ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

21 octobre 2020 (*)

« Pourvoi – Décision 2004/258/CE – Article 4, paragraphe 1, sous a) –Protocole sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne (BCE) – Article 10, paragraphe 4 – Accès aux documents de la BCE – Décision du conseil des gouverneurs – Confidentialité des réunions et des délibérations des organes de la BCE – Résultat des délibérations – Refus partiel d’accès – Atteinte à la protection de l’intérêt public – Obligation de motivation »

Dans l’affaire C‑396/19 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 22 mai 2019,

Banque centrale européenne (BCE), représentée par MM. F. Malfrère et M. Ioannidis, en qualité d’agents, assistés de Me H.-G. Kamann, Rechtsanwalt,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Espírito Santo Financial Group SA, en liquidation, établie à Luxembourg (Luxembourg), représentée par Mes D. Duarte de Campos et S. Estima Martins, advogados,

partie demanderesse en première instance,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen (rapporteur), président de chambre, MM. M. Safjan et N. Jääskinen, juges,

avocat général : M. M. Bobek,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, la Banque centrale européenne (BCE) demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 13 mars 2019, Espírito Santo Financial Group/BCE (T‑730/16, non publié, ci‑après l’« arrêt attaqué », EU:T:2019:161), par lequel celui-ci a annulé la décision de la BCE du 31 août 2016, refusant partiellement l’accès à certains documents relatifs à sa décision du 1er août 2014 concernant Banco Espírito Santo SA (ci-après la « décision litigieuse »).

 Le cadre juridique

2        Le considérant 3 de la décision 2004/258/CE de la Banque centrale européenne, du 4 mars 2004, relative à l’accès du public aux documents de la Banque centrale européenne (JO 2004, L 80, p. 42), telle que modifiée par la décision (UE) 2015/529 de la Banque centrale européenne, du 21 janvier 2015 (JO 2015, L 84, p. 64) (ci-après la « décision 2004/258 »), est ainsi rédigé :

« Un accès plus large aux documents de la BCE devrait être autorisé, tout en veillant à protéger l’indépendance de la BCE et des banques centrales nationales (BCN), prévue à l’article 108 [CE] et à l’article 7 [du protocole sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne (JO 1992, C 191, p. 68), dans sa version annexée au traité CE], ainsi que la confidentialité de certaines questions touchant à l’accomplissement des missions de la BCE. Afin de préserver l’efficacité de son processus décisionnel, y compris ses consultations et préparations internes, les réunions des organes de décision de la BCE sont confidentielles, sauf si l’organe concerné décide de rendre public le résultat de ses délibérations. »

3        L’article 4 de cette décision prévoit, à son paragraphe 1 :

« La BCE refuse l’accès à un document dans le cas où sa divulgation porterait atteinte à la protection :

a)      de l’intérêt public, en ce qui concerne :

–        la confidentialité des délibérations des organes de décision de la BCE, du conseil de surveillance prudentielle ou d’autre organes créés en application du règlement (UE) no 1024/2013 [du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit (JO 2013, L 287, p. 63)],

[...] »

4        Conformément à l’article 7, paragraphe 1, de ladite décision, « [d]ans un délai de vingt jours ouvrables à partir de la réception de la demande, ou lors de la réception des clarifications requises conformément à l’article 6, paragraphe 2, le directeur général du secrétariat soit octroie l’accès au document demandé et le fournit conformément à l’article 9, soit communique au demandeur, dans une réponse écrite, les motifs de son refus total ou partiel et l’informe de son droit de présenter une demande confirmative conformément au paragraphe 2 ».

 Les antécédents du litige

5        Espírito Santo Financial Group SA, en liquidation (ci-après « ESF »), est une société de droit luxembourgeois qui détenait, directement et indirectement, une partie du capital social de Banco Espírito Santo SA (ci-après « BES »).

6        À partir du mois de mai 2014, BES a été soumise à des pressions financières et sa position de liquidité s’est détériorée, notamment à la suite des difficultés auxquelles étaient confrontées d’autres sociétés faisant partie du même groupe. Pour faire face à cette situation, BES a recouru aux opérations de crédit de l’Eurosystème et a commencé à recevoir, à partir du 17 juillet 2014, des liquidités d’urgence fournies par Banco de Portugal (Banque du Portugal).

7        Le 23 juillet 2014, le conseil des gouverneurs de la BCE (ci-après le « conseil des gouverneurs ») a décidé de ne pas s’opposer, jusqu’à la réunion ordinaire suivante, à l’octroi de la fourniture de liquidités d’urgence à BES dans la limite d’un certain plafond.

8        Sur proposition du directoire de la BCE du 28 juillet 2014, le conseil des gouverneurs a décidé, le même jour, de maintenir l’accès de BES aux « instruments de crédit de la politique monétaire », tout en « gelant » le crédit en cours fourni à BES, à ses succursales et à ses filiales au moyen desdits instruments « au niveau actuel » (ci-après la « décision du 28 juillet 2014 »). En conséquence, le montant du crédit fourni à ces entités au moyen des opérations de crédit de l’Eurosystème a été plafonné au niveau auquel il se trouvait à la date du 28 juillet 2014. Cette décision a été consignée dans un procès-verbal, dans lequel figurait également le montant du crédit.

9        Sur proposition du directoire de la BCE du 1er août 2014, le conseil des gouverneurs a décidé, le même jour, notamment, de suspendre l’accès de BES et de ses succursales, avec effet à partir du 4 août 2014, aux instruments de crédit de la politique monétaire pour des raisons de prudence et a ordonné que BES rembourse, au plus tard à la même date, l’intégralité du crédit octroyé dans le cadre de l’Eurosystème. Cette décision a été consignée dans un procès-verbal, dans lequel figurait également le plafond de la fourniture de liquidités d’urgence pouvant être accordé par la Banque du Portugal à BES.

10      Depuis le 10 octobre 2014, EFS fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité.

11      Par lettre du 7 avril 2016, ESF a demandé à la BCE l’accès à la décision du conseil des gouverneurs du 1er août 2014 ainsi qu’à tout autre document émis par tout organe de la BCE, que ce soit avant ou après cette décision, ainsi qu’à toute communication échangée avec la Banque du Portugal, qui seraient liés de quelque manière que ce soit à ladite décision.

12      Par lettre du 10 juin 2016, la BCE a répondu à cette demande et a accordé à ESF l’accès, intégral ou partiel, à un certain nombre des documents sollicités par cette dernière, notamment un accès partiel aux extraits des procès-verbaux actant les décisions du conseil des gouverneurs des 28 juillet et 1er août 2014 (ci-après les « procès-verbaux en cause ») ainsi qu’aux propositions du directoire de la BCE des 28 juillet et 1er août 2014 (ci-après les « propositions en cause »).

13      Par lettre du 6 juillet 2016, ESF a adressé une demande confirmative à la BCE, dans laquelle elle a, notamment, demandé l’accès aux montants qui ont été omis dans les extraits des procès-verbaux des décisions en cause mis à sa disposition, à savoir, s’agissant de la décision du 28 juillet 2014, le montant du crédit accordé à BES, à ses succursales et à ses filiales au moyen d’instruments de politique monétaire de l’Eurosystème (ci-après le « montant du crédit concerné ») et, s’agissant de la décision du conseil des gouverneurs du 1er août 2014, le montant du plafond de la fourniture de liquidités d’urgence pouvant être accordé à BES par la Banque du Portugal.

14      Par la décision litigieuse, la BCE a confirmé le refus d’octroyer l’accès aux montants occultés dans les procès-verbaux en cause ainsi qu’aux passages supprimés des propositions en cause sur le fondement de l’article 4 de la décision 2004/258.

 Le recours devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

15      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 13 octobre 2016, ESF a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse ainsi qu’à la condamnation de la BCE aux dépens.

16      Cette demande était fondée sur six moyens. Les deux premiers moyens visaient l’annulation de la décision litigieuse en ce qu’elle a refusé à ESF l’accès aux montants occultés dans les procès-verbaux en cause. Ces deux moyens étaient tirés, respectivement, de la violation de l’obligation de motivation ainsi que de la violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier, deuxième et septième tirets, de la décision 2004/258. Les quatre autres moyens visaient l’annulation de la décision litigieuse en ce que, par celle-ci, la BCE a refusé à ESF l’accès aux informations qui ont été occultées dans les propositions en cause.

17      La BCE a conclu au rejet du recours et à la condamnation d’ESF aux dépens.

18      Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a, tout d’abord, écarté les arguments avancés par ESF contre la décision litigieuse, en ce que, par cette dernière, la BCE lui a refusé l’accès au montant du plafond concerné, au motif que ce refus pouvait être valablement fondé sur les dispositions de l’article 4, paragraphe 1, sous a), septième tiret, de la décision 2004/258.

19      Ensuite, s’agissant du refus d’accorder l’accès au montant du crédit concerné, le Tribunal a constaté que la décision litigieuse n’était pas motivée à suffisance de droit en ce qui concerne les exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier et deuxième tirets, de la décision 2004/258. Ayant considéré que la BCE ne pouvait refuser d’accorder l’accès au montant du crédit concerné sur le fondement de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), septième tiret, de cette décision, le Tribunal a annulé la décision litigieuse, pour autant qu’elle a refusé d’accorder à ESF l’accès à cette information.

20      Enfin, le Tribunal a constaté une insuffisance de motivation s’agissant du refus d’accorder l’accès aux informations occultées dans les propositions en cause et a, par conséquent, annulé la décision litigieuse dans cette mesure également.

 Les conclusions des parties au pourvoi

21      Par son pourvoi, la BCE demande à la Cour :

–        d’annuler le point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué ;

–        de rejeter la requête introduite en première instance également en ce qui concerne le refus de la BCE de divulguer le montant du crédit dans les extraits des procès-verbaux consignant la décision du 28 juillet 2014 ;

–        à titre subsidiaire, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, et

–        de condamner ESF aux deux tiers des dépens et la BCE à un tiers de ceux-ci.

22      ESF demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi comme étant dénué de fondement et

–        de condamner les parties à supporter leurs propres dépens.

 Sur le pourvoi

23      À l’appui de son pourvoi, la BCE invoque un moyen unique, tiré d’une erreur de droit, prétendument commise par le Tribunal aux points 111 et 138 de l’arrêt attaqué, lus conjointement avec les points 39, 53 à 55 et 58 à 63 de cet arrêt, résultant d’une interprétation erronée de l’article 10, paragraphe 4, du protocole sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne, dans sa version annexée au traité CE (ci-après le « protocole sur le SEBC et la BCE »), ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258.

 Sur la recevabilité 

24      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, il découle de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande (voir, notamment, arrêt du 7 mai 2020, BTB Holding Investments et Duferco Participations Holding/Commission, C‑148/19 P, EU:C:2020:354, point 35 et jurisprudence citée).

25      Dans son pourvoi, la BCE conclut à l’annulation du point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué, selon lequel la décision litigieuse est annulée en ce qu’elle a refusé l’accès, d’une part, au montant du crédit concerné et, d’autre part, aux informations occultées dans les propositions en cause. Cependant, il y a lieu de constater que la BCE ne développe aucun moyen ni argument à l’encontre de l’arrêt attaqué en tant qu’il annule la décision litigieuse en ce qu’elle a refusé à ESF l’accès aux informations occultées dans ces propositions.

26      Dans ces conditions, le pourvoi est irrecevable en ce qui concerne l’annulation du refus d’accès aux informations occultées dans les propositions en cause.

 Sur le fond

 Argumentation des parties

27      Par son moyen unique, dirigé contre les points 111 et 138 de l’arrêt attaqué, lus conjointement avec les points 39, 53 à 55 et 58 à 63 de cet arrêt, la BCE fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant que le pouvoir discrétionnaire du conseil des gouverneurs concernant la divulgation de ses procès-verbaux devait être exercé dans les conditions fixées par la décision 2004/258. Le Tribunal aurait ainsi jugé à tort que la BCE devait fournir une motivation établissant en quoi l’accès aux informations figurant dans les procès‑verbaux en cause aurait, concrètement et effectivement, porté atteinte à l’intérêt public s’agissant de la confidentialité des délibérations des organes de décision de la BCE.

28      Selon la BCE, l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2004/258 doit être interprété à la lumière de l’article 10, paragraphe 4, première phrase, du protocole sur le SEBC et la BCE, lequel établit le principe général de confidentialité des réunions du conseil des gouverneurs, cette confidentialité couvrant l’intégralité des procès-verbaux de ces réunions, y compris en ce qu’ils reflètent le résultat des délibérations dudit conseil.

29      En outre, la BCE avance qu’il ressort des points 40 à 42 de l’arrêt du 19 juin 2018, Baumeister (C‑15/16, EU:C:2018:464), que certains régimes de l’Union en matière de divulgation d’informations poursuivent un objectif différent de celui du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO 2001, L 145, p. 43), qui est de conférer au public un droit d’accès aux documents des institutions de l’Union européenne qui soit le plus large possible. Ainsi, la règle en matière de procès-verbaux du conseil des gouverneurs serait la confidentialité, la divulgation au public relevant de l’exception.

30      La BCE soutient que l’article 10, paragraphe 4, seconde phrase, du protocole sur le SEBC et la BCE consacre une exception au principe général de confidentialité, en permettant au conseil des gouverneurs, par une décision positive et discrétionnaire, de rendre public le résultat de ses délibérations. Cette marge d’appréciation dont disposerait le conseil des gouverneurs ne saurait être limitée par la décision 2004/258, qui se bornerait à réaffirmer, à son article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, le principe de confidentialité.

31      La BCE fait valoir, en outre, que l’article 10, paragraphe 4, de ce protocole prévoit expressément que seul le conseil des gouverneurs lui-même peut décider de divulguer ses propres procès-verbaux, la décision 2004/258 devant être interprétée en ce sens qu’il appartient ensuite au directeur général du secrétariat ainsi qu’au directoire de communiquer au demandeur les procès-verbaux dont la divulgation a été dûment autorisée.

32      La BCE estime qu’elle n’est pas tenue de motiver en quoi la divulgation des procès-verbaux du conseil des gouverneurs pourrait porter, concrètement et effectivement, atteinte à l’intérêt public s’agissant de la confidentialité des délibérations du conseil des gouverneurs. Certes, la BCE serait soumise à l’obligation générale de motiver ses décisions. Cependant, lorsque la demande d’accès concerne certaines informations figurant dans ces procès-verbaux, la BCE motiverait à suffisance de droit le refus d’accès à celles-ci en se bornant à indiquer que de telles informations relèvent de l’article 10, paragraphe 4, du protocole sur le SEBC et la BCE ainsi que de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258. L’article 10, paragraphe 4, de ce protocole établirait en effet une présomption de confidentialité, selon laquelle la divulgation des procès‑verbaux des délibérations du conseil des gouverneurs porterait atteinte à l’indépendance et à l’efficacité du processus décisionnel de la BCE.

33      La BCE considère que, contrairement à ce qui a été retenu par le Tribunal aux points 62 et 63 de l’arrêt attaqué, auxquels renvoie le point 111 de cet arrêt, dans l’hypothèse où la BCE se serait fondée sur l’existence d’une telle présomption générale de confidentialité, l’adoption d’une décision de divulgation partielle, portant sur des parties spécifiques d’une décision, n’a pas d’incidence sur l’obligation de motivation relative au refus d’accès aux autres parties de cette décision.

34      Si la Cour devait considérer que, au point 53 de l’arrêt attaqué, auquel renvoie le point 111 de cet arrêt, figure un motif fondant ledit arrêt, la BCE fait valoir que le Tribunal a dénaturé, à ces points lus ensemble, le contenu de la décision litigieuse, lu conjointement avec la décision du 10 juin 2016.

35      La BCE considère qu’elle s’est clairement prévalue du principe de confidentialité énoncé à l’article 10, paragraphe 4, du protocole sur le SEBC et la BCE dans son ensemble, établi de manière égale dans les deux phrases de cette disposition.

36      Elle aurait également indiqué que sa motivation reposait, in fine, sur le principe de confidentialité applicable au résultat des délibérations du conseil des gouverneurs, c’est-à-dire à ses décisions. Ainsi, le prétendu manque de clarté qui lui est reproché par le Tribunal résulterait d’une distinction formelle erronée entre la confidentialité des réunions du conseil des gouverneurs et celle qui est attachée au résultat de ces réunions.

37      ESF soutient que le pourvoi de la BCE se limite au montant du crédit concerné.

38      Elle indique qu’elle réfute les arguments invoqués par la BCE dans son pourvoi. En outre, ESF affirme que ses propres griefs sont les mêmes que ceux présentés devant le Tribunal et qu’elle souscrit pleinement au point 111 de l’arrêt attaqué, lu conjointement avec les points 38 à 40 et 53 à 63 de celui-ci qui y sont cités, ainsi qu’au point 138 de cet arrêt.

 Appréciation de la Cour

39      Par son pourvoi, la BCE critique l’arrêt attaqué dans la mesure où il a annulé la décision litigieuse au motif que cette institution n’avait pas motivé à suffisance de droit son refus d’accorder à ESF l’accès au montant du crédit concerné.

40      À cet égard, il convient de relever, en premier lieu, que le point 111 de l’arrêt attaqué renvoie, notamment, au point 53 de cet arrêt pour ce qui concerne cette question. Dans ce dernier point, le Tribunal a relevé que, s’agissant de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258, les motifs fournis à ESF, tirés, notamment, de l’article 10, paragraphe 4, du protocole sur le SEBC et la BCE, ne permettaient pas de déterminer clairement si cette dernière avait invoqué la confidentialité des délibérations du conseil des gouverneurs ou celle des décisions prises par ce dernier pour justifier le refus de divulgation de l’information concernée.

41      Selon une jurisprudence constante de la Cour, si la motivation d’un acte de l’Union, exigée à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE, doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte concerné, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la Cour d’exercer son contrôle, il n’est toutefois pas exigé qu’elle spécifie tous les éléments de droit ou de fait pertinents. Le respect de l’obligation de motivation doit, par ailleurs, être apprécié au regard non seulement du libellé de l’acte, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée [voir, notamment, arrêt du 19 décembre 2019, BCE/Espírito Santo Financial (Portugal), C‑442/18 P, EU:C:2019:1117, point 54 et jurisprudence citée].

42      Dès lors, en l’espèce, c’est à bon droit que, à l’appui de son grief visant le point 53 de l’arrêt attaqué, auquel renvoie le point 111 de cet arrêt, la BCE se réfère à un passage de la décision litigieuse relatif à la non-divulgation, notamment, du montant précis du crédit global octroyé au moyen des instruments de politique monétaire et où le directoire a indiqué que « les décisions adoptées par le conseil des gouverneurs sont formellement consignées dans les procès-verbaux du conseil des gouverneurs qui rendent compte du résultat des délibérations pertinentes. [...] [L]’article 10 [, paragraphe 4, du protocole sur le SEBC et la BCE] établit, en droit primaire de l’[Union], la confidentialité des réunions du conseil des gouverneurs [...] Cette disposition] accorde au conseil des gouverneurs un pouvoir discrétionnaire absolu sur l’opportunité de rendre public le résultat de ses délibérations. Comme expliqué au considérant 3 de la décision [2004/258], il s’agit précisément de l’objet de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de [cette] décision ».

43      Par ailleurs, le Tribunal a relevé, à la dernière phrase du point 61 de l’arrêt attaqué, auquel le point 111 de cet arrêt renvoie, que le montant concerné figurait dans des extraits d’un procès-verbal reflétant non pas le déroulement des délibérations du conseil des gouverneurs, mais uniquement le résultat de celles-ci. En outre, il ressort du point 1 du dispositif de cet arrêt que le Tribunal a jugé que ces extraits du procès‑verbal actaient la décision du 28 juillet 2014.

44      Ainsi, tout en exposant, aux points 57 et 58 de l’arrêt attaqué, des considérations relatives aux règles régissant l’accès aux documents qui reflètent le déroulement des délibérations du conseil des gouverneurs, il ressort notamment des points 59 à 61 de cet arrêt, auxquels renvoie le point 111 de cet arrêt, que le Tribunal a procédé à l’examen de la motivation du refus d’accorder l’accès au montant concerné en considérant qu’il s’agissait d’une décision prise par le conseil de gouverneurs transcrite dans un procès-verbal.

45      Il s’ensuit que, d’une part, il apparaissait clairement que le document auquel la BCE a refusé l’accès était une décision du conseil des gouverneurs et, d’autre part, que cette institution s’était prévalue de la confidentialité dont devait, selon elle, bénéficier un tel document, au motif que ce dernier est destiné à consigner ce type de décision et à constater le résultat des délibérations du conseil des gouverneurs.

46      Dès lors, contrairement à ce que le Tribunal a considéré au point 53 de l’arrêt attaqué, auquel renvoie le point 111 de l’arrêt attaqué, la décision litigieuse faisait apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de cette décision qui permettait à ESF de connaître les justifications du refus d’octroyer l’accès au montant du crédit concerné et au Tribunal d’exercer son contrôle, de sorte que le Tribunal a erronément jugé que ladite décision n’était pas motivée à suffisance de droit.

47      Il convient, en deuxième lieu, d’examiner le bien-fondé du motif figurant au point 111 de l’arrêt attaqué, selon lequel la BCE aurait dû, d’une part, expliquer les raisons pour lesquelles le montant du crédit concerné, non divulgué à ESF dans le cadre d’un accès partiel au document sollicité par cette dernière, relevait du domaine visé par l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258 et, d’autre part, fournir une motivation permettant de comprendre ainsi que de vérifier comment, concrètement et effectivement, l’accès à cette information aurait porté atteinte à l’intérêt public en ce qui concerne la confidentialité des délibérations des organes de décision de la BCE.

48      À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour qu’un texte de droit dérivé de l’Union doit être interprété, dans la mesure du possible, dans le sens de sa conformité avec les dispositions des traités [arrêt du 19 décembre 2019, BCE/Espírito Santo Financial (Portugal), C‑442/18 P, EU:C:2019:1117, point 40 et jurisprudence citée].

49      Certes, il convient de relever, à l’instar de la BCE, que, d’une part, l’article 10, paragraphe 4, seconde phrase, du protocole sur le SEBC et la BCE prévoit que c’est au conseil des gouverneurs qu’il appartient de décider s’il y a lieu de rendre public le résultat de ses délibérations, tandis que, d’autre part, l’article 7, paragraphe 1, de la décision 2004/258 confère au directeur général du secrétariat de la BCE le choix entre l’octroi de l’accès au document demandé et la communication au demandeur des motifs de son refus, total ou partiel, d’octroyer cet accès.

50      Au regard de la compétence exclusive attribuée au conseil des gouverneurs, il y a lieu de considérer que l’article 4, paragraphe 1, sous a), de la décision 2004/258, lu en combinaison avec l’article 10, paragraphe 4, seconde phrase, du protocole sur le SEBC et la BCE, doit être interprété en ce sens qu’il protège la confidentialité du résultat des délibérations du conseil des gouverneurs, sans qu’il soit nécessaire que le refus d’accès aux documents qui contiennent ce résultat soit subordonné à la condition que la divulgation de celui-ci porte atteinte à la protection de l’intérêt public [arrêt du 19 décembre 2019, BCE/Espírito Santo Financial (Portugal), C‑442/18 P, EU:C:2019:1117, point 43].

51      En conséquence, en application de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, et de l’article 7, paragraphe 1, de cette décision, le directeur général du secrétariat de la BCE est tenu de refuser l’accès au résultat des délibérations du conseil des gouverneurs, sauf si ce dernier a décidé de le rendre, intégralement ou partiellement, public [arrêt du 19 décembre 2019, BCE/Espírito Santo Financial (Portugal), C‑442/18 P, EU:C:2019:1117, point 44].

52      En outre, il convient de relever qu’une telle interprétation est corroborée par l’énoncé du considérant 3 de la décision 2004/258, selon lequel les réunions des organes de décision de la BCE sont confidentielles, sauf si l’organe concerné décide de rendre public le résultat de ses délibérations [arrêt du 19 décembre 2019, BCE/Espírito Santo Financial (Portugal), C‑442/18 P, EU:C:2019:1117, point 45].

53      Ainsi, contrairement à ce que le Tribunal a jugé au point 111 de l’arrêt attaqué, une décision de refus d’accorder l’accès au résultat des délibérations du conseil des gouverneurs est motivée à suffisance de droit par la seule référence au prescrit de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258 en ce qui concerne des documents reflétant le résultat de ces délibérations [voir, par analogie, arrêt du 19 décembre 2019, BCE/Espírito Santo Financial (Portugal), C‑442/18 P, EU:C:2019:1117, point 46].

54      Par conséquent, c’est à tort que le Tribunal a considéré, au point 111 de l’arrêt attaqué, que la BCE aurait dû, d’une part, expliquer les raisons pour lesquelles le montant du crédit concerné, non divulgué à ESF en raison d’un accès partiel au document sollicité par cette dernière, relevait de l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258 et, d’autre part, fournir une motivation permettant de comprendre et de vérifier comment, concrètement et effectivement, l’accès à cette information aurait porté atteinte à l’intérêt public en ce qui concerne la confidentialité des délibérations des organes de décision de la BCE.

55      En troisième et dernier lieu, la BCE fait valoir que, aux points 62 et 63 de l’arrêt attaqué, lus conjointement avec le point 111 de celui-ci, le Tribunal a examiné l’hypothèse selon laquelle celle-ci se serait fondée, pour justifier la non-divulgation de l’information concernée, sur l’existence d’une présomption générale selon laquelle la divulgation des procès-verbaux du conseil des gouverneurs porterait atteinte à la confidentialité des délibérations des organes de décision de la BCE. Le Tribunal en aurait déduit que, dans la mesure où la BCE avait partiellement divulgué à ESF les extraits du procès-verbal comportant l’information concernée et avait donc procédé, dans les faits, à un examen individuel et concret du document concerné par la demande d’accès, elle était également tenue d’apporter une justification spécifique en ce qui concerne l’exception prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258.

56      Il n’y a pas lieu d’examiner le bien-fondé de cet argument dès lors qu’il ne pourrait entraîner une annulation plus étendue de l’arrêt attaqué que celle résultant des considérations retenues aux points 46 et 54 du présent arrêt.

57      Il résulte de tout ce qui précède que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 111 de l’arrêt attaqué, que la BCE avait méconnu son obligation de motivation à l’appui de sa décision de refuser à ESF l’accès au montant du crédit concerné.

58      Il y a lieu d’accueillir le pourvoi dans cette mesure et, partant, d’annuler le point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué en ce qu’il annule la décision litigieuse en tant que, par celle-ci, la BCE a refusé l’accès au montant du crédit concerné.

 Sur le recours devant le Tribunal 

59      Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors statuer elle-même définitivement sur le litige lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

60      Tel est le cas en l’espèce.

61      Dans la mesure où l’examen, par le Tribunal, du premier moyen soulevé par ESF en première instance, dans sa partie relative à l’obligation de motiver le refus d’accorder l’accès au montant du crédit concerné sur le fondement de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258, est entaché d’une erreur de droit, il convient d’analyser ce moyen ainsi que le deuxième moyen soulevé en première instance, en ce qu’il est tiré d’une violation de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de cette décision. Par ce dernier grief, ESF soutient, en particulier, que l’information relative au montant du crédit concerné ne pouvait pas être considérée comme faisant partie des délibérations des organes de décision de la BCE, de telle sorte que cette information n’était pas de nature confidentielle puisque la Banque du Portugal avait divulgué un montant que la communication des extraits des décisions du conseil des gouverneurs permettait de confirmer.

62      Ainsi qu’il ressort des points 43 et 55 du présent arrêt, il convient de constater que la motivation fournie par la BCE permettait à ESF de comprendre que la BCE invoquait la confidentialité dont bénéficie le résultat des délibérations pour refuser l’accès au montant du crédit concerné et qu’il s’agissait d’un document reflétant ce résultat. Ainsi, il y a lieu de considérer que la décision litigieuse était, dans cette mesure, motivée à suffisance de droit.

63      De surcroît, ainsi qu’il ressort du point 52 du présent arrêt, la confidentialité du résultat des délibérations du conseil des gouverneurs est garantie sans qu’il soit nécessaire que le refus d’accès aux documents qui divulguent ce résultat soit subordonné à la condition qu’une telle divulgation porte atteinte à la protection de l’intérêt public. Par ailleurs, si la confidentialité du résultat des délibérations peut être invoquée dès lors que ce résultat n’a pas été rendu public par la BCE, la circonstance que le montant approximatif du crédit concerné avait été publié par la Banque du Portugal n’est pas, en tant que telle, de nature à obliger la BCE à communiquer l’information relative à ce montant exact. Il s’ensuit que la BCE n’a pas commis d’erreur de droit en ayant motivé son refus d’accès au montant du crédit concerné sur le fondement de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258.

64      Par conséquent, les premier et deuxième moyens avancés par ESF en première instance doivent être rejetés, en ce qu’ils visent le refus de la BCE, fondé sur l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier tiret, de la décision 2004/258, de lui accorder l’accès au montant du crédit concerné.

 Sur les dépens

65      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement le litige, elle statue sur les dépens. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

66      L’article 138, paragraphe 3, de ce même règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, prévoit, en outre, que, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparaît justifié au vu des circonstances de l’espèce, la Cour peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

67      En l’espèce, le pourvoi de la BCE est, en partie, accueilli et, en partie, déclaré irrecevable et le recours introduit devant le Tribunal par ESF a été rejeté après son examen par la Cour. Il y a lieu de condamner ESF à supporter, outre ses propres dépens, la moitié de ceux exposés par la BCE dans le cadre tant de la procédure en première instance que du présent pourvoi. La BCE supportera la moitié de ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) déclare et arrête :

1)      Le point 1 du dispositif de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 13 mars 2019, Espírito Santo Financial Group/BCE (T730/16, non publié, EU:T:2019:161), est annulé en tant que le Tribunal a annulé la décision de la Banque centrale européenne (BCE) du 31 août 2016 refusant partiellement l’accès à certains documents relatifs à sa décision du 1er août 2014 concernant Banco Espírito Santo SA, en ce que, par cette décision, la BCE lui a refusé l’accès au montant du crédit figurant dans les extraits du procès-verbal actant la décision du conseil des gouverneurs de la BCE du 28 juillet 2014.

2)      Le point 3 du dispositif de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 13 mars 2019, Espírito Santo Financial Group/BCE (T730/16, non publié, EU:T:2019:161), est annulé en tant qu’il a statué sur les dépens.

3)      Le pourvoi est rejeté pour le surplus.

4)      Le recours en annulation introduit par Espírito Santo Financial Group SA, en liquidation, est rejeté dans la mesure où il tend à l’annulation de la décision de la Banque centrale européenne (BCE) du 31 août 2016, refusant partiellement l’accès à certains documents relatifs à sa décision du 1er août 2014 concernant Banco Espírito Santo SA, en ce que, par cette décision, la BCE lui a refusé l’accès au montant du crédit figurant dans les extraits du procès-verbal actant la décision du conseil des gouverneurs de la BCE du 28 juillet 2014.

5)      Espírito Santo Financial Group SA, en liquidation, supporte, outre ses propres dépens, la moitié des dépens exposés par la Banque centrale européenne dans le cadre tant de la procédure de première instance que du présent pourvoi.

6)      La Banque centrale européenne supporte la moitié de ses propres dépens exposés dans le cadre tant de la procédure de première instance que du présent pourvoi.

Signatures


*      Langue de procédure : l’anglais.