ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

17 décembre 2020 ( *1 )

« Manquement d’État – Article 343 TFUE – Privilèges et immunités de l’Union européenne – Statuts du Système européen de banques centrales (SEBC) et de la Banque centrale européenne (BCE) – Article 39 – Privilèges et immunités de la BCE – Protocole sur les privilèges et immunités de l’Union européenne – Articles 2, 18 et 22 – Principe de l’inviolabilité des archives de la BCE – Saisie de documents dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie – Documents liés à l’accomplissement des missions du SEBC et de l’Eurosystème – Article 4, paragraphe 3, TUE – Principe de coopération loyale »

Dans l’affaire C‑316/19,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 16 avril 2019,

Commission européenne, représentée par M. L. Flynn et Mme B. Rous Demiri, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenue par :

Banque centrale européenne (BCE), représentée par Mmes K. Kaiser et C. Zilioli ainsi que par MM. F. Malfrère et A. Šega, en qualité d’agents, assistés de Me D. Sarmiento Ramírez-Escudero, abogado,

partie intervenante,

contre

République de Slovénie, représentée par Mmes V. Klemenc, A. Grum, N. Pintar Gosenca et K. Rejec Longar, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme R. Silva de Lapuerta, vice–présidente, MM. J.–C. Bonichot, A. Arabadjiev, Mme A. Prechal, MM. L. Bay Larsen, N. Piçarra et A. Kumin, présidents de chambre, M. T. von Danwitz, Mme C. Toader, MM. M. Safjan, D. Šváby, P. G. Xuereb (rapporteur), Mme L. S. Rossi et M. I. Jarukaitis, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. M. Longar, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 22 juin 2020,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 3 septembre 2020,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en procédant unilatéralement à la saisie de documents liés à l’accomplissement des missions du Système européen de banques centrales (SEBC) et de l’Eurosystème dans les locaux de la Banka Slovenije (Banque centrale de Slovénie) et en ne coopérant pas loyalement avec la Banque centrale européenne (BCE) en la matière, la République de Slovénie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 343 TFUE, de l’article 39 du protocole (no 4) sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne (JO 2016, C 202, p. 230, ci-après le « protocole sur le SEBC et la BCE »), des articles 2, 18 et 22 du protocole (no 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne (JO 2016, C 202, p. 266, ci-après le « protocole sur les privilèges et immunités ») et de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

Le cadre juridique

Le protocole sur le SEBC et la BCE

2

L’article 1er du protocole sur le SEBC et la BCE est libellé comme suit :

« Conformément à l’article 282, paragraphe 1, [TFUE], la [BCE] et les banques centrales nationales constituent le [SEBC]. La BCE et les banques centrales nationales des États membres dont la monnaie est l’euro constituent l’Eurosystème.

Le SEBC et la BCE remplissent leurs fonctions et exercent leurs activités conformément aux dispositions des traités et des présents statuts. »

3

L’article 8 de ce protocole dispose :

« Le SEBC est dirigé par les instances de décision de la BCE. »

4

L’article 9.2 dudit protocole énonce :

« La BCE veille à ce que les missions conférées au SEBC en vertu de l’article 127, paragraphes 2, 3 et 5, [TFUE] soient exécutées par ses propres activités, conformément aux présents statuts, ou par les banques centrales nationales, conformément aux articles 12.1 et 14. »

5

Aux termes de l’article 9.3 du même protocole :

« Conformément à l’article 129, paragraphe 1, [TFUE], les organes de décision de la BCE sont le conseil des gouverneurs et le directoire. »

6

L’article 10.1 du protocole sur le SEBC et la BCE prévoit ce qui suit :

« Conformément à l’article 283, paragraphe 1, [TFUE], le conseil des gouverneurs se compose des membres du directoire et des gouverneurs des banques centrales nationales des États membres dont la monnaie est l’euro. »

7

L’article 14.3 de ce protocole est libellé comme suit :

« Les banques centrales nationales font partie intégrante du SEBC et agissent conformément aux orientations et aux instructions de la BCE. Le conseil des gouverneurs prend les mesures nécessaires pour assurer le respect des orientations et des instructions de la BCE, et exige que toutes les informations nécessaires lui soient fournies. »

8

L’article 39 dudit protocole dispose :

« La BCE jouit sur le territoire des États membres des privilèges et immunités nécessaires à l’accomplissement de ses missions, selon les conditions définies au [protocole sur les privilèges et immunités]. »

Le protocole sur les privilèges et immunités

9

Le préambule du protocole sur les privilèges et immunités est libellé comme suit :

« Considérant que, aux termes des articles 343 [TFUE] et 191 [EA], l’Union européenne et la [Communauté européenne de l’énergie atomique] jouissent sur le territoire des États membres des immunités et privilèges nécessaires à l’accomplissement de leur mission ».

10

L’article 1er de ce protocole dispose :

« Les locaux et les bâtiments de l’Union sont inviolables. Ils sont exempts de perquisition, réquisition, confiscation ou expropriation. Les biens et avoirs de l’Union ne peuvent être l’objet d’aucune mesure de contrainte administrative ou judiciaire sans une autorisation de la Cour de justice. »

11

L’article 2 dudit protocole énonce :

« Les archives de l’Union sont inviolables. »

12

Aux termes de l’article 18 du même protocole :

« Pour l’application du présent protocole, les institutions de l’Union agissent de concert avec les autorités responsables des États membres intéressés. »

13

L’article 22, premier alinéa, du protocole sur les privilèges et immunités prévoit ce qui suit :

« Le présent protocole s’applique également à la [BCE], aux membres de ses organes et à son personnel, sans préjudice des dispositions du protocole sur [le SEBC et la BCE]. »

Les antécédents du litige

14

Depuis le mois de février 2015, la Banque centrale de Slovénie et les autorités répressives slovènes (ci-après les « autorités slovènes ») ont eu des échanges au sujet d’une enquête menée par ces dernières et visant certains agents de cette banque centrale, dont le gouverneur alors en fonction (ci-après le « gouverneur »), qui faisaient l’objet de soupçons d’abus de pouvoir et de fonctions officielles dans le cadre de la restructuration, en 2013, d’une banque slovène. Dans le cadre de ces échanges, la Banque centrale de Slovénie a transmis aux autorités slovènes, à la demande de ces dernières, certaines informations et certains documents, lesquels n’étaient pas liés à l’accomplissement des missions du SEBC et de l’Eurosystème. Les autorités slovènes ont, cependant, estimé que la Banque centrale de Slovénie n’avait pas fourni toutes les informations et tous les documents demandés.

15

Le 6 juillet 2016, sur le fondement de deux ordonnances de l’Okrožno sodišče v Ljubljani (tribunal régional de Ljubljana, Slovénie), des 30 juin et 6 juillet 2016, les autorités slovènes ont procédé, dans le cadre de l’enquête susmentionnée, à une perquisition et à une saisie de documents dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie.

16

Bien que la Banque centrale de Slovénie ait fait valoir que ces mesures concernaient des « archives de la BCE », protégées par le protocole sur les privilèges et immunités, auxquelles les autorités slovènes ne devaient pas avoir accès sans l’accord exprès de la BCE, ces dernières ont poursuivi cette perquisition et cette saisie de documents sans associer la BCE.

17

Les autorités slovènes ont notamment saisi, outre des documents sur support physique, des documents électroniques, provenant du serveur informatique de la Banque centrale de Slovénie, ainsi que les ordinateurs personnels des personnes soupçonnées. Les documents saisis, que détenait le gouverneur, comprenaient toutes les communications effectuées par l’intermédiaire du compte de messagerie électronique de celui-ci, tous les documents électroniques se trouvant sur son poste de travail et sur son ordinateur portable, portant sur la période comprise entre l’année 2012 et l’année 2014, indépendamment de leur contenu, ainsi que des documents relatifs à cette période et se trouvant dans le bureau du gouverneur. Les autorités slovènes ont également saisi tous les documents électroniques enregistrés sur le serveur informatique de la Banque centrale de Slovénie, se rapportant au gouverneur, pour ladite période.

18

Le même jour, le président de la BCE a, dans une lettre adressée aux autorités slovènes, formellement contesté la saisie de documents effectuée par ces dernières, en invoquant le principe de l’inviolabilité des archives de la BCE. Il s’est notamment plaint du fait que rien n’avait été entrepris par ces autorités pour trouver une solution permettant de concilier la conduite de l’enquête menée par celles-ci et le principe de l’inviolabilité des archives de la BCE.

19

Lors des échanges qui ont suivi entre la BCE et les autorités slovènes, ces dernières ont informé la BCE, le 7 juillet 2016, que ce ne serait qu’après réception des documents saisis que les éventuelles objections tenant aux privilèges et immunités de la BCE seraient examinées.

20

Le 26 juillet 2016, la BCE a proposé aux autorités slovènes de s’accorder sur une méthodologie aux fins de l’identification des documents saisis appartenant à ses archives, ce qui permettrait d’exclure ces documents d’une appréciation immédiate pendant l’enquête et donnerait à la BCE la possibilité de déterminer s’il convenait de lever la protection à leur égard.

21

Le 27 juillet 2016, le procureur d’État en charge de l’affaire (ci-après le « procureur d’État ») a informé la BCE qu’il considérait que cette proposition était constitutive d’une ingérence dans l’enquête en cause. Il s’est toutefois montré ouvert à la poursuite de l’examen des préoccupations manifestées par la BCE et s’est déclaré disposé à rencontrer des représentants de cette dernière à la fin du mois d’août 2016.

22

Le 5 août 2016, la BCE a formé un recours contre les deux ordonnances de l’Okrožno sodišče v Ljubljani (tribunal régional de Ljubljana) visées au point 15 du présent arrêt devant l’Upravno sodišče (Tribunal administratif, Slovénie), qui a été rejeté par ce dernier par décision du 9 août 2016. Le pourvoi introduit par la BCE contre cette décision a été rejeté, le 11 octobre 2016, par le Vrhovno sodišče (Cour suprême, Slovénie).

23

Le 16 août 2016, le procureur d’État a informé la BCE qu’il avait décidé de reporter la tenue de la réunion prévue avec les représentants de cette dernière, tout en indiquant qu’il avait donné instruction à la police slovène de ne pas examiner les documents saisis tant qu’il n’aurait pas arrêté de position définitive concernant la question de la coopération avec la BCE.

24

Le 27 octobre 2016, le procureur d’État a indiqué à la BCE que les enquêteurs commenceraient à sécuriser les données électroniques saisies, conformément au Zakon o kazenskem postopku (code de procédure pénale), dès le 17 novembre suivant, et que le représentant de la BCE était invité à participer à cette procédure de sécurisation, laquelle impliquait la création de copies de ces données. Le 11 novembre 2016, le représentant de la BCE a accepté cette invitation.

25

La procédure de sécurisation ayant été planifiée entre le 17 novembre et le 24 décembre 2016 et la réunion entre la BCE et le procureur d’État ayant été prévue pour le 18 novembre de la même année, la BCE a déposé, le 16 novembre 2016, une demande en référé auprès de l’Okrožno sodišče v Ljubljani (tribunal régional de Ljubljana), afin que la suspension de cette procédure de sécurisation des documents électroniques saisis soit ordonnée.

26

Par ordonnance du 17 novembre 2016, l’Okrožno sodišče v Ljubljani (tribunal régional de Ljubljana) a rejeté cette demande. Selon cette juridiction, les données et les documents saisis par les autorités slovènes ne constituaient pas des « archives de la BCE » protégées par le protocole sur les privilèges et immunités.

27

La procédure de sécurisation des données électroniques saisies par les autorités slovènes s’est déroulée entre le 17 novembre et le 15 décembre 2016. Le représentant de la BCE, qui était présent lors de cette procédure, a invoqué expressément une violation des « archives de la BCE ».

28

Le 17 janvier 2017, la BCE a introduit un recours constitutionnel contre l’ordonnance visée au point 26 du présent arrêt, en invoquant des droits procéduraux fondamentaux énoncés dans l’Ustava Republike Slovenije (Constitution de la République de Slovénie), notamment le droit au juge légal. Dans le cadre de ce recours constitutionnel, la BCE a souligné qu’elle estimait que la Cour devait être saisie d’une demande de décision préjudicielle en interprétation de l’article 2 du protocole sur les privilèges et immunités. Le 19 avril 2018, l’Ustavno sodišče (Cour constitutionnelle, Slovénie) a rejeté ce recours, au motif que la BCE n’était pas titulaire des droits procéduraux fondamentaux qu’elle invoquait.

29

Par courrier électronique du 15 mai 2017, le procureur d’État a informé le représentant de la BCE que la police slovène était désormais en train d’examiner les documents saisis et qu’il avait donné instruction à cette dernière de retirer du dossier, d’une part, tous les documents officiellement et formellement émis par la BCE et, d’autre part, tous les courriers électroniques transmis par la BCE en tant qu’expéditrice et reçus par la Banque centrale de Slovénie en tant que destinataire. Le procureur d’État a proposé à la BCE d’examiner ces documents, sous réserve de l’accord de la Banque centrale de Slovénie, afin qu’elle puisse s’exprimer sur l’atteinte éventuelle à ses missions et à ses fonctions résultant de l’utilisation desdits documents aux fins de l’enquête et d’une procédure pénale. Il a souligné que, en présence d’une telle atteinte, il demanderait à ce que l’affaire soit traitée à huis clos ou qu’il soit ordonné que l’examen au fond de l’affaire demeure confidentiel. Le procureur d’État a conclu en se déclarant ouvert aux propositions et suggestions de la BCE, à l’exception d’une quelconque demande visant à faire interdire l’enquête ou à obtenir la restitution des documents saisis.

30

Dans sa réponse du 29 mai 2017, la BCE a proposé que les deux parties se rencontrent pour échanger plus amplement sur une coopération mutuelle en vue de garantir l’inviolabilité de ses archives.

31

Lors d’une réunion du 12 juin 2017 avec le procureur d’État, la BCE a souligné qu’elle était d’avis que ses archives comprenaient, premièrement, les documents élaborés par elle-même dans l’accomplissement de ses missions, deuxièmement, les communications entre elle et les banques centrales nationales qui étaient nécessaires à l’accomplissement des missions du SEBC ou de l’Eurosystème et, troisièmement, les documents élaborés par ces banques centrales destinés à l’accomplissement des missions du SEBC ou de l’Eurosystème. Elle a également soutenu que, avant que de tels documents puissent être utilisés dans le cadre d’une procédure pénale menée par des autorités nationales, elle devait lever la protection dont bénéficient ces documents. La BCE a toutefois indiqué qu’elle ne s’opposerait pas à une telle levée si cela était dans l’intérêt de la procédure menée par les autorités nationales et n’était pas contraire à ses propres intérêts, protégés par le protocole sur les privilèges et immunités.

32

Bien que le procureur d’État et la BCE ne se soient pas mis d’accord sur l’interprétation de la notion d’« archives de la BCE », ni sur la teneur de l’obligation de coopération loyale, ils se sont accordés pour poursuivre la discussion sur leur coopération future et sont convenus que la BCE devait, au stade suivant, élaborer une proposition de critères d’identification des documents couverts selon elle par cette notion.

33

Le 13 février 2018, la BCE a transmis au procureur d’État sa proposition relative à l’identification des documents faisant partie des archives de la BCE. À cet égard, elle a suggéré qu’il conviendrait d’identifier, dans un premier temps, les documents émanant d’elle-même et les documents qu’elle avait envoyés à la Banque centrale de Slovénie ou au personnel de cette dernière et, dans un second temps, les documents que la Banque centrale de Slovénie avait élaborés dans le cadre de l’accomplissement des missions du SEBC ou de l’Eurosystème. La BCE a en outre proposé que la police slovène restitue à la Banque centrale de Slovénie tous les documents qu’elle n’estimait pas pertinents pour l’enquête.

34

Lors d’une réunion qui a eu lieu le 13 juin 2018, le procureur d’État a informé la BCE que la police slovène avait terminé l’examen des documents saisis et qu’il attendait, pour l’automne, un rapport présentant les conclusions finales de cette dernière. Tout en confirmant que des divergences persistaient sur l’interprétation de la notion d’« archives de la BCE », il a fait observer que tous les documents dénués de pertinence pour l’enquête seraient détruits ou renvoyés à la personne auprès de laquelle ils avaient été saisis. Il a également déclaré que la BCE aurait la possibilité d’examiner tous les documents répondant aux critères qu’il avait proposés dans son courrier électronique du 15 mai 2017, visé au point 29 du présent arrêt, une fois que la police slovène aurait établi son rapport final. Toutefois, afin d’éviter que la BCE n’interfère dans les procédures en cours, les documents utilisés pour ce rapport final ne seraient pas communiqués à celle–ci tant que la police slovène ne les aurait pas remis au parquet.

La procédure précontentieuse et la procédure devant la Cour

35

Le 9 décembre 2016, la Commission a envoyé une lettre à la République de Slovénie, dans le cadre de la procédure « EU Pilot », lui faisant part de ses doutes quant à l’application correcte des articles 2 et 22 du protocole sur les privilèges et immunités, s’agissant de la saisie de documents effectuée dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie le 6 juillet 2016. La République de Slovénie a répondu à cette lettre par une lettre du 23 janvier 2017.

36

Le 28 avril 2017, la Commission a adressé à la République de Slovénie une lettre de mise en demeure, dans laquelle elle a souligné que, en procédant à une perquisition et à une saisie de documents dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie, la République de Slovénie avait manqué à son obligation de respecter le principe de l’inviolabilité des archives de la BCE, en violation de l’article 343 TFUE, de l’article 39 du protocole sur le SEBC et la BCE ainsi que des articles 2 et 22 du protocole sur les privilèges et immunités. Elle a également informé la République de Slovénie qu’elle considérait que les autorités slovènes n’avaient pas mené de discussions constructives sur cette question avec la BCE, contrairement à ce qu’exige le principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE et à l’article 18 du protocole sur les privilèges et immunités.

37

La République de Slovénie a répondu à cette lettre de mise en demeure par un courrier du 21 juin 2017, dans lequel elle a souligné que les documents saisis ne pouvaient relever de la notion d’« archives de la BCE », au sens du protocole sur les privilèges et immunités.

38

Estimant que la réponse apportée par la République de Slovénie n’était pas satisfaisante, la Commission a émis, le 20 juillet 2018, un avis motivé, dans lequel elle a invité la République de Slovénie à prendre les mesures nécessaires pour se conformer à cet avis dans un délai de deux mois à compter de la réception dudit avis.

39

Le 11 septembre suivant, la République de Slovénie, dans sa réponse au même avis motivé, a contesté le manquement reproché par la Commission.

40

Dans ces conditions, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

41

Par décision du président de la Cour du 23 juillet 2019, la BCE a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la Commission.

Sur le recours

Sur le premier grief, tiré de l’atteinte au principe de l’inviolabilité des archives de la BCE

Argumentation des parties

42

La Commission, soutenue par la BCE, fait valoir que, en procédant unilatéralement à une saisie de documents liés à l’accomplissement des missions du SEBC et de l’Eurosystème dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie, la République de Slovénie a porté atteinte au principe de l’inviolabilité des archives de la BCE et, par conséquent, a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 343 TFUE, de l’article 39 du protocole sur le SEBC et la BCE, des articles 2, 18 et 22 du protocole sur les privilèges et immunités ainsi que de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

43

En premier lieu, la notion d’« archives de l’Union », figurant à l’article 2 du protocole sur les privilèges et immunités, bien que n’ayant pas été définie dans ce protocole, engloberait tous les documents appartenant à une institution de l’Union ou détenus par elle, quel que soit le support utilisé.

44

En second lieu, il ressortirait de la jurisprudence que les privilèges et immunités reconnus par ce protocole ne revêtent qu’un caractère fonctionnel en ce qu’ils visent à éviter qu’une entrave soit apportée au fonctionnement et à l’indépendance de l’Union. Or, au vu du régime institutionnel particulier du SEBC et de l’Eurosystème, l’article 2 du protocole sur les privilèges et immunités devrait s’appliquer non seulement aux documents détenus par la BCE, mais également aux documents détenus par les banques centrales nationales faisant partie du SEBC et de l’Eurosystème, telles que la Banque centrale de Slovénie, pour autant que ces documents se rapportent à l’exécution des missions du SEBC ou de l’Eurosystème, qu’ils proviennent de la BCE ou des banques centrales nationales.

45

Premièrement, il résulterait de l’article 282, paragraphe 1, TFUE et de l’article 1er du protocole sur le SEBC et la BCE que, d’une part, le SEBC se compose de la BCE et des banques centrales nationales des États membres et, d’autre part, la BCE et les banques centrales nationales des États membres de la zone euro constituent l’Eurosystème, dont les banques centrales nationales « font partie intégrante », conformément à l’article 14.3 de ce protocole.

46

Deuxièmement, la structure spécifique du SEBC et de l’Eurosystème créerait inévitablement un lien étroit entre la BCE et les banques centrales nationales. En particulier, il ressortirait de l’article 282, paragraphe 2, TFUE et de l’article 8 du protocole sur le SEBC et la BCE que le SEBC est dirigé par les organes de décision de la BCE, y compris le conseil des gouverneurs de la BCE dont sont membres, selon l’article 283, paragraphe 1, TFUE et l’article 10 du protocole sur le SEBC et la BCE, les gouverneurs des banques centrales nationales des États membres dont la monnaie est l’euro.

47

Troisièmement, le traité FUE conférerait des missions à la BCE, au SEBC et à l’Eurosystème. À cet égard, il ressortirait de l’article 9.2 du protocole sur le SEBC et la BCE que les missions conférées au SEBC sont exécutées soit par la BCE elle-même soit par les banques centrales nationales.

48

En effet, les banques centrales nationales et leurs gouverneurs participeraient directement à la prise des décisions de la BCE ainsi qu’à la mise en œuvre et à l’exécution de ces décisions. Le fonctionnement du système ainsi établi nécessiterait l’échange de documents au sein du SEBC et de l’Eurosystème, ainsi qu’entre la BCE et les banques centrales nationales, aux fins d’adopter les décisions nécessaires à l’exécution des missions du SEBC et de l’Eurosystème, ainsi qu’à la mise en œuvre et à l’exécution de ces décisions par les banques centrales nationales. Afin d’éviter toute atteinte au bon fonctionnement et à l’indépendance de la BCE, ainsi que du SEBC et de l’Eurosystème dans leur ensemble, le niveau de protection devrait par conséquent être identique pour tous les documents établis aux fins de l’exécution des missions du SEBC et de l’Eurosystème. Partant, tous ces documents devraient être considérés comme faisant partie des « archives de l’Union », même s’ils sont détenus par une banque centrale nationale ou situés dans ses locaux.

49

En troisième lieu, il serait constant que, lors de la perquisition effectuée le 6 juillet 2016 dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie, les autorités slovènes ont saisi des documents faisant partie des archives de l’Union. Certes, la Commission ne disposerait pas d’informations précises sur la nature des documents faisant partie des archives de l’Union qui ont été saisis à cette occasion. Toutefois, le simple fait que le matériel informatique des personnes soupçonnées ainsi que les documents mentionnés au point 17 du présent arrêt ont été intégralement saisis aurait eu pour conséquence que des documents faisant partie des archives de l’Union ont forcément été saisis.

50

En quatrième lieu, le principe de l’inviolabilité de ces archives impliquerait que les autorités nationales ne peuvent y avoir accès qu’avec l’accord préalable de la BCE ou, en cas de désaccord entre la BCE et ces autorités, avec l’autorisation de la Cour de justice. Or, en l’espèce, la perquisition et la saisie des documents concernés auraient été effectuées de manière unilatérale.

51

La République de Slovénie rétorque qu’elle n’a pas enfreint le principe de l’inviolabilité des archives de l’Union.

52

En premier lieu, la République de Slovénie fait valoir qu’il résulte tant du droit international que de la jurisprudence de la Cour ainsi que des valeurs fondamentales de l’Union, telles que les principes de transparence, d’ouverture et de l’État de droit, que la notion de « privilèges et immunités » doit être d’interprétation stricte et que, loin d’avoir un caractère absolu, l’exercice de ces privilèges et immunités est limité fonctionnellement à l’étendue nécessaire pour garantir le fonctionnement de l’Union et de ses institutions ainsi que pour atteindre les objectifs de celles-ci.

53

En particulier, le but du système des privilèges et immunités du droit international serait de garantir le fonctionnement effectif des organisations internationales, lesquelles seraient « en position de faiblesse » par rapport à leurs États membres fondateurs. Or, au vu de l’évolution du droit de l’Union et de la nature particulière de l’ordre juridique de l’Union, les institutions de celle-ci ne seraient pas dans une telle position par rapport aux États membres. Partant, les archives de l’Union, y compris celles de la BCE, bénéficieraient d’une protection moins étendue que dans le cadre du système des privilèges et immunités du droit international, ce qui plaiderait en faveur d’une interprétation stricte de la notion de « privilèges et immunités de l’Union ».

54

Par ailleurs, bien que l’immunité fonctionnelle des organisations internationales relève d’un intérêt public légitime, elle ne serait pas absolue et devrait être conciliée avec d’autres intérêts publics. Dans l’Union, le principe de l’État de droit primerait les privilèges et immunités de celle-ci. Or, l’instruction ainsi que le jugement indépendants et impartiaux des infractions pénales, qui relèvent de la compétence des États membres, constitueraient un « postulat fondamental de l’État de droit ». Si les autorités slovènes avaient dû solliciter l’accord préalable de la BCE avant d’entamer la perquisition à laquelle elles ont procédé en l’espèce, cette indépendance n’aurait pas été garantie, puisque le gouverneur est étroitement lié à la BCE.

55

En outre, étant donné que les privilèges et immunités prévus dans le protocole sur les privilèges et immunités ne sont garantis à l’Union que dans la mesure où cela est nécessaire pour éviter qu’une entrave soit apportée au fonctionnement et à l’indépendance de celle-ci, la charge de la preuve de l’existence d’une telle entrave reposerait sur l’institution de l’Union concernée. La Commission et la BCE n’auraient cependant pas démontré que la saisie de documents effectuée par les autorités slovènes aurait, le cas échéant, effectivement entravé d’une quelconque manière le fonctionnement de cette dernière ou compromis la politique économique et monétaire de l’Union.

56

En deuxième lieu, la République de Slovénie soutient que la notion d’« archives de l’Union » doit également être d’interprétation stricte et que les documents saisis par les autorités slovènes dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie ne faisaient pas partie des archives de la BCE. À cet égard, premièrement, elle fait valoir que la réglementation visant l’immunité des archives en droit international, en particulier celle applicable aux relations consulaires et diplomatiques, est pertinente en l’espèce. Or, selon les jurisprudences des juridictions internationales et nationales, ne pourraient être considérés comme faisant partie des archives que les documents qui appartiennent à la personne bénéficiant du principe de l’inviolabilité des archives ou qui sont détenus par cette personne, et non ceux qui sont envoyés à un tiers par une telle personne ou qui sont détenus par un tiers.

57

Deuxièmement, l’objectif du protocole sur les privilèges et immunités serait d’assurer l’indépendance des institutions de l’Union. Ainsi, seule la BCE pourrait jouir des privilèges et immunités prévus par ce protocole en tant qu’institution de l’Union, et non le SEBC et les banques centrales nationales, en tant que partie intégrante du SEBC.

58

Troisièmement, l’interprétation des dispositions en cause défendue par la Commission signifierait que des archives de l’Union pourraient se trouver dans les ordinateurs de tous les agents et fonctionnaires nationaux qui sont membres des institutions de l’Union ou travaillent sous leur direction, y compris les ministres des États membres qui participent aux décisions du Conseil de l’Union européenne, les chefs d’État ou de gouvernement des États membres qui participent aux décisions du Conseil européen et tous les agents nationaux qui travaillent dans les comités et les agences de l’Union, ce qui aboutirait en pratique à des « situations absurdes » dans lesquelles tous les documents en la possession du gouvernement national et de ses ministres, du chef de l’État et d’administrations entières de l’État seraient considérés comme des archives de l’Union.

59

Quatrièmement, l’interprétation de la notion d’« archives de la BCE » proposée par la Commission serait impossible à mettre en œuvre, en droit comme en fait, ce qui empêcherait ou entraverait fortement n’importe quelle instruction pénale dans le secteur public des États membres.

60

En troisième lieu, la République de Slovénie fait encore valoir que, à supposer que les documents saisis par les autorités slovènes dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie fassent partie des archives de la BCE, cette circonstance ne saurait suffire à constater qu’elle a enfreint le principe de l’inviolabilité des archives de l’Union.

61

Premièrement, l’obligation d’identifier clairement et de protéger des archives incomberait à celui qui invoque le principe de l’inviolabilité de celles-ci. Étant donné que, en l’espèce, la BCE a omis d’identifier de manière adéquate ses archives et ne les a pas dûment protégées, il ne serait pas possible de mettre en œuvre la notion d’« archives de la BCE » retenue par celle-ci, une telle impossibilité n’étant en aucun cas liée à la manière dont l’instruction pénale a été menée en Slovénie. En outre, ce serait précisément en raison de l’absence de séparation physique et de désignation en bonne et due forme des archives de l’Union que les autorités slovènes n’auraient pas eu d’autre choix que de saisir l’ensemble des biens et documents concernés afin d’obtenir les informations recherchées.

62

Deuxièmement, l’objectif de l’enquête menée par les autorités slovènes n’aurait pas été de porter atteinte au principe de l’inviolabilité des archives de la BCE et encore moins de porter atteinte à l’accomplissement de la mission et à l’indépendance de celle–ci. Ainsi, l’enquête nationale, qui s’est déroulée conformément au droit national et à des décisions judiciaires nationales, n’aurait pas porté atteinte à ce principe.

63

Troisièmement, l’acception large, retenue par la Commission et la BCE, de la notion d’« archives de l’Union » impliquerait en pratique une entrave totale de l’enquête pénale au point d’aboutir à une impunité des personnes soupçonnées.

64

Quatrièmement, l’autorisation de la Cour ne s’imposerait, en application de l’article 1er du protocole sur les privilèges et immunités, que dans le cas où les autorités nationales souhaiteraient adopter des mesures de contrainte administrative ou judiciaire concernant des biens ou avoirs de l’Union. En revanche, l’article 2 de ce protocole, pas plus que la jurisprudence de la Cour, ne requerrait une telle autorisation, dans la mesure où les autorités slovènes n’auraient pas cherché à obtenir des documents appartenant à des institutions de l’Union ou se trouvant en la possession de celles-ci.

Appréciation de la Cour

65

À titre liminaire, il convient de relever que, lors de l’audience, en réponse à une question de la Cour, la Commission a précisé que, bien que, dans son recours, elle fasse référence tant à la perquisition qu’à la saisie de documents effectuées par les autorités slovènes dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie le 6 juillet 2016, ce recours ne vise, en réalité, que cette saisie de documents.

66

À cet égard, la Commission soutient que, en procédant de manière unilatérale à une saisie de documents dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie le 6 juillet 2016, les autorités slovènes ont porté atteinte au principe de l’inviolabilité des archives de l’Union. Il convient par conséquent d’examiner, en premier lieu, si les documents saisis par les autorités slovènes à cette occasion comprenaient des documents faisant partie des archives de la BCE et, si tel était le cas, en second lieu, si la saisie de ces documents a constitué une atteinte au principe de l’inviolabilité de ces archives.

– Sur la notion d’« archives de l’Union »

67

Aux termes de l’article 2 du protocole sur les privilèges et immunités, les archives de l’Union sont inviolables. Afin de vérifier si, ainsi que la Commission le soutient, la République de Slovénie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cet article, il convient au préalable de déterminer la portée de la notion d’« archives de l’Union ».

68

À titre liminaire, s’agissant de l’argument de la République de Slovénie selon lequel la notion d’« archives » devrait être interprétée en référence au droit international, il y a lieu de rappeler que, à la différence des traités internationaux ordinaires, les traités relatifs à l’Union européenne ont institué un ordre juridique propre, intégré au système juridique des États membres lors de l’entrée en vigueur de ces traités (ordonnance du 13 juillet 1990, Zwartveld e.a., C‑2/88–IMM, EU:C:1990:315, point 15). Il s’ensuit que la notion d’« archives de l’Union » est une notion autonome du droit de l’Union, distincte de celle qui peut être retenue par les organisations et juridictions internationales ou par le droit des États membres.

69

Il ressort de la jurisprudence qu’une telle notion, en raison de son caractère autonome, doit être appréhendée en tenant compte des termes de celle-ci, à la lumière du contexte et de l’objectif poursuivi par la disposition dans laquelle cette notion est utilisée (voir, en ce sens, arrêt du 19 décembre 2019, Junqueras Vies, C‑502/19, EU:C:2019:1115, point 62).

70

Le terme « archives » désigne communément un ensemble de documents quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, détenus par une personne dans l’exercice de son activité.

71

Toutefois, dans le droit de l’Union, le terme « archives » a été défini dans un autre contexte que celui du protocole sur les privilèges et immunités, à savoir à l’article 1er, paragraphe 2, sous a), du règlement (CEE, Euratom) no 354/83 du Conseil, du 1er février 1983, concernant l’ouverture au public des archives historiques de la Communauté économique européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 1983, L 43, p. 1), comme l’ensemble des documents de toute nature, quels que soient leur forme et leur support matériel, qui ont été produits ou reçus par une des institutions, un des organes ou un des organismes, par un de leurs représentants ou par un de leurs agents dans l’exercice de ses fonctions et qui concernent les activités de ces Communautés.

72

Cette définition de la notion d’« archives » est pertinente aux fins de l’interprétation de l’article 2 du protocole sur les privilèges et immunités. En effet, aucune disposition de ce protocole ne s’oppose à la prise en compte d’une telle définition et cette prise en compte contribue à ce que la portée de cette notion soit appréhendée de manière cohérente en droit de l’Union.

73

S’agissant de l’objectif poursuivi par l’article 2 du protocole sur les privilèges et immunités, il ressort de la jurisprudence que les privilèges et immunités, reconnus à l’Union par le protocole sur les privilèges et immunités, revêtent un caractère fonctionnel en ce qu’ils visent à éviter qu’une entrave soit apportée au fonctionnement et à l’indépendance de l’Union (ordonnance du 13 juillet 1990, Zwartveld e.a., C‑2/88-IMM, EU:C:1990:315, point 19 ; arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ, C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 47). À cet égard, la Cour a jugé que le principe de l’inviolabilité des archives de l’Union pouvait notamment être excipé par une institution de l’Union afin d’empêcher la divulgation d’informations contenues dans les documents figurant dans les archives de l’institution concernée lorsqu’une telle divulgation serait susceptible d’entraver le fonctionnement et l’indépendance de cette institution, notamment en compromettant l’accomplissement des missions qui lui sont confiées (voir, en ce sens, ordonnance du 6 décembre 1990, Zwartveld e.a., C‑2/88–IMM, EU:C:1990:440, point 11).

74

Cet objectif de protection atteste que les archives de l’Union visées à l’article 2 du protocole sur les privilèges et immunités couvrent nécessairement tout document relatif aux activités de l’Union et de ses institutions, organes et organismes ou à l’accomplissement des missions de ces entités.

75

Il ressort des considérations qui précèdent que la notion d’« archives de l’Union », au sens de l’article 2 du protocole sur les privilèges et immunités, doit être comprise comme l’ensemble des documents de toute nature, quels que soient leur date, leur forme et leur support matériel, qui sont produits ou reçus par les institutions, organes et organismes de l’Union ou par leurs représentants et leurs agents dans l’exercice de leurs fonctions et qui concernent les activités de ces entités ou sont en rapport avec l’accomplissement des missions de ces entités.

– Sur l’étendue des archives de la BCE

76

La BCE étant une institution de l’Union, il ressort de l’article 2 du protocole sur les privilèges et immunités, tel qu’interprété au point précédent et lu en combinaison avec l’article 343 TFUE, l’article 39 du protocole sur le SEBC et la BCE et l’article 22 du protocole sur les privilèges et immunités, que le principe de l’inviolabilité des archives de l’Union s’applique aux archives de la BCE.

77

Cela étant, il convient de déterminer si des documents qui se trouvent en la possession non pas de la BCE, mais d’une banque centrale nationale peuvent également être considérés comme faisant partie des « archives de la BCE ».

78

À cet égard, en premier lieu, il y a lieu de considérer que, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 50 de ses conclusions, les archives de l’Union ne doivent pas nécessairement être conservées dans les locaux de l’institution, de l’organe ou de l’organisme concerné, faute de quoi le champ d’application de l’article 2 du protocole sur les privilèges et immunités et celui de l’article 1er de ce protocole, lequel prévoit l’inviolabilité des locaux et des bâtiments de l’Union, se confondraient au point de priver d’effet utile cet article 2. Il s’ensuit que ledit article 2 couvre les archives d’une institution de l’Union, telle que la BCE, situées dans d’autres locaux que ceux de l’Union.

79

En second lieu, il y a lieu de rappeler qu’il résulte de l’article 282, paragraphe 1, TFUE ainsi que des articles 1er et 14.3 du protocole sur le SEBC et la BCE que la BCE et les banques centrales nationales des États membres constituent le SEBC, ces banques centrales nationales faisant partie intégrante de ce système. Il en ressort, en outre, que la BCE et les banques centrales nationales des États membres dont la monnaie est l’euro, y compris la Banque centrale de Slovénie, qui constituent l’Eurosystème, conduisent la politique monétaire de l’Union.

80

En vertu de l’article 127, paragraphe 1, et de l’article 282, paragraphe 2, TFUE, l’objectif principal du SEBC est de maintenir la stabilité des prix, ainsi que le rappelle l’article 2 du protocole sur le SEBC et la BCE. À cette fin, l’article 127, paragraphe 2, TFUE prévoit que les missions fondamentales relevant du SEBC comprennent notamment celle de définir et de mettre en œuvre la politique monétaire de l’Union. De telles missions incombent ainsi, par l’intermédiaire du SEBC, non seulement à la BCE, mais aussi aux banques centrales nationales, ce qui nécessite une étroite coopération entre la BCE et ces dernières.

81

Il convient également de rappeler que, conformément à l’article 129, paragraphe 1, et à l’article 282, paragraphe 2, TFUE ainsi qu’à l’article 8 du protocole sur le SEBC et la BCE, le SEBC est dirigé par les organes de décision de la BCE, y compris le conseil des gouverneurs de la BCE. L’article 283, paragraphe 1, TFUE ainsi que l’article 10.1 du protocole sur le SEBC et la BCE prévoient que les gouverneurs des banques centrales nationales des États membres dont la monnaie est l’euro sont membres du conseil des gouverneurs de la BCE. Ces gouverneurs, dont celui de la Banque centrale de Slovénie, participent par conséquent à l’adoption des décisions nécessaires à l’accomplissement des missions du SEBC.

82

En outre, conformément à l’article 9.2 du protocole sur le SEBC et la BCE, les missions conférées au SEBC sont exécutées soit par la BCE elle-même, soit par les banques centrales nationales.

83

Ainsi que la Cour l’a jugé, il ressort de ces dispositions que le SEBC représente dans le droit de l’Union une construction juridique originale qui associe et fait coopérer étroitement des institutions nationales, à savoir les banques centrales nationales, et une institution de l’Union, à savoir la BCE, et au sein de laquelle prévaut une articulation différente et une distinction moins marquée de l’ordre juridique de l’Union et des ordres juridiques internes (arrêt du 26 février 2019, Rimšēvičs et BCE/Lettonie, C‑202/18 et C‑238/18, EU:C:2019:139, point 69). Dans ce système très intégré voulu par les auteurs des traités pour le SEBC, les banques centrales nationales, ainsi que leurs gouverneurs, ont un statut hybride, en ce qu’ils constituent certes des autorités nationales mais des autorités agissant dans le cadre du SEBC, lequel, ainsi qu’il a été relevé au point 79 du présent arrêt, est constitué par ces banques nationales centrales et la BCE.

84

Ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 54 de ses conclusions, pour que le SEBC et l’Eurosystème fonctionnent correctement et accomplissent dûment leurs missions, il importe qu’existent une coopération étroite et un échange permanent d’informations entre la BCE et les banques centrales nationales qui y participent, ce qui implique nécessairement que des documents liés à l’accomplissement des missions du SEBC et de l’Eurosystème se trouvent en la possession non seulement de la BCE, mais également des banques centrales nationales.

85

Dans ces conditions, il y a lieu de considérer que de tels documents sont couverts par la notion d’« archives de la BCE » même s’ils sont détenus par des banques centrales nationales, et non par la BCE elle-même. En effet, compte tenu du caractère fonctionnel qu’il convient de reconnaître au principe de l’inviolabilité des archives de l’Union, tel qu’il a été rappelé au point 73 du présent arrêt, ce principe serait privé d’effet utile s’il ne protégeait pas les documents émis par la BCE ou les banques centrales nationales et échangés entre ces entités aux fins de l’accomplissement des missions du SEBC et de l’Eurosystème.

86

Cette conclusion n’est pas remise en cause par les autres arguments invoqués par la République de Slovénie.

87

Premièrement, en ce qui concerne l’argumentation de la République de Slovénie selon laquelle la communication d’un document à une tierce partie signifierait, en droit international, que ce document ne peut plus être considéré comme faisant partie des archives de l’État ayant procédé à une telle communication, il y a lieu de relever que, eu égard à l’étroite coopération et aux liens structurels existant entre la BCE et les banques centrales nationales dans le cadre du système intégré que constitue le SEBC, ces dernières ne peuvent, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 56 de ses conclusions, être considérées comme des « tiers » à l’égard de la BCE.

88

Deuxièmement, en ce qui concerne l’argumentation de la République de Slovénie reproduite au point 58 du présent arrêt, il suffit de relever que, s’agissant des documents liés à l’accomplissement des missions du SEBC et de l’Eurosystème, l’interprétation de la notion d’« archives de l’Union », telle que retenue au point 85 de cet arrêt, est fondée sur les relations particulièrement étroites qui existent entre la BCE et les banques centrales nationales et qui sont décrites aux points 83 et 84 dudit arrêt.

89

Troisièmement, aucun élément de fait ou de droit ne permet de considérer qu’une telle interprétation serait susceptible de confronter à des problèmes insurmontables les autorités d’un État membre souhaitant procéder, dans le cadre d’une procédure menée au niveau national et sur le fondement du droit de cet État membre, à une saisie de documents dans les locaux d’une banque centrale, de telle sorte qu’une telle saisie ne pourrait être limitée aux documents non liés à l’accomplissement des missions du SEBC et de l’Eurosystème.

– Sur l’atteinte au principe de l’inviolabilité des archives de la BCE

90

S’agissant de la question de savoir si la saisie de documents effectuée par les autorités slovènes, le 6 juillet 2016, dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie, constituait une atteinte au principe de l’inviolabilité des archives de la BCE, il y a lieu de relever qu’une telle atteinte ne pourrait être constatée que si, d’une part, une saisie décidée unilatéralement, par des autorités nationales, de documents appartenant à des archives de l’Union peut être constitutive d’une telle atteinte et, d’autre part, les documents saisis en l’espèce incluaient effectivement des documents devant être considérés comme faisant partie des archives de la BCE.

91

En premier lieu, il y a lieu de relever que, ainsi que la Commission le fait valoir dans sa requête, la notion d’« inviolabilité », au sens de l’article 2 du protocole sur les privilèges et immunités, implique une protection contre toute ingérence unilatérale des États membres. Ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé aux points 67 et 68 de ses conclusions, cela est confirmé par le fait que cette notion, figurant également à l’article 1er du protocole, est décrite comme une protection contre toute mesure de perquisition, de réquisition, de confiscation et d’expropriation.

92

Dès lors, la saisie unilatérale, par des autorités nationales, de documents appartenant aux archives de l’Union doit être considérée comme étant constitutive d’une atteinte au principe de l’inviolabilité de ces archives de l’Union.

93

En second lieu, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante relative à la charge de la preuve dans le cadre d’une procédure en manquement au titre de l’article 258 TFUE, il incombe à la Commission d’établir l’existence du manquement allégué. C’est elle qui doit apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence de ce manquement, sans pouvoir se fonder sur une présomption quelconque [voir, notamment, arrêts du 27 avril 2006, Commission/Allemagne, C‑441/02, EU:C:2006:253, point 48, et du 5 septembre 2019, Commission/Italie (Bactérie Xylella fastidiosa), C‑443/18, EU:C:2019:676, point 78].

94

En l’espèce, il y a lieu de constater que la Commission a reconnu qu’elle ne disposait pas d’informations précises sur la nature des documents saisis par les autorités slovènes dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie le 6 juillet 2016, si bien qu’elle n’était pas en mesure d’établir si une partie de ces documents devaient être considérés comme faisant partie des archives de l’Union. Lors de l’audience, la Commission a expliqué à cet égard, sans être contredite par la République de Slovénie, que lesdits documents se trouvaient toujours en la possession des autorités slovènes.

95

Il convient toutefois de rappeler que, ainsi qu’il a été relevé au point 17 du présent arrêt, les documents saisis par les autorités slovènes comprenaient toutes les communications effectuées par l’intermédiaire du compte de la messagerie électronique du gouverneur, tous les documents électroniques se trouvant sur le poste de travail et dans l’ordinateur portable de ce dernier, portant sur la période comprise entre l’année 2012 et l’année 2014, indépendamment de leur contenu, ainsi que des documents relatifs à la même période et se trouvant dans le bureau du gouverneur. Les autorités slovènes ont également saisi tous les documents électroniques enregistrés sur le serveur informatique de la Banque centrale de Slovénie, se rapportant au gouverneur, pour la période comprise entre l’année 2012 et l’année 2014.

96

Or, au vu, d’une part, du grand nombre des documents ainsi saisis et, d’autre part, des fonctions que le gouverneur d’une banque centrale nationale, telle que la Banque centrale de Slovénie, est amené à exercer dans le cadre du conseil des gouverneurs de la BCE et, par conséquent, également dans le cadre du SEBC et de l’Eurosystème, les documents saisis par les autorités slovènes ont nécessairement inclus des documents faisant partie des archives de la BCE. En outre, il y a lieu de relever que la République de Slovénie n’allègue pas que les documents saisis seraient exclusivement des documents n’appartenant pas à cette catégorie de documents.

97

Dans ces circonstances, il peut être considéré comme établi que le matériel et les documents saisis par les autorités slovènes dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie le 6 juillet 2016 ont inclus des documents faisant partie des archives de la BCE.

98

Or, l’article 2 du protocole sur les privilèges et immunités prévoyant expressément que les archives de l’Union sont inviolables, les autorités slovènes ont, en saisissant de tels documents de manière unilatérale, porté atteinte au principe de l’inviolabilité des archives de la BCE.

99

Cette conclusion n’est pas remise en cause par les arguments invoqués par la République de Slovénie.

100

Premièrement, si les privilèges et immunités de l’Union présentent certes un caractère fonctionnel, ainsi qu’il a été rappelé au point 73 du présent arrêt, cela ne signifie pas que l’institution concernée ou, dans le cadre d’un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, la Commission, devrait prouver que la divulgation de certains documents implique une entrave au fonctionnement et à l’indépendance de l’Union afin qu’une saisie de ces documents, effectuée de manière unilatérale par les autorités d’un État membre, puisse être considérée comme illégale. En effet, une telle interprétation irait manifestement à l’encontre tant de la lettre que de l’objectif de l’article 2 du protocole sur les privilèges et immunités, aux termes duquel « [l]es archives de l’Union sont inviolables ».

101

Certes, le principe de l’inviolabilité des archives de l’Union ne signifie pas que les documents figurant dans ces archives sont en toute hypothèse inaccessibles aux autorités des États membres. En effet, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, au vu de leur caractère fonctionnel, les privilèges et immunités de l’Union ne permettent pas aux institutions de l’Union de méconnaître l’obligation de coopération loyale avec les autorités nationales (voir, en ce sens, ordonnance du 13 juillet 1990, Zwartveld e.a., C‑2/88–IMM, EU:C:1990:315, points 19 et 21).

102

Afin d’avoir accès à des documents figurant dans les archives de l’Union, les autorités nationales ont besoin de l’accord de l’institution concernée ou, dans le cas d’un refus d’accès, d’une décision d’autorisation du juge de l’Union obligeant cette institution à donner l’accès à ses archives. En effet, il serait dépourvu de sens de ne pas soumettre l’accès à de tels documents à l’accord de l’institution concernée ou à l’autorisation du juge de l’Union dans le cas où les autorités nationales choisiraient de procéder unilatéralement, un tel accord ou une telle autorisation permettant de garantir la fonction de l’inviolabilité des archives de l’Union, à savoir éviter qu’une entrave injustifiée soit apportée au fonctionnement et à l’indépendance de celle-ci.

103

Deuxièmement, il est certes vrai que, ainsi que la République de Slovénie le fait valoir, l’immunité fonctionnelle des organisations internationales, bien que constituant un intérêt public légitime, n’est pas absolue et doit être conciliée avec les autres droits et intérêts publics, notamment le principe de l’État de droit et, plus spécifiquement, la nécessité de garantir une instruction ainsi qu’un jugement indépendants et impartiaux des infractions pénales et d’éviter une impunité des personnes faisant l’objet d’enquêtes pénales, en particulier des gouverneurs des banques centrales nationales, lesquels seraient fortement avantagés en raison du lien étroit qu’ils entretiennent avec la BCE.

104

Toutefois, outre le fait que l’existence de privilèges et d’immunités au profit d’organisations internationales et de leurs institutions n’est pas contraire, en soi, au principe de l’État de droit, l’article 2 du protocole sur les privilèges et immunités s’oppose, en principe, à une saisie de documents par l’autorité d’un État membre dès lors que ces documents font partie des archives de l’Union et que les institutions concernées n’ont pas donné leur accord à une telle saisie.

105

En outre, il y a lieu de relever que le fait d’interpréter les règles de l’Union concernées en ce sens que les autorités d’un État membre n’ont pas le droit de procéder unilatéralement, dans les locaux d’une banque centrale nationale, à une saisie de documents appartenant aux archives de la BCE, n’aboutit ni à accorder une impunité aux personnes concernées par l’enquête pénale ni à rendre indûment difficile, voire impossible, la conduite d’enquêtes pénales sur le territoire des États membres. En effet, même si une saisie unilatérale, par les autorités d’un État membre, de documents figurant dans les archives de l’Union est exclue par le droit de l’Union, il convient de rappeler que ces autorités ont la faculté de s’adresser à l’institution de l’Union concernée afin que celle-ci lève l’inviolabilité des documents concernés, le cas échéant sous conditions.

106

Il y a également lieu de souligner que la protection des archives de l’Union, prévue à l’article 2 du protocole sur les privilèges et immunités, ne s’oppose aucunement à la saisie, par les autorités nationales, dans les locaux d’une banque centrale d’un État membre, de documents qui n’appartiennent pas aux archives de l’Union.

107

Certes, il ne peut être entièrement exclu que la nécessité de demander à la BCE de mettre à la disposition des autorités d’un État membre des documents appartenant à ses archives, mais détenus par une banque centrale nationale, puisse avoir des conséquences négatives sur une enquête pénale menée par les autorités nationales, en ce qui concerne l’accès de ces autorités à d’autres documents également détenus par cette banque centrale nationale qui n’appartiennent pas aux archives de la BCE, mais qui pourraient être pertinents pour l’enquête concernée. Toutefois, en l’espèce, ainsi que Mme l’avocate générale l’a, en substance, relevé au point 81 de ses conclusions, il n’apparaît pas que la saisie de documents à laquelle les autorités slovènes ont procédé le 6 juillet 2016 ait requis un élément de surprise, étant donné que ces autorités avaient déjà demandé auparavant à la Banque centrale de Slovénie, et cela à plusieurs reprises, des informations relatives à leur enquête.

108

Troisièmement, l’argument selon lequel il n’y aurait pas d’atteinte au principe de l’inviolabilité des archives de l’Union en raison du fait que, parmi les documents saisis, ceux faisant partie des archives de la BCE ne seraient pas pertinents pour le traitement de l’affaire pénale en cours en Slovénie ne saurait être accueilli, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du point 104 du présent arrêt, l’atteinte à ce principe doit être constatée dès que, indépendamment du but poursuivi par la saisie, les éléments matériels constitutifs de la protection visée par ledit principe sont remplis.

109

Quatrièmement, la République de Slovénie ne saurait, aux fins de justifier l’atteinte au principe de l’inviolabilité des archives de l’Union, invoquer une obligation incombant à la BCE d’identifier clairement ses archives et de prendre des mesures afin de protéger celles-ci. La protection conférée aux archives par le protocole sur les privilèges et immunités ne présuppose pas une identification claire et préalable des documents appartenant à ces archives.

110

Il résulte de ce qui précède que le premier grief de la Commission doit être accueilli.

Sur le second grief, tiré de la violation de l’obligation de coopération loyale

Argumentation des parties

111

Par son second grief, la Commission, soutenue par la BCE, fait valoir que la République de Slovénie a manqué à son obligation de coopération loyale au titre de l’article 18 du protocole sur les privilèges et immunités et de l’article 4, paragraphe 3, TUE. En substance, la Commission reproche aux autorités slovènes de ne pas s’être suffisamment concertées avec la BCE, que cela soit avant la perquisition et la saisie de documents auxquelles ces autorités ont procédé ou après celles-ci, aux fins de concilier le principe de l’inviolabilité des archives de la BCE et l’enquête menée au niveau national.

112

Selon la Commission, le principe de coopération loyale exigeait de la part des autorités slovènes qu’elles coopèrent avec la BCE afin, premièrement, de déterminer quels étaient les documents protégés par le protocole sur les privilèges et immunités et ceux qui ne l’étaient pas, deuxièmement, d’identifier, parmi les documents protégés, ceux qui étaient susceptibles d’être pertinents pour l’enquête pénale nationale et, troisièmement, de permettre à la BCE de décider, dans le cas des documents qui étaient potentiellement pertinents, si la protection devait être levée ou si, au contraire, elle ne pouvait l’être pour des raisons tenant au fonctionnement et à l’indépendance de la BCE.

113

Or, s’agissant de la période précédant la perquisition et la saisie de documents, les autorités slovènes n’auraient établi aucun dialogue avec la BCE ou la Banque centrale de Slovénie en ce qui concerne la manière de préserver le principe de l’inviolabilité des archives de l’Union. S’agissant de la période postérieure à la perquisition et à la saisie de documents, les autorités slovènes auraient, d’une part, continué à rejeter l’interprétation selon laquelle des documents détenus par les banques centrales nationales pouvaient constituer des archives de la BCE et, d’autre part, refusé d’engager des discussions constructives aux fins de protéger les documents appartenant à cette catégorie ayant été saisis.

114

La République de Slovénie soutient qu’elle n’a pas manqué à son obligation de coopération loyale.

115

Premièrement, les autorités slovènes n’auraient porté atteinte ni aux archives de la BCE ni au fonctionnement et à l’indépendance de celle–ci. En tout état de cause, l’article 4, paragraphe 3, TUE ne saurait être interprété de telle sorte qu’il prévoit une « obligation indépendante » à la charge des États membres, allant au-delà des obligations qui peuvent leur incomber en vertu de telles dispositions précises du droit de l’Union.

116

Deuxièmement, le procureur d’État aurait demandé, pendant toute l’instruction, que les documents saisis soient traités avec une « extrême précaution », afin qu’ils soient accessibles au nombre le plus restreint possible d’enquêteurs et que le risque de divulgation soit réduit au minimum. Le procureur d’État aurait par ailleurs permis à des représentants de la BCE, bien que cela ne soit pas prévu dans le droit national, d’être présents lors de la procédure de sécurisation de ces documents. En outre, il aurait été disposé à ce que ceux des documents saisis qui, selon la BCE, faisaient partie de ses archives, pussent être consultés par cette dernière à l’issue de l’instruction, dans les locaux du parquet.

117

Par ailleurs, la BCE n’aurait répondu à la demande du procureur d’État de présenter les critères permettant d’identifier, parmi les documents saisis par les autorités slovènes, ceux qui, selon la BCE, faisaient partie de ses archives, que le 13 février 2018, c’est–à–dire « avec un retard considérable ».

118

Troisièmement, à supposer que la République de Slovénie ne soit pas entrée dans une discussion constructive avec la BCE, la Commission n’aurait pas démontré que cette circonstance avait mis en péril l’établissement d’une union économique et monétaire et le maintien de la stabilité des prix dans l’Union.

Appréciation de la Cour

119

Selon une jurisprudence constante, il résulte du principe de coopération loyale, consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, que les États membres sont tenus de prendre toutes les mesures propres à garantir la portée et l’efficacité du droit de l’Union (arrêt du 31 octobre 2019, Commission/Pays–Bas, C‑395/17, EU:C:2019:918, point 95 et jurisprudence citée). Aux termes de l’article 18 du protocole sur les privilèges et immunités, qui précise à cet égard le principe consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, les institutions de l’Union et les autorités des États membres sont tenues de coopérer aux fins d’éviter tout conflit dans l’interprétation et l’application des dispositions de ce protocole (voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2008, Marra, C‑200/07 et C‑201/07, EU:C:2008:579, points 41 et 42).

120

S’agissant de la période précédant la saisie des documents effectuée par les autorités slovènes, le 6 juillet 2016, dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie, il y a lieu de constater que, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 94 de ses conclusions, le second grief soulevé par la Commission se recoupe avec le premier en ce qu’il vise le même comportement. En effet, par le premier grief, la Commission reproche précisément aux autorités slovènes d’avoir procédé de manière unilatérale, et, par conséquent, sans avoir consulté la BCE au préalable, à une saisie de documents dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie.

121

Or, il résulte de la jurisprudence de la Cour qu’un manquement à l’obligation générale de coopération loyale qui découle de l’article 4, paragraphe 3, TUE est distinct d’un manquement aux obligations spécifiques dans lesquelles celle-ci se manifeste. Dès lors, il ne peut être constaté que pour autant qu’il vise des comportements distincts de ceux constituant la violation de ces obligations spécifiques (voir, en ce sens, arrêt du 30 mai 2006, Commission/Irlande, C‑459/03, EU:C:2006:345, points 169 à 171).

122

Partant, s’agissant de la période précédant la saisie des documents effectuée le 6 juillet 2016, il n’y a pas lieu de constater un manquement aux obligations générales prévues à l’article 4, paragraphe 3, TUE et à l’article 18 du protocole sur le SEBC et la BCE distinct du manquement déjà constaté aux obligations plus spécifiques auxquelles la République de Slovénie était tenue en vertu de l’article 2 de ce protocole.

123

S’agissant de la période postérieure à la saisie des documents, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il découle des points précédents du présent arrêt, cette saisie constitue une violation du droit de l’Union, dans la mesure où les documents saisis incluaient nécessairement des documents liés à l’accomplissement des missions du SEBC et de l’Eurosystème.

124

Or, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que, en vertu du principe de coopération loyale prévu à l’article 4, paragraphe 3, TUE, les États membres sont tenus d’effacer les conséquences illicites d’une violation du droit de l’Union et qu’une telle obligation incombe, dans le cadre de ses compétences, à chaque organe de l’État membre concerné (arrêt du 27 juin 2019, Belgisch Syndicaat van Chiropraxie e.a., C‑597/17, EU:C:2019:544, point 54 ainsi que jurisprudence citée).

125

Certes, l’obligation de coopération loyale revêt par nature un caractère réciproque (arrêt du 16 octobre 2003, Irlande/Commission (C‑339/00, EU:C:2003:545, point 72). Il incombait par conséquent à la BCE de prêter son assistance aux autorités slovènes afin que ces dernières puissent remédier, dans la mesure du possible, aux conséquences illicites de la saisie des documents à laquelle elles avaient procédé dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie le 6 juillet 2016.

126

Toutefois, pour permettre à la BCE de coopérer utilement avec les autorités slovènes à cet égard, il était indispensable que ces dernières permettent à la BCE d’identifier, parmi les documents saisis le 6 juillet 2016, ceux liés à l’accomplissement des missions du SEBC et de l’Eurosystème. Or, il est constant que, au terme du délai fixé dans l’avis motivé, les autorités slovènes n’avaient pas permis à la BCE de procéder à une telle identification. Il est également constant que, à cette date, les autorités slovènes n’avaient pas retourné ces documents à la Banque centrale de Slovénie, bien que, lors de l’audience, la République de Slovénie ait précisé que de tels documents ne seraient pas pertinents pour l’affaire pénale en cours dans cet État membre.

127

Il est vrai que la BCE n’a pas été en mesure de fournir une explication convaincante pour justifier le retard avec lequel elle a répondu à la demande du procureur d’État de lui proposer des critères permettant d’identifier ceux des documents saisis par les autorités slovènes qui, selon elle, faisaient partie de ses archives. Il convient toutefois de relever que, même après avoir reçu cette proposition, les autorités slovènes n’ont pas pris de mesures afin de permettre à la BCE d’identifier les documents liés à l’accomplissement des missions du SEBC et de l’Eurosystème qui avaient été saisis par les autorités slovènes le 6 juillet 2016 dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie. Il est également constant que ces autorités n’ont pas accepté la demande de la BCE, soumise dans sa réponse du 13 février 2018 et accompagnant sa proposition de critères permettant l’identification des documents faisant partie de ses archives, de restituer à la Banque centrale de Slovénie tous les documents qu’elles estimaient être sans pertinence pour l’enquête en cause.

128

Dans ces circonstances, le fait que les autorités slovènes ont pris des mesures pour assurer le maintien de la confidentialité des documents saisis le 6 juillet 2016 dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie ne remet pas en cause la conclusion selon laquelle ces autorités ont manqué, en l’espèce, à leur obligation de coopération loyale avec la BCE. Il en va de même de la circonstance, mise en exergue par la République de Slovénie, selon laquelle l’enquête menée par les autorités slovènes n’aurait pas été en mesure de mettre en péril l’établissement d’une union économique et monétaire et le maintien de la stabilité des prix dans l’Union, dès lors que cette circonstance est sans incidence sur le devoir qui pesait sur les autorités slovènes, conformément à ce qui a été rappelé au point 124 du présent arrêt, d’effacer les conséquences illicites de la violation des archives de la BCE qu’elles avaient commise lors de la saisie de documents effectuée le 6 juillet 2016.

129

Il résulte de ce qui précède que, s’agissant de la période postérieure à la saisie litigieuse, les autorités slovènes ont manqué à leur obligation de coopération loyale avec la BCE et que le second grief de la Commission doit ainsi être accueilli.

130

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en procédant unilatéralement à la saisie de documents liés à l’accomplissement des missions du SEBC et de l’Eurosystème dans les locaux de la Banque centrale de Slovénie et, s’agissant de la période postérieure à cette saisie, en ne coopérant pas loyalement avec la BCE en la matière, la République de Slovénie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 343 TFUE, de l’article 39 du protocole sur le SEBC et la BCE, des articles 2, 18 et 22 du protocole sur les privilèges et immunités ainsi que de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

Sur les dépens

131

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.

132

La Commission ayant conclu à la condamnation de la République de Slovénie et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

133

Aux termes de l’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. Par conséquent, la BCE supportera ses propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

 

1)

En procédant unilatéralement à la saisie de documents liés à l’accomplissement des missions du Système européen des banques centrales et de l’Eurosystème dans les locaux de la Banka Slovenije (Banque centrale de Slovénie) et, s’agissant de la période postérieure à cette saisie, en ne coopérant pas loyalement avec la Banque centrale européenne en la matière, la République de Slovénie a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 343 TFUE, de l’article 39 du protocole (no 4) sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne, des articles 2, 18 et 22 du protocole (no 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne ainsi que de l’article 4, paragraphe 3, TUE.

 

2)

La République de Slovénie supporte, outre ses propres dépens, ceux de la Commission européenne.

 

3)

La Banque centrale européenne supporte ses propres dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : le slovène.