ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

4 juillet 2019 ( *1 )

« Manquement d’État – Services dans le marché intérieur – Directive 2006/123/CE – Article 15 – Article 49 TFUE – Liberté d’établissement – Honoraires des architectes et des ingénieurs pour les prestations de planification – Tarifs minimum et maximum »

Dans l’affaire C‑377/17,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 23 juin 2017,

Commission européenne, représentée par MM. W. Mölls et L. Malferrari ainsi que par Mme H. Tserepa-Lacombe, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

République fédérale d’Allemagne, représentée initialement par MM. T. Henze et D. Klebs, puis par M. D. Klebs, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par :

Hongrie, représentée par MM. M. Z. Fehér et G. Koós ainsi que par Mme M. M. Tátrai, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. M. Vilaras, président de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la quatrième chambre, MM. L. Bay Larsen, S. Rodin (rapporteur) et N. Piçarra, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. K. Malacek, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 novembre 2018,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 28 février 2019,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en maintenant des tarifs obligatoires pour les architectes et les ingénieurs, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 49 TFUE ainsi que de l’article 15, paragraphe 1, paragraphe 2, sous g), et paragraphe 3, de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur (JO 2006, L 376, p. 36).

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

2

Le considérant 40 de la directive 2006/123 est ainsi libellé :

« La notion de “raisons impérieuses d’intérêt général” à laquelle se réfèrent certaines dispositions de la présente directive a été élaborée par la Cour de justice dans sa jurisprudence relative aux articles 43 et 49 du traité et est susceptible d’évoluer encore. Cette notion, au sens que lui donne la jurisprudence de la Cour, couvre au moins les justifications suivantes : [...] la protection des destinataires de services, [...] la protection de l’environnement et de l’environnement urbain, y compris l’aménagement du territoire, [...] la protection de la propriété intellectuelle, des objectifs de politique culturelle, [...] »

3

L’article 2, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« La présente directive s’applique aux services fournis par les prestataires ayant leur établissement dans un État membre. »

4

L’article 15 de ladite directive énonce :

« 1.   Les États membres examinent si leur système juridique prévoit les exigences visées au paragraphe 2 et veillent à ce que ces exigences soient compatibles avec les conditions visées au paragraphe 3. Les États membres adaptent leurs dispositions législatives, réglementaires ou administratives afin de les rendre compatibles avec ces conditions.

2.   Les États membres examinent si leur système juridique subordonne l’accès à une activité de service ou son exercice au respect de l’une des exigences non discriminatoires suivantes :

[...]

g)

les tarifs obligatoires minimum et/ou maximum que doit respecter le prestataire ;

[...]

3.   Les États membres vérifient que les exigences visées au paragraphe 2 remplissent les conditions suivantes :

a)

non-discrimination : les exigences ne sont pas directement ou indirectement discriminatoires en fonction de la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, de l’emplacement de leur siège statutaire ;

b)

nécessité : les exigences sont justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général ;

c)

proportionnalité : les exigences doivent être propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi, ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et d’autres mesures moins contraignantes ne doivent pas permettre d’atteindre le même résultat.

[...]

5.   Dans le rapport d’évaluation mutuelle prévu à l’article 39, paragraphe 1, les États membres indiquent :

a)

les exigences qu’ils envisagent de maintenir ainsi que les raisons pour lesquelles ils estiment qu’elles sont conformes aux conditions visées au paragraphe 3 ;

b)

les exigences qui ont été supprimées ou allégées.

6.   À partir du 28 décembre 2006, les États membres ne peuvent plus introduire de nouvelles exigences du type de celles visées au paragraphe 2, à moins que ces exigences soient conformes aux conditions prévues au paragraphe 3.

[...] »

Le droit allemand

5

Les tarifs des architectes et des ingénieurs sont régis par la Honorarordnung für Architekten und Ingenieure (règlement sur les honoraires des architectes et des ingénieurs), du 10 juillet 2013 (BGBl. I, p. 2276, ci-après la « HOAI »).

6

L’article 1er de la HOAI est ainsi libellé :

« Le présent règlement régit le calcul des rémunérations des prestations de base des architectes et des ingénieurs (mandataires) ayant leur siège en Allemagne, dès lors que lesdites prestations de base sont visées par le présent règlement et fournies depuis le territoire allemand. »

7

Aux termes de l’article 3 de la HOAI :

« 1.   Les honoraires des prestations de base de la planification de surfaces, d’ouvrages et spécialisée sont réglementés avec effet contraignant aux parties 2 à 4 du présent règlement. Les honoraires de services de conseil visés à l’annexe 1 ne sont pas réglementés avec effet contraignant.

2.   Les prestations de base qui sont généralement nécessaires à l’exécution conforme d’un mandat sont reprises dans les profils de prestation. Les profils de prestation sont subdivisés en phases de prestation, conformément aux dispositions des parties 2 à 4.

3.   La liste des prestations particulières visées par le présent règlement et les profils de prestation et leurs annexes n’est pas exhaustive. Les prestations particulières peuvent également être convenues pour les plans de profils de prestation et les phases de prestation dont elles ne relèvent pas, pour autant qu’elles ne constituent pas des prestations de base. Les honoraires des prestations spéciales peuvent être convenus librement.

4.   Il convient toujours de respecter le caractère économique de la prestation. »

8

L’article 7 de la HOAI prévoit :

« 1.   Les honoraires sont fondés sur la convention écrite adoptée par les parties contractantes lors de l’attribution du mandat et s’inscrivent dans le cadre des montants minimum et maximum fixés par le présent règlement.

2.   Si les coûts ou surfaces éligibles déterminés se situent hors des barèmes fixés dans les tableaux d’honoraires du présent règlement, les honoraires peuvent être convenus librement.

3.   Les montants minimum fixés dans le présent règlement peuvent être abaissés dans des cas exceptionnels, moyennant accord par écrit.

4.   Les montants maximum fixés dans le présent règlement peuvent être dépassés uniquement en cas de prestations de base extraordinaires ou d’une durée inhabituellement longue, moyennant accord par écrit. Il n’est pas tenu compte dans ce cas de circonstances qui ont déjà été déterminantes pour le classement dans les tranches d’honoraires ou pour le classement dans le cadre des montants minimum et maximum. »

9

Les parties 2 à 4 de la HOAI, mentionnées à l’article 3, paragraphe 1, de ce règlement, contiennent des dispositions détaillées relatives aux montants minimum et maximum pour la planification de surfaces, d’ouvrages et spécialisée. Certaines de ces dispositions permettent l’abaissement des tarifs minimum dans les cas exceptionnels, conformément à l’article 7, paragraphe 3, dudit règlement.

10

L’article 44, paragraphe 7, de la HOAI prévoit :

« Si la charge de planification d’ouvrages de génie civil qui ont une grande extension en longueur et sont érigés dans des conditions de construction égales est disproportionnée par rapport aux honoraires calculés, il convient d’appliquer l’article 7, paragraphe 3. »

11

L’article 52, paragraphe 5, de la HOAI dispose :

« Si la charge de planification de structures portantes d’ouvrages de génie civil qui ont une grande extension en longueur et sont érigés dans des conditions de construction égales est disproportionnée par rapport aux honoraires calculés, il convient d’appliquer l’article 7, paragraphe 3. »

12

L’article 56, paragraphe 6, de la HOAI est ainsi libellé :

« Si la charge de planification des équipements techniques d’ouvrages de génie civil qui ont une grande extension en longueur et sont érigés dans des conditions de construction égales est disproportionnée par rapport aux honoraires calculés, il convient d’appliquer l’article 7, paragraphe 3. »

La procédure précontentieuse

13

Après avoir mené une évaluation du respect des obligations posées par la directive 2006/123, la Commission a organisé des entretiens bilatéraux avec certains États membres, portant notamment sur les tarifs obligatoires prévus par les législations nationales. C’est dans ce contexte que la Commission a ouvert une procédure EU Pilot, dans le cadre de laquelle la République fédérale d’Allemagne a pris position le 10 mars 2015, afin de justifier les dispositions de la HOAI relatives aux tarifs des architectes et des ingénieurs.

14

Par lettre de mise en demeure du 18 juin 2015, la Commission a attiré l’attention des autorités allemandes sur le fait que les dispositions de la HOAI relatives aux tarifs pouvaient enfreindre l’article 15, paragraphe 1, paragraphe 2, sous g), et paragraphe 3, de la directive 2006/123 ainsi que l’article 49 TFUE.

15

Par lettre du 22 septembre 2015, la République fédérale d’Allemagne a contesté les griefs qui lui étaient reprochés. Elle a fait valoir que la HOAI ne restreignait pas la liberté d’établissement et que, même à supposer que tel fût le cas, une éventuelle restriction de ce type aurait été justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général. Elle a également relevé que les dispositions nationales en cause ne régissaient que des situations purement internes, qui n’auraient pu être appréciées à la lumière de la directive 2006/123 et de l’article 49 TFUE.

16

Le 25 février 2016, la Commission a émis un avis motivé dans lequel elle a réitéré les arguments qu’elle avait exposés dans la lettre de mise en demeure. Elle a invité cet État membre à prendre, dans un délai de deux mois à compter de la réception de cet avis, les mesures nécessaires pour s’y conformer. La République fédérale d’Allemagne a répondu audit avis le 13 mai 2016, en maintenant son argumentation.

17

Estimant que la République fédérale d’Allemagne n’avait pas remédié à l’infraction reprochée, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

18

Par décision du président de la Cour du 7 novembre 2017, la Hongrie a été admise à intervenir au litige au soutien des conclusions de la République fédérale d’Allemagne.

Sur le recours

Argumentation des parties

19

La Commission fait valoir, en premier lieu, que la HOAI comporte une restriction à la liberté d’établissement garantie par l’article 49 TFUE et par la directive 2006/123. Elle estime que cette réglementation, qui instaure un système de tarifs minimum et maximum pour les prestations des architectes et des ingénieurs, fait obstacle à l’entrée sur le marché allemand de nouveaux fournisseurs provenant d’autres États membres. À cet égard, elle soutient que la HOAI limite les possibilités pour ceux-ci, pour lesquels il est moins facile de s’attacher une clientèle sur le marché allemand, d’offrir des prestations équivalentes à celles qui sont proposées par les fournisseurs déjà établis en Allemagne à des prix inférieurs à ceux prévus par le tarif obligatoire ou des prestations supérieures à des prix excédant les tarifs maximum prévus.

20

Cette institution considère que la densité de l’offre de services par les architectes et les ingénieurs en Allemagne est sans incidence sur l’existence des restrictions en cause à la liberté d’établissement. À cet égard, elle fait valoir que l’article 15 de la directive 2006/123 ne fait pas référence à la situation du marché et que la Cour a, dans son arrêt du 5 décembre 2006, Cipolla e.a. (C‑94/04 et C‑202/04, EU:C:2006:758), considéré que la fixation d’honoraires minimum pour des avocats constituait une restriction à la libre prestation des services, alors que le marché était caractérisé par la présence d’un nombre extrêmement élevé d’avocats.

21

Par ailleurs, elle soutient que, si la HOAI porte sur les modalités de fourniture de services par les architectes et les ingénieurs, elle entrave, par ses effets, l’accès au marché en tant que tel.

22

En outre, la Commission déduit du libellé de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2006/123 que celle-ci s’applique également dans le cas de situations purement internes.

23

En deuxième lieu, la Commission considère que les restrictions à la liberté d’établissement que comporte la HOAI ne peuvent être justifiées par les raisons impérieuses d’intérêt général invoquées par la République fédérale d’Allemagne.

24

Premièrement, la Commission estime que le maintien d’un niveau élevé de prestations ne peut pas, en l’espèce, justifier la restriction en cause. Il ne saurait être déduit de l’arrêt du 5 décembre 2006, Cipolla e.a. (C‑94/04 et C‑202/04, EU:C:2006:758), que la Cour a considéré comme étant légale toute réglementation fixant des tarifs minimum lorsque le marché est caractérisé par un nombre élevé de fournisseurs des services en cause. La preuve que les tarifs étaient de nature à assurer la qualité de ces services devait être rapportée par la République fédérale d’Allemagne.

25

En particulier, la Commission estime que cet État membre aurait dû démontrer que l’abandon des tarifs minimum conduisait à fixer un niveau de prix pour ces prestations qui pouvait générer des incertitudes quant à la qualité de celles-ci. Il ressortirait des données d’Eurostat que le taux brut d’exploitation dans le cas des prestations d’architectes en Allemagne est nettement plus élevé que dans d’autres États membres, alors qu’il n’existerait aucun indice selon lequel la qualité des prestations fournies dans les autres États membres serait moindre en raison de la pratique de marges inférieures. En outre, la Commission fait valoir que la HOAI va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif recherché, dans la mesure où les prestataires qui veulent offrir leurs services à un moindre prix par rapport aux tarifs minimum n’ont pas la possibilité de prouver qu’ils remplissent toutes les exigences requises par la réglementation nationale.

26

La Commission fait observer que le recours fréquent à la faculté, prévue par la HOAI, de conclure une convention sur les frais de construction et de fixer des honoraires inférieurs aux tarifs minimum, sans qu’une baisse de la qualité des services soit à déplorer, fragilise l’argumentation de la République fédérale d’Allemagne.

27

Deuxièmement, la Commission rejette l’argumentation selon laquelle l’objectif de protection des consommateurs par l’élimination de l’asymétrie d’information entre les consommateurs et les prestataires serait atteint par le niveau qualitatif élevé des services, qui serait lui-même garanti par l’imposition de tarifs minimum. Selon la Commission, cette argumentation serait fondée sur la prémisse erronée selon laquelle de tels tarifs garantissent la qualité des services fournis.

28

Par ailleurs, la Commission observe que l’article 22 de la directive 2006/123 oblige les prestataires à informer les destinataires du prix d’un service ou de la méthode de calcul de ce prix. Les autorités nationales pourraient prévoir la publication d’informations sur les prix couramment pratiqués en tant qu’indices de la pratique du marché. En outre, elle fait observer que la République fédérale d’Allemagne n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles une asymétrie d’information n’existait pas dans le cas de prestations de conseil, lesquelles ne sont pas soumises aux tarifs obligatoires prévus par la HOAI.

29

Cette institution considère que les études invoquées par cet État membre ne permettent pas de démontrer l’existence d’une corrélation entre les prix des services et leur qualité. Elle relève également que les raisons pour lesquelles le prétendu effet d’incitation des tarifs minimum conduirait aux conséquences décrites en des termes généraux par la République fédérale d’Allemagne ne ressortent pas des explications avancées par ledit État membre. La Commission considère que la lettre du Conseil européen des chambres d’ingénieurs, du 5 novembre 2015, renvoie à la déclaration dudit Conseil, du 26 septembre 2015, qui décrit de manière positive les systèmes qui assurent une rémunération uniforme, prévisible et transparente, pour certains types de prestations, sans, toutefois, encadrer de manière contraignante les tarifs fixés pour celles-ci. La Commission est d’avis qu’il ressort de ladite déclaration que des mesures moins contraignantes que celles prévues par la HOAI permettent d’atteindre les objectifs recherchés. Elle considère que, afin de parvenir au niveau de qualité escompté, il y aurait lieu d’adopter des mesures alternatives à celles prévues par la HOAI, telles que des règles relatives aux qualifications professionnelles et à la responsabilité professionnelle.

30

Troisièmement, la Commission soutient que les objectifs consistant à assurer le maintien et la pérennité des entreprises de services ainsi que le revenu des prestataires sont de nature purement économique et ne constituent pas des raisons impérieuses d’intérêt général.

31

En troisième lieu, la Commission considère que, contrairement à ce que fait valoir la République fédérale d’Allemagne, les règles tarifaires prévues par la HOAI ne sont pas aptes à atteindre l’objectif de protection des consommateurs, dès lors qu’elles ne les informent pas sur le caractère approprié des prix proposés ni ne les mettent en mesure de vérifier, en dépit de la grille tarifaire prévue par la HOAI, les montants pratiqués. Selon cette institution, si cette grille tarifaire permet aux consommateurs de distinguer plus aisément les différentes prestations qui leur sont proposées et peut éventuellement être utile afin de classer les prestations selon leur importance, elle ne justifie pas pour autant l’obligation de recourir aux tarifs minimum et maximum fixés en fonction de cette subdivision.

32

En quatrième lieu, la Commission relève que l’article 7, paragraphes 3 et 4, de la HOAI, qui permet une certaine flexibilité dans l’application des tarifs obligatoires, a été conçu comme une exception, interprétée de manière restrictive par les juridictions allemandes. Il ne serait ainsi possible de déroger, par accord écrit, aux tarifs maximum qu’en cas de prestations de base extraordinaires ou d’une durée inhabituellement longue.

33

Elle fait également valoir que, en vertu de l’article 7, paragraphe 3, de la HOAI, les dérogations aux tarifs minimum sont permises dans des cas spécifiques, relatifs aux prestations fournies par des ingénieurs et non pas par des architectes.

34

Les dérogations aux tarifs minimum sont, d’après la Commission, également interprétées de manière stricte par les juridictions allemandes. Citant la jurisprudence du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), la Commission soutient qu’un fournisseur ne peut répercuter sur ses clients des économies de coûts réalisées dans son entreprise, par rationalisation, si cela conduit à fixer un prix qui serait inférieur aux tarifs minimum. S’agissant, plus particulièrement, de l’arrêt du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice), du 22 mai 1997, la Commission fait valoir qu’il ressort dudit arrêt que même le cas d’une collaboration durable reposant sur une offre d’un architecte ou d’un ingénieur prévoyant des tarifs inférieurs aux tarifs minimum constitue une infraction à la HOAI, car chaque contrat doit être considéré séparément. La Commission conclut que le système allemand n’est pas suffisamment flexible pour être considéré comme étant conforme au droit de l’Union.

35

En outre, la Commission soutient, d’une part, que la République fédérale d’Allemagne n’a pas exposé les motifs pour lesquels les tarifs maximum sont supposés contribuer à l’élimination des asymétries d’information entre les consommateurs et les prestataires portant sur la qualité des services fournis. Cette institution conclut, d’autre part, que l’objectif de protection des clients à l’égard de la fixation d’honoraires excessifs peut être atteint par la mise à la disposition du client d’une information appropriée, à l’aide de laquelle il peut évaluer la manière dont le prix qui lui est demandé se situe par rapport aux prix usuels du marché. Une telle mesure serait moins contraignante que celle qui résulte du système tarifaire prévu par la HOAI.

36

La République fédérale d’Allemagne fait valoir, en premier lieu, que la HOAI ne viole ni l’article 49 TFUE ni la directive 2006/123, dans la mesure où, d’une part, elle ne prévoit des tarifs minimum et maximum en matière d’honoraires que pour des prestations de base relevant de la planification des surfaces, des bâtiments et des autres planifications spécialisées, pour lesquelles la garantie d’un standard de qualité élevé répond à un objectif d’intérêt général, et non pour des prestations de conseil, dont les honoraires seraient librement négociables entre les parties.

37

D’autre part, la HOAI prévoirait de nombreuses exceptions, afin de garantir qu’il puisse être convenu d’honoraires corrects dans chaque cas particulier, ce qui traduirait le haut degré de flexibilité de cette réglementation qui permettrait à des opérateurs provenant d’autres États membres de l’Union européenne de pénétrer le marché allemand dans des conditions de concurrence efficace.

38

À cet égard, la République fédérale d’Allemagne s’appuie sur la jurisprudence de la Cour, notamment sur l’arrêt du 28 avril 2009, Commission/Italie (C‑518/06, EU:C:2009:270), selon laquelle des tarifs minimum et maximum ne constituent pas une restriction à la liberté d’établissement et à la libre circulation des services lorsque le régime qui les prévoit est caractérisé par une flexibilité qui permet une certaine modulation des tarifs en fonction de la nature des prestations qui ont été effectuées. Or, en l’occurrence, la HOAI prévoirait bien une telle flexibilité, tant en ce qui concerne les tarifs minimum que les tarifs maximum.

39

Par ailleurs, elle soutient qu’il ressort de l’arrêt du 15 novembre 2016, Ullens de Schooten (C‑268/15, EU:C:2016:874), que des situations purement internes ne doivent pas être appréciées à la lumière de la liberté d’établissement et de la directive 2006/123, ni l’une ni l’autre n’étant applicables à de telles situations.

40

En outre, cet État membre considère que la Commission n’a pas exposé les raisons pour lesquelles l’accès au marché serait restreint par les tarifs minimum et maximum prévus par la HOAI, ni démontré l’existence de restrictions concrètes à la liberté d’établissement. Elle se serait uniquement référée aux « restrictions éventuelles » et se serait contentée de soutenir que la situation du marché est « sans importance ». Or, ledit État membre invoque à cet égard la jurisprudence de la Cour selon laquelle il n’y aurait pas de restriction lorsque les éventuels effets d’une mesure sur la liberté d’établissement sont trop aléatoires et trop indirects, ainsi que le considérant 69 de la directive 2006/123, dont le libellé rappelle, en substance, cette jurisprudence. Partant, il considère que, en l’espèce, la mesure à évaluer, qui ne concerne même pas l’accès au marché, ne produit aucun effet concret sur la liberté d’établissement et que la Commission n’a pas rapporté la preuve, qui lui incombait, de l’existence d’un tel effet.

41

La République fédérale d’Allemagne se réfère ensuite à des documents provenant des organisations professionnelles des architectes et des ingénieurs, desquels il ressortirait que la HOAI n’empêche pas l’accès au marché allemand et n’entrave pas la liberté d’établissement sur le territoire de cet État membre.

42

En deuxième lieu et à titre subsidiaire, la République fédérale d’Allemagne fait valoir que le système tarifaire prévu par la HOAI est justifié par des raisons impérieuses d’intérêt général, à savoir la garantie de la qualité des prestations de planification, la protection des consommateurs, la sécurité architecturale, la préservation de la culture architecturale et la construction écologique. Selon cet État membre, l’objectif principal de la HOAI est de garantir un standard de qualité élevé des prestations d’architectes et d’ingénieurs.

43

La République fédérale d’Allemagne souligne qu’une prestation de planification de qualité répond à l’objectif de protection des consommateurs à deux égards, en ce qu’elle garantit la sécurité des bâtiments et en ce qu’elle vise à éviter les erreurs lors de l’exécution des travaux, laquelle serait ainsi également plus rapide et moins coûteuse. Ledit État membre ajoute que la fixation des tarifs minimum est soutenue tant par les organisations professionnelles des maîtres d’ouvrage que par les associations de consommateurs.

44

La République fédérale d’Allemagne conteste l’argumentation de la Commission par laquelle celle-ci estime que la restriction en cause à la liberté d’établissement n’est pas justifiée. Elle fait notamment valoir que la préservation d’une structure de marché fondée sur des petites et moyennes entreprises est un but souhaitable, dans la mesure où elle a pour effet de garantir l’existence d’un nombre élevé de prestataires et de contribuer à une concurrence fondée sur une « meilleure qualité ». Cet État membre relève que le constat de la Commission relatif aux taux bruts d’exploitation en Allemagne peut être considérablement faussé par la structure des entreprises actives sur son territoire. Il ajoute que la possibilité de conclure une convention sur les frais de construction, qui a existé entre l’année 2009 et l’année 2014, a été déclarée illégale par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) en 2014.

45

En troisième lieu, la République fédérale d’Allemagne considère que la fixation de tarifs minimum est propre à assurer l’objectif de garantie d’un niveau élevé de qualité des prestations. À cet égard, elle rappelle que la Cour a, dans l’arrêt du 5 décembre 2006, Cipolla e.a. (C‑94/04 et C‑202/04, EU:C:2006:758), reconnu dans son principe l’existence d’un lien, sur un marché caractérisé par une forte asymétrie d’information entre prestataires et destinataires de services ainsi que par la présence d’un nombre élevé de prestataires, entre l’introduction d’un tarif minimum pour des prestations de services et la préservation de la qualité de ces dernières, et ce même si elle a laissé à la juridiction nationale le soin de constater l’existence et la pertinence de ce lien dans le litige au principal. La Cour aurait, du reste, reconnu aux États membres une marge d’appréciation dans des situations comparables, si bien qu’il ne saurait être exigé que ceux-ci démontrent un lien de causalité dans le sens d’une condition sine qua non entre la qualité et le prix d’une prestation sur le marché national. Ledit État membre précise qu’il s’est, même en l’absence d’exigence en ce sens, fondé, dans le cadre de l’adoption de la HOAI, sur des études détaillées portant sur la fixation de tarifs minimum et maximum et sur l’effet de ceux-ci.

46

Selon la République fédérale d’Allemagne, les tarifs minimum et maximum sont appropriés pour atteindre l’objectif de qualité recherché, dès lors qu’il existe un lien entre le prix et la qualité, dans la mesure où une charge de travail importante effectuée par du personnel hautement qualifié se répercute sur le prix, qui en devient plus élevé. Si le prix est inférieur à un niveau déterminé, il peut être supposé que ce prix ne peut être atteint que par un niveau de qualité inférieur des prestations.

47

Elle relève à cet égard l’existence d’un risque de « sélection adverse » sur le marché des prestations de planification en Allemagne. Ainsi, dans la mesure où les consommateurs ne sont pas suffisamment informés et ne sont pas à même de percevoir les différences de qualité, ils opteraient systématiquement pour l’offre la moins chère, de sorte que la concurrence ne serait plus fondée que sur les prix. Compte tenu de cette asymétrie d’information entre prestataires et consommateurs, cumulée à une forte présence de prestataires sur le marché, il ne serait pratiquement plus possible de demeurer concurrentiel et de réaliser des bénéfices qu’en offrant des prestations de moindre qualité, ce qui aboutirait à une situation d’« aléa moral » ou de « sélection adverse ».

48

Ledit État membre estime que, par la fixation légale de tarifs minimum, l’importance du prix en tant que facteur de concurrence est réduite, ce qui permettrait de prévenir une telle détérioration de la qualité des prestations.

49

La République fédérale d’Allemagne soutient encore que la fixation de tarifs minimum prévus par la HOAI ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs énoncés et qu’il n’existe pas de mesure moins restrictive, en ce que la HOAI tient compte de la nature des prestations concernées, n’impose de tels tarifs qu’aux prestations de planification et prévoit de nombreuses exceptions à son application.

50

Les mesures alternatives proposées par la Commission ne seraient pas appropriées pour remplacer les tarifs obligatoires. Ainsi, des règles d’accès à la profession garantiraient uniquement que les membres d’une profession disposent de la qualification requise, alors qu’un système de tarifs obligatoires permettrait d’assurer la fourniture de prestations de qualité. En effet, d’une part, l’accès aux activités professionnelles soumises à la HOAI ne serait pas limité en Allemagne, toute personne pouvant, en principe, exercer de telles activités pour autant qu’elle respecte cette réglementation. D’autre part, l’introduction d’éventuelles réglementations régissant l’accès aux professions concernées constituerait une restriction de la liberté d’établissement bien plus importante que celle qui résulte de la HOAI.

51

En outre, la République fédérale d’Allemagne considère que l’alternative consistant à prévoir des règles de responsabilité et d’assurance responsabilité professionnelle obligatoire n’est pas davantage convaincante. En effet, les règles portant sur les honoraires figurant dans la HOAI seraient censées assurer, de manière préventive, une qualité élevée des prestations, alors que les règles de responsabilité et d’assurance, ne s’appliquant que lorsqu’un dommage est survenu, seraient, par nature, inappropriées pour protéger des intérêts généraux comme la sécurité des constructions, la culture architecturale ou l’écologie.

52

Quant à l’alternative proposée par la Commission consistant à prévoir des règles relatives à l’exercice de la profession, elle ne permettrait que d’atteindre une qualité minimale des prestations effectuées et non pas le standard qualitatif élevé recherché par la réglementation litigieuse. En effet, aux fins d’atteindre l’objectif de qualité recherché, il y aurait lieu soit de contraindre tous les prestataires concernés à adhérer à des organisations professionnelles chargées de surveiller la qualité des prestations fournies, soit d’exclure du marché ceux qui ne sont pas membres de telles organisations.

53

Enfin, la République fédérale d’Allemagne conteste l’alternative consistant en la publication d’informations sur les prix couramment pratiqués en tant qu’indices de la pratique du marché. Cet État membre considère qu’une telle publication ne résoudrait pas le problème d’asymétrie d’information et pourrait même renforcer la « spirale » des prix vers le bas.

54

En quatrième lieu, la République fédérale d’Allemagne soutient que les tarifs maximum ne constituent pas un obstacle à la liberté d’établissement et qu’ils sont, en tout état de cause, justifiés par la protection des consommateurs en leur évitant de supporter une charge exagérément lourde résultant d’honoraires excessifs. Par ailleurs, ils seraient propres à réaliser les objectifs énoncés.

55

La Hongrie, intervenant au soutien des conclusions de la République fédérale d’Allemagne, partage, en substance, l’argumentation de cet État membre.

Appréciation de la Cour

56

Il y a lieu, d’abord, d’examiner la réglementation nationale en cause au regard de l’article 15 de la directive 2006/123 avant de procéder, le cas échéant, à l’examen de cette réglementation au regard des dispositions de l’article 49 TFUE.

57

À titre liminaire, il y a lieu de rejeter l’argumentation du gouvernement allemand selon laquelle l’article 15 de la directive 2006/123 n’est pas applicable à des situations purement internes, c’est-à-dire à des situations dans lesquelles les faits se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre.

58

En effet, la Cour a déjà dit pour droit que les dispositions du chapitre III de la directive 2006/123, relatives à la liberté d’établissement des prestataires, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’appliquent également à une situation dont tous les éléments pertinents se cantonnent à l’intérieur d’un seul État membre (arrêt du 30 janvier 2018, X et Visser, C‑360/15 et C‑31/16, EU:C:2018:44, point 110).

59

Il convient ensuite de rappeler que, aux termes de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2006/123, les États membres doivent examiner si leur système juridique prévoit des exigences telles que celles visées au paragraphe 2 de cet article, et veiller à ce que celles-ci soient compatibles avec les conditions visées au paragraphe 3 de celui-ci.

60

L’article 15, paragraphe 2, sous g), de ladite directive vise les exigences qui subordonnent l’exercice d’une activité au respect par le prestataire de tarifs minimum et/ou maximum.

61

Il découle des paragraphes 5 et 6 dudit article 15 qu’il est permis aux États membres de maintenir ou, le cas échéant, d’introduire des exigences du type de celles mentionnées au paragraphe 2 du même article, sous réserve que celles-ci soient conformes aux conditions visées au paragraphe 3 (voir, en ce sens, arrêt du 16 juin 2015, Rina Services e.a., C‑593/13, EU:C:2015:399, point 33).

62

Lesdites conditions portent, premièrement, sur le caractère non discriminatoire des exigences concernées, qui ne peuvent être directement ou indirectement discriminatoires en fonction de la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, en fonction de l’emplacement de leur siège statutaire, deuxièmement, sur leur caractère nécessaire, à savoir qu’elles doivent être justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général, et, troisièmement, sur leur proportionnalité, lesdites exigences devant être propres à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et d’autres mesures moins contraignantes ne devant pas permettre d’atteindre le même résultat.

63

L’article 15 de la directive 2006/123 vise en ce sens à concilier la compétence réglementaire des États membres en ce qui concerne les exigences à évaluer en application de cet article, d’une part, et l’exercice effectif de la liberté d’établissement, d’autre part.

64

Il s’ensuit, en particulier, que, s’il incombe certes à l’État membre invoquant une raison impérieuse d’intérêt général pour justifier une exigence au sens dudit article 15 de démontrer que sa réglementation est appropriée et nécessaire en vue d’atteindre l’objectif légitime poursuivi, cette charge de la preuve ne saurait aller jusqu’à exiger que cet État membre démontre, de manière positive, qu’aucune autre mesure imaginable ne permet de réaliser ledit objectif dans les mêmes conditions (voir, en ce sens, arrêts du 28 avril 2009, Commission/Italie, C‑518/06, EU:C:2009:270, point 84 et jurisprudence citée ; du 24 mars 2011, Commission/Espagne, C‑400/08, EU:C:2011:172, point 123, ainsi que du 23 décembre 2015, Scotch Whisky Association e.a., C‑333/14, EU:C:2015:845, point 55). Une telle exigence reviendrait en effet, en pratique, à priver l’État membre concerné de sa compétence réglementaire dans le domaine considéré.

65

Cela s’impose d’autant plus que, comme le relève la République fédérale d’Allemagne, un État membre doit être en mesure de justifier une « exigence à évaluer » par une raison impérieuse d’intérêt général dès l’introduction de ladite exigence et donc, par hypothèse, sans nécessairement disposer d’éléments de preuve empiriques quant au résultat produit par celle-ci, par comparaison avec celui produit par d’autres mesures.

66

En l’occurrence, les exigences découlant de la HOAI, dès lors qu’elles fixent les tarifs minimum et maximum en matière de prestations de planification fournies par des architectes et des ingénieurs, relèvent de l’article 15, paragraphe 2, sous g), de la directive 2006/123.

67

Par conséquent, en tant qu’exigences visées à cette disposition, les tarifs litigieux en cause doivent, pour être conformes aux objectifs de cette directive, remplir les trois conditions énoncées à l’article 15, paragraphe 3, de celle-ci, à savoir être non discriminatoires, nécessaires et proportionnés à la réalisation d’une raison impérieuse d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêt du 1er mars 2018, CMVRO, C‑297/16, EU:C:2018:141, point 54).

68

S’agissant de la première condition prévue à l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123, il y a lieu de constater que les exigences visées au point 66 du présent arrêt ne sont ni directement ni indirectement discriminatoires en fonction de la nationalité ou, en ce qui concerne les sociétés, de l’emplacement de leur siège statutaire, au sens du point a) de cette disposition, si bien que cette condition est remplie.

69

S’agissant de la deuxième condition, la République fédérale d’Allemagne indique que les tarifs minimum visent à atteindre un objectif de qualité des prestations de planification, de protection des consommateurs, de sécurité des constructions, de préservation de la culture architecturale et de construction écologique. Quant aux tarifs maximum, ceux-ci viseraient à assurer la protection des consommateurs en garantissant une transparence des honoraires au regard des prestations correspondantes et en empêchant des tarifs excessifs.

70

À cet égard, il y a lieu de constater que les objectifs tenant à la qualité des travaux et à la protection des consommateurs ont été reconnus par la Cour en tant que raisons impérieuses d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêts du 3 octobre 2000, Corsten, C‑58/98, EU:C:2000:527, point 38 ; du 8 septembre 2010, Stoß e.a., C‑316/07, C‑358/07 à C‑360/07, C‑409/07 et C‑410/07, EU:C:2010:504, point 74, ainsi que du 15 octobre 2015, Grupo Itevelesa e.a., C‑168/14, EU:C:2015:685, point 74).

71

Quant aux objectifs de préservation de la culture architecturale et de construction écologique, ils peuvent être rattachés aux objectifs plus généraux de préservation du patrimoine culturel et historique, ainsi que de protection de l’environnement, lesquels constituent également des raisons impérieuses d’intérêt général (voir, en ce sens, arrêts du 26 février 1991, Commission/France, C‑154/89, EU:C:1991:76, point 17, et du 14 décembre 2004, Commission/Allemagne, C‑463/01, EU:C:2004:797, point 75).

72

Il convient d’ailleurs de souligner que le considérant 40 de la directive 2006/123 confirme que la protection des destinataires de services, la protection de l’environnement et les objectifs de politique culturelle constituent des raisons impérieuses d’intérêt général.

73

S’agissant de la troisième condition visée à l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2006/123, celle-ci suppose la réunion de trois éléments, à savoir que l’exigence soit apte à garantir la réalisation de l’objectif poursuivi et n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre, et que cet objectif ne puisse pas être atteint par une mesure moins contraignante.

74

À cet égard, un État membre qui, telle la République fédérale d’Allemagne en l’espèce, invoque une raison impérieuse d’intérêt général afin de justifier une mesure qu’il a adoptée doit présenter des éléments précis permettant d’étayer son argumentation (voir, en ce sens, arrêt du 23 janvier 2014, Commission/Belgique, C‑296/12, EU:C:2014:24, point 33 et jurisprudence citée).

75

Dans ce contexte, il convient, à titre liminaire, de souligner que, dans la mesure où le respect des objectifs de sécurité des constructions, de préservation de la culture architecturale et de construction écologique est directement lié à la qualité des travaux de planification, tant l’aptitude de la HOAI à atteindre ces trois premiers objectifs que sa nécessité à cet effet devront être admises s’il est établi qu’elle est propre et nécessaire à assurer cette qualité.

76

En ce qui concerne, premièrement, l’aptitude de la HOAI à atteindre les objectifs visés, la République fédérale d’Allemagne fait valoir que, en raison du lien existant entre le prix d’un service et la qualité de ce dernier, la fixation des tarifs minimum est apte à atteindre l’objectif consistant à garantir un niveau qualitatif élevé des prestations fournies.

77

Par ailleurs, la fixation de tels tarifs serait également apte à atteindre l’objectif de protection des consommateurs, en palliant les conséquences de l’asymétrie d’information entre les architectes et les ingénieurs, d’une part, et les consommateurs, d’autre part, laquelle peut conduire à ce que la concurrence soit fondée uniquement sur les prix et que les consommateurs ne choisissent leurs prestataires qu’en fonction du prix de leurs prestations.

78

À cet égard, la Cour a jugé qu’il ne saurait être a priori exclu que la fixation d’un tarif minimum permette d’éviter que les prestataires ne soient incités, dans un contexte tel que celui d’un marché caractérisé par la présence d’un nombre extrêmement élevé de prestataires, à se livrer à une concurrence pouvant se traduire par l’offre de prestations au rabais, avec le risque d’une détérioration de la qualité des services fournis (voir, en ce sens, arrêt du 5 décembre 2006, Cipolla e.a., C‑94/04 et C‑202/04, EU:C:2006:758, point 67).

79

En l’espèce, il n’est pas contesté que, comme le soutient la République fédérale d’Allemagne, un nombre très élevé d’opérateurs intervient sur le marché des prestations de planification dans le domaine de la construction dans cet État membre.

80

De même, l’affirmation de la République fédérale d’Allemagne selon laquelle ce marché est caractérisé par une forte asymétrie d’information, tenant au fait que les prestataires de services disposent de compétences techniques que la plupart de leurs clients ne possèdent pas, de sorte que ces derniers éprouvent des difficultés pour apprécier la qualité des prestations de planification offertes, n’est pas utilement contestée par la Commission.

81

Il s’ensuit que la République fédérale d’Allemagne a établi à suffisance que, au regard des particularités du marché et des services en cause, il peut exister un risque que les prestataires de planification dans le domaine de la construction opérant dans cet État membre se livrent à une concurrence pouvant se traduire par l’offre de prestations au rabais, voire par l’élimination des opérateurs offrant des prestations de qualité par le biais d’une sélection adverse.

82

Dans un tel contexte, l’imposition de tarifs minimum peut être de nature à contribuer à limiter ce risque, en empêchant que des prestations soient offertes à des prix insuffisants pour assurer, à long terme, la qualité de celles-ci.

83

De surcroît, la République fédérale d’Allemagne a présenté différentes études étayant sa position, selon laquelle, dans un marché tel que le marché allemand, caractérisé par un nombre élevé de petites et moyennes entreprises, la fixation de tarifs minimum en matière de prestations de planification peut constituer une mesure appropriée aux fins de garantir un niveau qualitatif élevé de celles-ci.

84

Dans ces conditions, l’argument de la Commission selon lequel le prix ne constitue pas, en tant que tel, une indication de la qualité de la prestation ne saurait suffire à écarter le risque évoqué par la République fédérale d’Allemagne que la convergence des deux facteurs mentionnés aux points 79 et 80 du présent arrêt conduise à une détérioration de la qualité des services fournis en matière de planification, ni à établir que ce risque ne pourrait pas être limité par une mesure excluant l’offre de prestations à des prix trop bas.

85

En outre, si la Commission reproche à la République fédérale d’Allemagne de ne pas avoir établi qu’une suppression des tarifs minimum entraînerait une diminution de la qualité, il convient de souligner que, ainsi qu’il découle des points 64 et 65 du présent arrêt, il n’appartient pas à cet État membre d’apporter une telle preuve, mais seulement de démontrer que la HOAI est susceptible de contribuer significativement aux objectifs poursuivis en limitant le risque de dégradation de la qualité des prestations de planification.

86

Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument de la Commission selon lequel le taux brut d’exploitation s’agissant de prestations d’architectes en Allemagne est nettement plus élevé que dans d’autres États membres, alors qu’il n’existe aucun indice selon lequel la qualité des prestations fournies dans les autres États membres serait moindre en raison de la pratique de marges inférieures.

87

En effet, le tableau reproduit par la Commission indique le taux brut d’exploitation pour les prestations des architectes dans les États membres au cours de l’année 2014, sans toutefois opérer, s’agissant de la République fédérale d’Allemagne, de distinction entre les prestations de planification, soumises aux tarifs minimum, et celles de conseil, qui ne le sont pas. En outre, ce tableau reflète la situation du marché au cours d’une seule année, de sorte qu’aucune conclusion relative à l’évolution du marché après l’introduction des tarifs minimum ne peut en être tirée. Enfin, il convient de relever que, comme le soutient la République fédérale d’Allemagne, le taux brut d’exploitation dépend d’un certain nombre de facteurs, tels que la structure des entreprises, le coût du travail ou le recours à des prestations de services en amont, et non pas uniquement de la pression concurrentielle sur le marché concerné.

88

Il découle des constatations opérées aux points 75 à 87 du présent arrêt que l’existence de tarifs minimum pour les prestations de planification est, en principe, de nature, au regard des caractéristiques du marché allemand, à contribuer à garantir un niveau de qualité élevé des prestations de planification et, par conséquent, à réaliser les objectifs recherchés par la République fédérale d’Allemagne.

89

Toutefois, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, une législation nationale n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif recherché que si elle répond véritablement au souci d’atteindre celui-ci d’une manière cohérente et systématique (voir, en ce sens, arrêts du 10 mars 2009, Hartlauer, C‑169/07, EU:C:2009:141, point 55, et du 15 octobre 2015, Grupo Itevelesa e.a., C‑168/14, EU:C:2015:685, point 76, ainsi que ordonnance du 30 juin 2016, Sokoll-Seebacher et Naderhirn, C‑634/15, EU:C:2016:510, point 27).

90

En l’occurrence, la Commission fait valoir, en substance, que la réglementation allemande ne poursuit pas l’objectif consistant à assurer un niveau élevé de qualité des prestations de planification de manière cohérente et systématique, dès lors que l’exercice même de prestations de planification n’est pas réservé, en Allemagne, à des personnes exerçant une activité réglementée, si bien qu’il n’existerait, en tout état de cause, aucune garantie que les prestations de planification soient effectuées par des prestataires ayant démontré leur aptitude professionnelle pour ce faire.

91

À cet égard, la République fédérale d’Allemagne a en effet indiqué dans ses écritures que les prestations de planification n’étaient pas réservées à certaines professions qui sont soumises à la surveillance obligatoire en vertu de la législation professionnelle ou par des chambres des métiers, d’autres prestataires de services que les architectes et les ingénieurs, non soumis à des réglementations professionnelles, étant en droit de fournir de telles prestations.

92

Or, la circonstance que des prestations de planification puissent être fournies en Allemagne par des prestataires n’ayant pas démontré leur aptitude professionnelle pour ce faire traduit une incohérence dans la réglementation allemande au regard de l’objectif de préservation d’un niveau de qualité élevé des prestations de planification poursuivi par les tarifs minimum. En effet, en dépit du constat opéré au point 88 du présent arrêt, il convient de constater que de tels tarifs minimum ne sauraient être propres à atteindre un tel objectif si, ainsi qu’il ressort des éléments soumis à la Cour, l’exercice des prestations qui y sont soumises n’est pas lui-même entouré de garanties minimales permettant d’assurer la qualité desdites prestations.

93

Partant, il convient de constater que la République fédérale d’Allemagne n’est pas parvenue à établir que les tarifs minimum prévus par la HOAI sont propres à garantir la réalisation de l’objectif consistant à garantir un niveau de qualité élevé des prestations de planification et à assurer la protection des consommateurs.

94

En revanche, en ce qui concerne les tarifs maximum, ceux-ci sont de nature, comme le soutient la République fédérale d’Allemagne, à contribuer à la protection des consommateurs en augmentant la transparence des tarifs pratiqués par les prestataires et en empêchant ces derniers de pratiquer des honoraires excessifs.

95

Toutefois, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 111 de ses conclusions, la République fédérale d’Allemagne n’a pas démontré les raisons pour lesquelles le fait de mettre à la disposition des clients une orientation en matière de prix pour les différentes catégories de prestations visées par la HOAI, suggérée par la Commission en tant que mesure moins contraignante, ne suffirait pas pour atteindre ledit objectif de manière adéquate. Il s’ensuit que l’exigence consistant en la fixation de tarifs maximum ne saurait être considérée comme proportionnée à cet objectif.

96

Il ressort de l’ensemble des considérations qui précèdent que, en maintenant des tarifs obligatoires pour les prestations de planification des architectes et des ingénieurs, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 15, paragraphe 1, paragraphe 2, sous g), et paragraphe 3, de la directive 2006/123.

97

Compte tenu de ce qui précède, il n’y a pas lieu d’examiner la réglementation en cause au regard de l’article 49 TFUE.

Sur les dépens

98

En vertu de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République fédérale d’Allemagne et celle-ci ayant succombé, il y a lieu de la condamner à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission.

99

Aux termes de l’article 140, paragraphe 1, de ce règlement, les États membres qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens. La Hongrie supportera, par conséquent, ses propres dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

 

1)

En maintenant des tarifs obligatoires pour les prestations de planification des architectes et des ingénieurs, la République fédérale d’Allemagne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 15, paragraphe 1, paragraphe 2, sous g), et paragraphe 3, de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur.

 

2)

La République fédérale d’Allemagne est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la Commission européenne.

 

3)

La Hongrie supportera ses propres dépens.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.