Affaire C-14/10

Nickel Institute

contre

Secretary of State for Work and Pensions

(demande de décision préjudicielle, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Queen's Bench Division (Administrative Court))

«Environnement et protection de la santé humaine — Directive 67/548/CEE — Règlement (CE) nº 1272/2008 — Classification des carbonates de nickel, des hydroxydes de nickel ainsi que de plusieurs substances groupées à base de nickel en tant que substances dangereuses — Validité des directives 2008/58/CE et 2009/2/CE ainsi que du règlement (CE) nº 790/2009 — Adaptation de ces classifications au progrès technique et scientifique — Validité — Méthodes d’évaluation des propriétés intrinsèques desdites substances — Erreur manifeste d’appréciation — Base juridique — Obligation de motivation»

Sommaire de l'arrêt

Rapprochement des législations — Classification, emballage et étiquetage des substances dangereuses — Directive 67/548 — Adaptation au progrès technique — Classification de certaines substances à base de nickel comme substances dangereuses

(Art. 253 CE; règlements du Parlement européen et du Conseil nº 1907/2006 et nº 1272/2008; règlement de la Commission nº 790/2009; directive du Conseil 67/548; directives de la Commission 2008/58 et 2009/2)

Dans un cadre technique et juridique complexe, à caractère essentiellement évolutif, la directive 67/548, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à la classification, l’emballage et l’étiquetage des substances dangereuses, laisse, sur le fond, un large pouvoir d'appréciation à la Commission sur la portée des mesures à prendre pour adapter les annexes de cette directive au progrès technique. Or, dès lors que les autorités de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation, notamment quant à l’appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique hautement complexes pour déterminer la nature et l’étendue des mesures qu’elles adoptent, le contrôle du juge de l’Union doit se limiter à examiner si l’exercice d’un tel pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou encore si ces autorités n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation. Dans un tel contexte, le juge de l’Union ne peut en effet substituer son appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique à celle des institutions à qui, seules, le traité CE a conféré cette tâche.

Compte tenu de l'étendue de ce contrôle et au vu des conclusions formulées au terme d'un long processus de consultations au cours de la période couvrant les années 2000 à 2008, des nombreuses expertises et études réalisées afin d’aboutir aux dernières adaptations de la directive 67/548, lors de l’adoption des directives 2008/58 et 2009/2, portant respectivement trentième et trente et unième adaptation au progrès technique de la directive 67/548, la Commission n'a manifestement pas dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation en se fondant, pour adopter les décisions classifiant certaines substances à base de nickel à un niveau élevé de dangerosité, sur l’avis des experts qui ont eu recours, notamment, à la méthode des références croisées afin d’évaluer les propriétés intrinsèques des substances à base de nickel en cause. Il n'apparaît pas non plus que la Commission ait manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation en considérant, dans ces circonstances, que, en l’état des connaissances scientifiques, il existait un progrès technique suffisant pour justifier une adaptation de la directive 67/548. Dès lors, l'article 28 de la directive 67/548 pouvait valablement constituer la base juridique de l'adoption desdites directives 2008/58 et 2009/2.

La validité de la classification desdites substances sur la base d'une évaluation des dangers liés aux propriétés intrinsèques de celles-ci n'est pas non plus mise en cause par la circonstance que certains carbonates de nickel n'étaient manipulés ou utilisés que dans des conditions de laboratoire. À cet égard, même si ni la directive 67/548, ni le règlement 1272/2008, relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges, ou le règlement REACH ne donnent de définition de «manipulation ou utilisation normales», cette notion englobe l'ensemble des manipulations et des utilisations qui peuvent être faites dans des circonstances normales, ce qui inclut, notamment, la nécessité de tenir compte des accidents réalistes et prévisibles.

Par ailleurs, la directive 2008/58 n'est pas entachée d'un défaut de motivation, en violation de l'article 253 CE, eu égard au fait, d'une part, qu'il s'agit d'un acte de portée générale, qui s'inscrit dans un cadre technique et juridique complexe qui rend difficile une motivation détaillée et individuelle des classifications effectuées, de sorte que la motivation est suffisante en considération de la nature de l'acte, et, d'autre part, que les représentants de l'industrie concernée ont été associés au processus d'élaboration de ladite directive et que le raisonnement scientifique et les données qui avaient justifié les classifications litigieuses figuraient dans plusieurs documents et comptes rendus de réunions d’experts qui avaient été communiqués au public avant l’adoption de ladite directive.

En ce qui concerne l'adoption des classifications litigieuses dans le tableau 3.1 de l'annexe VI, partie 3, du règlement nº 1272/2008, la Commission n'a pas commis une erreur en utilisant le tableau de conversion prévu à l'annexe VII de ce règlement plutôt qu'en considérant les critères de l'annexe I dudit règlement. En effet, une répétition de ce processus d'évaluation n'était pas nécessaire compte tenu du fait que le règlement nº 790/2009, modifiant, aux fins de son adaptation au progrès technique et scientifique, le règlement nº 1272/2008, ne fait qu’intégrer dans le règlement nº 1272/2008 les mêmes classifications que celles qui avaient bénéficié de la procédure complexe d’évaluation applicable dans le cadre de la directive 67/548.

Par conséquent, il n’y a aucun élément de nature à affecter la validité, d’une part, des directives 2008/58 et 2009/2 ainsi que, d'autre part, du règlement nº 790/2009, en ce que ces directives et ce règlement ont classifié comme cancérogènes pour l’homme, de catégorie 1, mutagènes de catégorie 3 et reprotoxiques de catégorie 2 les substances telles que certains carbonates de nickel, les hydroxydes de nickel et d’autres substances groupées à base de nickel.

(cf. points 59-60, 77, 79, 82-83, 92-95, 102-105, 115, 117, 120 et disp.)







ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

21 juillet 2011 (*)

«Environnement et protection de la santé humaine – Directive 67/548/CEE – Règlement (CE) n° 1272/2008 – Classification des carbonates de nickel, des hydroxydes de nickel ainsi que de plusieurs substances groupées à base de nickel en tant que substances dangereuses – Validité des directives 2008/58/CE et 2009/2/CE ainsi que du règlement (CE) n° 790/2009 – Adaptation de ces classifications au progrès technique et scientifique – Validité – Méthodes d’évaluation des propriétés intrinsèques desdites substances – Erreur manifeste d’appréciation – Base juridique – Obligation de motivation»

Dans l’affaire C‑14/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court) (Royaume-Uni), par décision du 10 décembre 2009, parvenue à la Cour le 11 janvier 2010, dans la procédure

Nickel Institute

contre

Secretary of State for Work and Pensions,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. J.-C. Bonichot, président de chambre, M. K. Schiemann, Mmes C. Toader (rapporteur), A. Prechal et M. E. Jarašiūnas, juges,

avocat général: M. Y. Bot,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur principal,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 20 janvier 2011,

considérant les observations présentées:

–        pour Nickel Institute, par M. D. Anderson, QC, Me K. Nordlander, advokat, et Mme H. Pearson, solicitor,

–        pour le gouvernement du Royaume-Uni, par Mme H. Walker, en qualité d’agent, assistée de M. J. Coppel, barrister,

–        pour le gouvernement danois, par Mme V. Pasternak Jørgensen et M. C. Vang, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et B. Klein, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement autrichien, par M. E. Riedl, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. P. Oliver, D. Kukovec et E. Manhaeve, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 24 mars 2011,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur:

–        la validité des classifications de quatre substances contenant des carbonates de nickel intégrées dans l’annexe I de la directive 67/548/CEE du Conseil, du 27 juin 1967, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à la classification, l’emballage et l’étiquetage des substances dangereuses (JO 196, p. 1), telle que modifiée par la directive 2001/59/CE de la Commission, du 6 août 2001 (JO L 225, p. 1, ci-après la «directive 67/548»), par la directive 2008/58/CE de la Commission, du 21 août 2008, portant trentième adaptation au progrès technique de la directive 67/548/CEE (JO L 246, p. 1, ci-après la «trentième directive APT»);

–        la validité des classifications des hydroxydes de nickel et d’autres substances groupées à base de nickel intégrées dans l’annexe I de la directive 67/548 par la directive 2009/2/CE de la Commission, du 15 janvier 2009, portant trente et unième adaptation au progrès technique de la directive 67/548 (JO L 11, p. 6, ci-après la «trente et unième directive APT»), et

–        la validité desdites classifications en ce qu’elles ont été reprises des trentième et trente et unième directives APT et intégrées dans l’annexe VI du règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548 et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) n° 1907/2006 (JO L 353, p. 1, ci-après le «règlement CLP»), par le règlement (CE) n° 790/2009 de la Commission, du 10 août 2009, modifiant, aux fins de son adaptation au progrès technique et scientifique, le règlement n° 1272/2008 (JO L 235, p. 1, ci-après le «premier règlement APT»).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Nickel Institute au Secretary of State for Work and Pensions au sujet du contrôle de la légalité des éventuelles mesures du gouvernement du Royaume-Uni visant à mettre en œuvre les classifications effectuées par les trentième et trente et unième directives APT ainsi que par le premier règlement APT.

 Le cadre juridique

 La réglementation sur la classification, l’emballage et l’étiquetage des substances dangereuses ainsi que sur l’évaluation de leurs risques – les directives 67/548 et 93/67/CEE et le règlement CLP

 La directive 67/548 et ses trentième et trente et unième adaptations au progrès technique par les trentième et trente et unième directives APT

3        Dans le domaine des produits chimiques, la directive 67/548 a été la première directive d’harmonisation fixant les règles relatives à la commercialisation de certaines substances et préparations. Cette directive contenait, à son annexe I, une liste harmonisant la classification et l’étiquetage de plus de 8 000 substances et groupes de substances en fonction de leur dangerosité.

4        L’article 2, paragraphe 2, sous l), m), et n), de la directive 67/548 qualifie de «dangereuses», au sens de ladite directive, notamment les substances qui sont, respectivement, «cancérogènes», «mutagènes» ou «toxiques pour la reproduction».

5        L’article 4 de la directive 67/548 prévoit, à son paragraphe 1, que les substances sont classées en fonction de leurs propriétés intrinsèques. En vertu du paragraphe 3 de cet article, la liste des substances classées est reproduite à l’annexe I de cette directive et la décision d’inclure une substance dans ladite annexe I avec sa classification harmonisée et son étiquetage est prise selon la procédure prévue à l’article 29 de la directive 67/548.

6        Conformément aux articles 28 et 29 de la directive 67/548, les annexes de celle-ci peuvent être adaptées au progrès technique selon la procédure de réglementation prévue aux articles 5 et 7 de la décision 1999/468/CE du Conseil, du 28 juin 1999, fixant les modalités de l’exercice des compétences d’exécution conférées à la Commission (JO L 184, p. 23), telle que modifiée par la décision 2006/512/CE du Conseil, du 17 juillet 2006 (JO L 200, p. 11, ci-après la «décision 1999/468»). La décision 1999/468 doit être lue conjointement avec le point 1 de l’annexe III du règlement (CE) n° 807/2003 du Conseil, du 14 avril 2003, portant adaptation à la décision 1999/468/CE des dispositions relatives aux comités assistant la Commission dans l’exercice de ses compétences d’exécution prévues dans des actes du Conseil adoptés selon la procédure de consultation (JO L 122, p. 36).

7        Le point 1.1 de l’annexe VI de la directive 67/548 dispose notamment que la classification vise à identifier toutes les propriétés physico-chimiques, toxicologiques et écotoxicologiques des substances ou des préparations, pouvant constituer un risque lors de la manipulation ou de l’utilisation normales de celles-ci.

8        Le point 1.4 de l’annexe VI de cette directive prévoit, notamment, que l’étiquette doit tenir compte de tous les dangers potentiels susceptibles d’être liés à la manipulation et à l’utilisation normales des substances et des préparations dangereuses sous la forme où elles sont mises sur le marché, mais non nécessairement sous n’importe quelle forme différente d’utilisation finale, par exemple à l’état dilué.

9        Le point 1.6.1, sous b), de l’annexe VI de la directive 67/548 prévoit que les données requises pour la classification et l’étiquetage des substances qui relèvent de ces dispositions peuvent être obtenues:

«[…] à partir d’un certain nombre de sources différentes, telles que:

–        les résultats d’essais antérieurs,

–        les informations exigées au titre de la réglementation internationale des transports de matières dangereuses,

–        les informations tirées de travaux de référence et la bibliographie, ou

–        les informations fondées sur l’expérience pratique.

Il est possible de prendre également en compte les résultats de relations structure/activité validées et les avis d’experts.»

10      La directive 67/548 a été modifiée, en dernier lieu, par les trentième et trente et unième directives APT, classifiant notamment certains carbonates de nickel, les hydroxydes de nickel et d’autres substances groupées à base de nickel en cause au principal (ci-après, ensemble, les «substances à base de nickel en cause au principal») à un niveau élevé de dangerosité, ce qui impliquait le respect de nouvelles exigences en matière d’étiquetage et d’emballage, ainsi que d’autres conséquences législatives et commerciales. Ces directives APT ont classé les substances à base de nickel en cause au principal comme cancérogènes de catégorie 1 et, pour certaines, également comme mutagènes de catégorie 3 et/ou reprotoxiques de catégorie 2.

 La directive 93/67/CEE établissant les principes d’évaluation des risques sous le régime de la directive 67/548

11      Il ressort de l’article 2, sous a), de la directive 93/67/CEE de la Commission, du 20 juillet 1993, établissant les principes d’évaluation des risques pour l’homme et pour l’environnement des substances notifiées conformément à la directive 67/548 (JO L 227, p. 9), lu en combinaison avec les articles 3 à 5 de la même directive, que l’évaluation des risques présentés par une substance, aux fins de sa classification conformément à la directive 67/548, comporte, en tant que première étape, l’identification des dangers, définie comme étant l’identification des effets indésirables qu’une substance est intrinsèquement capable de provoquer.

12      Il ressort également de l’article 2, sous d), de la directive 93/67/CEE que la caractérisation des risques consiste en une estimation de l’incidence et de la gravité des effets indésirables susceptibles de se produire dans une population humaine ou une composante de l’environnement en raison de l’exposition, réelle ou prévisible, à une substance, et que cette caractérisation peut comprendre une quantification de cette probabilité ou, en d’autres termes, une estimation du risque.

 Le règlement CLP et sa première adaptation au progrès technique par le premier règlement APT

13      Le règlement CLP adapte la directive 67/548, en ce qu’elle concerne la classification, l’étiquetage et l’emballage des substances chimiques, au système général harmonisé de classification et d’étiquetage des produits chimiques (ci-après le «SGH»). Le SGH consiste en un ensemble de recommandations adoptées par le Conseil économique et social des Nations unies, qui vise à permettre l’identification des produits chimiques dangereux et l’information des utilisateurs sur les dangers que ces produits chimiques présentent au moyen de symboles et de phrases standardisés figurant sur les étiquettes des emballages.

14      Aux termes du cinquante-troisième considérant du règlement CLP, pour tenir pleinement compte des travaux réalisés et de l’expérience acquise dans le cadre de la directive 67/548, notamment pour la classification et l’étiquetage des substances spécifiques listées à l’annexe I de cette directive, toutes les classifications harmonisées existantes devraient être converties dans de nouvelles classifications harmonisées utilisant les nouveaux critères.

15      Les articles 36 et 37 du règlement CLP figurent sous le titre V, chapitre 1, de celui-ci, intitulé «Établissement d’une classification et d’un étiquetage harmonisés des substances», et prévoient la procédure de classification et d’étiquetage harmonisés des substances qui satisfont aux critères visés à l’annexe I dudit règlement pour des dangers tels que la cancérogénicité, la mutagénicité ou la toxicité pour la reproduction.

16      L’article 37 accorde le droit, notamment aux autorités compétentes des États membres et, dans des circonstances plus limitées, aux fabricants, aux importateurs et aux distributeurs de substances, de soumettre des propositions détaillées de classification et d’étiquetage harmonisés à l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), remplaçant le Bureau européen des substances chimiques depuis le 1er juin 2008.

17      L’article 53 du règlement CLP, intitulé «Adaptations au progrès technique et scientifique», autorise la Commission européenne à adopter des mesures visant à adapter les annexes I à VII de ce règlement au progrès technique et scientifique, y compris «en tenant dûment compte des développements apportés au SGH», et prévoit que ces mesures sont arrêtées conformément à la procédure de réglementation avec contrôle fixée à l’article 5 bis, paragraphes 1 à 4, de la décision 1999/468.

18      En vertu de l’article 55, points 2 et 11, du règlement CLP, l’annexe I de la directive 67/548 est supprimée et remplacée par l’annexe VI, partie 3, de ce règlement à compter du 20 janvier 2009. Le tableau 3.1 de cette annexe VI présente la nouvelle classification faisant suite à cette conversion et le tableau 3.2 reprend l’ancienne classification établie selon la directive 67/548, dans sa version résultant de la directive 2004/73/CE de la Commission, du 29 avril 2004, portant vingt-neuvième adaptation au progrès technique de la directive 67/548 (JO L 152, p. 1, et rectificatif JO L 216, p. 3).

19      Lors de l’entrée en vigueur du règlement CLP, le 20 janvier 2009, cette annexe VI ne reflétait donc pas les classifications litigieuses intégrées par les trentième et trente et unième directives APT à l’annexe I de la directive 67/548.

20      L’article 60 du règlement CLP prévoit l’abrogation de la directive 67/548 avec effet au 1er juin 2015. Toutefois, l’article 61, paragraphe 3, du même règlement énonce, à titre de disposition transitoire, que, à compter du 1er décembre 2010 et jusqu’au 1er juin 2015, les substances sont classées conformément, à la fois, à la directive 67/548 et au règlement CLP.

21      Le point 1.1.1.3 de l’annexe I du règlement CLP prévoit, notamment, que toutes les informations disponibles ayant une incidence sur la détermination du danger d’une substance, telles que des résultats d’essais in vitro appropriés, les données pertinentes provenant d’essais sur des animaux, les informations provenant de l’application de l’approche par catégories (regroupement, références croisées) ou encore les modèles de relations structure/activité, sont prises en considération conjointement.

22      L’annexe VII du règlement CLP contient un tableau destiné à faciliter la conversion de la classification d’une substance établie selon la directive 67/548 dans la classification correspondante établie conformément au règlement CLP.

23      Sur le fondement de l’article 53 du règlement CLP, le premier règlement APT a procédé à un transfert et à une conversion des classifications établies par les trentième et trente et unième directives APT vers l’annexe VI, partie 3, du règlement CLP, de sorte que celles-ci ont été incluses sans modification dans le tableau 3.2 de l’annexe VI du règlement CLP alors que, dans le tableau 3.1 de la même annexe, ces classifications ont simplement été converties en classifications effectuées sur le fondement du règlement CLP, en utilisant le tableau de conversion figurant à l’annexe VII du règlement CLP. Le premier règlement APT est entré en vigueur le 25 septembre 2009.

 La réglementation sur l’évaluation et le contrôle des risques présentés par les substances existantes – le règlement (CEE) n° 793/93 et le règlement REACH

24      Le règlement (CEE) n° 793/93 du Conseil, du 23 mars 1993, concernant l’évaluation et le contrôle des risques présentés par les substances existantes (JO L 84, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 1882/2003 du Parlement européen et du Conseil, du 29 septembre 2003 (JO L 284, p. 1, ci-après le «règlement n° 793/93»), a complété le système de notification des substances nouvelles prévu par la directive 67/548.

25      Il a été abrogé à la suite de l’entrée en vigueur, le 1er juin 2008, du règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) n° 793/93 du Conseil et le règlement (CE) n° 1488/94 de la Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO L 396, p. 1, et rectificatif JO 2007, L 136, p. 3, ci-après le «règlement REACH»).

26      Les articles 3 et 4 du règlement n° 793/93 prévoyaient l’obligation pour les fabricants et les importateurs de communiquer à la Commission certaines données pertinentes sur les substances à évaluer en fonction de la quantité importée ou produite et de faire tous les efforts raisonnables pour obtenir ces données. Toutefois, en l’absence d’informations, les fabricants et les importateurs n’étaient pas tenus d’effectuer d’essais supplémentaires sur les animaux, en vue de soumettre ces données.

27      Aux termes de l’article 8 du règlement n° 793/93, lu en combinaison avec l’article 15 du même règlement, sur la base des informations communiquées par les fabricants et les importateurs, des listes de substances prioritaires nécessitant une attention immédiate du fait des effets potentiels qu’elles pourraient avoir sur l’homme et sur l’environnement avaient été adoptées conformément à une procédure de comitologie avec contrôle.

28      Aux termes de l’article 9 du règlement n° 793/93, intitulé «Données à communiquer pour les substances figurant sur les listes prioritaires», les fabricants et les importateurs avaient l’obligation de fournir toutes les informations disponibles et les rapports d’études correspondants afin d’évaluer les risques des substances concernées ainsi que, le cas échéant, de procéder aux essais nécessaires pour obtenir la donnée manquante. Par dérogation à cette règle, les fabricants et les importateurs pouvaient présenter une demande motivée, auprès de l’autorité de l’État membre désignée comme rapporteur conformément à l’article 10 dudit règlement, afin d’être exemptés de tout ou partie des essais complémentaires, soit parce qu’un élément d’information donné n’était pas nécessaire pour évaluer le risque, soit parce qu’il était impossible à obtenir.

29      Il ressort des considérants du règlement REACH que le système actuel, géré par l’ECHA, vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, ainsi qu’à renforcer la compétitivité du secteur des substances chimiques et l’innovation. Le règlement REACH oblige les entreprises qui fabriquent et importent des substances chimiques à évaluer les dangers et les risques résultant de leur utilisation et à prendre les mesures nécessaires pour gérer tout risque identifié.

30      Selon l’article 13 du règlement REACH, les informations fournies en vue de l’évaluation des substances chimiques en ce qui concerne en particulier la toxicité pour l’espèce humaine doivent être obtenues, pour autant que possible, par d’autres moyens que les essais sur des animaux vertébrés, notamment par le recours à des méthodes alternatives, par exemple les méthodes in vitro ou par des modèles de relations qualitatives ou quantitatives structure/activité ou par l’exploitation de données sur des substances structurellement proches (regroupement ou références croisées).

31      Le point 1.5 de l’annexe XI du règlement REACH prévoit l’utilisation de la méthode des références croisées dans l’évaluation des substances chimiques. À cet égard, il est notamment prévu que les substances dont les propriétés physico-chimiques, toxicologiques et écotoxicologiques sont probablement similaires ou suivent un schéma régulier en raison de leur similarité structurelle peuvent être considérées comme un groupe ou une «catégorie» de substances. L’application du concept de groupe exige que, notamment, les propriétés physico-chimiques ainsi que les effets sur la santé humaine et sur l’environnement puissent être prédits sur la base de données relatives à une ou plusieurs substances de référence appartenant au même groupe, par interpolation vers d’autres substances du groupe (méthode des références croisées).

 La procédure ayant abouti aux classifications litigieuses

32      Par le règlement (CE) n° 2364/2000 de la Commission, du 25 octobre 2000, concernant la quatrième liste de substances prioritaires, conformément au règlement n° 793/93 (JO L 273, p. 5), la Commission a inclus dans la liste prioritaire prévue à l’article 8 du règlement n° 793/93 le carbonate de nickel pur et a désigné le Royaume de Danemark comme État membre responsable de son évaluation.

33      Cet État membre a désigné la Danish Environmental Protection Agency (agence pour la protection de l’environnement danoise, ci-après la «DEPA») comme l’autorité en charge du rapport sur l’évaluation de cette substance ainsi que de quatre autres substances à base de nickel (nickel-métal, sulfate de nickel, chlorure de nickel et dinitrate de nickel).

34      Dans le cadre de la procédure d’évaluation par la DEPA, les trois fabricants et l’importateur de carbonates de nickel tenus de fournir des données sur ces substances (ci-après les «sociétés concernées»), représentés par la société OMG Harjavalta, ont, sur le fondement de l’article 9, paragraphe 3, du règlement n° 793/93 introduit, le 27 mai 2003 une demande de dérogation à l’obligation d’effectuer certains essais (ci-après la «déclaration de dérogation»), estimant qu’il n’existait pas de données toxicologiques sur l’homme en ce qui concerne l’hydroxycarbonate de nickel. Les sociétés concernées ont également indiqué que, en l’absence de telles données, la classification de cette substance, en utilisant les classifications dérivées pour les composés de nickel solubles dans l’eau, devrait suivre le scénario le plus pessimiste («worst case scenario»).

35      Selon les sociétés concernées, l’hydroxycarbonate de nickel était le seul carbonate de nickel ayant une utilisation commerciale, les trois autres carbonates de nickel n’étant pas utilisés en dehors des laboratoires.

36      À la suite de la communication par la DEPA des résultats de son évaluation, la Commission a transmis, le 16 avril 2004, une proposition formelle de classification révisée des carbonates de nickel, au titre de la directive 67/548, au Bureau européen des substances chimiques ainsi qu’au comité technique pour la classification et l’étiquetage des substances dangereuses (ci-après le «CTCE»).

37      Les classifications proposées ont été également débattues par un groupe de travail de la Commission sur la classification et sur l’étiquetage des substances dangereuses incluant des experts spécialisés dans le domaine de la cancérogénicité et de la mutagénicité (ci-après le «groupe de travail CE») lors d’une réunion qui s’est tenue les 20 et 21 avril 2004 (document ECBI/74/04 Rev. 2). Ultérieurement, la proposition de la DEPA a encore été discutée par le CTCE lors de ses réunions tenues du 12 au 14 mai 2004 (document ECBI/147/04 Rev. 3) ainsi que du 21 au 24 septembre 2004 (document ECBI/139/04 Rev. 2). Lors de cette dernière réunion, le CTCE a marqué son accord pour recommander la proposition de classification relative aux carbonates de nickel et pour que cette proposition soit incluse dans le projet de proposition de la trentième directive APT devant être adressé à la Commission.

38      Il ressort, notamment, du compte rendu de la réunion des 20 et 21 avril 2004 que les experts ont pris en considération le fait qu’il manquait certaines données, notamment en ce qui concerne le carbonate de nickel et sa biodisponibilité, c’est-à-dire la fraction de cette substance pouvant être absorbée et utilisée par le métabolisme d’un organisme vivant. Pourtant, lors de la décision sur la recommandation finale, ils ont décidé de ne pas attendre d’éventuelles et plus amples données sur la biodisponibilité de cette substance, lesquelles auraient exigé, notamment, la réalisation d’essais supplémentaires sur des animaux.

39      En ce qui concerne, par exemple, le potentiel cancérogène, dans une première étape, les experts avaient, pour l’essentiel, conclu lors de cette réunion à la classification du sulfate de nickel et du chlorure de nickel comme substances cancérogènes pour l’homme, de catégorie 1, sur la base des données existantes. Ensuite, en appliquant la méthode des références croisées et en considérant que le degré de solubilité dans l’eau (hydrosolubilité) du nitrate de nickel était suffisamment analogue à ceux du sulfate de nickel et du chlorure de nickel, les experts ont conclu à la même classification pour cette substance.

40      S’agissant du carbonate de nickel, les experts avaient conclu à la même classification puisque, même si cette substance est seulement peu hydrosoluble, elle est toutefois soluble dans des fluides biologiques – à l’instar du sulfate de nickel. Cette conclusion a également été étayée par le fait que, dans l’annexe I de la directive 67/548, il existait déjà des composés minéraux inorganiques de nickel insolubles classés comme cancérogènes pour l’homme.

41      Dans ce cadre, l’utilisation du critère du degré d’hydrosolubilité a été fondée sur la théorie selon laquelle, une fois dissout dans l’eau, un sel de nickel, comme le carbonate de nickel, aura les mêmes caractéristiques toxiques que d’autres sels de nickel ayant un degré d’hydrosolubilité similaire puisque, lors de la dissolution dans l’eau, les atomes et les ions nickel, dont les propriétés toxiques sont connues, se détachent des autres substances composant le sel de nickel tout en gardant les mêmes caractéristiques.

42      Par conséquent, les classifications des substances à base de carbonate de nickel comme substances cancérogènes pour l’homme, de catégorie 1, mutagènes de catégorie 3 et reprotoxiques de catégorie 2 ont été étayées par l’utilisation de la méthode des références croisées fondée sur le critère du degré d’hydrosolubilité et sur les données existantes en ce qui concerne d’autres substances similaires à base de nickel.

43      À la suite de la recommandation du groupe de travail CE et du CTCE, le 16 février 2007, le comité pour l’adaptation au progrès technique (ci-après le «comité APT»), a rendu un avis favorable sur la proposition de trentième directive APT dans son ensemble (document JM/30ATP/09/2006).

44      À l’issue d’une procédure suivie dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) où le projet de proposition a rencontré l’opposition de certains pays tiers producteurs de nickel, la Commission, considérant que cette procédure n’avait apporté aucun élément nouveau, a ensuite adopté la trentième directive APT le 21 août 2008. Les États membres étaient tenus de la transposer dans leur droit national au plus tard le 1er juin 2009.

45      S’agissant des hydroxydes de nickel et d’une centaine d’autres substances groupées à base de nickel en cause au principal, c’est la trente et unième directive APT qui a procédé à leur classification.

46      À cet égard, les conclusions auxquelles étaient arrivés les experts spécialisés lors de la procédure de comitologie qui a abouti à l’adoption de la trentième directive APT ont convaincu la DEPA de procéder à l’évaluation de toute une autre série de substances à base de nickel et d’avancer en 2005 des propositions complémentaires de classification de telles substances. L’évaluation a été à nouveau faite à l’aide de la méthode des références croisées en se fondant sur le degré d’hydrosolubilité de ces substances et sur les données existantes en ce qui concerne les caractéristiques toxiques de l’ion nickel libre, même s’il n’existait toujours pas d’autres données sur leur biodisponibilité.

47      Après des discussions au sein du CTCE, celui-ci a recommandé la classification de ces substances chimiques et, le 19 novembre 2008, le comité APT s’est prononcé à l’unanimité en faveur de la proposition, moins six abstentions. La trente et unième directive APT a été adoptée le 15 janvier 2009. Au même titre que pour la trentième directive APT, les États membres étaient tenus de transposer la trente et unième directive dans leur droit national au plus tard le 1er juin 2009.

48      L’annexe I de la directive 67/548 a été abrogée lors de l’entrée en vigueur du règlement CLP, le 20 janvier 2009, et elle a été remplacée par l’annexe VI de celui-ci, qui ne contenait à cette date que les classifications de l’annexe I de la directive 67/548, telle que modifiée, en dernier lieu, par la directive 2004/73.

49      Le contenu des trentième et trente et unième directives APT a été ajouté à l’annexe VI du règlement CLP par le premier règlement APT. Celui-ci a été adopté le 10 août 2009 sur le fondement de l’article 53 du règlement CLP à la suite d’une proposition favorable, adoptée à l’unanimité, par le comité APT le 25 mars 2009 et est entré en vigueur le 25 septembre 2009. La proposition favorable de ce comité était fondée, notamment, sur les conclusions d’un groupe de travail de 27 experts réuni du 17 au 24 mars 2009 dans le cadre du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) qui avaient avalisé la classification des dérivés du nickel comme substances cancérogènes pour l’homme, de catégorie 1.

 La procédure au principal et les questions préjudicielles

50      La requérante au principal, Nickel Institute, est une organisation sans but lucratif représentant les intérêts de 29 sociétés qui, ensemble, couvrent 90 % de la production annuelle mondiale de nickel.

51      La partie défenderesse au principal, le Secretary of State for Work and Pensions, est le ministère responsable au Royaume-Uni de la classification des substances chimiques.

52      Nickel Institute a introduit devant la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), les 2 décembre 2008 et 9 avril 2009, deux recours contre le Secretary of State for Work and Pensions tendant au contrôle de la légalité de «l’intention et/ou l’obligation» du gouvernement du Royaume-Uni de mettre en œuvre les classifications effectuées par les trentième et trente et unième directives APT ainsi que par le premier règlement APT.

53      D’une part, Nickel Institute conteste la validité de la classification faite par le premier règlement APT de quatre substances à base de carbonate de nickel initialement classifiées sous l’entrée 028-010-00-0 de l’annexe 1F de la trentième directive APT. D’autre part, Nickel Institute conteste la validité de la classification par le premier règlement APT des hydroxydes de nickel, initialement classifiés sous l’entrée 028-008-00-X de l’annexe 1A de la trente et unième directive APT ainsi que de la classification par ce règlement de plus d’une centaine d’autres substances groupées à base de nickel, initialement classifiées sous les entrées 028-013-00-7 à 028-052-002 de l’annexe 1B de cette trente et unième directive APT (ci-après, ensemble, les «classifications litigieuses»).

54      C’est dans ces conditions que la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:

«1)      Dans la mesure où la [trentième directive APT] et/ou le [premier règlement APT] ont pour objet la classification ou la reclassification des carbonates de nickel d’après les effets pertinents, cette directive et ce règlement sont-ils invalides, au motif que:

a)      l’on est parvenu à des classifications sans procéder à une évaluation appropriée des propriétés intrinsèques des carbonates de nickel conformément aux critères et aux exigences en matière de données prévus à l’annexe VI de la [directive 67/548];

b)      la question de savoir si les propriétés intrinsèques des carbonates de nickel sont susceptibles de présenter un risque lors de la manipulation ou de l’utilisation normales n’a pas fait l’objet d’un examen approprié comme l’exigeaient les sections 1.1 et 1.4 de l’annexe VI de la [directive 67/548];

c)      il n’a pas été établi que les conditions de recours à la procédure de l’article 28 de la [directive 67/548] étaient réunies;

d)      les classifications ont illégalement été basées sur une déclaration de dérogation rédigée en vue d’une évaluation des risques menée par une autorité compétente au sens du [règlement n° 793/93], et/ou

e)      l’adoption des classifications n’a pas été motivée comme l’exige l’article 253 CE?

2)      Dans la mesure où la [trente et unième directive APT] et le premier règlement APT ont pour objet la classification ou la reclassification, aux fins déjà évoquées, des hydroxydes de nickel et des substances groupées à base de nickel contestées, cette directive et ce règlement sont-ils invalides, au motif que:

a)      l’on est parvenu à ces classifications sans procéder à une évaluation appropriée des propriétés intrinsèques des substances à base de nickel contestées, conformément aux critères et aux exigences en matière de données prévus à l’annexe VI de la [directive 67/548], mais plutôt en se basant sur certaines méthodes des références croisées;

b)      la question de savoir si les propriétés intrinsèques des substances à base de nickel contestées étaient susceptibles de présenter un risque lors de la manipulation ou de l’utilisation normales n’a pas fait l’objet d’un examen approprié, comme l’exigeaient les sections 1.1 et 1.4 de l’annexe VI de la [directive 67/548], et/ou

c)      il n’a pas été établi que les conditions de recours à la procédure de l’article 28 de la [directive 67/548] étaient réunies?

3)      Dans la mesure où le premier règlement APT concerne les carbonates de nickel et les substances à base de nickel contestées, ce règlement est-il invalide, au motif que:

a)      il n’a pas été établi que les conditions de recours à la procédure de l’article 53 du [règlement CLP] étaient réunies, et/ou

b)      l’on est parvenu aux classifications du tableau 3.1 de l’annexe VI du règlement CLP sans procéder à une évaluation appropriée des propriétés intrinsèques des carbonates de nickel et des substances à base de nickel contestées conformément aux critères et aux exigences en matière de données prévus à l’annexe I du règlement CLP, mais plutôt en appliquant l’annexe VII du règlement CLP?»

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la recevabilité des première et deuxième questions

55      Dans ses observations écrites, la Commission a demandé que les deux premières questions préjudicielles soient déclarées irrecevables en ce qu’elles portent sur la validité des trentième et trente et unième directives APT qui auraient été abrogées lors de l’entrée en vigueur, le 20 janvier 2009, du règlement CLP. Toutefois, lors de l’audience, elle a retiré cette exception d’irrecevabilité, considérant que, en tout état de cause, les classifications introduites dans l’annexe VI du règlement CLP, au moyen du premier règlement APT, ne font que reprendre les classifications déjà effectuées dans les trentième et trente et unième directives APT sur le fondement des recommandations scientifiques avancées par plusieurs comités d’experts dans le cadre de la directive 67/548.

56      Dès lors qu’il n’y a pas lieu pour la Cour de soulever d’autres motifs d’irrecevabilité, il lui appartient de se prononcer sur les questions préjudicielles.

 Sur les première et deuxième questions

57      Par ses première et deuxième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour si les trentième et trente et unième directives APT sont valides dans la mesure où elles intègrent dans l’annexe I de la directive 67/548 les classifications litigieuses et, en conséquence, si le premier règlement APT est également valide en ce qu’il intègre dans le règlement CLP les mêmes classifications que celles contenues dans les trentième et trente et unième directives APT.

58      La juridiction de renvoi cherche plus précisément à savoir, premièrement, si les méthodes choisies par la Commission pour procéder à ces classifications, notamment le recours à la méthode des références croisées, l’absence d’examen des risques associés à une manipulation ou à une utilisation normales des substances à base de nickel en cause au principal ainsi que le recours à la déclaration de dérogation, sont conformes à la nécessité d’une évaluation appropriée des propriétés intrinsèques de ces substances selon les critères prévus à l’annexe VI de la directive 67/548. Deuxièmement, la juridiction de renvoi se demande si la base juridique choisie pour l’adoption des deux directives en cause, à savoir l’article 28 de la directive 67/548, était appropriée afin d’atteindre cet objectif. Troisièmement, elle interroge la Cour sur l’existence d’un éventuel défaut de motivation, en violation de l’article 253 CE, qui entacherait la validité de la trentième directive APT.

 Observations liminaires

59      À titre liminaire, il y a lieu de souligner que, dans ce cadre technique et juridique complexe, à caractère essentiellement évolutif, la directive 67/548 laisse sur le fond un large pouvoir d’appréciation à la Commission sur la portée des mesures à prendre pour adapter les annexes de cette directive au progrès technique [arrêt du 15 octobre 2009, Enviro Tech (Europe), C-425/08, Rec. p. I-10035, point 46].

60      À cet égard, conformément à une jurisprudence constante, dès lors que les autorités de l’Union disposent d’un large pouvoir d’appréciation, notamment quant à l’appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique hautement complexes pour déterminer la nature et l’étendue des mesures qu’elles adoptent, le contrôle du juge de l’Union doit se limiter à examiner si l’exercice d’un tel pouvoir n’est pas entaché d’une erreur manifeste ou d’un détournement de pouvoir ou encore si ces autorités n’ont pas manifestement dépassé les limites de leur pouvoir d’appréciation. Dans un tel contexte, le juge de l’Union ne peut en effet substituer son appréciation des éléments factuels d’ordre scientifique et technique à celle des institutions à qui, seules, le traité CE a conféré cette tâche [arrêt Enviro Tech (Europe), précité, point 47].

 Sur l’application de la méthode des références croisées dans le cadre de l’évaluation des propriétés intrinsèques des substances à base de nickel en cause au principal

61      La juridiction de renvoi interroge la Cour sur le point de savoir si la Commission n’a pas excédé son pouvoir d’appréciation en appliquant la méthode des références croisées au lieu d’évaluer les propriétés intrinsèques des substances à base de nickel en cause au principal à l’aide des critères et des exigences en matière de données prévus à l’annexe VI de la directive 67/548.

62      Nickel Institute reproche à la Commission, à titre principal, de ne pas avoir analysé les propriétés intrinsèques des substances à base de nickel en cause au principal comme cela est exigé à l’article 4 de la directive 67/548 et au point 1.1 de l’annexe VI de cette directive. Elle lui reproche également d’avoir appliqué la méthode des références croisées en vue de la classification de ces substances malgré le manque de données concernant ces dernières.

63      À cet égard, il convient de rappeler que la méthode des références croisées est une des modalités d’évaluation valables prévues au point 1.1.1.3 de l’annexe I du règlement CLP. Elle est également décrite au point 1.5 de l’annexe XI du règlement REACH comme une méthode selon laquelle les propriétés de certaines substances peuvent être prédites sur la base des données existantes relatives à d’autres substances de référence ayant une similarité structurelle avec les premières. Elle permet d’éviter de tester chaque substance pour chaque effet et peut, par conséquent, être utilisée en cas d’absence de données concernant les substances soumises à l’évaluation des risques.

64      Si cette méthode est prévue de manière expresse dans le cadre du règlement REACH et dans le cadre du règlement CLP, elle n’est pas mentionnée en tant que telle à l’annexe VI de la directive 67/548.

65      La liste des sources dont peuvent être extraites les données requises pour la classification des substances à base de nickel en cause au principal figurant au point 1.6.1, sous b), de l’annexe VI de la directive 67/548 n’est qu’exemplative, ainsi qu’il ressort de l’expression «telles que».

66      Ledit point 1.6.1, sous b), prévoit toutefois la possibilité de prendre en compte, lors de l’évaluation des substances chimiques, les résultats des relations structure/activité validées et les avis d’experts.

67      L’évaluation des substances fondée sur les relations structure/activité fait ainsi partie, à l’instar de la méthode des références croisées, des modalités d’évaluation basées sur l’approche par catégories et représente un procédé de prédiction de l’activité d’une substance en partant d’une appréciation quantitative de sa structure moléculaire qui est analogue à celle d’une autre substance ou d’un autre groupe de substances dont les effets sont connus.

68      L’annexe VI de la directive 67/548 fait expressément référence à la directive 86/609/CEE du Conseil, du 24 novembre 1986, concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la protection des animaux utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques (JO L 358, p. 1), dans le cadre de laquelle la méthode des références croisées et la méthode fondée sur la relation structure/activité sont encouragées.

69      En outre, en 2007, le Centre commun de recherche de la Commission a publié une étude extensive relative à l’utilisation des références croisées dans le cadre de la directive 67/548 («A Compendium of Case Studies that helped to shape the REACH Guidance on Chemical Categories and Read Across»). Parmi les exemples analysés par cette étude, figurent également les classifications des substances à base de nickel en cause au principal.

70      Ainsi, même s’il est vrai que la méthode fondée sur la relation structure/activité, ainsi que l’a souligné M. l’avocat général aux points 63 et 64 de ses conclusions, présente certaines différences par rapport à la méthode des références croisées, il n’en reste pas moins que ces deux méthodes ne doivent pas être considérées comme autonomes dès lors qu’elles se fondent toutes deux sur le principe d’extrapolation des données existantes sur certaines substances afin d’évaluer et de classifier d’autres substances ayant une structure similaire et sur lesquelles il y a très peu ou pas de données.

71      De plus, ainsi qu’il résulte de l’exposé des motifs de la trente et unième directive APT, la méthode des références croisées, en tant que méthode d’évaluation de substances largement reconnue par la communauté scientifique, a été utilisée à maintes reprises lors de la classification des substances dans le cadre de l’annexe I de la directive 67/548, ne serait-ce que depuis l’entrée en vigueur de la directive 91/632/CEE de la Commission, du 28 octobre 1991, portant quinzième adaptation au progrès technique de la directive 67/548 (JO L 338, p. 23).

72      S’agissant des arguments scientifiques qui sous-tendent les classifications litigieuses, il résulte des comptes rendus des réunions du groupe de travail CE, du CTCE et du comité APT que, même si les experts s’accordaient sur le fait qu’il existait peu de données concernant, notamment, les caractéristiques toxiques des substances à base de nickel en cause au principal, leur biodisponibilité a été appréciée principalement sur le fondement du degré d’hydrosolubilité, en tenant compte des caractéristiques toxiques connues de l’ion nickel qui compose ces substances. La classification actuelle des substances en cause dans l’affaire au principal a donc été décidée sur le fondement des données connues sur d’autres substances à base de nickel, ayant une structure et un degré d’hydrosolubilité similaires.

73      Ces conclusions ont également été étayées par le compte rendu de la réunion du 4 mai 2006 du comité scientifique des risques sanitaires et environnementaux (SCHER) de la Commission.

74      En outre, le règlement REACH reconnaît, à son article 13, l’importance du recours à des méthodes alternatives, telles que la méthode des références croisées, afin d’évaluer la toxicité pour l’espèce humaine des substances chimiques par d’autres moyens que les essais sur des animaux vertébrés.

75      Enfin, il importe de souligner que l’application de la méthode des références croisées et l’appréciation qui a été portée sur les propriétés physico-chimiques des substances à base de nickel en cause au principal ont été le résultat d’un consensus auquel de nombreux experts faisant partie de plusieurs comités scientifiques, en présence des représentants de l’industrie concernée, sont arrivés au terme d’un processus qui a duré plusieurs années.

76      À titre subsidiaire, Nickel Institute soutient que, à supposer même que le recours à une telle méthode serait admissible en son principe, l’application qui en a été faite en l’occurrence serait manifestement défectueuse puisque, entre autres, le critère de l’hydrosolubilité ne pouvait pas, à lui seul, fonder les classifications litigieuses, que la preuve de l’hypothèse scientifique fondamentale selon laquelle l’ion nickel est responsable des effets biologiques devant être évalués n’a pas été apportée et que, en général, le fait que certaines appréciations résultent de l’«avis des experts» ne constitue pas pour autant une réponse pertinente.

77      Toutefois, compte tenu de l’étendue du contrôle auquel la Cour doit procéder dans ce domaine, conformément à ce qui a été dit aux points 59 et 60 du présent arrêt, cette argumentation de la requérante au principal ne permet pas, à elle seule, de considérer que la Commission, au vu des conclusions formulées au terme des travaux de plusieurs comités scientifiques, aurait manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation en se fondant, pour adopter les classifications litigieuses, sur l’avis des experts qui ont eu recours, notamment, à la méthode des références croisées afin d’évaluer les propriétés intrinsèques des substances à base de nickel en cause au principal.

 Sur l’évaluation des risques lors d’une manipulation ou d’une utilisation normales des substances

78      La juridiction de renvoi cherche à savoir si la validité des trentième et trente et unième directives APT ainsi que celle du premier règlement APT n’est pas affectée par le fait que la Commission n’aurait pas pris en considération la circonstance que trois des quatre carbonates de nickel n’étaient ni manipulés ni utilisés en dehors des laboratoires et que d’autres substances à base de nickel n’étaient pas utilisées dans des applications industrielles. Ainsi, lors de l’évaluation, n’auraient pas été pris en compte les risques associés à une manipulation ou à une utilisation normales des substances à base de nickel en cause au principal.

79      À cet égard, même si ni la directive 67/548 ni le règlement CLP ou le règlement REACH ne donnent de définition des «manipulation ou utilisation normales», il doit être admis, ainsi que l’a soutenu la Commission, que cette notion englobe l’ensemble des manipulations et des utilisations qui peuvent être faites dans des circonstances normales, ce qui inclut, notamment, la nécessité de tenir compte des accidents réalistes et prévisibles.

80      Il convient de constater d’emblée, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 80 et suivants de ses conclusions, que la critique soulevée par la requérante au principal repose, pour l’essentiel, sur une confusion entre l’évaluation des dangers et celle des risques qu’une substance présente.

81      En effet, comme il ressort, notamment, de l’article 4 de la directive 67/548, lu en combinaison avec les articles 2 à 5 de la directive 93/67, la classification et l’étiquetage des substances établis par la directive 67/548 sont fondés sur la transmission d’informations sur les dangers liés aux propriétés intrinsèques des substances. L’évaluation des dangers constitue la première étape du processus d’évaluation des risques, laquelle représente un concept plus précis. Cette différenciation entre les dangers et les risques a d’ailleurs été maintenue dans le règlement CLP ainsi que dans le règlement REACH.

82      Ainsi, une évaluation des dangers liés aux propriétés intrinsèques des substances ne doit pas être limitée en considération de circonstances d’utilisation spécifiques, comme dans le cas d’une évaluation des risques, et peut être réalisée de manière valable indépendamment du lieu d’utilisation de la substance (laboratoire ou autre), de la voie par laquelle pourrait se produire le contact avec celle-ci et des niveaux éventuels d’exposition à la substance.

83      Au vu de ces considérations, il y a lieu de constater que, dans le cadre d’une classification valide des substances en cause au principal sur la base d’une évaluation des dangers liés aux propriétés intrinsèques de celles-ci, la Commission n’était pas tenue de prendre en compte la circonstance que certains carbonates de nickel n’étaient manipulés ou utilisés que dans des conditions de laboratoire.

 Sur le recours à la déclaration de dérogation

84      La juridiction de renvoi demande à la Cour si la circonstance que la Commission s’est fondée sur la déclaration de dérogation émise dans le cadre du règlement n° 793/93 aux fins des classifications litigieuses est de nature à affecter la validité de la trentième directive APT et celle du premier règlement APT.

85      À cet égard, Nickel Institute soutient que la Commission a excédé ses pouvoirs en fondant les classifications attaquées sur la demande de dérogation présentée à la DEPA par plusieurs sociétés productrices de nickel en mai 2003, conformément à l’article 9, paragraphe 3, du règlement n° 793/93, s’écartant ainsi des critères de classification prévus à l’annexe VI de la directive 67/548.

86      Or, d’une part, contrairement à ce que soutient la requérante au principal, la Commission n’a pas fondé sa décision de classification sur la déclaration de dérogation. Comme il a été constaté au point 75 du présent arrêt, les classifications litigieuses ont été effectuées dans le cadre de la procédure de comitologie sur la base des recommandations d’un large éventail d’experts qui ont validé l’utilisation de la méthode des références croisées et qui ont sciemment renoncé à attendre que des essais sur des animaux soient effectués, considérant que les indications sur la biodisponibilité des substances à base de nickel en cause au principal tirées du degré d’hydrosolubilité de celles-ci et les données existantes sur des substances à base de nickel ayant une structure similaire étaient suffisantes afin de procéder auxdites classifications. Ainsi, les classifications attaquées ont été effectuées sur une base scientifique, indépendamment de la demande d’exemption d’essais complémentaires formulée par l’industrie concernée.

87      D’autre part, il résulte certes des points 4.1.3.1.2.6 sur la mutagénicité et 4.1.2.7.2.1 sur la cancérogénicité du rapport sur l’évaluation des risques présenté par la DEPA au mois de mars 2008 que, à l’occasion d’une réunion tenue au mois d’avril 2004, en prenant en considération la demande de dérogation présentée par le secteur, les experts ont convenu que le carbonate de nickel devrait être classé comme mutagène de catégorie 3 et cancérogène de catégorie 1.

88      Toutefois, cette déclaration de dérogation n’est plus mentionnée, notamment, dans le compte rendu succinct de la réunion d’experts techniques dans le cadre du comité APT du 29 septembre 2008 (document SB/31ATP/08/2008) ou dans l’exposé des motifs de la trente et unième directive APT qui font état de la proposition de la DEPA d’utiliser l’approche par catégories et notamment la méthode des références croisées pour évaluer les carbonates de nickel sur lesquels peu de données étaient disponibles.

89      En conséquence, l’argument de la requérante au principal selon lequel la Commission a manifestement outrepassé ses pouvoirs d’appréciation en fondant les classifications litigieuses sur la seule demande de dérogation doit être écarté.

 Sur le choix de la base juridique des trentième et trente et unième directives APT

90      La juridiction de renvoi interroge la Cour sur la question de savoir si le choix de l’article 28 de la directive 67/548 comme base juridique pour l’adoption des trentième et trente et unième directives APT était approprié.

91      À cet égard, Nickel Institute fait valoir que les conditions de recours à la procédure prévue à l’article 28 de la directive 67/548 n’étaient pas remplies en ce qui concerne les classifications attaquées puisque les progrès techniques ou scientifiques étaient insuffisants pour justifier une adaptation.

92      Toutefois, ainsi qu’il résulte des comptes rendus des réunions d’experts, faisant partie d’un long processus de consultations réalisé au cours de la période couvrant les années 2000 à 2008, de nombreuses expertises et études ont été réalisées afin d’aboutir aux dernières adaptations de la directive 67/548, lors de l’adoption des trentième et trente et unième directives APT.

93      Or, compte tenu de l’étendue du contrôle auquel la Cour doit procéder dans ce domaine, conformément à ce qui a été dit aux points 59 et 60 du présent arrêt, il n’apparaît pas que la Commission, au vu des conclusions formulées au terme de ces expertises et études, aurait manifestement dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation en considérant que, en l’état des connaissances scientifiques, il existait un progrès technique suffisant pour justifier une adaptation de la directive 67/548.

94      Il y a dès lors lieu de constater que l’article 28 de la directive 67/548 pouvait valablement constituer la base juridique de l’adoption des trentième et trente et unième directives APT.

 Sur le défaut de motivation de la trentième directive APT

95      La juridiction de renvoi demande à la Cour si la trentième directive APT n’est pas entachée d’un défaut de motivation, en violation de l’article 253 CE.

96      Nickel Institute considère, pour sa part, que la Commission a manqué à ses obligations de motivation imposées par l’article 253 CE dans la mesure où les faits et les considérations juridiques justifiant l’adoption des classifications litigieuses n’apparaissent pas dans l’acte adopté lui-même, les comptes rendus des réunions d’experts publiés par la suite n’étant pas suffisants à cet égard.

97      Dans ce contexte, s’il est vrai que la Cour a jugé, d’une part, que la motivation d’un acte de l’Union doit figurer dans celui-ci et, d’autre part, qu’elle doit être adoptée par l’auteur de l’acte lui-même (voir arrêt du 21 janvier 2003, Commission/Parlement et Conseil, C‑378/00, Rec. p. I‑937, point 66 ainsi que jurisprudence citée), il n’en reste pas moins que le degré de motivation exigé est variable.

98      Ainsi, la Cour a déjà jugé que l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications (arrêt du 22 décembre 2008, Régie Networks, C‑333/07, Rec. p. I‑10807, point 63 et jurisprudence citée).

99      En outre, il ressort également d’une jurisprudence constante que la portée de l’obligation de motivation dépend de la nature de l’acte en cause et que, s’agissant d’actes de portée générale, la motivation peut se borner à indiquer, d’une part, la situation d’ensemble qui a conduit à l’adoption dudit acte et, d’autre part, les objectifs généraux qu’il se propose d’atteindre. Dans ce contexte, la Cour a itérativement précisé qu’il serait excessif d’exiger une motivation spécifique pour les différents choix techniques opérés si l’acte contesté fait ressortir l’essentiel de l’objectif poursuivi par l’institution (voir, en ce sens, arrêt du 17 mars 2011, AJD Tuna, C‑221/09, non encore publié au Recueil, point 59 et jurisprudence citée).

100    De plus, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 107 de ses conclusions, la participation des intéressés à la procédure d’élaboration d’un acte peut réduire les exigences de motivation puisqu’elle contribue à leur information.

101    Il apparaît que l’acte contesté satisfait à ces règles.

102    Ainsi, la trentième directive APT est un acte de portée générale dont les considérants prévoient que les mesures prévues par cette directive sont conformes à l’avis du comité APT et annoncent que la liste des substances afférente doit être actualisée pour inclure les substances nouvellement notifiées et d’autres substances existantes, ainsi que pour adapter les entrées existantes au progrès technique. À cet égard, il est prévu, notamment, de prêter une attention particulière aux conclusions des discussions engagées au Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) sur la classification des dérivés du nickel.

103    Ensuite, il est constant que la trentième directive APT s’inscrit dans un cadre technique et juridique complexe, à caractère essentiellement évolutif, qui rend difficile une motivation détaillée et individuelle des classifications effectuées, de sorte que la motivation contenue dans cette directive est suffisante en considération de la nature de cet acte.

104    Enfin, il n’est pas contesté que les représentants de l’industrie concernée ont été associés au processus d’élaboration de ladite directive. Par ailleurs, le raisonnement scientifique et les données qui avaient justifié les classifications litigieuses figuraient dans plusieurs documents et comptes rendus de réunions d’experts qui avaient été communiqués au public avant l’adoption de la trentième directive APT.

105    Dès lors, il convient de conclure, dans ce contexte, que la trentième directive APT n’est pas entachée d’un défaut de motivation contraire à l’article 253 CE.

106    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater que l’examen des première et deuxième questions n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité des trentième et trente et unième directives APT et, par conséquent, celle du premier règlement APT, en ce qu’ils ont classifié comme cancérogènes pour l’homme, de catégorie 1, mutagènes de catégorie 3 et reprotoxiques de catégorie 2 les substances à base de nickel en cause au principal.

 Sur la troisième question

107    Par sa troisième question, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur la validité du premier règlement APT qui intègre à l’annexe VI, partie 3, tableaux 3.1 et 3.2 du règlement CLP les modifications qui avaient été apportées à l’annexe I de la directive 67/548 par les trentième et trente et unième directives APT.

108    La juridiction de renvoi demande, plus précisément, d’une part, si le choix de la base juridique du premier règlement APT est valable et, d’autre part, si les classifications figurant dans le tableau 3.1 de l’annexe VI, partie 3, du règlement CLP sont légales.

 Sur le choix de la base juridique du premier règlement APT

109    La juridiction de renvoi cherche à savoir si la validité du premier règlement APT est affectée par le fait que la Commission a, pour l’adoption de cette réglementation, recouru à l’article 53 du règlement CLP plutôt qu’à l’article 37 de ce même règlement comme base juridique.

110    À cet égard, la requérante au principal reproche à la Commission d’avoir utilisé la procédure d’adaptation au progrès technique prévue à l’article 53 du règlement CLP, en ce qu’elle a choisi une méthode quasi automatique d’adaptation au progrès technique dudit règlement sans passer par la procédure d’évaluation complexe et détaillée des propriétés intrinsèques des substances en cause au principal prévue à l’article 37 de ce règlement.

111    S’agissant de cette première critique, force est de constater que l’article 37 du règlement CLP fait partie du titre V, chapitre I, de ce règlement, intitulé «Établissement d’une classification et d’un étiquetage harmonisés des substances».

112    L’emploi du terme «établissement» dans ce contexte indique que la procédure prévue audit article 37 ne devrait être utilisée que lors de l’adoption de nouvelles classifications. Par contre, selon la procédure de l’article 53 du règlement CLP, la «Commission peut ajuster et adapter au progrès technique et scientifique […] les annexes I à VII [dudit règlement]».

113    Or, en l’occurrence, le premier règlement APT ne fait qu’intégrer dans le règlement CLP les classifications litigieuses déjà arrêtées sur le fondement de critères et principes établis dans le cadre de la directive 67/548.

114    Il s’ensuit que l’article 53 du règlement CLP pouvait légitimement constituer la base juridique de l’adoption du premier règlement APT.

 Sur la légalité des classifications figurant dans le tableau 3.1 de l’annexe VI, partie 3, du règlement CLP

115    La juridiction de renvoi demande à la Cour si, dans l’adoption des classifications litigieuses dans le tableau 3.1 de l’annexe VI, partie 3, du règlement CLP, la Commission n’a pas commis une erreur en utilisant le tableau de conversion prévu à l’annexe VII de ce règlement plutôt qu’en considérant les critères de l’annexe I dudit règlement.

116    Ainsi, selon la requérante au principal, la Commission aurait dû reprendre le processus d’évaluation des propriétés intrinsèques des substances à base de nickel en cause au principal en appliquant les critères prévus à l’annexe I du règlement CLP.

117    Ainsi qu’il a été dit au point 113 du présent arrêt, une répétition de ce processus d’évaluation n’était pas nécessaire compte tenu du fait que le premier règlement APT ne fait qu’intégrer dans le règlement CLP les mêmes classifications que celles qui avaient bénéficié de la procédure complexe d’évaluation applicable dans le cadre de la directive 67/548.

118    S’agissant du tableau de conversion de l’annexe VII du règlement CLP, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 61, paragraphe 3, de ce règlement, toutes les substances doivent être classées, à la fois, dans l’ancien et dans le nouveau système jusqu’au 1er juin 2015. Il en résulte que toutes les classifications établies selon la directive 67/548 doivent être converties, à l’aide du tableau de conversion figurant dans ladite annexe VII, dans les classifications correspondantes relevant du règlement CLP.

119    Dès lors, c’est à bon droit que la Commission a décidé d’intégrer les classifications litigieuses dans le tableau 3.1 de l’annexe VI, partie 3, du règlement CLP à l’aide du tableau de conversion contenu dans l’annexe VII de ce règlement.

120    Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de constater que l’examen de la troisième question n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité du premier règlement APT en ce que ce règlement a classifié comme cancérogènes pour l’homme, de catégorie 1, mutagènes de catégorie 3 et reprotoxiques de catégorie 2 les substances à base de nickel en cause au principal.

 Sur les dépens

121    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:

L’examen des questions préjudicielles n’a révélé aucun élément de nature à affecter la validité, d’une part, de la directive 2008/58/CE de la Commission, du 21 août 2008, portant trentième adaptation au progrès technique de la directive 67/548/CEE du Conseil concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à la classification, l’emballage et l’étiquetage des substances dangereuses, et de la directive 2009/2/CE de la Commission, du 15 janvier 2009, portant trente et unième adaptation au progrès technique de la directive 67/548/CEE du Conseil concernant le rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à la classification, l’emballage et l’étiquetage des substances dangereuses, ainsi que, d’autre part, du règlement (CE) n° 790/2009 de la Commission, du 10 août 2009, modifiant, aux fins de son adaptation au progrès technique et scientifique, le règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, en ce que ces directives et ce règlement ont classifié comme cancérogènes pour l’homme, de catégorie 1, mutagènes de catégorie 3 et reprotoxiques de catégorie 2 les substances telles que certains carbonates de nickel, les hydroxydes de nickel et d’autres substances groupées à base de nickel en cause au principal.

Signatures


* Langue de procédure: l’anglais.