ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

10 juillet 2019 ( *1 )

« Pourvoi – Concurrence – Ententes – Secteur des produits dérivés de taux d’intérêt libellés en yens japonais – Décision constatant une infraction à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord EEE – Responsabilité d’une entreprise pour son rôle de facilitateur de l’entente – Calcul de l’amende – Obligation de motivation »

Dans l’affaire C‑39/18 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 22 janvier 2018,

Commission européenne, représentée par MM. B. Mongin, M. Farley, T. Christoforou et V. Bottka, en qualité d’agents,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant :

NEX International Limited, anciennement Icap plc, établie à Londres (Royaume-Uni),

Icap Management Services Ltd, établie à Londres,

Icap New Zealand Ltd, établie à Wellington (Nouvelle-Zélande), représentées par Me C. Riis-Madsen, advokat, et par Me S. Frank, avocat,

parties demanderesses en première instance,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. F. Biltgen, J. Malenovský, C. G. Fernlund (rapporteur) et Mme L. S. Rossi, juges,

avocat général : M. E. Tanchev,

greffier : Mme L. Hewlett, administratrice principale,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 février 2019,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 mai 2019,

rend le présent

Arrêt

1

Par son pourvoi, la Commission européenne demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 10 novembre 2017, Icap e.a./Commission (T‑180/15, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2017:795), par lequel celui-ci a partiellement annulé la décision C(2015) 432 final de la Commission, du 4 février 2015, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.39861 – Produits dérivés de taux d’intérêt libellés en yens) (ci-après la « décision litigieuse »).

Les antécédents du litige et la décision litigeuse

2

Il ressort des antécédents du litige exposés aux points 1 à 21 de l’arrêt attaqué qu’Icap plc (aux droits et obligations de laquelle est venue NEX International Limited), Icap Management Services Ltd et Icap New Zealand Ltd (ci-après, ensemble, « Icap ») font partie d’une entreprise de services de courtage par l’entremise de réseaux vocaux et électroniques, qui est également fournisseur de services de post négociation.

3

Par la décision litigieuse, la Commission a retenu qu’Icap avait participé à six infractions à l’article 101 TFUE et à l’article 53 de l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992 (JO 1994, L 1, p. 3), concernant la manipulation des taux de référence interbancaires London Interbank Offered Rate [LIBOR, taux interbancaire pratiqué à Londres (Royaume-Uni)] et Tokyo Interbank Offered Rate [TIBOR, taux interbancaire pratiqué à Tokyo (Japon)] sur le marché des produits dérivés de taux d’intérêt libellés en yens japonais, lesquelles avaient été préalablement constatées par la décision C(2013) 8602 final de la Commission, du 4 décembre 2013, relative à une procédure d’application de l’article 101 TFUE et de l’article 53 de l’accord EEE (affaire AT.39861 – Produits dérivés de taux d’intérêt libellés en yens japonais).

4

Le 29 octobre 2013, la Commission a engagé une procédure d’infraction à l’encontre d’Icap.

5

Le 12 novembre 2013, Icap a informé la Commission de son intention de ne pas opter pour une procédure de transaction.

6

Le 4 février 2015, la Commission a adopté la décision litigieuse, infligeant à Icap six amendes, pour un montant total de 14960000 euros, pour avoir « facilité » les six infractions suivantes :

l’« infraction UBS/RBS de 2007 », entre le 14 août et le 1er novembre 2007 ;

l’« infraction UBS/RBS de 2008 », entre le 28 août et le 3 novembre 2008 ;

l’« infraction UBS/DB », entre le 22 mai et le 10 août 2009 ;

l’« infraction Citi/RBS », entre le 3 mars et le 22 juin 2010 ;

l’« infraction Citi/DB », entre le 7 avril et le 7 juin 2010, et

l’« infraction Citi/UBS », entre le 28 avril et le 2 juin 2010.

7

Les points 18 à 21 de l’arrêt attaqué sont rédigés comme suit :

« 18

La Commission a rappelé de manière liminaire que, en application des lignes directrices pour le calcul des amendes infligées en application de l’article 23, paragraphe 2, sous a), du règlement (CE) no 1/2003 (JO 2006, C 210, p. 2, ci-après les “lignes directrices de 2006”), le montant de base de l’amende doit être déterminé eu égard au contexte dans lequel l’infraction a été commise ainsi que, en particulier, à la gravité et à la durée de l’infraction et que le rôle joué par chacun des participants doit faire l’objet d’une évaluation individuelle tout en reflétant d’éventuelles circonstances aggravantes ou atténuantes (considérant 284 de la décision [litigieuse]).

19

La Commission a observé que les lignes directrices de 2006 ne fournissaient que peu d’orientations sur la méthode de calcul de l’amende pour les facilitateurs. Étant donné qu’Icap était un opérateur actif sur les marchés de service de courtage, et non sur celui des produits dérivés de taux d’intérêt, elle a estimé qu’elle ne pouvait pas substituer les frais de courtage à ceux des prix des produits dérivés de taux d’intérêt en yens japonais, pour établir le chiffre d’affaires et fixer le montant de l’amende, dès lors qu’une telle substitution ne reflèterait pas la gravité ainsi que la nature de l’infraction. Elle en a déduit, en substance, qu’il convenait de faire application du paragraphe 37 des lignes directrices de 2006, qui permet de s’écarter de ces lignes directrices s’agissant de la détermination du montant de base de l’amende (considérant 287 de la décision [litigieuse]).

20

Au vu de la gravité des comportements en cause et de la durée de participation d’Icap à chacune des six infractions en cause, la Commission a fixé, pour chacune d’entre elles, un montant de base de l’amende, à savoir 1040000 euros pour l’infraction UBS/RBS de 2007, 1950000 euros pour l’infraction UBS/RBS de 2008, 8170000 euros pour l’infraction UBS/DB, 1930000 euros pour l’infraction Citi/RBS, 1150000 euros pour l’infraction Citi/DB et 720000 euros pour l’infraction Citi/UBS (considérant 296 de la décision [litigieuse]).

21

En ce qui concerne la fixation du montant définitif de l’amende, la Commission n’a retenu l’existence d’aucune circonstance aggravante ou atténuante et a pris note du fait que le plafond de 10 % de chiffre d’affaires annuel n’avait pas été dépassé (considérant 299 de la décision [litigieuse]). L’article 2 du dispositif de la décision [litigieuse] inflige, dès lors, aux requérantes des amendes dont le montant définitif est équivalent à celui de leur montant de base. »

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

8

Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 14 avril 2015, Icap a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant des amendes infligées.

9

À l’appui de sa demande d’annulation, Icap invoquait six moyens. Par les quatre premiers, elle contestait la légalité de l’article 1er de la décision litigieuse, relatif à l’existence des infractions. Les cinquième et sixième moyens étaient dirigés contre l’article 2 de cette décision, relatif aux amendes infligées.

10

Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a, d’une part, partiellement annulé l’article 1er de la décision litigieuse et, d’autre part, annulé l’article 2 de cette décision.

Les conclusions des parties devant la Cour

11

La Commission demande à la Cour :

d’annuler l’arrêt attaqué dans la mesure où celui-ci annule les amendes établies à l’article 2 de la décision litigieuse ;

de rejeter les cinquième et sixième moyens du recours présenté par Icap devant le Tribunal, relatifs aux amendes, et de déterminer le montant approprié des amendes infligées à Icap dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, et

de condamner Icap à supporter la totalité des dépens de la présente procédure et d’adapter la condamnation relative aux dépens figurant dans l’arrêt attaqué, afin de tenir compte de l’issue du présent pourvoi.

12

Icap demande à la Cour :

de rejeter le pourvoi en totalité ou en partie et

de condamner la Commission à l’entièreté des dépens de la présente procédure, y compris ceux de première instance.

Sur le pourvoi

13

La Commission invoque un moyen unique, pris d’une erreur de droit dans l’interprétation et l’application de la jurisprudence relative à la motivation des décisions infligeant des amendes.

Argumentation des parties

14

La Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la détermination du montant des amendes infligées à Icap n’était pas suffisamment motivée dans la décision litigieuse.

15

Cette institution fait valoir que le Tribunal, aux points 287 à 291 de l’arrêt attaqué, s’est appuyé sur une interprétation erronée de l’obligation de motivation. Le Tribunal aurait méconnu la jurisprudence résultant des arrêts du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission (C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 61), et du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission (C‑194/14 P, EU:C:2015:717, points 66 à 68), selon laquelle la Commission satisfait à cette obligation lorsqu’elle indique à une entreprise tenue responsable d’une infraction à l’article 101 TFUE, pour son rôle de facilitateur, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction, sans qu’elle soit pour autant tenue d’indiquer toutes les données chiffrées et les calculs effectués pour parvenir à déterminer le montant de l’amende.

16

En outre, le Tribunal, aux points 295 et 296 de l’arrêt attaqué, n’aurait pas pris en considération l’arrêt du 28 janvier 2016, Quimitécnica.com et de Mello/Commission (C‑415/14 P, non publié, EU:C:2016:58, point 53), dont il ressortirait pourtant que la motivation d’un acte de la Commission doit être appréciée au regard de son contexte, lequel inclurait les échanges entre cette dernière et les intéressés, qui ont pu avoir lieu avant et après l’adoption de l’acte en question.

17

La Commission considère que la décision litigieuse indique, à suffisance de droit, les facteurs de gravité et de durée de la participation d’Icap à l’infraction et que sa motivation est, à cet égard, comparable à celle de la décision en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission (C‑194/14 P, EU:C:2015:717).

18

La Commission estime être allée au-delà ce qu’elle était tenue de faire, afin de répondre à Icap, qui s’estimait victime d’une disparité de traitement par rapport à l’entreprise R. P. Martin, également condamnée au paiement d’amendes pour son rôle de facilitateur dans le même cartel, mais qui, contrairement à Icap, avait opté pour une transaction.

19

La Commission expose avoir, d’abord, pris comme base de calcul la valeur des ventes et le chiffre d’affaires mondial appliqués aux banques participantes. Elle aurait, ensuite, tenu compte de la durée de la participation d’Icap et aurait, enfin, appliqué une réduction au montant de base hypothétique pour obtenir une amende forfaitaire, adéquate et proportionnée. La même méthode aurait été appliquée à l’entreprise R. P. Martin, dans le respect du principe d’égalité de traitement. Toutefois, cette dernière entreprise aurait bénéficié d’une réduction de 25 % au titre de la clémence, ainsi que d’une réduction de 10 % au titre de la procédure de transaction. Son chiffre d’affaires aurait été, en outre, près de vingt fois inférieur à celui d’Icap et sa participation à l’infraction aurait duré environ un mois, alors que celle d’Icap aurait été de plus de deux mois.

20

Dans l’hypothèse où la Cour souhaiterait statuer sur le montant des amendes au titre de sa compétence de pleine juridiction, la Commission l’invite à fixer le montant de chaque amende à proportion de la réduction des durées retenues par le Tribunal, lesquelles ont acquis force de chose jugée.

21

Icap soutient que ce moyen n’est pas fondé.

Appréciation de la Cour

22

Le moyen du pourvoi pose essentiellement la question de savoir si le Tribunal a méconnu la portée de l’obligation de motivation, qui incombe à la Commission, en jugeant, en substance, aux points 287 à 296 de l’arrêt attaqué, que cette dernière ne peut se contenter de l’assurance générale que les montants de base retenus à l’égard des entreprises responsables d’infractions à l’article 101 TFUE, pour avoir facilité une entente, reflètent la gravité, la durée et la nature de leur participation aux infractions ainsi que l’effet dissuasif des amendes, alors même qu’il est constant que ces montants ont été déterminés sur le fondement d’une méthodologie spécifique, qui n’a pas été divulguée à ces entreprises.

23

Ainsi que l’a rappelé le Tribunal aux points 287 et 288 de l’arrêt attaqué, selon une jurisprudence constante, la motivation exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte incriminé, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et au juge de l’Union d’exercer son contrôle. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences fixées à l’article 296 TFUE doit être appréciée non seulement au regard de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, notamment, arrêts du 2 avril 1998, Commission/Sytraval et Brink’s France, C‑367/95 P, EU:C:1998:154, point 63, ainsi que du 8 mai 2019, Landeskreditbank Baden-Württemberg/BCE, C‑450/17 P, EU:C:2019:372, point 87).

24

S’agissant des décisions infligeant des amendes aux entreprises pour la violation de l’article 101 TFUE, l’obligation de motivation revêt une importance toute particulière. Il incombe à la Commission de motiver sa décision et, notamment, d’expliquer la pondération et l’évaluation qu’elle a faites des éléments pris en considération. La présence d’une motivation doit être vérifiée d’office par le juge (arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 61).

25

S’il est vrai que la Commission bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation pour ce qui est de la méthode de calcul des amendes en cas de violation des règles de l’Union en matière de concurrence (arrêt du 19 décembre 2012, Heineken Nederland et Heineken/Commission, C‑452/11 P, non publié, EU:C:2012:829, point 92 ainsi que jurisprudence citée), elle a néanmoins adopté, dans un souci de transparence, les lignes directrices de 2006, dans lesquelles elle indique à quel titre elle prendra en considération telle ou telle circonstance de l’infraction et les conséquences qui pourront en être tirées sur le montant de l’amende (arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 59).

26

Les lignes directrices de 2006 reposent, ainsi, sur la prise en considération de la valeur des ventes des produits concernés en relation avec l’infraction pour la fixation du montant de base des amendes à infliger. Ces lignes directrices prévoient, à leurs points 6 et 13, que la valeur de ces ventes, en combinaison avec la durée de l’infraction, vise à « refléter l’importance économique de l’infraction ainsi que le poids relatif de chaque entreprise participant à l’infraction ».

27

Cependant, cette méthode peut parfois se révéler inadaptée aux circonstances particulières d’une affaire. Tel est notamment le cas lorsqu’une entreprise déclarée responsable d’une infraction à l’article 101 TFUE pour avoir facilité une entente ne réalise aucun chiffre d’affaires sur les marchés des produits pertinents. Dans une situation de ce type, la Cour a jugé que la Commission était fondée à recourir à une méthode de calcul autre que celle décrite dans les lignes directrices de 2006 et, conformément au point 37 de celles-ci, à fixer de manière forfaitaire le montant de base de l’amende imposée à l’entreprise qui, par son activité de conseil, avait facilité une entente (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, points 65 à 67).

28

S’agissant de déterminer l’étendue de l’obligation de motivation qui pèse sur la Commission lorsqu’elle s’écarte de la méthodologie générale prévue par les lignes directrices de 2006, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, si une décision de la Commission se plaçant dans la ligne d’une pratique décisionnelle constante peut être motivée d’une manière sommaire, notamment par une référence à cette pratique, lorsqu’elle va sensiblement plus loin que les décisions précédentes, il incombe à la Commission de développer son raisonnement d’une manière explicite (voir, notamment, arrêts du 26 novembre 1975, Groupement des fabricants de papiers peints de Belgique e.a./Commission, 73/74, EU:C:1975:160, point 31, et du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 155).

29

Il y a lieu de rappeler également la jurisprudence constante ayant reconnu que lesdites lignes directrices énoncent une règle de conduite indicative de la pratique à suivre dont la Commission ne peut s’écarter, dans un cas particulier, sans donner des raisons qui soient compatibles avec, notamment, le principe d’égalité de traitement (voir, en ce sens, arrêts du 30 mai 2013, Quinn Barlo e.a./Commission, C‑70/12 P, non publié, EU:C:2013:351, point 53, et du 11 juillet 2013, Ziegler/Commission, C‑439/11 P, EU:C:2013:513, point 60 et jurisprudence citée).

30

Lorsque la Commission invoque le point 37 des lignes directrices de 2006, elle est donc tenue d’exposer les raisons lui permettant de considérer que les particularités de l’affaire dont elle est saisie ou la nécessité d’atteindre un niveau dissuasif justifient qu’elle s’écarte de la méthode indiquée dans lesdites lignes directrices, ainsi que l’a jugé, en substance, le Tribunal au point 289 de l’arrêt attaqué.

31

Par ailleurs, la Commission satisfait à son obligation de motivation lorsqu’elle expose, dans sa décision, les éléments d’appréciation qui lui ont permis de mesurer la gravité et la durée de l’infraction (arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, point 68). Bien qu’elle ne soit pas tenue d’indiquer tous les éléments chiffrés relatifs à chacune des étapes intermédiaires du mode de calcul de l’amende retenu, il lui incombe cependant, ainsi que le Tribunal l’a jugé au point 291 de l’arrêt attaqué, d’expliquer la pondération et l’évaluation qu’elle a faites des éléments pris en considération (arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 61).

32

Si la mention de ces éléments est nécessaire, la question de savoir si elle est suffisante doit être appréciée au regard des circonstances en cause et du contexte dans lequel s’inscrit la décision de la Commission.

33

Certes, dans une affaire dans laquelle la Commission avait fixé de manière forfaitaire le montant de base de l’amende infligée à l’entreprise qui avait facilité l’entente, la Cour a jugé qu’était suffisante la motivation se limitant à énoncer qu’il avait été tenu compte de la gravité et de la durée des infractions lors de la détermination de ce montant (voir, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2015,AC-Treuhand/Commission, C‑194/14 P, EU:C:2015:717, points 68 et 69). Toutefois, il ne saurait être déduit de cet arrêt qu’une telle motivation est toujours suffisante, quelles que soient les particularités de la situation en cause.

34

Par ailleurs, lorsque la Commission s’écarte des lignes directrices de 2006 et applique une autre méthodologie spécifiquement adaptée aux particularités de la situation des entreprises ayant facilité une entente, il est nécessaire, au regard des droits de la défense, que cette méthodologie soit divulguée aux intéressées, afin que celles-ci soient mises en mesure de faire connaître leur point de vue sur les éléments sur lesquels la Commission entend fonder sa décision (voir, par analogie, arrêt du 22 octobre 2013, Sabou, C‑276/12, EU:C:2013:678, point 38 et jurisprudence citée). En effet, cette divulgation contribue à l’équité, à l’impartialité et à la qualité des décisions de la Commission dont dépend, en dernier ressort, la confiance que le public et les entreprises placent dans la légitimité de l’action de cette institution en matière de concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 16 janvier 2019, Commission/United Parcel Service, C‑265/17 P, EU:C:2019:23, points 31, 33, 34 et 53).

35

En l’espèce, il est constant que la Commission a déterminé le montant de base des amendes infligées à Icap et à R. P. Martin sur le fondement d’une même méthode spécifiquement élaborée pour répondre à la situation particulière des facilitateurs et reposant sur un test en cinq étapes qui est de nature à mesurer la durée et la gravité de leur implication dans les infractions en question. Ainsi, les circonstances de la présente affaire diffèrent de celles en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 22 octobre 2015, AC-Treuhand/Commission (C‑194/14 P, EU:C:2015:717), dans laquelle la Commission avait défini de manière forfaitaire le montant de base de l’amende infligée à l’unique facilitateur de l’entente.

36

De plus, le Tribunal a relevé, au point 293 de l’arrêt attaqué, que le considérant 287 de la décision litigieuse « ne fournit pas de précisions quant à la méthode alternative privilégiée par la Commission, mais se contente de l’assurance générale de ce que les montants de base refléteraient la gravité, la durée et la nature de la participation d’Icap aux infractions en cause ainsi que la nécessité de garantir que les amendes ont un effet suffisamment dissuasif ».

37

Au vu des éléments de droit rappelés aux points 28 à 34 du présent arrêt, le Tribunal a approuvé à bon droit l’appréciation, figurant au point 294 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, d’une part, « [r]édigé de la sorte, le considérant 287 de la [décision litigieuse] ne permet ni aux requérantes de comprendre le bien-fondé de la méthodologie privilégiée par la Commission ni au Tribunal de vérifier celui-ci » et, d’autre part, « [c]ette insuffisance de motivation se retrouve également aux considérants 290 à 296 de ladite décision, lesquels ne fournissent pas les informations minimales qui auraient pu permettre de comprendre et de vérifier la pertinence et la pondération des éléments pris en considération par la Commission dans la détermination du montant de base des amendes, cela en violation de la jurisprudence » (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 61).

38

Contrairement à ce que soutient la Commission, l’obligation de motiver à suffisance la pertinence et la pondération des éléments qu’elle a pris en considération dans la détermination de la méthode alternative qu’elle a privilégiée n’implique pas, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 31 du présent arrêt, qu’elle soit tenue de fournir des éléments chiffrés relatifs au mode de calcul de l’amende ou qu’elle soit contrainte d’expliquer en détail les calculs internes qu’elle a effectués. En l’espèce, la Commission n’a d’ailleurs pas prétendu que l’énumération des cinq étapes que comporte la méthode alternative retenue, et qu’elle a uniquement exposée au stade de la procédure suivie devant le Tribunal, la conduisait à révéler des données chiffrées ou des calculs internes.

39

La Commission objecte également que le Tribunal a omis de prendre en considération les informations relatives à la méthodologie de calcul, qui ont été fournies à la requérante dans le cadre de la procédure administrative ainsi qu’au stade contentieux.

40

Toutefois, compte tenu de l’importance que revêt l’obligation de motivation au regard des éléments rappelés au point 34 du présent arrêt, c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a jugé, au point 295 de l’arrêt attaqué, que, si « la motivation d’un acte attaqué doit être examinée en prenant en compte son contexte, il ne saurait être considéré que la tenue de [...] discussions exploratoires et informelles peut dispenser la Commission de son obligation d’expliciter, dans la décision attaquée, la méthodologie qu’elle a appliquée aux fins de déterminer les montants des amendes infligées ».

41

En outre, eu égard à l’absence de toute explication quant à la pertinence et à la pondération des éléments pris en compte par la Commission dans la détermination de la méthode de calcul du montant de base de l’amende infligée à Icap, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 296 de l’arrêt attaqué, qu’une « explicitation fournie au stade de la procédure devant le Tribunal ne [pouvait] être prise en compte aux fins d’apprécier le respect par la Commission de son obligation de motivation ».

42

Il convient, dès lors, de rejeter le moyen unique du pourvoi comme étant non fondé.

43

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté.

Sur les dépens

44

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Icap ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :

 

1)

Le pourvoi est rejeté.

 

2)

La Commission européenne est condamnée aux dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.