ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
28 novembre 2013 ( *1 )
«Pourvoi — Accès aux documents des institutions — Règlement (CE) no 1049/2001 — Exceptions au droit d’accès — Article 4, paragraphe 1, sous a), premier et troisième tirets — Sécurité publique — Relations internationales»
Dans l’affaire C‑576/12 P,
ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 3 décembre 2012,
Ivan Jurašinović, demeurant à Angers (France), représenté par Me N. Amara-Lebret, avocate,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant:
Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme K. Pellinghelli et M. B. Driessen, en qualité d’agents,
partie défenderesse en première instance,
LA COUR (première chambre),
composée de M. A. Tizzano (rapporteur), président de chambre, MM. A. Borg Barthet, E. Levits, Mme M. Berger et M. S. Rodin, juges,
avocat général: Mme E. Sharpston,
greffier: M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
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Par son pourvoi, M. Jurašinović demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 3 octobre 2012, Jurašinović/Conseil (T‑465/09, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à obtenir l’annulation de la décision du Conseil de l’Union européenne du21 septembre 2009 (ci-après la «décision litigieuse») accordant un accès partiel à certains des rapports établis par les observateurs de l’Union européenne présents en Croatie, dans la région de Knin, entre le 1er août et le 31 août 1995 (ci-après les «rapports»). |
Le cadre juridique
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L’article 2, paragraphe 5, du règlement (CE) no 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43), prévoit: «Les documents qualifiés de sensibles selon la définition figurant à l’article 9, paragraphe 1, font l’objet d’un traitement particulier tel que prévu par cet article.» |
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L’article 4, paragraphe 1, sous a), de ce règlement est rédigé dans les termes suivants: «Les institutions refusent l’accès à un document dans le cas où la divulgation porterait atteinte à la protection:
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L’article 9 dudit règlement, intitulé «Traitement des documents sensibles», dispose, à son paragraphe 1: «Les documents sensibles sont des documents émanant des institutions ou des agences créées par elles, des États membres, de pays tiers ou d’organisations internationales, classifiés ‘TRÈS SECRET/TOP SECRET’, ‘SECRET’ ou ‘CONFIDENTIEL’ en vertu des règles en vigueur au sein de l’institution concernée protégeant les intérêts fondamentaux de l’Union européenne ou d’un ou plusieurs de ses États membres dans les domaines définis à l’article 4, paragraphe 1, point a), en particulier la sécurité publique, la défense et les questions militaires.» |
Les antécédents du litige
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Par courrier du 4 mai 2009, M. Jurašinović, s’appuyant sur sa qualité de citoyen de l’Union, de nationalité française, a, sur le fondement du règlement no 1049/2001, demandé au Conseil l’accès à 205 rapports ainsi qu’à des documents référencés «ECMM RC Knin Log reports», établis dans le cadre d’une mission de surveillance de la Communauté européenne en Croatie (ci-après l’«ECMM») accomplie lors des conflits dans l’ex-Yougoslavie. |
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Le Conseil, par la décision litigieuse, n’a accordé qu’un accès partiel à huit rapports. |
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Le Conseil a justifié son refus de divulguer les documents référencés «ECMM RC Knin Log reports» par le fait qu’il ne détenait aucun document ainsi référencé. |
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Quant aux autres rapports dont la communication était demandée, le Conseil a invoqué comme motifs de refus de divulgation les exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier et troisième tirets, du règlement no 1049/2001. |
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Plus particulièrement, le Conseil a considéré, tout d’abord, que la publication de la totalité des rapports aurait porté atteinte aux intérêts de l’Union, en mettant en danger les relations internationales de l’Union et celles de ses États membres avec la région d’Europe concernée ainsi que la sécurité publique, notamment la sécurité et l’intégrité physique des observateurs, des témoins et d’autres sources d’information, dont l’identité et les appréciations auraient été révélées par la divulgation des rapports concernés. |
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Ensuite, le Conseil a estimé que ces rapports «conservaient un niveau élevé de sensibilité, malgré l’écoulement d’une période de quatorze années depuis le déroulement des faits qui y étaient relatés». |
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Enfin, en réponse à un argument de M. Jurašinović selon lequel les documents demandés avait déjà été divulgués, le Conseil a reconnu qu’il avait communiqué au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, créé par l’Organisation des Nations unies (ci-après le «TPIY»), les rapports en question, dans le cadre de l’affaire Gotovina et consorts, pendante devant ce Tribunal. Toutefois, cette communication aurait été effectuée en application du principe de coopération internationale avec un tribunal international et non pas sur le fondement du règlement no 1049/2001. |
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
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Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 novembre 2009, M. Jurašinović a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse. Les trois moyens sur lesquels s’appuyait ce recours ont tous été rejetés par le Tribunal. |
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En premier lieu, le Tribunal a, aux points 42 et 43 de l’arrêt attaqué, rejeté le premier moyen de M. Jurašinović, selon lequel la neutralité alléguée des rapports, découlant du fait que l’ECMM n’était pas une partie au conflit dans l’ex-Yougoslavie, aurait dû permettre l’accès aux documents demandés. En particulier, le Tribunal a estimé que cette circonstance, à la supposer établie, n’avait aucune incidence sur le point de savoir si la divulgation des rapports était ou non susceptible de porter atteinte à la protection de l’intérêt public en ce qui concerne les relations internationales, les rapports contenant des appréciations et des analyses de la situation politique, militaire et de sécurité dans la zone de Knin, au cours du mois d’août 1995. Dès lors, si le contenu de ces rapports avait été divulgué, il aurait été susceptible, d’une part, de porter atteinte aux politiques de l’Union visant à contribuer à la paix, à la stabilité et à une réconciliation régionale durable dans cette région d’Europe, et, d’autre part, de créer une situation qui eût affaibli la confiance des États des Balkans occidentaux dans le processus d’intégration engagé à l’égard de l’Union. |
14 |
En deuxième lieu, le Tribunal a, aux points 50 et 51 de l’arrêt attaqué, rejeté le deuxième moyen de M. Jurašinović, selon lequel les rapports auraient dû être divulgués, étant donné qu’ils n’avaient pas préalablement été qualifiés de «sensibles» au sens de l’article 9 du règlement no 1049/2001. Le Tribunal a relevé, à cet égard, qu’il ne résulte ni de cette disposition, ni de l’article 4 dudit règlement que l’absence d’une telle qualification pour un document interdise à l’institution concernée d’en refuser l’accès en raison du risque d’atteinte à la protection de l’intérêt public en ce qui concerne les relations internationales, dans le cas où le document sollicité contiendrait des éléments sensibles. |
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En troisième lieu, le Tribunal a, aux points 55 à 63 de l’arrêt attaqué, rejeté le troisième moyen de M. Jurašinović, selon lequel le Conseil aurait divulgué antérieurement les rapports au TPIY, dans le cadre de l’affaire Gotovina et consorts, sur le fondement du règlement no 1049/2001, et non pas en vertu du principe de coopération internationale, qui n’existerait pas. Le Tribunal a relevé, à cet égard, que l’ensemble des archives de l’ECMM avait été transmis au TPIY dans les années 90 pour permettre au procureur du TPIY d’engager des poursuites contre les personnes supposées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991. Pour la même raison, le Conseil aurait transmis au procureur, dans le cadre de ladite affaire, en application de l’article 70 B du règlement de procédure et de preuve du TPIY, 48 des rapports visés par la demande d’accès de M. Jurašinović. En tout état de cause, le Tribunal a constaté que le recours en annulation intenté par M. Jurašinović ne portait pas sur la légalité de la décision du Conseil autorisant la communication de ces 48 rapports. En outre, aucun élément du dossier ne permettrait de supposer que le Conseil a communiqué lesdits 48 rapports à M. Gotovina à la suite d’une demande d’accès présentée sur le fondement du règlement no 1049/2001. |
Les conclusions des parties
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M. Jurašinović demande à la Cour:
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Le Conseil conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de M. Jurašinović aux dépens. |
Sur le pourvoi
18 |
M. Jurašinović invoque trois moyens au soutien de son pourvoi. |
Sur le premier moyen
Argumentation des parties
19 |
Par son premier moyen, M. Jurašinović fait valoir en substance que le Tribunal, dans la mesure où il a statué sur le recours en annulation sans avoir préalablement procédé à la consultation et à l’examen des documents en question, n’a pas respecté l’«équité du procès». |
20 |
Selon le Conseil, ce moyen est, tout d’abord, manifestement irrecevable, en ce que M. Jurašinović a omis d’identifier la règle juridique qui aurait été violée. |
21 |
En outre, le Conseil soutient que, en tout état de cause, aucune règle n’oblige le Tribunal, avant de statuer sur un recours tendant à l’annulation d’une décision de refus d’accès à des documents dont l’accès est demandé, soit à demander la production de ces documents, soit à les examiner. En effet, ni la jurisprudence, ni les dispositions du règlement de procédure du Tribunal concernant les mesures d’organisation et d’instruction n’imposeraient une obligation en ce sens, le Tribunal disposant à cet égard de la faculté de demander la production desdits documents. |
Appréciation de la Cour
22 |
Il convient de relever d’emblée que, contrairement à ce que fait valoir le Conseil, il ressort des arguments avancés par M. Jurašinović que celui-ci a clairement allégué la violation du droit à un procès équitable, découlant notamment du défaut d’examen par le Tribunal des documents demandés. Il s’ensuit que le premier moyen est recevable. |
23 |
S’agissant du fond, il y a lieu de vérifier si, comme le prétend M. Jurašinović, le Tribunal était tenu d’ordonner la production des documents demandés afin de statuer sur le recours en annulation. |
24 |
Or, force est de constater à cet égard qu’aucune règle de procédure du Tribunal n’impose une telle obligation. |
25 |
En effet, comme l’a relevé à juste titre le Conseil, les dispositions du règlement de procédure du Tribunal relatives aux mesures d’organisation et d’instruction, notamment les articles 64, paragraphe 3, sous d), 65, sous b), et 67, paragraphe 3, dudit règlement, se bornent à prévoir que le Tribunal peut, le cas échéant, être amené à prendre connaissance d’un document dont l’accès a été refusé au public, en demandant à l’institution concernée la production de ce document. |
26 |
Par ailleurs, il convient d’ajouter, à cet égard, que la légalité d’une décision refusant l’accès à des documents, telle que celle en cause en l’espèce, doit en principe être appréciée au regard des motifs sur le fondement desquels elle a été adoptée, plutôt que du seul contenu des documents sollicités. |
27 |
Certes, lorsque le requérant met en cause la légalité d’une décision lui refusant l’accès à un document en application de l’une des exceptions prévues à l’article 4 du règlement no 1049/2001, en alléguant que l’exception invoquée par l’institution concernée n’était pas applicable au document sollicité, le Tribunal est tenu d’ordonner la production de ce document et d’examiner celui-ci, dans le respect de la protection juridictionnelle dudit requérant. En effet, faute d’avoir lui-même consulté ledit document, le Tribunal ne serait pas en mesure d’apprécier in concreto si l’accès à ce document pouvait valablement être refusé par ladite institution sur le fondement de l’exception invoquée et, par voie de conséquence, d’apprécier la légalité d’une décision refusant l’accès audit document (voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 2012, IFAW Internationaler Tierschutz-Fonds/Commission, C‑135/11 P, point 75). |
28 |
Toutefois, ainsi qu’il ressort notamment des points 18 et 29 de l’arrêt attaqué, M. Jurašinović n’a pas fait valoir en première instance que les exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier et troisième tirets, du règlement no 1049/2001 n’étaient pas applicables aux documents en cause, mais s’est limité à contester le bien-fondé des arguments avancés par le Conseil dans la décision litigieuse visant à établir que la divulgation de ces documents aurait porté atteinte aux intérêts protégés par ces exceptions. |
29 |
Or, il ne saurait être soutenu que, pour apprécier la légalité des motifs de refus d’accès à un document, invoqués par une institution sur le fondement d’une exception dont l’applicabilité n’est pas contestée, le Tribunal soit obligé d’ordonner systématiquement la production de l’intégralité du document dont l’accès est demandé. |
30 |
En effet, c’est dans l’exercice de la marge d’appréciation dont le Tribunal jouit en matière d’évaluation des éléments de preuve que celui-ci peut décider si, dans un cas concret, il est nécessaire que ce document soit produit devant lui, et ce afin d’examiner le bien-fondé des motifs sur le fondement desquels une institution a refusé l’accès audit document. |
31 |
Par conséquent, il y a lieu de rejeter le premier moyen comme étant non fondé. |
Sur le deuxième moyen
Argumentation des parties
32 |
Par son deuxième moyen, M. Jurašinović allègue, tout d’abord, que le Tribunal, en jugeant que le Conseil était fondé à refuser l’accès aux documents demandés, au motif qu’ils contenaient des «éléments sensibles», sans pour autant que ces documents eussent été préalablement qualifiés de «documents sensibles» au sens de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1049/2001, a méconnu cette dernière disposition ainsi que l’article 4, paragraphe 1, de ce règlement. En effet, une telle interprétation, d’une part, étendrait le champ d’application dudit article 9, paragraphe 1, au-delà de ce que prévoit son libellé et, d’autre part, conférerait aux institutions un droit discrétionnaire de refuser l’accès à n’importe quel document, en le qualifiant de «sensible» a posteriori, et non pas dès sa création. |
33 |
Ensuite, une telle interprétation extensive de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1049/2001 se justifierait encore moins lorsque, comme en l’espèce, l’institution concernée, pour des motifs tirés de la protection des relations internationales, refuse l’accès à des documents non classifiés au sens de cette disposition. En effet, celle-ci ne se référerait qu’à «la sécurité publique, [à] la défense et [aux] questions militaires», et ne ferait aucune mention de la protection des relations internationales. |
34 |
Enfin, selon M. Jurašinović, la circonstance que les documents demandés aient été élaborés antérieurement à l’entrée en vigueur du règlement no 1049/2001 est inopérante, le Conseil disposant de la faculté, non utilisée en l’espèce, de qualifier de «sensibles», au sens dudit article 9, paragraphe 1, des documents postérieurement à leur édiction. |
35 |
À cet égard, le Conseil rétorque, tout d’abord, que la prémisse sur laquelle reposent les arguments de M. Jurašinović est manifestement erronée, étant donné que la décision litigieuse était fondée uniquement sur l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier et troisième tirets, du règlement no 1049/2001, et non pas sur l’article 9 de celui-ci. Par ailleurs, les documents en cause auraient été antérieurs au règlement no 1049/2001 et n’auraient, de ce fait, pas pu être qualifiés de «sensibles» au sens dudit article 9, paragraphe 1. |
36 |
Le Conseil soutient, ensuite, que le raisonnement de M. Jurašinović repose sur une confusion entre la notion de «document sensible», définie à l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1049/2001, et celle d’«élément sensible» utilisée par le Tribunal. En effet, la première notion identifierait les documents classifiés «CONFIDENTIEL», «SECRET» ou «TRÈS SECRET», conformément à ladite disposition, alors que la seconde notion concernerait les informations dont la divulgation porterait atteinte à la protection de l’intérêt public en ce qui concerne les relations internationales. |
37 |
Enfin, le Conseil relève que la lecture des dispositions en cause proposée par M. Jurašinović rend inopérante l’exception concernant la protection des relations internationales prévue à l’article 4 du règlement no 1049/2001, dans la mesure où elle implique que ladite exception ne peut être invoquée que lorsque l’article 9 dudit règlement est applicable, alors que cet article ne se réfère pas à la protection des relations internationales de l’Union. |
Appréciation de la Cour
38 |
Il convient d’emblée de constater qu’il ressort des points 7 et 43 de l’arrêt attaqué que la décision litigieuse a été adoptée uniquement sur le fondement de l’article 4, paragraphe 1, sous a), premier et troisième tirets, du règlement no 1049/2001, notamment en raison du caractère sensible des éléments contenus dans les rapports, qui aurait pu porter atteinte à la protection de l’intérêt public en ce qui concerne la sécurité publique et les relations internationales. Le Conseil n’a, dès lors, pas soumis ces rapports au régime spécifique des documents sensibles prévu à l’article 9 du règlement no 1049/2001. |
39 |
Toutefois, selon M. Jurašinović, le Conseil ne pouvait se prévaloir des exceptions prévues par ledit article 4 pour refuser l’accès aux rapports sans les avoir préalablement classifiés «TRÈS SECRET/TOP SECRET», «SECRET» ou «CONFIDENTIEL», conformément à l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1049/2001. |
40 |
Cette interprétation des articles 4 et 9 du règlement no 1049/2001 ne saurait être retenue. |
41 |
À cet égard, il y a lieu de relever, tout d’abord, que, comme l’a jugé à bon droit le Tribunal au point 51 de l’arrêt attaqué, il ne résulte ni de l’article 4 ni de l’article 9 du règlement no 1049/2001 que l’absence de classification préalable d’un document conformément audit article 9, paragraphe 1, interdise à une institution d’en refuser l’accès sur le fondement dudit article 4. |
42 |
Ensuite, ces deux dispositions poursuivent des objectifs différents. |
43 |
En effet, d’une part, ainsi qu’il ressort également de l’article 2, paragraphe 5, du règlement no 1049/2001, l’article 9 de ce règlement ne vise qu’à prévoir un traitement particulier, notamment en ce qui concerne les personnes chargées de traiter les demandes d’accès aux documents des institutions, pour les documents qualifiés de sensibles et classifiés «TRÈS SECRET/TOP SECRET», «SECRET» ou «CONFIDENTIEL» en vertu des règles en vigueur au sein de l’institution concernée protégeant les intérêts fondamentaux de l’Union ou d’un ou plusieurs de ses États membres dans les domaines définis à l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1049/2001. |
44 |
D’autre part, l’article 4 du règlement no 1049/2001, en introduisant un régime d’exceptions au droit d’accès aux documents des institutions conféré au public par l’article 1er de ce règlement, autorise les institutions à refuser l’accès à un document afin d’éviter que la divulgation de ce dernier ne porte atteinte à l’un des intérêts protégés par cet article 4 (voir, en ce sens, arrêts du 1er février 2007, Sison/Conseil, C-266/05 P, Rec. p. I-1233, point 62, ainsi que du 17 octobre 2013, Conseil/Access Info Europe, C‑280/11 P, point 29 et jurisprudence citée). |
45 |
Enfin, selon une jurisprudence constante, lorsque l’institution concernée décide de refuser l’accès à un document dont la communication lui a été demandée, il lui incombe, en principe, de fournir des explications quant à la question de savoir de quelle manière l’accès à ce document pourrait porter concrètement et effectivement atteinte à l’intérêt protégé par une exception prévue à l’article 4 du règlement no 1049/2001 que cette institution invoque. Par ailleurs, le risque d’une telle atteinte doit être raisonnablement prévisible et non purement hypothétique (arrêt du 21 juillet 2011, Suède/MyTravel et Commission, C-506/08 P, Rec. p. I-6237, point 76 et jurisprudence citée). |
46 |
Or, dans ce contexte, la circonstance qu’une institution estime qu’un document est sensible au sens de l’article 9 du règlement no 1049/2001, tout en impliquant que les demandes d’accès à ce document doivent être soumises au traitement particulier prévu à cette disposition, ne saurait, à elle seule, justifier l’application à ce document des exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1049/2001. |
47 |
De même, et inversement, le simple fait qu’un document ne soit pas qualifié de «sensible» au sens dudit article 9 ne saurait exclure l’application des exceptions prévues à l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement no 1049/2001 sans priver d’effet utile cette dernière disposition. |
48 |
Par conséquent, le deuxième moyen n’est pas fondé. |
Sur le troisième moyen
Argumentation des parties
49 |
Par son troisième moyen, M. Jurašinović reproche, en substance, au Tribunal d’avoir commis une série d’erreurs de droit lorsqu’il a écarté l’argument selon lequel c’est à tort que le Conseil avait refusé à M. Jurašinović l’accès aux rapports, alors même qu’il les avait déjà communiqués, sur le fondement du règlement no 1049/2001, à des tiers, en l’occurrence au ministère public du TPIY et à la défense de M. Gotovina. |
50 |
En premier lieu, M. Jurašinović soutient que les rapports ont été communiqués au TPIY non pas sur la base d’un prétendu principe de coopération internationale avec un tribunal international, principe qui n’existerait pas, mais en application du règlement no 1049/2001. Dans ces conditions, le Conseil ne pourrait refuser l’accès à d’autres tiers, tel M. Jurašinović lui-même, aux documents qu’il aurait déjà communiqués à M. Gotovina. En effet, un tel refus constituerait une discrimination entre M. Jurašinović et M. Gotovina, tous deux citoyens de l’Union. |
51 |
En réponse à ces arguments, le Conseil soutient que M. Jurašinović confond l’accès du public aux documents des institutions avec l’accès privilégié à ces documents. Seul le premier type d’accès serait régi par le règlement no 1049/2001 et aurait une portée erga omnes. En revanche, lorsque l’accès à un document est octroyé sur un fondement juridique autre que celui du règlement no 1049/2001, cet accès serait privilégié et ne concernerait que le bénéficiaire. Le Conseil précise que la transmission des documents en question au ministère public du TPIY et à la défense de M. Gotovina appartient au second type d’accès et s’inscrit dans les objectifs de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union, qui incluraient également la promotion de la coopération internationale. |
52 |
En deuxième lieu, M. Jurašinović, d’une part, conteste la constatation du Tribunal selon laquelle la communication au ministère public du TPIY et à la défense de M. Gotovina des documents en question a été effectuée sur le fondement de l’article 70 B du règlement de procédure et de preuve du TPIY, dans la mesure où cette constatation ne s’appuie que sur les seules explications fournies par le Conseil dans son mémoire en défense et lors de l’audience, à l’exclusion de tout élément de preuve. D’autre part, il reproche au Tribunal d’avoir constaté que l’ensemble des archives de l’ECMM avait été transmis au TPIY dans les années 90 pour permettre au procureur du TPIY d’engager des poursuites contre les personnes supposées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire de l’ex-Yougoslavie depuis 1991, alors même que, lors de l’audience, la représentante du Conseil n’a pas été en mesure d’indiquer précisément à quelle date les documents avaient été envoyés au TPIY. |
53 |
Le Conseil fait valoir que la question de savoir si l’article 70 B du règlement de procédure et de preuve du TPIY constituait la base légale de la communication des documents en cause n’est pas déterminante au regard du droit de l’Union. En effet, dans le cas d’espèce, il importerait de déterminer si les documents concernés ont été transmis au ministère public du TPIY et à la défense de M. Gotovina sur le fondement du règlement no 1049/2001 ou de la norme du droit de l’Union antérieurement applicable, à savoir la décision 93/731/CE du Conseil, du 20 décembre 1993, relative à l’accès au public aux documents du Conseil (JO L 340, p. 43). Or, selon le Conseil, tel ne serait pas le cas, les documents en question ayant été transmis dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union. |
54 |
En troisième lieu, M. Jurašinović soutient que le Tribunal, en n’annulant pas, du moins partiellement, la décision litigieuse, en raison du fait que 48 des rapports avaient été effectivement transmis à la défense de M. Gotovina, a commis une erreur de droit. |
55 |
Le Conseil soutient à cet égard que ces 48 rapports n’étaient pas dans le domaine public. |
56 |
En quatrième et dernier lieu, M. Jurašinović avance que le Tribunal, en n’ayant pas tenu compte d’une lettre, en date du 30 mai 2007, par laquelle M. Gotovina aurait demandé au Conseil l’accès à des rapports sur le fondement du règlement no 1049/2001, en raison du fait que cette lettre n’avait pas été produite dans le cadre de l’affaire T‑465/09 ayant donné lieu à l’arrêt attaqué, a commis une erreur de droit. À cet égard, M. Jurašinović soutient n’avoir pris connaissance de ladite lettre que postérieurement à la clôture de l’instruction dans cette affaire, ce qui lui aurait empêché de produire ce document, d’autant plus que le Tribunal aurait rejeté son mémoire en réplique pour sa tardiveté. Toutefois, la même lettre aurait été déposée dans le cadre de l’affaire T‑63/10 ayant donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 3 octobre 2012, Jurašinović/Conseil, qui opposait les mêmes parties devant la même formation de jugement. Dès lors, le Tribunal n’aurait pu valablement douter de l’existence de cette lettre. |
57 |
À cet égard, le Conseil rétorque que la demande à laquelle fait référence M. Jurašinović n’a pas été présentée au titre du règlement no 1049/2001, étant donné qu’il s’agissait d’une demande d’accès privilégié. En tout état de cause, le Conseil soutient, d’une part, qu’il n’a pas traité cette demande comme si elle relevait du règlement no 1049/2001 et, d’autre part, que les documents n’ont pas été envoyés directement à la défense de M. Gotovina. |
Appréciation de la Cour
58 |
Afin de répondre à ces arguments, il suffit de relever que, même à supposer que l’accès à un document octroyé à un demandeur sur le fondement du règlement no 1049/2001 permettrait, comme le soutient M. Jurašinović, à tout autre demandeur d’accès d’obtenir la communication du même document, force est de constater qu’il résulte de l’arrêt attaqué que M. Jurašinović n’est pas parvenu à démontrer que la défense de M. Gotovina et le ministère public du TPIY ont obtenu l’accès aux rapports sur le fondement du règlement no 1049/2001. |
59 |
En effet, ainsi qu’il résulte du point 63 de l’arrêt attaqué, le seul élément invoqué lors de l’audience par M. Jurašinović à cet égard est une lettre, en date du 30 mai 2007, par laquelle M. Gotovina ou ses conseils auraient sollicité du Conseil l’accès à des rapports. Or, cette lettre n’a pas été produite dans la présente affaire. |
60 |
Dès lors, le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en ne prenant pas en considération ladite lettre. |
61 |
En effet, d’une part, M. Jurašinović reconnaît ne pas avoir produit la lettre du 30 mai 2007 dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt attaqué. À cet égard, il se limite à expliquer les raisons pour lesquelles il a omis de procéder à la production de cet élément de preuve, à savoir la circonstance que son mémoire en réplique, produit hors délai, n’avait pas été autorisé par le Tribunal et que l’instruction était terminée. |
62 |
D’autre part, dans la mesure où M. Jurašinović soutient que le Tribunal ne pouvait ignorer l’existence de cette lettre, étant donné qu’elle avait de toute façon été déposée au dossier de l’affaire T‑63/10, il suffit de relever que le Tribunal ne saurait apprécier le bien-fondé d’un moyen de recours sur la base d’éléments de preuve qui n’ont pas été déposés dans le cadre de l’affaire en cause, conformément aux règles de procédure applicables. |
63 |
S’agissant des autres arguments au soutien du présent moyen, il suffit de constater qu’ils reposent sur la prémisse selon laquelle les rapports, auxquels la défense de M. Gotovina et le ministère public du TPIY ont eu accès, leur avaient été communiqués sur le fondement du règlement no 1049/2001. |
64 |
Or, pour les raisons mentionnées aux points 58 à 62 du présent arrêt, M. Jurašinović n’est pas parvenu à établir que cette prémisse était fondée. Il convient, de ce fait, d’écarter ces arguments. |
65 |
Il importe, par ailleurs, de relever que, comme le souligne à bon droit le Tribunal au point 57 de l’arrêt attaqué, le fondement juridique de la communication des rapports à M. Gotovina, dans le cadre de son procès devant le TPIY, n’est pas susceptible de remettre en cause la légalité de la décision litigieuse, dans la mesure où il n’est pas établi que celle-ci ait été adoptée sur le fondement du règlement no 1049/2001. |
66 |
Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de rejeter également le troisième moyen comme étant non fondé et, partant, de rejeter le pourvoi dans son entièreté. |
Sur les dépens
67 |
Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. |
68 |
M. Jurašinović ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de le condamner aux dépens conformément aux conclusions du Conseil. |
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête: |
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Signatures |
( *1 ) Langue de procédure: le français.