ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

13 décembre 2018 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2002/584/JAI – Mandat d’arrêt européen – Article 4, point 6 – Motif de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen – Infraction à l’origine de la condamnation à une peine privative de liberté dans l’État d’émission n’étant punie que d’une peine d’amende dans l’État d’exécution »

Dans l’affaire C‑514/17,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la cour d’appel de Liège (Belgique), par décision du 3 août 2017, parvenue à la Cour le 23 août 2017, dans la procédure relative à l’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de

Marin-Simion Sut,

LA COUR (première chambre),

composée de Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteure), vice‑présidente, faisant fonction de président de la première chambre, MM. J.‑C. Bonichot, A. Arabadjiev, C. G. Fernlund et S. Rodin, juges,

avocat général : M. Y. Bot,

greffier : Mme M. Ferreira, administratrice principale,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 juin 2018,

considérant les observations présentées :

pour M. Sut, par Me R. Destexhe, avocate,

pour le gouvernement belge, par Mmes C. Van Lul et C. Pochet ainsi que par M. J.-C. Halleux, en qualité d’agents, assistés de Mme J. Maggio, experte,

pour le gouvernement allemand, par MM. T. Henze et J. Möller, en qualité d’agents,

pour le gouvernement espagnol, par Mme M. J. García-Valdecasas Dorrego, en qualité d’agent,

pour le gouvernement néerlandais, par Mme M. Bulterman et M. J. Langer, en qualité d’agents,

pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d’agent,

pour le gouvernement roumain, par M. C.‑R. Canţăr ainsi que par Mmes E. Gane, R.‑M. Mangu et L. Liţu, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. R. Troosters et Mme S. Grünheid, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 6 septembre 2018,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres (JO 2002, L 190, p. 1), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2002/584 »).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre de l’exécution, en Belgique, d’un mandat d’arrêt européen émis le 26 août 2011 par les autorités roumaines à l’encontre de M. Marin-Simion Sut.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La décision-cadre 2002/584

3

Les considérants 5, 6 et 10 de la décision-cadre 2002/584 sont libellés comme suit :

« (5)

L’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice conduit à supprimer l’extradition entre États membres et à la remplacer par un système de remise entre autorités judiciaires. Par ailleurs, l’instauration d’un nouveau système simplifié de remise des personnes condamnées ou soupçonnées, aux fins d’exécution des jugements ou de poursuites en matière pénale, permet de supprimer la complexité et les risques de retard inhérents aux procédures d’extradition actuelles. Aux relations de coopération classiques qui ont prévalu jusqu’ici entre États membres, il convient de substituer un système de libre circulation des décisions judiciaires en matière pénale, tant pré-sentencielles que définitives, dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

(6)

Le mandat d’arrêt européen prévu par la présente décision-cadre constitue la première concrétisation, dans le domaine du droit pénal, du principe de reconnaissance mutuelle que le Conseil européen a qualifié de “pierre angulaire” de la coopération judiciaire.

[...]

(10)

Le mécanisme du mandat d’arrêt européen repose sur un degré de confiance élevé entre les États membres. [...] »

4

L’article 1er de cette décision-cadre, intitulé « Définition du mandat d’arrêt européen et obligation de l’exécuter », prévoit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Le mandat d’arrêt européen est une décision judiciaire émise par un État membre en vue de l’arrestation et de la remise par un autre État membre d’une personne recherchée pour l’exercice de poursuites pénales ou pour l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté.

2.   Les États membres exécutent tout mandat d’arrêt européen, sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de la présente décision-cadre. »

5

L’article 3 de ladite décision-cadre énumère trois « [m]otifs de non-exécution obligatoire du mandat d’arrêt européen ».

6

L’article 4 de la même décision-cadre, intitulé « Motifs de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen », énonce, en sept points, lesdits motifs. Le point 6 de cet article dispose à cet égard :

« L’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen :

[...]

6)

si le mandat d’arrêt européen a été délivré aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, lorsque la personne recherchée demeure dans l’État membre d’exécution, en est ressortissante ou y réside, et que cet État s’engage à exécuter cette peine ou mesure de sûreté conformément à son droit interne ».

7

L’article 5 de la décision-cadre 2002/584, intitulé « Garanties à fournir par l’État membre d’émission dans des cas particuliers », prévoit :

« L’exécution du mandat d’arrêt européen par l’autorité judiciaire d’exécution peut être subordonnée par le droit de l’État membre d’exécution à l’une des conditions suivantes :

[...]

3)

lorsque la personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen aux fins de poursuite est ressortissante ou résidente de l’État membre d’exécution, la remise peut être subordonnée à la condition que la personne, après avoir été entendue, soit renvoyée dans l’État membre d’exécution afin d’y subir la peine ou la mesure de sûreté privatives de liberté qui serait prononcée à son encontre dans l’État membre d’émission. »

La décision-cadre 2008/909

8

Le considérant 12 de la décision-cadre 2008/909/JAI du Conseil, du 27 novembre 2008, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux jugements en matière pénale prononçant des peines ou des mesures privatives de liberté aux fins de leur exécution dans l’Union européenne (JO 2008, L 327, p. 27), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24) (ci-après la « décision-cadre 2008/909 »), énonce :

« Il conviendrait que la présente décision-cadre s’applique également, mutatis mutandis, à l’exécution des condamnations dans les cas visés à l’article 4, point 6), et à l’article 5, point 3), de la décision-cadre [2002/584]. Cela signifie entre autres que, sans préjudice de ladite décision-cadre, l’État d’exécution pourrait vérifier l’existence de motifs de non-reconnaissance et de non-exécution prévus à l’article 9 de la présente décision-cadre [...] à titre de condition pour reconnaître et exécuter le jugement, en vue de déterminer s’il faut remettre la personne ou exécuter la condamnation dans les cas prévus à l’article 4, point 6), de la décision-cadre [2002/584]. »

9

Aux termes de l’article 25 de la décision-cadre 2008/909, « [s]ans préjudice de la décision-cadre [2002/584], les dispositions de la présente décision-cadre s’appliquent, mutatis mutandis dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions de ladite décision-cadre, à l’exécution des condamnations dans les cas où un État membre s’engage à exécuter la condamnation conformément à l’article 4, point 6), de ladite décision-cadre ou lorsque, agissant dans le cadre de l’article 5, point 3), de cette même décision-cadre, il a imposé comme condition le renvoi de la personne dans l’État membre concerné afin d’y purger la peine, de manière à éviter l’impunité de la personne concernée. »

Le droit belge

10

L’article 6, point 4, de la loi du 19 décembre 2003 relative au mandat d’arrêt européen (Moniteur belge du 2 décembre 2013, ci-après la « loi belge sur le mandat d’arrêt européen »), qui transpose en droit belge l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, dispose que l’exécution peut être refusée « si le mandat d’arrêt européen a été délivré aux fins d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté, lorsque la personne concernée est belge ou réside en Belgique et que les autorités belges compétentes s’engagent à exécuter cette peine ou mesure de sûreté conformément à la loi belge ».

11

La loi du 15 mai 2012 relative à l’application du principe de reconnaissance mutuelle des peines ou mesures privatives de liberté prononcées dans un État de l’Union européenne (Moniteur belge du 8 juin 2012, ci-après la « loi du 15 mai 2012 »), qui a transposé en droit belge la décision-cadre 2008/909, prévoit une possibilité d’adaptation de la peine si sa durée ou sa nature est incompatible avec le droit belge. Il est, toutefois, expressément prévu que, en cas d’adaptation, cette peine ou cette mesure doit correspondre autant que possible à la condamnation prononcée dans l’État d’émission et qu’elle ne peut pas être commuée en une sanction pécuniaire.

12

À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que la Cour constitutionnelle belge a considéré, dans son arrêt du 27 février 2014, qu’une amende pénale ne correspondait pas, en ce qui concerne sa nature, à une peine ou à une mesure privative de liberté et que la commutation d’une peine ou d’une mesure privative de liberté prononcées en une amende serait contraire au principe de la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires.

13

Il ressort également de la décision de renvoi, ainsi que des observations du gouvernement belge, que, en vertu de l’article 17, paragraphe 1, et de l’article 30 de la loi relative à la police de la circulation routière, (Moniteur belge du 27 mars 1968), les infractions visées par le mandat d’arrêt européen en cause au principal ne sont punies que d’une amende.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

14

Par un jugement du 8 juin 2011, la Judecătoria Carei (tribunal de première instance de Carei, Roumanie) a condamné M. Sut, de nationalité roumaine, à une peine privative de liberté d’un an et deux mois pour avoir conduit un véhicule sans plaque d’immatriculation valable et sans être détenteur d’un titre de conduite valable et avoir causé un accident.

15

M. Sut a quitté la Roumanie pour se rendre en France.

16

Le 26 août 2011, les autorités roumaines ont émis un mandat d’arrêt européen contre M. Sut en vue de la remise de celui-ci aux fins de l’exécution du jugement du 8 juin 2011.

17

Au cours du mois de février 2015, M. Sut s’est rendu en Belgique où il vit depuis lors et y exerce avec son épouse une activité indépendante.

18

Le 13 juillet 2017, le procureur près le tribunal de première instance de Liège (Belgique) a demandé la remise de M. Sut en vue de l’exécution du mandat d’arrêt européen délivré le 26 août 2011. Par lettre du 13 juillet 2017, M. Sut a refusé de consentir à la remise sollicitée, puis, par lettre du 14 juillet 2017, a demandé l’exécution de la peine en Belgique.

19

Par ordonnance du 19 juillet 2017, le tribunal de première instance de Liège (Belgique) a ordonné l’exécution du mandat d’arrêt européen.

20

M. Sut a interjeté appel de cette ordonnance devant la cour d’appel de Liège (Belgique), en se fondant sur l’article 6, point 4, de la loi belge sur le mandat d’arrêt européen, qui transpose en droit belge l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584.

21

À cet égard, la juridiction de renvoi constate, tout d’abord, que M. Sut réside sur le territoire belge et y dispose d’attaches économiques et familiales, de sorte qu’il peut être qualifié de « personne recherchée qui demeure dans l’État membre d’exécution », au sens de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584. Elle relève, ensuite, que les infractions qui ont été sanctionnées par la Judecătoria Carei (tribunal de première instance de Carei) d’une peine privative de liberté ne sont punies en Belgique que d’une peine d’amende et, enfin, que la loi du 15 mai 2012, qui transpose en droit belge l’article 8, paragraphe 3, de la décision-cadre 2008/909 et prévoit une possibilité d’adaptation de la peine si la durée ou la nature de celle-ci est incompatible avec le droit belge, interdit explicitement de commuer une peine privative de liberté en une peine d’amende.

22

En se fondant sur ces dernières circonstances, le ministère public belge considère que la peine infligée par la Judecătoria Carei (tribunal de première instance de Carei) ne peut pas être exécutée en Belgique conformément au droit belge et que, dès lors, M. Sut ne peut pas invoquer le motif facultatif de refus visé à l’article 6, point 4, de la loi belge sur le mandat d’arrêt européen.

23

Cependant, la juridiction de renvoi s’interroge sur la pertinence de cette interprétation au regard de la jurisprudence de la Cour qui permet à l’autorité judiciaire d’exécution d’accorder une importance particulière à la possibilité d’accroître les chances de réinsertion sociale de la personne recherchée à l’expiration de la peine à laquelle cette dernière a été condamnée (voir, notamment, arrêts du 5 septembre 2012, Lopes Da Silva Jorge, C‑42/11, EU:C:2012:517, point 32, ainsi que du 29 juin 2017, Popławski, C‑579/15, EU:C:2017:503, point 21), tout en veillant à l’exécution de la peine retenue par l’État d’émission, ainsi qu’au regard des considérants de la décision-cadre 2008/909 en ce sens, notamment du considérant 9 de celle-ci.

24

Dans ces conditions, la cour d’appel de Liège a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 peut-il être interprété comme ne pouvant s’appliquer à des faits pour lesquels une peine privative de liberté a été prononcée par une juridiction d’un État d’émission dès l’instant où ces mêmes faits ne sont punissables sur le territoire de l’État d’exécution que d’une peine d’amende ce qui implique, conformément au droit interne de l’État d’exécution, une impossibilité d’exécuter la peine privative de liberté dans l’État membre d’exécution, et ce au détriment de la réinsertion sociale de la personne condamnée et de ses liens familiaux, sociaux ou économiques et autres ? »

Sur la question préjudicielle

25

Par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que, lorsque, comme dans l’affaire au principal, la personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen délivré aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté réside dans l’État membre d’exécution et présente avec ce dernier des liens de rattachement familiaux, sociaux et professionnels, l’autorité judiciaire d’exécution peut, pour des considérations liées à la réinsertion sociale de ladite personne, refuser d’exécuter ce mandat, alors même que l’infraction qui est à la base dudit mandat n’est punissable, conformément au droit de l’État membre d’exécution, que d’une amende.

26

À titre liminaire, il convient de rappeler que la décision-cadre 2002/584, ainsi qu’il ressort, en particulier, de son article 1er, paragraphes 1 et 2, et de ses considérants 5 et 7, a pour objet de remplacer le système d’extradition multilatéral fondé sur la convention européenne d’extradition, du 13 décembre 1957, par un système de remise entre les autorités judiciaires des personnes condamnées ou soupçonnées aux fins de l’exécution de jugements ou de poursuites, ce dernier système étant fondé sur le principe de reconnaissance mutuelle [arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 39 ainsi que jurisprudence citée].

27

La décision-cadre 2002/584 tend ainsi, par l’instauration d’un nouveau système simplifié et plus efficace de remise des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale, à faciliter et à accélérer la coopération judiciaire en vue de contribuer à réaliser l’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice, en se fondant sur le degré de confiance élevé qui doit exister entre les États membres [arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 40 ainsi que jurisprudence citée].

28

Dans le domaine régi par la décision-cadre 2002/584, le principe de reconnaissance mutuelle, qui constitue, ainsi qu’il ressort notamment du considérant 6 de celle-ci, la « pierre angulaire » de la coopération judiciaire en matière pénale, trouve application à l’article 1er, paragraphe 2, de cette décision-cadre qui consacre la règle selon laquelle les États membres sont tenus d’exécuter tout mandat d’arrêt européen sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de cette même décision-cadre. Les autorités judiciaires d’exécution ne peuvent donc, en principe, refuser d’exécuter un tel mandat que pour les motifs, exhaustivement énumérés, de non-exécution prévus par la décision-cadre 2002/584 et l’exécution du mandat d’arrêt européen ne saurait être subordonnée qu’à l’une des conditions limitativement prévues à l’article 5 de cette décision-cadre. Par conséquent, alors que l’exécution du mandat d’arrêt européen constitue le principe, le refus d’exécution est conçu comme une exception qui doit faire l’objet d’une interprétation stricte [arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 41 ainsi que jurisprudence citée].

29

La décision-cadre 2002/584 énonce explicitement les motifs de non-exécution obligatoire (article 3) et facultative (articles 4 et 4 bis) du mandat d’arrêt européen, ainsi que les garanties à fournir par l’État membre d’émission dans des cas particuliers (article 5) [voir arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 42 ainsi que jurisprudence citée].

30

Ainsi, si le principe de reconnaissance mutuelle sous-tend l’économie de la décision-cadre 2002/584, cette reconnaissance n’implique cependant pas une obligation absolue d’exécution du mandat d’arrêt délivré. En effet, le système de ladite décision-cadre, tel qu’il ressort notamment de l’article 4 de celle-ci, laisse la possibilité aux États membres de permettre, dans des situations spécifiques, aux autorités judiciaires compétentes de décider qu’une peine infligée doit être exécutée sur le territoire de l’État membre d’exécution (arrêt du 5 septembre 2012, Lopes Da Silva Jorge, C‑42/11, EU:C:2012:517, point 30 et jurisprudence citée).

31

Il en est ainsi, en particulier, de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, qui énonce un motif de non-exécution facultative du mandat d’arrêt européen en vertu duquel l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter un tel mandat si celui-ci a été délivré aux fins de l’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté, lorsque la personne recherchée demeure dans l’État membre d’exécution, en est ressortissante ou y réside et que cet État s’engage à exécuter cette peine ou mesure de sûreté conformément à son droit interne.

32

Il ressort, ainsi, du libellé de cette disposition que l’application de ce motif de non-exécution facultative est subordonnée à la réunion de deux conditions, à savoir, d’une part, que la personne recherchée demeure dans l’État membre d’exécution, en est ressortissante ou y réside, et, d’autre part, que cet État s’engage à exécuter cette peine ou cette mesure de sûreté conformément à son droit interne.

33

Par ailleurs, ainsi que la Cour l’a déjà relevé, il ressort également du libellé de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, notamment du terme « peut », que, lorsqu’un État membre a choisi de transposer cette disposition en droit interne, l’autorité judiciaire d’exécution doit néanmoins jouir d’une marge d’appréciation concernant la question de savoir s’il y a lieu ou non de refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen. À cet égard, cette autorité doit pouvoir tenir compte de l’objectif poursuivi par le motif de non-exécution facultative énoncé à cette disposition, qui consiste, selon une jurisprudence bien établie de la Cour, à permettre à l’autorité judiciaire d’exécution d’accorder une importance particulière à la possibilité d’accroître les chances de réinsertion sociale de la personne recherchée à l’expiration de la peine à laquelle cette dernière a été condamnée (voir arrêt du 29 juin 2017, Popławski, C‑579/15, EU:C:2017:503, point 21 et jurisprudence citée).

34

S’agissant, en premier lieu, de la première condition énoncée à l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, la Cour a déjà précisé qu’une personne recherchée « réside » dans l’État membre d’exécution lorsqu’elle a établi sa résidence réelle dans ce dernier et y « demeure » lorsque, à la suite d’un séjour stable d’une certaine durée dans cet État membre, elle a acquis des liens de rattachement avec cet État d’un degré similaire à ceux résultant d’une résidence (arrêt du 17 juillet 2008, Kozłowski, C‑66/08, EU:C:2008:437, point 54).

35

S’agissant, en second lieu, de la seconde condition énoncée à l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, ainsi que la Cour l’a déjà relevé, il découle du libellé de cette disposition que tout refus d’exécuter le mandat d’arrêt européen présuppose un véritable engagement de l’État membre d’exécution à exécuter la peine privative de liberté prononcée contre la personne recherchée. Il en ressort que tout refus d’exécuter un mandat d’arrêt européen doit être précédé de la vérification, par l’autorité judiciaire d’exécution, de la possibilité d’exécuter réellement ladite peine privative de liberté conformément à son droit interne. Dans le cas où l’État membre d’exécution se trouve dans l’impossibilité de s’engager à exécuter effectivement ladite peine, il incombe à l’autorité judiciaire d’exécution d’exécuter le mandat d’arrêt européen et, partant, de remettre la personne recherchée à l’État membre d’émission (arrêt du 29 juin 2017, Popławski, C‑579/15, EU:C:2017:503, point 22).

36

Lorsque l’autorité judiciaire d’exécution constate que les deux conditions sus-rappelées sont réunies, elle doit apprécier s’il existe un intérêt légitime justifiant que la peine infligée dans l’État membre d’émission soit exécutée sur le territoire de l’État membre d’exécution (voir arrêt du 17 juillet 2008, Kozłowski, C‑66/08, EU:C:2008:437, point 44). Cette appréciation permet à ladite autorité de tenir compte de l’objectif poursuivi par l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, ainsi qu’il a été exposé au point 33 du présent arrêt.

37

Il résulte des considérations qui précèdent que la faculté conférée à l’autorité judiciaire d’exécution de refuser, sur la base de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, la remise de la personne recherchée ne peut être mise en œuvre que si cette autorité judiciaire, après avoir vérifié, d’une part, que cette personne relève du champ d’application de cette disposition, au sens énoncé au point 34 du présent arrêt, et, d’autre part, que la peine privative de liberté prononcée par l’État membre d’émission contre cette personne peut être effectivement exécutée dans l’État membre d’exécution, estime qu’il existe un intérêt légitime justifiant que la peine infligée dans l’État membre d’émission soit exécutée sur le territoire de l’État membre d’exécution.

38

Dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi a constaté que M. Sut réside en Belgique, au sens de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584. Il y a donc lieu de considérer que la première condition d’application de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 est remplie.

39

Pour ce qui est de la seconde condition, la juridiction de renvoi a constaté que les infractions qui sont à la base du mandat d’arrêt européen sont punissables en Belgique non pas d’une peine privative de liberté, mais d’une peine d’amende.

40

Or, ainsi qu’il ressort du libellé de la question posée, la juridiction de renvoi considère qu’une telle circonstance implique l’impossibilité pour le Royaume de Belgique de s’engager à faire exécuter cette peine conformément à son droit interne, au sens de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584.

41

À cet égard, en premier lieu, il convient de relever que l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 ne contient aucun élément permettant d’interpréter la seconde condition énoncée à cette disposition comme faisant automatiquement obstacle à ce que l’autorité judiciaire de l’État membre d’exécution puisse refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen dès lors que le droit de cet État membre ne prévoit qu’une peine d’amende pour l’infraction qui est à la base dudit mandat. En effet, il ressort de son libellé même que cette disposition exige tout simplement que l’État membre d’exécution s’engage à exécuter la peine privative de liberté prévue dans le mandat d’arrêt européen émis, conformément à son droit interne.

42

En deuxième lieu, il convient de rappeler que, lorsqu’ils choisissent de transposer l’article 4 de la décision-cadre 2002/584 en droit interne, les États membres disposent nécessairement, lors de la mise en œuvre de cette disposition, et notamment du point 6 de celle-ci, d’une certaine marge d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2009, Wolzenburg, C‑123/08, EU:C:2009:616, point 61).

43

Dans ce contexte, ainsi que la Cour l’a déjà relevé, le législateur national qui, en vertu des possibilités que lui accorde l’article 4 de ladite décision-cadre, fait le choix de limiter les situations dans lesquelles l’autorité judiciaire d’exécution nationale peut refuser de remettre une personne recherchée ne fait que renforcer le système de remise instauré par cette décision-cadre en faveur d’un espace de liberté, de sécurité et de justice (arrêt du 6 octobre 2009, Wolzenburg, C‑123/08, EU:C:2009:616, point 58).

44

En effet, en limitant les situations dans lesquelles l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen, une telle législation ne fait que faciliter la remise des personnes recherchées, conformément au principe de reconnaissance mutuelle édicté à l’article 1er, paragraphe 2, de la décision-cadre 2002/584, lequel constitue la règle essentielle instaurée par cette dernière (arrêt du 6 octobre 2009, Wolzenburg, C‑123/08, EU:C:2009:616, point 59).

45

Il est, dès lors, loisible au législateur national d’un État membre de mettre en œuvre le motif de non-exécution facultative prévu à l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 en prévoyant que, dans l’hypothèse où l’infraction qui est à la base du mandat d’arrêt européen n’est passible dans cet État membre que d’une peine d’amende, ce dernier ne peut pas s’engager à exécuter la peine privative de liberté, aux fins dudit article.

46

En effet, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, si le motif de non-exécution facultative énoncé à l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 a notamment pour but de permettre d’accorder une importance particulière à la possibilité d’accroître les chances de réinsertion sociale de la personne recherchée à l’expiration de la peine à laquelle cette dernière a été condamnée, un tel but, pour important qu’il soit, ne saurait exclure que les États membres, lors de la mise en œuvre de cette décision-cadre, limitent, dans le sens indiqué par la règle essentielle énoncée à l’article 1er, paragraphe 2, de celle-ci, les situations dans lesquelles il devrait être possible de refuser de remettre une personne relevant du champ d’application dudit article 4, point 6 (voir arrêt du 6 octobre 2009, Wolzenburg, C‑123/08, EU:C:2009:616, point 62 et jurisprudence citée).

47

En troisième lieu, si, en édictant l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, le législateur de l’Union a voulu permettre aux États membres, en vue de faciliter la réinsertion sociale de la personne recherchée, de refuser l’exécution du mandat d’arrêt européen, il a pris toutefois soin de fixer, dans cette même disposition, les conditions d’application de ce motif de refus, dont, notamment, l’engagement de l’État d’exécution à faire exécuter effectivement la peine privative de liberté infligée à la personne recherchée, afin de garantir l’exécution de la peine imposée et d’éviter, ainsi, tout risque d’impunité de cette personne.

48

Enfin, il convient de préciser, à l’instar de M. l’avocat général aux points 82 et 83 de ses conclusions, qu’aucune disposition de la décision‑cadre 2008/909 ne saurait affecter ni la portée ni les modalités d’application du motif de non-exécution facultative énoncé à l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584. En effet, si, conformément à son article 25, les dispositions de la décision-cadre 2008/909 s’appliquent, mutatis mutandis, à l’exécution des condamnations dans les cas où un État membre s’engage à exécuter la condamnation conformément à l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, le législateur de l’Union a expressément prévu que ces dispositions ne sont applicables que dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions de cette dernière.

49

Dans ces conditions, il revient à l’autorité judiciaire d’exécution, seule compétente pour interpréter le droit national, de s’assurer, conformément au point 36 du présent arrêt, lors de la vérification qu’elle est tenue d’effectuer aux fins de refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen, sur la base de l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584, que, alors même que l’infraction qui est à la base du mandat d’arrêt européen n’est passible, en vertu du droit national, que d’une peine d’amende, ce droit permet néanmoins d’exécuter effectivement la peine privative de liberté prononcée par l’État membre d’émission contre la personne qui fait l’objet du mandat d’arrêt européen.

50

Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que l’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que, lorsque, comme dans l’affaire au principal, la personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen délivré aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté réside dans l’État membre d’exécution et présente avec ce dernier des liens de rattachement familiaux, sociaux et professionnels, l’autorité judiciaire d’exécution peut, pour des considérations liées à la réinsertion sociale de ladite personne, refuser d’exécuter ce mandat, alors même que l’infraction qui est à la base dudit mandat n’est punissable, conformément au droit de l’État membre d’exécution, que d’une peine d’amende, dès lors que, conformément à ce même droit national, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que la peine privative de liberté infligée à la personne recherchée soit effectivement exécutée dans cet État membre, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

Sur les dépens

51

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

 

L’article 4, point 6, de la décision-cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, doit être interprété en ce sens que, lorsque, comme dans l’affaire au principal, la personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen délivré aux fins de l’exécution d’une peine privative de liberté réside dans l’État membre d’exécution et présente avec ce dernier des liens de rattachement familiaux, sociaux et professionnels, l’autorité judiciaire d’exécution peut, pour des considérations liées à la réinsertion sociale de ladite personne, refuser d’exécuter ce mandat, alors même que l’infraction qui est à la base dudit mandat n’est punissable, conformément au droit de l’État membre d’exécution, que d’une peine d’amende, dès lors que, conformément à ce même droit national, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que la peine privative de liberté infligée à la personne recherchée soit effectivement exécutée dans cet État membre, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

 

Silva de Lapuerta

Bonichot

Arabadjiev

Fernlund

Rodin

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 décembre 2018.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président

K. Lenaerts


( *1 ) Langue de procédure : le français.