ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

5 septembre 2013 (*)

«Pourvoi – Article 19 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne – Représentation par un avocat n’ayant pas la qualité de tiers – Recours en annulation manifestement irrecevable – Moyens du pourvoi manifestement non fondés»

Dans l’affaire C‑573/11 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 10 novembre 2011,

ClientEarth, établie à Londres (Royaume-Uni), représentée par Me P. Kirch, avocat,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme C. Fekete et M. B. Driessen, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

Royaume de Danemark,

République de Finlande,

Royaume de Suède,

parties intervenantes en première instance,

LA COUR (sixième chambre),

composée de Mme M. Berger, président de chambre, MM. A. Borg Barthet et E. Levits (rapporteur), juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 181 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        Par son pourvoi, ClientEarth demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 6 septembre 2011, ClientEarth/Conseil (T‑452/10, ci-après l’«ordonnance attaquée»), par laquelle celui-ci a rejeté comme manifestement irrecevable son recours tendant à l’annulation de la décision du Conseil du 26 juillet 2010 refusant de lui accorder l’accès intégral à un avis établi par le service juridique du Conseil (document n° 6865/09) sur le projet d’amendements du Parlement européen à la proposition de la Commission de règlement portant modification du règlement (CE) n° 1049/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2001, relatif à l’accès du public aux documents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission (JO L 145, p. 43).

 La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

2        Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 24 septembre 2010, M. Hockman, QC, a introduit, au nom de la requérante, une association caritative enregistrée auprès de la Charity Commission for England and Wales, un recours tendant à l’annulation de la décision mentionnée au point précédent et à ce qu’il soit enjoint au Conseil de l’Union européenne d’accorder l’accès au document demandé.

3        Le Tribunal a constaté, aux points 1 et 2 de l’ordonnance attaquée, qu’il ressort de l’extrait du registre de la Charity Commission for England and Wales que M. Hockman est l’un des sept «trustees» (administrateurs) de ClientEarth. Le Tribunal a également relevé que par télécopie du 3 février 2011, adressée au greffe du Tribunal et signée par M. Hockman, celui-ci a fait état de l’ajout du nom de Me Kirch, avocat, comme représentant de la requérante.

4        Aux points 21 et 24 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a estimé qu’il ressort des faits de l’espèce que M. Hockman ne peut être considéré comme suffisamment détaché de ClientEarth pour pouvoir être considéré comme «tiers» au sens de l’article 19, premier, troisième et quatrième alinéas, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53 dudit statut, habilité à représenter ou à assister une partie devant la Cour. 

5        Ainsi, en s’appuyant sur l’article 43, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement de procédure du Tribunal, établissant que «[l]’original de tout acte de procédure doit être signé par l’agent ou l’avocat de la partie», le Tribunal a rejeté le recours comme manifestement irrecevable, sans procéder à d’autres considérations.

 Les conclusions des parties

6        ClientEarth demande à la Cour d’annuler l’ordonnance attaquée et de condamner le Conseil aux dépens.

7        Le Conseil demande à la Cour de rejeter le pourvoi comme étant non fondé et de condamner la requérante aux dépens.

 Sur le pourvoi

8        En vertu de l’article 181 du règlement de procédure de la Cour, lorsqu’un pourvoi est, en tout ou en partie, manifestement irrecevable ou manifestement non fondé, la Cour peut à tout moment, sur rapport du juge rapporteur, l’avocat général entendu, le rejeter totalement ou partiellement par voie d’ordonnance motivée, et ce sans ouvrir la procédure orale.

9        À l’appui de son pourvoi, ClientEarth soulève un seul moyen, divisé en deux branches, tiré de la violation et d’une interprétation erronée de l’article 19 du statut de la Cour.

10      Par les deux branches du moyen unique, la requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit, d’une part, dans l’application de la notion d’«indépendance» et, d’autre part, dans l’application de la notion de «tiers». Ces deux notions étant liées de manière intrinsèque, il y a lieu de traiter les deux branches du moyen unique ensemble.

11      En effet, ainsi que le Tribunal l’a rappelé à bon droit au point 14 de l’ordonnance attaquée, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que la conception du rôle de l’avocat dans l’ordre juridique de l’Union, qui émane des traditions juridiques communes aux États membres, et sur laquelle l’article 19 du statut de la Cour se fonde, est celle d’un collaborateur de la justice appelé à fournir, en toute indépendance et dans l’intérêt supérieur de celle-ci, l’assistance légale dont le client a besoin (voir, en ce sens, arrêts du 18 mai 1982, AM & S Europe/Commission, 155/79, Rec. p. 1575, point 24; du 14 septembre 2010, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission e.a., C‑550/07 P, Rec. p. I‑8301, point 42, ainsi que ordonnance du 6 juin 2013, Faet Oltra/Médiateur, C‑535/12 P, point 19 et jurisprudence citée).

12      À cet égard, le Tribunal a relevé d’abord, et à juste titre, au point 15 de l’ordonnance attaquée, qu’une personne morale ne peut pas être valablement représentée devant les juridictions de l’Union par un avocat qui détient, au sein de l’entité qu’il représente, des compétences administratives et financières importantes (voir, en ce sens, ordonnance du 29 septembre 2010, EREF/Commission, C‑74/10 P et C‑75/10 P, points 50 et 51).

13      Le Tribunal a constaté ensuite à bon droit, au point 18 de l’ordonnance attaquée, que l’exigence imposée par le droit de l’Union d’être représenté devant le Tribunal par un tiers indépendant ne saurait être perçue comme étant une exigence visant uniquement à exclure une représentation par des salariés du mandant ou par ceux qui sont économiquement dépendants de ce dernier.

14      En effet, l’essence de cette exigence est, ainsi qu’il ressort du point 12 de la présente ordonnance, d’empêcher, d’une part, que les parties privées agissent elles-mêmes en justice sans avoir recours à un intermédiaire. D’autre part, l’exigence de représentation par un tiers vise à assurer que les personnes morales soient défendues par un représentant qui est suffisamment détaché de la personne morale qu’il représente.

15      Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le contrôle de la qualification des faits effectuée par le Tribunal au regard de l’article 19 du statut de la Cour appartient à cette dernière (voir ordonnance EREF/Commission, précitée, point 45 et jurisprudence citée).

16      À cet égard, le Tribunal a jugé que compte tenu de l’ensemble des éléments fournis par la requérante dans le cadre de la procédure en première instance et de l’extrait du registre de la Charity Commission for England and Wales, joint à la requête conformément à l’article 44, paragraphe 5, sous a), du règlement de procédure du Tribunal, la nature des fonctions détenues par M. Hockman au sein de ClientEarth n’est pas compatible avec sa fonction de représentation de cette dernière devant le Tribunal.

17      Or, aucune des considérations et des allégations invoquées par la requérante devant la Cour n’est susceptible d’établir que l’appréciation faite par le Tribunal aux points 21 à 23 de l’ordonnance attaquée, portant sur les fonctions de M. Hockman comme «charity trustee» au sein de ClientEarth, puisse être regardée comme étant constitutive d’une erreur de droit au regard de l’article 19 du statut de la Cour.

18      Il s’ensuit que c’est à juste titre que le Tribunal a considéré que M. Hockman ne saurait présenter la garantie d’indépendance de l’avocat représentant une partie requise par l’article 19 du statut de la Cour.

19      Dans ces conditions, le moyen invoqué par ClientEarth au soutien de son recours, tiré de l’erreur de droit commise par le Tribunal en ce qui concerne l’interprétation de l’article 19 du statut de la Cour, doit être écarté comme manifestement non fondé.

20      Il convient néanmoins de relever que, selon une jurisprudence constante de la Cour, toute circonstance ayant trait à la recevabilité du recours en annulation formé devant le Tribunal est susceptible de constituer un moyen d’ordre public que la Cour, saisie dans le cadre d’un pourvoi, est tenue de soulever d’office (voir, en ce sens, arrêts du 29 novembre 2007, Stadtwerke Schwäbisch Hall e.a./Commission, C‑176/06 P, point 18, ainsi que du 23 avril 2009, Sahlstedt e.a./Commission, C‑362/06 P, Rec. p. I‑2903, points 21 à 23).

21      Ainsi, il y a lieu de constater que le Tribunal a omis, lors de l’examen de la recevabilité du recours en annulation introduit par M. Hockman au nom de la requérante, d’apprécier le fait, relevé au point 1 de l’ordonnance attaquée, que ce dernier a notifié, le 3 février 2011, au greffe du Tribunal une opération de changement de la représentation de ClientEarth devant le Tribunal en désignant, de manière spontanée, Me Kirch comme avocat chargé des fonctions remplies au préalable par M. Hockman.

22      Si un tel changement a d’apparence été qualifié, dans les ordonnances du Tribunal du 9 novembre 2011, ClientEarth e.a./Commission (T‑120/10), ainsi que ClientEarth e.a./Commission (T‑449/10), de manière implicite, de régularisation au sens de l’article 44 du règlement de procédure du Tribunal, la circonstance que ce dernier n’a pas considéré qu’un tel changement était susceptible de constituer une régularisation ne saurait, pour autant, entraîner l’annulation de l’ordonnance attaquée.

23      En effet, le dispositif de l’ordonnance attaquée demeure fondé pour le motif de droit tiré du caractère exhaustif des conditions énumérées à l’article 44, paragraphes 3 à 5, du règlement de procédure du Tribunal qui peuvent faire l’objet d’une régularisation en vertu du paragraphe 6 du même article, parmi lesquelles ne figure pas, à l’heure actuelle, la désignation d’un nouvel avocat telle que la requérante l’a opérée dans la présente affaire.

24      Or, il convient de substituer ce motif de droit à l’omission erronée du Tribunal de considérer toutes les circonstances relevées au point 1 de l’ordonnance attaquée (voir, en ce sens et mutatis mutandis, ordonnance du 15 février 2012, Internationaler Hilfsfonds/Commission, C‑208/11 P, point 35).

25      Il résulte de toutes les considérations qui précèdent que le pourvoi doit être rejeté dans son ensemble comme étant manifestement non fondé.

 Sur les dépens

26      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant conclu à la condamnation de la requérante et cette dernière ayant succombé en son moyen, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) ordonne:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      ClientEarth est condamnée aux dépens.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.