.

Appréciation de la Cour

75

Il convient d’emblée d’écarter les arguments du CRU relatifs à l’irrecevabilité de chacun des moyens du pourvoi, pour les raisons déjà exposées aux points 43 à 46 du présent arrêt s’agissant dudit pourvoi dans son ensemble, à savoir que la question, d’une part, de l’atteinte alléguée au droit de propriété et celle, d’autre part, celle de la méconnaissance supposée du principe d’égalité de traitement ne sont que des corollaires de l’interprétation reprochée au Tribunal et ne sauraient donc modifier l’objet du litige porté devant ce dernier.

76

Quant au fond, il importe de rappeler, au préalable, que, en l’espèce, face à la détérioration rapide de la situation financière, et notamment de l’insuffisance des liquidités, de Banco Popular, le CRU a décidé que l’instrument de résolution approprié serait non pas le renflouement interne, qui s’avérait selon lui insuffisant, mais la cession des activités, telle que prévue à l’article 24 du règlement no 806/2014. Tout en recourant à cet instrument de résolution, le CRU a fait usage de son pouvoir de dépréciation et de conversion des instruments de fonds propres pertinents prévu à l’article 21 du règlement no 806/2014.

77

Ainsi qu’il est indiqué aux points 7 et 8 du présent arrêt, le premier rapport de valorisation, établi par le CRU, avait pour objectif de fournir les éléments permettant de déterminer si les conditions de déclenchement d’une procédure de résolution étaient réunies, tandis que le deuxième rapport de valorisation, rédigé par un expert indépendant désigné par le CRU, devait estimer la valeur de l’actif et du passif de Banco Popular, fournir une estimation sur le traitement dont les actionnaires et les créanciers auraient bénéficié si Banco Popular avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité ainsi qu’identifier les éléments permettant de prendre la décision concernant les actions et les titres de propriété à transférer et permettant au CRU de déterminer ce que constituaient des conditions commerciales aux fins de l’instrument de cession des activités. Le troisième rapport de valorisation, également réalisé par l’expert indépendant, visait à établir si les actionnaires et les créanciers affectés par le dispositif de résolution de Banco Popular auraient bénéficié d’un meilleur traitement si l’établissement avait fait l’objet d’une procédure normale d’insolvabilité.

78

Le CRU a estimé que, en l’espèce, il n’y avait lieu ni de préparer une version ex post du premier rapport de valorisation ni de faire suivre le deuxième rapport de valorisation d’une valorisation définitive ex post. Il a fait part de cette analyse aux requérantes, qui l’avaient interrogé à ce sujet, en leur communiquant la lettre du 2 août 2018 qu’il avait adressée à l’expert indépendant. Les requérantes ont demandé des précisions au CRU, qui leur ont été apportées par lettre du 18 décembre 2018. C’est contre cette dernière lettre qu’était dirigé le recours en première instance.

79

Les moyens du pourvoi reposant tous deux sur l’allégation de la méconnaissance par le CRU de l’article 20 du règlement no 806/2014, il convient de procéder à l’interprétation de la teneur de cette disposition, à la lumière du considérant 64 dudit règlement.

80

Il ressort de ce considérant 64 qu’il y a lieu de distinguer la valorisation de l’actif et du passif des entités défaillantes telle qu’effectuée par le CRU en cas d’urgence, présentant un caractère provisoire, de celle effectuée de manière indépendante, mettant en principe un terme à ce caractère provisoire.

81

Quant aux types de valorisation, l’article 20, paragraphes 11 et 16, du règlement no 806/2014 en prévoit expressément deux, à savoir, d’une part, la valorisation « effectuée au titre des paragraphes 1 à 15 » et, d’autre part, celle « visée aux paragraphes 16, 17 et 18 ». Selon l’article 20, paragraphes 11 et 16, ces valorisations sont et doivent rester distinctes, émanent d’une personne indépendante, mais peuvent cependant être réalisées soit indépendamment, soit en même temps et par la même personne indépendante.

82

Il en résulte que, en l’espèce, aussi bien les premier et deuxième rapports de valorisation qu’une éventuelle valorisation définitive ex post appartiennent au premier type de valorisation, puisqu’ils relèvent des paragraphes 1 à 15 de l’article 20 du règlement no 806/2014, tandis que le troisième rapport de valorisation, relevant des paragraphes 16 à 18 dudit article, appartient au second type de valorisation.

83

Certes, l’existence d’une valorisation définitive autre que la valorisation définitive ex post, qu’implique l’ajout, à l’article 20, paragraphe 11, in limine, du règlement no 806/2014, des termes « ex post » à ceux de « valorisation définitive », par opposition à une valorisation définitive intervenue « ex ante », peut influer sur la possibilité pour le CRU de refuser de procéder à une valorisation définitive ex post, puisqu’une valorisation définitive servirait déjà d’assise à la décision d’appliquer un instrument de résolution ou d’exercer un pouvoir de résolution ou à la décision d’exercer le pouvoir de dépréciation ou de conversion des instruments de fonds propres, et serait ainsi à même d’être contestée à travers ces décisions, conformément à l’article 20, paragraphe 15, du règlement no 806/2014.

84

Vient également au soutien de cette interprétation l’article 20, paragraphe 2, de ce règlement, selon lequel « une valorisation est considérée comme définitive » lorsque, sous réserve du paragraphe 15 de cet article 20, à savoir la possibilité de contester indirectement la valorisation à travers les décisions mentionnées au point 83 du présent arrêt, « toutes les exigences fixées aux paragraphes 1 et 4 à 9 sont satisfaites ». Au nombre de ces exigences figure, à l’article 20, paragraphe 1, dudit règlement, celle que la valorisation soit réalisée par une personne indépendante, y compris par rapport au CRU et à l’autorité de résolution nationale ainsi que par rapport à l’entité concernée.

85

Il y a lieu de relever, de manière incidente, que cela a pour conséquence que non seulement le premier rapport de valorisation, rédigé par le CRU (voir point 7 du présent arrêt) présentait effectivement un caractère provisoire, mais également que, quand bien même le CRU aurait effectué une version ex post de ce premier rapport, ce que les requérantes estimaient être indispensable (voir points 19 et 23 du présent arrêt), une telle version n’aurait pas constitué une valorisation définitive, faute d’avoir été établie par une personne indépendante. Comme l’a indiqué Mme l’avocate générale au point 70 de ses conclusions, dans la mesure où, en l’espèce, le premier rapport de valorisation a été effectué par le CRU, son caractère provisoire ne fait aucun doute. En l’espèce, seul le deuxième rapport de valorisation, qui satisfait à cette condition, est, par conséquent, susceptible d’être considéré comme constituant une « valorisation définitive », au sens de l’article 20 du règlement no 806/2014.

86

Toutefois, il importe de souligner, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur cette dernière question ni sur l’évolution de la position du CRU à cet égard, que c’est à bon droit que le Tribunal a jugé que, de toute manière, une valorisation ex post serait demeurée, dans les circonstances de l’espèce, sans conséquence sur la situation juridique des requérantes, de sorte que la lettre du 18 décembre 2018 leur indiquant les raisons pour lesquelles le CRU n’entendait pas procéder à une telle valorisation ne produisait pas non plus d’effets juridiques de nature à affecter leur situation.

87

Il convient, en effet, de relever, comme l’a fait Mme l’avocate générale au point 85 de ses conclusions, que, lorsque, comme dans la présente affaire, un recours en annulation est introduit par une partie requérante non privilégiée contre un acte dont elle n’est pas le destinataire, l’exigence selon laquelle les effets juridiques obligatoires de la mesure attaquée doivent être de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de manière caractérisée la situation juridique de celle-ci, se chevauche avec les conditions posées à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (arrêt du 13 octobre 2011, Deutsche Post et Allemagne/Commission, C‑463/10 P et C‑475/10 P, EU:C:2011:656, point 38).

88

La réponse apportée par le CRU aux requérantes concernant les raisons pour lesquelles il n’entendait pas faire établir une valorisation définitive ex post en l’espèce est fondée sur les finalités d’une telle valorisation.

89

S’il est exact, comme les requérantes le soutiennent, que la rédaction de l’article 20, paragraphe 11, in limine, du règlement no 806/2014 apparaît rendre indispensable la réalisation d’une valorisation définitive ex post lorsque le CRU ne dispose que d’une valorisation provisoire, notamment en raison de l’emploi du présent de l’indicatif dans l’expression « est effectuée », lequel revêt d’ordinaire valeur impérative [voir, en ce sens, arrêt du 3 mars 2020, X (Mandat d’arrêt européen – Double incrimination), C‑717/18, EU:C:2020:142, point 20], et de la mention des termes « dans les meilleurs délais », il n’en demeure pas moins que le Tribunal était fondé à souligner l’absence d’impact de l’omission de la réalisation d’un tel rapport sur la situation juridique des requérantes, notamment au regard des deux objectifs de la valorisation définitive ex post, tels qu’énoncés à l’article 20, paragraphe 11, du règlement no 806/2014.

90

À cet égard, la raison d’être de l’article 20, paragraphe 11, du règlement no 806/2014, exprimée au second alinéa de cette disposition, ressort de ses deux objectifs spécifiques, à savoir « faire en sorte que toute perte subie sur les actifs d’une entité visée à l’article 2 soit pleinement prise en compte dans la comptabilité de l’entité concernée » et « fournir les éléments permettant de décider sur la reprise des créances ou l’augmentation de la valeur de la contrepartie versée, conformément au paragraphe 12 du[dit] article [20] ». Même si le libellé de ce second objectif comporte une description assez large des conditions devant conduire à établir une valorisation définitive ex post, il importe de constater que celui-ci renvoie expressément, comme l’a justement relevé le Tribunal dans l’ordonnance attaquée, à l’article 20, paragraphe 12, dudit règlement, dont il découle qu’il ne s’applique qu’à des situations spécifiques, à savoir celles dans lesquelles le CRU a eu recours à l’instrument de renflouement interne, à celui de l’établissement-relais ou à une structure de gestion des actifs.

91

Compte tenu des particularités de la présente affaire, l’établissement d’un deuxième rapport de valorisation définitif ex post, même à le supposer obligatoire, n’aurait, de toute manière, répondu à aucune de ces deux finalités. Ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 43 de l’ordonnance attaquée, les requérantes n’ont pas soutenu que l’objectif mentionné à l’article 20, paragraphe 11, second alinéa, sous a), du règlement no 806/2014 s’appliquerait en l’espèce. L’objectif mentionné au point b) de cette disposition ne s’applique pas non plus, car, comme le Tribunal l’a justement souligné aux points 48 et 49 de l’ordonnance attaquée, l’instrument de résolution qui a été adopté à l’égard de Banco Popular est l’instrument de cession des activités prévu à l’article 24 du règlement no 806/2014.

92

Or, l’application de cet instrument de cession des activités ne fait pas partie des cas visés à l’article 20, paragraphe 12, de ce règlement dans lesquels une compensation peut être versée à la suite d’une valorisation définitive ex post.

93

Enfin, dans un cas comme celui de l’espèce où le deuxième rapport de valorisation est suivi de l’utilisation de l’instrument de cession des activités, le résultat mentionné dans ce rapport est, de toute manière, soit corroboré, soit infirmé par le prix de vente obtenu au terme d’une procédure d’appel d’offres légalement menée. Le juste prix correspond donc, tout simplement, au prix effectif du marché, tel qu’il a été constaté. L’instrument de cession des activités cristallise ainsi, de facto, tout débat sur la valeur économique potentielle des actifs de l’établissement transféré. Par suite, à tout le moins dans les circonstances de l’espèce, une valorisation définitive ex post n’aurait pu que constater cette valeur de marché, de sorte que son effet à l’égard des requérantes se serait avéré nul.

94

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le surplus des arguments desdits moyens, lequel, au demeurant, ne constitue qu’un corollaire de la critique de l’interprétation du Tribunal, comme cela a été rappelé au point 45 du présent arrêt.

Sur les dépens

95

En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement de procédure, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

96

Le CRU ayant conclu à la condamnation des requérantes aux dépens et celles-ci ayant succombé au pourvoi, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le CRU.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :

 

1)

Le pourvoi est rejeté.

 

2)

Algebris (UK) Ltd et Anchorage Capital Group LLC sont condamnées aux dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.