ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

19 décembre 2012 ( *1 )

«Fonds structurels — Règlement (CE) no 1083/2006 — Éligibilité géographique — Mise en œuvre d’un investissement cofinancé par l’Union européenne à partir d’une localité située en dehors des régions éligibles et par un opérateur établi dans une telle localité»

Dans l’affaire C‑579/11,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE introduite par le tribunal administrativo e fiscal do Porto (Portugal), par décision du 19 octobre 2011, parvenue à la Cour le 22 novembre 2011, dans la procédure

Grande Área Metropolitana do Porto (GAMP)

contre

Comissão Directiva do Programa Operacional Potencial Humano,

Ministério do Ambiente e do Ordenamento do Território,

Ministério do Trabalho e da Solidariedade Social,

en présence de:

Instituto Nacional de Administração,

Sindicato dos Quadros Técnicos do Estado,

Instituto Superior de Ciências, do Trabalho e da Empresa,

Instituto do Desporto de Portugal,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. M. Ilešič (rapporteur), président de chambre, M. K. Lenaerts, vice‑président de la Cour faisant fonction de juge de la troisième chambre, MM. E. Jarašiūnas, A. Ó Caoimh et Mme C. Toader, juges,

avocat général: M. M. Wathelet,

greffier: Mme M. Ferreira, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 8 novembre 2012,

considérant les observations présentées:

pour la Grande Área Metropolitana do Porto (GAMP), par Mes J. Pacheco de Amorim et B. M. Soares, advogados,

pour le Ministério da Agricultura, do Mar, do Ambiente e do Ordenamento do Território, par Me M. Fonseca, advogada,

pour le gouvernement portugais, par MM. L. Inez Fernandes, P. Pinheiro et G. Santos Machado, en qualité d’agents,

pour le gouvernement néerlandais, par Mmes C. Wissels et B. Koopman, en qualité d’agents,

pour la Commission européenne, par M. A. Caeiros et Mme A. Steiblytė, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1

La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 174 à 176 TFUE ainsi que du règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil, du 11 juillet 2006, portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et abrogeant le règlement (CE) no 1260/1999 (JO L 210, p. 25).

2

Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Grande Área Metropolitana do Porto (ci‑après «GAMP»), une association de municipalités, à plusieurs autorités nationales, représentées par la Comissão Directiva do Programa Operacional Potencial Humano (commission de direction du programme opérationnel Potentiel Humain), le Ministério do Ambiente e do Ordenamento do Território, devenu le Ministério da Agricultura, do Mar, do Ambiente e do Ordenamento do Território (ministère de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire, devenu ministère de l’Agriculture, de la Mer, de l’Environnement et de l’Aménagement du territoire) et le Ministério do Trabalho e da Solidariedade Social (ministère du Travail et de la Solidarité sociale), au sujet de l’emploi de fonds de l’Union européenne.

Le cadre juridique

Le règlement no 1083/2006

3

Le considérant 1 du règlement no 1083/2006 est libellé comme suit:

«L’article 158 [CE] prévoit que, en vue du renforcement de sa cohésion économique et sociale, la Communauté vise à réduire l’écart entre les niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions ou îles les moins favorisées, y compris les zones rurales. L’article 159 [CE] prévoit que cette action est soutenue par les Fonds à finalité structurelle, la Banque européenne d’investissement (BEI) et les autres instruments financiers existants.»

4

L’article 1er dudit règlement prévoit que ce dernier établit «les règles générales régissant le Fonds européen de développement régional (FEDER), le Fonds social européen (FSE) (ci-après dénommés: ‘les Fonds structurels’), ainsi que le Fonds de cohésion» et définit notamment «les objectifs auxquels les Fonds structurels et le Fonds de cohésion […] doivent contribuer, les critères d’éligibilité des États membres et régions à ces Fonds, les ressources financières disponibles et les critères présidant à leur répartition».

5

L’article 3, paragraphe 2, du règlement no 1083/2006 énonce:

«[…] [L]e FEDER, le FSE [et] le Fonds de cohésion […] contribuent […] à la réalisation des trois objectifs suivants:

a)

l’objectif convergence qui vise à accélérer la convergence des États membres et régions les moins développés en améliorant les conditions de croissance et d’emploi par l’augmentation et l’amélioration de la qualité des investissements dans le capital physique et humain, le développement de l’innovation et de la société de la connaissance, l’adaptabilité aux changements économiques et sociaux, la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement ainsi que l’efficacité administrative. Cet objectif constitue la priorité des Fonds;

b)

l’objectif compétitivité régionale et emploi qui vise, en dehors des régions les moins développées, à renforcer la compétitivité et l’attractivité des régions ainsi que l’emploi […];

c)

l’objectif coopération territoriale européenne qui vise à renforcer la coopération au niveau transfrontalier […].»

6

Le titre I du règlement no 1083/2006 comporte un chapitre III, intitulé «Éligibilité géographique», sous lequel figurent les articles 5 à 8 de ce règlement, respectivement intitulés «Convergence», «Compétitivité régionale et emploi», «Coopération territoriale européenne» et «Soutien transitoire».

7

Aux termes dudit article 5:

«1.   Les régions éligibles à un financement par les Fonds structurels au titre de l’objectif convergence sont les régions qui correspondent au niveau 2 de la nomenclature commune des unités territoriales statistiques (ci-après dénommée ‘NUTS 2’) au sens du règlement (CE) no 1059/2003 [du Parlement européen et du Conseil, du 26 mai 2003, relatif à l’établissement d’une nomenclature commune des unités territoriales statistiques (NUTS) (JO L 154, p. 1)], dont le produit intérieur brut (PIB) par habitant, mesuré en parités de pouvoir d’achat et calculé sur la base des données communautaires pour la période 2000-2002, est inférieur à 75 % du PIB moyen de l’UE à 25 pour la même période de référence.

[...]

3.   Immédiatement après l’entrée en vigueur du présent règlement, la Commission adopte la liste des régions qui remplissent les critères visés au paragraphe 1 [...]. Cette liste est valable du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2013.

[…]»

8

L’article 22 du règlement no 1083/2006, intitulé «Non-transférabilité des ressources», prévoit:

«Les enveloppes financières allouées par État membre au titre de chacun des objectifs des Fonds et leurs composantes ne sont pas transférables entre elles.

[...]»

9

L’article 32 dudit règlement dispose:

«1.   L’action des Fonds dans les États membres prend la forme de programmes opérationnels s’inscrivant dans le cadre de référence stratégique national. Chaque programme opérationnel couvre une période entre le 1er janvier 2007 et le 31 décembre 2013. Un programme opérationnel ne concerne qu’un des trois objectifs visés à l’article 3, sauf décision contraire de la Commission et de l’État membre.

[…]

5.   La Commission adopte chaque programme opérationnel dans les plus brefs délais et au plus tard quatre mois après sa présentation formelle par l’État membre […].»

10

Aux termes de l’article 34 du même règlement, intitulé «Spécificité des Fonds»:

«1.   Les programmes opérationnels bénéficient du financement d’un seul Fonds […].

2.   Sans préjudice des dérogations prévues dans les règlements spécifiques des Fonds, le FEDER et le FSE peuvent financer, de façon complémentaire et dans la limite de 10 % des crédits alloués par la Communauté à chaque axe prioritaire d’un programme opérationnel, des actions relevant du champ d’intervention de l’autre Fonds pour autant qu’elles soient nécessaires au bon déroulement de l’opération et qu’elles aient un lien direct avec celle-ci.

[…]»

11

L’article 35 du règlement no 1083/2006, intitulé «Champ géographique», énonce:

«1.   Les programmes opérationnels présentés au titre de l’objectif convergence sont établis au niveau géographique approprié et au moins au niveau NUTS 2.

Les programmes opérationnels présentés au titre de l’objectif convergence auxquels le Fonds de cohésion contribue sont établis au niveau national.

[...]»

12

L’article 56 du règlement no 1083/2006, intitulé «Éligibilité des dépenses», dispose, à son paragraphe 4:

«Les règles d’éligibilité des dépenses sont établies au niveau national, sous réserve des exceptions prévues dans les règlements spécifiques à chaque Fonds. Elles concernent l’intégralité des dépenses déclarées au titre des programmes opérationnels.»

La décision 2006/595

13

En vertu de l’article 1er et de l’annexe I de la décision 2006/595/CE de la Commission, du 4 août 2006, établissant la liste des régions éligibles à un financement par les Fonds structurels au titre de l’objectif «convergence» pour la période de 2007 à 2013 (JO L 243, p. 44), les régions de niveau NUTS 2 éligibles au sens de l’article 5, paragraphe 1, du règlement no 1083/2006 sont, pour ce qui concerne la République portugaise, celles de Norte, Centro, Alentejo et Região Autónoma dos Açores.

14

En vertu de l’article 2 et de l’annexe II de la décision 2006/595, la région d’Algarve est, pour ce qui concerne la République portugaise, une région NUTS 2 qui est également éligible au financement par les Fonds structurels au titre de l’objectif «convergence», mais cela seulement dans les conditions transitoires énoncées à l’article 8 du règlement no 1083/2006.

15

La région de Lisbonne n’est pas mentionnée dans la décision 2006/595 et n’est donc pas éligible à un financement par les Fonds structurels au titre de l’objectif convergence. Elle est toutefois éligible à des financements au titre de l’objectif compétitivité régionale et emploi.

Le cadre de référence stratégique national

16

Le 28 juin 2007, le gouvernement portugais a approuvé un «cadre de référence stratégique national» (ci-après le «CRSN») au sens de l’article 32, paragraphe 1, du règlement no 1083/2006.

17

Le point 6 de l’annexe V du CRSN prévoit:

«Les dépenses relatives aux opérations cofinancées par les Fonds structurels et le Fonds de cohésion sont éligibles aux programmes opérationnels si elles sont réalisées dans les régions NUTS 2 couvertes par chacun de ces [programmes opérationnels].

Ce critère général d’éligibilité territoriale de la dépense est concrétisé, en règle générale, par la localisation de l’investissement. En cas d’investissements de nature matérielle (où la localisation de l’investissement est clairement identifiable), son application est immédiate. En cas d’investissements de nature immatérielle, la concrétisation du critère d’éligibilité territoriale est vérifiée en fonction de la localisation de l’entité bénéficiaire – définie par la situation de son siège ou par la situation de la délégation (ou de l’établissement) responsable pour l’exécution de l’opération.

Constituent des exceptions à la règle générale d’éligibilité territoriale des dépenses celles relatives:

a)

aux opérations ayant un effet d’entraînement avéré (‘spill-over effect’) dans les domaines et selon les modalités définis aux points 7 et 8;

b)

[...]»

18

Le point 7 de l’annexe V du CRSN énonce:

«Constituent des exceptions à la règle générale d’éligibilité territoriale des dépenses celles relatives aux opérations dont la concrétisation se produit dans la région NUTS 2 de Lisbonne […], mais dont les effets s’étendent aux autres régions du territoire continental du Portugal et sont considérés comme cruciaux pour le développement des régions de l’objectif convergence du territoire continental du Portugal.

[Liste des catégories d’investissements relevant desdites exceptions]

Il convient de relever que ces catégories d’interventions constituent des cas exceptionnels, dûment justifiés en fonction de la nature des opérations et de l’effet multiplicateur qu’elles entraînent dans des régions autres que celles où l’investissement est réalisé. Ces catégories représentent, globalement, un faible pourcentage de la dotation financière des Fonds structurels en termes de programmation. Les orientations présentées aux points suivants, établies en partenariat entre la Commission européenne et les autorités portugaises, pourront, le cas échéant, faire l’objet de spécifications supplémentaires dans le cadre de chaque programme opérationnel thématique.»

19

Le point 8 de l’annexe V du CRSN établit des «méthodes spécifiques» pour déterminer l’éligibilité de dépenses eu égard aux effets d’entraînement en dehors de la région de Lisbonne.

Le programme opérationnel Potentiel Humain

20

Parmi les programmes opérationnels prévus par le CRSN figure celui dénommé «Potentiel Humain» (ci-après le «POPH»). L’un des axes prioritaires (axe 3) du POPH est relatif au perfectionnement professionnel et comporte une catégorie d’investissements intitulée «Formations stratégiques pour la gestion et l’innovation dans l’administration publique» (ci-après les «formations pour l’administration publique»).

21

Les formations pour l’administration publique sont mentionnées, au point 7 de l’annexe V du CRSN, parmi les catégories d’investissements relevant des exceptions à la règle de l’éligibilité territoriale. À cet égard, le point 8 de la même annexe précise:

«En notant […] que les objectifs poursuivis privilégient en particulier la réduction des coûts administratifs et l’amélioration de la compétitivité nationale par l’accroissement de l’efficacité de l’administration, il est particulièrement important de signaler que, nonobstant la concentration significative des ressources humaines de l’administration publique dans la région de Lisbonne, les effets des actions à concrétiser ont nécessairement des répercussions sur l’ensemble du territoire national, en raison de la nature des entités et des services qu’elles fournissent (adressés à l’ensemble des citoyens et/ou à l’ensemble des agents économiques).

Ladite concentration de services dans la région-capitale explique qu’une partie significative des investissements à réaliser se concentre dans cette région […]»

22

Ledit point 8 prévoit comme «méthode spécifique» pour ces formations:

«a)

Évaluation des effets d’entraînement dans les régions ‘convergence’ du territoire continental du Portugal selon la concentration de la population résidente dans ces régions.

b)

Quantification des effets d’entraînement:

concentration de la population résidente dans les régions NUTS 2 Norte, Centro et Alentejo par rapport à la population résidente du territoire continental du Portugal: 68,5 % […]

c)

Quantification des dépenses réalisées dans la région NUTS 2 de Lisbonne, éligibles au [POPH]:

pour chaque investissement d’un montant de 1000 euros dans des actions de formation stratégique pour la gestion et l’innovation dans l’administration publique réalisées dans la région NUTS 2 de Lisbonne, le montant investi de 685 euros sera éligible par le biais de [l’axe 3 du POPH].

Le montant non éligible au moyen de [l’axe 3 du POPH] sera financé par les axes respectifs ‘Lisbonne’ (dont la population résidente correspond à 27,5 % de la population du territoire continental du Portugal) et ‘Algarve’ (dont la population résidente correspond à 4 % de la population du territoire continental du Portugal) et/ou au moyen de ressources nationales.»

23

Le 16 octobre 2007, la Commission a, sur le fondement de l’article 32, paragraphe 5, du règlement no 1083/2006, approuvé le POPH en tant que programme «pluri‑objectif», à savoir, d’une part, au titre de l’objectif «convergence» dans les régions Nord, Centre, Alentejo et à titre transitoire dans la région Algarve et, d’autre part, au titre de l’objectif «compétitivité régionale et emploi» dans la région de Lisbonne.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

24

Par décisions des 15 et 26 septembre 2008 ainsi que des 15 octobre, 4 novembre et 26 décembre 2008, la Comissão Directiva do Programa Operacional Potencial Humano a approuvé les candidatures de l’Instituto Nacional de Administração (Institut national de l’administration), du Sindicato dos Quadros Técnicos do Estado (Syndicat des cadres techniques de l’État), de l’Instituto Superior de Ciências do Trabalho e da Empresa (Institut supérieur des sciences du travail et de l’entreprise), du Ministério da Saúde (ministère de la Santé) et de l’Instituto do Desporto de Portugal (Institut des sports du Portugal) à un financement au titre de la catégorie d’investissements du POPH relative aux formations pour l’administration publique.

25

Ces candidats étant tous établis dans la région de Lisbonne, lesdites décisions ont, dans la mesure où le financement sollicité relevait de l’objectif «convergence» visé à l’article 5 du règlement no 1083/2006, été prises en application de l’exception prévue au point 6, sous a), de l’annexe V du CRSN.

26

Estimant que cette exception est incompatible avec le droit de l’Union et que les décisions prises par la Comissão Directiva do Programa Operacional Potencial Humano réduisent donc illégalement les fonds disponibles pour les entités intéressées établies dans les régions portugaises NUTS 2 qui sont éligibles au titre de l’objectif «convergence», GAMP a formé un recours en annulation de ces décisions auprès du tribunal administrativo e fiscal do Porto.

27

Cette juridiction a, par ordonnance du 20 décembre 2010, déclaré que le recours était devenu sans objet pour autant qu’il était dirigé contre la décision d’approbation de la candidature du Ministério da Saúde.

28

S’agissant des autres éléments du litige, le tribunal administrativo e fiscal do Porto a, par décision du 19 octobre 2011, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)

Le droit [de l’Union], spécialement les dispositions des articles 5 à 8, 22, 32, 34, 35 et 56 du règlement [no 1083/2006] ainsi que 174 TFUE à 176 TFUE, doit-il être interprété en ce sens qu’il n’admet pas d’exceptions au principe de l’éligibilité territoriale des dépenses, c’est-à-dire en ce sens que les dépenses relatives à des opérations cofinancées par les Fonds structurels et par le Fonds de cohésion ne sont éligibles aux programmes opérationnels que si elles sont réalisées dans les régions NUTS 2 qui relèvent de chacun de ces programmes opérationnels?

2)

Concrètement, les dispositions susmentionnées doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles n’admettent pas que les autorités nationales établissent des règles qui, s’agissant d’exceptions au principe de la territorialité des dépenses, permettraient de considérer comme éligibles des investissements non situés – ou dont l’entité bénéficiaire ne se situe pas – dans les régions NUTS 2 qui relèvent des programmes opérationnels spécifiquement destinés à l’objectif ‘convergence’, qui seraient considérés comme éligibles au titre de ces programmes opérationnels?

3)

Ou, au contraire, le droit [de l’Union], spécialement les dispositions des articles 5 à 8, 22, 32, 34, 35 et 56 du règlement [no 1083/2006] ainsi que 174 TFUE à 176 TFUE, doit-il être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à l’existence d’exceptions au principe de l’éligibilité territoriale des dépenses, permettant que les autorités nationales établissent des règles qui permettent de considérer que les dépenses relatives à des opérations cofinancées par les Fonds structurels et par le Fonds de cohésion sont éligibles aux programmes opérationnels, même non réalisés dans les régions NUTS 2 qui relèvent de chacun de ces programmes opérationnels, en particulier parce qu’il s’agit de dépenses ou d’opérations ayant un effet d’entraînement avéré, c’est-à-dire justifiées en raison de la nature des opérations et de l’effet multiplicateur qu’elles provoquent dans des régions autres que celles où l’investissement est réalisé?

4)

Plus concrètement, ces dispositions ne s’opposent-elles pas à ce que les autorités nationales établissent des règles qui permettent de considérer comme éligibles dans le cadre de programmes opérationnels destinés à l’objectif ‘convergence’ des investissements dont la localisation ou l’entité bénéficiaire ne se situe pas dans les régions NUTS 2 qui relèvent de cet objectif, en particulier parce qu’il s’agit d’investissements ou d’opérations ayant un effet d’entraînement avéré, c’est-à-dire justifiés en raison de la nature des opérations et de l’effet multiplicateur qu’ils provoquent dans des régions autres que celles où l’investissement est réalisé?»

Sur les questions préjudicielles

29

Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions du droit primaire de l’Union concernant la cohésion économique, sociale et territoriale ainsi que le règlement no 1083/2006 s’opposent à ce qu’un investissement cofinancé par l’Union soit mis en œuvre à partir d’une localité située en dehors des régions éligibles et par un opérateur établi dans une telle localité.

30

À cet égard, il ressort tout d’abord d’une lecture combinée des articles 174, deuxième alinéa, TFUE et 175, premier alinéa, TFUE que les Fonds structurels et les autres instruments financiers de l’Union contribuant à la cohésion économique, sociale et territoriale ont, en particulier, pour objectif de réduire l’écart entre les niveaux de développement des diverses régions et le retard des régions les moins favorisées. Cet objectif est, par ailleurs, rappelé au considérant 1 du règlement no 1083/2006 et il doit être pris en compte par les États membres lors de la mise en œuvre des investissements cofinancés au moyen desdits Fonds et instruments (voir, à ce dernier égard, arrêt du 3 septembre 2009, Parlement/Conseil, C-166/07, Rec. p. I-7135, point 45).

31

De la même manière, l’article 3, paragraphe 2, sous a), du règlement no 1083/2006 énonce que la priorité des Fonds structurels et du Fonds de cohésion consiste à accélérer la convergence des États membres et des régions les moins développés.

32

Conformément à cette finalité, le législateur de l’Union a fixé des critères pour définir les régions et les zones qui sont éligibles. S’agissant de l’objectif «convergence», l’article 5 du règlement no 1083/2006 dispose que les régions éligibles à un financement par les Fonds structurels sont les régions NUTS 2, à savoir celles «dont le produit intérieur brut (PIB) par habitant, mesuré en parités de pouvoir d’achat et calculé sur la base des données communautaires pour la période 2000-2002, est inférieur à 75 % du PIB moyen de l’UE à 25 pour la même période de référence».

33

Il ressort ainsi sans ambiguïté de ladite finalité et du critère au moyen duquel elle est poursuivie que l’emploi des Fonds structurels pour la réalisation de l’objectif «convergence» doit spécifiquement bénéficier aux régions NUTS 2. Cette condition est, au demeurant, mise en exergue par l’expression «Éligibilité géographique», employée comme intitulé du chapitre comportant les articles 5 à 8 du règlement no 1083/2006, ainsi que par l’article 35, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement, selon lequel chaque programme opérationnel relevant dudit objectif doit être établi «au niveau géographique approprié et au moins au niveau NUTS 2».

34

En revanche, il ne peut être déduit du règlement no 1083/2006 ou des dispositions du droit primaire concernant la cohésion économique, sociale et territoriale que l’opérateur chargé de la mise en œuvre de l’investissement doive nécessairement être établi dans la région à laquelle celui-ci est destiné. En outre, il ne résulte pas de ces textes que l’emploi des fonds doive, dans tous les cas, physiquement avoir lieu dans ladite région.

35

Comme l’ont fait observer le gouvernement portugais et la Commission européenne, l’intérêt de la région qui devrait bénéficier du cofinancement par l’Union est servi au mieux lorsque l’opérateur chargé de la mise en œuvre offre les meilleures garanties qualitatives et quantitatives pour mener à bien le projet. Lorsque cet opérateur est établi en dehors de ladite région, cette circonstance ne devrait pas faire obstacle à ce que le projet lui soit confié. Il importe de considérer à cet égard que, si la finalité des Fonds structurels et des autres instruments financiers de l’Union, rappelée aux points 30 et 31 du présent arrêt, est d’accélérer la convergence des régions les moins développées, elle ne consiste cependant pas à réserver les prestations de services effectuées dans le cadre des programmes cofinancés par l’Union aux seuls opérateurs établis dans ces régions. En effet, conformément à ladite finalité, ce sont ces régions qui doivent bénéficier du cofinancement par l’Union et non les opérateurs qui y sont installés.

36

De manière analogue, ainsi que l’ont exposé les gouvernements portugais et néerlandais, l’intérêt de la région éligible est parfois tout aussi bien voire mieux assuré lorsque l’investissement est mis en œuvre à partir d’une localité située en dehors du territoire de celle-ci.

37

Eu égard aux considérations qui précèdent, la circonstance que les entités en cause au principal chargées de la mise en œuvre de l’investissement sont établies dans une localité située en dehors des régions NUTS 2 visées et qu’elles assurent la formation des fonctionnaires de l’administration publique exerçant leurs fonctions pour les habitants de ces régions à partir de ladite localité ne porte pas atteinte aux règles de l’éligibilité géographique énoncées dans le règlement no 1083/2006.

38

Toutefois, et à l’évidence, l’investissement ainsi mis en œuvre doit, pour autant qu’il est cofinancé au titre de l’objectif «convergence», être dirigé, de manière ciblée et identifiable, vers les régions NUTS 2. Dans l’affaire au principal, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’examiner si cette condition est remplie. Il lui incombera, en particulier, de vérifier si la règle énoncée au point 8 de l’annexe V du CRSN, selon laquelle 68,5 % des dépenses réalisées à Lisbonne sont éligibles en raison du fait que les effets que cette proportion de dépenses engendre se situent dans les régions de Norte, Centro et Alentejo, est dûment justifiée.

39

Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions posées que les dispositions du droit primaire de l’Union concernant la cohésion économique, sociale et territoriale ainsi que le règlement no 1083/2006 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un investissement cofinancé par l’Union soit mis en œuvre à partir d’une localité située en dehors des régions éligibles et par un opérateur établi dans une telle localité, à la condition que cet investissement soit, de manière ciblée et identifiable, dirigé vers les régions éligibles.

Sur les dépens

40

La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

 

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit:

 

Les dispositions du droit primaire de l’Union concernant la cohésion économique, sociale et territoriale ainsi que le règlement (CE) no 1083/2006 du Conseil, du 11 juillet 2006, portant dispositions générales sur le Fonds européen de développement régional, le Fonds social européen et le Fonds de cohésion, et abrogeant le règlement (CE) no 1260/1999, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce qu’un investissement cofinancé par l’Union européenne soit mis en œuvre à partir d’une localité située en dehors des régions éligibles et par un opérateur établi dans une telle localité, à la condition que cet investissement soit, de manière ciblée et identifiable, dirigé vers les régions éligibles.

 

Signatures


( *1 )   Langue de procédure: le portugais.