CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 29 janvier 2020 ( 1 )

Affaire C‑570/18 P

HF

contre

Parlement européen

« Pourvoi – Fonction publique – Agent contractuel au service du Parlement – Articles 12 bis et 24 du statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Harcèlement moral – Rejet d’une demande d’assistance – Article 41 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit d’être entendu – Accès aux comptes rendus d’auditions de témoins – Notion de “harcèlement moral” – Critères d’appréciation – Prise en compte du contexte – Pourvoi incident – Recevabilité »

I. Introduction

1.

Par son pourvoi, HF demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 29 juin 2018, HF/Parlement ( 2 ), par lequel celui‑ci a rejeté son recours tendant, d’une part, à l’annulation de la décision du Parlement européen du 3 juin 2016 par laquelle l’autorité habilitée à conclure les contrats (ci‑après l’ « AHCC ») a rejeté la demande d’assistance que HF avait introduite et, d’autre part, à la réparation du préjudice subi par HF du fait des illégalités commises par le Parlement dans le traitement de la demande d’assistance.

2.

Le présent pourvoi offre à la Cour l’opportunité de confirmer une jurisprudence récente sur l’étendue du droit d’être entendu avant que l’administration ne prenne une décision faisant grief ( 3 ) et de préciser les éléments à prendre en compte pour déterminer si des agissements sont constitutifs d’un harcèlement moral.

3.

Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions portent sur les premier et troisième moyens du pourvoi principal ainsi que sur le pourvoi incident introduit par le Parlement.

4.

Je propose à la Cour de déclarer le pourvoi incident irrecevable, d’accueillir le premier moyen et de rejeter le troisième moyen du pourvoi principal.

II. Le cadre juridique

5.

Le statut des fonctionnaires de l’Union européenne a été établi par le règlement no 31 (CEE)/11 (CEEA), fixant le statut des fonctionnaires et le régime applicable aux autres agents de la Communauté européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique. Ce statut, dans sa version applicable au litige, (ci-après le « statut »), prévoit à son article 12 bis :

« 1.   Tout fonctionnaire s’abstient de toute forme de harcèlement moral et sexuel.

[...]

3.   Par harcèlement moral, on entend toute conduite abusive se manifestant de façon durable, répétitive ou systématique par des comportements, des paroles, des actes, des gestes et des écrits qui sont intentionnels et qui portent atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou psychique d’une personne.

[...] »

6.

L’article 24 du statut énonce :

« L’Union assiste le fonctionnaire notamment dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, outrages, injures, diffamations ou attentats contre la personne et les biens, dont il est, ou dont les membres de sa famille sont l’objet, en raison de sa qualité et de ses fonctions.

Elle répare solidairement les dommages subis de ce fait par le fonctionnaire dans la mesure où celui‑ci ne se trouve pas, intentionnellement ou par négligence grave, à l’origine de ces dommages et n’a pas pu obtenir réparation de leur auteur. »

III. Les antécédents du litige, la procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

A.   Les antécédents du litige

7.

Les antécédents du litige ont été exposés en détail dans l’arrêt attaqué ( 4 ). Les éléments essentiels et nécessaires pour la compréhension des présentes conclusions peuvent être résumés comme suit.

8.

HF a été embauchée en 2003 au sein de l’unité de l’audiovisuel de la direction générale « Communication » du Parlement et est demeurée au service de cette unité jusqu’en 2015, soit pendant 12 ans. Hormis une période d’environ un an et demi au cours de laquelle elle a été employée par une société tierce tout en travaillant pour cette unité, HF a été directement engagée par le Parlement et a travaillé pour celui‑ci en qualité successivement d’agent auxiliaire, d’agent contractuel ou encore d’agent temporaire.

9.

Par lettre du 11 décembre 2014, adressée au secrétaire général du Parlement (ci‑après le « secrétaire général ») et, en copie, au président du comité consultatif sur le harcèlement et sa prévention sur le lieu de travail (ci‑après le « comité consultatif ») ainsi qu’au président du Parlement et au directeur général de la direction générale « Personnel » du secrétariat général du Parlement, HF a, au titre de l’article 90, paragraphe 1, du statut, présenté une demande d’assistance au sens de l’article 24 du statut (ci‑après la « demande d’assistance »).

10.

À l’appui de cette demande, HF faisait valoir qu’elle était victime d’un harcèlement moral, au sens de l’article 12 bis du statut, de la part du chef d’unité de l’audiovisuel, lequel se serait matérialisé par des conduites, des paroles et des écrits de ce dernier, notamment lors de réunions du service. Elle demandait, plus précisément, que des mesures urgentes soient adoptées afin de la protéger immédiatement de son harceleur présumé et qu’une enquête administrative soit ouverte par l’AHCC afin d’établir la réalité des faits.

11.

Par lettre du 4 février 2015, le directeur général du personnel a informé HF qu’une mesure d’éloignement vis-à-vis du chef de l’unité de l’audiovisuel avait été adoptée en sa faveur, laquelle consistait en la réaffectation de HF à l’unité du programme de visites.

12.

Par lettre du 8 décembre 2015, le directeur général du personnel a informé HF de son intention de considérer la demande d’assistance comme étant non fondée, à l’issue, notamment, de l’audition par le comité consultatif du chef de l’unité de l’audiovisuel et de quatorze autres fonctionnaires et agents de cette unité. Il invitait HF, conformément à l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »), à présenter ses observations.

13.

Par lettre du 17 décembre 2015, HF a sollicité la communication du rapport, selon elle, d’« enquête », établi par le comité consultatif. Cette demande a été réitérée par lettre du 5 février 2016.

14.

Par lettre du 9 février 2016, le directeur général du personnel a octroyé à HF un délai expirant le 1er avril 2016 pour déposer ses observations écrites. Par ailleurs, il lui a indiqué que le comité consultatif ne lui avait adressé qu’un avis concluant à l’absence de harcèlement moral. À cet égard, il aurait été normal que le comité consultatif ne lui ait pas communiqué de rapport, tel que visé à l’article 14 des règles internes en matière de harcèlement, car un tel rapport ne serait établi par le comité consultatif que dans les cas dans lesquels ledit comité constate l’existence d’un harcèlement moral.

15.

Le 1er avril 2016, HF a déposé ses observations écrites faisant suite aux lettres du directeur général du personnel du 8 décembre 2015 et du 9 février 2016. Dans celles‑ci, tout en réitérant le fait que les comportements du chef de l’unité de l’audiovisuel à son égard étaient constitutifs d’un harcèlement moral au sens de l’article 12 bis du statut, elle a notamment contesté l’affirmation du directeur général du personnel selon laquelle le comité consultatif n’aurait pas établi de rapport, au sens de l’article 14 des règles internes en matière de harcèlement, mais aurait seulement rendu un avis. À cet égard, elle a fait valoir que le refus du directeur général du personnel de lui communiquer l’intégralité des conclusions du comité consultatif méconnaissait ses droits de la défense et privait de tout effet utile les observations qu’elle présentait.

16.

Par décision du 3 juin 2016, le directeur général du personnel, agissant en qualité d’AHCC, a rejeté la demande d’assistance (ci‑après la « décision litigieuse »). Dans cette décision, il a notamment indiqué que HF avait été informée, de manière complète et détaillée, des motifs pour lesquels il envisageait, à la date du 8 décembre 2015, de rejeter la demande d’assistance. En outre, selon ce directeur, d’une part, HF n’avait aucun droit subjectif à la communication d’un rapport d’enquête, d’un avis ou de comptes rendus d’audition des témoins établis par le comité consultatif. D’autre part, ledit directeur a maintenu l’analyse qu’il avait exposée dans la lettre du 8 décembre 2015 et, partant, a décidé de ne pas reconnaître que la situation décrite par HF relevait de la notion de harcèlement moral au sens de l’article 12 bis du statut.

17.

Le 6 septembre 2016, HF a, au titre de l’article 90, paragraphe 2, du statut, introduit une réclamation contre la décision litigieuse. À l’appui de cette réclamation, elle a invoqué la violation des droits de la défense, de l’article 41 de la Charte, du droit d’être entendu et du principe du contradictoire ainsi que des irrégularités dans la procédure suivie par le comité consultatif, des erreurs manifestes d’appréciation, la violation des articles 12 bis et 24 du statut et la violation de l’obligation d’assistance et du devoir de sollicitude.

18.

Par décision du 4 janvier 2017, le secrétaire général a, en sa qualité d’AHCC, rejeté ladite réclamation.

19.

S’agissant du grief de HF relatif à l’absence de communication, par l’AHCC, du rapport établi par le comité consultatif et des comptes rendus d’audition des témoins, le secrétaire général a notamment estimé que, au regard de la jurisprudence résultant des arrêts Tzirani/Commission ( 5 ) et Cerafogli/BCE ( 6 ), il n’existait pas d’obligation, pour l’AHCC, de transmettre ces documents à HF, notamment parce que, au sein du Parlement, le comité consultatif devait travailler dans la plus grande confidentialité et que ses travaux étaient secrets. Or, pour assurer la liberté de parole de tous les intervenants, notamment des témoins, il aurait été impossible, pour l’AHCC, de transmettre ces documents à HF.

20.

Quant à l’existence, en l’espèce, d’un cas de harcèlement moral au sens de l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut, le secrétaire général a concédé que les éléments avancés par HF étaient susceptibles de constituer des actes intentionnels et répétés au sens de cette disposition. Cependant, il a considéré ce qui suit :

« [I]l ne faut pas oublier que le harceleur présumé [es]t le supérieur hiérarchique de [HF]. Or, il est dans la nature des fonctions d’un chef d’unité qu’il rappelle à ses collaborateurs qu’ils doivent obtempérer à ses instructions, contribuer à la bonne collaboration entre collègues, partager adéquatement les informations utiles au travail ou donner des explications quand ils ont été absents aux réunions. Ainsi, globalement considérés, les faits invoqués par [HF] ne paraissent pas constitutifs d’une conduite abusive par un chef d’unité vis-à-vis d’un subordonné. Les faits donnent plutôt à penser que ce chef d’unité a estimé que son leadership était mis en cause, ce qui a généré des tensions alors qu’il était nécessaire d’intervenir afin d’améliorer le fonctionnement du service. Le prétendu dénigrement de [HF] devant ses collègues sans possibilité de se défendre a précisément eu lieu lors de réunions ayant pour but de parler du dysfonctionnement du service. Les propos attribués au harceleur présumé, assurément regrettables, doivent dès lors être rapportés à ce contexte de tension et de dysfonctionnement [...]. »

B.   La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

21.

Par acte déposé au greffe du Tribunal le 12 avril 2017, HF a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse, à la réparation du préjudice qu’elle aurait prétendument subi du fait des illégalités commises par l’AHCC dans le traitement de sa demande d’assistance et à la condamnation du Parlement aux dépens.

22.

À l’appui de ses conclusions en annulation, HF a invoqué trois moyens, tirés respectivement, pour le premier, de la violation des droits de la défense, de l’article 41 de la Charte, du droit d’être entendu et du principe du contradictoire, pour le deuxième, d’erreurs procédurales entachant la procédure suivie par le comité consultatif en ce qu’elle aurait été irrégulière et, pour le troisième, d’erreurs manifestes d’appréciation, de la violation de l’obligation d’assistance et du devoir de sollicitude ainsi que de la violation des articles 12 bis et 24 du statut.

23.

Au soutien de ses conclusions indemnitaires, HF sollicite le paiement de 70000 euros en réparation du préjudice moral qu’elle aurait subi du fait des illégalités commises par l’AHCC dans le traitement de sa demande d’assistance et de 20000 euros en réparation du préjudice moral résultant des irrégularités ayant affecté la procédure d’enquête, en l’occurrence s’agissant des travaux du comité consultatif. Ainsi, selon HF, l’AHCC aurait notamment méconnu le principe du délai raisonnable dans le traitement de sa demande d’assistance.

24.

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté le recours dans son intégralité comme étant non fondé.

IV. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

25.

Par mémoire du 10 septembre 2018, HF a introduit le présent pourvoi contre l’arrêt attaqué.

26.

Par son pourvoi, HF conclut à ce que la Cour :

annule l’arrêt attaqué et, par conséquent,

lui accorde le bénéfice de ses conclusions de première instance,

annule la décision litigieuse,

condamne le Parlement à la réparation de son préjudice moral évalué ex æquo et bono à la somme de 90000 euros, et

condamne le Parlement à l’entièreté des dépens des deux instances.

27.

Par son mémoire en réponse, le Parlement conclut à ce que la Cour :

déclare le pourvoi non fondé et,

condamne HF aux dépens.

28.

Par son pourvoi incident, le Parlement conclut à ce que la Cour :

annule l’arrêt attaqué ;

statue au fond afin de rejeter le recours et,

condamne HF aux dépens.

29.

Lors de l’audience qui s’est tenue le 13 novembre 2019, HF et le Parlement ont présenté leurs observations orales.

V. Analyse

30.

La Cour est saisie de deux pourvois. À l’appui du pourvoi principal, HF soulève trois moyens dont seuls les premier et troisième moyens feront l’objet des présentes conclusions, conformément à la demande de la Cour. Ces moyens sont tirés respectivement d’une méconnaissance par le Tribunal du droit d’être entendu conformément à l’article 41 de la Charte et d’une qualification erronée des faits par celui‑ci.

31.

Par ailleurs, le Parlement a introduit un pourvoi incident. Celui-ci est fondé sur deux moyens tirés respectivement de deux erreurs de droit, la première au point 81 de l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal a jugé que le Parlement aurait dû transmettre à HF l’avis du comité consultatif et, la seconde au point 123 de l’arrêt attaqué, en ce qu’il ne s’est pas limité à une analyse de l’erreur manifeste d’appréciation, mais s’est livré à une analyse de l’erreur simple d’appréciation.

32.

Je commencerai dans un premier temps par l’examen de la recevabilité du pourvoi incident avant de procéder, dans un second temps, à l’analyse des premier et troisième moyens du pourvoi principal.

A.   Sur la recevabilité du pourvoi incident

33.

J’estime qu’il y a lieu de relever d’office la question de la recevabilité du pourvoi incident.

34.

En effet, selon l’article 56, deuxième alinéa, première phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi peut être formé par toute partie ayant partiellement ou totalement succombé en ses conclusions. Cette règle qui s’applique à l’ensemble des pourvois et donc tant au pourvoi principal qu’au pourvoi incident est reflétée, pour le premier, à l’article 169, paragraphe 1, et, pour le second, à l’article 178, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour. Aux termes de cette dernière disposition, les conclusions du pourvoi incident tendent à l’annulation, totale ou partielle, de la décision du Tribunal.

35.

Par ailleurs, en vertu de l’article 58 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, un pourvoi ne peut porter uniquement sur la charge et le montant des dépens.

36.

S’agissant des deux premiers chefs de demande du pourvoi incident, ceux‑ci visent respectivement l’annulation de l’arrêt attaqué et le rejet du pourvoi.

37.

Je constate toutefois que par ces deux chefs de demande, le Parlement ne cherche pas à obtenir, conformément à l’article 178, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, l’annulation totale ou partielle de la décision du Tribunal. En effet, au premier point du dispositif de l’arrêt attaqué, le Tribunal a précisément rejeté le recours de HF et ainsi la demande de cette dernière tendant à l’annulation de la décision litigieuse. Par conséquent, loin d’avoir succombé en ses conclusions devant le Tribunal, le Parlement a obtenu gain de cause et ses deux premiers chefs de demande ne satisfont donc pas à la condition prévue à l’article 56, deuxième alinéa, première phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ( 7 ).

38.

Par les deux moyens ( 8 ) qu’il a invoqués à l’appui de son pourvoi incident, le Parlement cherche en réalité à obtenir une substitution de motifs.

39.

En effet, le Parlement vise à obtenir de la Cour qu’elle modifie l’analyse effectuée par le Tribunal aux points 81 et 123 de l’arrêt attaqué, soit deux des motifs de cet arrêt. Or, de telles demandes ne peuvent pas faire l’objet d’un pourvoi principal ou incident, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence citée à la note en bas de page 7 des présentes conclusions. Par conséquent, elles doivent être rejetées comme étant irrecevables.

40.

Je note que le Parlement semble l’avoir au moins implicitement reconnu lors de l’audience devant la Cour. En réponse à une question orale de cette dernière, le Parlement a en effet indiqué qu’il renonçait à ses deux premiers chefs de demande.

41.

S’agissant du troisième chef de demande relatif aux dépens, celui‑ci est irrecevable, un pourvoi ne pouvant porter uniquement sur les dépens ainsi qu’il est énoncé à l’article 58 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

42.

Je mentionnerais encore que, lors de l’audience devant la Cour, le Parlement a soutenu qu’il avait été condamné à tort à supporter un quart des dépens de HF en raison de l’erreur de droit commise par le Tribunal au point 81 de l’arrêt attaqué et qu’il demandait, par conséquent, l’annulation de ce point.

43.

Outre le fait que cette demande est irrecevable en ce qu’elle porte seulement sur un motif de l’arrêt attaqué ( 9 ), elle ne saurait en tout état de cause être accueillie, étant liée à une demande portant uniquement sur la charge ou le montant des dépens.

44.

Au vu des considérations qui précèdent, j’estime que le pourvoi incident doit être rejeté dans son intégralité comme étant irrecevable.

B.   Sur le premier moyen du pourvoi principal

45.

Par son premier moyen, HF fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant au point 87 de l’arrêt attaqué que « c’est sans méconnaître le droit d’être entendu, tel que visé à l’article 41 de la [Charte], que l’AHCC a, en l’espèce, refusé de transmettre à la requérante les comptes rendus d’audition des témoins en phase précontentieuse ». HF soutient, que, ce faisant, le Tribunal a violé l’article 41, paragraphe 2, de la Charte ainsi que l’article 12 bis, paragraphe 1, et l’article 24 du statut. Il se serait également contredit et n’aurait pas valablement motivé sa position.

46.

HF soutient tout d’abord, que les considérations énoncées aux points 73 et 74 de l’arrêt attaqué relatives au droit d’être entendu sur lesquelles le Tribunal s’est fondé pour juger que l’avis du comité consultatif aurait dû lui être communiqué sont également applicables à la question de la transmission à cette dernière des comptes rendus d’audition. Dès lors que le Parlement s’est fondé sur ces comptes rendus pour adopter la décision litigieuse, ceux‑ci auraient dû être communiqués à HF afin qu’elle puisse se faire entendre utilement.

47.

HF conteste ensuite la motivation du Tribunal aux points 83 à 85 de l’arrêt attaqué pour justifier l’absence de communication des comptes rendus d’audition en s’appuyant sur les deux arguments suivants.

48.

Premièrement, l’objectif de ramener la sérénité au sein du service, qui imposerait de garder ces comptes rendus confidentiels, ne saurait, selon HF, être garanti inconditionnellement sans tenir compte de l’autre objectif poursuivi par l’article 12 bis du statut de protéger les fonctionnaires et agents contre le harcèlement.

49.

Deuxièmement, la protection de l’anonymat des témoins, au nom de cette même exigence de confidentialité, ne saurait davantage justifier l’absence de communication des comptes rendus d’audition. Il aurait été loisible d’anonymiser ces derniers, comme cela a d’ailleurs été fait en ce qui concerne l’avis du comité consultatif.

50.

Enfin, HF expose que le Tribunal s’est contredit en jugeant que les comptes rendus d’audition ne devaient pas lui être transmis tout en indiquant, au point 89 de l’arrêt attaqué, que l’AHCC a bénéficié non seulement de l’avis du comité consultatif, fût-il succinct, mais aussi de ces comptes rendus qui fournissaient une vision d’ensemble et détaillée de la réalité des faits reprochés. Selon HF, le Tribunal a ainsi reconnu l’utilité de ces comptes rendus pour compléter cet avis. HF ajoute qu’il ressort du point 90 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a également reconnu qu’elle avait apporté des arguments nouveaux fondés sur lesdits comptes rendus. Il en résulte, selon HF, que ces arguments auraient dû être regardés comme étant susceptibles d’avoir un impact sur la décision litigieuse et que l’annulation de celle‑ci aurait dû être admise.

51.

Le Parlement fait valoir, quant à lui, que le premier moyen doit être rejeté et soutient, en particulier, que l’exigence de confidentialité constitue une limite légitime au droit d’être entendu. La confidentialité des témoignages serait indispensable pour que les personnes concernées acceptent de témoigner volontairement et, partant, pour que les enquêtes puissent être menées à bien. Le Parlement ajoute que l’auteur de la demande d’assistance ne bénéficie pas d’une protection juridique aussi étendue que celle accordée dans le cadre des droits de la défense.

52.

J’estime, contrairement au Parlement, que ce premier moyen est fondé et que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que cette institution n’était pas tenue de communiquer à HF les comptes rendus d’audition afin de l’entendre utilement préalablement au rejet de sa demande d’assistance.

53.

J’examinerai ce moyen en rappelant la portée du droit d’être entendu au regard des droits de la défense et de la problématique liée à la confidentialité des témoignages avant d’en tirer les conclusions qui en découlent en ce qui concerne la transmission des comptes rendus d’audition à HF.

54.

Je rappelle que le droit de toute personne d’être entendue est inscrit à l’article 41 de la Charte relatif au droit à une bonne administration. Ce dernier comprend outre ce droit d’être entendu ( 10 ), notamment le droit d’accès de toute personne au dossier qui la concerne, dans le respect des intérêts légitimes de la confidentialité ( 11 ), et l’obligation pour l’administration de motiver ses décisions ( 12 ).

55.

Conformément à une jurisprudence constante, le droit d’être entendu existe même en l’absence de toute règle interne le prévoyant expressément et garantit à toute personne la possibilité de faire connaître son point de vue, de manière utile et effective, au cours de la procédure administrative et avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts ( 13 ). La personne ainsi concernée doit être mise en mesure de faire valoir ses observations afin que l’autorité compétente soit mise à même de tenir utilement compte de l’ensemble des éléments pertinents et puisse prendre sa décision en pleine connaissance de cause ( 14 ). Cette même personne doit pouvoir corriger une erreur ou faire valoir certains éléments qu’elle estime importants ( 15 ).

56.

Je souligne que le droit d’être entendu fait partie intégrante des droits de la défense ( 16 ). Il n’y a donc pas lieu d’opposer ces deux notions en soutenant, comme le fait le Parlement, que l’auteur de la demande d’assistance ne bénéficie pas d’une protection juridique aussi étendue que celle accordée dans le cadre des droits de la défense.

57.

Le droit d’être entendu trouve ainsi à s’appliquer dès lors que l’administration se propose de prendre à l’encontre d’une personne un acte qui lui fait grief ( 17 ) et il n’est pas nécessaire que la personne concernée soit la partie défenderesse ou, en l’occurrence, le harceleur présumé pour en bénéficier.

58.

Il s’ensuit, comme le Tribunal l’a d’ailleurs correctement relevé aux points 73 et 74 de l’arrêt attaqué, que HF avait le droit d’être entendue utilement avant que la décision litigieuse, qui lui faisait grief, ne soit adoptée.

59.

La Cour a récemment mis en œuvre sa jurisprudence sur le droit d’être entendu, dans l’arrêt OZ/BEI ( 18 ), dans le cadre d’un litige en matière de harcèlement impliquant des fonctionnaires européens.

60.

Dans cet arrêt relatif à une plainte pour harcèlement sexuel introduite par une employée de la banque européenne d’investissement, la Cour a jugé que la requérante était en droit, afin de pouvoir présenter utilement ses observations à la banque avant qu’elle ne prenne une décision sur sa plainte, de se faire communiquer, à tout le moins, un résumé des déclarations de la personne accusée de harcèlement et des différents témoins entendus au cours de la procédure d’enquête. La Cour a indiqué qu’il en allait ainsi dans la mesure où ces déclarations avaient été utilisées dans le rapport remis au président de la banque européenne d’investissement et comprenaient des recommandations au vu desquelles celui‑ci avait fondé sa décision de rejet de la plainte ( 19 ).

61.

J’estime que ces considérations sont pleinement applicables à la présente affaire.

62.

Dans la mesure où les comptes rendus d’audition ont été pris en compte par l’AHCC aux fins de l’adoption de la décision litigieuse, il importait que HF puisse s’exprimer à leur sujet.

63.

Il reste à déterminer si la protection de la confidentialité de ces témoignages pouvait constituer une limite à la communication de ces comptes rendus.

64.

À cet égard, je relève que la Cour a considéré au point 57 de l’arrêt OZ/BEI que la communication des déclarations des personnes auditionnées devait être effectuée, « le cas échéant, dans le respect des intérêts légitimes de confidentialité » ( 20 ).

65.

Je souligne que l’article 41, paragraphe 2, sous b), de la Charte, qui est lié au droit d’être entendu, garantit le droit de toute personne à accéder au dossier qui la concerne, dans le respect, toutefois, des intérêts légitimes de confidentialité et du secret professionnel.

66.

La confidentialité n’implique toutefois pas un droit au secret. Même lorsqu’est en jeu la sûreté de l’État, la Cour a reconnu la nécessité afin de préserver les droits de la défense de communiquer à l’intéressé à tout le moins la substance des motifs d’une décision ( 21 ).

67.

Le Tribunal a considéré au point 83 de l’arrêt attaqué qu’il est loisible à l’administration de prévoir la possibilité de garantir aux témoins, acceptant de livrer leurs récits des faits litigieux dans un cas allégué de harcèlement, que leurs témoignages resteront confidentiels, à l’égard tant du harceleur présumé que de la victime supposée, à tout le moins dans le cadre de la procédure suivie pour le traitement d’une demande d’assistance au sens de l’article 24 du statut.

68.

J’estime que les témoins qui acceptent de participer volontairement à la procédure d’enquête peuvent, en effet, souhaiter que leur identité ne soit pas révélée et qu’elle ne puisse pas être déduite des faits rapportés.

69.

Cette préoccupation me paraît légitime, quels que soient les motifs des témoins, et doit être prise en compte, dans toute la mesure du possible, par l’administration ne serait-ce que pour assurer la participation à l’enquête des personnes susceptibles d’apporter des renseignements utiles à l’établissement des faits.

70.

Toutefois, un équilibre doit être trouvé entre l’intérêt des témoins à la protection de la confidentialité de leurs témoignages et le droit de l’auteur de la demande d’assistance de faire utilement connaître son point de vue sur le contenu de ceux‑ci. Ce dernier ne saurait, en effet, être privé de la connaissance d’éléments sur lesquels l’administration entend fonder sa décision de rejet de sa demande d’assistance.

71.

À cette fin, il peut être recouru à certaines techniques telles que l’anonymisation, voire, comme dans l’arrêt OZ/BEI, la divulgation de la substance des témoignages sous la forme d’un résumé, ou encore, comme cela a été fait en l’espèce lors de la procédure devant le Tribunal, le masquage de certaines parties du contenu de ces témoignages.

72.

Il m’apparaît que le respect de la confidentialité aurait pu être assuré dans la présente affaire avant que l’AHCC n’adopte la décision litigieuse en utilisant les mêmes techniques d’anonymisation et de masquage que celles qui ont été utilisées au cours de la procédure devant le Tribunal.

73.

La communication d’une version anonymisée des comptes rendus, en partie masquée uniquement, telle que celle qui a été ordonnée par le Tribunal, était d’autant plus importante que l’avis du comité consultatif était succinct.

74.

En effet, d’une part, celui‑ci n’était constitué que de deux pages comprenant une liste anonymisée des témoins auditionnés et de trois tirets décrivant brièvement le point de vue du comité consultatif. D’autre part, ainsi que le Tribunal l’a lui‑même relevé au point 89 de l’arrêt attaqué, cette brièveté était compensée par les comptes rendus d’audition des témoins auxquels l’AHCC a pu se référer pour obtenir une vision d’ensemble et détaillée de la réalité des faits.

75.

Il n’est pas suffisant, à cet égard, que HF se soit vu communiquer les motifs que l’AHCC entendait invoquer au soutien du rejet de sa demande d’assistance. Ainsi que HF l’a fait valoir, lors de l’audience devant la Cour, l’obligation de motivation de la décision faisant grief ne saurait être confondue avec le droit de l’intéressé d’être entendu ( 22 ). Ce droit requiert que l’auteur de la demande d’assistance ait, en outre, accès, dans le respect de la confidentialité, aux témoignages sur lesquels l’AHCC s’est fondée afin qu’il puisse indiquer si les éléments retenus au cours de l’enquête étaient pertinents et si d’autres éléments auraient dû à son avis être pris en compte.

76.

J’estime, par conséquent, que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 87 de l’arrêt attaqué, que c’est sans méconnaître le droit d’être entendu, tel que visé à l’article 41 de la Charte, que l’AHCC a, en l’espèce, refusé de transmettre à HF les comptes rendus d’audition des témoins en phase précontentieuse. Dans la mesure où la décision rejetant la demande d’assistance de HF fait grief à cette dernière, je considère que les éléments sur lesquels le Parlement s’est fondé pour prendre cette décision, en l’occurrence les auditions de témoins, devaient être portés à la connaissance de cette dernière, à tout le moins de manière anonymisée sous la forme d’un résumé, afin que celle‑ci puisse être utilement entendue sur ces éléments avant que le Parlement ne prenne sa décision. Cette erreur doit être regardée comme étant susceptible d’avoir eu un effet sur la décision litigieuse.

77.

Il en résulte que le premier moyen du pourvoi devrait être accueilli.

78.

Par voie de conséquence, l’arrêt attaqué devrait être annulé.

79.

Bien que le bien-fondé de ce premier moyen justifie en lui‑même une annulation de l’arrêt attaqué, j’estime qu’il y a lieu, en outre, d’examiner le troisième moyen soulevé par HF, en ce qu’il a trait au fond du litige et pourrait, dans l’intérêt de HF, constituer un deuxième motif d’annulation de l’arrêt attaqué.

C.   Sur le troisième moyen du pourvoi principal

80.

Par son troisième moyen, HF fait valoir que le Tribunal a violé l’article 12 bis, paragraphes 1 et 3, l’article 24 du statut ainsi que l’article 31, paragraphe 1, de la Charte en concluant aux points 158, 164 et 166 de l’arrêt attaqué que le comportement du chef d’unité n’était pas abusif et que le Parlement avait valablement, sans commettre d’erreur d’appréciation, rejeté sa demande d’assistance. Le Tribunal se serait contredit et aurait adopté des appréciations contraires à sa propre jurisprudence.

81.

Au soutien de ce moyen, HF se fonde sur quatre arguments que j’examinerai dans l’ordre suivant : tout d’abord, les premier et quatrième arguments que j’estime irrecevables en ce qu’ils relèvent, à mon sens, d’une appréciation des faits, puis le troisième argument que je considère manifestement non fondé, enfin, le deuxième argument qui soulève, selon moi, une question de droit que j’examinerai plus en détail.

82.

Par son premier argument, HF soutient qu’il découle des constatations effectuées par le Tribunal aux points 141, 143, 144, 158 et 163 de l’arrêt attaqué relatives à l’utilisation par le chef d’unité d’un ton inapproprié parfois quelque peu familier ou peu élaboré, à sa gestion difficile, voire parfois maladroite, d’une situation conflictuelle et à ses comportements particulièrement directs et sans ambages, voire, sarcastiques ou présentant même une certaine agressivité, que le chef d’unité avait eu un comportement abusif. Suite à ce constat, selon HF, le Tribunal ne pouvait pas conclure à l’absence de harcèlement moral.

83.

Je relève que HF ne critique pas la description des faits par le Tribunal, mais qu’elle en tire une conclusion différente. Elle estime que, compte tenu de la définition du harcèlement moral, au sens de l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut, telle que rappelée au point 119 de l’arrêt attaqué, cette description devait nécessairement conduire à constater un harcèlement moral.

84.

À cet égard, la notion de harcèlement moral est définie à l’article 12 bis du statut comme toute conduite abusive se manifestant de façon durable, répétitive ou systématique par des comportements, des paroles, des actes, des gestes et des écrits qui sont intentionnels et qui portent atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou psychique d’une personne. Le Tribunal apporte deux précisions concernant cette notion aux points 119 et 120 de l’arrêt attaqué. Premièrement, les termes « de façon durable, répétitive ou systématique » impliquent que le harcèlement moral doit être compris comme un processus s’inscrivant nécessairement dans le temps et supposent l’existence d’agissements « intentionnels », par opposition à « accidentels ». Deuxièmement, pour relever de cette notion, ces agissements doivent avoir « pour effet » de porter atteinte à la personnalité, à la dignité ou à l’intégrité physique d’une personne. Il n’est pas nécessaire d’établir que le harceleur présumé ait commis ces agissements avec l’intention de produire un tel effet.

85.

J’estime que ces précisions, qui reprennent une jurisprudence constante tant du Tribunal que du Tribunal de la fonction publique ( 23 ), sont tout à fait fondées.

86.

Je souligne qu’il ne ressort pas de cette définition du harcèlement moral qu’il existe une automaticité entre l’établissement de certains faits et la constatation de l’existence d’un tel harcèlement. Celle-ci doit, au contraire, résulter d’une appréciation minutieuse des faits consistant d’abord à vérifier si les agissements critiqués pris individuellement permettent de conclure à l’existence d’un harcèlement moral puis, le cas échéant, si examinés globalement, ils conduisent à un tel constat.

87.

Or, en l’absence d’une dénaturation des faits ou d’une erreur manifeste d’appréciation, laquelle n’est pas alléguée par HF, il appartient au Tribunal, en l’espèce, d’apprécier si les faits relevés constituent un harcèlement moral, au sens de l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut. La Cour ne saurait substituer son appréciation des faits à celle effectuée par le Tribunal ( 24 ).

88.

Pour effectuer cette appréciation, il incombe à ce dernier de recourir au test rappelé, à juste titre, à mon sens, au point 121 de l’arrêt attaqué, selon lequel la qualification de « harcèlement » est subordonnée à la condition que celui‑ci revête une réalité objective suffisante, au sens où un observateur impartial et raisonnable, doté d’une sensibilité normale et placé dans les mêmes conditions, considérerait le comportement ou l’acte en cause comme excessif et critiquable ( 25 ).

89.

Ainsi, par son premier argument, HF cherche en réalité à obtenir de la Cour qu’elle écarte l’appréciation des faits effectuée par le Tribunal et qu’elle y substitue sa propre appréciation.

90.

J’estime, par conséquent, que ce premier argument est irrecevable.

91.

Par son quatrième argument, HF soutient que, aux points 156 et 160 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, de manière erronée, exclu que le comportement du chef d’unité puisse relever du champ d’application de l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut, au motif que ce comportement concernait l’ensemble des personnes de l’unité et n’était pas seulement dirigé contre elle. Ce raisonnement du Tribunal serait contraire à celui suivi au point 89 de l’arrêt Tzirani/Commission ( 26 ).

92.

À mon sens, HF a fait une lecture erronée des points 156 et 160 de l’arrêt attaqué et a cité à mauvais escient l’arrêt Tzirani/Commission.

93.

En effet, le Tribunal n’a pas déduit du seul caractère collectif de la menace que celle‑ci n’était pas susceptible d’entrer dans le champ d’application de l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut. Tout en prenant en compte cette menace, il a jugé, au point 156 de l’arrêt attaqué, que HF restait toutefois en défaut de prouver la réalité d’une menace que le chef d’unité aurait exprimée spécifiquement à son égard quant au renouvellement de son contrat d’engagement.

94.

Dans l’arrêt Tzirani/Commission, le Tribunal de la fonction publique a relevé que, « afin d’éviter des accusations de harcèlement à l’égard d’une personne, le harceleur présumé, plutôt que de mettre fin aux conduites incriminées, pourrait étendre son comportement à un nombre plus grand de personnes, ce qui est évidemment absurde ». Ce Tribunal a ainsi considéré qu’une personne ne pouvait pas, sous couvert d’une menace collective adressée à un ensemble de personnes, déguiser ce qui était en réalité un comportement qui visait une personne en particulier. Je souligne, toutefois, qu’il n’en résulte pas que tout reproche collectif serait en réalité un reproche adressé à une personne spécifique.

95.

Là encore, il s’agit d’une question de faits. Or, il n’apparaît pas au point 156 de l’arrêt attaqué, lequel fait référence au point 135 de cet arrêt, que le Tribunal ait dénaturé ceux‑ci.

96.

Ce quatrième argument doit donc, à mon sens, être écarté comme étant irrecevable en ce que, comme le premier argument, il porte en réalité non pas sur une question de droit mais sur une appréciation des faits par le Tribunal.

97.

Par son troisième argument, HF soutient que, aux points 141 et 158 de l’arrêt attaqué, le Tribunal qualifie à tort d’accidentels certains gestes et certains écrits du chef d’unité. Or, de l’avis de HF si des paroles peuvent être accidentelles, tel ne pourrait matériellement être le cas de gestes et d’écrits.

98.

En excluant ces derniers de la notion d’« accidentel », HF propose, à mon sens, une lecture de cette notion qui ne repose sur aucun fondement. Tout comme les paroles, le geste a un caractère rapide et éphémère qui peut dépasser la pensée. L’écrit s’inscrit certes dans un temps plus long, mais rien n’empêche qu’il dépasse également la pensée de l’auteur. C’est précisément pour cette raison que la définition inscrite à l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut prévoit tant pour les gestes et les écrits que pour les paroles que ceux‑ci doivent se matérialiser dans la durée, être répétitifs ou systématiques pour pouvoir être constitutifs d’un harcèlement moral.

99.

Par cet argument, HF tend à obtenir une requalification par la Cour, des gestes et écrits du chef d’unité comme étant non pas « accidentels », mais « intentionnels », sans même chercher à démontrer cette affirmation dans les faits. Ces gestes auraient ainsi cette qualité par nature. Pour les raisons mentionnées au point précédent des présentes conclusions, cet argument me paraît manifestement non fondé.

100.

Par son deuxième argument, HF fait valoir que le Tribunal s’est à tort fondé sur le « contexte » régnant au sein de l’unité, aux points 143, 144, 158 et 159 de l’arrêt attaqué alors que le harcèlement est interdit sans réserve et sans égard pour le contexte. En tenant compte de ce « contexte », tout en reconnaissant au comportement du harceleur présumé un caractère à tout le moins inapproprié, le Tribunal aurait nécessairement violé l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut de même que l’article 31 de la Charte.

101.

Dans son mémoire en réponse, le Parlement soutient que le contexte dans lequel les comportements reprochés interviennent revêt une importance capitale.

102.

Ce deuxième argument illustre, à mon sens, la difficulté qui peut exister à distinguer ce qui relève de l’appréciation des faits, laquelle, hormis la dénaturation ou l’erreur manifeste d’appréciation, relève de la compétence du seul Tribunal de ce qui constitue une question de droit, laquelle peut être soumise au contrôle de la Cour sur pourvoi.

103.

En effet, dans la mesure où le contexte a essentiellement trait aux faits de l’affaire, il pose principalement une question d’appréciation de ceux‑ci. HF a d’ailleurs admis, lors de l’audience devant la Cour, qu’il n’était pas possible d’ignorer totalement le contexte de l’affaire.

104.

Mais selon HF, le manque d’effectifs, la surcharge de travail, la réorganisation du service, la mauvaise répartition des fonctions au sein de l’unité, ne devraient pas être pris en compte. Leur prise en considération reviendrait à ajouter un facteur non prévu par la définition du harcèlement moral, à l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut, qui serait utilisé aux fins d’extraire une conduite abusive de la notion de harcèlement moral, en la justifiant par le contexte dans lequel elle s’inscrit.

105.

Vu sous cet angle, le point de savoir si certains types de faits peuvent ou non ou dans une certaine mesure seulement être pris en compte dans l’appréciation du harcèlement moral soulève, à mon sens, une question de droit. Il s’agit, en effet, de déterminer si et dans quelle mesure le contexte factuel entre dans la qualification juridique du harcèlement moral.

106.

À cet égard, ainsi que le Tribunal l’a indiqué à juste titre, au point 123 de l’arrêt attaqué, il importe de souligner que la définition visée à l’article 12 bis du statut constitue une notion objective qui repose sur une « qualification contextuelle » d’actes et de comportements de tiers en l’espèce de fonctionnaires et d’agents. La question de savoir si une personne a été soumise à une situation de harcèlement moral exige, par conséquent, d’apprécier les comportements concernés dans un contexte donné.

107.

Ainsi, l’appréciation objective des comportements critiqués ne saurait être effectuée de manière purement abstraite et partant hors contexte mais nécessite au contraire d’être évaluée concrètement en tenant compte du cadre dans lequel ils se sont manifestés. Cette interprétation est corroborée par le test rappelé au point 88 des présentes conclusions qui fait référence à un observateur impartial et raisonnable, doté d’une sensibilité normale et placé dans les mêmes conditions. Cette dernière expression implique, selon moi, qu’il faut tenir compte du contexte dans lequel s’inscrivent les comportements en cause.

108.

La question qui se pose est celle de savoir quel contexte est pertinent.

109.

J’estime qu’il y a lieu de distinguer selon que le contexte est extérieur au présumé harceleur, en l’occurrence le chef d’unité, ou résulte, voire, est généré, par l’attitude de ce dernier.

110.

Parmi les exemples de contexte mentionnés par HF et exposés au point 104 des présentes conclusions, il conviendrait ainsi de vérifier si le manque d’effectifs, la surcharge de travail et la réorganisation du service sont extérieurs au chef d’unité ou si, à l’inverse, la mauvaise répartition des fonctions au sein de l’unité lui est imputable.

111.

Il appartient, à mon sens, au Tribunal de vérifier la réalité de ces exemples, d’établir dans quelle catégorie il convient de les classer et quel poids il convient, le cas échéant, de leur accorder.

112.

En l’espèce, HF reproche au Tribunal de s’être référé au contexte aux points 143, 144, 158 et 159 de l’arrêt attaqué.

113.

Je relève qu’à ces quatre points, le Tribunal mentionne le « contexte administratif difficile », « les difficultés de fonctionnement du service à la suite de la restructuration de celui‑ci » et « l’existence de difficultés organisationnelles ».

114.

Si les difficultés ainsi relevées au sein du service étaient dues à la personnalité du chef d’unité, à son éventuel manque d’expérience ou à une gestion maladroite, elles ne sauraient, à mon sens, servir à justifier les agissements en cause. Elles pourraient au contraire souligner leur caractère excessif ou abusif et tendre à identifier des comportements constitutifs d’un harcèlement moral.

115.

Si ces difficultés trouvaient leur origine plutôt dans la restructuration de l’unité, laquelle n’était pas due à une décision de gestion contestable du chef d’unité mais pouvait apparaître comme étant objectivement nécessaire, elles devraient, selon moi, être regardées comme faisant partie du contexte extérieur à ce dernier. Elles pourraient également, le cas échéant, être prises en compte et jouer un rôle plus ou moins important afin d’apprécier le caractère excessif ou abusif des agissements critiqués.

116.

Ainsi, j’estime, contrairement à HF, que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en se référant au contexte.

117.

Je considère, par conséquent que le deuxième argument soulevé par HF n’est pas fondé.

118.

Il en résulte que le troisième moyen du pourvoi principal doit, à mon sens, être rejeté comme étant en partie irrecevable et en partie non fondé.

D.   Sur le recours devant le Tribunal

119.

Conformément à l’article 61, premier alinéa, seconde phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, cette dernière, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut statuer elle‑même définitivement sur le litige lorsque celui‑ci est en l’état d’être jugé.

120.

À l’instar de ce que la Cour a jugé dans l’arrêt OZ/BEI, j’estime qu’il en va ainsi dans la présente affaire. En effet, dans cet arrêt la Cour a rappelé qu’une violation des droits de la défense, en particulier du droit d’être entendu, n’entraîne l’annulation d’une décision au terme d’une procédure que si, en l’absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent ( 27 ). La Cour a considéré que le défaut de communiquer à tout le moins un résumé des déclarations de la personne accusée de harcèlement et des différents témoins a inévitablement affecté tant le contenu du rapport du comité d’enquête que celui de la décision en cause dans cette affaire, de telle sorte que ce rapport ainsi que cette décision auraient raisonnablement pu aboutir à un résultat différent ( 28 ).

121.

J’estime que le défaut de communication des comptes rendus d’auditions de témoins dans la présente affaire doit être regardé à lui seul comme constituant une irrégularité susceptible d’affecter d’une manière similaire l’avis du comité consultatif et, partant, la décision litigieuse.

122.

Ainsi que je l’ai indiqué aux points 62 et 73 des présentes conclusions, ces comptes rendus ont été pris en compte par l’AHCC aux fins de l’adoption de la décision litigieuse et leur rôle a été d’autant plus important que l’avis n’était constitué que d’un document succinct.

123.

Je soulignerais, en particulier, que si HF s’était vu accorder la possibilité d’être utilement entendue sur les différents éléments de contexte, tels qu’ils figurent dans les comptes rendus d’audition qui ont été pris en compte par l’AHCC, il ne peut être exclu qu’une pondération différente leur aurait été appliquée conduisant l’AHCC à adopter une décision en faveur de la demande d’assistance sollicitée par HF.

124.

S’agissant des conclusions indemnitaires évoquées au point 26 des présentes conclusions, j’estime, indépendamment du deuxième moyen et sans préjuger de son bien-fondé, que l’annulation de la décision litigieuse constitue une réparation adéquate de tout préjudice moral que HF peut avoir subi en l’espèce. Les conclusions indemnitaires tendant à la réparation de ce préjudice moral sont donc sans objet et il n’y a pas lieu de statuer à ce sujet.

E.   Sur les dépens

125.

Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle‑même définitivement le litige, elle statue sur les dépens.

126.

Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui‑ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.

127.

Le Parlement ayant succombé en l’essentiel de ses conclusions, il convient de le condamner à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par HF, afférents, conformément aux conclusions de cette dernière, tant à la procédure de première instance qu’à celle de pourvoi.

VI. Conclusion

128.

Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour :

de rejeter le pourvoi incident comme étant irrecevable ;

d’annuler l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 29 juin 2018, HF/Parlement (T‑218/17, EU:T:2018:393) en tant qu’il a rejeté les conclusions présentées par HF visant à l’annulation de la décision du Parlement européen du 3 juin 2016 rejetant sa demande d’assistance ;

de rejeter le pourvoi pour le surplus ;

d’annuler la décision du 3 juin 2016 rejetant la demande d’assistance de HF ;

de rejeter le recours pour le surplus ;

de condamner le Parlement à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par HF, afférents tant à la procédure de première instance qu’à celle de pourvoi.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) T‑218/17, ci‑après « l’arrêt attaqué », EU:T:2018:393.

( 3 ) Arrêt du 4 avril 2019, OZ/BEI (C‑558/17 P, ci‑après l’« arrêt OZ/BEI », EU:C:2019:289, point 53).

( 4 ) Voir points 1 à 33 de l’arrêt attaqué.

( 5 ) Arrêt du 11 juillet 2013 (F‑46/11, ci‑après l’« arrêt Tzirani/Commission », EU:F:2013:115).

( 6 ) Arrêt du 23 septembre 2015 (T‑114/13 P, EU:T:2015:678).

( 7 ) Voir arrêts du 15 novembre 2012, Al-Aqsa/Conseil et Pays‑Bas/Al-Aqsa (C‑539/10 P et C‑550/10 P, EU:C:2012:711, points 43 et 44) ; du 13 janvier 2015, Conseil e.a./Vereniging Milieudefensie et Stichting Stop Luchtverontreiniging Utrecht (C‑401/12 P à C‑403/12 P, EU:C:2015:4, points 32 à 34) ; du 21 avril 2016, Conseil/Bank Saderat Iran (C‑200/13 P, EU:C:2016:284, points 114 et 115), ainsi que du 25 juillet 2018, Société des produits Nestlé e.a./Mondelez UK Holdings & Services (C‑84/17 P, C‑85/17 P et C‑95/17 P, EU:C:2018:596, points 41 et 42).

( 8 ) Voir point 31 des présentes conclusions.

( 9 ) Voir point 39 des présentes conclusions.

( 10 ) Article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte.

( 11 ) Article 41, paragraphe 2, sous b), de la Charte.

( 12 ) Article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte.

( 13 ) Voir arrêts du 24 octobre 1996, Commission/Lisrestal e.a. (C‑32/95 P, EU:C:1996:402, point 21) ; du 18 décembre 2008, Sopropé (C‑349/07, EU:C:2008:746, points 36 à 38) ; du 22 novembre 2012, M. (C‑277/11, EU:C:2012:744, point 87) ; du 10 septembre 2013, G. et R. (C‑383/13 PPU, EU:C:2013:533, point 35) ; du 22 octobre 2013, Sabou (C‑276/12, EU:C:2013:678, point 38) ; du 5 novembre 2014, Mukarubega (C‑166/13, EU:C:2014:2336, point 46), ainsi que du 11 décembre 2014, Boudjlida (C‑249/13, EU:C:2014:2431, point 36).

( 14 ) Voir arrêt du 9 février 2017, M (C‑560/14, EU:C:2017:101, point 32).

( 15 ) Voir arrêt du 5 novembre 2014, Mukarubega (C‑166/13, EU:C:2014:2336, point 47).

( 16 ) Voir arrêt du 22 novembre 2012, M. (C‑277/11, EU:C:2012:744, point 82).

( 17 ) Voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2008, Sopropé (C‑349/07, EU:C:2008:746, points 36 et 37).

( 18 ) Voir note en bas de page 3 des présentes conclusions. Je note que cet arrêt a été prononcé postérieurement à l’arrêt attaqué.

( 19 ) Voir arrêt OZ/BEI, point 57.

( 20 ) Voir également, s’agissant du droit d’être entendu dans une procédure impliquant la Commission européenne, notamment, arrêt du 21 novembre 1991, Technische Universität München (C‑269/90, EU:C:1991:438, point 25).

( 21 ) Voir, en ce sens, arrêt du 4 juin 2013, ZZ, (C‑300/11, EU:C:2013:363, points 64, 65 et 68).

( 22 ) L’obligation de motivation constitue l’un des aspects du droit à une bonne administration, inscrit à l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte.

( 23 ) Voir, notamment, arrêts du 13 décembre 2017, HQ/OCVV (T‑592/16, non publié, EU:T:2017:897, point 101) ; du 17 septembre 2014, CQ/Parlement (F‑12/13, EU:F:2014:214, points 76 et 77) ; du 5 juin 2012, Cantisani/Commission (F‑71/10, EU:F:2012:71, point 89), ainsi que du 13 juillet 2018, Curto/Parlement (T‑275/17, EU:T:2018:479 , points 76 et 77).

( 24 ) Conformément à l’article 256 TFUE, les pourvois devant la Cour sont limités aux questions de droit. La requérante au pourvoi ne saurait, par conséquent, obtenir de la Cour que celle‑ci substitue sa propre appréciation à celle du Tribunal. Selon une jurisprudence constante, le Tribunal est seul compétent pour constater et apprécier les faits pertinents ainsi que pour apprécier les éléments de preuve fournis. L’appréciation de ces faits et de ces éléments de preuve ne constitue donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi (voir, notamment, arrêts du 26 janvier 2017, Zucchetti Rubinetteria/Commission (C‑618/13 P, EU:C:2017:48, point 68) et du 13 décembre 2018, Union européenne/Kendrion (C‑150/17 P, EU:C:2018:1014, point 79).

( 25 ) Ce test reprend une jurisprudence constante du Tribunal de la fonction publique et du Tribunal. Voir, notamment, arrêts du 16 mai 2012, Skareby/Commission (F‑42/10, EU:F:2012:64, point 65) ; du 17 septembre 2014, CQ/Parlement (F‑12/13, EU:F:2014:214, point 78), ainsi que du 13 juillet 2018, Curto/Parlement (T‑275/17, EU:T:2018:479 , point 78).

( 26 ) Voir note en bas de page 5 des présentes conclusions.

( 27 ) Arrêt OZ/BEI, point 76.

( 28 ) Arrêt OZ/BEI, point 78.