ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

19 mars 2019 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale – Directive 2013/32/UE – Article 33, paragraphe 2, sous a) – Rejet par les autorités d’un État membre d’une demande d’asile comme irrecevable en raison de l’octroi préalable d’une protection subsidiaire dans un autre État membre – Article 52 – Champ d’application ratione temporis de cette directive – Articles 4 et 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Défaillances systémiques de la procédure d’asile dans cet autre État membre – Rejet systématique des demandes d’asile – Risque réel et avéré de faire l’objet d’un traitement inhumain ou dégradant – Conditions de vie des bénéficiaires d’une protection subsidiaire dans ce dernier État »

Dans les affaires jointes C‑297/17, C‑318/17, C‑319/17 et C‑438/17,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne), par décisions du 23 mars 2017, parvenues à la Cour le 23 mai 2017 (C‑297/17) et le 30 mai 2017 (C‑318/17 et C‑319/17), ainsi que par décision du 1er juin 2017, parvenue à la Cour le 20 juillet 2017 (C‑438/17), dans les procédures

Bashar Ibrahim (C‑297/17),

Mahmud Ibrahim,

Fadwa Ibrahim,

Bushra Ibrahim,

Mohammad Ibrahim,

Ahmad Ibrahim (C‑318/17),

Nisreen Sharqawi,

Yazan Fattayrji,

Hosam Fattayrji (C‑319/17)

contre

Bundesrepublik Deutschland,

et

Bundesrepublik Deutschland

contre

Taus Magamadov (C‑438/17),

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, Mme A. Prechal, MM. M. Vilaras, E. Regan, F. Biltgen, Mme K. Jürimäe et M. C. Lycourgos, présidents de chambre, MM. A. Rosas, E. Juhász, M. Ilešič (rapporteur), J. Malenovský, L. Bay Larsen et D. Šváby, juges,

avocat général : M. M. Wathelet,

greffier : M. M. Aleksejev, chef d’unité,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 mai 2018,

considérant les observations présentées :

pour M. Bashar Ibrahim, M. Mahmud Ibrahim, Mme Fadwa Ibrahim, M. Bushra Ibrahim ainsi que les enfants mineurs Mohammad Ibrahim et Ahmad Ibrahim, et Mme Sharqawi ainsi que ses enfants mineurs Yazan Fattayrji et Hosam Fattayrji, par Me D. Kösterke-Zerbe, Rechtsanwältin,

pour M. Magamadov, par Me I. Stern, Rechtsanwältin,

pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et R. Kanitz, en qualité d’agents,

pour le gouvernement français, par M. D. Colas ainsi que par Mmes E. de Moustier et E. Armoët, en qualité d’agents,

pour le gouvernement hongrois, par MM. M. Z. Fehér et G. Koós ainsi que par Mme M. M. Tátrai, en qualité d’agents,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par Mme M. Condou-Durande et M. C. Ladenburger, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 juillet 2018,

rend le présent

Arrêt

1

Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 33, paragraphe 2, sous a), et de l’article 52, premier alinéa, de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60, ci-après la « directive procédures »), ainsi que des articles 4 et 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2

Ces demandes ont été présentées dans le cadre de quatre litiges opposant M. Bashar Ibrahim (affaire C‑297/17), M. Mahmud Ibrahim, Mme Fadwa Ibrahim, M. Bushra Ibrahim ainsi que les enfants mineurs Mohammad et Ahmad Ibrahim (affaire C‑318/17), et Mme Nisreen Sharqawi ainsi que ses enfants mineurs Yazan et Hosam Fattayrji (affaire C‑319/17) à la Bundesrepublik Deutschland (République fédérale d’Allemagne), ainsi que cette dernière à M. Taus Magamadov (affaire C‑438/17), au sujet de décisions adoptées par le Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Office fédéral de la migration et des réfugiés, Allemagne) (ci-après l’« Office ») refusant aux intéressés le bénéfice du droit d’asile.

Le cadre juridique

Le droit international

3

Intitulé « Interdiction de la torture », l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), stipule :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

Le droit de l’Union

La Charte

4

Aux termes de l’article 1er de la Charte, intitulé « Dignité humaine » :

« La dignité humaine est inviolable. Elle doit être respectée et protégée. »

5

L’article 4 de la Charte, intitulé « Interdiction de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants », énonce :

« Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

6

L’article 18 de la Charte, intitulé « Droit d’asile », dispose :

« Le droit d’asile est garanti dans le respect des règles de la convention [relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, no 2545 [1954])] et du protocole du 31 janvier 1967 [relatif] au statut des réfugiés et conformément au traité sur l’Union européenne et au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (ci-après dénommés “les traités”) ».

7

L’article 47 de la Charte, intitulé « Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial », énonce, à son premier alinéa :

« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article. »

8

L’article 51 de la Charte, intitulé « Champ d’application », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l’Union telles qu’elles lui sont conférées dans les traités. »

9

L’article 52 de la Charte, intitulé « Portée et interprétation des droits et des principes », énonce, à son paragraphe 3 :

« Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la [CEDH], leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue. »

La directive qualification

10

La directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9, ci‑après la « directive qualification »), énonce, à son article 2 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a)

“protection internationale”, le statut de réfugié et le statut conféré par la protection subsidiaire [...]

[...]

d)

“réfugié”, tout ressortissant d’un pays tiers qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 12 ;

e)

“statut de réfugié”, la reconnaissance, par un État membre, de la qualité de réfugié pour tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride ;

f)

“personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire”, tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 15, l’article 17, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ;

g)

“statut conféré par la protection subsidiaire”, la reconnaissance, par un État membre, d’un ressortissant d’un pays tiers ou d’un apatride en tant que personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire ;

h)

“demande de protection internationale”, la demande de protection présentée à un État membre par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, qui peut être comprise comme visant à obtenir le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur ne sollicitant pas explicitement un autre type de protection hors du champ d’application de la présente directive et pouvant faire l’objet d’une demande séparée ;

[...] »

11

Le chapitre II de la directive qualification établit les conditions pour l’évaluation des demandes de protection internationale.

12

Fait partie de ce chapitre II l’article 4 de la directive qualification, intitulé « Évaluation des faits et circonstances », dont le paragraphe 3 dispose :

« Il convient de procéder à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants :

a)

tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués ;

b)

les informations et documents pertinents présentés par le demandeur, y compris les informations permettant de déterminer si le demandeur a fait ou pourrait faire l’objet de persécutions ou d’atteintes graves ;

c)

le statut individuel et la situation personnelle du demandeur, y compris des facteurs comme son passé, son sexe et son âge, pour déterminer si, compte tenu de la situation personnelle du demandeur, les actes auxquels le demandeur a été ou risque d’être exposé pourraient être considérés comme une persécution ou une atteinte grave ;

[...] »

13

Le chapitre III de la directive qualification établit les conditions pour être considéré comme réfugié. Dans ce cadre, les articles 9 et 10 de cette directive, intitulés respectivement « Actes de persécution » et « Motifs de la persécution », prévoient les éléments devant être pris en compte pour évaluer si le demandeur a fait ou pourrait faire l’objet de persécutions.

14

Le chapitre IV de la directive qualification, intitulé « Statut de réfugié », contient l’article 13 de celle-ci, lui-même intitulé « Octroi du statut de réfugié », qui énonce :

« Les États membres octroient le statut de réfugié à tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui remplit les conditions pour être considéré comme réfugié conformément aux chapitres II et III. »

15

Les chapitres V et VI de la directive qualification définissent, respectivement, les conditions de la protection subsidiaire et le statut conféré par cette protection.

16

Le chapitre VII de la directive qualification, qui contient les articles 20 à 35 de celle-ci, définit le contenu de la protection internationale.

Les règlements Dublin II et Dublin III

17

Le règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31, ci‑après le « règlement Dublin III »), a abrogé et remplacé le règlement (CE) no 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (JO 2003, L 50, p. 1, ci-après le « règlement Dublin II »).

18

Tandis que le règlement Dublin II établissait, selon son article 1er, lu en combinaison avec son article 2, sous c), uniquement les critères et les mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile, au sens de la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 (ci-après la « convention de Genève »), le règlement Dublin III a, ainsi qu’il résulte de son article 1er, désormais pour objet d’établir de tels critères et mécanismes en ce qui concerne les demandes de protection internationale qui, selon la définition figurant à l’article 2, sous b), du règlement Dublin III qui renvoie à celle énoncée à l’article 2, sous h), de la directive qualification, sont celles tendant à l’obtention du statut de réfugié ou du statut conféré par la protection subsidiaire.

19

L’article 18, paragraphe 1, sous d), du règlement Dublin III prévoit que l’État membre responsable en vertu de ce règlement est tenu de reprendre en charge le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre.

20

L’article 49 du règlement Dublin III, intitulé « Entrée en vigueur et applicabilité », dispose :

« Le présent règlement entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.

Il est applicable aux demandes de protection internationale introduites à partir du premier jour du sixième mois suivant son entrée en vigueur et s’appliquera, à compter de cette date, à toute requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de demandeurs, quelle que soit la date à laquelle la demande a été faite. La détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite avant cette date se fait conformément aux critères énoncés dans le règlement [Dublin II].

[...] »

La directive 2005/85 et la directive procédures

21

La directive procédures a opéré une refonte de la directive 2005/85/CE du Conseil, du 1er décembre 2005, relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié dans les États membres (JO 2005, L 326, p. 13).

22

Selon son article 1er, la directive 2005/85 avait pour objet d’établir des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait du statut de réfugié. L’article 2, sous b), de cette directive définissait la notion de « demande d’asile » comme étant la demande introduite par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride et pouvant être considérée comme une demande de protection internationale de la part d’un État membre en vertu de la convention de Genève.

23

L’article 25 de la directive 2005/85 disposait :

« 1.   Outre les cas dans lesquels une demande n’est pas examinée en application du règlement [Dublin II], les États membres ne sont pas tenus de vérifier si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de réfugié [...], lorsqu’une demande est considérée comme irrecevable en vertu du présent article.

2.   Les États membres peuvent considérer une demande comme irrecevable en vertu du présent article lorsque :

a)

le statut de réfugié a été accordé par un autre État membre ;

[...] »

24

Aux termes de l’article 1er de la directive procédures, celle-ci a pour objet d’établir des procédures communes d’octroi et de retrait de la protection internationale en vertu de la directive qualification.

25

L’article 2, sous b), de la directive procédures définit la notion de « demande de protection internationale » comme étant la demande de protection présentée à un État membre par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, qui peut être comprise comme visant à obtenir le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire, le demandeur ne sollicitant pas explicitement un autre type de protection hors du champ d’application de la directive qualification et pouvant faire l’objet d’une demande séparée.

26

L’article 10, paragraphe 2, de la directive procédures énonce :

« Lors de l’examen d’une demande de protection internationale, l’autorité responsable [...] détermine d’abord si le demandeur remplit les conditions d’octroi du statut de réfugié et, si tel n’est pas le cas, détermine si le demandeur remplit les conditions pour pouvoir bénéficier de la protection subsidiaire. »

27

L’article 33 de la directive procédures, intitulé « Demandes irrecevables », dispose :

« 1.   Outre les cas dans lesquels une demande n’est pas examinée en application du règlement [Dublin III], les États membres ne sont pas tenus de vérifier si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre à une protection internationale en application de la directive [qualification], lorsqu’une demande est considérée comme irrecevable en vertu du présent article.

2.   Les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable uniquement lorsque :

a)

une protection internationale a été accordée par un autre État membre ;

[...]

d)

la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [qualification] [...]

[...] »

28

L’article 40 de la directive procédures, intitulé « Demandes ultérieures », prévoit, à ses paragraphes 2 à 4 :

« 2.   Afin de prendre une décision sur la recevabilité d’une demande de protection internationale en vertu de l’article 33, paragraphe 2, point d), une demande de protection internationale ultérieure est tout d’abord soumise à un examen préliminaire visant à déterminer si des éléments ou des faits nouveaux sont apparus ou ont été présentés par le demandeur, qui se rapportent à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [qualification].

3.   Si l’examen préliminaire visé au paragraphe 2 aboutit à la conclusion que des éléments ou des faits nouveaux sont apparus ou ont été présentés par le demandeur et qu’ils augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale en vertu de la directive [qualification], l’examen de la demande est poursuivi conformément au chapitre II. Les États membres peuvent également prévoir d’autres raisons de poursuivre l’examen d’une demande ultérieure.

4.   Les États membres peuvent prévoir de ne poursuivre l’examen de la demande que si le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de faire valoir, au cours de la précédente procédure, les situations exposées aux paragraphes 2 et 3 du présent article, en particulier en exerçant son droit à un recours effectif en vertu de l’article 46. »

29

L’article 51, paragraphe 1, de la directive procédures énonce :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer aux articles 1er à 30, à l’article 31, paragraphes 1, 2, et 6 à 9, et aux articles 32 à 46, aux articles 49 et 50 ainsi qu’à l’annexe I au plus tard le 20 juillet 2015. Ils communiquent immédiatement à la Commission le texte de ces dispositions. »

30

Aux termes de l’article 52, premier alinéa, de la directive procédures :

« Les États membres appliquent les dispositions législatives, réglementaires et administratives visées à l’article 51, paragraphe 1, aux demandes de protection internationale introduites et aux procédures de retrait de la protection internationale entamées après le 20 juillet 2015 ou à une date antérieure. Les demandes introduites avant le 20 juillet 2015 ainsi que les procédures de retrait du statut de réfugié entamées avant cette date sont régies par les dispositions législatives, réglementaires et administratives adoptées en vertu de la directive [2005/85]. »

31

L’article 53, premier alinéa, de la directive procédures prévoit que la directive 2005/85 est abrogée, pour les États membres liés par la directive procédures, avec effet au 21 juillet 2015, sans préjudice des obligations des États membres en ce qui concerne le délai de transposition en droit national de cette directive indiqué à l’annexe II, partie B.

32

L’article 54, premier alinéa, de la directive procédures dispose que celle-ci « entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne », intervenue le 29 juin 2013.

Le droit allemand

33

L’article 29 de l’Asylgesetz (loi relative au droit d’asile, ci-après l’« AsylG »), tel que modifié, avec effet au 6 août 2016, par l’Integrationsgesetz (loi sur l’intégration) du 31 juillet 2016 (BGBl. 2016 I, p. 1939, ci-après l’« Integrationsgesetz »), est intitulé « Demandes irrecevables » et prévoit :

« (1)   Une demande d’asile est irrecevable lorsque :

1.

un autre État est responsable de l’examen de la demande d’asile

a)

en application du règlement [Dublin III], ou

b)

en vertu d’autres règles de l’Union européenne ou d’un accord international

[...]

2.

un autre État membre de l’Union européenne a déjà accordé à l’étranger la protection internationale visée à l’article 1er, paragraphe 1, point 2,

[...] »

34

L’article 77, paragraphe 1, de l’AsylG dispose :

« Dans les litiges régis par la présente loi, le tribunal se fonde sur la situation en fait et en droit existant au moment de la dernière audience ; s’il statue sans audience préalable, le moment déterminant est celui où la décision est rendue [...] »

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

Les affaires jointes C‑297/17, C‑318/17 et C‑319/17

35

Les requérants au principal sont des demandeurs d’asile palestiniens apatrides ayant résidé en Syrie.

36

M. Bashar Ibrahim, requérant au principal dans l’affaire C‑297/17, est le fils de M. Mahmud Ibrahim et de Mme Ibrahim ainsi que le frère des trois autres enfants de ces derniers, qui, à l’instar de leurs parents, ont la qualité de requérants au principal dans l’affaire C‑318/17. Mme Nisreen Sharqawi et ses enfants mineurs sont les requérants au principal dans l’affaire C‑319/17.

37

Les intéressés ont quitté la Syrie au cours de l’année 2012 pour se rendre en Bulgarie où, par des décisions des 26 février et 7 mai 2013, une protection subsidiaire leur a été accordée. Au mois de novembre 2013, ils ont poursuivi leur route à travers la Roumanie, la Hongrie et l’Autriche, jusqu’en Allemagne, où ils ont introduit de nouvelles demandes d’asile le 29 novembre 2013.

38

Le 22 janvier 2014, l’Office a adressé des requêtes aux fins de reprise en charge des intéressés à l’administration bulgare chargée des réfugiés, qui les a rejetées par des lettres des 28 janvier et 10 février 2014. Selon cette dernière administration, la protection subsidiaire déjà accordée aux requérants au principal en Bulgarie rend inapplicable, en l’espèce, le régime de reprise en charge prévu par le règlement Dublin III. En outre, l’autorité bulgare compétente serait la police locale des frontières.

39

Par des décisions des 27 février et 19 mars 2014, l’Office a refusé d’octroyer le droit d’asile aux intéressés, sans avoir examiné au fond leurs demandes, au motif qu’ils venaient d’un pays tiers sûr. Il a ordonné leur reconduite à la frontière bulgare.

40

Par des arrêts rendus respectivement les 20 mai et 22 juillet 2014, le Verwaltungsgericht Trier (tribunal administratif de Trèves, Allemagne) a rejeté les recours introduits contre ces décisions.

41

Par des arrêts du 18 février 2016, l’Oberverwaltungsgericht Rheinland-Pfalz (tribunal administratif supérieur de Rhénanie-Palatinat, Allemagne) a annulé les décisions ordonnant la reconduite des intéressés à la frontière bulgare, mais a rejeté le surplus des demandes dont il était saisi. Selon cette dernière juridiction, le droit à l’asile en Allemagne a été refusé à bon droit aux intéressés, dès lors que ces derniers sont arrivés dans cet État membre en provenance d’un pays tiers sûr, à savoir de l’Autriche. Lesdites décisions de reconduite à la frontière bulgare seraient cependant illégales en ce qu’il ne serait pas établi que la République de Bulgarie serait toujours disposée à reprendre en charge les requérants.

42

Les requérants au principal ont formé un pourvoi contre ces décisions de rejet partiel de leurs demandes devant le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne). Ils soutiennent, notamment, que, conformément à l’article 49, deuxième alinéa, deuxième phrase, du règlement Dublin III, leur situation relève toujours du règlement Dublin II et que ce dernier reste applicable, même après l’octroi d’une protection subsidiaire. Or, en vertu des dispositions du règlement Dublin II, la responsabilité initiale de la République de Bulgarie aurait été transférée à la République fédérale d’Allemagne au cours de la procédure prévue par celui-ci.

43

La République fédérale d’Allemagne considère que les demandes d’asile en cause au principal sont désormais irrecevables en application de l’article 29, paragraphe 1, point 2, de l’AsylG, dont le contenu correspond à celui de l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures.

44

Le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale) constate que l’Office ne pouvait refuser d’examiner les demandes d’asile dont il était saisi, au motif que les requérants venaient d’un pays tiers sûr. En effet, le droit national devant être interprété conformément au droit de l’Union, un pays tiers sûr ne pourrait être qu’un État qui n’est pas un État membre de l’Union. Il conviendrait donc de déterminer si les décisions litigieuses peuvent être considérées comme des décisions de rejet fondées sur l’irrecevabilité des demandes d’asile, au titre de l’article 29, paragraphe 1, point 2, de l’AsylG.

45

Dans ces conditions, le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes dans chacune des affaires C‑297/17, C‑318/17 et C‑319/17 :

« 1)

La disposition transitoire de l’article 52, premier alinéa, de la directive [procédures] s’oppose-t-elle à l’application d’une réglementation nationale aux termes de laquelle, dans la mise en œuvre de l’habilitation, plus étendue que la précédente, conférée par l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive [procédures], une demande de protection internationale est irrecevable lorsque le demandeur s’est vu reconnaître une protection subsidiaire dans un autre État membre, dans la mesure où, faute de dispositions transitoires nationales, cette réglementation nationale s’applique également aux demandes introduites avant le 20 juillet 2015 ?

La disposition transitoire de l’article 52, premier alinéa, de la directive [procédures] permet-elle aux États membres, en particulier, de mettre en œuvre rétroactivement l’habilitation plus étendue de l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive [procédures], en sorte que même des demandes d’asile introduites avant la transposition en droit interne de cette habilitation plus étendue, mais sur lesquelles il n’avait pas encore été définitivement statué au moment de la transposition, sont irrecevables ?

2)

L’article 33 de la directive [procédures] confère-t-il aux États membres le droit de choisir de rejeter une demande d’asile pour irrecevabilité au titre d’une autre responsabilité internationale (règlement de Dublin) ou au titre de l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive [procédures] ?

3)

Si la [deuxième question] appelle une réponse affirmative : le droit de l’Union s’oppose-t-il à ce que, dans la mise en œuvre de l’habilitation conférée par l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive [procédures], un État membre rejette une demande de protection internationale pour irrecevabilité en raison d’une protection subsidiaire qui a été accordée par un autre État membre, lorsque :

a)

le demandeur sollicite le renforcement de la protection subsidiaire qui lui a été accordée dans un autre État membre (reconnaissance de la qualité de réfugié) et que la procédure d’asile dans l’autre État membre était et est encore entachée de défaillances systémiques,

b)

la consistance de la protection internationale, et plus précisément les conditions d’existence des bénéficiaires d’une protection subsidiaire, dans l’autre État membre qui a déjà accordé au demandeur une protection subsidiaire,

est contraire à l’article 4 de la [Charte] et à l’article 3 de la CEDH, ou bien

ne satisfait pas aux conditions des articles 20 et suivants de la directive [qualification], sans aller pourtant jusqu’à enfreindre l’article 4 de la [Charte] et l’article 3 de la CEDH ?

4)

Si la [troisième question], sous b), appelle une réponse affirmative, en va-t-il de même lorsque les bénéficiaires d’une protection subsidiaire ne reçoivent aucune prestation de subsistance, ou dans une mesure nettement moindre que dans d’autres États membres, sans toutefois être traités différemment, à cet égard, des ressortissants de l’État membre en cause ?

5)

Si la [deuxième question] appelle une réponse négative :

a)

Le règlement Dublin III s’applique-t-il dans une procédure d’octroi d’une protection internationale, lorsque la demande d’asile a été introduite avant le 1er janvier 2014, mais que la requête aux fins de reprise en charge a été adressée après cette date et que le demandeur avait déjà obtenu auparavant (en février 2013) une protection subsidiaire dans l’État membre requis ?

b)

Les règlements Dublin emportent-t-ils dévolution – implicite – de la responsabilité à l’État membre requérant la reprise en charge d’un demandeur, lorsque l’État membre responsable requis a rejeté la requête aux fins de reprise en charge, introduite dans le délai, au titre des dispositions de Dublin, et a invoqué, à la place, un accord international de réadmission ? »

L’affaire C‑438/17

46

M. Magamadov, demandeur d’asile de nationalité russe, déclarant être tchétchène, est arrivé au cours de l’année 2007 en Pologne où, par une décision du 13 octobre 2008, il s’est vu accorder la protection subsidiaire. Au mois de juin 2012, il est entré, accompagné de son épouse et de son enfant, en Allemagne, où il a introduit, le 19 juin 2012, une demande d’asile.

47

Le 13 février 2013, l’Office a adressé une requête aux fins de reprise en charge de l’intéressé et de sa famille aux autorités polonaises, lesquelles ont déclaré, le 18 février 2013, être disposées à les reprendre en charge.

48

Par une décision du 13 mars 2013, l’Office a estimé, sans avoir effectué un examen au fond, que les demandes d’asile présentées par le requérant et sa famille étaient irrecevables, au motif que la République de Pologne était responsable de l’examen de ces demandes, et il a ordonné le transfert des intéressés vers la Pologne. Ce transfert n’étant pas intervenu dans le délai imparti en raison de problèmes médicaux rencontrés par l’épouse de M. Magamadov, l’Office a, par une décision du 24 septembre 2013, retiré sa décision du 13 mars 2013, au motif que la République fédérale d’Allemagne était devenue responsable de l’examen desdites demandes, en raison de l’expiration de ce délai. Par une décision du 23 juin 2014, l’Office a refusé à M. Magamadov l’octroi de la protection internationale et du droit d’asile, au motif qu’il était arrivé en Allemagne en provenance d’un pays tiers sûr, à savoir de la Pologne, et il a ordonné sa reconduite dans celui-ci.

49

Par un jugement du 19 mai 2015, le Verwaltungsgericht Potsdam (tribunal administratif de Potsdam, Allemagne) a rejeté le recours introduit contre cette dernière décision.

50

Par arrêt du 21 avril 2016, l’Oberverwaltungsgericht Berlin-Brandenburg (tribunal administratif supérieur de Berlin-Brandebourg, Allemagne) a annulé la décision de l’Office du 23 juin 2014. Il a, en effet, considéré que la règle selon laquelle le droit d’asile ne doit pas être accordé à un ressortissant étranger venant d’un pays sûr n’était pas applicable dans l’affaire au principal, et cela en raison de la dérogation prévue à l’article 26 bis, paragraphe 1, troisième phrase, point 2, de l’AsylG, aux termes duquel la règle du pays tiers sûr ne joue pas lorsque, comme en l’occurrence, la République fédérale d’Allemagne est devenue responsable de l’examen de la demande de protection de l’intéressé au titre du droit de l’Union. La demande d’asile en cause au principal ayant été introduite avant le 20 juillet 2015, la directive 2005/85 serait, en l’occurrence, applicable. Or, cette directive n’admettrait le rejet par un État membre d’une demande d’asile, sans examen au fond, que lorsqu’un autre État membre a reconnu à la personne concernée la qualité de réfugié.

51

La République fédérale d’Allemagne a formé un recours en Revision contre cet arrêt devant le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale). Elle soutient notamment que la demande d’asile en cause au principal est à présent irrecevable, en vertu de l’article 29, paragraphe 1, point 2, de l’AsylG, telle que modifiée par l’Integrationsgesetz, dès lors que M. Magamadov s’est vu accorder une protection internationale en Pologne. L’intéressé considère, quant à lui, que sa demande d’asile introduite le 19 juin 2012 n’est pas irrecevable, dès lors que la République de Pologne lui a accordé non pas le statut de réfugié, mais une simple protection subsidiaire.

52

Le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale) constate que l’Office ne pouvait refuser d’examiner la demande d’asile dont il était saisi, au motif que le requérant venait d’un pays tiers sûr. En effet, le droit national devant être interprété conformément au droit de l’Union, un pays tiers sûr ne pourrait être qu’un État qui n’est pas un État membre de l’Union. Il conviendrait donc de déterminer si la décision litigieuse peut être considérée comme une décision de rejet fondée sur l’irrecevabilité de la demande d’asile, au titre de l’article 29, paragraphe 1, point 2, de l’AsylG.

53

Dans ces conditions, le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

La disposition transitoire de l’article 52, premier alinéa, de la directive [procédures] s’oppose-t-elle à l’application d’une réglementation nationale aux termes de laquelle, dans la mise en œuvre de l’habilitation, plus étendue que la précédente, conférée par l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive [procédures], une demande de protection internationale est irrecevable lorsque le demandeur s’est vu reconnaître une protection subsidiaire dans un autre État membre, dans la mesure où, faute de dispositions transitoires nationales, cette réglementation nationale s’applique également aux demandes introduites avant le 20 juillet 2015 ? En va-t-il en tout cas ainsi lorsque la demande d’asile relève encore pleinement du champ d’application du règlement [Dublin II] conformément à l’article 49 du règlement [Dublin III] ?

2)

La disposition transitoire de l’article 52, premier alinéa, de la directive [procédures] permet-elle aux États membres, en particulier, de mettre en œuvre rétroactivement l’habilitation plus étendue de l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive [procédures], en sorte que même des demandes d’asile introduites avant l’entrée en vigueur de la directive [procédures] et avant la transposition en droit interne de cette habilitation plus étendue, mais sur lesquelles il n’avait pas encore été définitivement statué au moment de la transposition, sont irrecevables ? »

La procédure devant la Cour

54

Par une décision du président de la Cour du 9 juin 2017, les affaires C‑297/17, C‑318/17 et C‑319/17 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt, les questions préjudicielles posées dans ces trois affaires étant identiques. En outre, par une décision de la Cour du 30 janvier 2018, ces affaires et l’affaire C‑438/17 ont été jointes aux fins de la phase orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.

55

Dans ses demandes de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi a demandé l’application de la procédure accélérée prévue à l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour. Ces demandes ont été rejetées par des ordonnances du président de la Cour du 14 juillet 2017, Ibrahim e.a. (C‑297/17, C‑318/17 et C‑319/17, non publiée, EU:C:2017:561), ainsi que du 19 septembre 2017, Magamadov (C‑438/17, non publiée, EU:C:2017:723).

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question dans les affaires C‑297/17, C‑318/17 et C‑319/17 et les questions dans l’affaire C‑438/17

56

Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 52, premier alinéa, de la directive procédures doit être interprété en ce sens qu’il permet à un État membre de prévoir une application immédiate de la disposition du droit national transposant l’article 33, paragraphe 2, sous a), de cette directive à des demandes d’asile sur lesquelles il n’a pas encore été définitivement statué, qui ont été introduites avant le 20 juillet 2015 et avant l’entrée en vigueur de cette disposition du droit national. Dans le cadre de l’affaire C‑438/17, cette juridiction demande, par ailleurs, s’il en va ainsi également lorsque la demande d’asile a été introduite avant l’entrée en vigueur de la directive procédures et qu’elle relève encore pleinement, conformément à l’article 49 du règlement Dublin III, du champ d’application du règlement Dublin II.

57

En vertu de l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures, les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable lorsqu’une protection internationale a été accordée par un autre État membre.

58

En prévoyant la possibilité, pour un État membre, de rejeter une telle demande comme irrecevable également dans les situations où le demandeur ne s’est vu accorder qu’une protection subsidiaire dans un autre État membre, cette disposition étend la faculté précédemment prévue à l’article 25, paragraphe 2, sous a), de la directive 2005/85, qui permettait un tel rejet uniquement lorsque le demandeur s’était vu octroyer le statut de réfugié dans un autre État membre.

59

Il résulte de l’article 51, paragraphe 1, de la directive procédures que les États membres étaient tenus de mettre en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer, entre autres, à l’article 33 de cette directive au plus tard le 20 juillet 2015. En outre, conformément à l’article 53, premier alinéa, de la directive procédures, la directive 2005/85 a été abrogée avec effet au 21 juillet 2015.

60

L’article 52, premier alinéa, de la directive procédures contient des dispositions transitoires.

61

Ainsi, aux termes de l’article 52, premier alinéa, première phrase, de cette directive, les États membres appliquent les dispositions législatives, réglementaires et administratives visées à l’article 51, paragraphe 1, aux demandes de protection internationale introduites et aux procédures de retrait de la protection internationale entamées « après le 20 juillet 2015 ou à une date antérieure ».

62

L’article 52, premier alinéa, seconde phrase, de la directive procédures énonce que les demandes introduites « avant le 20 juillet 2015 » ainsi que les procédures de retrait du statut de réfugié entamées avant cette date sont régies par les dispositions législatives, réglementaires et administratives adoptées en vertu de la directive 2005/85.

63

Il résulte de l’examen des travaux préparatoires de la directive procédures, en particulier d’une comparaison entre la position (UE) no 7/2013 du Conseil en première lecture en vue de l’adoption d’une directive du Parlement européen et du Conseil relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, adoptée le 6 juin 2013 (JO 2013, C 179 E, p. 27), et la proposition de la Commission de directive du Parlement européen et du Conseil relative à des normes minimales concernant la procédure d’octroi et de retrait de la protection internationale dans les États membres [COM(2009) 554 final], que les termes « ou à une date antérieure » figurant à l’article 52, premier alinéa, première phrase, de la directive procédures ont été ajoutés au cours du processus législatif (arrêt du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, point 71).

64

Par conséquent, nonobstant la tension existant entre la première et la seconde phrase de l’article 52, premier alinéa, de la directive procédures, il ressort de ces travaux préparatoires que le législateur de l’Union a entendu permettre aux États membres qui le souhaitaient d’appliquer leurs dispositions mettant en œuvre cette directive, avec effet immédiat, aux demandes de protection internationale introduites avant le 20 juillet 2015 (arrêt du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, point 72).

65

En outre, rien dans lesdits travaux préparatoires n’indique que le législateur de l’Union aurait entendu limiter cette faculté, que l’article 52, premier alinéa, de la directive procédures offre aux États membres, aux seules dispositions qui sont plus favorables aux demandeurs d’une protection internationale que celles précédemment adoptées aux fins de la transposition de la directive 2005/85.

66

Il reste que, si l’article 52, premier alinéa, de la directive procédures a autorisé les États membres à faire une application de leurs dispositions mettant en œuvre cette directive aux demandes de protection internationale introduites avant le 20 juillet 2015, il ne les y a pas contraints. Cette disposition offrant, par l’emploi des termes « entamées après le 20 juillet 2015 ou à une date antérieure », diverses possibilités d’application temporelle, il importe, afin que les principes de sécurité juridique et d’égalité devant la loi soient respectés dans la mise en œuvre du droit de l’Union et que les demandeurs de protection internationale soient ainsi protégés contre l’arbitraire, que chaque État membre lié par ladite directive examine d’une manière prévisible et uniforme les demandes de protection internationale qui sont introduites au cours d’une même période sur son territoire (voir, en ce sens, arrêt du 25 juillet 2018, Alheto, C‑585/16, EU:C:2018:584, point 73).

67

Il ressort des décisions de renvoi que la disposition par laquelle a été transposé dans le droit allemand le motif d’irrecevabilité additionnel prévu à l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures, à savoir l’article 29, paragraphe 1, point 2, de l’AsylG, est entrée en vigueur le 6 août 2016 et que, en l’absence de dispositions transitoires nationales, la juridiction de renvoi doit, en application de l’article 77, paragraphe 1, première phrase, de l’AsylG, fonder sa décision, dans les litiges au principal, sur la situation en fait et en droit existant à la date de la dernière audience devant cette juridiction ou, en l’absence d’audience, à la date de sa décision, et, partant, sur l’article 29 de l’AsylG dans sa version en vigueur à cette date, à moins que l’article 52, premier alinéa, de la directive procédures ne s’oppose à l’application immédiate de cette version à des demandes qui ont été introduites avant l’entrée en vigueur de celle-ci, mais sur lesquelles il n’a pas encore été définitivement statué.

68

À cet égard, il importe de constater, premièrement, qu’une disposition nationale telle que l’article 77, paragraphe 1, première phrase, de l’AsylG assure que les demandes de protection internationale, qui ont été introduites au cours d’une même période sur le territoire allemand et sur lesquelles il n’avait pas encore été définitivement statué lors de l’entrée en vigueur de l’article 29, paragraphe 1, point 2, de l’AsylG, soient examinées d’une manière prévisible et uniforme.

69

Deuxièmement, ainsi qu’il résulte des considérations exposées aux points 64 et 65 du présent arrêt, l’article 52, premier alinéa, de la directive procédures ne s’oppose pas à ce qu’une disposition nationale transposant le motif d’irrecevabilité additionnel prévu à l’article 33, paragraphe 2, sous a), de cette directive soit, en vertu du droit national, applicable ratione temporis à des demandes d’asile qui ont été introduites avant le 20 juillet 2015 et avant l’entrée en vigueur de cette disposition de transposition, mais sur lesquelles il n’a pas encore été statué définitivement.

70

Troisièmement, si l’article 52, premier alinéa, de la directive procédures ne s’oppose pas non plus, par principe, à une application immédiate des dispositions de cette directive à des demandes qui ont été introduites avant son entrée en vigueur, il convient toutefois de constater qu’une application immédiate du motif d’irrecevabilité additionnel prévu à l’article 33, paragraphe 2, sous a), de ladite directive trouve ses limites dans une situation telle que celle en cause dans l’affaire C‑438/17, dans laquelle tant la demande d’asile présentée en Allemagne que la requête aux fins de reprise en charge ont été introduites avant le 1er janvier 2014, de telle sorte que cette demande, conformément à l’article 49 du règlement Dublin III, relève encore pleinement du champ d’application du règlement Dublin II.

71

En effet, la directive procédures, qui a été adoptée le même jour que le règlement Dublin III, prévoit, à l’instar de ce dernier, une extension de son champ d’application aux demandes de protection internationale par rapport à la directive 2005/85 qui l’a précédée et qui régissait uniquement la procédure d’asile. C’est ainsi, dans ce cadre réglementaire plus large, qu’est intervenue l’introduction du motif d’irrecevabilité additionnel prévu à l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures qui permet aux États membres de rejeter une demande d’asile comme irrecevable également lorsque le demandeur s’est vu octroyer par un autre État membre non pas un droit d’asile, mais seulement une protection subsidiaire.

72

Par ailleurs, tandis que l’article 25, paragraphe 1, de la directive 2005/85 se réfère au règlement Dublin II, l’article 33, paragraphe 1, de la directive procédures renvoie au règlement Dublin III.

73

Il résulte ainsi de l’économie du règlement Dublin III et de celle de la directive procédures, ainsi que du libellé de l’article 33, paragraphe 1, de cette dernière, que le motif d’irrecevabilité additionnel prévu à l’article 33, paragraphe 2, sous a), de ladite directive n’a pas vocation à s’appliquer à une demande d’asile qui relève encore entièrement du champ d’application du règlement Dublin II.

74

Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre à la première question dans les affaires C‑297/17, C‑318/17 et C‑319/17 ainsi qu’aux questions posées dans l’affaire C‑438/17 que l’article 52, premier alinéa, de la directive procédures doit être interprété en ce sens qu’il permet à un État membre de prévoir une application immédiate de la disposition nationale transposant le paragraphe 2, sous a), de l’article 33 de cette directive à des demandes d’asile sur lesquelles il n’a pas encore été définitivement statué, qui ont été introduites avant le 20 juillet 2015 et avant l’entrée en vigueur de cette disposition nationale. En revanche, cet article 52, premier alinéa, lu à la lumière notamment dudit article 33, s’oppose à une telle application immédiate dans une situation dans laquelle tant la demande d’asile que la requête aux fins de reprise en charge ont été introduites avant l’entrée en vigueur de la directive procédures et, conformément à l’article 49 du règlement Dublin III, relèvent encore pleinement du champ d’application du règlement Dublin II.

Sur la deuxième question dans les affaires C‑297/17, C‑318/17 et C‑319/17

75

Il résulte de la décision de renvoi que, par cette question, la juridiction de renvoi demande si l’article 33 de la directive procédures doit être interprété en ce sens qu’il permet aux États membres de rejeter une demande d’asile comme irrecevable au titre du paragraphe 2, sous a), de cet article 33, sans que ces derniers doivent recourir prioritairement aux procédures de prise ou de reprise en charge prévues par les règlements Dublin II ou Dublin III.

76

Aux termes de l’article 33, paragraphe 1, de la directive procédures, outre les cas dans lesquels une demande n’est pas examinée en application du règlement Dublin III, les États membres ne sont pas tenus de vérifier si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre à une protection internationale en application de la directive qualification, lorsqu’une demande est considérée comme irrecevable en vertu de l’article 33 de cette directive. Le paragraphe 2 de cet article 33 énumère de manière exhaustive les situations dans lesquelles les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable.

77

Il résulte du libellé de l’article 33, paragraphe 1, de la directive procédures, notamment de l’emploi des termes « [o]utre les cas dans lesquels une demande n’est pas examinée en application du règlement [Dublin III] », ainsi que de l’objectif d’économie de procédure poursuivi par cette disposition que, dans les situations énumérées à l’article 33, paragraphe 2, de cette directive, celle-ci permet aux États membres de rejeter une demande de protection internationale comme irrecevable sans que ces derniers doivent recourir prioritairement aux procédures de prise ou de reprise en charge prévues par le règlement Dublin III.

78

En outre, en ce qui concerne des demandes de protection internationale, telles que celles en cause dans les affaires C‑297/17, C‑318/17 et C‑319/17, qui relèvent partiellement du règlement Dublin III, un État membre ne peut valablement requérir un autre État membre aux fins de prendre ou de reprendre en charge, dans le cadre des procédures définies par ce règlement, un ressortissant d’un pays tiers qui a introduit une demande de protection internationale dans le premier de ces États membres après s’être vu octroyer le bénéfice de la protection subsidiaire par le second de ceux-ci.

79

En effet, dans cette situation, le législateur de l’Union a considéré que le rejet d’une telle demande de protection internationale devait être assuré par une décision d’irrecevabilité, en application de l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures, plutôt qu’au moyen d’une décision de transfert et de non-examen, en vertu de l’article 26 du règlement Dublin III (voir ordonnance du 5 avril 2017, Ahmed, C‑36/17, EU:C:2017:273, points 39 et 41).

80

Dans ces conditions, il convient de répondre à la deuxième question dans les affaires C‑297/17, C‑318/17 et C‑319/17 que, dans une situation telle que celle en cause dans celles-ci, l’article 33 de la directive procédures doit être interprété en ce sens qu’il permet aux États membres de rejeter une demande d’asile comme irrecevable au titre du paragraphe 2, sous a), de cet article 33, sans que ces derniers doivent ou puissent recourir prioritairement aux procédures de prise ou de reprise en charge prévues par le règlement Dublin III.

Sur les troisième et quatrième questions dans les affaires C‑297/17, C‑318/17 et C‑319/17

81

Par ces questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, d’une part, si l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre exerce la faculté offerte par cette disposition de rejeter une demande d’octroi du statut de réfugié comme irrecevable au motif que le demandeur s’est déjà vu accorder une protection subsidiaire par un autre État membre, lorsque les conditions de vie des bénéficiaires d’une protection subsidiaire dans cet autre État membre soit sont contraires à l’article 4 de la Charte, soit ne satisfont pas aux dispositions du chapitre VII de la directive qualification sans toutefois aller jusqu’à enfreindre cet article 4. Elle demande si, le cas échéant, il en va ainsi également lorsque ces bénéficiaires ne reçoivent, dans ledit autre État membre, aucune prestation de subsistance, ou sont destinataires d’une telle prestation dans une mesure nettement moindre que dans d’autres États membres, sans toutefois être traités différemment, à cet égard, des ressortissants dudit État membre.

82

D’autre part, la juridiction de renvoi demande si l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre exerce cette même faculté, lorsque la procédure d’asile dans l’autre État membre était et est encore entachée de défaillances systémiques.

83

En ce qui concerne, en premier lieu, la situation visée au point 81 du présent arrêt, il importe de rappeler que le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque État membre partage avec tous les autres États membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, comme il est précisé à l’article 2 TUE. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les États membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre, ainsi que dans le fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment aux articles 1er et 4 de celle-ci, qui consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses États membres (arrêt de ce jour, Jawo, C‑163/17, point 80 et jurisprudence citée).

84

Le principe de confiance mutuelle entre les États membres a, dans le droit de l’Union, une importance fondamentale, étant donné qu’il permet la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures. Plus spécifiquement, le principe de confiance mutuelle impose, notamment en ce qui concerne l’espace de liberté, de sécurité et de justice, à chacun de ces États de considérer, sauf dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit (arrêt de ce jour, Jawo, C‑163/17, point 81 et jurisprudence citée).

85

Partant, dans le cadre du système européen commun d’asile, il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’une protection internationale dans chaque État membre est conforme aux exigences de la Charte, de la convention de Genève ainsi que de la CEDH (arrêt de ce jour, Jawo, C‑163/17, point 82 et jurisprudence citée). Il en va ainsi, notamment, lors de l’application de l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures, qui constitue, dans le cadre de la procédure d’asile commune établie par cette directive, une expression du principe de confiance mutuelle.

86

Il ne saurait, cependant, être exclu que ce système rencontre, en pratique, des difficultés majeures de fonctionnement dans un État membre déterminé, de telle sorte qu’il existe un risque sérieux que des demandeurs d’une protection internationale soient traités, dans cet État membre, d’une manière incompatible avec leurs droits fondamentaux (arrêt de ce jour, Jawo, C‑163/17, point 83 et jurisprudence citée).

87

Dans ce contexte, il importe de relever que, eu égard au caractère général et absolu de l’interdiction énoncée à l’article 4 de la Charte, qui est étroitement liée au respect de la dignité humaine et qui interdit, sans aucune possibilité de dérogation, les traitements inhumains ou dégradants sous toutes leurs formes, il est indifférent, aux fins de l’application de cet article 4, que ce soit au moment même du transfert, au cours de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait un risque sérieux de subir un tel traitement (voir, par analogie, arrêt de ce jour, Jawo, C‑163/17, point 88).

88

Ainsi, lorsque la juridiction saisie d’un recours contre une décision rejetant une nouvelle demande de protection internationale comme irrecevable dispose d’éléments produits par le demandeur aux fins d’établir l’existence d’un tel risque dans l’État membre ayant déjà accordé la protection subsidiaire, cette juridiction est tenue d’apprécier, sur la base d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés et au regard du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l’Union, la réalité de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes (voir, par analogie, arrêt de ce jour, Jawo, C‑163/17, point 90 et jurisprudence citée).

89

À cet égard, il importe de souligner que, pour relever de l’article 4 de la Charte, qui correspond à l’article 3 de la CEDH, et dont le sens et la portée sont donc, en vertu de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, les mêmes que ceux que leur confère ladite convention, les défaillances mentionnées au point précédent du présent arrêt doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause (arrêt de ce jour, Jawo, C‑163/17, point 91 et jurisprudence citée).

90

Ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un État membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine (arrêt de ce jour, Jawo, C‑163/17, point 92 et jurisprudence citée).

91

Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant (arrêt de ce jour, Jawo, C‑163/17, point 93).

92

Au vu des interrogations de la juridiction de renvoi sur ce point, il importe de préciser que, compte tenu de l’importance que le principe de confiance mutuelle revêt pour le système européen commun d’asile, des violations des dispositions du chapitre VII de la directive qualification qui n’ont pas pour conséquence une atteinte à l’article 4 de la Charte n’empêchent pas les États membres d’exercer la faculté offerte par l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures.

93

Quant à la circonstance, également mentionnée par la juridiction de renvoi, que les bénéficiaires d’une protection subsidiaire ne reçoivent, dans l’État membre qui a accordé une telle protection au demandeur, aucune prestation de subsistance, ou sont destinataires d’une telle prestation dans une mesure nettement moindre que dans d’autres États membres, sans être toutefois traités différemment des ressortissants de cet État membre, elle ne peut conduire à la constatation que ce demandeur y serait exposé à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte que si elle a pour conséquence que celui-ci se trouverait, en raison de sa vulnérabilité particulière, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême répondant aux critères mentionnés aux points 89 à 91 du présent arrêt.

94

En tout état de cause, le seul fait que la protection sociale et/ou les conditions de vie sont plus favorables dans l’État membre auprès duquel la nouvelle demande de protection internationale a été introduite que dans l’État membre ayant déjà accordé la protection subsidiaire n’est pas de nature à conforter la conclusion selon laquelle la personne concernée serait exposée, en cas de transfert vers ce dernier État membre, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte (voir, par analogie, arrêt de ce jour, Jawo, C‑163/17, point 97).

95

S’agissant, en second lieu, de la situation visée au point 82 du présent arrêt, il résulte de la demande de décision préjudicielle que les défaillances dans la procédure d’asile visées par la juridiction de renvoi consistent, selon cette dernière, dans le fait que l’État membre qui a accordé la protection subsidiaire refuse de manière prévisible, et en violation de la directive qualification, d’octroyer aux demandeurs de protection internationale le statut de réfugié et que, en violation de l’article 40, paragraphe 3, de la directive procédures, il n’examine pas non plus des demandes ultérieures en dépit d’éléments ou de faits nouveaux qui augmentent significativement la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à ce statut.

96

La juridiction de renvoi demande, à cet égard, si les dispositions combinées de l’article 18 de la Charte et de l’article 78 TFUE commandent que, dans une telle situation, un État membre examine la nouvelle demande de protection internationale en dépit d’une règle interne mettant en œuvre l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures.

97

Il y a lieu de rappeler que tant la directive qualification que la directive procédures ont été adoptées sur le fondement de l’article 78 TFUE et dans le but de réaliser l’objectif énoncé par celui-ci ainsi que d’assurer le respect de l’article 18 de la Charte.

98

En vertu de la directive qualification, notamment de son article 13, les États membres ont l’obligation d’octroyer le statut de réfugié à tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui remplit les conditions pour être considéré comme réfugié, conformément aux chapitres II et III de cette directive. Pour déterminer si tel est le cas, ils doivent, conformément à l’article 4, paragraphe 3, de ladite directive, procéder à une évaluation individuelle de chaque demande de protection internationale. Ainsi, c’est seulement si, à la suite d’une telle évaluation individuelle, les États membres constatent qu’un demandeur d’une telle protection remplit non pas les conditions prévues à ce chapitre III, mais celles prévues au chapitre V de cette même directive, qu’ils peuvent octroyer à celui-ci le statut conféré par la protection subsidiaire au lieu du statut de réfugié.

99

Or, si la procédure d’asile dans un État membre conduisait à refuser systématiquement, sans réel examen, l’octroi du statut de réfugié à des demandeurs de protection internationale qui remplissent les conditions prévues aux chapitres II et III de la directive qualification, le traitement des demandeurs d’asile dans cet État membre ne pourrait pas être considéré comme conforme aux obligations découlant de l’article 18 de la Charte.

100

Cela étant, les autres États membres peuvent rejeter la nouvelle demande que l’intéressé leur a présentée comme irrecevable, en application de l’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures, lu au regard du principe de confiance mutuelle. Dans un tel cas, il appartient à l’État membre ayant accordé la protection subsidiaire de reprendre la procédure visant à l’obtention du statut de réfugié.

101

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre aux troisième et quatrième questions dans les affaires C‑297/17, C‑318/17 et C‑319/17 de la manière suivante :

L’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un État membre exerce la faculté offerte par cette disposition de rejeter une demande d’octroi du statut de réfugié comme irrecevable au motif que le demandeur s’est déjà vu accorder une protection subsidiaire par un autre État membre, lorsque les conditions de vie prévisibles que ledit demandeur rencontrerait en tant que bénéficiaire d’une protection subsidiaire dans cet autre État membre ne l’exposeraient pas à un risque sérieux de subir un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la Charte. La circonstance que les bénéficiaires d’une telle protection subsidiaire ne reçoivent, dans ledit État membre, aucune prestation de subsistance, ou sont destinataires d’une telle prestation dans une mesure nettement moindre que dans d’autres États membres, sans être toutefois traités différemment des ressortissants de cet État membre, ne peut conduire à la constatation que ce demandeur y serait exposé à un tel risque que si elle a pour conséquence que celui-ci se trouverait, en raison de sa vulnérabilité particulière, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême.

L’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive procédures doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un État membre exerce cette même faculté, lorsque la procédure d’asile dans l’autre État membre ayant accordé une protection subsidiaire au demandeur conduit à refuser systématiquement, sans réel examen, l’octroi du statut de réfugié à des demandeurs de protection internationale qui remplissent les conditions prévues aux chapitres II et III de la directive qualification.

Sur la cinquième question dans les affaires C‑297/17, C‑318/17 et C‑319/17

102

Compte tenu de la réponse apportée notamment à la deuxième question dans les affaires C‑297/17, C‑318/17 et C‑319/17, il n’y a plus lieu de répondre à la cinquième question posée dans ces affaires.

Sur les dépens

103

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 52, premier alinéa, de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, doit être interprété en ce sens qu’il permet à un État membre de prévoir une application immédiate de la disposition nationale transposant le paragraphe 2, sous a), de l’article 33 de cette directive à des demandes d’asile sur lesquelles il n’a pas encore été définitivement statué, qui ont été introduites avant le 20 juillet 2015 et avant l’entrée en vigueur de cette disposition nationale. En revanche, cet article 52, premier alinéa, lu à la lumière notamment dudit article 33, s’oppose à une telle application immédiate dans une situation dans laquelle tant la demande d’asile que la requête aux fins de reprise en charge ont été introduites avant l’entrée en vigueur de la directive 2013/32 et, conformément à l’article 49 du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, relèvent encore pleinement du champ d’application du règlement (CE) no 343/2003 du Conseil, du 18 février 2003, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers.

 

2)

Dans une situation telle que celle en cause dans les affaires C‑297/17, C‑318/17 et C‑319/17, l’article 33 de la directive 2013/32 doit être interprété en ce sens qu’il permet aux États membres de rejeter une demande d’asile comme irrecevable au titre du paragraphe 2, sous a), de cet article 33, sans que ces derniers doivent ou puissent recourir prioritairement aux procédures de prise ou de reprise en charge prévues par le règlement no 604/2013.

 

3)

L’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive 2013/32 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un État membre exerce la faculté offerte par cette disposition de rejeter une demande d’octroi du statut de réfugié comme irrecevable au motif que le demandeur s’est déjà vu accorder une protection subsidiaire par un autre État membre, lorsque les conditions de vie prévisibles que ledit demandeur rencontrerait en tant que bénéficiaire d’une protection subsidiaire dans cet autre État membre ne l’exposeraient pas à un risque sérieux de subir un traitement inhumain ou dégradant, au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. La circonstance que les bénéficiaires d’une telle protection subsidiaire ne reçoivent, dans ledit État membre, aucune prestation de subsistance, ou sont destinataires d’une telle prestation dans une mesure nettement moindre que dans d’autres États membres, sans être toutefois traités différemment des ressortissants de cet État membre, ne peut conduire à la constatation que ce demandeur y serait exposé à un tel risque que si elle a pour conséquence que celui-ci se trouverait, en raison de sa vulnérabilité particulière, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême.

L’article 33, paragraphe 2, sous a), de la directive 2013/32 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un État membre exerce cette même faculté, lorsque la procédure d’asile dans l’autre État membre ayant accordé une protection subsidiaire au demandeur conduit à refuser systématiquement, sans réel examen, l’octroi du statut de réfugié à des demandeurs de protection internationale qui remplissent les conditions prévues aux chapitres II et III de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.