Affaire C-81/10 P

France Télécom SA

contre

Commission européenne

«Pourvoi — Aides d’État — Régime d’imposition de France Télécom à la taxe professionnelle — Notion d’‘aide’ — Confiance légitime — Délai de prescription — Obligation de motivation — Principe de sécurité juridique»

Sommaire de l'arrêt

1.        Aides accordées par les États — Notion — Régime particulier d'imposition d'une entreprise lui assurant un avantage

(Art. 87, § 1, CE)

2.        Aides accordées par les États — Notion — Régime particulier d'imposition d'une entreprise — Compensation d'un écart d'imposition favorable sur une certaine période par un excédent d'imposition acquitté sur une autre période en raison d'un prélèvement forfaitaire

(Art. 87, § 1, CE)

3.        Aides accordées par les États — Récupération d'une aide illégale — Aide octroyée en violation des règles de procédure de l'article 88 CE — Confiance légitime éventuelle dans le chef des bénéficiaires — Protection — Conditions et limites

(Art. 88, § 3, CE)

4.        Aides accordées par les États — Récupération d'une aide illégale — Prescription décennale de l'article 15 du règlement nº 659/1999 — Point de départ du délai de prescription — Date de l'octroi de l'aide au bénéficiaire

(Art. 88, § 2, CE; règlement du Conseil nº 659/1999, art. 15)

5.        Aides accordées par les États — Décision de la Commission constatant l'incompatibilité d'une aide avec le marché commun et ordonnant sa restitution — Possibilité pour la Commission de laisser aux autorités nationales la tâche de calculer le montant précis à restituer — Violation du principe de sécurité juridique — Absence

1.        Un régime particulier d’imposition peut accorder un avantage à une entreprise, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, même si le montant exact des aides octroyées sur la base dudit régime doit être déterminé au moyen de certains facteurs externes audit régime.

Lorsque la constatation de l’existence d’une aide dépend d’un certain nombre de circonstances extérieures au régime particulier d’imposition, telles que l’annualité de la taxe professionnelle et le niveau des taux d’imposition votés chaque année par des collectivités territoriales, de telles circonstances n’empêchent nullement que le régime particulier d’imposition puisse, déjà au moment de son adoption, être qualifié d’aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. En effet, il y a lieu de distinguer entre, d’une part, l’adoption du régime d’aide, et, d’autre part, l’octroi des aides annuelles à l'entreprise sur la base dudit régime dont le montant exact dépendait de certains facteurs externes.

Dans un tel cas, l’existence d’un avantage peut être due, d’une part, à un élément fixe lié au régime fiscal particulier appliqué à l'entreprise par rapport au régime de droit commun et, d’autre part, à un élément variable, qui est fonction de circonstances de fait, à savoir la localisation de locaux ou de terrains dans différentes collectivités locales ainsi que le taux d’imposition applicable dans lesdites collectivités.

(cf. points 21-23, 27)

2.        En ce qui concerne la notion d'aide au sens de l'article 87, paragraphe 1, CE, une mesure ne saurait échapper à la qualification d’aide lorsque le bénéficiaire de celle-ci est soumis à une charge spécifique qui est distincte et sans rapport avec l’aide en question.

Déterminer si un excédent d’imposition acquitté par une entreprise à une certaine période, en raison de son assujettissement à un prélèvement forfaitaire, compense l’écart d’imposition dont elle a bénéficié sur une autre période dépend de l’analyse des caractéristiques objectives du prélèvement forfaitaire applicable et de la question de savoir si celui-ci peut être considéré comme une charge inhérente à l’avantage résultant pour l'entreprise de son assujettissement au régime particulier d’imposition. La seule circonstance que le prélèvement forfaitaire et le régime particulier d’imposition ont tous deux été institués par la même loi ne permet pas d’établir que l’assujettissement de l'entreprise à ce prélèvement forfaitaire était inhérent à l’instauration du régime particulier d’imposition.

(cf. points 43-44, 48)

3.        Compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides d’État opéré par la Commission, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue à l’article 88 CE et un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s’assurer que ladite procédure a été respectée. En particulier, lorsqu’une aide est mise à exécution sans notification préalable à la Commission, de sorte qu’elle est illégale conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE, le bénéficiaire de l’aide ne peut avoir, à ce moment, une confiance légitime dans la régularité de l’octroi de celle-ci.

En outre, lorsqu’une aide n’a pas été notifiée à la Commission, l’inaction de celle-ci à l’égard de cette mesure est dépourvue de signification.

(cf. points 59-60)

4.        Les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l’aide sont soumis, aux termes de l’article 15, paragraphe 1, du règlement nº 659/1999, relatif à l'application de l'article 88 CE, à un délai de prescription de dix ans. Il ressort du paragraphe 2 du même article que le délai de prescription ne commence à courir que le jour où l’aide illégale est accordée au bénéficiaire. Par conséquent, l’élément décisif aux fins de la détermination du délai de prescription visé audit article 15 est celui de l’octroi effectif de l’aide.

Il ressort dudit article 15, paragraphe 2, que cette disposition, pour fixer la date à laquelle le délai de prescription commence à courir, se réfère à l’octroi de l’aide au bénéficiaire et non pas à la date d’adoption d’un régime d’aide.

À cet égard, la détermination de la date d’octroi d’une aide est susceptible de varier en fonction de la nature de l’aide en cause. Dans l’hypothèse d’un régime pluriannuel se traduisant par des versements ou par l’octroi périodique d’avantages, la date d’adoption d’un acte constituant le fondement juridique de l’aide et celle à laquelle les entreprises se verront effectivement attribuer le bénéfice de celle-ci peuvent être séparées par un laps de temps important. Dans un tel cas, aux fins du calcul du délai de prescription, l’aide doit être considérée comme ayant été accordée au bénéficiaire uniquement à la date à laquelle elle est effectivement octroyée à ce dernier.

(cf. points 80-82)

5.        Le principe de sécurité juridique, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les règles du droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union.

Dans le domaine des aides d'État, aucune disposition du droit de l’Union n’exige que la Commission, lorsqu’elle ordonne la restitution d’une aide déclarée incompatible avec le marché commun, fixe le montant exact de l’aide à restituer. Il suffit que la décision de la Commission comporte des indications permettant à son destinataire de déterminer lui-même, sans difficultés excessives, ce montant.

(cf. points 100, 102)







ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

8 décembre 2011  (1)

«Pourvoi – Aides d’État – Régime d’imposition de France Télécom à la taxe professionnelle – Notion d’‘aide’ – Confiance légitime – Délai de prescription – Obligation de motivation – Principe de sécurité juridique»

Dans l’affaire C‑81/10 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 10 février 2010,

France Télécom SA, établie à Paris (France), représentée par Mes S. Hautbourg, L. Olza Moreno et L. Godfroid, avocats,

partie requérante,

les autres parties à la procédure étant:

Commission européenne, représentée par MM. E. Gippini Fournier et D. Grespan, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse en première instance,

République française, représentée par MM. G. de Bergues et J. Gstalter, en qualité d’agents,

partie requérante en première instance,

LA COUR (troisième chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président de chambre, M. J. Malenovský, Mme R. Silva de Lapuerta (rapporteur), MM. E. Juhász et D. Šváby, juges,

avocat général: M. N. Jääskinen,

greffier: Mme A. Impellizzeri, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 31 mars 2011,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 8 septembre 2011,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, France Télécom SA (ci-après «France Télécom») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de première instance des Communautés européennes du 30 novembre 2009, France et France Télécom/Commission (T‑427/04 et T‑17/05, Rec. p. II‑4315, ci-après l’«arrêt attaqué»), par lequel celui-ci a rejeté leurs recours tendant à l’annulation de la décision 2005/709/CE de la Commission, du 2 août 2004, concernant l’aide d’État mise à exécution par la France en faveur de France Télécom (JO 2005, L 269, p. 30, ci-après la «décision litigieuse»).

 Les faits à l’origine du litige

2        Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a précisé le cadre juridique et les faits du litige porté devant lui dans les termes suivants:

«[…]

2. Assujettissement de France Télécom à la taxe professionnelle

Régime général de la taxe professionnelle

16      La taxe professionnelle est un impôt local dont les règles sont fixées par la loi et codifiées au code général des impôts.

17      […] la taxe professionnelle est due chaque année par les personnes physiques ou morales qui exercent à titre habituel une activité professionnelle non salariée au 1er janvier.

18      […] la taxe professionnelle est établie suivant la capacité contributive des redevables, appréciée d’après des critères économiques en fonction de l’importance des activités exercées par eux sur le territoire de la collectivité bénéficiaire.

19      Il s’ensuit que la taxe professionnelle est un impôt dont les bases ne sont pas constituées par le bénéfice dégagé par l’activité de l’entreprise, mais, à la date des faits à l’origine du présent litige, par une fraction de la valeur des facteurs de production – capital et travail – utilisés par le redevable dans chaque commune où l’imposition est établie.

20      […] pour les impositions établies au titre des années 1994 à 2002, dans le cas des personnes morales assujetties à l’impôt sur les sociétés, l’assiette de la taxe professionnelle comprenait, d’une part, la valeur locative des immobilisations corporelles dont le redevable avait disposé pour les besoins de son activité professionnelle pendant la période de référence et, d’autre part, une fraction des salaires versés durant la période de référence.

21      […] la période de référence […] est l’avant-dernière année précédant celle de l’imposition, lorsque l’exercice coïncide avec l’année civile, ou, lorsque tel n’est pas le cas, l’exercice clos au cours de l’avant-dernière année précédant celle de l’imposition.

22      […] la taxe professionnelle est établie dans chaque commune où le redevable dispose de locaux ou de terrains, en raison de la valeur locative des biens qui y sont situés ou rattachés et des salaires versés au personnel.

[…]

Règles applicables à France Télécom

Principe de l’assujettissement aux impôts de droit commun

25      La loi n° 90-568 [, du 2 juillet 1990, relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications (JORF du 8 juillet 1990, p. 8069, ci-après la «loi n° 90-568»)], dont résulte la création de France Télécom […] prévoit […] des dispositions particulières en matière de fiscalité.

26      […] sous réserve [de certaines] exceptions […], France Télécom est [en principe] assujettie aux impôts et taxes […] auxquels seraient assujetties des entreprises privées effectuant les mêmes opérations.

Prélèvement forfaitaire

27      […] jusqu’au 1er janvier 1994, France Télécom devait n’être soumise qu’aux impôts et taxes effectivement supportés par l’État. En conséquence, France Télécom n’était redevable, notamment, ni de l’impôt sur les sociétés ni des impôts locaux, dont la taxe professionnelle. En contrepartie, pour les années 1991 à 1993, France Télécom devait acquitter une contribution fixée annuellement par la loi de finances, dans la limite d’un montant dont la base, avant actualisation, était égale au solde dégagé par le budget annexe des télécommunications pour l’année 1989 […]

Régime particulier d’imposition

[…]

30      L’impôt, [dû au titre de la taxe professionnelle,] dont l’assiette suivait, pour le calcul des bases d’imposition, les règles générales prévues au code général des impôts […], était établi par application d’un taux moyen pondéré national résultant des taux votés l’année précédente par l’ensemble des collectivités locales […]

31      France Télécom se voyait, en outre, appliquer un taux de 1,9 % au lieu de 8 % au titre des frais de gestion, à savoir un montant additionnel prélevé par l’État pour compenser les charges occasionnées aux services fiscaux par les activités d’établissement des rôles et de recouvrement de la taxe professionnelle au profit des collectivités locales.

32      Le produit de l’impôt devait être versé à l’État, ou, pour la fraction excédant la cotisation acquittée au titre de l’année 1994, ajustée chaque année de la variation de l’indice des prix à la consommation, au Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle […]

[…]

3. Procédure administrative

35      Le 13 mars 2001, l’Association des collectivités territoriales pour le retour de la taxe professionnelle de France Télécom et de La Poste dans le droit commun a saisi la Commission d’une plainte, selon laquelle le régime particulier d’imposition constituait une aide d’État incompatible avec le marché commun. La plaignante faisait état, notamment, de la perte de recettes qu’entraînait, pour certaines communes, l’application d’un taux moyen pondéré national.

36      À la suite de cette plainte, le 28 juin 2001, la Commission a décidé d’ouvrir la procédure d’examen préliminaire du régime particulier d’imposition et a adressé à la République française une demande de renseignements à ce sujet.

37      Par lettre du 26 septembre 2001, la République française a répondu à cette demande d’informations, en indiquant que le régime particulier d’imposition ne constituait pas une aide d’État, car il ne procurait aucun avantage à France Télécom et n’entraînait aucune perte de ressources pour l’État.

38      Le 30 janvier 2003, la Commission a adopté une décision d’ouverture de la procédure formelle d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE à l’égard, notamment, de l’exonération de taxe professionnelle dont France Télécom avait bénéficié de 1991 à 1993 et du régime particulier d’imposition (ci-après la ‘décision d’ouverture’). La décision d’ouverture a été notifiée à la République française par lettre du 31 janvier 2003. À la demande des autorités françaises, la Commission a procédé, le 7 mars 2003, à la notification d’une version corrigée de cette décision. Dans la décision d’ouverture, la Commission évaluait l’avantage procuré à France Télécom à 1 milliard de francs français (FRF) par an environ depuis l’année 1994 (paragraphes 73 et 74). La décision d’ouverture a été publiée le 12 mars 2003 (JO C 57, p. 5).

[…]

4. Décision attaquée

53      Les 19 et 20 juillet 2004, lors de sa 1667e réunion, le collège des membres de la Commission a approuvé un projet de décision constatant que France Télécom avait bénéficié d’une aide d’État en raison du régime particulier d’imposition, durant la période 1994-2002 (ci-après l’‘aide en cause’), et a habilité le membre chargé de la concurrence à adopter, en accord avec le président, la version définitive de la décision en français, langue faisant foi, après ‘révision juridico-linguistique’.

54      Le 2 août 2004, la Commission a adopté la [décision litigieuse]. Celle-ci a été notifiée à la République française le 3 août 2004. […]

[…]

61      Dans la décision [litigieuse], la Commission a d’abord considéré que le prélèvement forfaitaire, prévu […] pour la période allant de l’année 1991 à l’année 1993, pouvait être considéré comme se substituant à la taxe professionnelle normalement due au titre des mêmes années. Dès lors, l’exonération de taxe professionnelle durant cette période ne constituerait pas une aide d’État (considérants 22 à 33 et 53 [de la décision litigieuse]).

62      En revanche, la Commission a estimé que le régime particulier d’imposition applicable de 1994 à 2002 instituait une aide d’État représentée par la différence entre l’imposition que France Télécom aurait dû supporter dans les conditions de droit commun et le montant des cotisations de taxe professionnelle effectivement mises à la charge de celle-ci (ci-après l’‘écart d’imposition’). Cette aide nouvelle, illégalement mise à exécution en violation de l’article 88, paragraphe 3, CE, serait, en outre, incompatible avec le marché commun. Dès lors, elle devrait faire l’objet d’une récupération (considérants 34 à 53 de la décision [litigieuse]).

63      Pour qualifier le régime particulier d’imposition d’aide d’État, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, la Commission a raisonné de la manière suivante.

64      Premièrement, la Commission a énoncé les raisons pour lesquelles elle était d’avis que l’argument des autorités françaises selon lequel l’avantage constaté durant la période 1994-2002 était plus que compensé par le montant du prélèvement forfaitaire auquel France Télécom avait été soumise durant la période 1991-1993 devait être écarté (considérants 35 à 41 de la décision [litigieuse]).

65      Tout d’abord, la Commission a fait valoir que la loi n° 90-568 avait institué deux régimes d’imposition successifs et distincts: un régime d’exonération, applicable de 1991 à 1993, avec substitution d’un prélèvement forfaitaire aux impôts de droit commun, dont la taxe professionnelle, d’une part; un régime spécial et dérogatoire, aboutissant à une insuffisance d’imposition en matière de taxe professionnelle, applicable, à l’origine, à compter de 1994 et auquel il a été mis fin pour l’imposition établie au titre de l’année 2003, d’autre part (considérants 36 et 38 de la décision [litigieuse]).

[…]

67      En conséquence, la Commission a estimé qu’elle ne pouvait admettre la compensation entre l’écart d’imposition dont France Télécom avait bénéficié de 1994 à 2002 et le prélèvement forfaitaire acquitté de 1991 à 1993, lequel n’était lié à la taxe professionnelle ni de manière spécifique par la loi n° 90-568 ni par ses modalités de calcul (considérant 38 de la décision [litigieuse]).

68      De plus, la Commission a considéré que le prélèvement forfaitaire en cause s’apparentait davantage au versement d’une participation aux résultats au propriétaire du capital qu’à une imposition. Dans ces conditions, ce n’aurait été qu’à titre exceptionnel que la Commission pouvait admettre que ce prélèvement compensait l’exonération totale de taxe professionnelle dont France Télécom avait bénéficié de 1991 à 1993. Une application normale du droit aurait pu, au contraire, conduire à estimer que cette exonération constituait une aide d’État, dont le montant aurait dû être ajouté à celui de l’écart d’imposition dont France Télécom a bénéficié à partir de l’année 1994 en vertu du régime particulier d’imposition (considérants 38 et 39 de la décision [litigieuse]).

69      Enfin, la Commission a estimé que le raisonnement selon lequel il y avait lieu d’opérer une compensation entre les versements opérés par France Télécom au profit de l’État de 1991 à 1993 et la moindre taxation dont France Télécom avait bénéficié à partir de l’année 1994 supposerait de requalifier en crédit d’impôt l’excédent, par rapport au droit commun, de l’imposition mise à la charge de France Télécom de 1991 à 1993 ce qui ne résulte pas de la loi n° 90-568. Cette justification théorique a posteriori ne correspondrait pas non plus à l’application normale du droit fiscal français, mais aurait pour seul but d’éviter la récupération de l’aide d’État octroyée à France Télécom (considérant 40 de la décision [litigieuse]).

70      Deuxièmement, la Commission a estimé que l’écart d’imposition représentait un avantage pour France Télécom, octroyé au moyen de ressources qui auraient dû intégrer le budget de l’État, et constituait, dès lors, une aide d’État (considérant 42 de la décision [litigieuse]).

71      Troisièmement, aux considérants 43 et 44 de la décision [litigieuse], la Commission a indiqué qu’elle ne pouvait, au stade de la décision constatant l’existence d’une aide d’État, prendre en considération l’argument de la République française selon lequel il y aurait lieu de tenir compte de la diminution des bases de l’impôt sur les sociétés qu’aurait entraînée le paiement de sommes plus élevées au titre de la taxe professionnelle pour déterminer l’avantage net dont a bénéficié France Télécom […]

72      Quatrièmement, la Commission, écartant les arguments présentés par la République française selon lesquels l’aide en cause ne pouvait être récupérée en raison de l’application des règles de prescription prévues par l’article 15 du règlement [CE] n° 659/1999 [du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [88 CE] (JO L 83, p. 1)], a considéré que l’aide en cause constituait une aide nouvelle et non une aide existante (considérant 45 [de la décision litigieuse]).

73      En premier lieu, la Commission a indiqué que l’expiration du délai de prescription prévu à l’article 15 du règlement n° 659/1999 n’avait pas pour effet de transformer une aide nouvelle en une aide existante, mais seulement d’empêcher que la Commission ordonne la récupération des aides accordées plus de dix ans avant la date à laquelle la prescription était acquise (considérants 46 à 48 de la décision [litigieuse]).

74      En deuxième lieu, la Commission a fait valoir que la loi n° 90-568 avait instauré un régime d’aide et que la prescription éventuelle ne saurait concerner que les aides accordées dans le cadre de ce régime et non le régime en lui-même. Le point de départ du délai serait donc le jour où chaque aide a été effectivement accordée à France Télécom, c’est-à-dire, chaque année, à la date à laquelle la taxe professionnelle était due (considérant 49 de la décision [litigieuse]).

75      En troisième lieu, la Commission a ajouté que le délai de prescription avait été interrompu par la demande de renseignements adressée à la République française le 28 juin 2001 (considérant 50 de la décision [litigieuse]).

76      En conséquence, la Commission a conclu que, la première aide identifiée ayant été accordée au titre de l’année 1994, soit moins de dix ans avant le 28 juin 2001, l’aide en cause devait être récupérée dans son intégralité (considérant 51 de la décision [litigieuse]).

77      Cinquièmement, la Commission a relevé que les autorités françaises n’avaient fait valoir aucun argument précis pour établir la compatibilité de l’aide en cause avec le marché commun et qu’elle ne voyait aucune base juridique sur le fondement de laquelle celle-ci pourrait être déclarée compatible avec le marché commun (considérant 52 [de la décision litigieuse]).

78      Partant, au considérant 53 de la décision [litigieuse], la Commission a conclu que, premièrement, le régime de taxe professionnelle applicable à France Télécom pendant la période 1991-1993 ne constituait pas une aide d’État et que, deuxièmement, l’écart d’imposition dont avait bénéficié France Télécom, durant la période 1994-2002, en conséquence du régime particulier d’imposition, constituait une aide d’État incompatible avec le marché commun et illégalement mise en œuvre, laquelle devait, dès lors, être récupérée.

79      Toutefois, le montant exact devant être récupéré n’aurait pu être déterminé en raison d’informations divergentes soumises par les autorités françaises dans le cadre de la procédure administrative. La Commission estimait que l’aide devant être récupérée représentait une somme – hors intérêts – comprise entre 798 millions et 1,14 milliard d’euros (considérants 54 à 59 [de la décision litigieuse]).

80      Au considérant 54 de la décision [litigieuse], la Commission a fait référence à un rapport remis au Parlement français par la direction générale des impôts en novembre 2001, selon lequel ‘la normalisation immédiate des conditions d’imposition de France Télécom au regard de la taxe professionnelle entraînerait, à taux inchangé, un surcoût d’imposition de près de 198 millions d’euros pour l’entreprise’.

81      Par ailleurs, la Commission s’est appuyée sur l’estimation du 15 mai 2003, dont les résultats sont présentés sous forme d’un tableau au considérant 54 de la décision [litigieuse]. Selon les chiffres communiqués par la République française, l’imposition théorique cumulée de France Télécom selon le droit commun, au titre des années 1994 à 2002, aurait été de 8,362 milliards d’euros. L’imposition effective cumulée mise à la charge de l’entreprise au titre de ces mêmes années conformément au régime particulier d’imposition serait de 7,222 milliards d’euros. L’écart d’imposition dont aurait bénéficié France Télécom durant la période 1994-2002 serait donc de 1,14 milliard d’euros.

82      La Commission a relevé, en outre, que, par lettre du 29 janvier 2004, les autorités françaises avaient porté à sa connaissance le montant de l’imposition mise à la charge de France Télécom, selon le droit commun, au titre de l’année 2003 (773 millions d’euros) et confirmé le bien-fondé de l’estimation du 15 mai 2003 (considérant 55 de la décision [litigieuse]). Ce ne serait que lors des réunions qui se sont tenues les 16 et 23 juin 2003 que les autorités françaises auraient contesté la fiabilité de ces chiffres (considérants 56 et 57 de la décision [litigieuse]).

83      Le 5 juillet 2004, les autorités françaises auraient présenté une nouvelle estimation. Celle-ci aboutirait à des résultats différents, reproduits sous la forme d’un tableau au considérant 58 de la décision [litigieuse]. L’imposition théorique cumulée de France Télécom selon le droit commun, au titre des années 1994 à 2002, aurait été ramenée à 8,02 milliards d’euros. L’écart d’imposition dont aurait bénéficié France Télécom durant la période 1994-2002 serait donc de 798 millions d’euros.

84      En raison des indications contradictoires communiquées par la République française durant la procédure administrative, la Commission a conclu qu’il ne lui était pas possible de déterminer le montant à récupérer, celui-ci étant compris entre 798 millions et 1,14 milliard d’euros, augmenté des intérêts. Selon la Commission, le montant exact à récupérer devait être défini par les autorités françaises, conformément à leur devoir de coopération loyale, dans la phase d’exécution de la décision [litigieuse] (considérants 59 et 60 de la décision [litigieuse]).

85      En conséquence de tout ce qui précède, le dispositif de la décision [litigieuse] se lit comme suit:

‘Article premier

L’aide d’État, accordée illégalement par la [République française], en contradiction avec l’article 88, paragraphe 3, […] CE, en faveur de France Télécom par le régime de la taxe professionnelle applicable à cette entreprise pendant la période du 1er janvier 1994 au 31 décembre 2002 […] est incompatible avec le marché commun.

Article 2

1.      La [République française] prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer auprès de France Télécom l’aide définie à l’article 1er.

2.      La récupération a lieu sans délai conformément aux procédures du droit national, pour autant qu’elles permettent l’exécution immédiate et effective de la présente décision.

3.      Les aides à récupérer incluent les intérêts à partir de la date à laquelle elles ont été mises à la disposition du bénéficiaire, jusqu’à la date de leur récupération.

[…]

Article 3

La [République française] informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la date de la notification de la présente décision, des mesures qu’elle envisage de prendre et qu’elle a déjà prises pour s’y conformer. Pour ce faire, la [République française] utilisera le questionnaire en annexe à la présente décision.

Article 4

La République française est destinataire de la présente décision.’

86      Le 25 octobre 2006, la Commission a introduit un recours en manquement visant à faire constater à la Cour que, en n’ayant pas exécuté, dans le délai imparti, la décision [litigieuse], la République française avait manqué aux obligations qui lui incombaient en vertu des articles 2 et 3 de cette décision, de l’article 249, quatrième alinéa, CE ainsi que de l’article 10 CE.

87      Par arrêt du 18 octobre 2007, Commission/France (C‑441/06, Rec. p. I‑8887), la Cour a jugé fondé le recours de la Commission.»

 La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

3        Dans le cadre de leurs recours en annulation introduits devant le Tribunal contre la décision litigieuse respectivement les 13 octobre 2004 et 10 janvier 2005, la République française et France Télécom faisaient valoir, en substance, que c’est à tort que la Commission a considéré, d’une part, que France Télécom avait bénéficié d’une aide illégale et, d’autre part, que celle-ci devait faire l’objet d’un remboursement.

4        Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté la totalité des moyens formulés par la République française et France Télécom.

 Les conclusions des parties

5        France Télécom demande à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué;

–        de statuer définitivement sur le fond, conformément à l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, et de faire droit à ses conclusions présentées en première instance;

–        subsidiairement, de renvoyer l’affaire au Tribunal, et

–        de condamner la Commission aux dépens.

6        La République française demande à la Cour:

–        d’annuler l’arrêt attaqué;

–        de statuer définitivement sur le fond, conformément à l’article 61 du statut de la Cour;

–        de faire droit aux prétentions des requérantes en première instance;

–        subsidiairement, de renvoyer l’affaire au Tribunal, et

–        de condamner la Commission aux dépens.

7        La Commission conclut au rejet du pourvoi et à la condamnation de France Télécom aux dépens.

 Sur le pourvoi

8        À l’appui de son pourvoi, France Télécom soulève cinq moyens, tirés, premièrement, de l’erreur de droit commise par le Tribunal en qualifiant le régime particulier d’imposition d’aide d’État, alors que l’existence d’un avantage au profit de France Télécom dépendait de facteurs externes audit régime, deuxièmement, de la méconnaissance par le Tribunal de la notion d’aide d’État en ce que la Commission aurait omis de tenir compte du régime fiscal global applicable à France Télécom pendant les années 1991 à 2002, troisièmement, de la violation du principe de protection de la confiance légitime, quatrièmement, du défaut de motivation de l’arrêt attaqué au regard du principe de prescription et, cinquièmement, d’une erreur de droit ainsi que d’une insuffisance de motivation dudit arrêt au regard du principe de sécurité juridique.

 Sur le premier moyen, tiré de l’erreur de droit commise par le Tribunal en qualifiant le régime particulier d’imposition d’aide d’État alors que l’existence d’un avantage au profit de France Télécom dépendait de facteurs externes audit régime

 Argumentation des parties

9        France Télécom fait valoir que l’existence d’un éventuel avantage financier à son profit par rapport à la situation de droit commun dépend d’une série de variables, telles que les différents taux d’imposition à la taxe professionnelle dans les communes françaises, dans lesquelles sont détenus des actifs imposables, ainsi que la localisation géographique de ceux-ci. Par conséquent, le régime dérogatoire applicable à France Télécom à partir de l’année 1994 n’aurait pas été avantageux en soi, de sorte que cet élément aurait dû conduire le Tribunal à écarter la qualification d’aide d’État attribuée au régime fiscal en cause.

10      France Télécom considère que le Tribunal a méconnu la notion d’aide d’État, en jugeant, au point 323 de l’arrêt attaqué, que l’existence d’un éventuel avantage ne dépendait pas des caractéristiques propres du régime fiscal en cause, mais de facteurs externes à ce régime, dont les effets ne peuvent être constatés qu’a posteriori. Les répercussions avantageuses ou désavantageuses résultant de tels facteurs ne sauraient conférer un caractère d’aide à une mesure qui, à la date de son adoption, ne possédait pas un tel caractère.

11      La République française soutient qu’un régime d’imposition dérogatoire n’est pas en soi susceptible de constituer une aide d’État. En effet, un tel régime ne procurerait pas forcément un avantage sélectif aux entreprises concernées.

12      La Commission estime que le moyen est irrecevable, étant donné qu’il n’a pas été soulevé en première instance.

13      Elle fait également valoir que le moyen n’est pas fondé. En effet, le niveau précis d’imposition résultant du régime dérogatoire n’aurait pas pu être déterminé à l’avance pour chaque année. Toutefois, ce régime aurait été susceptible de conduire à une imposition moindre par rapport à celle résultant de l’application du droit commun en matière de taxe professionnelle.

14      La Commission ajoute qu’il est fréquent que l’examen d’une aide d’État exige la prise en considération d’évènements postérieurs à la mesure dont il s’agit, afin de déterminer si cette dernière s’est concrétisée et de la quantifier en vue de la récupération de l’avantage obtenu.

 Appréciation de la Cour

15      Quant à l’irrecevabilité du premier moyen invoquée par la Commission, il y a lieu d’observer que ce moyen, s’inscrivant dans l’argumentation relative à l’existence d’une aide d’État, a été présenté en première instance, à savoir dans le cadre des premier et deuxième moyens soulevés devant le Tribunal.

16      En ce qui concerne le bien-fondé de ce moyen, il résulte d’une jurisprudence constante que la notion d’aide d’État est plus générale que celle de subvention. Elle comprend non seulement des prestations positives, mais également des interventions qui, sous des formes diverses, allègent les charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise et qui, par là, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques (voir arrêt du 8 septembre 2011, Paint Graphos e.a., C‑78/08 à C‑80/08, non encore publié au Recueil, point 45 et jurisprudence citée).

17      Il convient de rappeler également que la notion d’avantage inhérente à la qualification d’une mesure comme aide d’État revêt un caractère objectif, indépendamment des motivations des auteurs de la mesure dont il s’agit. Ainsi, la nature des objectifs poursuivis par des mesures étatiques et leur justification sont dépourvues de toute incidence sur leur qualification en tant qu’aide d’État. Il ressort en effet d’une jurisprudence constante que l’article 87, paragraphe 1, CE ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais les définit en fonction de leurs effets (voir arrêt du 13 février 2003, Espagne/Commission, C‑409/00, Rec. p. I‑1487, point 46 et jurisprudence citée).

18      Pour ce qui est de la présente espèce, il importe de constater que le régime fiscal auquel France Télécom était soumise au cours de la seconde période considérée, à savoir durant les années 1994 à 2002, représentait une exception par rapport au régime de droit commun. En particulier, cette société a bénéficié d’un traitement fiscal spécifique au niveau national, caractérisé par le fait que la taxe professionnelle était calculée sur la base d’un taux moyen pondéré par rapport aux divers taux applicables dans les différentes collectivités locales, alors que les taux auxquels étaient soumises les autres entreprises étaient ceux votés annuellement par ces collectivités. En outre, France Télécom était soumise à un taux unique de la taxe professionnelle au lieu de son principal établissement, alors que les autres entreprises étaient imposées aux différents taux votés par les collectivités locales sur le territoire desquelles celles-ci possédaient des établissements. France Télécom se voyait également appliquer un taux de 1,9 % au lieu de 8 % applicable aux autres entreprises au titre des frais de gestion.

19      En ce qui concerne l’argumentation invoquée dans le cadre du présent pourvoi, selon laquelle l’examen du régime fiscal en cause par le Tribunal aurait dû tenir compte d’un certain nombre d’éléments variables et de facteurs externes, il y a lieu de relever que, même si, eu égard aux caractéristiques dudit régime, la Commission n’était pas en mesure de déterminer, à l’avance et pour chaque exercice fiscal, le niveau précis d’imposition afférent à celui-ci, il est toutefois constant que ce régime était susceptible de conduire, et a effectivement conduit, ainsi qu’il ressort du cinquante-neuvième considérant de la décision litigieuse et du point 225 de l’arrêt attaqué, à une imposition moindre de France Télécom au titre de la taxe professionnelle par rapport à celle résultant de l’application du régime de droit commun de ladite taxe.

20      Il convient de souligner en outre que, indépendamment des taux d’imposition de la taxe professionnelle déterminés par les collectivités locales, France Télécom bénéficiait en toutes circonstances d’un taux réduit au titre de frais de gestion.

21      Dans ces conditions, le Tribunal a jugé à bon droit, au point 323 de l’arrêt attaqué, que la constatation de l’existence d’une aide dépendait d’un certain nombre de «circonstances extérieures» au régime particulier d’imposition, telles que l’annualité de la taxe professionnelle et le niveau des taux d’imposition votés chaque année par les collectivités sur le territoire desquelles France Télécom possédait des établissements.

22      Contrairement à ce que prétendent France Télécom et la République française, de telles circonstances n’empêchent nullement que le régime particulier d’imposition puisse, déjà au moment de son adoption, être qualifié d’aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE. En effet, il y a lieu de distinguer entre, d’une part, l’adoption du régime d’aide, en l’occurrence le régime particulier d’imposition, et, d’autre part, l’octroi des aides annuelles à France Télécom sur la base dudit régime dont le montant exact dépendait de certains facteurs externes.

23      Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 59 de ses conclusions, il s’agit en l’espèce d’une configuration mixte dans laquelle l’existence d’un avantage est due, d’une part, ’à un élément fixe lié au régime fiscal particulier appliqué à France Télécom par rapport au régime de droit commun et, d’autre part, à un élément variable, qui est fonction de circonstances de fait, à savoir la localisation de locaux ou de terrains dans différentes collectivités locales ainsi que le taux d’imposition applicable dans lesdites collectivités.

24      Ce régime particulier d’imposition, en raison de ses caractéristiques propres telles que décrites au point 18 du présent arrêt, pouvait conduire à une imposition de France Télécom inférieure à celle à laquelle cette dernière aurait été soumise si elle avait été assujettie à la taxe professionnelle selon le régime de droit commun.

25      Le fait que ladite société a effectivement bénéficié d’une imposition moindre au titre de la taxe professionnelle à partir de l’année 1994 est directement lié aux caractéristiques propres du régime fiscal dérogatoire qui lui a été appliqué, même si le montant exact des aides annuelles qu’elle a perçues sur la base dudit régime dépendait de certains facteurs externes à ce régime.

26       Il ressort par ailleurs de la structure de l’arrêt attaqué que le point 323 de celui-ci, qui se réfère aux circonstances extérieures au régime particulier d’imposition, ne se rapporte qu’aux aides annuelles octroyées à France Télécom sur la base du régime particulier d’imposition. Ledit point s’inscrit, en effet, dans l’analyse du moyen portant sur la prescription du pouvoir de la Commission en matière de récupération des aides illégales. Or, l’appréciation effectuée par le Tribunal dans le cadre d’un tel moyen ne peut se rapporter qu’à des aides effectivement perçues et, partant, ne saurait concerner que les aides dont France Télécom a bénéficié sur la base du régime particulier d’imposition.

27       Il découle de ces considérations que c’est sans commettre une erreur de droit que le Tribunal a jugé que le régime particulier d’imposition accordait un avantage à France Télécom, au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, même si le montant exact des aides octroyées sur la base dudit régime devait être déterminé au moyen de certains facteurs externes audit régime.

28      Partant, le premier moyen n’est pas fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré de la méconnaissance par le Tribunal de la notion d’aide d’État en ce que la Commission aurait omis de tenir compte du régime fiscal global applicable à France Télécom pendant les années 1991 à 2002

29      Le deuxième moyen invoqué par France Télécom au soutien de son pourvoi comporte trois branches. Il y a lieu d’examiner en premier lieu la deuxième branche, qui se rapporte à une prétendue interprétation erronée de la décision litigieuse. En second lieu, seront examinées ensemble les première et troisième branches dudit moyen, dès lors que celles-ci sont étroitement liées.

 Sur la deuxième branche, tirée d’une erreur de droit relative à l’interprétation erronée de la décision litigieuse et à une substitution de motifs opérée par le Tribunal

–       Argumentation des parties

30      France Télécom soutient que le Tribunal a interprété de manière erronée la décision litigieuse, en estimant que la Commission avait considéré que l’aide en cause n’était pas constituée par les dispositions fiscales particulières applicables à ladite société, mais par l’écart d’imposition constaté annuellement entre les montants mis à la charge de cette dernière et la taxe professionnelle due en application du régime de droit commun, substituant ainsi sa propre motivation à celle de ladite décision. France Télécom soutient également qu’une telle interprétation est contraire au dispositif de la décision litigieuse selon lequel l’aide en cause est constituée par le régime de la taxe professionnelle applicable à cette société pendant la période du 1er janvier 1994 au 31 décembre 2002. La Commission se serait ainsi fondée non pas sur l’annualité de l’écart d’imposition constatée à partir de l’année 1994, mais sur d’autres raisons de nature différente.

31      La Commission rétorque que la lecture que le Tribunal a faite de la décision litigieuse dans l’arrêt attaqué est conforme aux termes de celle-ci. Elle précise qu’il n’était pas nécessaire de réitérer dans le dispositif de cette décision que l’écart d’imposition était constitutif d’un avantage. En effet, l’aide dont a bénéficié France Télécom, ayant consisté en la sous-imposition de cette dernière au titre de la taxe professionnelle entre les années 1994 et 2002, a été accordée par le régime de la taxe professionnelle applicable à cette société pendant cette période.

–       Appréciation de la Cour

32      Il y a lieu de relever que le Tribunal, au point 201 de l’arrêt attaqué, a examiné le volet de la décision litigieuse selon lequel l’aide résultait d’un écart d’imposition, représentant la différence entre le montant des cotisations de la taxe professionnelle que France Télécom aurait dû acquitter si elle avait été soumise à l’impôt de droit commun et celui qui a été effectivement mis à sa charge en vertu du régime fiscal en cause. Le Tribunal a vérifié la réalité de cet écart d’imposition aux points 219 à 225 dudit arrêt, sans que les constatations qu’il a ainsi effectuées aient été mises en cause par France Télécom.

33      S’agissant de la prétendue substitution de motifs qui aurait été opérée par le Tribunal, il suffit de constater que ce dernier n’est pas allé au-delà du niveau de contrôle juridictionnel requis en substituant sa propre appréciation à celle de la Commission, dès lors que l’écart d’imposition en question et l’annualité de la taxe professionnelle, telle que prévue par les dispositions du code général des impôts, font partie intégrante du raisonnement de la Commission développé dans la décision litigieuse.

34      En effet, il convient de constater que le quarante-deuxième considérant de la décision litigieuse énonce que «la différence entre la taxe professionnelle effectivement payée par [France Télécom] et celle qui aurait été due en vertu du droit commun du 1er janvier 1994 au 1er janvier 2003 constitue une aide d’État car elle représente un avantage pour [France Télécom] octroyé au moyen de ressources qui auraient autrement intégré le budget de l’État». Le quarante-neuvième considérant de la même décision litigieuse précise que la taxe professionnelle était due annuellement. Par ailleurs, l’annualité de la taxe professionnelle est également mise en exergue au vingt-cinquième considérant de la décision d’ouverture de la procédure auquel il est renvoyé par le quinzième considérant de ladite décision.

35      Par conséquent, l’interprétation à laquelle est parvenu le Tribunal, selon laquelle l’aide en cause était constituée par l’écart d’imposition résultant de l’application de dispositions instituant un régime dérogatoire, est conforme au dispositif de la décision litigieuse, qui qualifie le régime applicable à France Télécom entre les années 1994 et 2002 d’aide incompatible avec le marché commun. En effet, c’est en vertu de ce régime dérogatoire que ladite société n’avait pas versé les montants de la taxe professionnelle qu’elle aurait normalement dû acquitter conformément au régime fiscal de droit commun.

36      La deuxième branche du deuxième moyen doit, dès lors, être écartée.

 Sur les première et troisième branches, tirées de la méconnaissance par le Tribunal de la notion d’aide d’État dès lors que ce dernier n’aurait pas procédé à une analyse globale du régime fiscal applicable à France Télécom

–       Argumentation des parties

37      France Télécom fait valoir que le Tribunal a méconnu l’obligation de procéder à un examen global de l’ensemble des dispositions prévues par le régime dérogatoire au droit commun. Pour déterminer l’existence d’un avantage, le Tribunal aurait comparé les charges imposées par le régime dérogatoire avec le niveau d’imposition qui lui aurait été appliqué si cette société avait été soumise au régime fiscal de droit commun. Il aurait cependant limité cette comparaison à la période allant de 1994 à 2002, sans prendre en considération la charge fiscale que France Télécom a dû supporter au cours des années 1991 à 1993.

38      France Télécom considère que ni l’annualité de l’impôt ni les différences existant entre les deux périodes d’imposition considérées ne sauraient justifier une analyse partielle se limitant au régime fiscal applicable à partir de l’année 1994. Le Tribunal aurait ainsi refusé à tort de prendre en compte la surimposition que le prélèvement forfaitaire a représenté pour cette société au cours des années 1991 à 1993 par rapport au niveau d’imposition qu’elle aurait dû supporter si elle avait été soumise au droit commun de la taxe professionnelle durant ces mêmes années. À supposer même que l’annualité de la taxe professionnelle puisse être prise en compte dans l’analyse, le Tribunal aurait dû reconnaître que, pour les premiers exercices relevant du régime fiscal dérogatoire global, à savoir les années 1991 à 1993, cette société avait subi une surimposition.

39      France Télécom estime également que le Tribunal a commis une erreur en droit en se fondant, au point 207 de l’arrêt attaqué, sur l’arrêt de la Cour du 15 décembre 2005, Italie/Commission (C‑66/02, Rec. p. I‑10901). Le Tribunal aurait conclu à tort, sur le fondement dudit arrêt, à un allègement de charges au profit de France Télécom pour les années 1994 à 2002, lequel ne pouvait pas être compensé par l’existence d’une charge spécifique imposée à cette même société au titre des années 1991 à 1993.

40      De même, la République française fait valoir que le Tribunal a méconnu la notion d’avantage lorsqu’il a retenu une approche restrictive du lien qui doit exister entre une exonération et une charge instituées par le régime fiscal en cause. Le Tribunal aurait dû analyser, dans son ensemble, le régime dérogatoire prévu par la loi n° 90‑568, notamment les éventuels avantages conférés à France Télécom par ce régime dérogatoire et les charges exorbitantes du droit commun pesant sur cette dernière.

41      La Commission soutient qu’il n’est pas possible de «compenser» une aide en invoquant des charges d’une nature différente et sans rapport avec cette aide. Cette impossibilité concernerait non seulement la question des ressources d’État, mais également celle de l’avantage accordé. En effet, une perte de ressources pour l’État ne pourrait pas échapper à la qualification d’aide en raison d’une «compensation» avec d’autres sommes versées à l’État sur la base d’autres obligations. En raison de l’absence d’un lien suffisant entre le régime d’imposition applicable entre les années 1991 et 1993, d’une part, et celui en vigueur à partir de l’année 1994, d’autre part, la théorie de la compensation qui sous-tend l’argumentation de France Télécom ne serait pas fondée.

–       Appréciation de la Cour

42      Eu égard à l’argumentation invoquée par les parties, il doit être examiné si le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 218 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait, à juste titre, refusé d’opérer, dans la décision litigieuse, une compensation entre les montants du prélèvement forfaitaire acquittés par France Télécom de 1991 à 1993, d’une part, et les écarts d’imposition résultant du régime particulier d’imposition pour les années 1994 à 2002, d’autre part, aux fins d’apprécier si cette société a bénéficié d’aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE.

43      À cet égard, le Tribunal, tout en reconnaissant que la Commission, lors de l’examen d’une mesure susceptible de constituer une aide d’État, est habilitée à tenir compte de charges spécifiques grevant un avantage, a cependant jugé, au point 207 de l’arrêt attaqué, qu’une mesure ne saurait échapper à la qualification d’aide lorsque le bénéficiaire de celle-ci est soumis à une charge spécifique qui est distincte et sans rapport avec l’aide en question. Cette affirmation du Tribunal repose sur une interprétation correcte de l’article 87, paragraphe 1, CE (voir arrêt du 2 juillet 1974, Italie/Commission, 173/73, Rec. p. 709, point 34), nonobstant le fait qu’il se réfère à cet égard, par erreur, à l’arrêt de la Cour du 15 décembre 2005, Italie/Commission, précité.

44      C’est donc sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a considéré, au point 208 de l’arrêt attaqué, que le bien-fondé de l’argument de la République française et de France Télécom, selon lequel l’excédent d’imposition acquitté par cette dernière de 1991 à 1993, en raison du prélèvement forfaitaire auquel elle était soumise, compensait l’écart d’imposition dont cette société a bénéficié de 1994 à 2002, dépend de l’analyse des caractéristiques objectives du prélèvement forfaitaire applicable entre les années 1991 et 1993 et de la question de savoir si celui-ci peut être considéré comme une charge inhérente à l’avantage résultant pour France Télécom de son assujettissement au régime particulier d’imposition à partir de l’année 1994.

45      À cet égard, il convient de constater que le prélèvement applicable à France Télécom entre les années 1991 et 1993 était défini par des paramètres distincts de ceux appliqués à partir de l’année 1994 dans le cadre du régime particulier d’imposition. Les deux régimes fiscaux reposaient en effet sur des modèles juridiques et des paramètres opérationnels différents.

46      En effet, ainsi qu’il ressort du dix-septième considérant de la décision litigieuse et du point 209 de l’arrêt attaqué, France Télécom, en vertu du régime fiscal qui lui était applicable entre les années 1991 et 1993, n’était assujettie à aucun impôt ou prélèvement autre que le prélèvement forfaitaire. Le montant de celui-ci était défini non pas selon les paramètres déterminant le montant de la taxe professionnelle, mais par référence au bénéfice versé à l’État par l’entité en 1989 et en 1990. Par ailleurs, le prélèvement forfaitaire avait un caractère temporaire.

47      En revanche, conformément au régime particulier d’imposition applicable à partir de l’année 1994 pour une durée indéterminée, France Télécom était en principe assujettie à tous les impôts de droit commun. Cette dernière était cependant assujettie à la taxe professionnelle selon des modalités dérogeant au droit commun, constituant le régime particulier d’imposition.

48      Dans ces conditions, le Tribunal a pu constater à bon droit, au point 213 de l’arrêt attaqué, que le prélèvement forfaitaire doit être considéré non pas comme une charge inhérente à la mise en place du régime particulier d’imposition, mais plutôt comme une modalité d’imposition particulière de France Télécom instituée pour les années antérieures à 1994. En tout état de cause, ainsi que l’a relevé le Tribunal au point 215 de l’arrêt attaqué, la seule circonstance que le prélèvement forfaitaire et le régime particulier d’imposition ont tous deux été institués par la loi n° 90-568 ne permet pas d’établir que l’assujettissement de France Télécom à ce prélèvement forfaitaire de 1991 à 1993 était inhérent à l’instauration du régime particulier d’imposition pour les années postérieures à 1994.

49      Dès lors, c’est sans commettre une erreur de droit que le Tribunal a conclu, au point 218 de l’arrêt attaqué, que la Commission était fondée à refuser d’opérer une compensation entre les montants du prélèvement forfaitaire acquittés par France Télécom de 1991 à 1993, d’une part, et les écarts d’imposition résultant du régime particulier d’imposition instauré en faveur de cette société pour les années 1994 à 2002, d’autre part.

50      Enfin, à supposer même que fût exacte la thèse selon laquelle le régime fiscal applicable à France Télécom aurait consisté en deux périodes indissociables, dont la première aurait entraîné une surimposition et la seconde une sous-imposition, il est constant que la loi n° 90-568 prévoyait, à partir de l’année 1994, un régime particulier d’imposition conçu comme étant de durée indéterminée. Or, cette loi ne contenait aucun mécanisme permettant d’opérer un calcul compensatoire entre les montants dus au titre du prélèvement forfaitaire pour la période de 1991 à 1993 et ceux dus, à partir de l’année 1994, au titre du régime particulier d’imposition. Elle ne permettait donc pas de déterminer le moment à partir duquel la surimposition au titre du premier régime aurait dû être compensée dans le cadre de l’application du second régime. Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 100 de ses conclusions, ladite surimposition aurait dû épuiser ses effets à un moment donné, ce qui impliquait nécessairement l’octroi d’un avantage à France Télécom dans le cadre du régime particulier d’imposition.

51      Les première et troisième branches du deuxième moyen ne sauraient donc être accueillies. Ce moyen doit, dès lors, être rejeté dans son ensemble.

 Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime

52      Le troisième moyen invoqué par France Télécom au soutien de son pourvoi comporte deux branches.

 Sur la première branche du troisième moyen, tirée d’une erreur de droit concernant les circonstances permettant d’invoquer le principe de protection de la confiance légitime

–       Argumentation des parties

53      France Télécom allègue que c’est à tort que, en ce qui concerne la possibilité d’invoquer le principe de protection de la confiance légitime, le Tribunal a limité la possibilité d’une prise en compte de certaines circonstances exceptionnelles aux seuls cas dans lesquels une aide a été notifiée. Or, le fait que, en l’espèce, l’existence d’un avantage ne pouvait être identifiée qu’a posteriori, en fonction de l’évolution de circonstances externes au régime particulier d’imposition, constituerait une telle circonstance exceptionnelle.

54      France Télécom souligne que le Tribunal n’a déterminé ni l’acte juridique qui aurait dû faire l’objet d’une notification ni la date à laquelle celle-ci aurait dû intervenir. En effet, si l’avantage correspondait à un écart d’imposition constaté chaque année en fin d’exercice, il aurait été impossible d’identifier une obligation de notification préalable du régime fiscal en cause.

55      France Télécom ajoute que le Tribunal a méconnu le fait que les intentions du législateur national faisaient partie des éléments à examiner pour déterminer si cette société pouvait avoir une confiance légitime dans la conformité de la mesure fiscale en cause au regard des règles applicables en matière d’aides d’État.

56      La Commission rappelle que les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la légalité d’une aide que si celle-ci est accordée dans le respect de la procédure prévue par le traité CE.

57      Elle fait valoir que le régime particulier d’imposition applicable à France Télécom durant les années 1994 à 2002 était un régime dérogatoire, sélectif, imputable à l’État et s’appliquant à une entreprise active dans des marchés ouverts à la concurrence et aux échanges entre États membres. Par conséquent, les autorités nationales auraient dû notifier le régime particulier de la taxe professionnelle applicable à cette société avant la date à laquelle cette taxe devenait exigible.

–       Appréciation de la Cour

58      Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que l’obligation de notification constitue l’un des éléments fondamentaux du système de contrôle mis en place par le traité dans le domaine des aides d’État. Dans le cadre de ce système, les États membres ont l’obligation, d’une part, de notifier à la Commission chaque mesure tendant à instituer ou à modifier une aide au sens de l’article 87, paragraphe 1, CE, et, d’autre part, de ne pas mettre en œuvre une telle mesure, conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE, aussi longtemps que ladite institution n’a pas pris une décision finale concernant ladite mesure.

59      Par conséquent, compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides d’État opéré par la Commission, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue à l’article 88 CE et un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s’assurer que ladite procédure a été respectée. En particulier, lorsqu’une aide est mise à exécution sans notification préalable à la Commission, de sorte qu’elle est illégale conformément à l’article 88, paragraphe 3, CE, le bénéficiaire de l’aide ne peut avoir, à ce moment, une confiance légitime dans la régularité de l’octroi de celle-ci (voir arrêt du 11 novembre 2004, Demesa et Territorio Histórico de Álava/Commission, C‑183/02 P et C‑187/02 P, Rec. p. I‑10609, points 44 et 45 ainsi que jurisprudence citée).

60      En outre, la Cour a jugé que, lorsqu’une aide n’a pas été notifiée à la Commission, l’inaction de celle-ci à l’égard de cette mesure est dépourvue de signification (voir arrêt Demesa et Territorio Histόrico de Álava/Commission, précité, point 52).

61      S’agissant du présent litige, il est constant que le régime fiscal en cause, institué par la loi n° 90-568, n’a pas été notifié à la Commission.

62      Dans la mesure où France Télécom fait valoir qu’une obligation de notification n’existait pas, puisque l’existence d’un avantage n’était pas établie, il convient de souligner que ni la prétendue complexité du régime fiscal en cause ni la nature périodique de la mesure d’aide ne sont susceptibles de soustraire l’État membre à son obligation de notification ou de générer une quelconque confiance légitime au profit de la société bénéficiaire de l’aide.

63      Quant à l’éventuelle pertinence de circonstances exceptionnelles susceptibles d’établir, nonobstant les considérations évoquées au point précédent, une confiance légitime dans le caractère régulier d’une aide, il suffit de constater que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit quant à l’appréciation de telles circonstances lors de l’examen approfondi auquel il a procédé, aux points 263 à 269 de l’arrêt attaqué, de l’ensemble des arguments invoqués devant lui à cet égard.

64      Par conséquent, le Tribunal a conclu à bon droit, au point 270 de l’arrêt attaqué, que la République française et France Télécom n’avaient pas démontré l’existence de circonstances exceptionnelles leur permettant de se prévaloir du principe de protection de la confiance légitime.

65      Force est de conclure que la première branche du troisième moyen n’est pas fondée.

 Sur la seconde branche du troisième moyen, tirée d’une erreur de droit quant aux conséquences juridiques résultant d’une autre décision de la Commission en matière d’aides d’État

–       Argumentation des parties

66      France Télécom estime que le Tribunal a interprété de manière erronée les conséquences juridiques découlant de la décision de la Commission, du 8 février 1995, relative à La Poste (JO C 262, p. 11, ci-après la «décision relative à La Poste»).

67      France Télécom soutient que ladite décision constituait un acte positif susceptible de produire des effets juridiques et de générer une confiance légitime dans la conformité du régime fiscal en cause avec les règles en matière d’aides d’État.

68      La Commission souligne que, dès lors que le régime particulier d’imposition constituait une modalité d’assujettissement à la taxe professionnelle dérogatoire au droit commun, il était susceptible d’octroyer un avantage financier à France Télécom. Au vu des caractéristiques de ce régime, la notification aurait dû intervenir au plus tard avant la date à laquelle la cotisation de la taxe professionnelle mise à la charge de cette société au titre de l’année 1994 est devenue exigible.

69      La Commission considère qu’une autre procédure d’examen en matière d’aide ne saurait engendrer une confiance légitime au profit de France Télécom quant au régime d’imposition spécifique dont cette dernière était bénéficiaire.

–       Appréciation de la Cour

70      Ainsi qu’il a été relevé aux points 59 et 60 du présent arrêt, le bénéficiaire d’une aide ne saurait, en principe, se prévaloir de considérations tirées du principe de protection de confiance légitime lorsque l’aide en question n’a pas été notifiée à la Commission.

71      S’agissant de l’argumentation tirée de la décision relative à La Poste, il convient de constater que cette décision ne contient aucune analyse portant sur le régime dérogatoire de la taxe professionnelle applicable à France Télécom. Dans ces circonstances, le Tribunal ne pouvait que constater, au point 266 de l’arrêt attaqué, que la Commission n’avait nullement pris position sur ce régime particulier d’imposition et, partant, ne s’était pas prononcée sur le point de savoir si celui-ci constituait ou non une aide.

72      En ce qui concerne l’argument selon lequel France Télécom aurait pu interpréter le contexte dans lequel la décision relative à La Poste avait été adoptée comme une prise de position de la Commission sur le régime fiscal en cause, il doit être constaté que le Tribunal a, sans commettre d’erreur de droit, rejeté cet argument aux points 265 à 269 de l’arrêt attaqué.

73      Par conséquent, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé que la décision relative à La Poste ne comportait aucun élément pertinent de nature à faire naître une éventuelle confiance légitime de France Télécom en ce qui concerne la légalité du régime fiscal en cause au regard des règles en matière d’aides d’État. La seconde branche du troisième moyen n’est donc pas fondée.

74      Eu égard aux considérations qui précèdent, le troisième moyen doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur le quatrième moyen, tiré du défaut de motivation de l’arrêt attaqué en ce qui concerne la réponse aux arguments relatifs au principe de prescription

 Argumentation des parties

75      France Télécom rappelle que les autorités françaises ont expliqué, dans le cadre de la procédure administrative, que l’éventuelle sous-imposition pendant les années 1994 à 2002 ne pouvait pas, en tout état de cause, faire l’objet d’une récupération, étant donné que le régime fiscal en cause avait été mis en place il y a plus de dix ans. Or, l’article 15 du règlement n° 659/1999 prévoirait que les pouvoirs de la Commission en matière de récupération d’une aide sont soumis à un délai de prescription de dix ans.

76      France Télécom estime que le Tribunal ne s’est pas prononcé sur le principe de prescription ainsi invoqué devant lui. En revanche, il aurait substitué, à cet égard, sa propre motivation à celle de la décision litigieuse. En outre, l’arrêt attaqué ne préciserait pas quel est l’acte juridique contraignant constituant le point de départ du délai de prescription. L’acte ayant fait courir la prescription aurait été la loi n° 90-568.

77      La République française observe que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que le délai de prescription de l’aide en cause ne pouvait commencer à courir avant l’année 1994. En admettant même que le régime d’imposition dérogatoire constituait une aide d’État, le seul acte juridique contraignant pouvant être identifié pour déterminer le point de départ du délai de prescription concernant la mesure en cause serait la loi n° 90-568, entrée en vigueur le 2 juillet 1990. La Commission aurait décidé d’ouvrir la procédure d’examen préliminaire du régime particulier d’imposition de France Télécom en adressant aux autorités françaises une demande de renseignement le 28 juin 2001. Or, à cette date, le délai de prescription relatif à l’obligation de récupération aurait été expiré.

78      La Commission souligne que le Tribunal était seulement tenu de trancher la question de savoir si l’aide octroyée à France Télécom par le régime particulier de la taxe professionnelle en vigueur à partir de l’année 1994 était prescrite. Par conséquent, le grief selon lequel le Tribunal aurait substitué sa motivation à celle de la décision litigieuse ne saurait être retenu.

79      La Commission précise que les règles de prescription en matière d’aides d’État concernent la récupération de ces dernières. Or, il ne serait possible de récupérer une aide que lorsque le montant de celle-ci est déterminable. En ce qui concerne le régime fiscal en cause, l’avantage n’aurait pu être établi que sur une base annuelle et a posteriori.

 Appréciation de la Cour

80      S’agissant du principe de prescription, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 15, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999, les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l’aide sont soumis à un délai de prescription de dix ans. Il ressort du paragraphe 2 du même article que le délai de prescription ne commence à courir que le jour où l’aide illégale est accordée au bénéficiaire. Par conséquent, l’élément décisif aux fins de la détermination du délai de prescription visé audit article 15 est celui de l’octroi effectif de l’aide.

81      Il ressort dudit article 15, paragraphe 2, que cette disposition, pour fixer la date à laquelle le délai de prescription commence à courir, se réfère à l’octroi de l’aide au bénéficiaire et non pas à la date d’adoption d’un régime d’aide.

82      À cet égard, il convient de souligner que la détermination de la date d’octroi d’une aide est susceptible de varier en fonction de la nature de l’aide en cause. Ainsi, dans l’hypothèse d’un régime pluriannuel se traduisant par des versements ou par l’octroi périodique d’avantages, la date d’adoption d’un acte constituant le fondement juridique de l’aide et celle à laquelle les entreprises se verront effectivement attribuer le bénéfice de celle-ci peuvent être séparées par un laps de temps important. Dans un tel cas, aux fins du calcul du délai de prescription, l’aide doit être considérée comme ayant été accordée au bénéficiaire uniquement à la date à laquelle elle est effectivement octroyée à ce dernier.

83      Il importe de rappeler à cet égard que la Commission, au quarante-neuvième considérant de la décision litigieuse, a précisé que le délai de prescription commençait à courir chaque année à la date à laquelle la cotisation à la taxe professionnelle était due par France Télécom.

84      En effet, et ainsi qu’il résulte du point 320 de l’arrêt attaqué, le délai de prescription recommence à courir à chaque octroi effectif, le cas échéant annuel, de l’avantage, de sorte que le décompte du délai de prescription peut dépendre de la manière dont est identifié l’avantage.

85      En l’espèce, dès lors que la constatation de l’existence de l’aide devait être opérée en fonction des différents taux applicables dans chaque commune sur le territoire de laquelle étaient situés les établissements de France Télécom, le Tribunal, au point 323 de l’arrêt attaqué, a effectué une analyse de l’annualité de la taxe professionnelle et des conséquences en découlant.

86      Par conséquent, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé, au point 324 de l’arrêt attaqué, que, en raison de l’annualité de la taxe professionnelle, l’aide en cause ne pouvait pas être considérée comme ayant été accordée avant l’année 1994, puisque c’est au cours de celle-ci qu’ont été adoptés les actes juridiques contraignants permettant, pour la première fois, de constater l’existence de l’écart d’imposition.

87      En outre, l’approche retenue par le Tribunal est confirmée par le libellé de l’article 15, paragraphe 1, du règlement n° 659/1999, dont il ressort que ce sont les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l’aide qui sont soumis à un délai de prescription.

88      S’agissant enfin de l’argument selon lequel le Tribunal aurait manqué à l’obligation de motivation relative au principe de prescription, il ressort d’une jurisprudence constante que ce dernier n’est pas tenu d’effectuer un exposé qui suivrait de manière exhaustive et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut donc être implicite, à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles les mesures en question ont été prises et à la juridiction compétente de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (voir arrêts du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C‑105/04 P, Rec. p. I‑8725, point 72, et du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C‑3/06 P, Rec. p. I‑1331, point 46).

89      À cet égard, il y a lieu d’observer que le Tribunal, aux points 323 et 324 de l’arrêt attaqué, a explicité son appréciation des caractéristiques du régime de la taxe professionnelle pour conclure, au point 325 dudit arrêt, que le délai de prescription, prévu à l’article 15 du règlement n° 659/1999, n’était pas expiré à la date du 28 juin 2001, à laquelle une demande d’information a été adressée à la République française.

90      Dans ces conditions, il convient de considérer que le Tribunal a répondu à suffisance de droit aux arguments relatifs au principe de prescription invoqués par France Télécom et n’a pas méconnu les exigences de motivation découlant de la jurisprudence rappelée au point 88 du présent arrêt.

91      Eu égard à ce qui précède, le quatrième moyen ne saurait être accueilli.

 Sur le cinquième moyen, tiré d’une erreur de droit et d’un défaut de motivation de l’arrêt attaqué en ce qui concerne les arguments relatifs à une violation du principe de sécurité juridique

92      Le cinquième moyen invoqué par France Télécom au soutien de son pourvoi comporte deux branches.

 Argumentation des parties

–       Sur la première branche du cinquième moyen, tirée de l’absence de motivation et de l’erreur de droit en raison de l’impossibilité d’établir le montant de l’aide devant être récupéré

93      France Télécom estime que le Tribunal n’a pas répondu à l’argument selon lequel, lorsque la Commission examine un avantage dont le montant réel est impossible à établir, elle ne saurait ordonner la récupération d’un tel avantage.

94      Elle en déduit que le Tribunal a violé le principe de sécurité juridique, dès lors que l’éventuel montant à récupérer continue d’être hypothétique et que la quantification de l’aide récupérable ne saurait reposer sur des estimations approximatives.

–       Sur la seconde branche du cinquième moyen, tirée du défaut de motivation et de l’erreur de droit en ce qui concerne l’appréciation des méthodes d’approximation du montant de l’aide

95      France Télécom considère que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, aux points 297 et 305 de l’arrêt attaqué, que la Commission était fondée à établir une fourchette concernant le montant d’aide à récupérer sur la base des approximations fournies par les autorités françaises et que, dès lors, une violation du principe de sécurité juridique ne pouvait être établie.

96      France Télécom explique que les estimations en question n’auraient pas été transmises par les autorités françaises dans le but de déterminer l’étendue réelle d’un écart d’imposition pendant la période allant de 1994 à 2002. Lesdits calculs auraient été présentés afin de démontrer que l’éventuelle sous-imposition de la société au cours de cette période était compensée par sa surimposition pendant les premières années du régime fiscal dérogatoire, à savoir les années 1991 à 1993.

97      Dans sa réponse aux deux branches du cinquième moyen, la Commission fait valoir que, dans ses appréciations relatives au principe de sécurité juridique, le Tribunal n’a fait que tirer les conséquences résultant d’un certain nombre d’éléments figurant dans l’arrêt de la Cour du 18 octobre 2007, Commission/France (C‑441/06, Rec. p. I‑8887).

98      La Commission considère donc que le Tribunal a motivé de manière appropriée la conclusion selon laquelle France Télécom n’est pas fondée à soutenir que, du seul fait que le montant de l’aide en cause devait être précisé aux fins de sa restitution, le principe de sécurité juridique aurait été méconnu.

 Appréciation de la Cour

99      Eu égard à leur connexité, il y a lieu d’examiner conjointement les deux branches du cinquième moyen.

100    À cet égard, il convient de rappeler que le principe de sécurité juridique, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les règles du droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 15 février 1996, Duff e.a., C‑63/93, Rec. p. I‑569, point 20; du 7 juin 2007, Britannia Alloys & Chemicals/Commission, C‑76/06 P, Rec. I‑4405, point 79, ainsi que du 18 novembre 2008, Förster, C‑158/07, Rec. p. I‑8507, point 67).

101    Quant à l’argumentation présentée au soutien du cinquième moyen, il convient d’observer que le Tribunal, au point 301 de l’arrêt attaqué, a rappelé que, sur la base des estimations effectuées par la Commission, le montant de l’aide devait se situer entre 798 millions et 1,14 milliard d’euros. Ces chiffres constituant la fourchette à l’intérieur de laquelle le montant définitif devait être établi, le Tribunal a jugé, en se référant notamment aux points 31 à 40 de l’arrêt Commission/France, précité, que la décision litigieuse comportait les indications appropriées permettant la détermination, sans difficultés excessives, dudit montant.

102    En outre, il importe de rappeler que la Cour, au point 29 de son arrêt Commission/France, précité, a jugé qu’aucune disposition du droit de l’Union n’exige que la Commission, lorsqu’elle ordonne la restitution d’une aide déclarée incompatible avec le marché commun, fixe le montant exact de l’aide à restituer. Il suffit que la décision de la Commission comporte des indications permettant à son destinataire de déterminer lui-même, sans difficultés excessives, ce montant (voir, également, arrêts du 12 octobre 2000, Espagne/Commission, C‑480/98, Rec. p. I‑8717, point 25, et du 12 mai 2005, Commission/Grèce, C‑415/03, Rec. p. I‑3875, point 39).

103    Ainsi, le Tribunal, aux points 302 et 303 de l’arrêt attaqué, a précisé que ladite fourchette avait été établie sur la base des estimations fournies par les autorités françaises au cours de la procédure administrative et que, à défaut dudit État membre d’avoir pu procéder à un calcul exact de l’avantage dont France Télécom avait bénéficié au titre du régime fiscal en cause, la Commission était fondée à s’appuyer sur les données ainsi communiquées.

104    Dans ces conditions, le Tribunal a conclu à juste titre, au point 305 de l’arrêt attaqué, que la décision litigieuse n’était pas constitutive d’une violation du principe de sécurité juridique.

105    Il découle de ces éléments que ni la République française ni France Télécom ne sauraient invoquer ledit principe en vue de faire obstacle à la restitution d’une aide illégale (voir arrêt du 15 décembre 2005, Unicredito Italiano, C‑148/04, Rec. p. I‑11137, point 104).

106    Partant, c’est à bon droit que le Tribunal a jugé que la décision litigieuse n’est pas entachée d’illégalité au motif qu’elle se limite à mentionner une fourchette indicative en ce qui concerne le montant de l’aide à récupérer.

107    Par ailleurs, il ressort des points 301 à 305 de l’arrêt attaqué que celui-ci n’est pas non plus entaché d’un défaut de motivation quant à l’appréciation du moyen tiré d’une violation du principe de sécurité juridique tel que soulevé par France Télécom et la République française.

108    Le cinquième moyen invoqué par France Télécom au soutien de son pourvoi ne saurait prospérer et, dès lors, celui-ci doit être rejeté dans son ensemble.

 Sur les dépens

109    Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 118 du même règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de France Télécom et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens. La République française supporte ses propres dépens.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête:

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      France Télécom SA est condamnée aux dépens.

3)      La République française supporte ses propres dépens.

Signatures


1 Langue de procédure: le français