ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

17 décembre 2020 ( *1 )

« Pourvoi – Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) – Décision d’exécution (UE) 2017/2014 – Dépenses exclues du financement de l’Union européenne – Dépenses effectuées par la République française – Correction forfaitaire au taux de 100 % – Proportionnalité – Lignes directrices de la Commission européenne relatives au calcul des corrections financières dans le cadre des procédures d’apurement de conformité et d’apurement des comptes »

Dans l’affaire C‑404/19 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 23 mai 2019,

République française, représentée par Mmes A.-L. Desjonquères et C. Mosser ainsi que par M. D. Colas, en qualité d’agents,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par MM. X. A Lewis et A. Sauka ainsi que par Mme J. Aquilina, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de chambre, MM. N. Piçarra, D. Šváby (rapporteur), S. Rodin et Mme K. Jürimäe, juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : Mme V. Giacobbo, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 février 2020,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 3 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

1

Par son pourvoi, la République française demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 mars 2019, France/Commission (T‑26/18, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2019:153), par lequel celui-ci a rejeté son recours fondé sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation partielle de la décision d’exécution (UE) 2017/2014 de la Commission, du 8 novembre 2017, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2017, L 292, p. 61, ci-après la « décision litigieuse »).

Le cadre juridique

Le règlement (CE) no 1120/2009

2

L’article 2 du règlement (CE) no 1120/2009 de la Commission, du 29 octobre 2009, portant modalités d’application du régime de paiement unique prévu par le titre III du règlement (CE) no 73/2009 du Conseil établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs (JO 2009, L 316, p. 1), contenait, à son point c), la définition suivante :

« “pâturages permanents” : les terres consacrées à la production d’herbe et d’autres plantes fourragères herbacées (ensemencées ou naturelles) qui ne font pas partie du système de rotation des cultures de l’exploitation depuis cinq ans ou davantage, à l’exclusion des superficies mises en jachère conformément au règlement (CEE) no 2078/92 du Conseil[, du 30 juin 1992, concernant des méthodes de production agricole compatibles avec les exigences de la protection de l’environnement ainsi que l’entretien de l’espace naturel (JO 1992, L 215, p. 85)], des superficies mises en jachère conformément aux articles 22, 23 et 24 du règlement (CE) no 1257/1999 du Conseil[, du 17 mai 1999, concernant le soutien au développement rural par le FEOGA et modifiant et abrogeant certains règlements (JO 1999, L 160, p. 80)] et des superficies mises en jachère conformément à l’article 39 du règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil[, du 20 septembre 2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2005, L 277, p. 1)] ; à cette fin, on entend par “herbe et autres plantes fourragères herbacées”, toutes les plantes herbacées se trouvant traditionnellement dans les pâturages naturels ou normalement comprises dans les mélanges de semences pour pâturages ou prairies dans l’État membre (qu’ils soient ou non utilisés pour faire paître les animaux). Les États membres peuvent inclure les grandes cultures figurant à l’annexe I. »

Le règlement (CE) no 1122/2009

3

La partie II du règlement (CE) no 1122/2009 de la Commission, du 30 novembre 2009, fixant les modalités d’application du règlement (CE) no 73/2009 du Conseil en ce qui concerne la conditionnalité, la modulation et le système intégré de gestion et de contrôle dans le cadre des régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs prévus par ce règlement ainsi que les modalités d’application du règlement (CE) no 1234/2007 du Conseil en ce qui concerne la conditionnalité dans le cadre du régime d’aide prévu pour le secteur vitivinicole (JO 2009, L 316, p. 65), contenait un titre III portant sur les « [c]ontrôles » et dont faisait partie l’article 34 de ce règlement, relatif à la « [d]étermination des superficies ». Cet article disposait, à ses paragraphes 2 et 4 :

« 2.   La superficie totale d’une parcelle agricole peut être prise en compte à condition qu’elle soit entièrement utilisée selon les normes usuelles de l’État membre ou de la région concernée. Dans les autres cas, c’est la superficie réellement utilisée qui est prise en compte.

Dans les régions où certains éléments, en particulier les haies, les fossés et les murs, font traditionnellement partie des bonnes pratiques agricoles en matière de cultures ou d’utilisation des sols, les États membres peuvent décider que la superficie correspondante fait partie de la superficie totale utilisée, pour autant qu’elle ne dépasse pas une largeur totale à déterminer par les États membres. Cette largeur doit correspondre à une valeur traditionnelle en usage dans la région concernée, sans toutefois excéder deux mètres.

Toutefois, lorsque les États membres ont notifié à la Commission, conformément à l’article 30, paragraphe 2, troisième alinéa, du règlement (CE) no 796/2004 [de la Commission, du 21 avril 2004, portant modalités d’application de la conditionnalité, de la modulation et du système intégré de gestion et de contrôle prévus par le règlement (CE) no 1782/2003 du Conseil établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs (JO 2004, L 141, p. 18)], avant l’entrée en vigueur du présent règlement, une largeur supérieure à 2 mètres, cette largeur peut encore être appliquée.

[...]

4.   Sans préjudice de l’article 34, paragraphe 2, du règlement (CE) no 73/2009 [du Conseil, du 19 janvier 2009, établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs, modifiant les règlements (CE) no 1290/2005, (CE) no 247/2006 et (CE) no 378/2007, et abrogeant le règlement (CE) no 1782/2003 (JO 2009, L 30, p. 16)], une parcelle agricole boisée est considérée comme une superficie admissible aux fins des régimes d’aide “surfaces”, sous réserve que des activités agricoles ou, le cas échéant, que la production envisagée puissent se dérouler comme elles se dérouleraient sur des parcelles non boisées situées dans la même zone. »

Le règlement (UE) no 1306/2013

4

Le titre IV, intitulé « Gestion financière des fonds », du règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) no 352/78, (CE) no 165/94, (CE) no 2799/98, (CE) no 814/2000, no 1290/2005 et (CE) no 485/2008 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 549, et rectificatif JO 2016, L 130, p. 13), comprend un chapitre IV, intitulé « Apurement comptable », dont la section II, elle-même intitulée « Apurement », contient l’article 52 de ce règlement, relatif à l’« [a]purement de conformité ». Cet article dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Lorsqu’elle considère que des dépenses relevant du champ d’application de l’article 4, paragraphe 1, et de l’article 5 n’ont pas été effectuées conformément au droit de l’Union et, pour le Feader, n’ont pas été effectuées conformément au droit de l’Union et de l’État membre applicable visé à l’article 85 du règlement (UE) no 1303/2013 [du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion, au Fonds européen agricole pour le développement rural et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, portant dispositions générales applicables au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen, au Fonds de cohésion et au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche, et abrogeant le règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 320)], la Commission adopte des actes d’exécution déterminant les montants à exclure du financement de l’Union. Ces actes d’exécution sont adoptés en conformité avec la procédure consultative visée à l’article 116, paragraphe 2.

2.   La Commission évalue les montants à exclure au vu, notamment, de l’importance de la non-conformité constatée. La Commission tient compte de la nature de l’infraction, ainsi que du préjudice financier causé à l’Union. Elle fonde l’exclusion sur la mise en évidence des montants indûment dépensés et, lorsque ceux-ci ne peuvent être mis en évidence en déployant des efforts proportionnés, elle peut appliquer des corrections extrapolées ou forfaitaires. Des corrections forfaitaires ne sont appliquées que lorsque, en raison de la nature du cas ou parce que l’État membre n’a pas fourni les informations nécessaires à la Commission, il n’est pas possible, en déployant des efforts proportionnés, de déterminer plus précisément le préjudice financier causé à l’Union. »

Le règlement délégué (UE) no 907/2014

5

Le chapitre III, intitulé « Apurement comptable et autres contrôles », du règlement délégué (UE) no 907/2014 de la Commission, du 11 mars 2014, complétant le règlement no 1306/2013 en ce qui concerne les organismes payeurs et autres entités, la gestion financière, l’apurement des comptes, les garanties et l’utilisation de l’euro (JO 2014, L 255, p. 18) comprend l’article 12 de ce règlement, intitulé « Critères et méthodologie pour l’application de corrections dans le cadre de l’apurement de conformité ». Cet article dispose, à son paragraphe 7 :

« En établissant le niveau des corrections forfaitaires, la Commission tient spécifiquement compte des circonstances suivantes, qui indiquent un degré de gravité plus élevé des lacunes constatées et, partant, un risque accru de perte pour le budget de l’Union :

[...]

c)

l’application par l’État membre d’un système de contrôle est jugée absente ou gravement déficiente, et il existe des preuves d’irrégularités et de négligence importantes dans la lutte contre les pratiques irrégulières ou frauduleuses ; ou

[...] »

Le règlement d’exécution (UE) no 908/2014

6

L’article 34, paragraphe 2, du règlement d’exécution (UE) no 908/2014 de la Commission, du 6 août 2014, portant modalités d’application du règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les organismes payeurs et autres entités, la gestion financière, l’apurement des comptes, les règles relatives aux contrôles, les garanties et la transparence (JO 2014, L 255, p. 59), prévoit :

« Si, à la suite d’une enquête, la Commission considère que des dépenses n’ont pas été effectuées conformément aux règles de l’Union, elle communique ses conclusions à l’État membre concerné en précisant les mesures correctives qui s’imposent afin d’assurer à l’avenir le respect de ladite réglementation et en indiquant le niveau provisoire de correction financière qu’elle considère approprié par rapport à ses conclusions à ce stade de la procédure. La communication prévoit également une réunion bilatérale dans un délai de quatre mois après l’expiration du délai de réponse de la part de l’État membre. La communication fait référence au présent article.

L’État membre répond dans un délai de deux mois à compter de la réception de la communication. Dans sa réponse, l’État membre a la possibilité, en particulier :

a)

de démontrer à la Commission que l’ampleur réelle du non-respect ou le risque pour les Fonds sont inférieurs à ce qui a été indiqué par la Commission ;

b)

d’informer la Commission des mesures correctives qu’il a prises en vue d’assurer le respect de la réglementation de l’Union, en précisant la date de leur mise en œuvre effective.

Dans des cas justifiés et sur demande motivée de l’État membre, la Commission peut accorder une prolongation de deux mois au maximum de la période de deux mois. La demande en est adressée à la Commission avant le terme de ladite période.

Si l’État membre estime qu’une réunion bilatérale n’est pas nécessaire, il en fait part à la Commission dans sa réponse à la communication de la Commission mentionnée ci-dessus. »

Les lignes directrices de 2015

7

La communication de la Commission, du 8 juin 2015, intitulée « Lignes directrices relatives au calcul des corrections financières dans le cadre des procédures d’apurement de conformité et d’apurement des comptes » [C(2015) 3675 final, ci-après les « lignes directrices de 2015 »], contient un chapitre 3, intitulé « Corrections financières forfaitaires pour les déficiences dans les systèmes de gestion et de contrôle en ce qui concerne la légalité et la régularité des dépenses ». Ce chapitre comprend les points 3.1. à 3.5. des lignes directrices de 2015. Sous le titre « Niveau de la correction financière », le point 3.2. de ces lignes directrices prévoit :

« [...]

Conformément à l’article 12, paragraphe 7, du règlement [no 907/2014], les services de la Commission tiennent “spécifiquement compte des circonstances suivantes, qui indiquent un degré de gravité plus élevé des lacunes constatées et, partant, un risque accru de perte pour le budget de l’Union” et qui justifient donc un niveau plus élevé du taux forfaitaire :

[...]

5.

“L’application par un État membre d’un système de contrôle est jugée absente ou gravement déficiente, et il existe des preuves d’irrégularités et de négligence importantes dans la lutte contre les pratiques irrégulières ou frauduleuses”, il convient alors d’appliquer une correction à hauteur de 25 %, dans la mesure où il peut être raisonnablement estimé que la liberté de soumettre impunément des demandes irrecevables occasionnera des préjudices financiers extrêmement élevés pour le budget de l’Union.

Le taux de correction peut être fixé à un niveau encore plus élevé lorsque cela se justifie. Ce sera le cas lorsque, sur la base d’informations fournies par l’État membre, la population à risque a été (très) restreinte. De même, la totalité de la dépense peut être écartée du financement de l’Union lorsque les déficiences sont si graves qu’elles constituent un non-respect total des règles de l’Union, de nature à rendre tous les paiements irréguliers.

[...] »

Les antécédents du litige

8

Les antécédents du litige ont été exposés par le Tribunal aux points 1 à 37 de l’arrêt attaqué et peuvent, pour les besoins du présent arrêt, être résumés de la manière suivante.

9

Du 24 au 28 novembre 2014, la Commission européenne a réalisé, en France, une enquête portant sur le secteur des aides à la surface du premier pilier de la politique agricole commune (PAC) sollicitées pour les années de demande 2013 et 2014.

10

Par lettre du 25 février 2015, la Commission a, d’une part, communiqué à la République française les résultats de cette enquête, en application de l’article 34, paragraphe 2, du règlement d’exécution no 908/2014 et, d’autre part, demandé à cet État membre de lui communiquer des informations complémentaires.

11

Le 26 juin 2015, la République française a transmis à la Commission ses observations ainsi que les informations complémentaires sollicitées en ce qui concernait ladite enquête.

12

Le 3 juillet 2015, la Commission a invité les autorités françaises à une réunion bilatérale qui s’est tenue le 7 juillet 2015.

13

Par lettres des 22 septembre et 22 octobre 2015, la République française a communiqué à la Commission des informations complémentaires.

14

Du 30 novembre au 4 décembre 2015, les services de la Commission ont réalisé, en France, une enquête complémentaire afin de vérifier le chiffrage, proposé par les autorités françaises, du préjudice financier supporté par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) du fait d’un certain nombre d’irrégularités.

15

Par lettres des 15 décembre 2015, 23 décembre 2015 et 12 janvier 2016, ces autorités ont communiqué à la Commission des informations complémentaires relatives au chiffrage dudit préjudice financier.

16

En réponse à une lettre de la Commission du 25 janvier 2016, lesdites autorités ont, par lettres des 27 janvier, 12 février, 22 février et 26 février 2016, communiqué à la Commission d’autres informations complémentaires à cet égard.

17

Par lettre du 20 mai 2016, envoyée sur le fondement de l’article 34, paragraphe 3, troisième alinéa, du règlement d’exécution no 908/2014, la Commission a officiellement communiqué aux autorités françaises sa proposition d’exclure du financement de l’Union un montant de 117439017,55 euros pour non-conformité aux règles de l’Union de la mise en œuvre du système d’aide à la surface en France lors des années de demande 2013 et 2014 (ci-après la « communication officielle du 20 mai 2016 »). Cette proposition de correction était fondée sur la constatation de plusieurs défaillances.

18

En particulier, une première défaillance était fondée sur des déficiences du système d’identification des parcelles agricoles – système d’information géographique (SIPA – SIG), mis en place par les autorités françaises, dénommé « Registre parcellaire géographique » (RPG).

19

Une deuxième défaillance portait sur des problèmes liés à la définition des superficies éligibles aux aides résultant d’une interprétation incorrecte de l’article 34 du règlement no 1122/2009 à laquelle les autorités françaises avaient persisté de recourir. Cette interprétation les avait conduites à ne pas toujours écarter des surfaces inéligibles au regard de la réglementation de l’Union sur les « bonnes conditions agricoles et environnementales ».

20

À cet égard, il était notamment reproché aux autorités françaises d’avoir considéré comme étant des particularités topographiques, et, partant, comme étant éligibles aux aides, des surfaces principalement boisées à très faible ressource herbagère ou non accessibles aux animaux, déclarées comme « landes et parcours », alors que ces surfaces ne respectaient pas les conditions posées par la réglementation française et celle de l’Union, puisqu’elles ne rentraient pas dans le champ d’application de l’article 34, paragraphe 3, du règlement no 1122/2009, ni dans la notion de « pâturages permanents » figurant à l’article 2, sous c), du règlement no 1120/2009.

21

Une troisième défaillance concernait la non-conformité de la méthode utilisée par les autorités françaises pour le calcul des paiements et des sanctions pour les années de demande 2013 et 2014 ainsi que sur l’absence de recouvrement rétroactif.

22

Une quatrième défaillance était relative à certains problèmes liés aux deux départements qui composent la collectivité territoriale de Corse (France), à savoir les départements de la Haute-Corse et de la Corse-du-Sud. La Commission a considéré que les trois premières constatations de défaillances susmentionnées étaient valables pour chacun de ces deux départements. S’agissant du département de la Haute-Corse, la Commission a indiqué que, en l’absence de modifications dans l’approche suivie jusqu’alors, susceptibles d’avoir un effet réel sur le terrain, les corrections concernant ce département dans les enquêtes précédentes continueraient à s’appliquer pour les années de demande 2013 et 2014. Elle a également considéré que la correction forfaitaire au taux de 100 % pour le département de la Haute-Corse demeurait applicable.

23

En conséquence, conformément à la méthodologie exposée dans les lignes directrices de 2015, la Commission a proposé, dans la communication officielle du 20 mai 2016, d’appliquer des corrections financières réparties selon quatre groupes. L’un de ces groupes regroupait des corrections forfaitaires au taux de 100 % visant des aides directes à la surface relevant du premier pilier octroyées dans la collectivité territoriale de Corse pour les années de demande 2013 et 2014, en raison, notamment, de défaillances constatées dans le système de contrôle des aides à la surface, tout particulièrement du fait que des surfaces inéligibles à ces aides n’avaient pas toujours été écartées, et au motif que ces défaillances avaient déjà été observées dans le cadre de la procédure de conformité couvrant les années de demande 2008 à 2012, mais que les autorités françaises n’avaient pas apporté de modifications dans l’approche suivie à cet égard.

24

Par lettre du 22 juin 2016, les autorités françaises ont saisi l’organe de conciliation au sujet de la correction financière retenue par la Commission en ce qui concernait le département de la Haute-Corse. Elles ont fait valoir, en substance, que l’argument de la Commission pour justifier le rejet du chiffrage qu’elles proposaient à cet égard n’était pas suffisant au regard de la réglementation de l’Union et que la proposition de correction forfaitaire au taux de 100 % concernant le cas de ce département n’était pas conforme aux procédures de chiffrage du préjudice prévues dans cette réglementation.

25

Le 19 décembre 2016, l’organe de conciliation a rendu son avis. Il a, en substance, constaté que la conciliation n’était pas possible à ce stade et considéré qu’une correction forfaitaire au taux de 100 % serait probablement disproportionnée par rapport au risque réel pour le FEAGA. En conséquence, il a invité les services de la Commission à envisager une correction inférieure.

26

Le 21 février 2017, la Commission a arrêté sa position finale par laquelle elle a maintenu sa position, exposée dans la communication officielle du 20 mai 2016. Selon cette institution, une correction forfaitaire au taux de 100 % était justifiée, dans la mesure où les informations disponibles montraient que les déficiences concernant le contrôle des aides dans le département de la Haute-Corse étaient si graves qu’elles constituaient une non-conformité totale aux règles de l’Union et qu’elles généraient un risque très élevé pour le FEAGA.

27

Le 8 novembre 2017, la Commission a adopté la décision litigieuse par laquelle, sous le motif intitulé « Système de contrôle gravement déficient, Corse », elle a notamment imposé à la République française une correction financière de 28973945,46 euros concernant les dépenses relatives aux aides directes à la surface relevant du premier pilier afférentes à la collectivité territoriale de Corse pour les années de demande 2013 et 2014, en raison des défaillances graves constatées dans le système de contrôle desdites aides.

28

Dans le rapport de synthèse joint à la décision litigieuse, la Commission a justifié l’imposition de cette correction financière pour des motifs identiques à ceux qu’elle avait exposés dans sa communication officielle du 20 mai 2016.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

29

Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 janvier 2018, la République française a introduit un recours tendant à l’annulation partielle de la décision litigieuse en invoquant, en substance, cinq moyens.

30

Les troisième et quatrième moyens visaient la partie de la décision litigieuse par laquelle, sous le motif intitulé « Système de contrôle gravement déficient, Corse », la Commission avait infligé à la République française des corrections forfaitaires au taux de 100 % pour le département de la Haute-Corse, pour les années de demande 2013 et 2014 (ci-après les « corrections forfaitaires en cause »). Le troisième moyen était tiré d’une violation du principe de proportionnalité tandis que le quatrième moyen était tiré d’une violation de l’article 34, paragraphe 2, du règlement d’exécution no 908/2014 et de l’obligation de motivation.

31

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que l’ensemble des moyens soulevés par cet État membre à l’appui de son recours devaient être écartés et, partant, a rejeté celui-ci dans son intégralité.

Les conclusions des parties devant la Cour

32

La République française demande à la Cour :

d’annuler partiellement l’arrêt attaqué ;

de statuer définitivement sur le litige en annulant la décision litigieuse en tant qu’elle lui inflige des corrections forfaitaires au taux de 100 % en raison des défaillances dans le système de contrôle des aides à la surface en Haute-Corse, et

de condamner la Commission aux dépens.

33

La Commission conclut au rejet du pourvoi et demande la condamnation de la République française aux dépens.

Sur le pourvoi

Argumentation des parties

34

À l’appui de son pourvoi, la République française soulève un moyen unique, pris de ce que le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant que la Commission était fondée à lui imposer des corrections forfaitaires au taux de 100 % concernant les aides directes à la surface versées en Haute-Corse pour les années de demande 2013 et 2014, en raison de défaillances dans le système de contrôle des aides à la surface dans ce département.

35

Selon la République française, il résulte du point 3.2. des lignes directrices de 2015 que l’application d’un taux de correction supérieur à 25 %, à savoir 100 %, serait justifiée lorsque les défaillances affectant le système de contrôle sont si graves qu’elles constitueraient un non-respect total des règles de l’Union de nature à rendre tous les paiements irréguliers.

36

Seule la réunion de plusieurs critères autoriserait la Commission à fixer un taux de correction supérieur à 25 %. Ainsi, pour justifier l’application d’un taux de correction de 100 % en raison de défaillances graves du système de contrôle, il incomberait à cette institution de démontrer que ce système est complètement étranger à la réglementation de l’Union pertinente, qu’il fait abstraction des éléments de fond du régime d’aide en cause ainsi que de ses objectifs et qu’il ne permet pas, par sa nature, de déceler les pratiques des opérateurs concernés, qui contournent ou manipulent ces éléments de fond.

37

Or, au point 118 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait commis une erreur de droit dans son interprétation du point 3.2. des lignes directrices de 2015 en jugeant que ce ne sont pas tant les carences dans l’application de certains contrôles clés que la méconnaissance des éléments de fond du régime d’aide en cause et de ses objectifs qui justifient l’application d’une correction forfaitaire au taux de 100 %, l’absence de satisfaction de la ou des conditions de fond de l’octroi d’une aide justifiant l’exclusion de la totalité des dépenses.

38

Cette interprétation erronée aurait conduit le Tribunal à commettre une erreur de droit aux points 134 à 136 de l’arrêt attaqué. En effet, après avoir estimé, au point 134 de cet arrêt, qu’une correction forfaitaire au taux de 100 % était justifiée en raison non pas d’un versement d’aides dépourvues de tout fondement juridique en droit de l’Union ou en violation directe des règles du droit de l’Union, mais d’une déficience suffisamment grave du système de contrôle, le Tribunal aurait erronément considéré, aux points 135 et 136 dudit arrêt, que la méconnaissance des conditions de fond relatives à l’octroi du régime d’aide en cause justifiait l’exclusion de la totalité des dépenses.

39

Il en découlerait que le Tribunal aurait confondu, et mis sur un pied d’égalité quant aux conséquences, une méconnaissance complète de l’ensemble des conditions de fond de l’octroi de l’aide, qui justifierait l’exclusion de la totalité des dépenses, et le seul fait que le système de contrôle ferait abstraction d’un élément de fond, alors qu’une telle défaillance ne constituerait que l’un des trois critères de nature à justifier une correction forfaitaire au taux de 100 %, fondée sur une défaillance grave du système de contrôle.

40

Selon la République française, le fait que le système de contrôle méconnaisse une condition de fond du régime des aides à la surface ne suffit pas à lui seul pour justifier l’application d’un taux de correction forfaitaire de 100 %.

41

Enfin, la République française allègue qu’une application correcte des lignes directrices de 2015 aurait dû conduire le Tribunal à rejeter l’application d’un taux de correction forfaitaire de 100 %, dès lors qu’aucun des critères justifiant l’application d’un tel taux ne serait présent.

42

La Commission réfute les arguments de la République française et conclut au rejet du moyen comme étant non fondé.

43

La Commission fait valoir, en substance, que le Tribunal a correctement interprété et appliqué le point 3.2. des lignes directrices de 2015 pour imposer les corrections forfaitaires en cause.

44

Cette institution conteste, d’une part, l’allégation de la République française visant les points 118 et 134 à 136 de l’arrêt attaqué, selon laquelle l’application d’un taux de correction forfaitaire de 100 % serait fondée uniquement sur un dysfonctionnement caractérisé du système de contrôle. Au contraire, l’application de ce taux serait justifiée au regard non seulement d’un dysfonctionnement caractérisé du système de contrôle, mais également d’irrégularités qui affectent l’une des conditions de fond du régime d’aide à la surface et qui n’auraient pas été contestées par la République française.

45

D’autre part, la Commission soutient que le Tribunal a correctement appliqué le point 3.2. des lignes directrices de 2015 pour justifier l’imposition des corrections forfaitaires en cause. En particulier, il résulterait des points 130 et 131 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a constaté le caractère systématique des déficiences ou fraudes, dès lors qu’il y a relevé que l’erreur dans la définition de la surface éligible affectait le système intégré de gestion et de contrôle (SIGC) et que cette erreur avait permis, dans de nombreux cas, aux agriculteurs de déclarer des terres inéligibles aux aides.

46

Par ailleurs, le système de contrôle des aides à la surface serait défaillant au point de considérer qu’il fait abstraction des éléments de fond. En effet, le Tribunal aurait constaté à plusieurs reprises que la définition des surfaces éligibles dans le département de la Haute-Corse méconnaissait une condition essentielle de fond du régime des aides à la surface, à savoir la détermination précise des surfaces.

Appréciation de la Cour

47

Par son moyen unique, la République française fait valoir, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit dans son interprétation du point 3.2. des lignes directrices de 2015 au point 118 de l’arrêt attaqué et que, partant, il a appliqué de manière erronée ce point des lignes directrices lors de son examen de la proportionnalité des corrections forfaitaires en cause, aux points 134 à 136 de l’arrêt attaqué.

48

Au regard des arguments avancés par les parties dans ce contexte, il convient d’apporter, dans un premier temps, des précisions sur le fondement juridique des corrections financières, leurs conditions d’application ainsi que le contrôle juridictionnel dont ces corrections font l’objet par le Tribunal. Dans un second temps, il conviendra d’examiner si c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, aux points 134 à 136 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait correctement justifié l’exclusion de la totalité des dépenses relatives aux aides à la surface dans le département de la Haute-Corse en se limitant à constater la méconnaissance des conditions de fond du régime d’aide en cause.

49

Conformément à l’article 52, paragraphe 1, du règlement no 1306/2013, lorsque la Commission considère que des dépenses n’ont pas été effectuées conformément au droit de l’Union, cette institution adopte une décision déterminant les montants à exclure du financement de l’Union. Aux termes du paragraphe 2 de cet article, la Commission évalue les montants à exclure au vu, notamment, de l’importance de la non-conformité constatée. À cet effet, elle tient compte de la nature de l’infraction, ainsi que du préjudice financier causé à l’Union. En outre, elle fonde l’exclusion sur la mise en évidence des montants indûment dépensés et, lorsque ceux-ci ne peuvent être mis en évidence en déployant des efforts proportionnés, elle peut appliquer, notamment, des corrections forfaitaires. Des corrections forfaitaires ne sont appliquées que lorsque, en raison de la nature du cas ou parce que l’État membre n’a pas fourni les informations nécessaires à la Commission, il n’est pas possible, en déployant des efforts proportionnés, de déterminer plus précisément le préjudice financier causé à l’Union.

50

Ainsi, une distinction est opérée entre les corrections ponctuelles des montants indûment dépensés par les États membres et les corrections forfaitaires. Par conséquent, il convient, y compris lorsque la Commission décide, comme dans la présente affaire, d’écarter du financement de l’Union la totalité des aides versées, de distinguer, ainsi que l’a également relevé M. l’avocat général au point 34 de ses conclusions, la situation où un État membre a procédé au versement de ces aides en l’absence de tout fondement juridique en droit de l’Union, justifiant l’imposition d’une correction ponctuelle à un taux de 100 % de celle où, bien que le fondement juridique existe, le système de contrôle mis en œuvre est gravement défaillant et de nature à rendre tous les versements irréguliers et où la Commission imposerait une correction forfaitaire à un taux de 100 %.

51

À cet égard, en premier lieu, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que le FEAGA ne finance que les interventions effectuées conformément aux dispositions de l’Union dans le cadre de l’organisation commune des marchés agricoles. Ainsi, seuls les montants versés en conformité avec les règles établies dans le cadre de cette organisation commune sont mis à la charge du FEAGA. Reste donc à la charge des États membres tout autre montant versé, notamment les montants que les autorités nationales se sont à tort estimées autorisées à payer dans le cadre de cette organisation commune (voir, en ce sens, arrêt du 18 avril 2002, Belgique/Commission, C‑332/00, EU:C:2002:235, points 35 et 44).

52

Ainsi, dans la situation où la totalité des aides versées a été octroyée en l’absence de tout fondement juridique en droit de l’Union, ces aides sont exclues du financement de l’Union, indépendamment de la constatation d’irrégularités ou de négligence dans le chef des autorités nationales (voir, en ce sens, arrêt du 18 avril 2002, Belgique/Commission, C‑332/00, EU:C:2002:235, point 36).

53

Dans une telle situation, la Commission, qui ne dispose d’aucune marge d’appréciation pour accepter ou rejeter une dépense du financement de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 18 avril 2002, Belgique/Commission, C‑332/00, EU:C:2002:235, points 36 et 45) doit établir que les aides exclues ont effectivement été versées en l’absence de tout fondement juridique.

54

En cas de recours en annulation d’une décision imposant une correction ponctuelle, le Tribunal doit, ainsi que l’a, en substance, indiqué M. l’avocat général au point 44 de ses conclusions, vérifier, eu égard aux moyens avancés devant lui, si la Commission a établi que les aides versées par l’État membre en cause et exclues du financement de l’Union méconnaissaient effectivement les conditions de fond du régime d’aide concerné, de telle sorte que l’intégralité de ces aides ont été octroyées en dehors de ce régime.

55

En second lieu, la Commission peut justifier l’exclusion de la totalité des aides versées sous la forme d’une correction forfaitaire à un taux de 100 % en raison de la mise en œuvre d’un système de contrôle gravement déficient par l’État membre concerné.

56

Ainsi qu’il ressort du point 49 du présent arrêt, l’imposition d’une correction forfaitaire n’est possible que lorsque, en raison de la nature du cas ou parce que l’État membre n’a pas fourni les informations nécessaires à la Commission, il n’est pas possible, en déployant des efforts proportionnés, de déterminer plus précisément le préjudice financier causé à l’Union.

57

À cet égard, il ressort de l’article 12, paragraphe 7, sous c), du règlement no 907/2014 que, pour établir le niveau d’une correction forfaitaire, la Commission tient spécifiquement compte de circonstances qui indiquent un degré de gravité des lacunes constatées et, partant, un risque accru de perte pour le budget de l’Union, telles que l’application par l’État membre d’un système de contrôle jugée absente ou gravement déficiente ainsi que l’existence de preuves d’irrégularités et de négligence importantes dans la lutte contre les pratiques irrégulières ou frauduleuses.

58

Conformément au point 3.2. des lignes directrices de 2015, dans de telles circonstances, la Commission applique, en principe, une correction forfaitaire à un taux de 25 %. Cela étant, elle peut fixer un taux de correction à un niveau encore plus élevé. Ainsi, une correction forfaitaire à un taux de 100 % est justifiée lorsque les déficiences du système de contrôle sont si graves qu’elles constituent un non-respect total des règles de l’Union de nature à rendre tous les paiements irréguliers.

59

Il s’ensuit que l’application d’une correction forfaitaire à un taux de 100 % constitue la mesure ultime, lorsque, sans qu’il soit possible d’établir précisément le préjudice financier causé à l’Union, il peut néanmoins être présumé, eu égard à la gravité extrême des déficiences du système de contrôle, que tous les paiements sont irréguliers. Il en découle que l’application d’un tel taux de correction forfaitaire doit être entourée de conditions strictes.

60

Au regard de ce qui précède, et à la lumière des considérations exposées par M. l’avocat général aux points 52 à 58 de ses conclusions, une correction forfaitaire à un taux de 100 % ne peut être appliquée que si les déficiences d’un système de contrôle donné présentent un degré de gravité tel qu’elles constituent un non-respect total des règles de l’Union de nature à rendre tous les paiements irréguliers, ce qui présuppose que, premièrement, ce système de contrôle est complètement étranger à la réglementation de l’Union pertinente, deuxièmement, il fait abstraction des éléments de fond du régime d’aide en cause ainsi que de ses objectifs et, troisièmement, il ne permet pas, du fait de sa nature, de déceler les pratiques des opérateurs concernés, qui contournent ou manipulent ces éléments de fond. Il revient à la Commission d’établir la réunion de ces trois conditions.

61

En cas de recours en annulation d’une décision imposant une telle correction forfaitaire, comme M. l’avocat général l’a mentionné au point 45 de ses conclusions, le Tribunal doit contrôler, eu égard aux moyens avancés devant lui, le bien-fondé de l’appréciation de la Commission quant à l’application d’un taux de correction forfaitaire donné au regard du risque de perte réelle subi par le budget de l’Union et, tout particulièrement, des trois critères exposés au point précédent.

62

En l’espèce, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort du point 36 de l’arrêt attaqué et du rapport de synthèse joint à la décision litigieuse, la Commission a fondé l’imposition des corrections forfaitaires en cause sur l’existence d’un risque généré pour le FEAGA par un système de contrôle gravement déficient dans le département de la Haute-Corse pour les années de demande 2013 et 2014.

63

Il en découle que, dans le cadre de son contrôle de la proportionnalité des corrections forfaitaires en cause, il incombait, en l’espèce, au Tribunal de vérifier si la Commission avait établi que les trois critères cumulatifs justifiant l’imposition d’une correction forfaitaire à un taux de 100 % énoncés au point 60 du présent arrêt étaient réunis.

64

Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé ces critères au point 117 de cet arrêt, avant d’en déduire, au point 118 dudit arrêt, que ce ne sont pas tant les carences dans l’application des contrôles clés que la méconnaissance des éléments de fond du régime d’aide en cause et de ses objectifs qui justifient l’application d’une correction forfaitaire à un taux de 100 % et que l’absence de satisfaction des conditions de fond de l’octroi d’une aide suffisait pour justifier l’exclusion de la totalité des dépenses.

65

Ce faisant, le Tribunal a commis une erreur de droit en assimilant la justification relative à l’imposition d’une correction forfaitaire à un taux de 100 % à celle relative à une correction financière visant la totalité des aides octroyées en l’absence de tout fondement juridique.

66

Cette erreur a également entaché le contrôle, par le Tribunal, de la proportionnalité des corrections forfaitaires en cause.

67

Ainsi, après avoir rappelé, aux points 130 à 133 de l’arrêt attaqué, les irrégularités affectant le SIGC mis en place dans le département de la Haute-Corse, constatées par la Commission, et avoir jugé que ces irrégularités attestaient de l’existence d’un dysfonctionnement suffisamment grave du système de contrôle, le Tribunal a jugé, aux points 134 à 136 de l’arrêt attaqué, que les corrections forfaitaires en cause pouvaient être justifiées en raison de la méconnaissance des conditions de fond du régime d’aide à la surface. Or, le Tribunal a omis d’examiner si la Commission avait bien démontré la réunion des trois critères cumulatifs énoncés au point 60 du présent arrêt.

68

Plus particulièrement, il lui incombait, au titre de l’examen du premier critère, de vérifier si le système de contrôle mis en place dans le département de la Haute-Corse était complètement étranger aux conditions d’éligibilité des surfaces requises aux fins de l’octroi d’une aide à la surface. Or, en se bornant, aux points 130 à 133 de l’arrêt attaqué, à se fonder sur des interprétations erronées et persistantes de la notion de « pâturages permanents », au sens de l’article 2, sous c), du règlement no 1120/2009, retenues par les autorités françaises, ainsi que sur la prise en compte de particularités topographiques pour déduire qu’un tel système n’était nécessairement pas apte à permettre aux autorités françaises de déceler les erreurs afférentes à la détermination des surfaces agricoles, le Tribunal n’a pas établi que le système de contrôle mis en place dans le département de la Haute-Corse était complètement étranger aux conditions d’éligibilité des surfaces requises aux fins de l’octroi d’une aide à la surface.

69

Au titre de l’examen du deuxième critère, il appartenait au Tribunal de vérifier si la Commission avait identifié à tout le moins une défaillance affectant le système de contrôle mis en place en Haute-Corse, susceptible de rendre tous les paiements irréguliers. À cet égard, l’appréciation figurant au point 134 de l’arrêt attaqué selon laquelle, sur la base du SIGC mis en place en Haute-Corse, des surfaces inéligibles ont été admises de manière quasi systématique ne saurait suffire pour considérer que tous les paiements étaient susceptibles d’être irréguliers.

70

Comme l’a relevé M. l’avocat général au point 77 de ses conclusions, le fait qu’un système de contrôle méconnaisse les conditions de fond d’un régime d’aide ne saurait suffire en tant que tel pour justifier l’imposition d’une correction forfaitaire à un taux de 100 %, dans la mesure où cette méconnaissance n’est pas susceptible, à elle seule, de rendre tous les paiements irréguliers.

71

Au titre du troisième critère, il appartenait encore au Tribunal d’examiner s’il existait des éléments de preuve susceptibles d’étayer que le système de contrôle mis en place en Haute-Corse témoignait des négligences importantes des autorités de contrôle dans la lutte contre les pratiques irrégulières ou frauduleuses.

72

Dès lors, le Tribunal n’a pu juger sans commettre d’erreur de droit que la Commission était fondée à imposer une correction forfaitaire à un taux de 100 % en se fondant sur la circonstance que les déficiences dans le SIGC méconnaissaient les conditions de fond du régime d’aide en cause et, partant, étaient si graves qu’elles constituaient un non-respect total des règles de l’Union de nature à rendre tous les paiements irréguliers.

73

Par conséquent, il y a lieu d’accueillir le moyen unique au soutien du pourvoi et d’annuler l’arrêt attaqué, en ce que le Tribunal a rejeté le recours de la République française portant sur la décision litigieuse en tant qu’elle lui a imposé des corrections forfaitaires à un taux de 100 % en raison de défaillances dans le système de contrôle des aides à la surface dans le département de la Haute-Corse pour les années de demande 2013 et 2014.

Sur le recours devant le Tribunal

74

Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, celle-ci peut, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour que celui-ci statue, soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

75

En l’espèce, la Cour estime qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer elle-même sur le recours introduit par la République française portant sur la décision litigieuse en ce que, sous le motif intitulé « Système de contrôle gravement déficient, Corse », elle impose à cet État membre des corrections forfaitaires à un taux de 100 % appliquées aux aides directes à la surface octroyées en Haute-Corse pour les années de demande 2013 et 2014, en raison des défaillances dans le système de contrôle des aides à la surface en Haute-Corse.

76

Par son troisième moyen soulevé devant le Tribunal, la République française a, en substance, fait valoir que l’application de corrections forfaitaires à un taux de 100 % à toutes les aides à la surface du premier pilier octroyées dans le département de la Haute-Corse est disproportionnée. Elle estime, notamment, que les conditions d’application d’un taux de correction forfaitaire de 100 % prévues dans les lignes directrices de 2015 ne sont pas réunies en l’espèce.

77

La Commission réfute ces arguments et conclut au rejet de ce moyen. Elle souligne que les erreurs rencontrées lors d’enquêtes précédentes à celle ayant conduit à l’adoption de la décision litigieuse ont persisté après l’année 2014, de telle sorte que l’imposition d’une correction forfaitaire à un taux de 100 % demeurait la plus appropriée en l’absence de démonstration, par la République française, de changements. En outre, la Commission aurait constaté des défaillances graves et une méconnaissance persistante des conditions essentielles pour l’octroi des aides directes à la surface en raison d’une définition imprécise des surfaces fourragères peu productives, permettant aux agriculteurs de déclarer des surfaces non-admissibles et ayant entraîné la non-exclusion de ces surfaces. De telles défaillances justifieraient l’adoption d’une correction forfaitaire à un taux de 100 %.

78

Ainsi qu’il ressort du point 60 du présent arrêt, une correction forfaitaire à un taux de 100 % adoptée en raison des défaillances constatées dans le système de contrôle des aides à la surface trouve à s’appliquer, en application du point 3.2. des lignes directrices de 2015, lorsqu’un système de contrôle existant est complètement étranger à la réglementation de l’Union pertinente, fait abstraction des éléments de fond du régime d’aide en cause et de ses objectifs et ne permet même pas, du fait de sa nature, de déceler les pratiques des opérateurs concernés qui contournent ou manipulent ces éléments de fond.

79

À cet égard, il y a lieu de constater que la Commission a justifié, dans le rapport de synthèse joint à la décision litigieuse, l’application d’un taux de correction forfaitaire de 100 % au regard de la situation singulière du département de la Haute-Corse, après avoir constaté, dans ce rapport, des déficiences majeures liées à la définition des superficies éligibles qui entachaient le système de gestion et de contrôle des aides à la surface dans ce département. La Commission indiquait que ces déficiences avaient déjà été observées pour les années de demande 2008 à 2012 et que, en l’absence de modifications dans l’approche suivie par les autorités françaises, une correction forfaitaire à un taux de 100 % devait être appliquée également pour les années de demande 2013 et 2014.

80

Or, il découle des considérations énoncées aux points 58 à 71 du présent arrêt que l’application d’un taux de correction forfaitaire de 100 % suppose que la Commission établisse qu’une telle correction se justifie au regard de la réunion des trois critères cumulatifs énoncés au point 60 du présent arrêt, permettant de considérer que la totalité des demandes sont entachées d’irrégularité. Partant, cette institution n’était pas fondée à imposer les corrections forfaitaires en cause à la République française sur la seule base de déficiences liées à la définition des superficies éligibles qui entachaient le système de gestion et de contrôle des aides à la surface dans le département de la Haute-Corse.

81

Il s’ensuit qu’il y a lieu d’accueillir le troisième moyen du recours de la République française, tiré d’une violation du principe de proportionnalité par la Commission dans l’application des corrections forfaitaires en cause et, par conséquent, d’annuler la décision litigieuse en ce que, sous le motif intitulé « Système de contrôle gravement déficient, Corse », elle lui a imposé ces corrections forfaitaires.

Sur les dépens

82

Conformément à l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi est fondé et que la Cour juge elle-même définitivement, elle statue sur les dépens.

83

L’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, rendu applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, dispose que toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. L’article 138, paragraphe 3, dudit règlement prévoit toutefois que la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.

84

La République française ayant obtenu gain de cause dans le cadre du présent pourvoi et cet État membre ayant conclu à la condamnation de la Commission aux dépens, il y a lieu de condamner cette dernière à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la République française dans le cadre du pourvoi.

85

La République française ayant obtenu gain de cause sur un chef de conclusions présenté en première instance, mais ayant succombé en ses trois autres chefs, il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en décidant que la République française supportera, outre les trois quarts de ses dépens exposés en première instance, les trois quarts de ceux exposés par la Commission en première instance, tandis que la Commission supportera, outre un quart de ses propres dépens exposés en première instance, un quart de ceux exposés par la République française.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

 

1)

L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 12 mars 2019, France/Commission (T‑26/18, non publié, EU:T:2019:153), est annulé en tant, d’une part, que le Tribunal a rejeté le recours de la République française portant sur la décision d’exécution (UE) 2017/2014 de la Commission, du 8 novembre 2017, écartant du financement de l’Union européenne certaines dépenses effectuées par les États membres au titre du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), en ce que, sous le motif intitulé « Système de contrôle gravement déficient, Corse », elle a imposé à cet État membre des corrections forfaitaires à un taux de 100 % appliquées aux aides directes à la surface octroyées en Haute-Corse pour les années de demande 2013 et 2014, en raison des défaillances dans le système de contrôle des aides à la surface en Haute-Corse, et, d’autre part, qu’il a statué sur les dépens.

 

2)

La décision d’exécution 2017/2014 est annulée en ce que, sous le motif intitulé « Système de contrôle gravement déficient, Corse », elle impose à la République française les corrections forfaitaires à un taux de 100 % appliquées aux aides directes à la surface octroyées en Haute-Corse pour les années de demande 2013 et 2014, en raison des défaillances dans le système de contrôle des aides à la surface en Haute-Corse.

 

3)

La Commission européenne supporte, outre ses propres dépens relatifs à la procédure de pourvoi et un quart de ceux qu’elle a exposés en première instance, ceux exposés par la République française relatifs à la procédure de pourvoi et un quart des dépens exposés par cet État membre en première instance.

 

4)

La République française supporte, outre les trois quarts de ses propres dépens afférents à la procédure de première instance, les trois quarts des dépens exposés par la Commission afférents à la même procédure.

 

Vilaras

Piçarra

Šváby

Rodin

Jürimäe

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 décembre 2020.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de la IVème chambre

M. Vilaras


( *1 ) Langue de procédure : le français.