ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

23 janvier 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Portée territoriale du droit de l’Union – Article 355, point 3, TFUE – Acte relatif aux conditions d’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et aux adaptations des traités – Article 29 – Annexe I, partie I, point 4 – Exclusion de Gibraltar du territoire douanier de l’Union européenne – Portée – Directive 91/477/CEE – Article 1er, paragraphe 4 – Article 12, paragraphe 2 – Annexe II – Carte européenne d’arme à feu – Activités de chasse et de tir sportif – Applicabilité au territoire de Gibraltar – Obligation de transposition – Absence – Validité »

Dans l’affaire C‑267/16,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Supreme Court of Gibraltar (Cour suprême de Gibraltar), par décision du 6 mai 2016, parvenue à la Cour le 13 mai 2016, dans la procédure

The Queen, à la demande de :

Albert Buhagiar e.a.,

contre

Minister for Justice,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. A. Tizzano, vice–président, Mme R. Silva de Lapuerta, MM. M. Ilešič (rapporteur), A. Rosas et C.G. Fernlund, présidents de chambre, MM. E. Juhász, A. Borg Barthet, M. Safjan, D. Šváby, Mme M. Berger, MM. E. Jarašiūnas et M. Vilaras, juges,

avocat général : M. P. Mengozzi,

greffier : Mme C. Strömholm, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 16 mai 2017,

considérant les observations présentées :

pour M. Buhagiar e.a., par M. L. Baglietto, QC, et M. C. Bonfante, barrister,

pour le Minister for Justice, par M. M. Llamas, QC, et Mme Y. Sanguinetti, barrister,

pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mmes G. Brown et C. Brodie, en qualité d’agents, assistées de Mme M. Demetriou, QC, et de M. M. Birdling, barrister,

pour le Parlement européen, par MM. P. Schonard et R. van de Westelaken ainsi que par Mme I. McDowell, en qualité d’agents,

pour le Conseil de l’Union européenne, par Mmes S. Petrova et E. Moro ainsi que par M. I. Lai, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par MM. E. Manhaeve, K. Mifsud-Bonnici, E. White et G. Braga da Cruz, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 12 septembre 2017,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 29 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et aux adaptations des traités (JO 1972, L 73, p. 14, ci-après l’« acte d’adhésion de 1972 »), lu en combinaison avec l’annexe I, partie I, point 4, dudit acte, ainsi que sur l’interprétation et la validité de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 91/477/CEE du Conseil, du 18 juin 1991, relative au contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes (JO 1991, L 256, p. 51), telle que modifiée par la directive 2008/51/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008 (JO 2008, L 179, p. 5) (ci-après la « directive 91/477 »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Albert Buhagiar et six autres requérants (ci-après « M. Buhagiar e.a. ») au Minister for Justice (ministre de la Justice, Gibraltar, ci-après le « Ministre »), au sujet du rejet par ce dernier de la demande de M. Buhagiar e.a. visant à l’obtention d’une carte européenne d’arme à feu (ci-après la « carte »).

Le cadre juridique

3

L’article 28 de l’acte d’adhésion de 1972 dispose :

« Les actes des institutions de [l’Union européenne] visant les produits de l’annexe II du traité CEE et les produits soumis à l’importation dans [l’Union] à une réglementation spécifique comme conséquence de la mise en œuvre de la politique agricole commune, ainsi que les actes en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires ne sont pas applicables à Gibraltar, à moins que le Conseil statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission n’en dispose autrement. »

4

Aux termes de l’article 29 de cet acte d’adhésion, « [l]es actes énumérés dans la liste figurant à l’annexe I du présent acte font l’objet des adaptations définies dans ladite annexe ».

5

L’annexe I dudit acte d’adhésion, qui contient la liste visée au point précédent, comporte une partie I, intitulée « Législation douanière ». Le point 4 de cette partie mentionne les modifications apportées au règlement (CEE) no 1496/68 du Conseil, du 27 septembre 1968, relatif à la définition du territoire douanier de [l’Union] (JO 1968, L 238, p. 1). L’article 1er de ce dernier règlement a ainsi été remplacé par le texte suivant :

« Le territoire douanier de [l’Union] comprend les territoires suivants :

[...]

le territoire du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord ainsi que les îles anglo-normandes et l’île de Man. »

6

L’annexe I, partie VIII, intitulée « Politique commerciale », de l’acte d’adhésion de 1972 a remplacé la liste des pays figurant à l’annexe II du règlement (CEE) no 1025/70 du Conseil, du 25 mai 1970, portant établissement d’un régime commun applicable aux importations de pays tiers (JO 1970, L 124, p. 6), tel que modifié par les règlements (CEE) no 1984/70 du Conseil, du 29 septembre 1970 (JO 1970, L 218, p. 1), (CEE) no 724/71 du Conseil, du 30 mars 1971 (JO 1971, L 80, p. 3), (CEE) no 1080/71 du Conseil, du 25 mai 1971 (JO 1971, L 116, p. 8), (CEE) no 1429/71 du Conseil, du 2 juillet 1971 (JO 1971, L 151, p. 8), et (CEE) no 2384/71 du Conseil, du 8 novembre 1971 (JO 1971, L 249, p. 1), par une nouvelle liste excluant Gibraltar de celle-ci.

7

L’annexe II, partie VI, également intitulée « Politique commerciale », de l’acte d’adhésion de 1972 dispose à l’égard du règlement no 1025/70 :

« Le problème résultant de la suppression de la mention Gibraltar de l’annexe II doit être résolu de façon à assurer que Gibraltar soit placé dans la même situation en ce qui concerne le régime de libération à l’importation dans [l’Union], où il se trouvait avant l’adhésion. »

8

La version de la directive 91/477, applicable à l’époque des faits au principal, est celle résultant des modifications apportées au texte de base de cette directive par la directive 2008/51, à la suite de l’adhésion de l’Union au protocole contre la fabrication et le trafic illicites d’armes à feu, leurs pièces, éléments et munitions, annexé à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, adopté par la résolution 55/255 de l’Assemblée générale du 8 juin 2001. La directive 2008/51 a été adoptée sur le fondement de l’article 95, paragraphe 1, CE, dont le contenu correspond, en substance, à celui de l’article 100 A, paragraphe 1, du traité CEE, sur lequel est fondée la directive 91/477, ainsi qu’à celui de l’article 114, paragraphe 1, TFUE, actuellement en vigueur.

9

Les deuxième à septième considérants de la directive 91/477 énoncent :

« considérant que, lors de sa réunion tenue à Fontainebleau les 25 et 26 juin 1984, le [C]onseil européen s’est fixé expressément pour but la suppression de toutes les formalités de police et de douane aux frontières intracommunautaires ;

considérant [...] que la Commission a indiqué dans son “Livre blanc – L’achèvement du marché intérieur” que la suppression des contrôles de la sécurité des objets transportés et des personnes présuppose entre autres un rapprochement des législations sur les armes ;

considérant que l’abolition des contrôles, aux frontières intracommunautaires, de la détention d’armes nécessite une réglementation efficace qui permette le contrôle à l’intérieur des États membres de l’acquisition et de la détention d’armes à feu et de leur transfert dans un autre État membre [...]

considérant que cette réglementation fera naître une plus grande confiance mutuelle entre les États membres dans le domaine de la sauvegarde de la sécurité des personnes dans la mesure où elle est ancrée dans des législations partiellement harmonisées ; qu’il convient, à cet effet, de prévoir des catégories d’armes à feu dont l’acquisition et la détention par des particuliers seront soit interdites, soit soumises à autorisation ou à déclaration ;

considérant qu’il est indiqué d’interdire, en principe, le passage d’un État membre à un autre avec des armes et qu’une exception n’est acceptable que si l’on suit une procédure permettant aux États membres d’être au courant de l’introduction d’une arme à feu sur leur territoire ;

considérant, toutefois, que des règles plus souples doivent être adoptées en matière de chasse et de compétition sportive afin de ne pas entraver plus que nécessaire la libre circulation des personnes ».

10

Aux termes de l’article 1er de cette directive :

« 1.   Aux fins de la présente directive, on entend par “arme à feu” toute arme à canon portative qui propulse des plombs, une balle ou un projectile par l’action d’un propulseur combustible, ou qui est conçue pour ce faire ou peut être transformée à cette fin [...] Les armes à feu sont classées à l’annexe I, partie II.

[...]

1 quinquies.   Aux fins de la présente directive, on entend par “traçage” le suivi systématique du parcours des armes à feu et, si possible, de leurs pièces et munitions depuis le fabricant jusqu’à l’acquéreur [...]

[...]

2.   Aux fins de la présente directive, on entend par “armurier” toute personne physique ou morale dont l’activité professionnelle consiste [...] en la fabrication, le commerce, l’échange, la location, la réparation ou la transformation d’armes à feu, de pièces et de munitions.

[...]

4.   La “[carte]” est un document délivré par les autorités d’un État membre, sur demande, à une personne qui devient légalement détentrice et utilisatrice d’une arme à feu. Sa période de validité maximale est de cinq ans, avec possibilité de prorogation, et elle contient les mentions prévues à l’annexe II. La [carte] est un document personnel et elle mentionne l’arme à feu ou les armes à feu détenues et utilisées par le titulaire de la carte. La carte doit toujours être en la possession de la personne utilisant l’arme à feu et tout changement dans la détention ou dans les caractéristiques de l’arme à feu ainsi que la perte ou le vol de l’arme à feu sont mentionnés sur la carte. »

11

L’article 4 de ladite directive est rédigé en ces termes :

« 1.   Les États membres veillent à ce que toute arme à feu ou pièce mise sur le marché ait été marquée et enregistrée conformément à la présente directive ou ait été neutralisée.

[...]

4.   Les États membres assurent [...] l’établissement et la maintenance d’un fichier de données informatisé [...] qui garantit l’accès des autorités habilitées aux fichiers de données dans lesquels chaque arme à feu visée par la présente directive est enregistrée. [...]

[...]

5.   Les États membres veillent à ce que, à tout moment, toute arme à feu puisse être associée à son propriétaire. [...] »

12

Aux termes de l’article 4 bis de la directive 91/477 :

« Sans préjudice de l’article 3, les États membres n’admettent l’acquisition et la détention d’armes à feu que par des personnes qui se sont vu délivrer une licence ou, en ce qui concerne les catégories C ou D, à qui il est spécifiquement permis de les acquérir ou de les détenir conformément à la législation nationale. »

13

L’article 5 de cette directive prévoit :

« Sans préjudice de l’article 3, les États membres ne permettent l’acquisition et la détention d’armes à feu qu’à des personnes qui ont un motif valable et qui :

a)

ont atteint l’âge de 18 ans, sauf dans le cas de l’acquisition, autrement que par achat, et la détention d’armes à feu pour la pratique de la chasse et du tir sportif, à condition que, dans ce cas, les personnes de moins de 18 ans possèdent l’autorisation parentale [...]

b)

ne sont pas susceptibles de présenter un danger pour eux-mêmes, l’ordre public ou la sécurité publique. Une condamnation pour infraction intentionnelle violente est considérée comme une indication d’un tel danger.

Les États membres peuvent retirer la permission de détention d’une arme à feu si l’une des conditions l’ayant justifiée n’est plus remplie.

[...] »

14

L’article 6 de cette directive est libellé comme suit :

« Les États membres prennent toutes les dispositions utiles afin d’interdire l’acquisition et la détention des armes à feu et munitions de la catégorie A. [...]

[...] »

15

Aux termes de l’article 7 de ladite directive :

« 1.   Une arme à feu de la catégorie B ne peut pas être acquise sur le territoire d’un État membre sans autorisation donnée par ce dernier à l’acquéreur.

[...]

2.   Une arme à feu de la catégorie B ne peut être détenue sur le territoire d’un État membre sans que celui-ci y ait autorisé le détenteur. Si le détenteur est un résident d’un autre État membre, ce dernier en est informé.

[...] »

16

L’article 8 de la même directive prévoit :

« 1.   Une arme à feu de la catégorie C ne peut être détenue sans que le détenteur ait fait une déclaration à cet effet aux autorités de l’État où cette arme est détenue.

[...]

3.   Si un État membre interdit ou soumet à autorisation sur son territoire l’acquisition et la détention d’une arme à feu de la catégorie B, C ou D, il en informe les autres États membres, qui en font expressément mention s’ils délivrent une [carte] pour une telle arme en application de l’article 12 paragraphe 2. »

17

L’article 11 de la directive 91/477 est rédigé dans les termes suivants :

« 1.   Sans préjudice de l’article 12, les armes à feu ne peuvent être transférées d’un État membre à un autre que selon la procédure prévue aux paragraphes suivants. Ces dispositions s’appliquent également dans le cas d’un transfert d’une arme à feu résultant d’une vente par correspondance.

[...]

3.   En ce qui concerne le transfert des armes à feu, [...] chaque État membre peut octroyer à des armuriers le droit d’effectuer des transferts d’armes à feu à partir de son territoire vers un armurier établi dans un autre État membre sans autorisation préalable au sens du paragraphe 2. Il délivre, à cet effet, un agrément valable pour une période maximale de trois ans et pouvant être à tout moment suspendu ou annulé par décision motivée. [...]

[...] »

18

Aux termes de l’article 12 de cette directive :

« 1.   À moins que la procédure prévue par l’article 11 ne soit suivie, la détention d’une arme à feu pendant un voyage à travers deux ou plusieurs États membres n’est permise que si l’intéressé a obtenu l’autorisation desdits États membres.

Les États membres peuvent accorder cette autorisation pour un ou plusieurs voyages, et ce pour une période maximale d’un an, renouvelable. Ces autorisations seront inscrites sur la [carte], que le voyageur doit présenter à toute réquisition des autorités des États membres. »

2.   Par dérogation au paragraphe 1, les chasseurs, pour les catégories C et D, et les tireurs sportifs, pour les catégories B, C et D, peuvent détenir sans autorisation préalable une ou plusieurs armes à feu pendant un voyage à travers deux États membres ou plus, en vue de pratiquer leurs activités, à condition qu’ils soient en possession de la [carte] mentionnant cette arme ou ces armes et qu’ils soient en mesure d’établir la raison de leur voyage, notamment en présentant une invitation ou tout autre document attestant de leurs activités de chasse ou de tir sportif dans l’État membre de destination.

Les États membres ne peuvent subordonner l’acceptation d’une [carte] au paiement d’aucune taxe ou redevance.

Toutefois, cette dérogation ne s’applique pas pour les voyages vers un État membre qui, en vertu de l’article 8 paragraphe 3, interdit l’acquisition et la détention de l’arme en question ou qui la soumet à autorisation ; dans ce cas, mention expresse en sera apportée sur la [carte].

[...] »

19

L’annexe I, partie II, A, de ladite directive énumère une liste d’objets, répartis dans les catégories suivantes : « Catégorie A – Armes à feu interdites », « Catégorie B – Armes à feu soumises à autorisation », « Catégorie C – Armes à feu soumises à déclaration », et « Catégorie D – Autres armes à feu », et qui doivent à ce titre, en principe, être considérés comme des « armes à feu », au sens de cette même directive.

20

L’annexe II de la directive 91/477 précise les renseignements que doit contenir la carte et le fait qu’elle doit mentionner ce qui suit :

« “Le droit d’effectuer un voyage vers un autre État membre avec une ou des armes des catégories B, C ou D mentionnées sur la présente carte est subordonné à une ou des autorisations correspondantes préalables de l’État membre visité. Cette autorisation ou ces autorisations peuvent être portées sur la carte.

La formalité d’autorisation préalable visée ci-avant n’est en principe pas nécessaire pour effectuer un voyage avec une arme de catégorie C ou D pour la pratique de la chasse ou avec une arme de catégorie B, C ou D pour la pratique du tir sportif à condition d’être en possession de la [carte] et de pouvoir établir la raison du voyage.”

Dans le cas où un État membre a informé les autres États membres, conformément à l’article 8, paragraphe 3, [de cette directive], que la détention de certaines armes à feu des catégories B, C ou D est interdite ou soumise à autorisation, il est ajouté l’une des mentions suivantes :

“Un voyage en .. [État(s) concerné(s)] avec l’arme .. [identification] est interdit.”

“Un voyage en .. [État(s) concerné(s)] avec l’arme .. [identification] est soumis à autorisation.” »

21

Le considérant 1 de la directive 2008/51 énonce :

« La directive [91/477] a constitué une mesure d’accompagnement du marché intérieur. Elle établit un équilibre entre, d’une part, l’engagement d’assurer une certaine liberté de circulation pour certaines armes à feu au sein de [l’Union] et, d’autre part, la nécessité d’encadrer cette liberté par certaines garanties d’ordre sécuritaire, adaptées à ce type de produits. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

22

M. Buhagiar e.a. sont membres de l’association de tir sportif Gibraltar Target Shooting Association. Le 19 mai 2015, M. Buhagiar, en sa qualité de président de ladite association, a adressé une lettre au Ministre, lui demandant de délivrer une carte à chacun des requérants au principal.

23

Le 2 juin 2015, le Ministre a répondu que, au vu de la position tant de la Commission que du gouvernement du Royaume-Uni, selon laquelle la directive 91/477 ne s’applique pas sur le territoire de Gibraltar en raison du fait qu’elle vise à faciliter la libre circulation des marchandises, le gouvernement de Gibraltar a décidé de ne pas procéder à sa transposition. Par conséquent, le Ministre a répondu qu’il n’était pas en mesure de délivrer les cartes sollicitées. M. Buhagiar e.a. ont, au vu de ce refus, saisi la Supreme Court of Gibraltar (Cour suprême de Gibraltar).

24

Selon cette juridiction, le droit de l’Union s’applique pleinement sur le territoire de Gibraltar, sur la base de l’article 355, point 3, TFUE, sous réserve des exceptions prévues aux articles 28 à 30 de l’acte d’adhésion de 1972. En vertu de l’article 29 de cet acte d’adhésion, lu en combinaison avec l’annexe I, partie I, point 4, de celui-ci, Gibraltar est exclu du territoire douanier de l’Union et la Cour aurait, à cet égard, déjà précisé que l’application des directives ayant pour base juridique l’article 114 ou l’article 115 TFUE, qui ont pour finalité principale la libre circulation des marchandises, est exclue sur le territoire de Gibraltar.

25

Toutefois, les requérants au principal soutiennent, tout d’abord, que, au vu de l’objectif des exclusions prévues par l’acte d’adhésion de 1972, lesquelles doivent être interprétées de manière restrictive, les mesures du droit de l’Union relatives à la libre circulation des marchandises qui ne compromettent pas la finalité de ces exclusions doivent s’appliquer sur le territoire de Gibraltar. Il en irait ainsi des dispositions de la directive 91/477 relatives à la carte, destinées à bénéficier aux chasseurs et aux tireurs sportifs, un tel document étant délivré aux fins exclusives de voyages vers et à partir des États membres, afin de permettre à ces personnes de participer à des événements sportifs. La délivrance de la carte serait étrangère aux transactions commerciales portant sur les marchandises qu’elle concerne, à savoir les armes à feu.

26

Les requérants au principal avancent, ensuite, que les dispositions de la directive 91/477 relatives à la carte visent à faciliter la libre prestation et la réception de services par les chasseurs et les tireurs sportifs entre les États membres. À ce titre, ces dispositions seraient applicables sur le territoire de Gibraltar, ce qui entraînerait l’obligation pour les autorités compétentes de les transposer dans un acte de droit national applicable sur ce territoire. L’absence d’une telle transposition créerait une discrimination à l’égard des chasseurs et des tireurs sportifs résidant à Gibraltar, qui devraient supporter des frais supplémentaires et subir des retards administratifs lorsqu’ils voyagent dans l’Union avec leurs armes à feu afin de participer aux événements et aux compétitions de chasse ou de tir sportif, ce qui constituerait une violation de l’article 56 TFUE. Les armes à feu utilisées dans un tel contexte ne pourraient être vues comme des marchandises impliquées dans des échanges commerciaux, mais devraient être considérées comme un équipement sportif nécessaire aux fins de tels événements ou compétitions.

27

Enfin, M. Buhagiar e.a. prétendent que les dispositions de la directive 91/477 relatives à la carte concernent la libre circulation des personnes, ainsi que le confirmerait le septième considérant de cette directive. Dans cette mesure, ladite directive serait, dès lors qu’elle a été adoptée sur le fondement de l’article 100 A, paragraphe 1, du traité CEE, fondée sur une base juridique erronée. En effet, en vertu de l’article 100 A, paragraphe 2, du traité CEE, dont le contenu correspond, en substance, à celui de l’article 95, paragraphe 2, CE, et à celui de l’article 114, paragraphe 2, TFUE, la procédure législative visée aux paragraphes 1 respectifs de ces articles ne pourrait être suivie pour l’adoption d’actes de l’Union relatifs à la libre circulation des personnes. Par conséquent, les requérants au principal contestent la validité des dispositions de la directive 91/477 relatives à la carte, voire de cette directive dans son entièreté.

28

Dans ces conditions, la Supreme Court of Gibraltar (Cour suprême de Gibraltar) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)

Si les dispositions de la [directive 91/477] relatives à la [carte] concernent uniquement la libre circulation des marchandises, peuvent–elles néanmoins s’appliquer [sur le territoire de] Gibraltar au motif qu’elles n’impliquent ni échange ni transaction commerciale et sont ainsi exclues du champ [d’application] des dérogations accordées à Gibraltar aux termes de l’acte d’adhésion de 1972 ?

2)

Les dispositions de la directive [91/477] relatives à la [carte], en ce qui concerne les chasseurs et les tireurs sportifs, s’appliquent-elles [sur le territoire de] Gibraltar au motif qu’elles concernent la libre circulation des services ?

3)

Les dispositions de la directive [91/477] relatives à la [carte], en ce qui concerne les chasseurs et les tireurs sportifs, sont-elles invalides au motif qu’elles concernent la libre circulation des personnes et ont ainsi été adoptées sur le fondement d’une base juridique erronée ? »

Sur les questions préjudicielles

29

Par ses trois questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi invite la Cour à préciser la portée de l’exclusion de Gibraltar du territoire douanier de l’Union, telle que visée à l’article 29 de l’acte d’adhésion de 1972, lu en combinaison avec l’annexe I, partie I, point 4, de cet acte, et à examiner, dans ce contexte, la question de l’applicabilité, sur le territoire de Gibraltar, des dispositions de la directive 91/477 relatives à la carte, en ce qu’elles concernent les chasseurs et les tireurs sportifs.

30

À titre liminaire, il convient, en premier lieu, de préciser, eu égard à l’objet du litige au principal, à savoir le refus opposé à la demande de M. Buhagiar e.a. de se voir délivrer une carte afin de se prévaloir de celle-ci dans le cadre de la procédure simplifiée de transfert des armes à feu entre les États membres par les chasseurs et les tireurs sportifs, que la disposition de la directive 91/477 qui aurait, selon eux, dû être transposée sur le territoire de Gibraltar, est celle visant l’emploi de la carte dans un tel contexte, à savoir l’article 12, paragraphe 2, de cette directive, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, et l’annexe II de celle-ci. Ces deux dernières dispositions définissent respectivement la notion de carte et son contenu.

31

En second lieu, si le droit de l’Union s’applique, en principe, sur le territoire de Gibraltar en vertu de l’article 355, point 3, TFUE, l’applicabilité de certains actes de l’Union y est cependant exclue, selon l’acte d’adhésion de 1972, en considération de la situation juridique spéciale et, notamment, du statut de port franc de ce territoire (voir, en ce sens, arrêts du 21 juillet 2005, Commission/Royaume-Uni, C‑349/03, EU:C:2005:488, point 41, ainsi que du 13 juin 2017, The Gibraltar Betting and Gaming Association, C‑591/15, EU:C:2017:449, points 29 et 30).

32

Ainsi que la Cour l’a déjà jugé au point 59 de l’arrêt du 23 septembre 2003, Commission/Royaume-Uni (C‑30/01, EU:C:2003:489), l’exclusion de Gibraltar du territoire douanier de l’Union, prévue à l’article 29 de l’acte d’adhésion de 1972, lu en combinaison avec l’annexe I, partie I, point 4, de cet acte, implique que ne lui sont applicables ni les règles du traité relatives à la libre circulation des marchandises ni celles du droit de l’Union dérivé visant, à l’égard de la libre circulation des marchandises, à assurer un rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres, conformément aux articles 94 et 95 du traité CE, devenus articles 114 et 115 TFUE.

33

Cette conclusion n’a pas été infirmée par la circonstance que les directives en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, qui visaient principalement à supprimer les entraves aux échanges des marchandises et étaient fondées sur lesdits articles 94 et 95, comportaient des dispositions relatives à la protection de l’environnement, domaine dans lequel les règles du droit de l’Union s’appliquent en principe sur le territoire de Gibraltar (voir, à cet égard, arrêt du 23 septembre 2003, Commission/Royaume-Uni, C‑30/01, EU:C:2003:489, points 61 et 62).

34

La Cour a précisé à cet égard que, certes, la non-application, sur le territoire de Gibraltar, de telles directives est susceptible de mettre en danger la cohérence d’autres politiques de l’Union lorsque ces directives poursuivent également, mais à titre accessoire, des objectifs liés à ces autres politiques, telle la politique de la protection de l’environnement. Néanmoins, l’existence d’un tel risque ne saurait conduire à étendre le domaine d’application territoriale de ces directives qui poursuivent, à titre principal, des objectifs liés à la libre circulation des marchandises, au-delà des limites imposées par les traités et par l’acte d’adhésion de 1972 (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2003, Commission/Royaume-Uni, C‑30/01, EU:C:2003:489, point 63).

35

Il résulte de ces considérations que, d’une part, lorsqu’un acte de l’Union vise, à titre principal, à assurer un rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres à l’égard de la libre circulation des marchandises, conformément aux articles 114 et 115 TFUE, il ne saurait être applicable sur le territoire de Gibraltar, même si cet acte poursuit, à titre accessoire, un ou plusieurs objectifs liés à d’autres politiques de l’Union.

36

D’autre part, contrairement à ce que semblent considérer M. Buhagiar e.a., et à l’instar de ce qu’a relevé M. l’avocat général aux points 54 et 55 de ses conclusions, l’examen de l’objectif principal d’un acte de l’Union est pertinent aux fins de déterminer si cet acte est applicable sur un territoire exclu du champ d’application territorial du droit de l’Union dans un domaine donné.

37

C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’examiner les interrogations de la juridiction de renvoi.

38

Par ses questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 29 de l’acte d’adhésion de 1972, lu en combinaison avec l’annexe I, partie I, point 4, de celui-ci, doit être interprété en ce sens que l’article 12, paragraphe 2, de la directive 91/477, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, et l’annexe II de celle-ci, s’applique sur le territoire de Gibraltar, soit au motif qu’il vise à faciliter la libre prestation des services ou la libre circulation des personnes, soit au motif que, bien qu’il concerne la libre circulation des marchandises, il ne porte ni sur les échanges ni sur les transactions commerciales concernant les armes à feu.

39

Si l’article 12, paragraphe 2, de la directive 91/477 devait être interprété en ce sens qu’il poursuit l’objectif de faciliter la libre circulation des personnes, ladite juridiction émet des doutes quant à la validité de ladite disposition, voire de la directive 91/477 dans son ensemble, en ce que le choix de la base juridique de celle-ci serait erroné, dans la mesure où cette directive est fondée sur l’article 100 A, paragraphe 1, du traité CEE, devenu l’article 95, paragraphe 1, CE, sur le fondement duquel a été adoptée la directive 2008/51 ayant modifié la directive 91/477, et devenu ultérieurement l’article 114, paragraphe 1, TFUE, alors que l’article 100 A, paragraphe 2, du traité CEE, devenu l’article 95, paragraphe 2, CE et ultérieurement l’article 114, paragraphe 2, TFUE, exclut l’adoption, sur le fondement des paragraphes 1 respectifs desdits articles, de dispositions relatives à la libre circulation des personnes.

40

À cet égard, s’agissant, en premier lieu, de la question de savoir si l’article 12, paragraphe 2, de la directive 91/477, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, et l’annexe II de celle-ci, est applicable à Gibraltar au motif qu’il vise à faciliter la libre prestation des services ou la libre circulation des personnes, il y a lieu d’examiner l’objectif principal de cette directive, ainsi qu’il a été rappelé au point 36 du présent arrêt.

41

Par ailleurs, dans la mesure où la juridiction de renvoi émet des doutes quant au choix de la base juridique sur laquelle est fondée la directive 91/477, il importe de relever que, selon une jurisprudence constante de la Cour, le choix de la base juridique d’un acte de l’Union doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de faire l’objet d’un contrôle juridictionnel, parmi lesquels figurent la finalité et le contenu de cet acte. Si l’examen de l’acte concerné démontre que celui-ci poursuit une double finalité ou qu’il a une double composante et si l’une de celles-ci est identifiable comme principale ou prépondérante, tandis que l’autre n’est qu’accessoire, cet acte doit être fondé sur une seule base juridique, à savoir celle exigée par la finalité ou la composante principale ou prépondérante (arrêt du 6 mai 2014, Commission/Parlement et Conseil, C‑43/12, EU:C:2014:298, points 29 et 30 ainsi que jurisprudence citée).

42

Dès lors, il convient, afin de répondre utilement aux interrogations de la juridiction de renvoi, d’identifier la finalité principale de la directive 91/477 et d’examiner son contenu.

43

S’agissant de la finalité de cette directive, il ressort de ses deuxième à quatrième considérants que celle-ci a été adoptée dans le but d’établir le marché intérieur et que, dans ce contexte, la suppression des contrôles de la sécurité des objets transportés ainsi que des personnes présupposait, entre autres, un rapprochement des législations au moyen d’une réglementation efficace sur les armes à feu, visant à établir le contrôle, à l’intérieur des États membres, de leur acquisition, de leur détention et de leur transfert (voir, en ce sens, arrêt du 4 septembre 2014, Zeman, C‑543/12, EU:C:2014:2143, points 42 et 43). Une telle réglementation, partiellement harmonisée, ferait naître, selon le cinquième considérant de cette directive, une plus grande confiance mutuelle entre les États membres dans le domaine de la sauvegarde de la sécurité des personnes.

44

Le sixième considérant de ladite directive énonce que le passage d’un État membre à un autre avec des armes devrait être interdit, des dérogations à ce principe n’étant acceptables que s’il existe une procédure qui permet aux États membres d’être informés de l’introduction d’une arme à feu sur leur territoire. Le septième considérant énonce que des règles plus souples devraient toutefois être adoptées en matière de chasse et de compétition sportive, afin de ne pas entraver plus que nécessaire la libre circulation des personnes.

45

En ce qui concerne le contenu de la directive 91/477, il convient d’observer que l’article 1er de cette directive, figurant sous le chapitre 1 de celle-ci, relatif à son champ d’application, définit un certain nombre de notions qu’elle emploie, telles que celles d’« arme à feu » et d’« armurier », ainsi que celle de « carte », définie au paragraphe 4 dudit article comme étant, en substance, un document délivré par les autorités d’un État membre à la demande d’une personne qui devient légalement détenteur et utilisateur d’une arme à feu. Il y est encore précisé que la carte est un document personnel mentionnant l’arme à feu ou les armes à feu détenues et utilisées par son titulaire qui doit toujours être en la possession de la personne utilisant l’arme à feu, son contenu étant défini davantage dans l’annexe II de ladite directive.

46

Le chapitre 2 de la directive 91/477, intitulé « Harmonisation des législations relatives aux armes à feu », comporte des dispositions prévoyant une harmonisation des législations des États membres relatives à la détention et à l’acquisition des armes à feu.

47

Dans son chapitre 3, intitulé « Formalités requises pour la circulation des armes dans [l’Union] », la directive 91/477 prévoit le principe de l’interdiction du transfert des armes à feu d’un État membre à un autre, sauf si la procédure visée à l’article 11 de celle-ci, qui prévoit la nécessité d’une autorisation préalable, par l’État membre dans lequel se trouvent les armes, du transfert envisagé, après examen par cet État membre des conditions de sécurité de ce transfert, est suivie. L’article 12, paragraphe 1, de ladite directive prévoit que, à moins que la procédure prévue à l’article 11 de celle-ci ne soit suivie, la détention d’une arme à feu pendant un voyage occasionnant la traversée de deux ou de plusieurs États membres n’est permise que si l’intéressé a obtenu l’autorisation de chacun de ces États membres, une telle autorisation devant être inscrite sur la carte.

48

L’article 12, paragraphe 2, premier alinéa, de cette directive dispose que, par dérogation au paragraphe 1 de cet article, les chasseurs, pour les catégories C et D, et les tireurs sportifs, pour les catégories B, C et D, peuvent détenir sans autorisation préalable une ou plusieurs armes à feu pendant un voyage à travers deux États membres ou plus, en vue de pratiquer leurs activités, à condition qu’ils soient en possession de la carte mentionnant cette arme ou ces armes et qu’ils soient en mesure d’établir la raison de leur voyage.

49

Il résulte de ces éléments de la directive 91/477 que cette dernière a été, ainsi que le confirme le considérant 1 de la directive 2008/51, adoptée en tant que « mesure d’accompagnement du marché intérieur » qui, tout en assurant un niveau élevé de sécurité pour les citoyens européens, contribue à la création des conditions permettant l’abolition des contrôles aux frontières entre les États membres par la mise en place d’un cadre harmonisé minimal relatif à l’acquisition et à la détention des armes à feu à usage civil, ainsi qu’à leur transfert entre les États membres.

50

Il ressort en particulier de son contenu que ladite directive tend, d’une part, à rapprocher les dispositions des États membres en ce qui concerne les conditions auxquelles des armes à feu de différentes catégories peuvent être acquises et détenues, tout en prévoyant, pour des impératifs de sécurité publique, que l’acquisition de certains types d’armes à feu doit être interdite.

51

D’autre part, cette directive comporte des règles visant à harmoniser les mesures administratives des États membres relatives à la circulation des armes à feu à usage civil, le principe de base étant, toujours en vue d’assurer un niveau élevé de sécurité publique, l’interdiction de circulation des armes, à moins que les procédures prévues à cette fin par ladite directive ne soient suivies.

52

Il découle de ce qui précède que la directive 91/477 constitue une mesure visant à assurer, à l’égard de la libre circulation des marchandises, à savoir des armes à feu à usage civil, un rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres, tout en encadrant cette liberté par des garanties d’ordre sécuritaire adaptées à la nature de ces marchandises.

53

Ce constat n’est pas infirmé par les arguments des requérants au principal, selon lesquels l’article 12, paragraphe 2, de la directive 91/477, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, et l’annexe II de celle-ci, viserait à faciliter soit la libre prestation et la réception de services par des chasseurs et des tireurs sportifs soit la libre circulation des personnes.

54

À cet égard, il importe de faire observer que, au vu du risque pour la sécurité des personnes que présentent les armes à feu, leur libre circulation n’a pu être atteinte qu’au moyen d’un encadrement strict des conditions de leur transfert entre États membres, parmi lesquelles figure le principe de l’autorisation préalable délivrée par les États membres concernés par un transfert de telles marchandises.

55

Cela étant, le législateur de l’Union a voulu que certains transferts d’armes à feu ne fassent pas nécessairement l’objet d’une telle autorisation, dès lors qu’il peut être établi que ceux-ci présentent un moindre risque pour la sécurité publique. Parmi ces transferts figurent ceux visés à l’article 11, paragraphe 3, de la directive 91/477, opérés par certains armuriers. Le bénéfice de ce régime est subordonné à l’octroi d’un agrément spécifique, qui s’ajoute aux contrôles rigoureux de l’activité de ces derniers prévus à l’article 4, paragraphe 3, de cette directive. De la même manière, les transferts visés à l’article 12, paragraphe 2, de ladite directive sont effectués par des chasseurs et des tireurs sportifs, soit une catégorie de détenteurs d’armes à feu censés, en raison de leurs activités respectives, avoir des raisons légitimes et facilement contrôlables, notamment au moyen de la carte dont ils doivent être obligatoirement porteurs, de se livrer au transfert d’armes à feu.

56

Dès lors, le législateur de l’Union a, en tenant compte des impératifs de sécurité publique, prévu des conditions plus souples en ce qui concerne les transferts d’armes à feu destinées à la pratique de la chasse et aux compétitions sportives, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du septième considérant de la directive 91/477, le cadre harmonisé établi par celle-ci est susceptible d’avoir une incidence négative sur l’exercice des autres libertés fondamentales par des personnes souhaitant transférer leurs armes à feu à des fins légitimes.

57

Dans ce contexte, la Cour a précisé que la carte a pour but de permettre la libre circulation des chasseurs et des tireurs sportifs en possession de leurs armes d’un État membre vers un autre, tout en soulignant que l’article 1er, paragraphe 4, lu en combinaison avec l’article 12, paragraphe 2, de la directive 91/477, vise principalement à faciliter la circulation des armes dévolues à des fins de pratique de la chasse ou d’activités sportives (voir, en ce sens, arrêt du 4 septembre 2014, Zeman, C‑543/12, EU:C:2014:2143, points 39, 52 et 57).

58

Partant, bien qu’une procédure simplifiée de transfert d’armes à feu, telle que celle prévue à l’article 12, paragraphe 2, de la directive 91/477, impliquant la carte, puisse avoir une incidence positive sur la libre prestation des services et la libre circulation des personnes dans le domaine de la chasse et du tir sportif, il n’en demeure pas moins que cette disposition participe à l’objectif principal de cette directive qui est non pas de faciliter ces libertés, mais d’encadrer l’acquisition et la détention des armes à feu à usage civil ainsi que la libre circulation de ces armes au sein de l’Union.

59

Il ne saurait donc être considéré que l’article 12, paragraphe 2, de la directive 91/477, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, et l’annexe II de celle-ci, serait applicable à Gibraltar au motif que cette disposition ne viserait pas à faciliter la libre circulation des marchandises.

60

De même, l’analyse de cette directive consistant, conformément à la jurisprudence rappelée au point 41 du présent arrêt, à identifier sa finalité principale et à examiner son contenu n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de celle-ci, du fait du choix du législateur de l’Union de fonder ladite directive sur l’article 100 A, paragraphe 1, du traité CEE, et, en ce qui concerne la directive 2008/51, sur l’article 95, paragraphe 1, CE.

61

S’agissant, en second lieu, de la question de savoir si l’article 12, paragraphe 2, de la directive 91/477, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, et l’annexe II de celle-ci, est applicable à Gibraltar au motif que, bien qu’il concerne la libre circulation des marchandises, il ne porte ni sur les échanges ni sur les transactions commerciales concernant les armes à feu, il y a lieu de préciser que la juridiction de renvoi adhère, certes, à la prémisse que l’exclusion de Gibraltar prévue à l’article 29 de l’acte d’adhésion de 1972, lu en combinaison avec l’annexe I, partie I, point 4, de celui-ci, implique, en principe, que les actes de l’Union qui visent, à titre principal, à assurer, à l’égard de la libre circulation des marchandises, un rapprochement des dispositions des États membres ne s’appliquent pas sur le territoire de Gibraltar, conformément à la jurisprudence issue de l’arrêt du 23 septembre 2003, Commission/Royaume-Uni (C‑30/01, EU:C:2003:489).

62

Toutefois, elle doute du sort à réserver aux arguments des requérants au principal, selon lesquels le principe général de l’interprétation restrictive des exceptions rendrait des dispositions, telles que l’article 12, paragraphe 2, de la directive 91/477, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, et l’annexe II de celle-ci, applicables sur ce territoire, au motif qu’elles ne concerneraient pas la libre circulation des marchandises dans un contexte commercial et, partant, relèveraient d’une catégorie de mesures relatives à la libre circulation des marchandises qui ne porterait pas atteinte aux intérêts, précisés au point 31 du présent arrêt, que cette exclusion vise à préserver.

63

À cet égard, il est constant que l’article 29 de l’acte d’adhésion de 1972 constitue une exception à la règle, prévue à l’article 355, point 3, TFUE, selon laquelle le droit de l’Union s’applique à Gibraltar, cette exception devant être, ainsi que la Cour l’a souligné aux points 43 et 51 de l’arrêt du 21 juillet 2005, Commission/Royaume-Uni (C‑349/03, EU:C:2005:488), interprétée de manière restrictive, en ce sens que sa portée est limitée à ce qui est strictement nécessaire à la sauvegarde des intérêts qu’elle permet à Gibraltar de préserver.

64

Cela étant, il convient de souligner que, dans l’affaire ayant donné lieu à ce dernier arrêt, la Cour n’a pas été appelée à se prononcer sur le statut d’actes de l’Union relevant de la libre circulation des marchandises au regard de ladite exception, et ce contrairement à l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 23 septembre 2003, Commission/Royaume-Uni (C‑30/01, EU:C:2003:489).

65

Il s’ensuit que la nécessité, rappelée au point 63 du présent arrêt, d’interpréter de manière restrictive l’article 29 de l’acte d’adhésion de 1972 ne signifie pas qu’il existe des dispositions de l’Union qui, alors même qu’elles participent à l’objectif principal d’un acte visant à assurer, à l’égard de la libre circulation des marchandises, une harmonisation des dispositions des États membres, seraient applicables sur le territoire de Gibraltar, ainsi que semblent le considérer les requérants au principal.

66

Dans ce contexte, il importe de rappeler que, en vertu de l’article 28, paragraphe 1, TFUE, qui figure sous le titre II de la troisième partie du traité FUE, relatif à la libre circulation des marchandises, l’union douanière s’étend à l’ensemble des échanges de marchandises. Cette union implique nécessairement que soit assurée la libre circulation des marchandises entre États membres et, de manière plus générale, à l’intérieur de celle–ci (arrêt du 23 septembre 2003, Commission/Royaume-Uni, C‑30/01, EU:C:2003:489, point 53).

67

Selon une jurisprudence constante de la Cour, il faut entendre par « marchandises », au sens de cette disposition, les produits appréciables en argent qui sont susceptibles, comme tels, de former l’objet de transactions commerciales. Or, les dispositions du traité FUE concernant la libre circulation des marchandises s’appliquent, en principe, que les marchandises franchissent les frontières en vue de leur vente ou de leur revente ou à des fins d’usage ou de consommation personnels (voir, en ce sens, arrêts du 7 mars 1989, Schumacher, 215/87, EU:C:1989:111, point 22, ainsi que du 3 décembre 2015, Pfotenhilfe-Ungarn, C‑301/14, EU:C:2015:793, point 47).

68

Partant, dans la mesure où le droit dérivé de l’Union a, en principe, le même champ d’application que les traités eux–mêmes (voir, par analogie, arrêt du 15 décembre 2015, Parlement et Commission/Conseil, C‑132/14 à C‑136/14, EU:C:2015:813, point 77), et où l’interprétation stricte de l’exclusion de Gibraltar du territoire douanier commun de l’Union ne saurait, sous peine de porter atteinte à l’application uniforme du droit de l’Union, aboutir à l’interprétation selon laquelle la libre circulation des marchandises aurait, dans les relations avec Gibraltar, une portée plus limitée que celle qui résulte des dispositions du traité FUE, les dispositions de la directive 91/477 relatives au transfert des armes à feu à usage civil doivent être considérées comme relevant de la libre circulation des marchandises, que ces transferts soient effectués dans un contexte commercial, y compris par l’intermédiaire des armuriers ou dans le cadre d’une vente par correspondance, ou en dehors d’un tel contexte, à savoir par des particuliers, notamment des chasseurs et des tireurs sportifs aux fins de leur usage dans le cadre de leurs activités respectives.

69

Il s’ensuit que l’article 12, paragraphe 2, de la directive 91/477, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, et l’annexe II de celle-ci, ne s’applique pas sur le territoire de Gibraltar, quand bien même cette disposition du droit de l’Union ne porte ni sur les échanges ni sur les transactions commerciales concernant les armes à feu.

70

En outre, contrairement à ce que suggèrent les requérants au principal dans leurs observations écrites, l’applicabilité des actes de l’Union portant harmonisation des dispositions des États membres relatives à la libre circulation des marchandises sur le territoire de Gibraltar ne saurait dépendre des raisons motivant le transfert des marchandises concernées. Si tel était le cas, cela créerait, ainsi que l’ont relevé le gouvernement de Gibraltar et la Commission lors de l’audience devant la Cour, de même que M. l’avocat général au point 73 de ses conclusions, une situation d’insécurité juridique quant à la détermination des règles du droit de l’Union relatives à la libre circulation des marchandises applicables sur le territoire de Gibraltar, ce qui serait également de nature à porter atteinte aux intérêts que le régime reconnu à Gibraltar par l’acte d’adhésion de 1972 vise à protéger.

71

De surcroît, il résulte de ce qui précède, d’une part, que la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article 12, paragraphe 2, de la directive 91/477 ne saurait être envisagée en dehors du cadre législatif partiellement harmonisé relatif aux contrôles de l’acquisition et de la détention des armes à feu, mis en place par cette directive.

72

D’autre part, la transposition, sur le territoire de Gibraltar, des dispositions de la directive 91/477 nécessaires pour assurer un fonctionnement efficace et fiable de la carte dans le contexte de ladite procédure et la réalisation de l’objectif consistant à garantir un haut niveau de sécurité des personnes exigerait que soit transposé un nombre important de dispositions de ladite directive, ce qui étendrait indûment le champ d’application territorial du droit de l’Union.

73

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 29 de l’acte d’adhésion de 1972, lu en combinaison avec l’annexe I, partie I, point 4, de celui-ci, doit être interprété en ce sens que l’article 12, paragraphe 2, de la directive 91/477, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, et l’annexe II de celle-ci, ne s’applique pas sur le territoire de Gibraltar. L’examen des questions n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de cette directive.

Sur les dépens

74

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

 

1)

L’article 29 de l’acte relatif aux conditions d’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et aux adaptations des traités, lu en combinaison avec l’annexe I, partie I, point 4, de celui-ci, doit être interprété en ce sens que l’article 12, paragraphe 2, de la directive 91/477/CEE du Conseil, du 18 juin 1991, relative au contrôle de l’acquisition et de la détention d’armes, telle que modifiée par la directive 2008/51/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, lu en combinaison avec l’article 1er, paragraphe 4, et l’annexe II de celle-ci, ne s’applique pas sur le territoire de Gibraltar.

 

2)

L’examen des questions préjudicielles n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité de la directive 91/477, telle que modifiée par la directive 2008/51.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.