ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

4 juillet 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Transport – Règlement (CE) no 261/2004 – Article 2, sous b) – Champ d’application – Notion de “transporteur aérien effectif” – Contrat de location d’un avion avec équipage (“wet lease”) »

Dans l’affaire C‑532/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landgericht Hamburg (tribunal régional de Hambourg, Allemagne), par décision du 29 juin 2017, parvenue à la Cour le 11 septembre 2017, dans la procédure

Wolfgang Wirth,

Theodor Mülder,

Ruth Mülder,

Gisela Wirth

contre

Thomson Airways Ltd,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. L. Bay Larsen, président de chambre, MM. J. Malenovský (rapporteur), M. Safjan, D. Šváby et M. Vilaras, juges,

avocat général : M. H. Saugmandsgaard Øe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

pour MM. Wirth et Mülder ainsi que pour Mmes Mülder et Wirth, par Me E. Stamer, Rechtsanwalt,

pour Thomson Airways Ltd, par Me P. Kauffmann, Rechtsanwalt,

pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze, M. Hellmann et J. Techert, en qualité d’agents,

pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

pour la Commission européenne, par MM. G. Braun et K. Simonsson, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, sous b), du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91 (JO 2004, L 46, p. 1).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant MM. Wolfgang Wirth et Theodor Mülder ainsi que Mmes Ruth Mülder et Gisela Wirth à Thomson Airways Ltd au sujet de l’existence, dans le chef de cette dernière, d’une obligation d’indemniser ces quatre passagers en raison d’un retard de vol supérieur à trois heures à l’arrivée de celui-ci.

Le cadre juridique

Le règlement no 261/2004

3

Les considérants 1 et 7 du règlement no 261/2004 énoncent :

« (1)

L’action de [l’Union] dans le domaine des transports aériens devrait notamment viser à garantir un niveau élevé de protection des passagers. Il convient en outre de tenir pleinement compte des exigences de protection des consommateurs en général.

[...]

(7)

Afin de garantir l’application effective du présent règlement, les obligations qui en découlent devraient incomber au transporteur aérien effectif qui réalise ou a l’intention de réaliser un vol, indépendamment du fait qu’il soit propriétaire de l’avion, que l’avion fasse l’objet d’un contrat de location coque nue (dry lease) ou avec équipage (wet lease), ou s’inscrive dans le cadre de tout autre régime. »

4

L’article 2 de ce règlement, intitulé « Définitions », dispose, sous b), que, aux fins dudit règlement, on entend par « “transporteur aérien effectif”, un transporteur aérien qui réalise ou a l’intention de réaliser un vol dans le cadre d’un contrat conclu avec un passager, ou au nom d’une autre personne, morale ou physique, qui a conclu un contrat avec ce passager ».

5

L’article 3 du même règlement, intitulé « Champ d’application », prévoit, à son paragraphe 5 :

« Le présent règlement s’applique à tout transporteur aérien effectif assurant le transport des passagers visés aux paragraphes 1 et 2. Lorsqu’un transporteur aérien effectif qui n’a pas conclu de contrat avec le passager remplit des obligations découlant du présent règlement, il est réputé agir au nom de la personne qui a conclu le contrat avec le passager concerné. »

Le règlement (CE) no 2111/2005

6

Aux termes des considérants 1 et 13 du règlement (CE) no 2111/2005 du Parlement européen et du Conseil, du 14 décembre 2005, concernant l’établissement d’une liste communautaire des transporteurs aériens qui font l’objet d’une interdiction d’exploitation dans la Communauté et l’information des passagers du transport aérien sur l’identité du transporteur aérien effectif, et abrogeant l’article 9 de la directive 2004/36/CE (JO 2005, L 344, p. 15) :

« (1)

L’action de [l’Union] dans le domaine du transport aérien doit viser en priorité à assurer un niveau élevé de protection des passagers contre les risques pour leur sécurité. Il convient en outre de tenir pleinement compte des exigences de la protection des consommateurs en général.

[...]

(13)

Le règlement (CEE) no 2299/89 du Conseil du 24 juillet 1989 instaurant un code de conduite pour l’utilisation de systèmes informatisés de réservation (SIR) [(JO 1989, L 220, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 323/1999 du Conseil, du 8 février 1999 (JO 1999, L 40, p. 1) ] donne aux consommateurs qui réservent un vol par un système informatisé de réservation le droit d’être informé de l’identité du transporteur aérien effectif. Il existe cependant, même dans le transport aérien régulier, des pratiques telles que l’affrètement d’aéronef avec équipage ou le partage de codes sans réservation par SIR, par lesquelles le transporteur aérien qui a vendu le vol en son nom n’est pas celui qui l’effectue, mais sans que les passagers bénéficient actuellement du droit légal d’être informé de l’identité du transporteur aérien qui assure effectivement le service. »

7

L’article 11 du règlement no 2111/2005, intitulé « Informations sur l’identité du transporteur aérien effectif », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Au moment de la réservation, le contractant du transport aérien informe le passager de l’identité du ou des transporteurs aériens effectifs, quel que soit le moyen utilisé pour effectuer la réservation. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

8

En vertu d’un contrat de location d’un avion avec équipage (« wet lease »), TUIFly GmbH a affrété, auprès de Thomson Airways, un appareil et son équipage pour un nombre de vols défini. Ce contrat prévoyait que TUIFly était responsable du « ground handling including passenger handling, passenger welfare at all times, cargo handling, security in respect of passengers and baggage, arranging on board Services etc. » (« des services au sol, y compris de l’accueil des voyageurs, du bien-être des passagers à tout moment, de la manutention du fret, de la sécurité en ce qui concerne les passagers et les bagages, de l’organisation de prestations à bord, etc. »). Pour la réalisation de ces vols, TUIFly a sollicité les créneaux horaires, commercialisé les vols et obtenu l’ensemble des autorisations requises.

9

Les requérants au principal disposaient d’une confirmation de réservation pour un vol au départ de Hambourg (Allemagne) et à destination de Cancún (Mexique), portant un numéro de vol dont le code identifie TUIFly. Cette confirmation indiquait que lesdites réservations étaient émises par TUIFly, mais que le vol était « effectué » par Thomson Airways.

10

Ledit vol ayant accusé un retard important, dont la durée exacte n’a toutefois pas été précisée par la juridiction de renvoi, les requérants au principal ont demandé à Thomson Airways le paiement de l’indemnisation qu’ils estimaient leur être due conformément aux articles 5 et 7 du règlement no 261/2004, tels qu’interprétés par la Cour.

11

Thomson Airways a refusé de verser cette indemnité au motif qu’elle n’était pas le transporteur aérien effectif au sens de l’article 2, sous b), de ce règlement, de telle sorte que le paiement, le cas échéant, de l’indemnisation due aux passagers sur le fondement dudit règlement en cas de retard de vol à l’arrivée égal ou supérieur à trois heures ne lui incombait pas.

12

Les requérants au principal ont alors saisi l’Amtsgericht Hamburg (tribunal de district de Hambourg, Allemagne), qui a fait droit à leurs prétentions. Cette juridiction a jugé que Thomson Airways devait être regardée comme étant également un transporteur aérien effectif au motif que, en vertu du considérant 7 du règlement no 261/2004, il est sans incidence de déterminer si le transporteur aérien effectif assure le vol avec un appareil dont il est propriétaire ou dans le cadre d’un contrat de location d’un avion « coque nue » (« dry lease ») ou avec équipage (« wet lease »). Par conséquent, le transporteur aérien effectif serait tant celui qui a recours à un avion affrété avec ou sans équipage pour effectuer le vol que celui qui, étant le propriétaire de l’appareil et l’employeur de l’équipage, réalise concrètement ledit vol.

13

Par ailleurs, cette juridiction a également relevé que la confirmation de réservation délivrée aux requérants au principal mentionnait explicitement la défenderesse au principal en tant que transporteur aérien effectif. Or, afin d’assurer la réalisation de l’objectif de protection des consommateurs poursuivi par le règlement no 261/2004, le consommateur devrait pouvoir se fier aux indications figurant sur la confirmation de réservation.

14

Thomson Airways a interjeté appel du jugement de l’Amtsgericht Hamburg (tribunal de district de Hambourg) devant la juridiction de renvoi, le Landgericht Hamburg (tribunal régional de Hambourg, Allemagne), en faisant valoir que, dès lors que seul le transporteur aérien assumant la responsabilité opérationnelle du vol est en mesure de satisfaire aux obligations du règlement no 261/2004, en raison de sa présence nécessaire dans les aéroports et des informations qu’il détient sur les passagers, c’est ce dernier qui doit être considéré comme étant le transporteur aérien effectif au sens dudit règlement. Étant donné que, dans l’affaire au principal, TUIFly assumait la responsabilité opérationnelle pour la réalisation du vol, les demandes d’indemnisation auraient dû être dirigées contre ce transporteur.

15

Dans ces conditions, le Landgericht Hamburg (tribunal régional de Hambourg) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« La notion de “transporteur aérien effectif” visée par le [règlement no 261/2004] doit-elle être interprétée en ce sens qu’il convient de considérer comme un transporteur aérien effectif au sens de ce règlement un transporteur aérien qui donne en location l’appareil et l’équipage à un autre transporteur aérien dans le cadre d’un contrat de “wet lease” (contrat de location avec équipage) pour un nombre de vols défini dans le contrat, mais qui n’assume pas la responsabilité opérationnelle principale pour les vols en question, étant précisé que la confirmation de réservation du passager mentionne que le vol est “assuré par ” ce même transporteur ? »

Sur la question préjudicielle

16

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de « transporteur aérien effectif » au sens du règlement no 261/2004 et, notamment, de son article 2, sous b), doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre le cas d’un transporteur aérien qui, tel que celui en cause au principal, donne en location, à un autre transporteur aérien, l’appareil et l’équipage dans le cadre d’un contrat de location d’un avion avec équipage (« wet lease »), mais n’assume pas la responsabilité opérationnelle des vols, y compris lorsque la confirmation de réservation d’une place sur un vol délivrée aux passagers mentionne que ce vol est assuré par ce premier transporteur.

17

À cet égard, il convient de relever que, aux termes de l’article 2, sous b), du règlement no 261/2004, la notion de « transporteur aérien effectif » doit être comprise comme désignant le « transporteur aérien qui réalise ou a l’intention de réaliser un vol dans le cadre d’un contrat conclu avec un passager, ou au nom d’une autre personne, morale ou physique, qui a conclu un contrat avec ce passager ».

18

Cette définition pose donc deux conditions cumulatives pour qu’un transporteur aérien puisse être qualifié de « transporteur aérien effectif » tenant, d’une part, à la réalisation du vol en cause et, d’autre part, à l’existence d’un contrat conclu avec un passager.

19

En ce qui concerne la première condition, celle-ci met en avant la notion de « vol » qui en constitue l’élément central. Or, la Cour a déjà jugé que cette notion doit être comprise comme « une opération de transport aérien, étant ainsi, d’une certaine manière, une “unité” de ce transport, réalisée par un transporteur aérien qui fixe son itinéraire » (arrêts du 10 juillet 2008, Emirates Airlines, C‑173/07, EU:C:2008:400, point 40, du 13 octobre 2011, Sousa Rodríguez e.a., C‑83/10, EU:C:2011:652, point 27, et du 22 juin 2016, Mennens, C‑255/15, EU:C:2016:472, point 20).

20

Il en découle que doit être considéré comme étant le transporteur aérien effectif le transporteur qui, dans le cadre de son activité de transport de passagers, prend la décision de réaliser un vol précis, y compris d’en fixer l’itinéraire et, ce faisant, de créer, à l’intention des intéressés, une offre de transport aérien. L’adoption d’une telle décision implique en effet que ce transporteur assume la responsabilité de la réalisation dudit vol, y compris, notamment, de ses éventuels annulation ou retard important à son arrivée.

21

En l’occurrence, il est constant que Thomson Airways s’est bornée à donner en location l’appareil et l’équipage ayant exécuté le vol en cause au principal, mais que la fixation de l’itinéraire et la réalisation de ce vol ont été décidées par TUIFly.

22

Dans ces conditions, sans qu’il soit besoin d’examiner la seconde condition cumulative prévue à l’article 2, sous b), du règlement no 261/2004, il doit être constaté qu’un transporteur aérien, tel que Thomson Airways dans l’affaire au principal, qui donne en location un appareil et un équipage à un autre transporteur aérien, ne saurait, en tout état de cause, être qualifié de « transporteur aérien effectif » au sens du règlement no 261/2004 et, notamment, de son article 2, sous b).

23

Une telle solution est corroborée par l’objectif d’assurer un niveau élevé de protection des passagers, énoncé au considérant 1 du règlement no 261/2004, dès lors qu’elle permet de garantir que les passagers transportés seront indemnisés ou pris en charge sans avoir à tenir compte des arrangements pris par le transporteur aérien ayant décidé de réaliser le vol en cause avec un autre transporteur en vue d’assurer concrètement celui-ci.

24

Ladite solution est, en outre, cohérente avec le principe, énoncé au considérant 7 de ce règlement, selon lequel, afin de garantir l’application effective de celui-ci, les obligations qui en découlent devraient incomber au transporteur aérien effectif indépendamment du fait qu’il soit propriétaire de l’avion ou que ce dernier fasse l’objet d’un contrat de location avec équipage.

25

Certes, la juridiction de renvoi précise encore que la confirmation de réservation délivrée aux requérants au principal mentionne que le vol en cause au principal était « effectué » par le transporteur aérien ayant donné en location l’appareil et l’équipage. Toutefois, si cette indication apparaît comme pertinente dans le cadre de l’application du règlement no 2111/2005, elle ne saurait préjuger de l’identification du « transporteur aérien effectif » au sens du règlement no 261/2004 étant donné qu’il ressort clairement du considérant 1 du règlement no 2111/2005 que ce dernier poursuit un objectif différent de celui visé par le règlement no 261/2004.

26

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que la notion de « transporteur aérien effectif » au sens du règlement no 261/2004 et, notamment, de son article 2, sous b), doit être interprétée en ce sens qu’elle ne couvre pas le transporteur aérien qui, tel que celui en cause au principal, donne en location, à un autre transporteur aérien, l’appareil et l’équipage dans le cadre d’un contrat de location d’avion avec équipage (« wet lease »), mais n’assume pas la responsabilité opérationnelle des vols, y compris lorsque la confirmation de réservation d’une place sur un vol délivrée aux passagers mentionne que ce vol est effectué par ce premier transporteur.

Sur les dépens

27

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

 

La notion de « transporteur aérien effectif » au sens du règlement (CE) no 261/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 11 février 2004, établissant des règles communes en matière d’indemnisation et d’assistance des passagers en cas de refus d’embarquement et d’annulation ou de retard important d’un vol, et abrogeant le règlement (CEE) no 295/91, et, notamment, de son article 2, sous b), doit être interprétée en ce sens qu’elle ne couvre pas le transporteur aérien qui, tel que celui en cause au principal, donne en location, à un autre transporteur aérien, l’appareil et l’équipage dans le cadre d’un contrat de location d’avion avec équipage (« wet lease »), mais n’assume pas la responsabilité opérationnelle des vols, y compris lorsque la confirmation de réservation d’une place sur un vol délivrée aux passagers mentionne que ce vol est effectué par ce premier transporteur.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.