CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PAOLO MENGOZZI

présentées le 24 novembre 2016 ( 1 )

Affaire C‑489/15

CTL Logistics GmbH

contre

DB Netz AG

[demande de décision préjudicielle formée par le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin, Allemagne)]

« Transport – Redevances liées à l’utilisation d’infrastructures ferroviaires – Contrôle d’équité des redevances fixées unilatéralement par un gestionnaire d’infrastructure dans un contrat avec une entreprise ferroviaire – Directive 2001/14/CE – Application uniforme du droit de la régulation ferroviaire – Principe de non-discrimination des entreprises ferroviaires »

1. 

Si la Cour est souvent appelée à juger de l’adéquation des voies de recours nationales pour assurer une protection suffisante des droits et libertés garantis par le droit de l’Union, dans le cadre de la présente affaire préjudicielle, elle est en revanche saisie de la question de savoir si une voie de recours juridictionnel de droit interne, mise à la disposition des justiciables parallèlement et en sus du mécanisme de recours administratif et juridictionnel établi par un État membre afin de donner exécution aux obligations lui incombant en force des dispositions d’une directive, ne représente, en quelque sorte, un « excès de protection », incompatible avec les prescriptions et le objectifs de cette directive.

2. 

Par sa demande de décision préjudicielle, le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin, Allemagne) pose à la Cour un certain nombre de questions portant sur l’interprétation de plusieurs articles de la directive 2001/14/CE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2001, concernant la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire, la tarification de l’infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité ( 2 ).

3. 

Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’une action intentée sur le fondement de l’article 315 du Burgerliches Gesetzbuch (code civil, ci-après le « BGB ») par CTL Logistic GmbH, une entreprise privée de transport ferroviaire, contre DB Netz AG, une entreprise d’infrastructures ferroviaires publique agréée, afin d’obtenir le remboursement des redevances qu’elle a versées à la défenderesse au cours des périodes d’horaires de service de l’année 2004 à l’année 2011.

I – Le litige au principal et les questions préjudicielles

4.

Il ressort de la décision de renvoi que DB Netz met son infrastructure ferroviaire à la disposition de ses clients contre rémunération sur la base de contrats dits « d’utilisation d’infrastructure ». Un tel contrat est un contrat type qui régit les principes du rapport contractuel entre les entreprises de transport ferroviaire et DB Netz. Il constitue la base pour les contrats d’utilisation individuels qui doivent être conclus pour l’utilisation concrète des sillons. Ses stipulations sont intégrées dans chaque contrat individuel d’utilisation.

5.

D’après ces contrats d’utilisation d’infrastructure, l’utilisation du réseau ferroviaire de DB Netz est subordonnée au paiement de prix de sillons calculés sur la base du tarif en vigueur. Le tarif des prix des sillons, également dénommé « tarification de prix de sillons » (TPS), est fixé par DB Netz à l’avance pour une certaine période, sans la participation des entreprises de transport ferroviaire.

6.

Les parties sont en litige sur certains droits d’annulation et de modification que DB Netz a unilatéralement inclus dans la TPS et qui s’appliquaient lorsque CTL Logistics souhaitait modifier ou annuler une réservation de sillon. Cette dernière demande le remboursement des droits qu’elle a versés entre l’année 2004 et l’année 2011, et qu’elle estime avoir été fixés à un niveau non équitable. Selon CTL Logistics, en application de l’article 315 du BGB, la fixation desdits droits par DB Netz serait inopérante et il incomberait à la juridiction de renvoi de fixer une redevance ex aequo et bono. Les montants versés en excès seraient dépourvus de cause en droit et devraient faire l’objet d’une répétition.

7.

La juridiction de renvoi expose à cet égard que, en droit civil allemand, l’article 315, paragraphe 1, du BGB prévoit que la loi ou un contrat peuvent accorder à une partie le droit de fixer unilatéralement la prestation contractuelle due et que, en cas de doute, cette fixation doit être faite suivant une appréciation en équité. Au titre du paragraphe 3 de cet article, le respect de l’équité peut être vérifié par les tribunaux civils. Lorsqu’un tribunal constate le caractère inéquitable de la détermination de la prestation, il lui substitue une décision judiciaire équitable ( 3 ). L’objectif de l’article 315 du BGB serait donc d’exclure, dans les cas particuliers, tout abus du pouvoir d’aménagement conféré par l’autonomie privée.

8.

Il ressort de la décision de renvoi que, selon la jurisprudence du Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), le contrôle prévu à l’article 315, paragraphe 3, du BGB n’est pas exclu, au vu de la réglementation publique allemande du rail, lorsque la détermination de la redevance pour l’utilisation d’infrastructures ferroviaires garde une marge de manœuvre ressortissant à l’autonomie privée. L’objet d’un tel contrôle serait de vérifier si, dans l’exercice de cette marge de manœuvre, le gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire a respecté le critère d’équité imposé par l’article 315, paragraphe 1, du BGB, en prenant également en considération de façon appropriée les intérêts de sa contrepartie contractuelle qui vont au-delà de l’accès non discriminatoire au réseau.

9.

Ainsi que l’observe la juridiction de renvoi, la jurisprudence susmentionnée, qui reconnaît à l’article 315 du BGB un domaine d’application autonome, postule une application concomitante de cet article et de la réglementation du rail, en vertu de laquelle il incomberait au gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire de respecter, à la fois, les règles de calcul des redevances d’utilisation prévus par la deuxième et le critère de l’équité imposé par le premier. Les redevances seraient, dès lors, soumises à un double contrôle, celui confié à l’organisme de réglementation (et, sur recours contre les décisions de celui-ci, aux juridictions administratives) dans le cadre des procédures prévues par la réglementation ferroviaire, d’une part, et celui exercé par le juge civil conformément à l’article 315, paragraphe 3, du BGB, d’autre part.

10.

La juridiction de renvoi doute de la compatibilité d’une telle application concomitante et d’un tel double contrôle avec les dispositions de la directive 2001/14, et pose à la Cour les sept questions suivantes :

1.

Des dispositions du droit de l’Union, en particulier l’article 30, paragraphe 1, première phrase, paragraphes 2 et 3, paragraphe 5, premier alinéa, et paragraphe 6, de la directive [2001/14] doivent-elles être interprétées comme excluant toute action en remboursement de redevances d’utilisation d’une infrastructure ferroviaire stipulées ou fixées dans un accord-cadre conclu entre un gestionnaire d’infrastructure et un candidat, si cette action en remboursement n’est pas intentée suivant les procédures prévues devant l’organisme national de réglementation et suivant les procédures judiciaires correspondantes qui ont contrôlé ces décisions de l’organisme de réglementation ?

2.

Des dispositions du droit de l’Union, en particulier l’article 30, paragraphe 1, première phrase, paragraphes 2 et 3, paragraphe 5, premier alinéa, et paragraphe 6, de la directive [2001/14] doivent-elles être interprétées comme excluant toute action en remboursement de redevances d’utilisation d’une infrastructure ferroviaire stipulées ou fixées dans un accord-cadre conclu entre un gestionnaire d’infrastructure et un candidat, si l’organisme national de réglementation n’a pas été auparavant saisi de la question des redevances d’utilisation d’une infrastructure ferroviaire ?

3.

Le contrôle du caractère équitable de redevances d’utilisation d’une infrastructure ferroviaire exercé par le juge civil sur le fondement d’une règle nationale de droit civil qui permet à des tribunaux de contrôler l’équité d’une prestation unilatéralement déterminée par une partie et, le cas échéant, de déterminer la prestation d’office ex aequo et bono est-il compatible avec les prescriptions du droit de l’Union imposant au gestionnaire d’infrastructure certaines règles générales pour calculer la redevance, dont l’obligation de couverture des coûts (article 6, paragraphe 1, de la directive [2001/14]) ou le respect de critères tenant à la capacité d’acceptation par le marché (article 8, paragraphe 1, de la directive [2001/14]) ?

4.

En cas de réponse affirmative à la troisième question, le juge civil doit-il, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, tenir compte de critères établis dans la directive [2001/14] pour fixer la redevance d’utilisation de l’infrastructure ferroviaire et, si oui, lesquels ?

5.

La vérification par une juridiction civile de l’équité de redevances sur le fondement de la norme nationale visée dans la troisième question est-elle compatible avec le droit de l’Union lorsque les juridictions civiles fixent la redevance en s’écartant des principes généraux et des montants pratiqués en matière de redevances par le gestionnaire des voies ferrées, malgré le fait que ce gestionnaire est tenu par le droit de l’Union d’appliquer un traitement exempt de discrimination à toute entité autorisée à accéder à l’infrastructure (article 4, paragraphe 5, de la directive [2001/14]) ?

6.

Le contrôle par le juge civil du caractère équitable de redevances d’un gestionnaire d’infrastructure est-il compatible avec le droit de l’Union si l’on considère que ce droit postule la compétence de l’organisme de réglementation pour trancher les différences de vues entre le gestionnaire de l’infrastructure et les titulaires d’une autorisation d’accès sur les redevances d’utilisation de l’infrastructure ferroviaire ou sur le montant ou la structure de ces redevances, qui doivent ou devraient être payées par le titulaire d’une autorisation d’accès (article 30, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive [2001/14]), et que, par suite du nombre potentiellement élevé de litiges portés devant diverses juridictions civiles, l’organisme de réglementation ne pourrait plus garantir l’application uniforme de la réglementation sur les chemins de fer (article 30, paragraphe 3, de la directive [2001/14]) ?

7.

Le fait que des dispositions nationales exigent que toutes les redevances des gestionnaires d’infrastructure pour l’utilisation d’infrastructures ferroviaires soient calculées exclusivement suivant une méthode fondée sur les coûts directs est-il compatible avec le droit de l’Union, en particulier avec l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/14/CE ?

II – Analyse

A – Remarques préliminaires

11.

Bien qu’ayant une dimension essentiellement nationale, la problématique au cœur de la présente affaire témoigne de la sensibilité des questions qui touchent au processus de détermination ‐ en partie harmonisé par le droit de l’Union ‐ ainsi qu’au niveau des redevances d’utilisation des infrastructures ferroviaires nationales.

12.

La décision de renvoi fait état d’un courant jurisprudentiel ‐ auquel le juge de céans n’adhère pas ‐ consacré en dernier lieu par un arrêt du Bundesgerichtshof (Cour fédéral de justice) du 18 octobre 2011 ( 4 ) et partagé, semble-t-il, par la majorité des juridictions civiles allemandes, notamment d’appel, qui, s’appuyant sur les prétendues lacunes du système de surveillance en matière tarifaire prévu par la réglementation interne de transposition de la directive 2001/14, vise à exercer, au moyen d’un instrument du droit civil, un contrôle juridictionnel d’équité sur le niveau des redevances liées à l’utilisation des infrastructures ferroviaires, dans un contexte jugée caractérisé par une marge discrétionnaire considérable, voire excessive, des gestionnaires de ces infrastructures.

13.

Le débat interne généré par ce courant jurisprudentiel semble avoir acquis l’ampleur d’un vrai conflit institutionnel, ainsi que l’atteste entre autres le désaccord manifesté par le Bundesrat (Conseil fédéral, Allemagne) avec la proposition, contenue dans le projet de loi portant modification de la réglementation ferroviaire et transposition de la directive 2012/34 ( 5 ), d’exclure de façon expresse l’application de l’article 315 du BGB dans le domaine d’application de cette réglementation ( 6 ).

14.

Ainsi qu’annoncé lors de l’audience par le gouvernement allemand ‐ dont la position tout au long de la procédure devant la Cour a été intentionnellement neutre ( 7 ) ‐ ce projet de loi a finalement été adopté en août 2016 ( 8 ). La nouvelle loi prévoit, outre l’exclusion du contrôle sur le fondement de l’article 315 du BGB ( 9 ), un encadrement plus strict de la marge discrétionnaire du gestionnaire de l’infrastructure ainsi qu’une surveillance accrue sur ses décisions, ce qui fait, en principe, disparaître, selon ce gouvernement, le présupposé ayant permis ‐ et justifié ‐ le recours à un tel contrôle.

15.

La question ayant été résolue pour le futur, l’importance de l’arrêt de la Cour à venir reste en principe limitée à la période précédant la date d’application de la nouvelle loi.

16.

À cet égard, je signale qu’une demande de décision préjudicielle, portant sur la même thématique, a été présentée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) au mois de juin 2016 ( 10 ). Dans cette demande ‐ soulevée dans le cadre d’un litige opposant Die Länderbahn GmbH DLB (ci-après « Die Länderbahn »), une entreprise de transport ferroviaire de voyageurs à courte distance, à DB Station & Service AG, une filiale de DB, au sujet du montant de la redevance acquittée par Die Länderbahn du mois de novembre 2006 au mois de février 2008 en échange de l’utilisation de gares dont DB Station & Service assure l’entretien ‐ le Bundesgerichsthof (Cour fédérale de justice) exprime un point de vue diamétralement opposé à celui du Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin) dans la décision de renvoi, objet de la présente affaire, tout en décrivant les caractéristiques du contrôle d’équité sur le fondement de l’article 315 du BGB en des termes largement similaires.

17.

La présente demande de décision préjudicielle soulève donc des questions ayant une dimension essentiellement nationale et une portée temporellement limitée, mais concernant une thématique sensible, qui a donné lieu à un débat interne assez poussé impliquant différents pouvoirs institutionnels. Tous ces éléments militent, à mon sens, en faveur d’une approche prudente de la part de la Cour.

18.

Cela étant dit, les sept questions préjudicielles posées par le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin), qui, contrairement à ce que soutient CTL Logistics, sont toutes recevables, peuvent être divisées en deux groupes.

19.

Par ces première, deuxième, cinquième et sixième questions, le juge de renvoi interroge la Cour sur les aspects procéduraux et systématiques soulevés par l’application de l’article 315 du BGB au domaine des redevances d’infrastructure liées à l’utilisation du réseau ferré.

20.

Les troisième, quatrième et septième questions portent, en revanche, sur des aspects de droit substantiel et visent à permettre à la juridiction de renvoi d’apprécier la compatibilité du contrôle sur le fondement de l’article 315 du BGB avec les dispositions de la directive définissant les critères de calcul desdites redevances. Il convient de commencer l’analyse par ce deuxième groupe de questions.

B – Sur les troisième, quatrième et septième questions préjudicielles

21.

Par sa troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi souhaite en substance savoir si les dispositions de la directive 2001/14 en matière de tarification s’opposent à un contrôle d’équité des redevances liées à l’utilisation d’une infrastructure ferroviaire tel que celui conduit par le juge civil en application de l’article 315 du BGB, ainsi que, le cas échéant, à la détermination ex aequo et bono par ce même juge du montant desdites redevances. Par sa quatrième question, cette juridiction demande en substance à la Cour, dans le cas où il devait être répondu à la troisième question que la directive 2001/14 ne s’oppose pas à un tel contrôle, quelles sont les limites éventuelles que cette directive impose au pouvoir discrétionnaire du juge civil dans la détermination d’office, sur le fondement de l’article 315, paragraphe 3, du BGB, du montant des redevances d’infrastructure. La septième question vise à avoir des éclaircissements sur la portée de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/14 en relation avec une obligation découlant du droit national de calculer les redevances pour l’utilisation d’infrastructures ferroviaires exclusivement sur les « coûts directs ».

22.

Il convient d’examiner conjointement ces trois questions (section 1). En outre, bien que la juridiction de renvoi n’ai pas directement posé une question portant sur la compatibilité du contrôle d’équité sur le fondement de l’article 315 du BGB avec la marge discrétionnaire reconnue par la directive 2001/14 au gestionnaire de l’infrastructure dans la détermination des redevances d’infrastructure, la question reste néanmoins en toile de fond et a été abordée dans les observations déposées devant la Cour. Il convient dès lors d’y consacrer quelques brèves réflexions (section 2).

1.   Contrôle d’équité sur le fondement de l’article 315 du BGB et dispositions de la directive 2001/14 relatives à la tarification

23.

Le chapitre II de la directive 2001/14, qui comprend les articles 4 à 12, porte sur les redevances d’infrastructure.

24.

Conformément à l’article 4, paragraphe 1, premier et deuxième alinéas, de cette directive, il incombe aux États membres de mettre en place un cadre pour la tarification, tout en respectant l’indépendance de gestion du gestionnaire de l’infrastructure. Sous réserve de cette condition, les États membres peuvent également établir des règles de tarification spécifiques ( 11 ).

25.

Les articles 7 à 12 de la directive 2001/14 établissent en détail quels droits peuvent être perçus et, le cas échéant, leur mode de calcul. Sous la rubrique « Principes de tarification », l’article 7, paragraphe 3, prévoit, notamment, que « les redevances perçues pour l’ensemble des prestations minimales et l’accès par le réseau aux infrastructures de services […] sont égales au coût directement imputable à l’exploitation du service ferroviaire» ( 12 ). Les paragraphes 4 et 5 du même article 7 précisent que les redevances fixées selon le critère énoncé au paragraphe 3 de cet article peuvent intégrer les coûts liés aux contraintes de capacité (article 7, paragraphe 4, de la directive 2001/14) ( 13 ) et aux effets sur l’environnement de l’exploitation des trains (article 7, paragraphe 5, de la directive 2001/14).

26.

Le critère économique de base de la tarification du réseau ferroviaire en droit de l’Union, en ce qui concerne les prestations dites « minimales» ( 14 ), est donc constitué par la tarification au « coût directement imputable », notion qui laisse une certaine marge d’appréciation aux États membres quant à sa transposition et à son application en droit interne ( 15 ).

27.

Conformément à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2001/14, les États membres peuvent introduire une exception à ce critère, permettant au gestionnaire de l’infrastructure de percevoir des majorations au coût directement imputable, à condition toutefois que le « marché s’y prête », à savoir que les entreprises ferroviaires soient capables de les supporter. Il importe de souligner que cette disposition ne donne aux États membres qu’une simple faculté ( 16 ) dont ceux-ci peuvent se servir afin de permettre au gestionnaire de l’infrastructure de poursuivre l’objectif de la couverture des coûts totaux encourus ( 17 ) et, par là, d’atteindre le but de l’équilibre financier fixé par l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2001/14 ( 18 ), avec un moindre financement de la part de l’État.

28.

Il ressort de ce qui précède que la directive 2001/14, bien que fixant des principes de tarification de base ainsi que les objectifs de celle-ci ‐ essentiellement la couverture de l’équilibre financier du gestionnaire et une utilisation optimale de l’infrastructure ‐ laisse aux États membres une ample marge discrétionnaire dans le choix de la structure de leurs dispositifs tarifaires ( 19 ), sous réserve du respect desdits principes ( 20 ).

29.

En l’espèce, abstraction faite de la référence imprécisée aux intérêts respectifs des parties au contrat, il ressort des pièces du dossier, et il semble constant entre les parties, que, de manière plus concrète, le contrôle d’équité effectué au titre de l’article 315 du BGB postule l’application d’un critère d’appréciation fondé essentiellement sur l’analyse des coûts directs du service fourni par le gestionnaire de l’infrastructure, à savoir des coûts marginaux produits par l’utilisation de l’infrastructure.

30.

Or, un tel critère n’apparaît pas incompatible avec les principes de tarification énoncés par la directive 2001/14, tels qu’exposés aux points 25 à 27 ci-dessus, et notamment avec le principe de base adopté par celle-ci, qui postule que les redevances « sont égales au coût directement imputable à l’exploitation du service ferroviaire ».

31.

Le fait que la République fédérale d’Allemagne ait très clairement opté pour un système de tarification fondé sur le « principe des coûts totaux », conformément à la faculté offerte par l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2001/14 ( 21 ), et que l’application de l’article 315 du BGB puisse porter atteinte à l’effet utile d’un tel choix, dans la mesure où elle implique un contrôle des redevances principalement fondé sur l’analyse des coûts marginaux, ne remet pas en cause la conclusion selon laquelle une telle méthodologie n’est pas, en soi, incompatible avec ladite directive. En effet, ainsi que cela a été rappelé ci-dessus, conformément à l’article 8, paragraphe 1, de cette directive, les États membres ont la simple faculté et non pas l’obligation d’introduire dans leurs dispositifs tarifaires la possibilité pour le gestionnaire de l’infrastructure d’appliquer les majorations prévues par cette disposition, faculté qui, au demeurant, dans le système de la directive, est envisagée comme une déviation du critère de base fondé sur le « coût directement imputable» ( 22 ).

32.

Étant donné la latitude de la marge discrétionnaire laissée aux États membres afin d’aménager la structure de leurs systèmes tarifaires, la seule circonstance que le contrôle sur le fondement de l’article 315 du BGB puisse conduire, ainsi que le souligne DB Netz, à appliquer des « exigences matérielles additionnelles », voire contraires, à celles prévues dans la réglementation nationale transposant la directive 2001/14 ne rend pas ce contrôle automatiquement, et pour ce seul motif, incompatible avec les prescriptions de cette directive.

33.

Il convient par ailleurs de souligner qu’il ressort du dossier que le contrôle sur le fondement de l’article 315 du BGB est utilisé par les juridictions civiles allemandes en tant qu’instrument visant à corriger le caractère excessif ou disproportionné de la redevance fixée par le gestionnaire de l’infrastructure par rapport à l’objet du contrat.

34.

Or, un tel objectif n’est pas non plus incompatible avec la directive 2001/14, qui, au contraire, met l’accent également sur l’exigence d’un accès équitable, outre que non discriminatoire, au réseau ( 23 ).

35.

Le souci du législateur de l’Union d’éviter que le niveau des redevances demandées n’atteigne un niveau tel qu’un accès équitable au réseau ne serait plus garanti – souci qui ressort notamment des conditions auxquelles est soumis le recours aux exceptions au « principe du coût directement imputable » énoncé à l’article 7, paragraphe 3, de la directive 2001/14 ‐ est présent également en ce qui concerne la fixation du droit dont il est question dans la procédure au principal, à savoir le droit que le gestionnaire de l’infrastructure peut percevoir, conformément à l’article 12, premier alinéa, de la directive 2001/14, au titre des capacités demandées mais non utilisées.

36.

En effet, cette disposition prescrit expressément qu’un tel droit doit être « approprié» ( 24 ).

37.

Certes, la directive 2001/14 ne définit pas ce qu’il faut entendre par « accès équitable » au réseau, ni ne précise à quelles conditions un droit perçu au titre de capacités demandées mais non utilisées peut se considérer approprié ( 25 ).

38.

Cependant, ainsi que je l’ai exposé ci-dessus, ladite directive prévoit un certain nombre de critères auxquels les systèmes tarifaires des États membres, malgré la large marge discrétionnaire laissée à ces derniers, doivent répondre.

39.

Ces mêmes critères doivent également guider les juridictions nationales lorsqu’elles exercent, dans le cadre des compétences qui leur sont reconnues dans l’ordre juridique auquel elles appartiennent, un contrôle sur le niveau des redevances liées à l’utilisation des infrastructures ferroviaires, y inclus ‐ et on en arrive à la quatrième question posée par le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin) ‐ dans le cas où il s’agit d’un contrôle d’équité pouvant donner lieu à la fixation ex aequo et bono des droits litigieux.

40.

En effet, selon une jurisprudence constante, l’obligation des États membres, découlant d’une directive, d’atteindre le résultat prévu par celle-ci ainsi que leur devoir de prendre toutes mesures générales ou particulières propres à assurer l’exécution de cette obligation s’imposent à toutes les autorités des États membres, y compris, dans le cadre de leurs compétences, aux autorités juridictionnelles ( 26 ).

41.

Dès lors, il incombe aux juridictions civiles appelées à vérifier le caractère équitable des redevances liées à l’utilisation des infrastructures ferroviaires sur le fondement de l’article 315 du BGB et, le cas échéant, à fixer leur niveau ex aequo et bono, d’une part, lorsqu’elles sont amenées à appliquer la réglementation ferroviaire nationale, de l’interpréter de manière conforme à la directive 2001/14 et, d’autre part, lorsqu’elles se départissent de cette réglementation dans le cadre de leur appréciation de l’équité, de tenir compte des critères établis par ladite directive, ainsi que des objectifs qu’elle poursuit, et de veiller à préserver l’effet utile de ses dispositions.

42.

À cet égard, je relève que, dans son arrêt du 28 février 2013, Commission/Allemagne (C-556/10, EU:C:2013:116), ayant pour objet une procédure en manquement mettant en cause, notamment, l’article 14, paragraphe 4, de l’AEG ( 27 ), la Cour a précisé que, afin de respecter les objectifs poursuivis par la directive 2001/14, la redevance d’utilisation de l’infrastructure constitue un minimum, qui correspond au coût directement imputable à l’exploitation du service ferroviaire prévu à l’article 7, paragraphe 3, de cette directive, et un maximum, qui résulte des coûts totaux encourus par le gestionnaire de l’infrastructure, ainsi que le prévoit l’article 8, paragraphe 1, de ladite directive, et que, entre ces deux extrêmes, celle-ci prévoit que la redevance peut varier par la prise en compte de la rareté des capacités, ainsi que le prévoit l’article 7, paragraphe 4, de cette directive, ou du coût des effets sur l’environnement mentionné au paragraphe 5 de cet article 7, ou encore des projets d’investissement spécifiques visés à l’article 8, paragraphe 2, de ladite directive ( 28 ), ainsi que des réductions prévues à l’article 9 de cette dernière.

43.

C’est sur la base de ces critères et en tenant compte de ces éléments que le contrôle d’équité sur le fondement de l’article 315 du BGB et l’éventuelle détermination du niveau équitable de la redevance doivent être effectués par le juge civil.

44.

En outre, s’il résulte de la directive 2001/14 ‐ notamment de son considérant 11, aux termes duquel les systèmes de tarification doivent s’efforcer, « dans la mesure du possible, de répondre aux besoins de tous les utilisateurs et de tous les types de trafic[,] et ce […] de manière équitable et non discriminatoire », ainsi que de son considérant 17, qui stipule qu’« il importe de prendre en considération les exigences commerciales tant des candidats que du gestionnaire d’infrastructure » ‐ que la prise en considération et la mise en balance des intérêts respectifs des parties au contrat d’utilisation de l’infrastructure ferroviaire n’est pas totalement exclue, les juridictions appelées à vérifier le caractère équitable des redevances imposées par le gestionnaire de cette infrastructure devront néanmoins tenir compte, dans leur appréciation, de la circonstance que ces redevances, pour des motifs de transparence et pour assurer un traitement non discriminatoire, sont fixées à l’avance et par catégories d’utilisateurs, et que, dès lors, elles ne peuvent que de manière très limitée refléter la situation effective d’une entreprise ferroviaire donnée.

45.

Par ailleurs, il incombera également à ces juridictions de tenir compte de ce que l’un des objectifs poursuivis par la directive 2001/14, notamment en reconnaissant au gestionnaire de l’infrastructure une marge discrétionnaire dans la détermination des redevances, est de permettre à ce dernier de faire usage du système de tarification en tant qu’instrument de gestion en vue d’optimiser l’utilisation de l’infrastructure ( 29 ).

46.

Dans ce contexte, s’agissant plus particulièrement des droits dont il est question dans le litige au principal, il incombera également à la juridiction de tenir compte de ce que l’article 12, premier alinéa, de la directive 2001/14, aux termes duquel ces droits doivent être appropriés, confère à ceux-ci la finalité d’encourager une utilisation efficace des capacités.

2.   Contrôle d’équité sur le fondement de l’article 315 du BGB et marge discrétionnaire du gestionnaire de l’infrastructure dans la détermination des redevances

47.

Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/14, dans la mise en place d’un cadre pour la tarification, les États membres doivent respecter l’indépendance de gestion du gestionnaire de l’infrastructure, auquel il incombe, d’une part, de déterminer la redevance pour l’utilisation de l’infrastructure et, d’autre part de procéder à son recouvrement ( 30 ). L’objectif poursuivi par cette disposition est, notamment, ainsi que je l’ai déjà rappelé, celui de permettre au gestionnaire de l’infrastructure de faire usage du système de tarification en tant qu’instrument de gestion en vue d’optimiser l’utilisation de l’infrastructure dans le cadre défini par les États membres, ce qui implique qu’il dispose d’une certaine marge de manœuvre lors de la fixation du montant des redevances ( 31 ). Sur cette base, la Cour a déjà, à deux reprises, déclaré incompatibles avec les exigences de l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/14 des dispositions nationales de transposition de celle-ci prévoyant la fixation du niveau des redevances par un acte du pouvoir exécutif qui s’imposait au gestionnaire de l’infrastructure ( 32 ).

48.

En l’espèce, ni le contrôle d’équité au titre de l’article 315, paragraphe 1, du BGB, ni, en particulier, l’éventuelle fixation par le juge civil d’une redevance équitable au titre du paragraphe 3 du même article, ne sont, à mon sens, en mesure de mettre en discussion l’indépendance du gestionnaire de l’infrastructure requise par l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2001/14.

49.

En effet, il ressort du dossier, premièrement, qu’un tel contrôle trouve sa justification, selon le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice), dans la large marge discrétionnaire laissée en droit allemand au gestionnaire de l’infrastructure pour décider du montant des redevances, deuxièmement, qu’il s’exerce sur la manière dont cette marge de manœuvre est utilisée par le gestionnaire de l’infrastructure et, troisièmement, qu’il n’aboutit à la détermination par voie judiciaire d’une redevance de remplacement que si le caractère inéquitable de celle imposée par le gestionnaire de l’infrastructure est établi à la suite d’une procédure juridictionnelle. Un tel contrôle et une telle détermination, loin de pouvoir être assimilés à une réglementation des prix par l’exécutif, souvent influencée par des considérations de politique industrielle, sociale et environnementale qui ne reflètent pas les coûts, s’apparente, par sa nature et par ses résultats, plutôt à un contrôle de pleine juridiction des décisions du gestionnaire de l’infrastructure en matière de redevances.

3.   Conclusions intermédiaires

50.

Sur la base des considérations qui précèdent, j’estime que les dispositions en matière de redevances d’infrastructure contenue dans la directive 2001/14, et notamment son article 6, paragraphe 1, et son article 8, paragraphe 1, ne s’opposent pas à un contrôle, tel que celui exercé par les juridictions civiles allemandes sur le fondement de l’article 315 du BGB, portant sur le caractère équitable des redevances liées à l’utilisation d’une infrastructure ferroviaire et fixées unilatéralement par le gestionnaire de cette infrastructure dans le cadre de ses relations contractuelles avec une entreprise ferroviaire, ni à l’éventuelle détermination ex aequo et bono du montant de ces redevances par lesdites juridictions. Il incombera néanmoins aux juridictions nationales appelées à exercer un tel contrôle et une telle détermination de tenir compte, dans leur appréciation, des critères de tarification énoncés aux articles 7 à 12 de ladite directive ainsi que des objectifs qu’elle poursuit et de veiller à préserver l’effet utile de ses dispositions.

C – Sur les première, deuxième, cinquième et sixième questions préjudicielles

51.

Par ses première, deuxième, cinquième et sixième questions préjudicielles, qu’il convient d’examiner conjointement, la juridiction de renvoi souhaite savoir si les dispositions de l’article 4, paragraphe 5, et de l’article 30 de la directive 2001/14 s’opposent à un contrôle de l’équité des redevances tel que celui conduit par les juridictions civiles allemandes sur le fondement de l’article 315 du BGB.

52.

Plus précisément, par sa première question, le juge de renvoi souhaite savoir si une action en remboursement doit impérativement être intentée suivant les procédures prévues devant l’organisme de contrôle institué conformément à l’article 30 de la directive 2001/14 ( 33 ) et les juridictions assurant la révision des décisions de cet organisme, tandis que, par sa deuxième question, il demande si une telle action peut être intentée par un candidat sans que l’organisme national de contrôle ait été préalablement saisi. Par ses cinquième et sixième questions, la juridiction de renvoi s’interroge en substance sur la compétence du juge civil à trancher des différends entre le gestionnaire de l’infrastructure et le titulaire d’une autorisation d’accès sur les redevances liées à l’utilisation de l’infrastructure, lesquels relèvent, en principe, de la compétence de l’organisme de contrôle, ainsi que l’impact que l’exercice de cette compétence peut avoir sur la mission conférée à cet organisme de garantir l’application uniforme de la réglementation sur les chemins de fer (sixième question) et sur l’obligation qui incombe au gestionnaire de l’infrastructure d’appliquer le système de tarification de manière non discriminatoire (cinquième question).

53.

Ces questions touchent à l’aspect le plus délicat de la présente affaire, à savoir, en substance, la compatibilité d’un contrôle juridictionnel parallèle à celui institué conformément à l’article 30 de la directive 2001/14 avec, d’une part, les compétences attribuées par cet article à l’organisme de contrôle (section 1) et, d’autre part, l’obligation du gestionnaire de l’infrastructure d’assurer un accès non discriminatoire des entreprises ferroviaires au réseau (section 2).

1.   Contrôle d’équité sur le fondement de l’article 315 du BGB et compétences de l’organisme de contrôle institué conformément à l’article 30 de la directive 2001/14

54.

Il convient de relever d’emblée qu’aucune disposition de la directive 2001/14 n’interdit de soumettre les redevances d’utilisation de l’infrastructure ferroviaire à un contrôle juridictionnel visant à vérifier ex post leur caractère équitable.

55.

Un contrôle du niveau des redevances s’étendant, en principe, à leur équité entre néanmoins dans les compétences de l’organisme institué conformément à l’article 30 de la directive 2001/14, lequel stipule, à son paragraphe 2, sous e), qu’un « candidat» ( 34 ) peut saisir cet organisme « dès lors qu’il estime être victime d’un traitement inéquitable […]» ( 35 ), notamment pour introduire un recours contre les décisions prises par le gestionnaire de l’infrastructure en ce qui concerne « le niveau ou la structure des redevances d’utilisation de l’infrastructure qu’il est ou pourrait être tenu d’acquitter ».

56.

Certes, la surveillance exercée par l’organisme de contrôle sur le niveau des redevances est limitée, conformément à l’article 30, paragraphe 3, de la directive 2001/14, à la vérification de la conformité de celles-ci aux dispositions du chapitre II de cette directive ( 36 ), alors que le contrôle d’équité exercé par le juge civil sur le fondement de l’article 315 du BGB a un champ d’application plus large que la seule appréciation de la conformité des redevances aux dispositions de la réglementation ferroviaire allemande. Cependant, ainsi que je l’ai soutenu plus haut, dans l’exercice de ce contrôle, les juridictions civiles sont tenues au respect des dispositions pertinentes du chapitre II de la directive 2001/14 ( 37 ). Il s’ensuit que ledit contrôle non seulement est parallèle au système de surveillance prescrit par la directive, mais risque de se chevaucher avec celui-ci.

57.

Toutefois, pour les raisons que j’exposerai ci-dessous, je suis de l’avis que ni l’institution d’un organisme de réglementation agissant en tant qu’instance de recours, quoique indépendant et doté de l’expertise technique requise pour accomplir sa mission, ni l’attribution à celui-ci d’une compétence générale de contrôle des redevances arrêtées par le gestionnaire de l’infrastructure, incluant, en principe et dans les termes qui ont été précisés, l’appréciation de leur caractère équitable, ne sauraient avoir pour effet de priver les entreprises ferroviaires d’une voie de recours juridictionnel qui leur est ouverte sur le fondement d’une disposition du droit national, telle qu’interprétée et appliquée par les juridictions de l’État membre concerné, et qui leur permet de solliciter du juge civil une vérification de la conformité à l’équité des redevances contractuelles unilatéralement fixées par le gestionnaire de l’infrastructure, en vue d’obtenir le remboursement de la partie de ces redevances excédant le niveau retenu comme équitable par ledit juge.

58.

En premier lieu, il est permis de s’interroger sur la compétence de l’organisme institué conformément à l’article 30 de la directive 2001/14 à examiner une plainte portant sur le niveau de redevances qui ont déjà été acquittées et qui pourraient, le cas échéant, ne plus être d’application. En effet, en admettant, ainsi que le suggère la Commission, que l’emploi du terme « candidat » au paragraphe 2 de l’article 30 de ladite directive n’implique pas nécessairement qu’une plainte ne puisse être déposée qu’aussi longtemps qu’un contrat avec le gestionnaire de l’infrastructure n’a pas été conclu, il reste que l’article 30, paragraphe 2, sous e), de cette directive, en précisant que la plainte peut porter sur le niveau ou la structure des redevances que l’intéressé « est ou pourrait être tenu d’acquitter» ( 38 ), semble exclure une saisine dudit organisme pour des contestations se rapportant à des redevances qui ne sont plus d’application ou à des contrats qui auraient déjà été exécutés.

59.

Or, il ressort du débat développé devant la Cour, que l’action sur le fondement de l’article 315 du BGB est principalement utilisée afin d’obtenir le remboursement de redevances qui ont déjà été acquittées ( 39 ). Cela est confirmé tant par les faits du litige au principal, qui porte sur une demande de remboursement de droits d’annulation payés par CTL Logistic entre 2004 et 2011, que par ceux du litige ayant donné lieu à la saisine de la Cour par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) ‐ objet de l’affaire pendante C-344/16 mentionnée plus haut ‐ lequel porte sur une demande de remboursement de droits d’utilisation de stations ferroviaires versés par Die Länderbahn entre l’année 2006 et l’année 2008.

60.

En deuxième lieu, si la surveillance des redevances d’utilisation de l’infrastructure ferroviaire à un niveau centralisé par l’organisme de contrôle institué conformément à l’article 30 de la directive 2001/14 revêt indéniablement une importance fondamentale dans l’économie de cette directive, comme DB Netz et la Commission l’ont largement illustré dans leurs observations devant la Cour, j’estime que ce n’est pas en considération uniquement des exigences d’uniformité liées à la création d’un tel système de surveillance que la Cour devrait être amenée à rendre inaccessible une voie de recours juridictionnel prévue par le droit national et pouvant être utilisée par les entreprises ferroviaires afin de sauvegarder, dans le respect des principes établis par ladite directive, des droits qui leur sont reconnus par celle-ci, notamment celui à un accès à conditions équitables à l’infrastructure ferroviaire.

61.

En effet, d’une part, je relève que ces exigences n’excluent pas qu’un contrôle sur le niveau des redevances, externe à celui prévu par cette directive, puisse être exercé, tant au niveau administratif que juridictionnel, sur la base des dispositions du droit de la concurrence ( 40 ) et que, dès lors, le système de contrôle centralisé voulu par la directive 2001/14 n’est pas sans exception ( 41 ). D’autre part, je rappelle que le considérant 46 de la directive 2001/14, en énonçant que la mise en place d’un organisme de réglementation chargé d’agir comme organisme de recours répond à l’exigence d’une « gestion efficace » et d’une « utilisation équitable et non discriminatoire de l’infrastructure ferroviaire », prend soin de préciser que cette mise en place s’entend sans préjudice de la possibilité d’un contrôle juridictionnel (« nonobstant la possibilité d’un contrôle juridictionnel »).

62.

Aucune indication en sens contraire ne peut, à mon avis, être tirée de l’arrêt du 11 juillet 2013, Commission/République tchèque (C‑545/10, EU:C:2013:509), ni des conclusions que l’avocat général Jääskinen a présentées dans les affaires Commission/République tchèque (C‑512/10, C‑545/10, C‑625/10, C‑627/10 et C‑412/11, EU:C:2012:791) ( 42 ), auxquels la Commission et DB Netz font, à différents égards, référence dans leurs observations écrites devant la Cour. En effet, dans cette affaire, il s’agissait d’un contrôle administratif supplémentaire effectué par le ministère des Transports sur les décisions de l’organisme institué par l’État membre intéressé, conformément à l’article 30 de la directive 2001/14, et non pas d’un contrôle juridictionnel ayant pour objet les redevances fixées par le gestionnaire de l’infrastructure dans le cadre de ses relations contractuelles avec une entreprise ferroviaire.

63.

En troisième lieu, les dangers pour la cohérence et l’uniformité du système de contrôle des redevances, mis en avant par DB Netz et la Commission dans leurs observations devant la Cour, ne me semblent pas devoir être surestimés.

64.

Premièrement, le risque que la saisine parallèle de l’organisme de contrôle et du juge civil donne lieu, pour employer les termes de la Commission, à la « juxtaposition de deux piliers décisionnels non coordonnés » semble réduit. Il ressort, en effet, des réponses du gouvernement allemand aux questions écrites posées par la Cour que les juridictions civiles ne peuvent pas contrôler les décisions définitives de l’organisme de contrôle et qu’une chambre commune des juridictions suprêmes existe en Allemagne afin d’exclure des décisions divergentes des juridictions administratives et civiles. Quant à la circonstance, évoquée par DB Netz, que, dans le cadre d’une action sur le fondement de l’article 315 du BGB, le juge civil puisse être amené à interpréter, en sus de l’organisme de contrôle et du juge administratif, les dispositions de la réglementation ferroviaire allemande, je me borne à observer qu’il relève en principe de l’autonomie procédurale des États membres de décider quels organes juridictionnels sont compétents à interpréter leur droit interne, y inclus les actes adoptés pour transposer le droit de l’Union.

65.

Deuxièmement, la possibilité que des négociations entre le gestionnaire de l’infrastructure et une entreprise ferroviaire, en vue d’un éventuel règlement à l’amiable de l’affaire, aient lieu en dehors de toute surveillance exercée par l’organisme de contrôle, contrairement à ce qui est prévu à l’article 30, paragraphe 3, deuxième et troisième phrases, de la directive 2001/14 ( 43 ), me semble aussi pouvoir être aisément écarté. En effet, à supposer même que des actions sur le fondement de l’article 315 du BGB portant sur le caractère équitable des redevances d’utilisation du réseau ferroviaire se prêtent, compte tenu également de l’interdiction prévue à l’article 30, paragraphe 3, de la directive susmentionnée, à un règlement à l’amiable, il suffit, pour éviter un contraste avec cette disposition, que cet organisme soit invité à être présent lors des négociations entre les parties ou qu’il soit dûment informé du déroulement de celles-ci, ce qu’il devrait être loisible de faire au juge saisi d’une telle action.

66.

Enfin, s’agissant de l’argument tiré du manque de spécialisation des juridictions civiles dans le domaine de la réglementation ferroviaire, je me borne à relever que, contrairement à d’autres directives dans le domaine des économies de réseaux, la directive 2001/14 ne prévoit pas expressément que le tribunal chargé des recours contre les décisions de l’autorité réglementaire dispose de compétences techniques spécifiques ( 44 ). L’éventuelle absence de telles compétences ne peut dès lors être, en soi, une raison justifiant un jugement d’incompatibilité du contrôle d’équité sur le fondement de l’article 315 du BGB avec la directive 2001/14 et, notamment, avec le système de surveillance centralisée des redevances d’utilisation de l’infrastructure que cette directive institue.

67.

En quatrième et dernier lieu, l’on ne saurait, à mon sens, tirer un argument en faveur d’une telle incompatibilité de l’article 30, paragraphe 6, de la directive 2001/14, qui prévoit que les décisions prises par l’organisme de contrôle sont soumises à un contrôle juridictionnel.

68.

En effet, cette disposition se borne à imposer aux États membres la mise en place d’un mécanisme de recours juridictionnel contre les décisions de l’organisme de contrôle et n’a pas pour objet d’harmoniser les règles et les pratiques nationales relatives aux procédures juridictionnelles applicables dans le domaine de la tarification d’infrastructure ferroviaire. Ainsi, il ne peut être tiré de cette disposition aucune indication sur la nature et l’étendue du contrôle juridictionnel qui doit être opéré par le juge national sur lesdites décisions ( 45 ), contrôle qui, en droit allemand, est confié aux juridictions administratives. De même, il n’est pas permis d’inférer de cette seule disposition l’inadmissibilité au regard de la directive 2001/14 de tout contrôle juridictionnel des redevances d’infrastructure conduit en dehors dudit mécanisme de recours.

69.

À cet égard, je relève qu’il ressort des réponses du gouvernement allemand aux questions écrites posées par la Cour qu’un contrôle d’équité devant les juridictions civiles en vertu de l’article 315 du BGB est admis, par la jurisprudence, également dans d’autres secteurs réglementés, tels que celui de l’énergie, dans la mesure où une marge d’appréciation en matière tarifaire est laissée à l’entreprise soumise à la régulation.

2.   Contrôle d’équité sur le fondement de l’article 315 du BGB et obligation du gestionnaire de l’infrastructure d’assurer un accès non discriminatoire des entreprises ferroviaires au réseau

70.

En vertu de l’article 4, paragraphe 5, de la directive 2001/14, il incombe au gestionnaire de l’infrastructure de s’assurer que le système de tarification est « appliqué de telle manière que les différentes entreprises ferroviaires effectuant des prestations de services de nature équivalente sur une partie similaire du marché soient soumises à des redevances équivalentes et non discriminatoires […] ».

71.

Le juge de renvoi ainsi que DB Netz et la Commission doutent que le respect d’une telle obligation et, plus généralement, le maintien de conditions non discriminatoires d’utilisation du réseau soient compatibles avec le contrôle d’équité des redevances exercé sur le fondement de l’article 315 du BGB.

72.

L’accès et l’utilisation non discriminatoire des infrastructures ferroviaires est sans doute l’un des objectifs principaux de la directive 2001/14 ( 46 ), objectif que cette directive poursuit, d’une part, en imposant au gestionnaire de l’infrastructure des obligations spécifiques en matière d’information des entreprises ainsi que d’élaboration et d’application des règles de tarification et de facturation, et, d’autre part, en conférant à l’organisme de contrôle institué conformément à son article 30 la tâche de surveiller, d’office ou sur instance d’une entreprise s’estimant victime d’un traitement discriminatoire, le respect de ces obligations.

73.

Dès lors, s’il devait s’avérer que le contrôle exercé sur les redevances liées à l’utilisation de l’infrastructure ferroviaire par le juge civil en vertu de l’article 315 du BGB risque d’entraver la réalisation d’un tel objectif, il conviendrait de conclure à son incompatibilité avec la directive 2001/14.

74.

Cependant, je suis de l’avis que tel n’est pas le cas.

75.

Tout comme les arrêts rendus par le juge civil sur le fondement de l’article 315 du BGB, les décisions de l’organisme de contrôle, lorsqu’il est saisi de la plainte d’un candidat, sont en principe adoptées par référence à un cas d’espèce ( 47 ) et, conformément à l’article 30, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la directive 2001/14, ont des effets inter partes (« sont contraignantes pour toutes les parties concernées »).

76.

Certes, lorsqu’il s’avère nécessaire, notamment afin d’éviter une disparité dans le niveau des redevances entraînant une discrimination, ces décisions peuvent contenir des injonctions adressées au gestionnaire de l’infrastructure visant à modifier les conditions d’utilisation du réseau à l’encontre de l’ensemble des utilisateurs et non seulement de l’entreprise ayant déposée la plainte, alors qu’une telle injonction ne peut pas être émise par le juge civil saisi dans le cadre d’une action sur le fondement de l’article 315 du BGB.

77.

Cependant, contrairement à ce que font valoir DB Netz et la Commission, je ne vois pas d’objections majeures à ce qu’une telle injonction soit éventuellement adoptée par l’organisme de contrôle dans le cadre de ses fonctions de surveillance à la suite de la décision d’une juridiction civile qui s’avère devoir être transposée à d’autres utilisateurs, notamment lorsque le gestionnaire du réseau, sur lequel incombe l’obligation d’assurer un traitement non discriminatoire des entreprises ayant accès à l’infrastructure et qui était partie à la procédure devant cette juridiction, n’y procède pas de son initiative.

78.

Je relève, par ailleurs, que, dans l’hypothèse où une décision prise sur le fondement de l’article 315 du BGB devait entraîner une discrimination à l’encontre d’entreprises se trouvant dans la même situation que celle ayant saisi le juge civil, ces entreprises seraient légitimées, conformément à l’article 30, paragraphe 2, de la directive 2001/14, à déposer une plainte auprès de l’organisme de contrôle afin de se voir appliquer le même traitement tarifaire.

79.

Ces différents mécanismes – initiative du gestionnaire de l’infrastructure, intervention d’office de l’organisme de contrôle, saisine de cet organisme par une entreprise s’estimant victime d’une discrimination – devraient permettre d’adapter dans des délais acceptables le niveau des redevances pour l’ensemble des utilisateurs concernés, lorsque cela s’avère nécessaire à la suite de la décision du juge civil.

80.

Par ailleurs, étant donné que l’action sur le fondement de l’article 315 du BGB est, ainsi que noté plus haut, essentiellement utilisée pour demander la répétition de droits déjà acquittés, qui peuvent ne plus être d’application, il est permis de douter qu’une telle exigence d’adaptation se présente de manière systématique. Lorsque la décision du juge civil ne concerne que le passé, la voie de l’article 315 du BGB reste, en principe, ouverte pour les entreprises ayant été soumises aux mêmes redevances déclarées inéquitables, afin d’obtenir le remboursement des montants payés en excès.

3.   Conclusions intermédiaires

81.

À la lumière des considérations qui précèdent, j’estime que l’article 4, paragraphe 5, et l’article 30 de la directive 2001/14 ne s’opposent pas à un contrôle, tel que celui exercé par les juridictions civiles allemandes sur le fondement de l’article 315 du BGB, portant sur le caractère équitable des redevances liées à l’utilisation d’une infrastructure ferroviaire et fixées unilatéralement par le gestionnaire de cette infrastructure dans le cadre de ses relations contractuelles avec une entreprise ferroviaire, ni à l’éventuelle détermination ex aequo et bono du montant de ces redevances par lesdites juridictions.

III – Conclusion

82.

Sur la base de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin), prises conjointement, que les dispositions de la directive 2001/14, et notamment son article 4, paragraphe 5, son article 6, paragraphe 1, et son article 8, paragraphe 1, en matière de redevances d’infrastructure, ainsi que son article 30, concernant les compétences de l’organisme de contrôle, ne s’opposent pas à un contrôle, tel que celui exercé par les juridictions civiles allemandes sur le fondement de l’article 315 du BGB, portant sur le caractère équitable des redevances liées à l’utilisation d’une infrastructure ferroviaire et fixées unilatéralement par le gestionnaire de cette infrastructure dans le cadre de ses relations contractuelles avec une entreprise ferroviaire, ni à l’éventuelle détermination ex aequo et bono, par lesdites juridictions, du montant de ces redevances. Il incombe néanmoins aux juridictions nationales appelées à exercer un tel contrôle et à effectuer une telle détermination de tenir compte, dans leur appréciation, des critères de tarification énoncés aux articles 7 à 12 de ladite directive ainsi que des objectifs qu’elle poursuit, et de veiller à préserver l’effet utile de ses dispositions.


( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 2001, L 75, p. 29. Cette directive a été abrogée et remplacée avec effet au 17 juin 2015 par la directive 2012/34/UE du Parlement européen et du Conseil, du 21 novembre 2012, établissant un espace ferroviaire unique européen (JO 2012, L 343, p. 32), voir article 65, premier alinéa, tel que rectifié (JO 2015 L 67, p. 32).

( 3 ) L’article 315 du BGB, intitulé « Détermination de la prestation par une partie », prévoit à son paragraphe 1 que « [s]i la prestation doit être déterminée par l’une des parties contractantes, il y a lieu d’admettre, dans le doute, que cette détermination doit être faite ex aequo et bono » et, à son paragraphe 3, que « [l]orsque la détermination doit s’opérer ex aequo et bono, la détermination effectuée ne lie l’autre partie que si elle est conforme à l’équité. Si elle n’est pas conforme à l’équité, elle est effectuée par jugement […] ».

( 4 ) Arrêt de la Cour fédérale de justice du 18 octobre 2011 – KZR 18/10, NVwZ 2012, p. 189.

( 5 ) Cité à la note 2 ci-dessus.

( 6 ) Stellungnahme des Bundesrates vom 18.03.2016 (BR-Drucksache 22/16, Ziff. 29, S. 26-27).

( 7 ) Ce gouvernement n’avait pas déposé d’observations écrites devant la Cour mais a été invité par la Cour à répondre à un certain nombre de questions écrites. Il a participé à l’audience, se limitant, en substance, à illustrer le contenu de la future nouvelle loi.

( 8 ) Gesetz zur Stärkung des Wettbewerbs im Eisenbahnbereich, vom 29. August 2016, Bundesgesetzblatt Jahrgang 2016 Teil I Nr. 43, ausgegeben zu Bonn am 1. September 2016.

( 9 ) Voir article 33, paragraphe 2, dernière phrase, aux termes duquel « [l]a redevance autorisée vaut comme redevance équitable aux sens de l’article 315 du BGB ».

( 10 ) Affaire pendante C-344/16. Dans sa demande de décision préjudicielle, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) explique qu’il a été amené à saisir la Cour par la position exprimée par la Commission européenne dans ses observations dans la présente procédure et que, jusqu’à ce moment, il avait considéré qu’une incompatibilité du contrôle sur le fondement de l’article 315 du BGB avec la directive 2001/14 était clairement exclue.

( 11 ) Voir, à cet égard, arrêt du 28 février 2013, Commission/Hongrie (C‑473/10, EU:C:2013:113, point 78).

( 12 ) Mise en italique par mes soins.

( 13 ) Sous forme d’« une redevance au titre de la rareté des capacités de la section identifiable de l’infrastructure pendant les périodes de saturation ».

( 14 ) Il s’agit des prestations visées à l’annexe II, point 1, de la directive 2001/14.

( 15 ) Voir arrêt du 30 mai 2013, Commission/Pologne (C‑512/10, EU:C:2013:338, point 75). Au point 28 du document de travail de la Commission accompagnant la proposition de directive concernant la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire, la tarification de l’infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité, COM(1998) 480 final, la notion de « coût directement imputable » est identifiée comme correspondant au « coût supplémentaire qu’impose à la collectivité l’utilisation de l’infrastructure par une unité de transport supplémentaire ». La marge d’appréciation des États membres est actuellement encadrée par le règlement d’exécution (UE) 2015/909 de la Commission, du 12 juin 2015, concernant les modalités de calcul du coût directement imputable du service ferroviaire (JO 2015, L 148, p. 17), qui, conformément à son article 1, paragraphe 1, définit les modalités de calcul des coûts directement imputables à l’exploitation du service ferroviaire aux fins de la fixation des redevances pour l’ensemble des prestations minimales et pour l’accès à l’infrastructure reliant les installations de service visées à l’article 31, paragraphe 3, de la directive 2012/34.

( 16 ) Faculté dont certains États membres n’ont d’ailleurs pas fait usage ; voir, notamment, arrêt du 30 mai 2013, Commission/Pologne (C‑512/10, EU:C:2013:338, points 87 et 88).

( 17 ) L’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/14 prévoit que « un État membre peut, afin de procéder au recouvrement total des coûts encourus par le gestionnaire de l’infrastructure et, si le marché s’y prête, percevoir des majorations sur la base de principes efficaces, transparents et non discriminatoires, tout en garantissant une compétitivité optimale, en particulier pour le transport ferroviaire international de marchandises. Le système de tarification respecte les gains de productivité réalisés par les entreprises ferroviaires ». Le deuxième alinéa dudit paragraphe 1 précise que « [l]e niveau des redevances ne doit cependant pas exclure l’utilisation des infrastructures par des segments de marché qui peuvent au moins acquitter le coût directement imputable à l’exploitation du service ferroviaire, plus un taux de rentabilité si le marché s’y prête ».

( 18 ) L’article 6, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2001/14 dispose que « [l]es États membres définissent les conditions appropriées, comprenant, le cas échéant, des paiements ex ante, pour que les comptes du gestionnaire de l’infrastructure, dans des conditions normales d’activité et par rapport à une période raisonnable, présentent au moins un équilibre entre, d’une part, les recettes tirées des redevances d’utilisation de l’infrastructure, les excédents dégagés d’autres activités commerciales et le financement par l’État et, d’autre part, les dépenses d’infrastructure ».

( 19 ) Ce qui contribue à alimenter la forte hétérogénéité du niveau des redevances perçues pour les prestations minimales en Europe, qu’il s’agisse de transport de marchandises ou de personnes ; voir, à ce propos, l’étude de Amaral, M., et Danielowitzowa, N., « La tarification de l’infrastructure ferroviaire en Europe », L’Espace ferroviaire unique européen, quelle(s) réalité(s) ?, Bruylant, 2015, p. 241.

( 20 ) Conformément à l’article 1, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2001/14, « [l]es États membres veillent à ce que les systèmes de tarification et de répartition des capacités de l’infrastructure ferroviaire respectent les principes énoncés dans la présente directive et permettent ainsi au gestionnaire de l’infrastructure de commercialiser les capacités de l’infrastructure disponibles et d’en faire une utilisation effective et optimale ».

( 21 ) L’article 14, paragraphe 4, de l’Allgemeines Eisenbahngesetz (loi générale sur les chemins de fer, du 27 décembre 1993, BGBl. I, p. 2378, 2396, dans la version résultant de la loi du 29 mai 2009, BGBl. I, p. 1100, ci-après l’« AEG ») dispose que « [l]es gestionnaires de voies ferrées fixent leurs redevances conformément à un règlement adopté en vertu de l’article 26, paragraphe 1, points 6 et 7, de manière à compenser l’ensemble des coûts encourus pour la fourniture des prestations obligatoires au sens du paragraphe 1, première phrase, tout en s’assurant une rentabilité conforme au taux du marché. Dans ce contexte, ils peuvent fixer et recouvrer des majorations directement liées à l’exploitation ferroviaire, et peuvent faire une distinction selon qu’il s’agit de services de transport ferroviaire de voyageurs à longue distance, de services de transport ferroviaire de voyageurs à courte distance ou de services de transport de marchandises, et selon le segment de marché à l’intérieur de chacun de ces types de services, et la compétitivité, en particulier dans le domaine du transport international ferroviaire de marchandises doit être assurée. Cependant, dans le cas évoqué dans la deuxième phrase ci‐dessus, la tarification ne doit pas dépasser, concernant un segment de marché, les coûts du transport ferroviaire directement encourus, auxquels s’ajoute une rentabilité conforme au taux du marché […] ». Les critères de détermination des redevances sont précisés, notamment, aux articles 4 et 21 de l’Eisenbahninfrastruktur-Benutzungsverordnung (règlement relatif à l’accès non discriminatoire à l’infrastructure ferroviaire et aux principes de tarification pour l’utilisation de l’infrastructure ferroviaire, du 3 juin 2015, BGBl. I, p. 1566, dans sa version du 3 juin 2009, BGBl. I, p. 1235).

( 22 ) Il ressort, notamment, de la troisième question préjudicielle ainsi que des observations des parties à la procédure principale que le point litigieux concerne la flexibilité dans la construction des redevances qui découle pour le gestionnaire d’infrastructure du choix fait par la République fédérale d’Allemagne en faveur du système des majorations prévu à l’article 8, paragraphe 1, de la directive 2001/14, flexibilité que les partisans de l’application de l’article 315 du BGB souhaitent voir plus clairement encadrée et que ses opposants souhaitent, en revanche, garder intacte en tant qu’instrument permettant la couverture d’une partie des coûts totaux.

( 23 ) Ainsi, aux termes du considérant 11 de la directive 2001/14, les systèmes de tarification et de répartition des capacités doivent non seulement assurer à toutes les entreprises un accès égal et non discriminatoire, mais également s’efforcer, « dans la mesure du possible, de répondre aux besoins de tous les utilisateurs et de tous les types de trafic[,] et ce […] de manière équitable et non discriminatoire ». Le considérant 17, quant à lui, stipule qu’« il importe de prendre en considération les exigences commerciales tant des candidats que du gestionnaire d’infrastructure ». Le considérant 36 mentionne l’objectif de l’établissement de « redevances d’utilisation de l’infrastructure à des niveaux adaptés et équitables ». Voir, également, considérants 46 et 49 de la directive 2001/14.

( 24 ) L’article 12 de la directive 2001/14 est libellé comme suit : « [l]e gestionnaire de l’infrastructure peut percevoir un droit approprié au titre des capacités demandées mais non utilisées. Ce droit encourage une utilisation efficace des capacités. »

( 25 ) Dans sa proposition de directive du Conseil concernant la répartition des capacités d’infrastructures ferroviaires, la tarification de l’infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité, précitée à la note en bas de page 15 ci-dessus, ces conditions étaient expressément énoncées ; voir article 13 de la directive 2001/14.

( 26 ) Voir, arrêt du 10 avril 1984, von Colson et Kamann (14/83, EU:C:1984:153, point 26).

( 27 ) Voir note en bas de page 21 ci-dessus.

( 28 ) L’article 8, paragraphe 2, de la directive 2001/14 prévoit que « [p]our des projets d’investissement spécifiques qui seront réalisés à l’avenir ou dont la réalisation ne remonte pas à plus de quinze ans avant l’entrée en vigueur de la présente directive, le gestionnaire de l’infrastructure peut fixer ou maintenir des redevances plus élevées basées sur le coût à long terme de tels projets, pour autant qu’il s’agisse de projets améliorant le rendement et/ou la rentabilité qui, dans le cas contraire, ne pourraient pas ou n’auraient pas pu être mis en œuvre. De tels arrangements en matière de tarification peuvent également comporter des accords sur le partage des risques liés à de nouveaux investissements ».

( 29 ) Voir, en ce sens, arrêts du 28 février 2013, Commission/Espagne (C‑483/10, EU:C:2013:114, point 44), et du 3 octobre 2013, Commission/Italie (C‑369/11, EU:C:2013:636, point 43).

( 30 ) Voir arrêts du 28 février 2013, Commission/Espagne (C‑483/10, EU:C:2013:114, point 39), et du 3 octobre 2013, Commission/Italie (C‑369/11, EU:C:2013:636, points 41 et 42).

( 31 ) Voir arrêts du 28 février 2013, Commission/Espagne (C‑483/10, EU:C:2013:114, point 44), et du 3 octobre 2013, Commission/Italie (C‑369/11, EU:C:2013:636, points 43).

( 32 ) Voir arrêts du 28 février 2013, Commission/Espagne (C‑483/10, EU:C:2013:114), et du 3 octobre 2013, Commission/Italie (C‑369/11, EU:C:2013:636).

( 33 ) L’article 30, paragraphe 1, de la directive 2001/14 prévoit ceci : « [s]ans préjudice des dispositions de l’article 21, paragraphe 6, les États membres instituent un organisme de contrôle. Cet organisme, qui peut être le ministère chargé des questions de transports ou tout autre organisme, est indépendant des gestionnaires d’infrastructure, des organismes de tarification, des organismes de répartition et des candidats, sur le plan organisationnel, juridique, décisionnel et pour ce qui est décisions en matière financière. Cet organisme fonctionne conformément aux principes énoncés au présent article, les fonctions de recours et de contrôle pouvant être attribuées à des organismes séparés ».

( 34 ) La notion de « candidat » est définie à l’article 2, sous b), de la directive 2001/14, comme « toute entreprise ferroviaire agréée et/ou tout regroupement international d’entreprises ferroviaires titulaires d’une licence et, dans les États membres qui prévoient cette possibilité, d’autres personnes physiques ou morales ou entités ayant des raisons commerciales ou de service public d’acquérir des capacités de l’infrastructure pour l’exploitation d’un service ferroviaire sur leurs territoires respectifs […] ».

( 35 ) Mise en italique par mes soins.

( 36 ) Aux termes de l’article 30, paragraphe 3, de la directive 2001/14, « [l]’organisme de contrôle veille à ce que les redevances fixées par le gestionnaire de l’infrastructure soient conformes aux dispositions du chapitre II et non discriminatoires ».

( 37 ) Voir paragraphes 40 à 46 ci-dessus.

( 38 ) Mise en italique par mes soins.

( 39 ) Je souligne que, dans ses réponses aux questions écrites posées par la Cour, le gouvernement allemand a précisé que la compétence de l’organisme de contrôle allemand, et donc des juridictions administratives qui exercent un contrôle de légalité sur les décisions de cet organisme, est limitée au rétablissement de la légalité pour l’avenir et que les affaires qui concernent des situations passées sont traitées par les juridictions civiles. L’article 14f, paragraphes 1, de l’AEG dispose que l’organisme de réglementation peut contrôler d’office les conditions d’utilisation du réseau ferré et les conditions d’utilisation des installations de services, ainsi que les dispositions concernant le montant ou la structure des redevances d’utilisation et autres redevances des entreprises gestionnaires de l’infrastructure ferroviaire. Il peut, pour l’avenir, soit contraindre les entreprises gestionnaires de l’infrastructure ferroviaire à modifier, selon ses indications, lesdites conditions ou les règles de tarification, soit les annuler, dans la mesure où elles violent les dispositions de la réglementation ferroviaire concernant l’accès à l’infrastructure ferroviaire. Le paragraphe 2 de ce même article prévoit que, faute d’accord concernant l’accès au réseau ferré ou concernant un accord-cadre, les décisions de l’entreprise d’infrastructure ferroviaire peuvent être contrôlées par l’organisme de réglementation sur demande ou d’office. Les demandes en ce sens peuvent être formulées par les titulaires d’une autorisation d’accès dont le droit d’accéder à l’infrastructure ferroviaire peut être affecté. Le contrôle peut en particulier porter sur le montant et la structure des redevances d’utilisation et des autres redevances.

( 40 ) Contrairement à la directive 2001/14, la directive 2012/34 reconnaît désormais de manière explicite, à son article 56, paragraphe 2, que les compétences de l’organisme de contrôle sont sans préjudice de celles de l’autorité nationale de concurrence.

( 41 ) Je relève, par ailleurs, que la directive 2012/34 autorise également les parlements nationaux de certains États membres à revoir le niveau des tarifs fixés par le gestionnaire de l’infrastructure, en vue d’assurer que les redevances sont « conformes à la présente directive ainsi qu’au cadre de tarification et aux règles de tarification établis » ; voir article 29, paragraphe 1, cinquième alinéa, de cette directive.

( 42 ) Au point 107 de ses conclusions (C-545/10, ECLI:EU:C:2012:791), l’avocat général Jääskinen avait notamment insisté sur l’unicité de l’organisme prévu à l’article 30 de la directive 2001/14. La Cour, quant à elle, s’est bornée à affirmer que « l’article 30 de la directive 2001/14 doit être interprété en ce sens que les décisions administratives adoptées par l’organisme de contrôle ne peuvent faire l’objet que d’un contrôle juridictionnel » ; voir point 104 de l’arrêt du 11 juillet 2013, Commission/République tchèque (C‑545/10, EU:C:2013:509).

( 43 ) Cette disposition prévoit que « [l]es négociations entre le candidat et un gestionnaire de l’infrastructure concernant le niveau des redevances d’utilisation de l’infrastructure ne sont autorisées que si elles ont lieu sous l’égide de l’organisme de contrôle. L’organisme de contrôle intervient immédiatement si les négociations sont susceptibles de contrevenir aux dispositions de la présente directive ».

( 44 ) Voir, notamment, l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2002/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications électroniques (directive « cadre ») (JO 2002, L 108, p. 33).

( 45 ) Voir, par analogie, arrêt du 13 octobre 2016, Polkomtel (C‑231/15, EU:C:2016:769, point 22), ainsi que point 48 des conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Koninklijke KPN e.a. (C‑28/15, EU:C:2016:310).

( 46 ) Voir, notamment, considérants 5 et 11 de la directive 2001/14.

( 47 ) Je relève, à cet égard, que, dans ses réponses aux questions écrites posées par la Cour, le gouvernement allemand a précisé que, en vertu d’une jurisprudence du Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne), il est interdit à l’organisme de réglementation, et donc aux juridictions administratives, de se prononcer sur l’application individuelle de conditions d’utilisation dans les relations bilatérales entre le candidat et le gestionnaire du réseau ferroviaire, et que les décisions de cet organisme s’appliquent toujours à tous les utilisateurs.