ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

11 juin 2015 ( *1 )

«Manquement d’État — Santé publique — Directive 2004/23/CE — Directive 2006/17/CE — Directive 2006/86/CE — Exclusion des cellules reproductrices, des tissus fœtaux et des tissus embryonnaires du champ d’application d’une réglementation nationale transposant lesdites directives»

Dans l’affaire C‑29/14,

ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 258 TFUE, introduit le 21 janvier 2014,

Commission européenne, représentée par Mmes C. Gheorghiu et M. Owsiany-Hornung, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

République de Pologne, représentée par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,

partie défenderesse,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič, président de chambre, M. A. Ó Caoimh, Mme C. Toader, MM. E. Jarašiūnas et C. G. Fernlund (rapporteur), juges,

avocat général: M. M. Wathelet,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

Par sa requête, la Commission européenne demande à la Cour de constater que, en omettant d’inclure les cellules reproductrices et les tissus fœtaux et embryonnaires dans le domaine d’application des dispositions de droit national transposant la directive 2004/23/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à l’établissement de normes de qualité et de sécurité pour le don, l’obtention, le contrôle, la transformation, la conservation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains (JO L 102, p. 48), la directive 2006/17/CE de la Commission, du 8 février 2006, portant application de la directive 2004/23/CE du Parlement européen et du Conseil concernant certaines exigences techniques relatives au don, à l’obtention et au contrôle de tissus et de cellules d’origine humaine (JO L 38, p. 40), et la directive 2006/86/CE de la Commission, du 24 octobre 2006, portant application de la directive 2004/23/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences de traçabilité, la notification des réactions et incidents indésirables graves, ainsi que certaines exigences techniques relatives à la codification, à la transformation, à la conservation, au stockage et à la distribution des tissus et cellules d’origine humaine (JO L 294, p. 32) (ci-après, ensemble, les «directives en cause»), la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 31 de la directive 2004/23, des articles 3, sous b), 4, paragraphe 2, et 7 de la directive 2006/17, de l’annexe III de cette dernière directive ainsi que de l’article 11 de la directive 2006/86.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2004/23

2

Les considérants 1, 2 et 4 de la directive 2004/23 sont rédigés comme suit:

«(1)

La transplantation de tissus et cellules humains est un secteur de la médecine en forte croissance, offrant des possibilités importantes pour le traitement de maladies jusqu’à présent incurables. Il convient d’assurer la qualité et la sécurité des substances concernées, notamment afin de prévenir la transmission de maladies.

(2)

La disponibilité des tissus et cellules humains utilisés à des fins thérapeutiques dépend des citoyens de la Communauté qui sont disposés à en faire le don. Afin de préserver la santé publique et de prévenir la transmission de maladies infectieuses par ces tissus et cellules, toutes les mesures de sécurité doivent être prises lors de leur don, de leur obtention, de leur contrôle, de leur transformation, de leur conservation, de leur stockage, de leur distribution et de leur utilisation.

[...]

(4)

Il y a urgence à mettre en place un cadre unifié en vue de garantir des normes élevées de qualité et de sécurité en ce qui concerne l’obtention, le contrôle, la transformation, le stockage et la distribution des tissus et cellules dans la Communauté et de faciliter les échanges de tissus et de cellules pour les patients qui reçoivent ce type de traitement chaque année. Il est donc essentiel que des dispositions communautaires garantissent que les tissus et cellules humains, quel que soit l’usage auquel ils sont destinés, présentent un niveau comparable de qualité et de sécurité. L’établissement de telles normes contribuera donc à rassurer la population quant au fait que les tissus et cellules humains obtenus dans un autre État membre comportent, néanmoins, les mêmes garanties que ceux qui proviennent de leur propre pays.»

3

Selon le considérant 7 de ladite directive, celle-ci devrait «s’appliquer [...] aux cellules reproductrices (ovules, spermatozoïdes), aux tissus et cellules fœtaux et aux cellules souches adultes et embryonnaires».

4

L’article 31 de cette même directive, intitulé «Transposition», dispose:

«1.   Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 7 avril 2006. Ils en informent immédiatement la Commission.

Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres.

[...]

3.   Les États membres communiquent à la Commission le texte des dispositions de droit interne qu’ils ont déjà adoptées ou qu’ils adoptent dans le domaine régi par la présente directive.»

La directive 2006/17

5

L’article 3 de la directive 2006/17 prévoit:

«L’autorité compétente ou les autorités compétentes veillent à ce que les donneurs répondent aux critères de sélection établis à:

[...]

b)

l’annexe III pour les donneurs de cellules reproductrices.»

6

L’article 4 de ladite directive, intitulé «Examens de laboratoire requis pour les donneurs», dispose, à son paragraphe 2:

«L’autorité compétente ou les autorités compétentes s’assurent que:

a)

les donneurs de cellules reproductrices subissent les examens biologiques prévus aux points 1, 2 et 3 de l’annexe III;

b)

les examens visés au point a) ci-dessus sont réalisés conformément aux exigences générales établies au point 4 de l’annexe III.»

7

Aux termes de l’article 7 de cette même directive, intitulé «Transposition»:

«1.   Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive, au plus tard le 1er novembre 2006, et en informent immédiatement la Commission. Ils lui soumettent également un tableau de corrélation entre ces dispositions et la présente directive.

Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres.

2.   Les États membres communiquent à la Commission le texte des principales dispositions de droit interne qu’ils adoptent dans le domaine régi par la présente directive.»

8

L’annexe III de la directive 2006/17 fixe les critères de sélection et les examens de laboratoire requis pour les donneurs de cellules reproductrices conformément aux articles 3, sous b), et 4, paragraphe 2, de cette directive.

La directive 2006/86

9

L’article 10 de la directive 2006/86, intitulé «Système de codification européen», énonce:

«1.   Un code d’identification européen unique est attribué à tous les produits de l’établissement de tissus et cellules, quels qu’ils soient, afin de garantir une identification adéquate du donneur et la traçabilité de tous les produits de l’établissement de tissus et cellules et de fournir des informations sur les principales caractéristiques et propriétés des tissus et des cellules. Le code comprend au minimum les informations mentionnées à l’annexe VII.

2.   Le paragraphe 1 ne s’applique pas aux dons de cellules reproductrices entre partenaires.»

10

L’article 11 de ladite directive, intitulé «Transposition», prévoit:

«1.   Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la présente directive au plus tard le 1er septembre 2007. Ils communiquent immédiatement à la Commission le texte de ces dispositions ainsi qu’un tableau de correspondance entre ces dispositions et la présente directive.

Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à l’article 10 de la présente directive au plus tard le 1er septembre 2008.

Lorsque les États membres adoptent ces dispositions, celles-ci contiennent une référence à la présente directive ou sont accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle. Les modalités de cette référence sont arrêtées par les États membres.

2.   Les États membres communiquent à la Commission le texte des dispositions essentielles de droit interne qu’ils adoptent dans le domaine couvert par la présente directive.»

Le droit polonais

11

Les directives en cause ont été transposées dans l’ordre juridique interne polonais principalement par la loi relative au prélèvement, à la conservation et à la transplantation de cellules, de tissus et d’organes (ustawa o pobieraniu, przechowywaniu i przeszczepianiu komórek, tkanek i narządów), du 1er juillet 2005 (Dz. U. de 2005, no 169, position 1411), ultérieurement modifiée (ci-après l’«acte principal de transposition»).

12

L’article 1er, paragraphe 2, point 1, de l’acte principal de transposition dispose que celui-ci ne s’applique pas «au prélèvement et à la transplantation de cellules reproductrices, de gonades, de tissus fœtaux et de tissus embryonnaires ainsi que d’organes reproducteurs et de leurs éléments».

13

La République de Pologne a également adopté, sur la base de l’acte principal de transposition, un ensemble d’actes d’application, parmi lesquels plusieurs arrêtés du ministre de la Santé, visant également à transposer en droit polonais la plupart des dispositions des directives en cause (ci-après les «actes d’application»). Ces actes d’application ne s’appliquent pas non plus aux prélèvements et aux transplantations des cellules et des tissus mentionnés au point 12 du présent arrêt.

La procédure précontentieuse

14

Après avoir constaté que l’acte principal de transposition ne s’appliquait ni aux cellules reproductrices ni aux tissus fœtaux et embryonnaires (ci-après les «tissus et cellules en cause»), la Commission a, par lettres des 14 février 2008 et 23 février 2009, invité la République de Pologne à présenter des éclaircissements sur ce qu’elle estimait être une transposition incomplète, dans l’ordre juridique interne, des directives en cause ainsi que sur l’état d’avancement de la transposition intégrale de ces directives.

15

Dans ses réponses auxdites lettres, la République de Pologne a, d’une part, confirmé que l’acte principal de transposition excluait les tissus et cellules en cause de son champ d’application et, d’autre part, informé la Commission de l’existence d’un projet de modification de cet acte, destiné à assurer la transposition intégrale de ces directives.

16

La République de Pologne n’ayant communiqué à la Commission ni le texte de ce projet de loi ni le calendrier des travaux relatifs à celui-ci, la Commission a, le 1er octobre 2010, adressé une lettre de mise en demeure à la République de Pologne. Le 28 février 2012, une mise en demeure complémentaire est parvenue à cet État membre, destinée à corriger une erreur figurant dans la première lettre de mise en demeure concernant une référence aux types de tissus et de cellules exclus du champ d’application de l’acte principal de transposition.

17

Entre-temps, ledit État membre avait communiqué à la Commission des informations concernant le calendrier des travaux relatifs à un projet de loi concernant la fécondation in vitro. Ce calendrier n’a pas été respecté.

18

Dans sa réponse du 27 avril 2012 à la mise en demeure complémentaire, la République de Pologne a fait parvenir à la Commission le texte d’un projet de loi portant modification de l’acte principal de transposition qui élargissait le champ d’application de celui-ci ainsi que neuf projets d’arrêtés d’application et un calendrier indicatif mis à jour concernant l’entrée en vigueur desdits arrêtés d’application. Les délais prévus dans ce calendrier n’ont pas non plus été respectés.

19

La Commission a, le 25 janvier 2013, adressé un avis motivé à la République de Pologne, en invitant cette dernière à prendre les mesures nécessaires pour se conformer, dans un délai de deux mois, à ses obligations découlant des directives en cause.

20

Par lettre du 20 mars 2013, ledit État membre a répondu à l’avis motivé en indiquant que la réglementation détaillée relative aux tissus et cellules en cause était encore en cours d’élaboration.

21

Dans ces conditions, la Commission a décidé d’introduire le présent recours.

Sur le recours

Argumentation des parties

22

La Commission fait valoir que la transposition en droit polonais des directives en cause est incomplète, étant donné que les textes adoptés par la République de Pologne pour assurer cette transposition excluent de leur champ d’application les tissus et cellules en cause. Du reste, en indiquant que les dispositions de ces directives sont, en ce qui concerne les tissus et cellules en cause, dans une large mesure, appliquées dans la pratique clinique quotidienne, la République de Pologne admettrait implicitement mais nécessairement que la mise en œuvre de ces dispositions dans l’ordre juridique interne n’est que partielle. En tout état de cause, selon la Commission, il est incontestable que des actes contraignants, clairs et précis assurant la transposition intégrale desdites directives ne sont pas entrés en vigueur dans le délai fixé dans l’avis motivé.

23

La République de Pologne conteste le manquement allégué et fait valoir que la Commission n’a pas établi l’existence de ce dernier.

24

La République de Pologne soutient que, en dépit de l’exclusion des tissus et cellules en cause du champ d’application de l’acte principal de transposition, la législation en vigueur dans l’ordre juridique interne garantit, en ce qui concerne ces tissus et cellules, une exécution en bonne et due forme des obligations résultant des directives en cause. Afin d’étayer ce constat, elle invoque l’existence d’une vingtaine d’actes, notamment des lois qui réglementent des professions médicales, la délivrance de certains soins de santé, la médecine de laboratoire, les droits des patients et la protection des données à caractère personnel ainsi que divers arrêtés du ministre de la Santé, un programme adopté par ce même ministre, intitulé «Traitement de l’infertilité par fécondation in vitro pour les années 2013–2016», et diverses normes adoptées par des organisations nationales de praticiens en médecine.

25

À cet égard, la République de Pologne fait valoir que les objectifs que les directives en cause définissent doivent être réalisés par des organismes professionnels chargés de fournir des soins médicaux et auxquels doivent être adressées des réglementations adéquates. Par conséquent, contrairement au cas des directives qui visent à créer des droits spécifiques pour les particuliers et dont la mise en œuvre exige l’adoption d’un acte unique de valeur législative, il serait admissible d’assurer l’effectivité des directives en cause au moyen de réglementations relevant du domaine médical, y compris des réglementations extra-législatives adoptées par des organisations nationales de praticiens en médecine. En outre, ces normes médicales, même dépourvues de valeur législative, seraient suffisamment incorporées au système juridique polonais, comme en témoignerait le fait que la loi sur les professions de médecin et de médecin-dentiste fait obligation aux médecins d’exercer leur profession dans le respect des règles de l’art et avec une diligence raisonnable, ou le fait que la responsabilité pénale et disciplinaire des médecins peut être engagée en cas de méconnaissance desdites normes médicales.

26

La Commission considère que l’argumentation de la République de Pologne devant la Cour est en contradiction avec celle que cet État membre a présentée dans le cadre de la procédure précontentieuse. En effet, ce dernier n’expliquerait pas en quoi la transposition des directives en cause au moyen d’une loi spécifique, à savoir l’acte principal de transposition, aurait été nécessaire pour certains tissus et cellules et non pour d’autres. En tout état de cause, à supposer que la transposition, en ce qui concerne les tissus et cellules en cause, aurait pu effectivement être réalisée sur la base de dispositions spécifiques ou à travers le «contexte juridique général», l’exclusion expresse de ces tissus et cellules du champ d’application de l’acte principal de transposition et l’absence de réglementation spécifique les concernant conduiraient à une insécurité juridique manifeste.

27

La Commission conteste que les actes auxquels la République de Pologne fait référence dans son mémoire en défense et qui, au demeurant, ne lui ont pas été communiqués dans le cadre de la procédure précontentieuse, aient pu assurer une transposition adéquate des directives en cause. En particulier, ni le programme adopté par le ministre de la Santé relativement au «Traitement de l’infertilité par fécondation in vitro pour les années 2013-2016» ni les algorithmes, préconisations, recommandations, exigences, lignes directrices ou indications, formulés par des organismes qui ne sont pas habilités à adopter des actes juridiques ne pourraient être qualifiés de dispositions impératives.

28

En outre, la Commission soutient que la République de Pologne n’a pas démontré que son contexte juridique général garantit effectivement la pleine application des directives en cause de façon suffisamment claire et précise.

29

À titre subsidiaire, la Commission répond aux arguments de la République de Pologne relatifs à la transposition de chacune des directives en cause, afin de réfuter leur pertinence. En substance, la Commission fait valoir que les actes dont se prévaut cet État membre pour prétendre qu’il aurait dûment exécuté les obligations résultant de ces directives soit n’ont pas un champ d’application approprié, soit ne contiennent pas de normes contraignantes qui correspondraient véritablement aux exigences particulières desdites directives.

30

En ce qui concerne l’argument de la Commission selon lequel les actes de transposition dont la République de Pologne se prévaut dans son mémoire en défense ne constitueraient pas des dispositions impératives, cet État membre rétorque qu’il convient de distinguer entre, d’une part, la pratique administrative, laquelle peut être modifiée librement et n’est pas toujours correctement diffusée, et, d’autre part, les procédures définies par le biais de normes médicales, qui fonctionnent comme un ensemble de règles écrites reposant sur des bases scientifiques et dont l’application ainsi que la validité sont largement admises par la profession médicale et les patients. S’agissant de ces normes, celles-ci constitueraient un cadre de référence écrit de procédures applicables à l’ensemble des personnes impliquées dans la fourniture de prestations de soins de santé et ne pourraient, en principe, être modifiées qu’en fonction du progrès des sciences médicales. Ainsi, contrairement à ce que prétend la Commission, lesdites normes ne pourraient pas être assimilées à une simple pratique administrative et considérées comme dépourvues, par elles-mêmes, de tout caractère contraignant. D’ailleurs, concernant le programme du ministre de la Santé intitulé «Traitement de l’infertilité par fécondation in vitro pour les années 2013-2016», celui-ci disposerait d’un ancrage législatif explicite et prévoirait l’organisation d’actions selon un plan déterminé fixant des priorités dans le cadre de l’élaboration de solutions en matière de protection de la santé.

Appréciation de la Cour

31

Il convient de relever d’emblée que la République de Pologne ne conteste pas que l’acte principal de transposition et les actes d’application, qui visaient à mettre en œuvre en droit polonais les directives en cause, n’ont pas assuré la transposition des dispositions de ces directives en ce que celles-ci concernent les tissus et cellules en cause. En revanche, elle fait valoir, en substance, que la transposition de ces dispositions à cet égard a été assurée par le biais d’un ensemble de textes émanant du pouvoir législatif, du pouvoir réglementaire ou même d’organisations nationales de praticiens en médecine.

32

À cet égard, il y a lieu de relever que la République de Pologne a invoqué ces mesures de transposition pour la première fois au stade du mémoire en défense, ce qui ne saurait se concilier avec l’obligation de coopération loyale qui incombe aux États membres au titre de l’article 4, paragraphe 3, TUE (voir, en ce sens, arrêt Commission/Espagne, C‑151/12, EU:C:2013:690, point 49).

33

En effet, la Cour a déjà constaté que, si, dans le cadre d’une procédure en manquement en vertu de l’article 258 TFUE, il incombe à la Commission d’apporter à la Cour les éléments nécessaires à la vérification par celle-ci de l’existence dudit manquement, il appartient également aux États membres, en vertu dudit article 4, paragraphe 3, TUE, de lui faciliter l’accomplissement de sa mission. En outre, l’information concernant la transposition d’une directive que les États membres sont tenus de fournir à la Commission doit être claire et précise, et elle doit indiquer sans ambiguïté quelles sont les mesures législatives, réglementaires et administratives au moyen desquelles l’État membre considère avoir rempli les différentes obligations que lui impose la directive. En l’absence d’une telle information, la Commission n’est pas en mesure de vérifier si l’État membre a réellement et complètement mis en application la directive. Le manquement d’un État membre à cette obligation, que ce soit par une absence totale d’information ou par une information insuffisamment claire et précise, peut justifier, à lui seul, l’ouverture de la procédure de l’article 258 TFUE visant à la constatation de ce manquement (voir, en ce sens, arrêt Commission/Italie, C‑456/03, EU:C:2005:388, points 26 et 27).

34

Toutefois, en l’espèce, il convient d’observer que, bien que les mesures de transposition invoquées par la République de Pologne au stade du mémoire en défense n’aient pas été mentionnées par celle-ci au cours de la procédure précontentieuse, le présent recours a pour objet un manquement non pas à l’obligation d’information, mais à l’obligation de transposer les directives en cause dans le droit interne polonais, en ce qui concerne les tissus et cellules en cause. Il s’ensuit que le seul fait que la République de Pologne a omis d’informer la Commission, au cours de la procédure précontentieuse, de ce que, selon elle, ces directives avaient déjà fait l’objet d’une transposition complète dans le droit interne en vigueur ne saurait suffire à établir le manquement allégué (voir, en ce sens, arrêt Commission/Pologne, C‑478/13, EU:C:2014:2253, point 33 et jurisprudence citée).

35

Par voie de conséquence, pour autant que les actes invoqués par la République de Pologne dans son mémoire en défense étaient en vigueur à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé, ils doivent être pris en compte par la Cour pour apprécier la réalité de ce manquement (arrêt Commission/Pologne, C‑478/13, EU:C:2014:2253, point 34 et jurisprudence citée).

36

En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que l’ensemble desdits actes, à l’exception de l’arrêté du ministre de la Santé du 14 juin 2013 relatif à la création d’un registre de la procréation médicalement assistée, était en vigueur à l’expiration du délai fixé dans l’avis motivé. Il y a donc lieu de vérifier si ces actes peuvent être considérés comme ayant assuré une transposition des directives en cause, en ce qui concerne les tissus et cellules en cause, comme le soutient la République de Pologne.

37

À cet égard, il convient de rappeler qu’il découle d’une jurisprudence constante que les dispositions d’une directive doivent être mises en œuvre avec une force contraignante incontestable ainsi qu’avec la spécificité, la précision et la clarté requises, afin que soit satisfaite l’exigence de sécurité juridique (voir, notamment, arrêt Commission/Grèce, C‑81/07, EU:C:2008:172, point 19 et jurisprudence citée). Ce principe de sécurité juridique exige une publicité adéquate pour les mesures nationales adoptées en application d’une réglementation de l’Union de manière à permettre que les sujets de droit concernés par de telles mesures seront à même de connaître l’étendue de leurs droits et obligations dans le domaine particulier régi par le droit de l’Union (arrêt Commission/Belgique, C‑415/01, EU:C:2003:118, point 21).

38

Il n’en demeure pas moins que, selon les termes mêmes de l’article 288, troisième alinéa, TFUE, les États membres bénéficient du choix de la forme et des moyens de mise en œuvre des directives permettant de garantir au mieux le résultat auquel ces dernières tendent. Il ressort également de cette disposition que la transposition en droit interne d’une directive n’exige pas nécessairement une action législative dans chaque État membre. Ainsi, une reprise formelle des prescriptions d’une directive dans une disposition légale expresse et spécifique n’est pas toujours requise, la mise en œuvre d’une directive pouvant, en fonction du contenu de celle-ci, se satisfaire d’un contexte juridique général. En particulier, l’existence de principes généraux de droit constitutionnel ou administratif peut rendre superflue la transposition par des mesures législatives ou réglementaires spécifiques à condition, toutefois, que ces principes garantissent effectivement la pleine application de la directive par l’administration nationale et que, au cas où la disposition en cause de la directive vise à créer des droits pour les particuliers, la situation juridique découlant de ces principes soit suffisamment précise et claire et que les bénéficiaires soient mis en mesure de connaître la plénitude de leurs droits et obligations ainsi que, le cas échéant, de s’en prévaloir devant les juridictions nationales (voir, notamment, arrêt Commission/France, C‑296/01, EU:C:2003:626, point 55 et jurisprudence citée).

39

C’est à la lumière de cette jurisprudence qu’il convient d’examiner le grief de la Commission.

40

Tout d’abord, la Cour a déjà constaté qu’il importe, dans chaque cas d’espèce, de déterminer la nature des dispositions, prévues par une directive, sur lesquelles porte le recours en manquement en vue de mesurer l’étendue de l’obligation de transposition incombant aux États membres (arrêt Commission/Luxembourg, C‑32/05, EU:C:2006:749, point 36).

41

En l’espèce, il convient de noter que les directives en cause se caractérisent par leur contenu hautement technique et par le fait qu’elles imposent des obligations très précises aux États membres dans le but d’assurer une protection élevée de la santé publique.

42

La République de Pologne fait néanmoins valoir que le contexte juridique général existant en Pologne est suffisant pour permettre la réalisation des objectifs poursuivis par lesdites directives et insiste, dans son mémoire en duplique, sur le fait que les dispositions qui, dans ces directives, sont relatives aux tissus et cellules en cause ne créent pas de droits pour les patients, mais visent à assurer la sécurité et la protection de ces derniers lorsque ces tissus et cellules sont manipulés. À cet égard, cet État membre soutient que, du point de vue de la protection des intérêts légaux du patient, il importe avant tout que celui-ci, sur la base de la législation nationale, puisse disposer de moyens appropriés dans le cas où il est porté atteinte à ses droits et à sa sécurité.

43

Or, il découle des considérants 1, 2 et 4 de la directive 2004/23 que les directives en cause, prises dans leur ensemble, visent à assurer une protection élevée de la santé publique, dans la mesure où elles sont destinées à mettre en place un cadre unifié en vue de garantir des normes élevées de qualité et de sécurité en ce qui concerne l’obtention, le contrôle, la transformation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains, afin, notamment, de prévenir la transmission de maladies.

44

Les directives en cause visent également à imposer un certain nombre d’obligations spécifiques aux personnes et aux établissements qui utilisent des tissus ou cellules humains régis par ces directives. À cet égard, l’article 27 de la directive 2004/23 prévoit que les dispositions nationales prises en application de celle-ci doivent faire l’objet d’un régime de sanctions effectives, proportionnées et dissuasives.

45

En l’occurrence, il est constant que l’acte principal de transposition exclut expressément les tissus et cellules en cause de son champ d’application, cette lacune étant toutefois, selon la République de Pologne, comblée par l’existence de plusieurs actes déjà en vigueur dans l’ordre juridique national.

46

Toutefois, il convient de constater que certains desdits actes ne constituent, selon leurs intitulés mêmes, que des «lignes directrices» ou «recommandations» et, dès lors, ne sont pas revêtus de la force contraignante incontestable exigée par la jurisprudence rappelée au point 37 du présent arrêt.

47

En plus, il ressort des mémoires déposés par la République de Pologne devant la Cour que les actes, dont cet État membre se prévaut pour prétendre qu’elle a dûment transposé les directives en cause, sont de natures juridiques diverses et comprennent tant des actes non contraignants que des dispositions généralement applicables dans les domaines du droit pénal et du droit civil. Or, eu égard à la portée spécifique des obligations édictées par les directives en cause et à l’objectif de protection de la santé publique qu’elles poursuivent, la transposition de ces directives par une multiplicité d’actes combinée à l’exclusion de certains types de tissus et de cellules du champ d’application de l’acte principal de transposition, alors même que ceux-ci relèvent desdites directives, ne correspond pas aux exigences de spécificité, de précision et de clarté, qui découlent de la jurisprudence rappelée au point 37 du présent arrêt. Dans ces circonstances, les sujets de droit concernés par le cadre unifié prévu par les directives en cause ne sont pas mis en mesure, sur la seule base de ces mêmes actes, de connaître la plénitude de leurs droits et obligations avec la sécurité juridique requise par la jurisprudence de la Cour.

48

Force est ainsi de constater que la République de Pologne n’a pas démontré qu’une transposition desdites directives par l’adoption des mesures législatives ou réglementaires spécifiques aurait été superflue en ce qui concerne les tissus et cellules en cause.

49

Enfin, il était en tout état de cause nécessaire pour la République de Pologne d’adopter un acte positif de transposition, étant donné que l’article 31 de la directive 2004/23, l’article 7 de la directive 2006/17 et l’article 11 de la directive 2006/86 prévoient expressément l’obligation pour les États membres d’assurer que les dispositions de transposition de ces directives contiennent une référence à celles-ci ou soient accompagnées d’une telle référence lors de leur publication officielle (voir, en ce sens, arrêt Commission/Espagne, C‑360/95, EU:C:1997:624, point 13).

50

Il y a lieu, en l’espèce, de constater que, s’agissant des tissus et cellules en cause, la République de Pologne n’a pas respecté cette obligation.

51

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que, en omettant d’inclure les cellules reproductrices et les tissus fœtaux et embryonnaires dans le domaine d’application des dispositions de droit national transposant les directives en cause, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 31 de la directive 2004/23, des articles 3, sous b), 4, paragraphe 2, et 7 de la directive 2006/17, de l’annexe III de cette dernière directive ainsi que de l’article 11 de la directive 2006/86.

Sur les dépens

52

Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République de Pologne et cette dernière ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

 

1)

En omettant d’inclure les cellules reproductrices et les tissus fœtaux et embryonnaires dans le domaine d’application des dispositions de droit national transposant la directive 2004/23/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à l’établissement de normes de qualité et de sécurité pour le don, l’obtention, le contrôle, la transformation, la conservation, le stockage et la distribution des tissus et cellules humains, la directive 2006/17/CE de la Commission, du 8 février 2006, portant application de la directive 2004/23/CE du Parlement européen et du Conseil concernant certaines exigences techniques relatives au don, à l’obtention et au contrôle de tissus et de cellules d’origine humaine, et la directive 2006/86/CE de la Commission, du 24 octobre 2006, portant application de la directive 2004/23/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences de traçabilité, la notification des réactions et incidents indésirables graves, ainsi que certaines exigences techniques relatives à la codification, à la transformation, à la conservation, au stockage et à la distribution des tissus et cellules d’origine humaine, la République de Pologne a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l’article 31 de la directive 2004/23, des articles 3, sous b), 4, paragraphe 2, et 7 de la directive 2006/17, de l’annexe III de cette dernière directive ainsi que de l’article 11 de la directive 2006/86.

 

2)

La République de Pologne est condamnée aux dépens.

 

Signatures


( *1 )   Langue de procédure: le polonais.