ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

11 avril 2013 ( *1 )

«Politique sociale — Directive 1999/70/CE — Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée — Clause 2 — Champ d’application de l’accord-cadre — Entreprise de travail intérimaire — Mise à disposition d’une entreprise utilisatrice de travailleurs intérimaires — Contrats de travail à durée déterminée successifs»

Dans l’affaire C‑290/12,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale di Napoli (Italie), par décision du 29 mai 2012, parvenue à la Cour le 11 juin 2012, dans la procédure

Oreste Della Rocca

contre

Poste Italiane SpA,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. E. Jarašiūnas, président de chambre, MM. A. Ó Caoimh (rapporteur) et G. C. Fernlund, juges,

avocat général: Mme J. Kokott,

greffier: M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées:

pour Poste Italiane SpA, par Me R. De Luca Tamajo, avvocato,

pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. G. Palatiello, avvocato dello Stato,

pour le gouvernement polonais, par MM. M. Szpunar et B. Majczyna, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par Mme C. Cattabriga et M. M. van Beek, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des clauses 2 et 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 (ci-après l’«accord-cadre»), qui figure en annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO L 175, p. 43).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M. Della Rocca à l’entreprise Poste Italiane SpA (ci-après «Poste Italiane») au sujet de la relation de travail née avec cette dernière.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 1999/70

3

Il ressort du considérant 14 de la directive 1999/70, fondée sur l’article 139, paragraphe 2, CE, que les parties signataires de l’accord-cadre ont souhaité, par la conclusion d’un tel accord, améliorer la qualité du travail à durée déterminée en garantissant l’application du principe de non-discrimination et établir un cadre pour prévenir les abus découlant de l’utilisation de relations de travail ou de contrats à durée déterminée successifs.

4

Aux termes de l’article 1er de la directive 1999/70, celle-ci vise «à mettre en œuvre l’accord-cadre [...], figurant en annexe, conclu [...] entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE, CEEP)».

5

Le quatrième alinéa du préambule de l’accord-cadre est libellé comme suit:

«Le présent accord s’applique aux travailleurs à durée déterminée, à l’exception de ceux qui sont mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice par une agence de travail intérimaire. Il est dans l’intention des parties de considérer la nécessité d’un accord similaire relatif au travail intérimaire.»

6

La clause 2 de l’accord-cadre, intitulée «Champ d’application», est libellée comme suit:

«1.

Le présent accord s’applique aux travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque État membre.

2.

Les États membres, après consultation de partenaires sociaux, et/ou les partenaires sociaux peuvent prévoir que le présent accord ne s’applique pas:

a)

aux relations de formation professionnelle initiale et d’apprentissage;

b)

aux contrats ou relations de travail conclus dans le cadre d’un programme de formation, insertion et reconversion professionnelles public spécifique ou soutenu par les pouvoirs publics.»

7

La clause 3 de l’accord-cadre, intitulée «Définitions», prévoit:

«Aux termes du présent accord, on entend par:

1.

‘travailleur à durée déterminée’, une personne ayant un contrat ou une relation de travail à durée déterminée conclu directement entre l’employeur et le travailleur où la fin du contrat ou de la relation de travail est déterminée par des conditions objectives telles que l’atteinte d’une date précise, l’achèvement d’une tâche déterminée ou la survenance d’un événement déterminé;

[...]»

8

La clause 5 de l’accord-cadre, intitulée «Mesures visant à prévenir l’utilisation abusive», stipule:

«1.

Afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n’existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d’une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de travailleurs, l’une ou plusieurs des mesures suivantes:

a)

des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail;

b)

la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs;

c)

le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail.

[...]»

La directive 2008/104/CE

9

Les considérants 5 à 7 de la directive 2008/104/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative au travail intérimaire (JO L 327, p. 9), sont libellés comme suit:

«(5)

Dans le préambule de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée [...], les parties signataires avaient indiqué leur intention de considérer la nécessité d’un accord similaire pour le travail intérimaire et avaient décidé de ne pas inclure les travailleurs intérimaires dans la directive sur le travail à durée déterminée.

[...]

(7)

Le 21 mai 2001, les partenaires sociaux ont reconnu que leurs négociations sur le travail intérimaire n’avaient pu aboutir.»

La réglementation italienne

Le décret législatif no 368/01

10

L’article 1er du décret législatif no 368, relatif à la mise en œuvre de la directive 1999/70/CE concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (decreto legislativo n. 368, attuazione della direttiva 1999/70/CE relativa all’accordo quadro sul lavoro a tempo determinato concluso dall’UNICE, dal CEEP e dal CES), du 6 septembre 2001 (GURI no 235, du 9 octobre 2001, p. 4, ci-après le «décret législatif no 368/01»), prévoit:

«1.   Le contrat de travail d’un salarié peut comporter une date de fin pour des raisons de caractère technique, ou des raisons tenant à des impératifs de production, d’organisation ou de remplacement de salariés.

2.   L’indication d’une date de fin de contrat est privée d’effet si elle ne résulte pas directement ou indirectement d’un acte écrit spécifiant les raisons indiquées au paragraphe 1.

3.   Une copie de l’acte écrit doit être remise par l’employeur au travailleur dans un délai de cinq jours ouvrables à compter du début de la prestation.

4.   Il n’est toutefois pas nécessaire d’établir un écrit lorsque la durée de la relation de travail, purement occasionnelle, ne dépasse pas douze jours.»

11

Aux termes de l’article 4 du décret législatif no 368/01, qui concerne le régime des prorogations:

«1.   Le terme du contrat à durée déterminée ne peut être prorogé, avec le consentement du travailleur, que lorsque la durée initiale du contrat est inférieure à trois ans. Dans ce cas, la prorogation est admise une seule fois et à la condition qu’elle soit dictée par des raisons objectives et vise la même activité que celle pour laquelle le contrat a été conclu à durée déterminée. Dans cette seule hypothèse, la durée totale de la relation à durée déterminée ne pourra pas excéder trois ans.

2.   La charge de la preuve relative à l’existence objective des raisons justifiant l’éventuelle prorogation du terme incombe à l’employeur.»

12

L’article 5 du décret législatif no 368/01, intitulé «Expiration du terme et sanctions. Contrats successifs», dispose:

«1.   Si la relation de travail se poursuit après l’échéance du terme initialement fixé ou ultérieurement prorogé conformément à l’article 4, l’employeur est tenu de verser au travailleur une majoration du salaire de 20 % par jour jusqu’au dixième jour et de 40 % pour chaque journée supplémentaire.

2.   Si la relation de travail se poursuit au-delà du vingtième jour, en cas de contrat d’une durée inférieure à six mois, ou au-delà du trentième jour dans les autres cas, le contrat est réputé à durée indéterminée à compter de l’échéance desdits termes.

3.   Lorsque le travailleur est réembauché pour une durée déterminée en application de l’article 1er, dans un délai de dix jours à compter de la date d’expiration d’un contrat dont la durée est inférieure ou égale à six mois, ou de vingt jours à compter de la date d’expiration d’un contrat dont la durée est supérieure à six mois, le deuxième contrat est réputé conclu pour une durée indéterminée.

4.   Dans le cas de deux engagements successifs à durée déterminée, c’est-à-dire effectués sans solution de continuité, la relation de travail est réputée à durée indéterminée à compter de la conclusion du premier contrat.»

Le décret législatif no 276/03

13

Il ressort de la décision de renvoi que le décret législatif no 276 portant application des délégations dans le domaine de l’emploi et du marché du travail prévus par la loi no 30, du 14 février 2003 (decreto legislativo n. 276, attuazione delle deleghe in materia di occupazione e mercato del lavoro, di cui alla legge 14 febbraio 2003, n. 30), du 10 septembre 2003 (supplément ordinaire à la GURI no 235, du 9 octobre 2003, p. 5, ci-après le «décret législatif no 276/03»), pour ce qui concerne le contrat de travail à durée déterminée conclu avec une agence de travail intérimaire, déroge au décret législatif no 368/01, en ce qu’il prévoit que ces contrats de travail peuvent être affectés d’un terme et prorogés sans justification, selon un régime qui ne relève qu’indirectement du droit commun.

14

Le décret législatif no 276/03 définit le contrat de mise à disposition de main-d’œuvre («somministrazione di lavoro») comme le contrat ayant pour objet la fourniture professionnelle de main-d’œuvre, à durée indéterminée ou déterminée, dans le cadre duquel les travailleurs exercent leur activité au profit, sous la direction et sous le contrôle de l’utilisateur. Il consiste dès lors en un contrat entre deux personnes, le prêteur («somministratore») et l’utilisateur («utilizzatore»), par lequel le premier fournit au second de la main-d’œuvre qu’il a lui-même engagée, contre paiement. Ce contrat de mise à disposition de main-d’œuvre s’accompagne d’un contrat de travail conclu entre le prêteur et le travailleur.

15

L’article 20, paragraphe 4, du décret législatif no 276/03 prévoit que la mise à disposition de main-d’œuvre à durée déterminée est autorisée pour des raisons de caractère technique ou des raisons tenant à des impératifs de production, d’organisation ou de remplacement, même si elles sont liées à l’activité ordinaire de l’utilisateur. Les conventions collectives nationales de travail peuvent prévoir que des limites quantitatives à l’utilisation de la mise à disposition de main-d’œuvre à durée déterminée seront définies, même de manière non uniforme.

16

Selon l’article 21 du décret législatif no 276/03, le contrat de mise à disposition de main-d’œuvre doit être stipulé par écrit et contenir, notamment, les cas et les raisons de caractère technique ou les raisons tenant à des impératifs de production, d’organisation ou de remplacement prévues à l’article 20, paragraphes 3 et 4. Cette information est communiquée par écrit au travailleur par le prêteur, lors de la conclusion du contrat de travail ou lors du placement auprès de l’utilisateur.

17

L’article 22, paragraphe 2, du décret législatif no 276/03 prévoit que, en cas de mise à disposition de main-d’œuvre à durée déterminée, la relation de travail entre le prêteur et le travailleur est soumise aux dispositions du décret législatif no 368/01, dans la mesure où elles sont compatibles, à l’exclusion, en toute hypothèse, de celles de l’article 5, paragraphes 3 et suivants, de ce décret législatif. Le terme initial du contrat de travail peut dans tous les cas être prorogé, avec l’accord du travailleur et par écrit, dans les situations et pour la durée prévues par la convention collective dont relève le prêteur.

18

L’article 27 du décret législatif no 276/03 prévoit que, lorsque la mise à disposition de main-d’œuvre ne respecte pas les limites et les conditions prévues aux articles 20 et 21 de ce décret législatif, le travailleur peut demander, au moyen d’une requête qui peut n’être notifiée qu’à l’utilisateur, qu’une relation de travail soit déclarée formée entre lui et cette personne, avec effet à compter du début de la mise à disposition.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

19

M. Della Rocca a conclu avec Obiettivo Lavoro SpA (ci-après «Obiettivo Lavoro»), société de travail intérimaire, trois contrats de travail à durée déterminée successifs en vertu desquels il a été mis à la disposition de Poste Italiane en qualité de facteur. Ces contrats couvraient, respectivement, les périodes comprises entre le 2 novembre 2005 et le 31 janvier 2006, le 2 février et le 30 septembre 2006, ainsi que le 2 octobre 2006 et le 31 janvier 2007. Ces contrats de travail ont été conclus sur la base d’un contrat de mise à disposition de main-d’œuvre à durée déterminée passé entre Obiettivo Lavoro et Poste Italiane en vue de pourvoir au remplacement du personnel absent du service de distribution du courrier dans la région de Campanie. Il est constant que seul le contrat de mise à disposition de main d’œuvre, et non pas les contrats de travail à durée déterminée, comporte les raisons objectives justifiant leur conclusion et leur renouvellement.

20

Estimant que les raisons du recours à la mise à disposition de main-d’œuvre à durée déterminée étaient «vagues et inconsistantes» et que la prorogation de celle-ci n’était pas motivée, M. Della Rocca a saisi le Tribunale di Napoli en vue de faire constater que, ladite mise à disposition étant irrégulière au regard des articles 20, 21 et 27 du décret législatif no 276/03, il était lié à Poste Italiane par une relation de travail à durée indéterminée.

21

Selon Poste Italiane, les motifs justifiant le recours au contrat de mise à disposition de main-d’œuvre étaient suffisamment indiqués et étaient réels. En outre, le renouvellement des contrats de travail conclus entre Obiettivo Lavoro et M. Della Rocca n’était soumis à aucune limitation réglementaire, puisque l’article 22 du décret législatif no 276/03 exclut l’application de l’article 5, paragraphes 3 et 4, du décret législatif no 368/01 à ce type de contrats.

22

Dans la décision de renvoi, le Tribunale di Napoli expose qu’il résulte de cet article 22 que, par dérogation au droit commun en matière de contrat de travail à durée déterminée, la législation nationale n’impose aux entreprises de travail intérimaire aucune limite au renouvellement de contrats de travail à durée déterminée. En effet, alors que le décret législatif no 368/01 disposerait que la justification du contrat et de sa prorogation tiennent aux besoins de l’employeur, le décret législatif no 276/03 permettrait la conclusion de contrats de travail à durée déterminée, dès lors que le contrat de mise à disposition de main-d’œuvre a également été conclu à durée déterminée. Seul ce dernier contrat devrait, en vertu des articles 20, paragraphe 4, et 27, paragraphe 1, du décret législatif no 276/03, être justifié par des nécessités techniques ou des impératifs liés à l’organisation ou à la production.

23

Le Tribunale di Napoli exprime toutefois un doute quant à la compatibilité de cette réglementation avec la clause 5 de l’accord-cadre.

24

Cette juridiction estime, à cet égard, qu’il convient tout d’abord de se demander si la relation de travail entre l’entreprise de travail intérimaire et le travailleur intérimaire ou celle établie entre ce dernier et l’entreprise utilisatrice relèvent du champ d’application de l’accord-cadre. En effet, bien que le préambule de celui-ci suggère que l’accord-cadre ne s’applique pas, il ressortirait du point 36 de l’ordonnance du 15 septembre 2010, Briot (C-386/09, Rec. p. I-8471), que la relation de travail entre l’entreprise de travail intérimaire et le travailleur intérimaire resterait soumise à l’accord-cadre, la directive 2008/104 ne concernant que la relation de travail établie entre ce travailleur et l’entreprise utilisatrice.

25

Ensuite, dans le cas où l’accord-cadre serait applicable, la juridiction de renvoi se demande si, en l’absence d’autres mesures préventives, il est conforme à la clause 5, point 1, sous a), de l’accord-cadre que les raisons tirées de nécessités techniques ou les impératifs liés à l’organisation ou à la production ayant justifié la conclusion d’un contrat de mise à disposition de main-d’œuvre à durée déterminée – lesquels sont propres non pas à l’entreprise intérimaire, mais à l’entreprise utilisatrice, et sont sans rapport avec la relation de travail spécifique – constituent des raisons suffisantes pour justifier la conclusion d’un contrat de travail à durée déterminée entre le travailleur intérimaire et l’entreprise de travail intérimaire, ainsi que sa prorogation.

26

La juridiction de renvoi se demande enfin si cette clause permet de faire peser sur un tiers, en l’espèce l’entreprise utilisatrice, les conséquences du recours abusif à des contrats de travail à durée déterminée. En effet, les entreprises de travail intérimaire exerçant simplement une activité d’intermédiaires et pouvant ne pas prendre à leur charge aucun risque d’exploitation, les travailleurs fonderaient systématiquement leurs recours sur l’article 27, paragraphe 1, du décret législatif no 276/03, de sorte que la sanction ne frapperait pas l’employeur.

27

Dans ces conditions, le Tribunale di Napoli a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Compte tenu notamment des considérations formulées au point 36 de l’ordonnance [Briot, précitée], la directive [1999/70], plus précisément [la] clause 2 [de l’accord-cadre], vise-t-elle aussi la relation de travail à durée déterminée entre le travailleur mis à disposition et l’agence de travail intérimaire ou entre le travailleur mis à disposition et l’utilisateur et, partant, ces relations relèvent-elles de la directive [1999/70]?

2)

En l’absence d’autres mesures restrictives, une disposition qui permet de justifier la conclusion d’un contrat de travail à durée déterminée avec l’agence de travail intérimaire et son renouvellement par des raisons de caractère technique ou des raisons tenant à des impératifs d’organisation ou de production qui ne sont pas propres à l’agence ni à la relation de travail spécifique à durée déterminée, mais constituent des raisons d’ordre général propres à l’utilisateur, sans rapport avec la relation de travail spécifique, satisfait-elle aux conditions prévues à la clause 5, paragraphe 1, sous a), de la directive [1999/70], ou peut-elle constituer un contournement de ladite directive? Les raisons objectives prévues à la clause 5, paragraphe 1, sous a), de la directive [1999/70] doivent-elles être fixées par écrit et concerner la relation de travail à durée déterminée spécifique et son renouvellement et, partant, la référence aux raisons objectives d’ordre général qui ont justifié la conclusion du contrat de mise à disposition de main-d’œuvre satisfait-elle ou non à la clause 5, sous a)?

3)

La clause 5 de la directive [1999/70] s’oppose-t-elle à ce que les conséquences de l’abus soient mises à la charge d’un tiers, en l’espèce l’utilisateur?»

Sur les questions préjudicielles

Sur la recevabilité

28

Poste Italiane soutient que les questions posées ne sont pas pertinentes, dès lors qu’elles porteraient sur l’application de l’accord-cadre à la relation de travail entre le travailleur intérimaire et l’entreprise de travail intérimaire, alors que, dans le litige au principal, M. Della Rocca invoque la seule illégalité du contrat de mise à disposition de main-d’œuvre conclu entre l’entreprise de travail intérimaire et l’entreprise utilisatrice.

29

Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 22 juin 2010, Melki et Abdeli, C-188/10 et C-189/10, Rec. p. I-5667, point 27 et jurisprudence citée).

30

Or, il y a lieu de constater que les questions posées par la juridiction de renvoi portent sur l’interprétation de l’accord-cadre dans un litige réel, dans le cadre duquel, ainsi qu’il ressort des points 20 et 21 du présent arrêt, M. Della Rocca conteste non seulement la mise à disposition de main d’œuvre, mais également le renouvellement de ses contrats de travail avec l’entreprise de travail intérimaire, tandis que Poste Italiane soutient que ces renouvellements respectent les exigences posées par la réglementation nationale, ce qui conduit la juridiction de renvoi à se demander si cette dernière est conforme à l’accord-cadre.

31

Dans ces conditions, il convient de considérer que la présente demande de décision préjudicielle est recevable.

Sur la première question

32

Par cette question, la juridiction de renvoi demande en substance si la directive 1999/70 et l’accord-cadre doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’appliquent à la relation de travail à durée déterminée entre un travailleur intérimaire et une entreprise de travail intérimaire ou à la relation de travail à durée déterminée entre un tel travailleur et une entreprise utilisatrice.

33

À titre liminaire, il convient de souligner qu’un travailleur intérimaire, tel que M. Della Rocca, relève du champ d’application ratione materiæ de la directive 2008/104. Toutefois, il est constant que cette directive, qui devait être transposée en droit interne au plus tard le 5 décembre 2011, n’est pas applicable ratione temporis à l’affaire au principal, dès lors que les périodes de travail intérimaire en cause dans celle-ci concernent la période comprise entre le 2 novembre 2005 et le 31 janvier 2007. Dans ces conditions, c’est à juste titre que la juridiction de renvoi s’interroge sur la seule applicabilité de l’accord-cadre à un tel travailleur.

34

À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, il ressort du libellé même de la clause 2, point 1, de l’accord-cadre que le champ d’application de cet accord-cadre est conçu de manière large, dès lors qu’il vise de façon générale les «travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque État membre». En outre, la définition de la notion de «travailleurs à durée déterminée» au sens de l’accord-cadre, énoncée à la clause 3, point 1, de celui-ci, englobe l’ensemble des travailleurs, sans opérer de distinction selon la qualité publique ou privée de l’employeur auquel ils sont liés (arrêt du 4 juillet 2006, Adeneler e.a., C-212/04, Rec. p. I-6057, point 56).

35

Le champ d’application de l’accord-cadre n’est cependant pas sans limite. Ainsi, il ressort du même libellé de la clause 2, point 1, de l’accord-cadre que la définition des contrats et des relations de travail auxquels s’applique cet accord-cadre relève non pas de celui-ci ou du droit de l’Union, mais de la législation et/ou des pratiques nationales. En outre, la clause 2, point 2, de l’accord-cadre confère aux États membres une marge d’appréciation quant à l’application de l’accord-cadre à certaines catégories de contrats ou de relations de travail. En effet, la clause 2, point 2, de l’accord-cadre ouvre aux États membres et/ou aux partenaires sociaux la faculté de soustraire du domaine d’application de cet accord-cadre les «relations de formation professionnelle initiale et d’apprentissage» ainsi que les «contrats ou relations de travail conclus dans le cadre d’un programme de formation, insertion et reconversion professionnelles public spécifique ou soutenu par les pouvoirs publics» (voir arrêt du 15 mars 2012, Sibilio, C‑157/11, points 42, 52 et 53).

36

Or, de la même manière, il ressort explicitement du quatrième alinéa du préambule de l’accord-cadre que celui-ci ne s’applique pas aux travailleurs à durée déterminée qui sont mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice par une entreprise de travail intérimaire, l’intention des parties à cet accord-cadre étant de conclure un accord similaire relatif au travail intérimaire. La réglementation du travail intérimaire est précisément l’objet de la directive 2008/104 qui, ainsi qu’il ressort de ses considérants 5 et 7, a été adoptée par le législateur de l’Union après l’échec des négociations entre les partenaires sociaux concernant la conclusion d’un tel accord.

37

À cet égard, il convient de relever que l’exclusion prévue par ledit préambule de l’accord-cadre porte sur le travailleur intérimaire, en tant que tel, et non sur l’une ou l’autre de ses relations de travail, si bien que tant sa relation de travail avec l’entreprise de travail intérimaire que celle établie avec l’entreprise utilisatrice échappent au champ d’application de cet accord-cadre.

38

Certes, selon la jurisprudence de la Cour, le préambule d’un acte de l’Union n’a pas de valeur juridique contraignante et ne saurait être invoqué ni pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné ni pour interpréter ces dispositions dans un sens manifestement contraire à leur libellé (voir, notamment, arrêts du 25 novembre 1998, Manfredi, C-308/97, Rec. p. I-7685, point 30; du 24 novembre 2005, Deutsches Milch-Kontor, C-136/04, Rec. p. I-10095, point 32; du 2 avril 2009, Tyson Parketthandel, C-134/08, Rec. p. I-2875, point 16, et du 28 juin 2012, Caronna, C‑7/11, point 40).

39

Toutefois, en l’occurrence, force est de constater que l’exclusion figurant dans le préambule de l’accord-cadre est traduite à la clause 3, point 1, de ce dernier, selon laquelle seule la relation de travail conclue «directement» avec l’employeur relève de cet accord-cadre.

40

En outre, la mise à disposition de travailleurs intérimaires constitue une figure complexe et spécifique du droit du travail, impliquant, ainsi qu’il ressort des points 32 et 37 du présent arrêt, une double relation de travail entre, d’une part, l’entreprise de travail intérimaire et le travailleur intérimaire et, d’autre part, ce dernier et l’entreprise utilisatrice, ainsi qu’une relation de mise à disposition entre l’entreprise de travail intérimaire et l’entreprise utilisatrice. Or, l’accord-cadre ne comporte aucune disposition traitant de ces aspects spécifiques.

41

À l’inverse, il y a lieu de constater que l’article 1er, paragraphe 3, sous c), de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1), dispose explicitement que cette directive s’applique au détachement, par une entreprise de travail intérimaire, d’un travailleur dans une entreprise utilisatrice, lorsqu’il existe une relation de travail entre l’entreprise de travail intérimaire et le travailleur intérimaire pendant la période de détachement. De même, l’article 1er, point 2, de la directive 91/383/CEE du Conseil, du 25 juin 1991, complétant les mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé au travail des travailleurs ayant une relation de travail à durée déterminée ou une relation de travail intérimaire (JO L 206, p. 19), précise expressément que cette directive s’applique aux relations de travail intérimaire entre une entreprise de travail intérimaire et le travailleur intérimaire.

42

Il en résulte que les relations de travail à durée déterminée d’un travailleur intérimaire mis à la disposition d’une entreprise utilisatrice par une entreprise de travail intérimaire ne relèvent pas du champ d’application de l’accord-cadre ni, partant, de celui de la directive 1999/70.

43

Cette conclusion n’est nullement contraire à ce que la Cour a jugé dans l’ordonnance Briot, précitée. En effet, dans cette affaire, après avoir constaté que le non-renouvellement d’un contrat de travail à durée déterminée d’un travailleur intérimaire qui a pris fin, du fait de la survenance de son terme, à une date antérieure à celle du transfert de l’activité à laquelle ce travailleur était affecté, ne méconnaissait pas la directive 2001/23/CE du Conseil, du 12 mars 2001, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d’entreprises, d’établissements ou de parties d’entreprises ou d’établissements (JO L 82, p. 16), la Cour s’est bornée à préciser, au point 36 de ladite ordonnance, que cette solution ne préjugeait pas de la protection dont un travailleur intérimaire pourrait, le cas échéant, bénéficier contre l’utilisation abusive de contrats de travail à durée déterminée successifs en vertu d’autres dispositions du droit de l’Union, notamment la directive 1999/70, ni de l’interprétation à donner à ces dernières par la Cour.

44

Or, précisément, il ressort de l’interprétation de la directive 1999/70 et de l’accord-cadre, telle qu’elle résulte des points 34 à 42 du présent arrêt, que les relations de travail à durée déterminée d’un travailleur intérimaire mis à disposition d’une entreprise utilisatrice par une entreprise de travail intérimaire ne relèvent pas du champ d’application de cette directive et de l’accord-cadre.

45

Il convient, dès lors, de répondre à la première question que la directive 1999/70 et l’accord-cadre doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’appliquent ni à la relation de travail à durée déterminée entre un travailleur intérimaire et une entreprise de travail intérimaire ni à la relation de travail à durée déterminée entre un tel travailleur et une entreprise utilisatrice.

Sur les deuxième et troisième questions

46

Eu égard à la réponse donnée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre aux deuxième et troisième questions.

Sur les dépens

47

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit:

 

La directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée, et l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure en annexe de cette directive, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’appliquent ni à la relation de travail à durée déterminée entre un travailleur intérimaire et une entreprise de travail intérimaire ni à la relation de travail à durée déterminée entre un tel travailleur et une entreprise utilisatrice.

 

Signatures


( *1 ) Langue de procédure: l’italien.